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Les cancers ORL dans la grande Histoire

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Annales françaises d’oto-rhino-<strong>la</strong>ryngologie et de pathologie cervico-faciale (2011) 128, 116—121<br />

HISTOIRE DE L’<strong>ORL</strong><br />

<strong>Les</strong> <strong>cancers</strong> des VADS <strong>dans</strong> l’histoire<br />

P. Marandas<br />

Institut Gustave-Roussy, 39, rue Camille-Desmoulins, 94800 Villejuif, France<br />

<strong>Les</strong> <strong>cancers</strong> cervicofaciaux connus depuis l’Antiquité ont<br />

acquis une certaine notoriété à <strong>la</strong> fin du xix e siècle à travers <strong>la</strong><br />

ma<strong>la</strong>die de trois personnes célèbres, époque à <strong>la</strong>quelle seule<br />

<strong>la</strong> chirurgie existait. Quelques autres personnalités atteintes<br />

de ce type de cancer ont marqué également leur époque.<br />

Rappel historique à l’époque ancienne<br />

<strong>Les</strong> premières traces de <strong>cancers</strong> cervicofaciaux ont été<br />

retrouvées sur des momies égyptiennes datant de 5000 ans<br />

av. J.-C. Il a en particulier été mis en évidence trois<br />

cas de cancer du cavum et trois cas d’ostéosarcome du<br />

maxil<strong>la</strong>ire [1]. Le papyrus Ebers, écrit sous Amenophis 1 er ,<br />

15 siècles avant Jésus-Christ, rapporte parmi ses 108 pages<br />

une tumeur de <strong>la</strong> gencive se présentant comme une protubérance<br />

noueuse, pulsatile, avec une couleur et une odeur<br />

particulières ; son traitement repose sur une ab<strong>la</strong>tion à <strong>la</strong><br />

<strong>la</strong>ncette chauffée au fer. Le même papyrus décrit plusieurs<br />

trachéotomies.<br />

Quatre siècles avant Jésus-Christ, Hippocrate donne <strong>la</strong><br />

première définition de ce mal sous le nom de « Karkinos » ou<br />

de « squirrhe » que l’on transformera en carcinome, traduit<br />

en <strong>la</strong>tin par le mot cancer. Le nom de Karkinos est donné par<br />

analogie avec le crabe qui enserre sa proie avec ses pinces<br />

pour <strong>la</strong> ronger et ensuite entraîner <strong>la</strong> mort. Peu avant, Hérodote<br />

nous apprend qu’Atossa, <strong>la</strong> femme de Darius, empereur<br />

de Perse, fut atteinte d’une tumeur du sein qui fut extirpée<br />

sous <strong>la</strong> conduite de Démocèdes, célèbre médecin grec.<br />

Adresse e-mail : patrickmarandas@hotmail.com<br />

Celse au i er siècle et Galien au ii e siècle [2] rapportent des<br />

<strong>cancers</strong> de <strong>la</strong> face, des lèvres et de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue traités par<br />

excision en plus des régimes alimentaires et des purges.<br />

Pour Galien (129-vers 217), le cancer est dû à un déséquilibre<br />

de <strong>la</strong> bile noire qui constitue avec le sang, <strong>la</strong> bile<br />

jaune et le phlegme, les quatre humeurs du corps humain.<br />

Ainsi se construit l’idée, qui durera durant les 15 siècles suivants,<br />

que le cancer est une ma<strong>la</strong>die générale dont seules<br />

les manifestations sont locales. Oribase, médecin byzantin,<br />

né à Pergame, comme Galien, auteur de 70 livres renfermant<br />

l’ensemble des connaissances anatomiques, physiologiques<br />

et thérapeutiques de l’époque écrit au iv e siècle que « les<br />

<strong>cancers</strong> sont variables, leur volume augmente tantôt rapidement,<br />

tantôt lentement ; ces affections entraînent de <strong>la</strong><br />

douleur. <strong>Les</strong> endroits où on les rencontre le plus fréquemment<br />

sont <strong>la</strong> lèvre, le nez, le cou [2] ».<br />

<strong>Les</strong> <strong>cancers</strong> cervicofaciaux ne sont que peu cités par les<br />

auteurs des siècles suivants. Ils ont été brutalement propulsés<br />

à <strong>la</strong> une de <strong>la</strong> presse médicale et de <strong>la</strong> presse mondiale<br />

à travers <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die de trois personnages de premier p<strong>la</strong>n à<br />

l’échelle internationale : l’empereur d’Allemagne Frédéric<br />

III et deux présidents des États-Unis d’Amérique, le Général<br />

Grant et le président G. Cleve<strong>la</strong>nd ; l’évolution de ces trois<br />

<strong>cancers</strong> a été émaillée de faits particuliers.<br />

Le cancer du <strong>la</strong>rynx du prince Frédéric<br />

Frédéric III, empereur d’Allemagne et roi de Prusse, est né<br />

en 1831. Il succéda en 1888 à son père Guil<strong>la</strong>ume 1 er .Le<br />

dernier roi de Prusse fut proc<strong>la</strong>mé empereur d’Allemagne<br />

le 18 janvier 1871 <strong>dans</strong> <strong>la</strong> galerie des g<strong>la</strong>ces du château de<br />

