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L’actualité politique<br />
4<br />
Fraternité Matin / Jeudi 3 <strong>mars</strong> <strong>2011</strong><br />
Laurent Gbagbo dans le tourbillon du Golfe de Guinée, un documentaire de O. Cetaril, révèle:<br />
Les enjeux géostratégiques des crises en Afrique (suite et fin)<br />
Le jeudi 2 décembre, le secrétaire<br />
général de l’Onu, Ban Kimoon,<br />
sur instruction ferme de<br />
Sarkozy, appelle en téléconférence<br />
son représentant à<br />
Abidjan, le Coréen Choi et le<br />
président forclos de la Cei,<br />
Youssouf Bakayoko, à donner<br />
et certifier, surtout avant le<br />
Conseil constitutionnel, des<br />
résultats quelconques de la présidentielle<br />
ivoirienne. Pourvu<br />
que le vainqueur soit Alassane<br />
Ouattara comme l’exigent Paris<br />
et Washington. Susan Rice,<br />
alors présidente du Conseil de<br />
sécurité de l’Onu (Décembre<br />
2010), membre du cabinet<br />
d’Obama, a été chargée de<br />
convaincre le Président américain<br />
dans ce sens, comme le lui<br />
a demandé aussi son amie personnelle,<br />
Mme Tounkara, exépouse<br />
d’Adama Tounkara,<br />
membre influent du Rdr, le parti<br />
d’Alassane Ouattara. La pression<br />
monte d’un cran entre<br />
Youssouf Bakayoko et Choi qui,<br />
redoutant un soulèvement<br />
populaire des partisans de<br />
Laurent Gbagbo, oppose un<br />
refus catégorique à cette entreprise<br />
périlleuse. Forclos, et alors<br />
qu’il avait déjà transmis le dossier<br />
électoral au Conseil constitutionnel<br />
tel que l’exige la loi<br />
électorale, Youssouf Bakayoko,<br />
accompagné par les ambassadeurs<br />
de France et des Etats-<br />
Unis, et assuré d’un asile à<br />
Paris se retrouva contre son gré<br />
à l’hôtel du Golf, quartier général<br />
de campagne de l’adversaire<br />
de Laurent Gbagbo. 24 heures<br />
plus tard, pour donner de façon<br />
lapidaire des résultats qu’il était<br />
forcé de reconnaître comme<br />
ceux du second tour de la présidentielle<br />
du 28 novembre 2010.<br />
Ces résultats repris en boucle<br />
par les médias français, conformément<br />
au plan de Paris,<br />
seront rejetés par le Conseil<br />
constitutionnel ivoirien à qui<br />
revient la charge légale de proclamer<br />
les résultats définitifs de<br />
l’élection présidentielle.<br />
“Tatiana, vous êtes notre correspondante<br />
permanente en<br />
Côte d’Ivoire, on vous retrouve<br />
en direct depuis Abidjan.<br />
Racontez-nous le film de cette<br />
journée où l’on attendait les<br />
résultats pour mardi puis mercredi<br />
et finalement, c’est jeudi<br />
après-midi, tout à l’heure, que<br />
cette annonce a été faite, mais<br />
après une série de rebondissements”.<br />
(France 24)<br />
Des résultats<br />
donnés au Qg de<br />
Ouattara par la Cei<br />
«Effectivement, c’est à un scénario<br />
incroyable auquel nous<br />
avons assisté cet après-midi.<br />
Nous nous sommes rendue<br />
dans le quartier de la Riviera<br />
pour assister à une conférence<br />
de presse du Rhdp d’Alassane<br />
Youssouf Bakayoko, président de la Cei.<br />
Ouattara. Dans un premier<br />
temps, cette conférence a été<br />
repoussée et alors que nous<br />
étions quelques journalistes,<br />
nous avons été invités dans la<br />
salle de presse. Youssouf<br />
Bakayoko, le président de la<br />
Cei, est arrivé sans préambule,<br />
escorté par deux militaires.<br />
Dans une brève élocution, il a<br />
détaillé les résultats de l’élection<br />
présidentielle en donnant<br />
Alassane Ouattara, candidat du<br />
Rhdp, gagnant du scrutin avec<br />
