Revue Humanitaire n°3 - automne 2001 - Médecins du Monde
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Dossier<br />
C’est une excellente question dans la mesure<br />
Fabrice Giraux<br />
où tout courant qui consiste à personnaliser la<br />
violence dans ses effets, notamment pour les indivi<strong>du</strong>s qui restent dans des<br />
situations de conflit, n’a pas que des effets positifs pour cette notion de communauté.<br />
On constate par contre que tout ce qui a contribué à renforcer les<br />
liens communautaires, et je pense notamment à tous ces processus de<br />
mémoire mis en œuvre dans les pays d’Amérique latine comme le Guatemala,<br />
a eu des effets bénéfiques sur les indivi<strong>du</strong>s eux-mêmes dans leur souffrance<br />
psychologique. L’enjeu dans ces situations de violence, présente ou<br />
passée, me semble bien de savoir si l’on se situe dans le champ de l’indivi<strong>du</strong>,<br />
et des effets qu’il a subis <strong>du</strong> fait de la violence, ou si l’on se situe sur le plan<br />
de la communauté, en sachant que les communautés inventent systématiquement<br />
des réponses face à ces violences. Il me semble important que les<br />
organismes humanitaires renforcent ces mouvements de solidarité spontanés,<br />
ces modalités d’organisation que les gens instaurent. On peut noter le rôle particulier<br />
des femmes dans ces processus. Elles sont en effet souvent recon<strong>du</strong>ites<br />
dans leur fonction, alors que les hommes perdent leur statut. On le voit<br />
particulièrement dans les populations déplacées en Colombie : les hommes,<br />
s’ils sont cultivateurs, ne peuvent plus cultiver ; les femmes, elles, restent<br />
dans une construction de la vie sociale, celle de s’occuper des enfants, de faire<br />
la cuisine. Elles se retrouvent dans une situation relativement proche de celle<br />
qu’elles vivaient avant, d’où la volonté de construire là-dessus <strong>du</strong> lien social,<br />
ou en tout cas de prolonger ce lien social à travers les femmes.<br />
Je pense exactement comme vous, mais avec le regard de l’historienne et<br />
non pas avec celui de la personne qui intervient auprès de ceux qui souffrent.<br />
Je crois que pour arriver à<br />
comprendre les situations de violence il<br />
faut travailler comme l’on fait les anthropologues depuis longtemps et les<br />
historiens depuis une dizaine d’années : dans l’idée de cercle de deuil, de<br />
cercle de violence, de cercle de souffrance, cercles familiaux, villageois. Et<br />
voir le passage <strong>du</strong> moment de la violence à celui de l’après-violence, le<br />
deuil, la transmission de la violence, la transmission par la mémoire et par<br />
l’oubli bien sûr. Il est important de comprendre ce qui s’est passé au niveau<br />
d’un lien social qui existait, qui est brisé ou transformé par la violence puis<br />
recréé dans la mémoire et dans l’oubli de la violence. C’est notre angle<br />
d’attaque en tant qu’historiens aujourd’hui mais je crois que c’est une<br />
façon aussi très importante de voir les choses pour tous les humanitaires.<br />
22<br />
Annette Becker<br />
Je suis tout à fait d’accord, mais il ne faut pas perdre de vue ce que c’est que l’urgence. Janvier<br />
1999, Sierra-Léone, on se retrouve à l’hôpital Connote, le principal de la Guillaume Le Gallais<br />
ville. On rentre dans l’hôpital, c’est extrêmement étrange, il n’y a pas de<br />
bruit, on dirait qu’il ne se passe rien <strong>du</strong> tout, et puis finalement sortent les personnes blessées. On<br />
commence à travailler dans cet hôpital au milieu de la guerre. Ce qui nous paraît le plus urgent et le<br />
plus logique, a priori, c’est la chirurgie, c’est la chose vitale à ce moment-là. Ensuite, on essaye de<br />
comprendre ce qui s’est passé. On se rend compte que pour 80 % des gens qui sont blessés dans<br />
cet hôpital, il ne s’agit pas de violences collatérales, c’est-à-dire <strong>du</strong>es aux bombardements, à des<br />
balles per<strong>du</strong>es ou au fait que les toits des maisons tombent, mais de violences délibérées contre les<br />
civils. On s’aperçoit aussi que 30 % de ces violences ont été faites à l’arme blanche, ce qui, en<br />
termes d’image pour les victimes, se révèle extrêmement fort. On se retrouve donc avec 215 blessés.<br />
Je suis tout à fait d’accord sur les soins psychologiques mais là, la premier chose, c’est quand<br />
même de les emmener au bloc, de les opérer, de les garder à l’hôpital, bref d’essayer de les tirer