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118 P. Marandas<br />
Figure 2<br />
Général Ulysses Simpson Grant.<br />
Une question doit se poser ici : le prince Frédéric pouvaitil<br />
guérir par une <strong>la</strong>ryngectomie totale ? La réponse est<br />
affirmative car <strong>la</strong> description de <strong>la</strong> « première » <strong>la</strong>ryngectomie<br />
totale par Billroth fut re<strong>la</strong>tée par son assistant<br />
Gussenbauer en 1874. En France, c’est L. Labbé qui pratiqua<br />
<strong>la</strong> première <strong>la</strong>ryngectomie totale en 1885 [7]. La technique<br />
opératoire et différentes mises au point ont été décrites en<br />
France par Périer, en Allemagne par Glück, et en Espagne<br />
par Tapia. La <strong>la</strong>ryngectomie totale était donc parfaitement<br />
connue et codifiée en 1887. Mais, se posaient les problèmes<br />
infectieux postopératoires. La décision de renoncer à <strong>la</strong><br />
<strong>la</strong>ryngectomie totale pour le Kronprinz a vraisemb<strong>la</strong>blement<br />
été influencée par <strong>la</strong> publication de N. Wolfender en 1887 sur<br />
les 103 <strong>la</strong>ryngectomies totales de <strong>la</strong> littérature qui étaient<br />
émaillées d’une mortalité de 40 % <strong>la</strong> première semaine et<br />
avec une survie à un an de 8,5 %. La ma<strong>la</strong>die de Frédéric<br />
de Prusse sera à l’origine de nombreuses réflexions sur <strong>la</strong><br />
valeur des signes de début, sur l’intérêt de <strong>la</strong> biopsie et les<br />
multiples erreurs qui lui sont imputables, sans parler du rôle<br />
possible <strong>dans</strong> <strong>la</strong> survenue de poussées évolutives et <strong>la</strong> dégénérescence<br />
de lésions bénignes, ce qui explique qu’elle fut<br />
discréditée pendant des décennies.<br />
Le cancer de <strong>la</strong> loge amygdalienne du général<br />
Grant<br />
<strong>Les</strong> États-Unis d’Amérique à <strong>la</strong> fin du xix e siècle ont été<br />
marqués par <strong>la</strong> survenue d’un cancer des VADS chez deux<br />
de leurs présidents : Ulysses S Grant et Grover Cleve<strong>la</strong>nd.<br />
Ulysses Simpson Grant, né en 1822, a été un général très<br />
popu<strong>la</strong>ire car il fut chef d’état major des troupes de l’union<br />
lors de <strong>la</strong> guerre de Sécession dont il reste le héros. C’est<br />
lui qui vainquit les troupes sudistes du général Lee à Appamatox<br />
le 9 avril 1865, mettant fin à <strong>la</strong> guerre. Il fut élu 18 e<br />
président des États-Unis pour deux mandats consécutifs de<br />
1869 à 1877. Sa présidence fut marquée par de graves scandales<br />
de corruption dont il fut toujours b<strong>la</strong>nchi. Il favorisera<br />
le capitalisme industriel par des mesures financières. En<br />
juin 1884, Ulysses S. Grant (Fig. 2), gros fumeur de cigarettes<br />
et de cigares depuis l’âge de 23 ans, se p<strong>la</strong>int de<br />
gêne pharyngée. Il est examiné par le Dr Da Costa sur son<br />
lieu de vacances. Ce n’est qu’en octobre que le diagnostic<br />
est fait par le Dr J.H. Doug<strong>la</strong>s, spécialiste réputé. En<br />
février 1885, <strong>la</strong> tumeur envahissait l’amygdale, <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue, le<br />
pa<strong>la</strong>is et il y avait des ganglions. À cette date, le très réputé<br />
chirurgien George Shrady envisagea une très vaste exérèse<br />
de type buccopharyngectomie transmaxil<strong>la</strong>ire avec ses collègues<br />
Doug<strong>la</strong>s et Sands. Après de nombreuses discussions,<br />
celle-ci fut écartée du fait de l’impossibilité à compenser<br />
les pertes sanguines et à juguler l’infection postopératoire.<br />
Le Général Grant fut avisé de <strong>la</strong> gravité de sa ma<strong>la</strong>die,<br />