54, 10 % des suffrages contre<br />
45,9% pour Laurent Gbagbo.<br />
Cette annonce aurait dû logiquement<br />
se faire au siège de la<br />
Cei, c’est mais sans plus d’explications<br />
que les résultats nous<br />
ont été communiqués. Ce sont<br />
bien entendus des résultats provisoires<br />
que le Conseil constitutionnel<br />
devra valider dans les<br />
prochains jours».<br />
Vous parlez du Conseil constitutionnel,<br />
écoutons maintenant<br />
son président qui s’exprimait<br />
justement à propos de ces<br />
résultats.<br />
Pr Yao N’Dré, président<br />
du Conseil constitutionnel<br />
«C’est le Conseil constitutionnel<br />
qui est chargé de donner les<br />
résultats définitifs. Il va faire son<br />
travail et la lumière sera faite sur<br />
l’élection. On ne peut pas éternellement<br />
rester dans les blocages.<br />
La Cei a été incapable de<br />
donner les résultats provisoires.<br />
C’est pourquoi, nous en appelons<br />
à la sérénité de tous pour<br />
que le Conseil fasse son travail<br />
dans le calme et la tranquilité».<br />
Alors la sérénité, toute la communauté<br />
internationale évoque<br />
cela d’ailleurs, le Conseil de<br />
sécurité de l’Onu en a parlé, la<br />
Cour pénale internationale s’en<br />
est mêlée également. Mais<br />
concrètement, quand on entend<br />
le président du Conseil constitutionnel<br />
dire que ces résultats<br />
sont encore en pointillé d’une<br />
certaine manière, qu’est-ce que<br />
cela veut dire Tatiana<br />
«Justement, après l’expiration<br />
hier du délai fixé à la Cei pour<br />
proclamer les résultats provisoires,<br />
le dossier était désormais<br />
naturellement entre les mains<br />
du Conseil constitutionnel. Ce<br />
qui est explicite dans le code<br />
électoral. Mais il faut préciser<br />
qu’avant cette annonce des<br />
résultats par le président de la<br />
Cei, le Conseil constitutionnel<br />
avait déclaré avoir été déjà suivi<br />
par la Cei».<br />
Le “crime” de Gbagbo<br />
Devant la taille de l’enjeu, qui se<br />
résume au départ de Gbagbo<br />
du pouvoir, car résolu, estime<br />
Nicolas Sarkozy, à se tourner<br />
vers des partenaires inhabituels,<br />
en l’occurrence la Russie<br />
et la Chine, les pouvoirs de<br />
Paris et des Etats-Unis vont prêcher<br />
chacun pour sa chapelle et<br />
jouer la carte de la fiction politique<br />
du lynchage médiatique.<br />
Comme l’exemple de ce jeune<br />
homme qu’auraient tué des<br />
patriotes selon des chaînes de<br />
télévision européennes. Et qui,<br />
contre toute attente, se relèvera<br />
quelques instants après une fois<br />
le scénario terminé, ignorant<br />
qu’il était filmé cette fois avec<br />
une autre caméra cachée, plus<br />
impartiale. Le président sortant<br />
est dépeint par la presse française<br />
comme un dictateur hors<br />
pair. Un mauvais perdant. Seul<br />
contre tous, Laurent Gbagbo<br />
appelle la communauté internationale<br />
à une enquête post-électorale<br />
avec en filigrane le<br />
recomptage des voix. Là aussi,<br />
l’Onu est seule à dénoncer, a<br />
priori, une injustice si les propositions<br />
de Gbagbo venaient à<br />
être prises en compte par<br />
l’Union africaine. Alors que des<br />
bulletins de vote au nord présentaient<br />
par endroits plus de<br />
votants que d’inscrits ou simplement<br />
zéro voix pour le président<br />
sortant dans plusieurs centaines<br />
de bureaux de vote où pourtant<br />
il était censé avoir des représentants.<br />
Ce sont au total des<br />
bourrages d’urnes que l’on subodore<br />
et de l’embrouille née de<br />
l’octroi sans raison apparente<br />