1879-7261/$ – see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.<br />

doi:10.1016/j.aforl.2010.12.004


<strong>Les</strong> <strong>cancers</strong> des VADS <strong>dans</strong> l’histoire 117<br />

Versailles après <strong>la</strong> capitu<strong>la</strong>tion française de Sedan puis de<br />

Metz et l’emprisonnement de Napoléon III. Le prince Frédéric,<br />

durant <strong>la</strong> guerre de 1870, commandait <strong>la</strong> troisième<br />

armée. Il se fit remarquer en particulier par sa clémence<br />

pour les habitants de Nancy et de Reims et s’opposa au siège<br />

de Paris, ainsi qu’au pil<strong>la</strong>ge du château de Versailles. Ces<br />

deux défaites eurent pour conséquence <strong>la</strong> fin de l’Empire<br />

français et <strong>la</strong> création du II e Reich allemand sous l’impulsion<br />

du chancelier Bismarck. Le prince Frédéric subit l’influence<br />

du très conservateur Bismarck, influence contreba<strong>la</strong>ncée<br />

par l’esprit très libéral de son épouse Victoria, fille de <strong>la</strong><br />

reine Victoria de Grande-Bretagne. Après un refroidissement<br />

banal en janvier 1887, le prince Frédéric, alors âgé de<br />

56 ans, présente une légère dysphonie et, devant sa persistance,<br />

le professeur Karl Gerhardt fut chargé de l’examiner<br />

le 6 mars 1887. Il constata un épaississement polypoïde sur<br />

le bord libre de <strong>la</strong> corde vocale gauche, qui, malgré une<br />

cure à Ems, devint beaucoup plus important avec diminution<br />

de <strong>la</strong> mobilité de <strong>la</strong> corde constatée le 15 mai 1887.<br />

Ernest Von Bergmann et Todd, alors appelés, confirmèrent<br />

<strong>la</strong> possibilité d’une tumeur maligne et envisagèrent son<br />

extirpation par <strong>la</strong>ryngofissure le 21 mai. Mais, le Dr Wegner,<br />

médecin du Kronprinz, et <strong>la</strong> princesse Victoria firent appeler<br />

en consultation, par l’intermédiaire de <strong>la</strong> Reine Victoria,<br />

le célèbre <strong>la</strong>ryngologiste ang<strong>la</strong>is Morell Mackenzie [3,4].<br />

Celui-ci nia le diagnostic de cancer, par<strong>la</strong> de syphilis <strong>la</strong>ryngée<br />

et demanda une vérification histologique par biopsie.<br />

Virchow, chargé de l’examen, par<strong>la</strong> de « pachydermie »,<br />

en signa<strong>la</strong>nt qu’il n’y avait pas assez de tissu pour se<br />

faire une opinion. L’idée de l’intervention fut abandonnée,<br />

au grand désarroi des <strong>la</strong>ryngologistes allemands qui<br />

constataient l’aggravation progressive de <strong>la</strong> tumeur. Le<br />

malheur s’abattait sur le Kronprinz car une nouvelle biopsie<br />

effectuée le 8 juin 1887 revenait encore négative et<br />

Morell Mackenzie, tenace et obstiné, restait sur son premier<br />

diagnostic, conduisant son ma<strong>la</strong>de vers <strong>la</strong> mort. Il écarta<br />

progressivement les autres médecins et pratiqua lui-même<br />

les soins : badigeonnages au perchlorure de fer et ab<strong>la</strong>tion<br />

de <strong>la</strong> partie visible de <strong>la</strong> tumeur. Le 28 juin 1887, il <strong>la</strong>issait<br />

le prince aller en Angleterre assister au jubilé de sa bellemère,<br />

<strong>la</strong> reine Victoria. Ses médecins l’envoyèrent passer<br />

l’automne à San Remo, jugeant qu’une cure climatique<br />

serait bienfaitrice. L’état s’aggravant, différents <strong>la</strong>ryngologistes<br />

furent appelés, dont Schrötter, Krause puis Schmidt.<br />

Ceux-ci purent constater, d’une part, l’important œdème<br />

bloquant l’hémi<strong>la</strong>rynx gauche, <strong>la</strong> lésion ayant dépassée <strong>la</strong><br />

ligne médiane et <strong>la</strong> présence d’une adénopathie.<br />

Ils proposèrent donc deux solutions : l’extirpation totale<br />

du <strong>la</strong>rynx ou <strong>la</strong> trachéotomie palliative. C’est <strong>la</strong> trachéotomie<br />

qui fut choisie par le prince. Mackenzie persistait<br />

encore à réfuter le diagnostic de cancer et Frédéric resta<br />

ainsi pendant quelques semaines jusqu’au 9 février 1888,<br />

où <strong>la</strong> dyspnée devenant très intense, une trachéotomie en<br />

urgence fut réalisée par Bramann, elle dura 20 minutes. La<br />

narcose au chloroforme fut administrée par Krause, Mackenzie<br />

était présent en observateur. Cette intervention<br />

historique fut photographiée par un inconnu puis imprimée<br />

et photocopiée mais, dès sa parution, les clichés furent<br />

détruits sur ordre ; cependant, un exemp<strong>la</strong>ire demeura en<br />

<strong>la</strong> possession du Pr Seiffert. Dans les jours suivants, on vit<br />

apparaître des quintes de toux entendues <strong>dans</strong> tout le pa<strong>la</strong>is<br />

impérial, avec expulsion de pus et de débris sphacéliques ;<br />

Figure 1<br />

Empereur Frédéric III d’Allemagne.<br />

c’est pour <strong>la</strong> première fois, à ce moment, que put être faite<br />

