Journal du 11 septembre 2006 - Département de sociologie
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Méthodologie 101<br />
Q- Quel est le plus grand problème <strong>de</strong>s sociétés<br />
actuelles selon vous <br />
R- Le plus grand problème, bouf, le plus grand<br />
problème..mmm, ben, premièrement, <strong>de</strong>s<br />
sociétés actuelles, les sociétés occi<strong>de</strong>ntales <br />
Q- Euh, oui…<br />
R- Bien, je dirais que le problème le plus important,<br />
avant <strong>de</strong> le nommer, je dirais qu'il est structurel,<br />
et non ponctuel. Ce qui veut dire qu'il<br />
prend sa source dans les fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong>s<br />
sociétés actuelles. Quels sont les fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong>s<br />
sociétés actuelles Bon, par exemple le Canada,<br />
ce qui est au fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> cette société, c'est la<br />
liberté indivi<strong>du</strong>elle, les droits indivi<strong>du</strong>els, les<br />
chartes <strong>de</strong>s droits. Ces droits sont une bonne<br />
chose en soi, mais se sont les dérives qui<br />
découlent <strong>de</strong> ces droits là qui représentent le<br />
problème : l'indivi<strong>du</strong>alisme.<br />
Q- Vous pensez que l'indivi<strong>du</strong>alisme est le plus grand<br />
problème <strong>de</strong>s sociétés actuelles Vous ne pensez pas<br />
que c'est, par exemple, les problèmes environnementaux<br />
<br />
R- Attention, je ne dis pas que les problèmes<br />
environnementaux ne sont pas importants.<br />
Mais, je crois que l'indivi<strong>du</strong>alisme en est la<br />
source. L'importance <strong>de</strong> l'indivi<strong>du</strong>, la considération<br />
trop exacerbée <strong>de</strong> la personne crée <strong>de</strong>s problèmes,<br />
tels que ceux qui sont à la source <strong>de</strong>s<br />
changements climatiques, par exemple. Les plus<br />
gran<strong>de</strong>s dérives sociales découlent, pour la plupart,<br />
toutes <strong>de</strong> l'indivi<strong>du</strong>alisme : la dénatalité, la<br />
perte <strong>de</strong> repères collectifs, le déclin <strong>de</strong> la religion,<br />
la méfiance envers la politique et, bien sûr,<br />
les changements climatiques.<br />
Q- De quelles manières l'indivi<strong>du</strong>alisme peut-il<br />
représenter la source <strong>de</strong>s changements climatiques <br />
R- Vous avez une fixation sur les changements<br />
climatiques, vous Vous faites bien, car, si nous<br />
<strong>de</strong>vions faire un «top 5» <strong>de</strong>s problèmes actuels,<br />
l'environnement y figurerait certainement. Les<br />
changements climatiques, donc, représentent<br />
une préoccupation environnementale importante.<br />
Pourquoi l'indivi<strong>du</strong>alisme est la source <strong>de</strong><br />
ce problème environnemental C'est une question<br />
d'incompatibilité. L'environnement et les<br />
questions environnementales sont difficilement<br />
compatibles avec les droits indivi<strong>du</strong>els, parce<br />
que l'environnement, c'est quelque chose <strong>de</strong> fondamentalement<br />
collectif. Il est plutôt rare d'entendre<br />
<strong>de</strong>s militants environnementaux dire :<br />
«Nous <strong>de</strong>vons sauver uniquement la cour<br />
arrière <strong>de</strong> telle ou telle personne.»<br />
L'environnement, parce qu'elle transcen<strong>de</strong> les<br />
indivi<strong>du</strong>s, villes, nations, continents, est obligatoirement<br />
une question collective, ce qui l'oppose<br />
avec les droits indivi<strong>du</strong>els. Ainsi, nous<br />
avons <strong>de</strong>s situations où <strong>de</strong>s indivi<strong>du</strong>s se foutent<br />
carrément <strong>de</strong>s questions environnementales, et<br />
Verbatim<br />
1<br />
sur l’indivi<strong>du</strong>alisme<br />
le pire, dans tout cela, c'est qu'ils en ont légalement<br />
le droit ! Il <strong>de</strong>vient dès lors plus que difficile<br />
<strong>de</strong> légiférer collectivement pour éviter <strong>de</strong><br />
telles dérives. La seule chose que les gouvernements<br />
peuvent faire, c'est <strong>de</strong> proposer <strong>de</strong>s alternatives<br />
: transports en commun, subventions<br />
pour véhicules hybri<strong>de</strong>s, etc. Mais, ces mesures<br />
ne sont que <strong>de</strong>s baumes que nous appliquons<br />
sans vraiment régler le problème.<br />
Q- Vous pensez que l'indivi<strong>du</strong>alisme est un problème<br />
structurel qui découle <strong>de</strong>s droits indivi<strong>du</strong>els.<br />
Comment voyez-vous la place, dès lors, <strong>de</strong>s droits<br />
indivi<strong>du</strong>els dans les sociétés actuelles <br />
R- En fait, <strong>de</strong>puis les dérives horribles <strong>du</strong> nationalisme<br />
survenu dans certains pays européens<br />
lors <strong>du</strong> début <strong>du</strong> siècle <strong>de</strong>rnier, nous assistons à<br />
une montée impressionnante <strong>de</strong> la place <strong>de</strong>s<br />
droits indivi<strong>du</strong>els dans les sociétés. C'est vrai<br />
que l'exemple allemand était frappant : un État<br />
qui, légalement, légifère pour éliminer <strong>de</strong>s indivi<strong>du</strong>s<br />
