portrait... Gérald Honigsblum Polyglotte multicartes Arrivé de Paris après avoir vécu longtemps aux États-Unis, Gérald Honigsblum est un grand voyageur qui a posé ses valises il y a deux ans à <strong>Albi</strong>. Des dizaines d'étudiants américains l'ont suivi depuis... Le livre s'appelle Chanterelle. Voilà un nom bi<strong>en</strong> étrange. Certains amateurs de champignons p<strong>en</strong>seront spontaném<strong>en</strong>t à la girolle... mais ils font fausse route. Il faut regarder la quatrième de couverture pour appr<strong>en</strong>dre qu'il s'agit de la note la plus aiguë d'un instrum<strong>en</strong>t à cordes ou d'un appeau servant à appeler les oiseaux. Le sous-titre, Hommage à Sainte Cécile, éclaire <strong>en</strong>core mieux le lecteur de ce recueil écrit par le poète Roland Halbert. L'ouvrage est une succession de textes lyriques et de comm<strong>en</strong>taires aux anecdotes subtiles. C'est là qu'on appr<strong>en</strong>d qu'<strong>en</strong> 1958, dans son cabinet de curiosités situé près de la cathédrale d'<strong>Albi</strong>, le poète Laur<strong>en</strong>t de Béralt reçoit un certain Ernst Jünger avec qui il s'<strong>en</strong>treti<strong>en</strong>t sur « l'exemplaire unique du manuel du parfait collectionneur de vers ». Bi<strong>en</strong> curieux cet ouvrage à plusieurs <strong>en</strong>trées dont l'une, une citation <strong>en</strong> <strong>page</strong> neuf, ne laisse pas indiffér<strong>en</strong>t. « Il n'y a que les oiseaux, les <strong>en</strong>fants et les saints qui soi<strong>en</strong>t intéressants »... On n'a pas saisi l'occasion de demander l'avis de l'éditeur albigeois Gérald Honigsblum à qui l’on doit ce recueil. Tout juste a-t-il indiqué que ce livre était le cadeau qu'il faisait à <strong>Albi</strong>. « C'est aussi un ouvrage qui invite à l'écoute. » La patronne des musici<strong>en</strong>s ne le contredirait pas. « J'ai recomm<strong>en</strong>cé ma vie plusieurs fois », annonce d'emblée Gérald Honigsblum, arrivé à <strong>Albi</strong> il y a à peine deux ans. Tout cela aurait pu ne jamais se produire et pour cause : il est né <strong>en</strong> pleine guerre, <strong>en</strong> Pologne et de par<strong>en</strong>ts israélites. « Pas le mom<strong>en</strong>t le plus propice pour voir le jour », reconnaît-il. Sa naissance n'est donc évidemm<strong>en</strong>t pas déclarée aux autorités. « Je n'ai pas d'acte de naissance, ce qui me cause bi<strong>en</strong> du souci pour obt<strong>en</strong>ir la nationalité française ». Alors que seuls son père et sa mère échapp<strong>en</strong>t aux rafles, le reste de sa famille est déporté dans les camps de conc<strong>en</strong>tration. Une fois la guerre terminée, ses par<strong>en</strong>ts décid<strong>en</strong>t de quitter le pays et de tourner définitivem<strong>en</strong>t cette <strong>page</strong> noire de leur histoire. Premier virage. Après un rapide passage par la France, ils émigr<strong>en</strong>t vers les États-Unis où Gérald Honigsblum va passer toute son <strong>en</strong>fance. Le jeune garçon étudie à la Boston Latin School. « La plus anci<strong>en</strong>ne école publique du pays créée <strong>en</strong> 1635 », précise-t-il. « Cette école a d'ailleurs vu passer quelques personnages célèbres, dont B<strong>en</strong>jamin Flanklin. » Au début intéressé par les sci<strong>en</strong>ces et la médecine, il s'ori<strong>en</strong>te finalem<strong>en</strong>t vers les lettres, passe son doctorat à l’université de Chicago avant d'y <strong>en</strong>seigner le français langue étrangère. Deuxième virage. La proposition d'<strong>en</strong>seigner à Paris à l'ant<strong>en</strong>ne de l'université de