<strong>la</strong> preuve histologique du cancer et malgré ce<strong>la</strong>, Mackenzie<br />

continua à soutenir sa thèse de <strong>la</strong>ryngite grave avec<br />

périchondrite.<br />

En Allemagne, une tempête de protestations secoua<br />

l’empire tant il était évident que le diagnostic des <strong>la</strong>ryngologistes<br />

allemands était le bon. Le Dr Von Gerhardt accusa<br />

même le Dr Mackenzie d’être un boucher. Dans <strong>la</strong> nuit du<br />

22 au 23 février, se produit une importante hémorragie par<br />

<strong>la</strong> p<strong>la</strong>ie de <strong>la</strong> trachéotomie et les débris rejetés furent examinés<br />

par Waldeyer qui conclut formellement à <strong>la</strong> nature<br />

cancéreuse, Mackenzie semb<strong>la</strong> s’incliner et reconnut, du<br />

moins temporairement, son erreur. Le 9 mars 1888 mourut<br />

l’empereur Guil<strong>la</strong>ume I. À ses funérailles, les Berlinois<br />

crièrent : « L’empereur est mort, vive l’empereur mourant<br />

» et le 11 mars, le ma<strong>la</strong>de porteur d’une trachéotomie<br />

commença son règne sous le nom de Frédéric III (Fig. 1).<br />

L’état de l’empereur va progressivement s’altérer ; les<br />

bourgeons néop<strong>la</strong>siques envahissent le trajet canu<strong>la</strong>ire, <strong>la</strong><br />

dyspnée réapparaît, des épisodes de suffocation se succèdent<br />

; Mackenzie, sous <strong>la</strong> pression de Von Bergmann, est<br />

remp<strong>la</strong>cé par Bardeleben.<br />

L’évolution de <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die continua son cours : dysphagie,<br />

fièvre hectique, tuméfaction du cou puis pneumonie<br />

septique qui emporta l’empereur Frédéric III le<br />

15 juin 1888 après 99 jours de règne. Une autopsie pratiquée<br />

par Virchow et Waldeyer, à <strong>la</strong>quelle assistaient Bergmann,<br />

Bramann, Mackenzie et Morell, confirma le cancer du <strong>la</strong>rynx<br />

[5,6]. Le 11 juillet parut <strong>dans</strong> <strong>la</strong> presse un rapport rédigé<br />

par les médecins allemands, et en octobre 1888, Mackenzie<br />

ne vou<strong>la</strong>nt toujours pas reconnaître ses erreurs tragiques,<br />

publia « Le mal dont mourut Frédéric le Noble ». La ma<strong>la</strong>die<br />

et <strong>la</strong> mort de Frédéric III entraînèrent un désastre pour<br />

l’Allemagne et l’Europe. Frédéric III était un libéral épris de<br />

paix alors que son fils, Guil<strong>la</strong>ume II, qui lui succéda, était<br />

autoritaire et impulsif. Entré très tôt <strong>dans</strong> <strong>la</strong> vie politique,<br />

il fut influencé par les militaires allemands. Il renvoya dès<br />

son ascension au trône Bismarck, qui considérait que <strong>la</strong> paix<br />

était essentielle au futur développement de son pays. Par <strong>la</strong><br />

suite, il entraîna les <strong>grande</strong>s puissances <strong>dans</strong> un conflit d’où<br />

résulta <strong>la</strong> première guerre mondiale.


118 P. Marandas<br />

Figure 2<br />

Général Ulysses Simpson Grant.<br />

Une question doit se poser ici : le prince Frédéric pouvaitil<br />

guérir par une <strong>la</strong>ryngectomie totale ? La réponse est<br />

affirmative car <strong>la</strong> description de <strong>la</strong> « première » <strong>la</strong>ryngectomie<br />

totale par Billroth fut re<strong>la</strong>tée par son assistant<br />

Gussenbauer en 1874. En France, c’est L. Labbé qui pratiqua<br />

<strong>la</strong> première <strong>la</strong>ryngectomie totale en 1885 [7]. La technique<br />

opératoire et différentes mises au point ont été décrites en<br />

France par Périer, en Allemagne par Glück, et en Espagne<br />

par Tapia. La <strong>la</strong>ryngectomie totale était donc parfaitement<br />

connue et codifiée en 1887. Mais, se posaient les problèmes<br />

infectieux postopératoires. La décision de renoncer à <strong>la</strong><br />

<strong>la</strong>ryngectomie totale pour le Kronprinz a vraisemb<strong>la</strong>blement<br />

