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Revue Humanitaire n°3 - automne 2001 - Médecins du Monde

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Dossier<br />

Jacques Lebas<br />

A voir l’action humanitaire telle qu’elle s’est développée<br />

depuis une vingtaine d’années, on reste surpris <strong>du</strong><br />

manque de réflexion, au moins collective, qui entoure la question de la violence. Comme<br />

si cela allait tellement de soi que l’humanitaire agit forcément au cœur de la violence.<br />

Comme si l’accolement des deux termes "violence" et "humanitaire" semblait ré<strong>du</strong>ire le<br />

débat à néant tant l’un paraît impliquer l’autre de manière évidente. Mais l'actualité et les<br />

mutations de la violence, et sans doute la maturité des humanitaires eux-mêmes, interrogent<br />

plus que jamais sur les liens qui unissent ces deux termes, emblématiques <strong>du</strong><br />

XX ème siècle. Et il n’est pas sans intérêt de noter que c’est à travers la démarche des associations<br />

de femmes qui luttent en France contre la violence dans l’espace privé que la<br />

revue <strong>Humanitaire</strong> a souhaité provoquer cette réflexion indispensable. Comme si une violence<br />

oubliée se tournait vers une violence apparemment intégrée pour questionner ce<br />

qui les fonde et les unit. La violence nous est alors apparue dans toute sa complexité,<br />

jouant sur une gamme de maux infinie. Et l’humanitaire de nous sembler devoir embrasser<br />

d’autres situations que les seuls conflits lointains qui l’ont vu naître. A savoir les violences<br />

que nos sociétés abritent en leur sein. Pour traiter cette question, nous avons<br />

réuni autour de cette table des universitaires et des acteurs humanitaires. Et pour commencer<br />

peut-être pourrions-nous, Jacques Sémelin, essayer de préciser le champ que<br />

recouvre la notion de violence ?<br />

La violence n’est pas un mot qui va de soi. Il s’agit d’un Jacques Sémelin<br />

terme polysémique et, pour travailler depuis près de vingt ans sur cette question,<br />

j’ai appris à décoder le sens que chaque interlocuteur peut lui attribuer. Il faut référer<br />

cette notion de violence à plusieurs traditions, à plusieurs approches. Dans une<br />

première approche, la violence est définie comme une pulsion, comme une énergie,<br />

comme la vie elle-même. C’est toute une tradition philosophique dont<br />

Nietzsche est sans doute le meilleur représentant. Dans une deuxième approche,<br />

beaucoup plus terre-à-terre, la violence est "instrumentale" : elle est une pression<br />

physique ou morale que l’on exerce sur une personne dont on souhaite faire fléchir<br />

la volonté pour la contraindre à dire ou faire ce que l’on attend d’elle. Bien enten<strong>du</strong>,<br />

les militaires sont peut-être parmi les premiers à se reconnaître dans cette<br />

approche de la violence, mais c’est plus largement une approche de la violence politique.<br />

Une troisième approche de la violence consiste à la définir par des "structures".<br />

Certains diront des structures de l’injustice, de l’exclusion, de la domination<br />

: c’est tout ce qui va m’empêcher de me réaliser moi-même, tout ce qui va aller à<br />

l’encontre de mon désir, de ma motivation. On retrouve là toute une série de théories<br />

qui vont insister sur les rapports politiques de domination — dominants/dominés,<br />

oppresseurs/opprimés — et on va même parler de violence symbolique dans<br />

ce domaine. Ainsi, le sociologue Pierre Bourdieu se retrouverait peut-être dans<br />

cette approche. Enfin, une quatrième approche va définir la violence comme un<br />

abus, une transgression, une effraction <strong>du</strong> territoire de l’autre, <strong>du</strong> corps de l’autre<br />

qui passe par le non-respect de certaines règles, de certains codes et nous renvoie<br />

à la loi. Néanmoins, toute transgression n’est pas violence : ainsi, la désobéissance<br />

civile est une forme de transgression qui n’implique pas nécessairement la violence.<br />

Tout dépend <strong>du</strong> registre sur lequel on souhaite se situer. Ainsi, Annette Becker a<br />

travaillé sur les violences de guerre : c’est un objet de recherche qui diffère de celui<br />

des violences sociales, lequel diffère des violences dites extrêmes sur lesquelles je<br />

1<br />

Pour un développement de cette problématique, voir dans ce numéro p.133 l'annonce <strong>du</strong> colloque qu'organise Jacques Sémelin<br />

les 29 et 30 octobre prochain sur ce thème.<br />

12

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