Boston lui est faite. Sans hésiter, il plie bagages et arrive <strong>en</strong> France. Il restera à ce poste p<strong>en</strong>dant dix-sept ans jusqu'à ce qu'une opportunité le fasse à nouveau voir du pays. L'université Saint-Francis, située <strong>en</strong> P<strong>en</strong>nsylvanie, cherche à installer une ant<strong>en</strong>ne sur le territoire français. Le hasard fait que l'anci<strong>en</strong> prieuré d'Ambialet est disponible. L'université saute sur l'occasion et <strong>en</strong>gage des travaux de réhabilitation importants. Il est alors proposé à Gérald Honigsblum de dev<strong>en</strong>ir le secrétaire général de l'association de gestion du site, chargée d'assurer le bon fonctionnem<strong>en</strong>t de l'établissem<strong>en</strong>t et l'accueil des étudiants américains. Parlant bi<strong>en</strong> l'anglais, le français (mais aussi l'espagnol, le russe et le polonais, un peu l'allemand), Gérald Honigsblum est le profil tout trouvé pour être égalem<strong>en</strong>t responsable du programme d’études des Américains. « Je me suis dit : pourquoi pas ? » V<strong>en</strong>u rejoindre un associé à Ambialet, il visite les lieux, a le coup de foudre pour le site et accepte de participer à cette nouvelle av<strong>en</strong>ture, un peu folle, il l'avoue. Sur place, il se rapproche de l'université Champollion, des cours de français langue étrangère étant assurés aux étudiants américains. Pour faciliter leur intégration, des jeunes du campus accept<strong>en</strong>t d'être leurs parrains. Certains pourrai<strong>en</strong>t même se r<strong>en</strong>dre aux Etats-Unis sous la forme d'un Erasmus transatlantique. Le reste des cours se déroule à Ambialet. « La rumeur a couru que nous étions une secte », se souvi<strong>en</strong>t Gérald Honigsblum dubitatif. « Le lieu se prête à la méditation, mais cela s'arrête là ! » Troisième virage. En 2008, le voilà donc emménageant à <strong>Albi</strong> avec sa femme d'origine russe qu'il a r<strong>en</strong>contrée à Paris. « Je garde un très bon souv<strong>en</strong>ir de mon arrivée à <strong>Albi</strong> », insiste-t-il. Bi<strong>en</strong> qu'à la retraite, Gérald Honigsblum continue de m<strong>en</strong>er des projets professionnels ce qui l'amène à côtoyer le réseau d'acteurs locaux. Dans l'édition, on l'a dit. La boucle est bouclée. Sa société s'appelle Fraction et est spécialisée dans les livres multilingues. « L'idée de départ partait d'un constat : comm<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>dre accessible la littérature française aux lecteurs étrangers francophiles ? » La réponse est originale : un livre avec d'un côté le texte français, de l'autre toutes les expressions difficiles traduites. La lecture est facilitée, puisqu'il suffit de se reporter au mot incompris pour <strong>en</strong> avoir la traduction. Dans un autre g<strong>en</strong>re, histoire de brouiller les pistes, Gérald Honigsblum travaille sur un ouvrage imposant consacré au chocolat dans les arts (musique, littérature,...). 450 <strong>page</strong>s <strong>en</strong>viron : un délice ! Homme multicartes, Gérald Honigsblum est aussi philosophe. Il termine l'<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> par une réflexion sur le temps, <strong>en</strong> repr<strong>en</strong>ant Proust dans A la recherche du temps perdu. « Le temps n'est pas si cher. Celui qui l'a fait ne nous l'a pas v<strong>en</strong>du. » Et de rajouter : « La seule chose qu'on peut donner gratuitem<strong>en</strong>t, c'est le temps ! » Entre les actes et les paroles, Gérald Honisblum est cohér<strong>en</strong>t. 30 // albimag Déc.10-Janv.11
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