été influencée par <strong>la</strong> publication de N. Wolfender en 1887 sur<br />

les 103 <strong>la</strong>ryngectomies totales de <strong>la</strong> littérature qui étaient<br />

émaillées d’une mortalité de 40 % <strong>la</strong> première semaine et<br />

avec une survie à un an de 8,5 %. La ma<strong>la</strong>die de Frédéric<br />

de Prusse sera à l’origine de nombreuses réflexions sur <strong>la</strong><br />

valeur des signes de début, sur l’intérêt de <strong>la</strong> biopsie et les<br />

multiples erreurs qui lui sont imputables, sans parler du rôle<br />

possible <strong>dans</strong> <strong>la</strong> survenue de poussées évolutives et <strong>la</strong> dégénérescence<br />

de lésions bénignes, ce qui explique qu’elle fut<br />

discréditée pendant des décennies.<br />

Le cancer de <strong>la</strong> loge amygdalienne du général<br />

Grant<br />

<strong>Les</strong> États-Unis d’Amérique à <strong>la</strong> fin du xix e siècle ont été<br />

marqués par <strong>la</strong> survenue d’un cancer des VADS chez deux<br />

de leurs présidents : Ulysses S Grant et Grover Cleve<strong>la</strong>nd.<br />

Ulysses Simpson Grant, né en 1822, a été un général très<br />

popu<strong>la</strong>ire car il fut chef d’état major des troupes de l’union<br />

lors de <strong>la</strong> guerre de Sécession dont il reste le héros. C’est<br />

lui qui vainquit les troupes sudistes du général Lee à Appamatox<br />

le 9 avril 1865, mettant fin à <strong>la</strong> guerre. Il fut élu 18 e<br />

président des États-Unis pour deux mandats consécutifs de<br />

1869 à 1877. Sa présidence fut marquée par de graves scandales<br />

de corruption dont il fut toujours b<strong>la</strong>nchi. Il favorisera<br />

le capitalisme industriel par des mesures financières. En<br />

juin 1884, Ulysses S. Grant (Fig. 2), gros fumeur de cigarettes<br />

et de cigares depuis l’âge de 23 ans, se p<strong>la</strong>int de<br />

gêne pharyngée. Il est examiné par le Dr Da Costa sur son<br />

lieu de vacances. Ce n’est qu’en octobre que le diagnostic<br />

est fait par le Dr J.H. Doug<strong>la</strong>s, spécialiste réputé. En<br />

février 1885, <strong>la</strong> tumeur envahissait l’amygdale, <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue, le<br />

pa<strong>la</strong>is et il y avait des ganglions. À cette date, le très réputé<br />

chirurgien George Shrady envisagea une très vaste exérèse<br />

de type buccopharyngectomie transmaxil<strong>la</strong>ire avec ses collègues<br />

Doug<strong>la</strong>s et Sands. Après de nombreuses discussions,<br />

celle-ci fut écartée du fait de l’impossibilité à compenser<br />

les pertes sanguines et à juguler l’infection postopératoire.<br />

Le Général Grant fut avisé de <strong>la</strong> gravité de sa ma<strong>la</strong>die,<br />

ce qui lui permit de préparer sa famille à l’échéance fatale<br />

et de se <strong>la</strong>ncer <strong>dans</strong> l’écriture de ses mémoires pour mettre<br />

les siens à l’abri du besoin. La <strong>grande</strong> presse (The Times,<br />

The Tribune, New York Word) commenta <strong>la</strong>rgement l’état<br />

de santé de Grant, supputa sur l’origine du mal et le cancer<br />

fit <strong>la</strong> une des journaux de l’époque pendant de nombreux<br />

mois ; les alentours du domicile du général Grant, situé <strong>dans</strong><br />

<strong>la</strong> 66 e rue à Central Park, furent cernés par les journalistes<br />

qui rapportèrent toutes les particu<strong>la</strong>rités de l’évolution de<br />

<strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die sans oublier <strong>la</strong> visite du pasteur, le Révérend John<br />

Newman. À plusieurs reprises, <strong>la</strong> presse a rapporté les crises<br />

de suffocation et les hémorragies du Général [8,9]. Fin avril<br />

1885, pour être à l’abris de <strong>la</strong> presse, il se retira <strong>dans</strong> <strong>la</strong><br />

résidence d’un ami au Mont Mc Gregor pour achever ses<br />

mémoires, sous <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce permanente du Dr Doug<strong>la</strong>s.<br />

<strong>Les</strong> deniers mois du général Grant sont rapportés <strong>dans</strong> un<br />

livre écrit par le Dr Shrady. Après des semaines de douleurs<br />

mal sou<strong>la</strong>gées par les opiacés mais ayant permis au Général<br />

de terminer ses mémoires, il s’éteignit le 23 juillet 1885. Il<br />

bénéficia de funérailles nationales et aujourd’hui, ses restes<br />

reposent <strong>dans</strong> un imposant mausolée à Washington. Bien que<br />

l’abord du pharynx avec interruption de <strong>la</strong> mandibule ait été<br />

proposé par Billroth en 1861, <strong>la</strong> première description de <strong>la</strong><br />

buccopharyngectomie transmaxil<strong>la</strong>ire reste <strong>la</strong> propriété de<br />

