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L’actualité politique<br />
Fraternité Matin / Jeudi 3 <strong>mars</strong> <strong>2011</strong><br />
3<br />
Contribution<br />
Crise ivoirienne: quelle est la vérité<br />
PAR<br />
SEM AZIZ PAHAD (*)<br />
La persistance de la crise et la menace<br />
d’une guerre civile en Côte d’Ivoire<br />
pourraient constituer une sérieuse<br />
menace pour la paix et la stabilité dans<br />
la région ouest africaine tout entière.<br />
Cette situation aura à n’en point douter,<br />
un impact négatif et des conséquences<br />
sur l’ensemble du continent y compris<br />
l’Afrique du Sud. Il est donc vital pour<br />
l’Afrique du Sud et pour l’Afrique d’agir<br />
par principe et d’une manière décisive<br />
afin d’aider à stabiliser la situation et à<br />
créer les conditions idoines pour une<br />
paix durable, pour la stabilité et la<br />
démocratie.<br />
Malheureusement, les médias Sud<br />
Africains ont failli à leur devoir d’<strong>info</strong>rmer<br />
correctement et objectivement l’opinion<br />
publique Sud Africaine sur les<br />
causes et la complexité de la crise<br />
actuelle. Ils se sont contentés de rendre<br />
textuellement les rapports, dépêches<br />
et analyses des médias et des agences<br />
de presse occidentaux.<br />
La situation a été décrite de manière<br />
simpliste comme une lutte entre<br />
Ouattara, le candidat «démocratiquement<br />
élu» et Gbagbo le «despotique<br />
candidat malheureux» qui refuse de<br />
céder le pouvoir et qui doit y être forcé.<br />
De Grandes puissances ont embouché<br />
la même trompette et le Secrétaire<br />
Général des Nations Unies, la Cedeao,<br />
le Conseil de Paix et de Sécurité de<br />
l’Union Africaine ont subi d’intenses<br />
pressions afin d’accepter ce diktat.<br />
Quelle est la vérité<br />
Selon tous les accords signés par les<br />
parties ivoiriennes après la guerre civile<br />
de 2002, et entérinés par le Conseil<br />
de Sécurité des Nations Unies et de<br />
l’Union Africaine, il a été clairement<br />
affirmé qu’aucune élection ne devait<br />
avoir lieu dans le pays sans le<br />
Désarmement, la Démobilisation et la<br />
Réinsertion (DDR) de toutes les forces<br />
en armes et sans la réunification complète<br />
du pays.<br />
Malgré le fait que le processus du DDR<br />
ait connu très peu de progrès, les Etats<br />
–Unis et la France ont mobilisé d’intenses<br />
pressions gouvernementales et<br />
non-gouvernementales pour forcer le<br />
Président Gbagbo à organiser les élections<br />
ceci en violation des prescriptions<br />
contenues dans les accords signés.<br />
Des observateurs indépendants, au fait<br />
du dossier ivoirien, ont tiré la sonnette<br />
d’alarme en affirmant qu’une manigance<br />
pour «un changement de régime»<br />
était en cours en Côte D’Ivoire.<br />
Les élections présidentielles ont eu lieu<br />
le 31 octobre 2010. Aucun des candidats<br />
n’ayant obtenu la majorité absolue<br />
des suffrages, un second tour, selon les<br />
lois ivoiriennes, devait opposer le<br />
Président Gbagbo au candidat<br />
Ouattara. Ce second tour s’est tenu le<br />
28 novembre 2010.<br />
Selon les Lois de la République de<br />
Côte d’Ivoire, la Commission Electorale<br />
Indépendante (CEI) a un délai de 72h<br />
pour déclarer les résultats provisoires.<br />
Le Conseil Constitutionnel après avoir<br />
examiné les procès-verbaux, tous les<br />
documents électoraux y compris les<br />
requêtes des candidats, proclame des<br />
résultats définitifs.<br />
La CEI n’a pas été en mesure de proclamer<br />
les résultats provisoires dans<br />
les délais prescrits par la Constitution.<br />
Cette forclusion lui indiquait de transmettre<br />
le dossier au Conseil<br />
Constitutionnel qui devait continuer et<br />
achever le processus.<br />
Au lieu de transmettre les documents<br />
électoraux au Conseil Constitutionnel<br />
comme le recommande la loi fondamentale<br />