ce qui lui permit de préparer sa famille à l’échéance fatale<br />
et de se <strong>la</strong>ncer <strong>dans</strong> l’écriture de ses mémoires pour mettre<br />
les siens à l’abri du besoin. La <strong>grande</strong> presse (The Times,<br />
The Tribune, New York Word) commenta <strong>la</strong>rgement l’état<br />
de santé de Grant, supputa sur l’origine du mal et le cancer<br />
fit <strong>la</strong> une des journaux de l’époque pendant de nombreux<br />
mois ; les alentours du domicile du général Grant, situé <strong>dans</strong><br />
<strong>la</strong> 66 e rue à Central Park, furent cernés par les journalistes<br />
qui rapportèrent toutes les particu<strong>la</strong>rités de l’évolution de<br />
<strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die sans oublier <strong>la</strong> visite du pasteur, le Révérend John<br />
Newman. À plusieurs reprises, <strong>la</strong> presse a rapporté les crises<br />
de suffocation et les hémorragies du Général [8,9]. Fin avril<br />
1885, pour être à l’abris de <strong>la</strong> presse, il se retira <strong>dans</strong> <strong>la</strong><br />
résidence d’un ami au Mont Mc Gregor pour achever ses<br />
mémoires, sous <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce permanente du Dr Doug<strong>la</strong>s.<br />
<strong>Les</strong> deniers mois du général Grant sont rapportés <strong>dans</strong> un<br />
livre écrit par le Dr Shrady. Après des semaines de douleurs<br />
mal sou<strong>la</strong>gées par les opiacés mais ayant permis au Général<br />
de terminer ses mémoires, il s’éteignit le 23 juillet 1885. Il<br />
bénéficia de funérailles nationales et aujourd’hui, ses restes<br />
reposent <strong>dans</strong> un imposant mausolée à Washington. Bien que<br />
l’abord du pharynx avec interruption de <strong>la</strong> mandibule ait été<br />
proposé par Billroth en 1861, <strong>la</strong> première description de <strong>la</strong><br />
buccopharyngectomie transmaxil<strong>la</strong>ire reste <strong>la</strong> propriété de<br />
Sands, Doug<strong>la</strong>s et Shrady. On peut penser qu’ils ont été sages<br />
de ne pas intervenir sur leur illustre ma<strong>la</strong>de, car les écrits<br />
rapportent qu’il avait de <strong>grande</strong>s difficultés à parler, ce qui<br />
témoigne d’extensions inaccessibles à <strong>la</strong> chirurgie.<br />
En France, <strong>la</strong> buccopharyngectomie transmaxil<strong>la</strong>ire<br />
(BPTM) a été décrite en 1906 par Val<strong>la</strong>s et Latarjet, puis<br />
reprise en 1952 par Dargent après les publications de Hayes<br />
Martin qui lui donna le nom d’opération Commando par analogie<br />
aux opérations des commandos canadiens lors de <strong>la</strong><br />
tentative de débarquement à Dieppe. Le nom d’opération<br />
Commando restera longtemps et explique <strong>la</strong> mauvaise réputation<br />
qui a entouré cette exérèse.<br />
La ma<strong>la</strong>die de Grover Cleve<strong>la</strong>nd<br />
Grover Cleve<strong>la</strong>nd est né en 1837. Il était avocat, membre<br />
du parti démocrate. Il a été le 22 e président des États-Unis,<br />
élu en 1884 et réélu une seconde fois en 1892 (Fig. 3). Il<br />
se fit remarquer par différents faits : il fit donner <strong>la</strong> troupe<br />
pour mettre fin à <strong>la</strong> grève des cheminots à Chicago et il<br />
refusa de pensionner les vétérans de <strong>la</strong> guerre de sécession.<br />
Il est considéré comme le père de l’orthodoxie financière.<br />
Il voulut le retour de l’étalon or contre l’étalon argent et<br />
est célèbre par ses déc<strong>la</strong>rations telles « le gouvernement<br />
des États-Unis ne se <strong>la</strong>issera pas injurier par des financiers<br />
opposés à <strong>la</strong> politique de <strong>la</strong> nation ». Parmi les anecdotes le