Sands, Doug<strong>la</strong>s et Shrady. On peut penser qu’ils ont été sages<br />

de ne pas intervenir sur leur illustre ma<strong>la</strong>de, car les écrits<br />

rapportent qu’il avait de <strong>grande</strong>s difficultés à parler, ce qui<br />

témoigne d’extensions inaccessibles à <strong>la</strong> chirurgie.<br />

En France, <strong>la</strong> buccopharyngectomie transmaxil<strong>la</strong>ire<br />

(BPTM) a été décrite en 1906 par Val<strong>la</strong>s et Latarjet, puis<br />

reprise en 1952 par Dargent après les publications de Hayes<br />

Martin qui lui donna le nom d’opération Commando par analogie<br />

aux opérations des commandos canadiens lors de <strong>la</strong><br />

tentative de débarquement à Dieppe. Le nom d’opération<br />

Commando restera longtemps et explique <strong>la</strong> mauvaise réputation<br />

qui a entouré cette exérèse.<br />

La ma<strong>la</strong>die de Grover Cleve<strong>la</strong>nd<br />

Grover Cleve<strong>la</strong>nd est né en 1837. Il était avocat, membre<br />

du parti démocrate. Il a été le 22 e président des États-Unis,<br />

élu en 1884 et réélu une seconde fois en 1892 (Fig. 3). Il<br />

se fit remarquer par différents faits : il fit donner <strong>la</strong> troupe<br />

pour mettre fin à <strong>la</strong> grève des cheminots à Chicago et il<br />

refusa de pensionner les vétérans de <strong>la</strong> guerre de sécession.<br />

Il est considéré comme le père de l’orthodoxie financière.<br />

Il voulut le retour de l’étalon or contre l’étalon argent et<br />

est célèbre par ses déc<strong>la</strong>rations telles « le gouvernement<br />

des États-Unis ne se <strong>la</strong>issera pas injurier par des financiers<br />

opposés à <strong>la</strong> politique de <strong>la</strong> nation ». Parmi les anecdotes le


<strong>Les</strong> <strong>cancers</strong> des VADS <strong>dans</strong> l’histoire 119<br />

parler et avaler parfaitement, ce qui lui permit de reprendre<br />

<strong>la</strong> lutte politique. L’entourage par<strong>la</strong> d’extraction dentaire<br />

multiple pour expliquer son absence et les ennuis inhérents<br />

à l’opération. Le 7 août, il réapparut en public à Washington<br />

sans aucune disgrâce physique ou trouble de l’élocution<br />

et le 29 août, il remporta une éc<strong>la</strong>tante victoire au congrès<br />

faisant adopter l’étalon or. Son cancer ne récidiva pas et<br />

le président Cleve<strong>la</strong>nd décèdera en 1908, 15 ans après le<br />

traitement de son cancer.<br />

La nature de sa ma<strong>la</strong>die et son traitement ne furent<br />

révélés au public qu’en 1917 et depuis, de nombreuses<br />

publications eurent lieu sur ce sujet avec de nombreux<br />

détails sur l’importance de l’exérèse pa<strong>la</strong>tine, les prothèses,<br />

l’anatomopathologie de sa tumeur qui, d’après <strong>la</strong><br />

dernière publication faite en 1980 par J.J. Brooks, était un<br />

carcinome verruqueux [10,11].<br />

Réflexions sur <strong>la</strong> cancérologie des VADS<br />

Figure 3<br />

Grover Cleve<strong>la</strong>nd.<br />

concernant, signalons qu’il est le seul président des États-<br />

Unis à s’être marié à <strong>la</strong> Maison B<strong>la</strong>nche : le 2 juin 1886, à<br />

l’âge de 49 ans.<br />

Peu après sa deuxième élection à <strong>la</strong> présidence, Cleve<strong>la</strong>nd<br />

remarqua une tuméfaction de son pa<strong>la</strong>is et le<br />

13 juin 1893, il se confia au Dr O’Reilly, médecin attitré à <strong>la</strong><br />

Maison-B<strong>la</strong>nche. Le Dr O’Reilly fit deux prélèvements qu’il<br />

envoya à l’hôpital des armées, sans l’indication du nom du<br />

patient. Le diagnostic de tumeur maligne revint et resta<br />

secret. Le président Cleve<strong>la</strong>nd ne voulut qu’en aucun cas<br />

<strong>la</strong> moindre fuite sur sa ma<strong>la</strong>die n’ait lieu, pour éviter une<br />

panique boursière à Wall Street, pas même sa famille n’a été<br />

mise au courant. Le 30 juin 1893 au soir, il monta à bord d’un<br />

yacht « L’oneida » amarré <strong>dans</strong> le port de New York propriété<br />

d’un de ses amis, dont le grand salon avait été transformé<br />

d’urgence en salle d’opération. La maxillectomie supérieure<br />

droite débuta à minuit, pratiquée par une équipe chirurgicale<br />

dirigée par le Dr Joseph Bryant, éminent chirurgien qui<br />

avait, peu avant, publié une revue de 250 maxillectomies<br />

dont deux faites par lui même. J. Bryant était entouré des<br />

docteurs O’Reilly et W. Keen de Phi<strong>la</strong>delphie, du Dr J. Erdmann<br />

de New York, du Dr F. Hasbrouck dentiste à New York<br />

et grand expert <strong>dans</strong> l’utilisation de l’oxyde nitrée comme<br />

anesthésique. Cette anesthésie n’était pas sans danger car<br />

le président Cleve<strong>la</strong>nd était très corpulent avec un cou court<br />

et très épais. La résection osseuse al<strong>la</strong> de <strong>la</strong> première prémo<strong>la</strong>ire<br />