du pays pour lui permettre d’achever<br />
le processus, le Président de le<br />
CEI, est allé seul au QG de Ouattara<br />
pour y annoncer que ce dernier a<br />
gagné les élections.<br />
Les autres membres de la CEI qui<br />
attendaient au siège de l’institution pour<br />
terminer la réunion qui avait été ajournée<br />
la veille ont tous été surpris d’apprendre<br />
que le Président de la CEI<br />
venait d’annoncer des résultats à une<br />
chaîne de télévision française.<br />
Le Conseil Constitutionnel après avoir<br />
examiné tous les documents électoraux,<br />
les requêtes et les rapports des<br />
observateurs internationaux et nationaux,<br />
a déclaré le Président Gbagbo<br />
vainqueur du second tour de l’élection<br />
présidentielle.<br />
Il est important d’indiquer que le<br />
Conseil Constitutionnel est la plus<br />
haute juridiction du pays ayant le pouvoir<br />
de proclamer les résultats définitifs<br />
des élections présidentielles. C’est<br />
cette procédure qui a été observée au<br />
premier tour et acceptée par toutes les<br />
parties.<br />
C’est alors qu’une campagne nauséabonde<br />
de dénigrement et de calomnie<br />
est orchestrée localement et sur le plan<br />
international contre le Président du<br />
Conseil Constitutionnel le Professeur<br />
Paul Yao Ndré, une autorité très<br />
respectée dans la région et en Afrique.<br />
L’on a refusé d’admettre que le<br />
Président du Conseil Constitutionnel<br />
en déclarant que les résultats proclamés<br />
par le Président de la CEI, tout<br />
seul, au QG du candidat Ouattara<br />
après sa forclusion étaient nuls et non<br />
avenus, a agi en accord avec les prérogatives<br />
constitutionnelles de l’institution<br />
qu’il dirige.<br />
Malgré de sérieuses contradictions<br />
dans les résultats annoncés par le<br />
Président de la CEI et sans tenir compte<br />
des graves violations de la<br />
Constitution et des lois Ivoiriennes ainsi<br />
que des procédures des Nations<br />
Unies, les Grandes puissances, telles<br />
que la France, les Etats Unis, le<br />
Représentant Spécial du SG des<br />
Nations Unies M. Choi, dans une précipitation<br />
sans précédent ont soutenu<br />
que Ouattara avait gagné les élections.En<br />
effet, le Représentant Spécial<br />
des Nations Unies qui n’a aucun mandat<br />
de cette institution ou de l’Union<br />
Africaine, a agi en violation flagrante de<br />
tous les accords signés par toutes parties<br />
Ivoiriennes. Ces accords entérinés<br />
par l’Union Africaine et les Nations<br />
Unies indiquent clairement que le rôle<br />
du Représentant Spécial des Nations<br />
Unies est de s’assurer que les élections<br />
ont été «libres, démocratiques et<br />
transparents» et non de proclamer<br />
des résultats.<br />
Son acte est sans<br />
précédent dans l’histoire<br />
des Nations Unies.<br />
La CEDEAO a ensuite soutenu cette<br />
position suivie du Conseil de Paix et de<br />
Sécurité de l’Union Africaine. Certains<br />
Hommes politiques Africains ont, d’une<br />
façon peu caractéristique, lancé<br />
comme des militants, des appels irréalistes<br />
pour l’usage de la force en vue de<br />
faire partir le Président Gbagbo du<br />
pouvoir.<br />
Par la suite, il est apparu clairement<br />
que ceux-ci n’avaient pas bien mesuré<br />
les implications des résultats conflictuels<br />
annoncés. La CEI et le<br />
Représentant Spécial des Nations<br />
Unies ont déclaré Ouattara vainqueur<br />
en violation de la Constitution du pays.<br />
Le Conseil Constitutionnel qui était<br />
dans son bon droit a déclaré le<br />
Président Gbagbo vainqueur.<br />
Il est important de noter que les<br />
Grandes puissances telles que la<br />
France, les Etats-Unis, et L’union<br />
Européenne, le Conseil de Paix et de<br />
Sécurité de l’Union Africaine et la<br />
CEDEAO ainsi que les médias internationaux,<br />
y compris ceux de l’Afrique du<br />
Sud ont ignoré les rapports des observateurs<br />