sur son territoire. Depuis ce temps,<br />
plusieurs dictons expriment bien la situation<br />
sociale <strong>de</strong> l'importance indivi<strong>du</strong>el : «On est<br />
jamais mieux servi que par soi-même», «Il n'y a<br />
pas personne qui va me dire quoi faire», «Tout le<br />
mon<strong>de</strong> est unique», «Fait ce que toi tu veux<br />
faire», «N'écoute pas les autres, n'écoute que<br />
toi», etc. Il y a une idéologie qui s'est formé pour<br />
assurer la promotion <strong>de</strong>s droits indivi<strong>du</strong>els, c'est<br />
la tradition idéologique et politique libérale. Les<br />
fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> la tradition libérale assurent la<br />
promotion <strong>de</strong>s droits indivi<strong>du</strong>els dans les<br />
sociétés. Ce qu'il aurait fallu, c'est une tradition<br />
collective qui se développe en parallèle, pour<br />
assurer un équilibre entre les droits indivi<strong>du</strong>els<br />
et les droits collectifs, ce qui n'a pas été fait, ou<br />
mal fait, avec l'exemple soviétique, entre autre.<br />
Q- Qu'enten<strong>de</strong>z-vous par droits collectifs Et <strong>de</strong><br />
quelle manière concevez-vous cet équilibre dont vous<br />
parlez <br />
R- Actuellement, il n'y a qu'un droit collectif qui<br />
est vraiment promu, aux Nations Unies : le<br />
droits <strong>de</strong>s peuples à l'autodétermination. C'est<br />
bien normal, puisque les droits collectifs, par<br />
nature, sont bien plus complexes que les droits<br />
indivi<strong>du</strong>els. Un indivi<strong>du</strong>, tout le mon<strong>de</strong> c'est ce<br />
que c'est. Mais un collectif Il y a un énorme travail<br />
juridique et politique à effectuer ici, soit la<br />
définition <strong>de</strong>s droits collectifs. Et ce n'est évi<strong>de</strong>ment<br />
pas <strong>de</strong>s gouvernements issus <strong>de</strong> la tradition<br />
libérale qui oseront s'aventurer sur ce terrain.<br />
De toute façon, ce serait contraire à leurs<br />
idéaux. Par droits collectifs, nous pourrions dire<br />
qu'il y a le droit à une communauté linguistique<br />
<strong>de</strong> protéger sa langue, par exemple. Sur ce cas,<br />
les Français d'Amérique représentent bien l'exemple<br />
d'une communauté linguistique qui<br />
essaie <strong>de</strong> protéger la langue française dans un<br />
continent <strong>de</strong> plus en plus homogénéisé. Les<br />
Catalans forment aussi un bel exemple. Il y a<br />
aussi le droit à une communauté politique <strong>de</strong><br />
par Bertrand Lavoie<br />
Homme arrosant son asphalte, exemple <strong>de</strong><br />
confrontation entre la liberté indivi<strong>du</strong>elle et<br />
les conscientisations environnementales.<br />
s'édifier en État souverain. L'exemple <strong>du</strong> Québec<br />
illustre très bien cette situation. L'Écosse et la<br />
Corse ont longtemps exprimé ce désir aussi, ce<br />
que l'on nomme les pays Basques aussi, en<br />
Espagne. Tous ces droits collectifs sont extrêmement<br />
difficiles à défendre dans <strong>de</strong>s sociétés où<br />
les droits indivi<strong>du</strong>els en représentent les fon<strong>de</strong>ments.<br />
Que peut-on répondre actuellement à<br />
quelqu'un qui dit : «Moi, j'écoute la musique que<br />
je veux !», «Moi, je parlerai la langue que je veux,<br />
et mes enfants iront dans une école qui enseignera<br />
la langue que je désir qu'ils apprennent !» <br />
De quelle manière promouvoir le droit à la communauté<br />
linguistique <strong>de</strong> protéger sa langue sans<br />
compromettre le droit à la libre expression <strong>de</strong><br />
chacun Cet équilibre est possible, je crois.<br />
Attention, il ne s'agit pas ici <strong>de</strong> compromis entre<br />
les <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> droits. Il serait bien trop difficile<br />
<strong>de</strong> ré<strong>du</strong>ire les droits indivi<strong>du</strong>els, voire<br />
impossibles. Il s'agit plutôt <strong>de</strong> trouver un équilibre<br />
entre les <strong>de</strong>ux. Je pourrais bien voir <strong>de</strong>s<br />
droits indivi<strong>du</strong>els tels qu'ils sont actuellement,<br />
mais encadrer par <strong>de</strong>s droits collectifs. À mon<br />
avis, dès que quelqu'un ou quelque chose<br />
<strong>de</strong>vient collectif, il ou elle <strong>de</strong>vrait en respecter les<br />
droits. Une chanson qui passe à la radio, un livre<br />
qui est écrit, une compagnie qui pro<strong>du</strong>it <strong>de</strong>s<br />
biens, un bar ou un restaurant, etc.<br />
Actuellement, ce n'est que <strong>de</strong>s politiques qui<br />
sont prises pour assurer <strong>de</strong>s principes politiques,<br />
comme les quotas <strong>de</strong> chansons françaises à la<br />
radio. Ce qui <strong>de</strong>vrait se faire en plus, c'est un<br />
respect <strong>de</strong> droits collectifs assurer par le système<br />
juridique. Mais, avant que nous en soyons là, il y<br />
a, comme je l'ai dit, un énorme travail juridique<br />
et politique à effectuer.<br />
1 Verbatim: compte-ren<strong>du</strong> écrit d’une entrevue<br />
orale.<br />
<strong>Journal</strong> Le Poids-Lu journalsocio@hotmail.com page 4