à <strong>la</strong> tubérosité du maxil<strong>la</strong>ire. L’anesthésie associa<br />

des applications locales de cocaïne et une anesthésie générale.<br />

L’exérèse elle-même dura 1h24 minutes. La cavité fut<br />

tamponnée par une mèche iodo formée. À deux heures du<br />

matin, tous les participants et l’opéré portèrent un toast<br />

accompagné d’un verre d’alcool. Le président était debout<br />

<strong>dans</strong> l’après midi et le 5 juillet, il quitta le yacht hôpital<br />

après s’être fait confectionner une prothèse provisoire en<br />

caoutchouc. Deux semaines, le 17 juillet, une petite reprise<br />

chirurgicale sur un granulome fut réalisée sur l’oneida permettant<br />

une vaste cautérisation de <strong>la</strong> cavité et <strong>la</strong> mise en<br />

p<strong>la</strong>ce d’une prothèse en caoutchouc vulcanisé parfaitement<br />

ajustée réalisée par le Dr Gibson. G. Cleve<strong>la</strong>nd put alors<br />

Ainsi, <strong>la</strong> troisième partie du xix e siècle a révélé au monde<br />

les <strong>cancers</strong> <strong>ORL</strong> à travers ces trois personnalités très<br />

fortes, toutes trois très <strong>grande</strong>s consommatrices de tabac.<br />

L’histoire évolutive de ces <strong>cancers</strong> nous renseigne sur<br />

l’évolution spontanée de <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die en l’absence de traitement<br />

chirurgical qui a l’époque était le seul traitement.<br />

Aujourd’hui, les trois opérations qui sauveraient les trois<br />

personnalités (<strong>la</strong>ryngectomie totale, buccopharyngectomie<br />

transmaxil<strong>la</strong>ire et maxillectomie) bénéficient des progrès<br />

de l’asepsie, de l’anesthésie et de <strong>la</strong> réanimation. Qu’en<br />

était-il à l’époque ? [12].<br />

La naissance et le développement de l’asepsie<br />

et de l’anesthésie<br />

Naissance et développement de l’asepsie<br />

Trois noms sont à rappeler : Semmelweiss, Louis Pasteur<br />

et Joseph Lister. Semmelweiss (1818—1865), obstétricien<br />

à Vienne, avait remarqué que les décès post-partum par<br />

infection passaient de 2 % lorsqu’ils étaient faits par des<br />

sages-femmes, à 20 % lorsqu’officiaient les étudiants en<br />

médecine. Il trouve vite l’explication : les sages-femmes<br />

se <strong>la</strong>vaient les mains alors que les étudiants en médecine<br />

passaient directement de l’amphithéâtre d’anatomie<br />

à <strong>la</strong> salle de travail sans se <strong>la</strong>ver les mains. Louis Pasteur<br />

(1822—1895) découvre en 1860 les microorganismes responsables<br />

des infections et de <strong>la</strong> contagion d’où l’établissement<br />

de règles d’asepsie. Joseph Lister (1827—1912), chirurgien<br />

ang<strong>la</strong>is, admirateur et ami de Pasteur, eut l’idée le premier<br />

de désinfecter les p<strong>la</strong>ies à l’acide phénique en 1867.<br />

Il fut rapidement suivi en France par J. Lucas Championnière<br />

et Tarnier, en Autriche par Billroth et en Allemagne<br />

par R. Von Volkmann. C’est le chirurgien germano-estonien<br />

Von Bergmann qui utilisa l’antisepsie à <strong>grande</strong> échelle lors<br />

de <strong>la</strong> campagne Russo-Turque 1877—1878.<br />

Naissance et développement de l’anesthésie<br />

Sou<strong>la</strong>ger <strong>la</strong> douleur en général et <strong>la</strong> douleur pendant et<br />

après les interventions a été un des objectifs des médecins


120 P. Marandas<br />

depuis l’Antiquité. Après des siècles d’immobilisme, marqués<br />

par l’utilisation d’alcool, de vin et l’utilisation d’une<br />

éponge imprégnée d’opium et de jusquiame au xii e et xiii e<br />

siècles, des progrès importants ont été faits depuis <strong>la</strong> moitié<br />

du xix e siècle. Voici les dates les plus marquantes :<br />

1799 : découverte par le chimiste ang<strong>la</strong>is Humphrey Davy<br />

du protoxyde d’azote dénommé le « gaz hi<strong>la</strong>rant ». 1818 :<br />

utilisation de l’éther pour traiter l’asthme. 1844 : utilisation<br />

du « gaz hi<strong>la</strong>rant » par Horace Wells qui eut un échec<br />

cuisant. Il finit <strong>dans</strong> <strong>la</strong> misère et se suicida en respirant<br />

de l’éther. 16 octobre 1846 : William Morton, dentiste<br />

endort à l’éther un jeune homme pour une tumeur du cou<br />

opéré par le chirurgien de Boston J.C. Warren. Il fait un<br />

deuxième essai le lendemain. Le chirurgien Bigelow rédige<br />

un article dithyrambique « nous venons tous d’assister à<br />

un événement capital <strong>dans</strong> les annales de <strong>la</strong> chirurgie.<br />