crédibles du continent africain.<br />
Le Rapport des 200 observateurs de la<br />
mission de l’Union Africaine, conduite<br />
par l’ancien Premier ministre togolais,<br />
Joseph K. Koffigoh, relève ce qui suit:<br />
«La mission a relevé avec regret, des<br />
actes de violence graves notamment<br />
des pertes en vies humaines, des<br />
atteintes à l’intégrité physique, des intimidations,<br />
des séquestrations, des tentatives<br />
d’enlèvement et de dégradation<br />
du matériel électoral. Autant d’éléments<br />
qui devraient faire l’objet d’une appréciation<br />
minutieuse de la part des organes<br />
compétents afin de déterminer leur<br />
impact sur le scrutin…».<br />
La mission de l’UA a enregistré «de<br />
sérieuses irrégularités» dans plus de<br />
70 bureaux de vote dans le nord du<br />
pays. Le rapport note que «ces évènements<br />
extrêmement graves démontrent<br />
que le scrutin à Bouaké, Korhogo,<br />
Ferkéssédougou, Samatiguila, et<br />
Mankono et dans d’autres lieux de<br />
cette région du pays n’a pas été<br />
transparent…» et que par conséquent<br />
que le scrutin ne pouvait pas garantir<br />
l’honnêteté des résultats».<br />
Une mission indépendante d’observateurs<br />
ouest africains dénommée<br />
Observatoire de la Société Civile<br />
Africaine pour la Démocratie et<br />
l’Assistance Electorale (OSCADAE) a,<br />
au cours d’un point de presse a soutenu<br />
avoir visité 620 bureaux de vote où<br />
la mission a enregistré des actes de<br />
violence et de violations sérieuses et<br />
flagrantes du Code Electoral. La mission<br />
a confirmé que «la crédibilité du<br />
scrutin a été fortement mise en cause<br />
en certains endroits visités.»<br />
Dans un autre rapport, M.<br />
Ngongjibangte du Cameroun, Chef de<br />
la mission des observateurs venus du<br />
Cameroun, du Sénégal, du Benin, du<br />
Mali, du Maroc, du Gabon et du Togo<br />
dit ce qui suit:<br />
«Suite aux échanges de points de vue<br />
convergents avec d’autres groupes<br />
d’observateurs nationaux et internationaux,<br />
les Observateurs de la<br />
Coordination des Experts Electoraux<br />
Africains constatent également que le<br />
scrutin présidentiel du 28 novembre<br />
2010 en République de Côte d’Ivoire a<br />
été entaché, dans les circonscriptions<br />
électorales (Korhogo, Bouaké,<br />
Séguéla, Tortiya, Garango) d’irrégularités<br />
majeures telles: vol des urnes,<br />
séquestration des représentants et<br />
délégués du candidat Gbagbo, vote<br />
multiple, refus systématique de la présence<br />
des observateurs internationaux<br />
dans certains bureaux de vote à l’heure<br />
du dépouillement des bulletins et<br />
pertes en vies humaines.<br />
Par conséquent, les observateurs internationaux<br />
de la Coordination des<br />
Experts Electoraux Africains considèrent<br />
que l’élection présidentielle dans<br />
ces circonscriptions électorales ne<br />
répond pas aux critères, et aux normes<br />
d’une élection libre, transparente et<br />
équitable.»<br />
Au fur et à mesure que les faits et la<br />
vérité apparaissaient, beaucoup de<br />
gouvernements africains commencèrent<br />
à se poser des questions sur le<br />
processus électoral au second tour des<br />
élections.<br />
Cependant, les Gouvernements français<br />
et américains ainsi que le<br />
Secrétaire Général des Nations Unies<br />
ont intensifié leur campagne de mise à<br />
l’écart du Président Gbagbo.<br />
Le 20 décembre 2010, le Porte Parole<br />
de la Maison Blanche, soutient au<br />
cours d’une conférence de presse<br />
«qu’il était temps pour Gbagbo de quitter<br />
le pouvoir.»<br />
Le 21 décembre 2010 le Département<br />
d’Etat des Etats Unis annonce avoir<br />
imposé des sanctions restrictives de<br />
voyage contre le Président Gbagbo et<br />
30 alliés.<br />
Le 22 décembre 2010, le Département<br />
d’Etat des Etats Unis annonce que la<br />
victoire de Ouattara est irréfutable and<br />
réitère l’injonction faite par les USA au<br />