Notre métier est délivré pour toujours de son horreur ». W.<br />

Morton fait reconnaître son brevet (brevet US n o 4848) le<br />

12 novembre 1846 délivré par le 30 e U.S. Congrès, première<br />

session. Début décembre 1846, Liston à Londres emploie <strong>la</strong><br />

méthode. Le 22 décembre 1846, Jobert, suivi de Malgaigne,<br />

fit le premier essai parisien. Henri Mondor dit <strong>dans</strong> son livre<br />

« anatomistes et chirurgiens » : « Après le livre de Vésale,<br />

avant les travaux de Pasteur, voilà atteinte l’une des dates<br />

cruciales de l’évolution de <strong>la</strong> chirurgie : anatomie, anesthésie,<br />

asepsie, <strong>la</strong> triade souveraine ».<br />

1847 : utilisation du chloroforme par Simpson à Edimbourg<br />

qui fut utilisé chez <strong>la</strong> Reine Victoria en 1853 par<br />

Crawford à l’accouchement de son fils Léopold d’ou<br />

l’expression « d’anesthésie à <strong>la</strong> Reine ». 1859 : découverte<br />

de <strong>la</strong> cocaïne utilisée plus tard en anesthésie locale par Sigmund<br />

Freud. 1879 : Kronecter, Hayen et Ringer : mettent<br />

au point le sérum physiologique. 1891 : Schleich utilise au<br />

masque un mé<strong>la</strong>nge d’éther, de chloroforme et de chlorure<br />

d’éthyle. Plus tard, d’autres améliorations seront importantes<br />

au xx e siècle.<br />

Le cancer du maxil<strong>la</strong>ire de Sigmund Freud<br />

(1856—1939)<br />

Parmi les personnalités de premier p<strong>la</strong>n ayant présenté un<br />

cancer des VADS, il est indispensable de parler de <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die<br />

de S. Freud.<br />

S. Freud est né le 6 mai 1856 en Moravie, de nationalité<br />

autrichienne. Après ses études de médecine à l’université<br />

de Vienne, il fait ses premières recherches en neurologie<br />

sur <strong>la</strong> cocaïne qu’il publie sous le titre « Contribution à <strong>la</strong><br />

connaissance de l’action de <strong>la</strong> cocaïne et à propos de l’action<br />

générale de <strong>la</strong> cocaïne ». En 1885—1886, il étudie à <strong>la</strong> Salpêtrière<br />

chez J.M. Charcot où il est ébloui par le traitement de<br />

l’hystérie. En 1896, à 40 ans, il fait sa première conférence<br />

sur l’étiologie sexuelle de l’hystérie. Ce qui déclenche un<br />

véritable scandale.<br />

Dès 1902, quelques médecins se groupent autour de<br />

Freud pour former <strong>la</strong> première société de psychanalyse. Ses<br />

travaux continueront et il deviendra ainsi le père de <strong>la</strong> psychanalyse<br />

(Fig. 4).<br />

Le cancer du maxil<strong>la</strong>ire de Freud : en avril 1923, Freud<br />

montre à son ami le Dr F. Deutsch « quelques chose que vous<br />

n’aimez pas » qu’il a lui même observé depuis plusieurs mois.<br />

Freud, par re<strong>la</strong>tion, consulte le Pr M. Majek, <strong>la</strong>ryngologiste<br />

Figure 4<br />

Sigmund Freud.<br />

d’origine hongroise qui décide de l’opérer sous anesthésie<br />

générale. L’intervention est interrompue par une hémorragie<br />

et elle s’avère incomplète, ce qui fait conseiller une<br />

radiothérapie complémentaire.<br />

La tumeur récidive en quelques mois. Elle est réopérée<br />

par le Pr Pichler, stomatologiste qui le suivra jusqu’à sa<br />

mort : le 11 octobre 1923, Pichler pratique d’abord une ligature<br />

de <strong>la</strong> carotide externe et une exploration ganglionnaire,<br />

puis ensuite une <strong>la</strong>rge ab<strong>la</strong>tion centrée sur <strong>la</strong> commissure<br />

inter maxil<strong>la</strong>ire débordant sur le sinus maxil<strong>la</strong>ire et le voile<br />

du pa<strong>la</strong>is ; <strong>la</strong> vaste perte de substance est comblée partiellement<br />