Président Gbagbo de quitter le pouvoir.<br />
Face à l’impasse, le Président Gbagbo<br />
propose la mise en place d’un panel<br />
composé de représentants de l’Union<br />
Africaine, de la CEDEAO, de l’Union<br />
Européenne, de la Ligue Arabe et des<br />
pays membres du Conseil de Sécurité<br />
des Nations Unies. Ce panel se chargera<br />
de faire une évaluation complète<br />
du processus électoral et des résultats<br />
qui en découlent. Le panel rendra<br />
publics les résultats de ses investigations.<br />
Ses conclusions devront être<br />
imposables aux deux candidats.<br />
Ouattara a rejeté cette proposition.<br />
La situation s’est alors détériorée et la<br />
violence s’est accentuée. Chaque<br />
camp restant campé sur sa position. Il<br />
apparait clairement que sans une solution<br />
complète à cette crise, le pays<br />
pourrait à nouveau connaître la guerre<br />
civile.<br />
C’est ainsi que le Président de la<br />
Commission de l’Union Africaine a<br />
demandé à l’ancien Président Mbeki,<br />
d’interrompre sa mission au Soudan et<br />
de se rendre en Côte d’Ivoire pour faire<br />
une évaluation de la situation et proposer<br />
une solution à la crise post-électorale.<br />
M. Mbeki y est allé, a rencontré<br />
tous les acteurs de la crise et soumis<br />
un rapport détaillé à l’Union Africaine.<br />
Au lieu d’examiner le rapport du<br />
Président Mbeki ou ceux de l’Union<br />
Africaine et des autres missions d’observateurs<br />
pour envisager la voie de<br />
sortie de la crise postélectorale, nous<br />
assistons plutôt à d’intenses pressions<br />
sur les Gouvernements africains en<br />
vue de les amener à «durcir» leur position<br />
contre le Président Gbagbo.<br />
Des émissaires sont envoyés dans plusieurs<br />
capitales africaines pour demander<br />
aux Gouvernements de ces pays<br />
d’adopter la «bonne» position. C’est-àdire:<br />
«Gbagbo doit partir».<br />
Malheureusement, encore une fois certains<br />
médias sud-africains ont accepté<br />
de participer à cette campagne.<br />
Le Gouvernement sud-africain, pour sa<br />
part, a constamment pris la meilleure<br />
position en insistant que l’Union<br />
Africaine, au regard des résultats<br />
conflictuels, se devait de ne pas prendre<br />
de décision sans examiner toutes les<br />
pièces du dossier.<br />
Le Gouvernement sud-africain a résisté<br />
à toutes sortes de pressions parce<br />
qu’il est engagé à une résolution durable<br />
de la crise en Côte d’Ivoire et reste<br />
opposé à un projet de changement de<br />
régime dans le pays.<br />
Les pressions se sont surtout accrues<br />
avant le sommet de l’Union Africaine<br />
qui s’est tenu du 29 au 31 janvier <strong>2011</strong><br />
à Addis Abeba.<br />
Malgré les pressions des grandes puissances,<br />
du Secrétaire Général des<br />
Nations Unies, le sommet de l’Union<br />
Africaine a refusé de cautionner le projet<br />
de changement de régime que souhaitait<br />
l’extérieur.<br />
Le sommet a mis en place un panel de<br />
Chefs d’Etat (les Présidents Zuma<br />
d’Afrique du Sud, Blaise Compaoré du<br />
Burkina Faso, Kikwete de Tanzanie,<br />
Abdel de Mauritanie et Debby du<br />
Tchad) dont la mission est de trouver<br />
une solution politique à la crise. Leur<br />
mandat exige qu’ils rendent les conclusions<br />
de leur travail dans un délai d’un<br />
mois. Ces conclusions seront contraignantes<br />
pour toutes les parties.<br />
L’indépendance et la souveraineté de<br />
tous les Etats africains se jouent ici<br />
dans la gestion de la crise post-électorale<br />
en Côte d’Ivoire. C’est pourquoi,<br />
dans l’intérêt de l’Afrique et de nos<br />
efforts à consolider le processus électoral<br />
sur le continent, il est vital que<br />
nous ne succombions pas à des projets<br />
antidémocratiques venant de l’extérieur<br />
de notre continent.<br />
(*) ancien vice-ministre des Affaires étrangères<br />
de l’Afrique du Sud (1994-2008)