par une greffe dermique prélevée sur l’avant-bras.<br />

Un mois plus tard, une excision limitée sur une zone douteuse<br />

est réalisée et une prothèse est confectionnée pour<br />

obstruer <strong>la</strong> communication bucconasale.<br />

Freud se soumet également à une ligature des canaux<br />

déférents, proposée à l’époque pour ralentir le vieillissement.<br />

Une radiothérapie complémentaire est appliquée.<br />

Durant les 13 années suivantes, il subit de nombreuses<br />

interventions sur de petits foyers de leucop<strong>la</strong>sie (électrocoagu<strong>la</strong>tion,<br />

irradiation limitée) et pour l’ajustement<br />

de sa prothèse en caoutchouc vulcanisé [13]. En 1936,<br />

il présentera un deuxième cancer dont l’évolution sera<br />

ralentie par différents traitements jusqu’à sa mort le<br />

23 septembre 1939 en Angleterre où il avait émigré en 1938.<br />

L’exérèse du maxil<strong>la</strong>ire supérieur était bien codifiée en<br />

1923 : <strong>la</strong> première maxillectomie totale a été pratiquée par<br />

l’auteur lyonnais Gensoul le 26 mai 1827 pour un volumineux<br />

ostéosarcome du maxil<strong>la</strong>ire supérieur. Dans sa lettre chirurgicale,<br />

il re<strong>la</strong>te huit cas de maxillectomie totale en 1833,<br />

et il précise que l’une de ses résections fut exécutée en<br />

un peu plus de deux minutes ! [14] Son incision primitive<br />

transjugale sera vite abandonnée au profit de l’incision de<br />

Velpeau qui ménage le canal de Stenon, puis c’est Fergusson<br />

qui incise verticalement <strong>la</strong> lèvre supérieure et Né<strong>la</strong>ton<br />

décrira <strong>la</strong> première para<strong>la</strong>téronasale qui sera modifié par <strong>la</strong><br />

suite.<br />

Le cancer du maxil<strong>la</strong>ire a-t-il eu un rôle sur Freud ?<br />

Il apparaît évident que le cancer a eu un retentissement<br />

important sur <strong>la</strong> vie. D’abord, il a subi 32 interventions


<strong>Les</strong> <strong>cancers</strong> des VADS <strong>dans</strong> l’histoire 121<br />

et plusieurs radiothérapies l’obligeant à cohabiter avec<br />

son « cher vieux carcinome ». Ensuite, il a très mal vécu<br />

<strong>la</strong> nécessité de porter une prothèse, qu’il décrit comme<br />

« une énorme prothèse, un monstre qui sépare <strong>la</strong> bouche<br />

de <strong>la</strong> cavité nasale, qui modifie l’élocution, rend difficile<br />

l’alimentation et même le fait de fumer ». D’autre part, il<br />

a présenté de continuelles souffrances nécessitant <strong>la</strong> prise<br />

de médicaments à base de cocaïne et de morphine. Enfin,<br />

il s’insurgea quand on crut bon de lui annoncer qu’il avait<br />

un cancer : « qui vous a donné le droit de me condamner<br />

à mort ? ». Il continua à fumer même après l’avis de<br />

l’anatomopathologiste qui conclut l’examen : « carcinome<br />

épidermoïde bien différencié, si cet homme n’arrête pas de<br />

fumer, il mourra de cancer ». Freud estimait que le tabac<br />

lui assurait <strong>la</strong> pleine jouissance de ses facultés intellectuelles,<br />

sans considération pour les multiples leucop<strong>la</strong>sies<br />

qui en décou<strong>la</strong>ient. « Je préfère l’existence à l’extinction »<br />

déc<strong>la</strong>ra-t-il en 1926 après une nouvelle et brève tentative<br />

de sevrage qui s’accompagnait de troubles cardiaques.<br />

Outre ces quatre personnalités de premier<br />

p<strong>la</strong>n à l’échelle de <strong>la</strong> politique ou de <strong>la</strong> pensée<br />

mondiales, quelques autres noms de personne<br />

célèbre sont à signaler [15]<br />

Le compositeur Giacomo Puccini (1858—1924) a présenté en<br />

1924 un cancer de l’épiglotte qui fut traité par un collier<br />

d’aiguilles de radium p<strong>la</strong>cées <strong>dans</strong> le <strong>la</strong>rynx. Il décèdera<br />

d’hémorragie cataclysmique en fin de traitement. George<br />

Herman dit « Babe » Ruth — peu connu en Europe, il reste<br />

pour des américains le plus grand baseballeur de tous les<br />

temps. Il est décédé d’un cancer des VADS en 1948 dont<br />

l’autopsie précisera qu’il s’agissait d’un cancer du cavum.<br />

Enfin, citons deux musiciens connus mondialement <strong>dans</strong><br />

les années 1960—1970 : George Harrison du groupe des<br />

Beatles a présenté d’abord un cancer de l’oropharynx puis<br />

un cancer du poumon avec métastase cérébrale en 2001.<br />

Charlie Watts du groupe des Rolling Stones a été irradié en<br />

2004 pour un cancer du <strong>la</strong>rynx.<br />

Conflit d’intérêt<br />

Aucun.<br />

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511—20.

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