d’environ 600.000 voix à<br />
Alassane Ouattara qu’il faudra<br />
décrypter. L’appel de Laurent<br />
Gbagbo est entendu par les<br />
Présidents angolais, José<br />
Eduardo Dos Santos, sud-africain<br />
Jacob Zuma et l’Ougandais<br />
Yoweri Museveni. L’Afrique s’en<br />
trouvera très fortement divisée<br />
et l’Union africaine humiliée.<br />
Analyse de Pierre Pean,<br />
écrivain français<br />
«J’ai été choqué par la prise de<br />
position urbi et orbi de la France<br />
dans cette affaire. La seule position<br />
est celle du retrait pour laisser<br />
les choses se faire.<br />
S’attaquer compte tenu du<br />
passé et des dix dernières<br />
années, de ce qu’on savait, des<br />
raisons de la crise ivoirienne.<br />
C’est-à-dire, du rôle de Soro,<br />
des puissances étrangères. La<br />
seule politique que j’aurais<br />
admise, aurait été au minimum,<br />
le silence. Et laisser les pays<br />
africains régler leurs propres<br />
affaires. La situation que je n’ai<br />
pas suivie au jour le jour à l’époque<br />
est plus compliquée que<br />
celle que l’on peut entendre via<br />
les reporters ici et là. C’est une<br />
affaire qui concerne les Ivoiriens<br />
d’abord et les Africains ensuite.<br />
Ce n’est pas à la France d’intervenir.<br />
Critiquer violemment un<br />
recomptage des voix me semble<br />
maladroit, quand on veut<br />
vraiment mettre au pinacle<br />
comme valeur fondamentale la<br />
démocratie. Cela me semble un<br />
peu contradictoire de ne pas au<br />
moins accepter cette affaire de<br />
recomptage des voix. Cela ne<br />
me choquait pas du tout. S’il y a<br />
eu fraude, s’il y a un problème,<br />
autant recompter les voix. Si<br />
c’était la demande d’un camp, il<br />
fallait l’accepter».<br />
Enjeu, le Golfe<br />
de Guinée<br />
Blaise Compaoré, le Président<br />
burkinabé et ses homologues<br />
Abdoulaye Wade du Sénégal et<br />
Jonathan Goodluck du Nigeria<br />
se voient arracher le dossier<br />
ivoirien. Mais Paris n’a pas<br />
encore dit son dernier mot. Des<br />
sanctions économiques contre<br />
la Côte d’Ivoire se multiplient<br />
pour pousser les populations à<br />
la rue contre Gbagbo. Sait-il<br />
seulement, le Président ivoirien,<br />
qu’il est pris au piège de la<br />
bataille américano-française<br />
pour le contrôle du Golfe de<br />
Guinée<br />
La Côte d’Ivoire demeure un<br />
pays essentiel avec son port, le<br />
deuxième d’Afrique après celui<br />
de Durban, en Afrique du Sud.<br />
Sa position médiane sur la côte<br />
atlantique et ses infrastructures<br />
économiques inégalées en<br />
Afrique de l’ouest. Toute chose<br />
qui devrait permettre des exportations<br />
rapides vers l’Europe et<br />
l’Amérique au départ du Golfe<br />
de Guinée. Si les Congolais<br />
craignent que le scénario ivoirien<br />
ne se produise chez eux en<br />
<strong>2011</strong>, c’est aussi parce que<br />
Joseph Kabila, en plus de la<br />
reconstruction des infrastructures,<br />
a aussi ouvert le jeu. Passé<br />
d’importants accords avec les<br />
Chinois et diversifié les partenaires.<br />
Le Fmi lui refusera même<br />
un prêt, lui reprochant ses transactions<br />
avec la Chine. Les termes<br />
des attaques reposant sur<br />
des faits réels, sur un incontestable<br />
durcissement de régime<br />
se dessinent déjà. La corruption<br />
de l’entourage présidentiel, les<br />
violations des droits de l’homme.<br />
Quant à Laurent Gbagbo,<br />
s’il n’a pas réellement touché<br />
aux intérêts français, Total vient<br />
de se voir accorder un important<br />
champ pétrolier. Bouygues et<br />
Bolloré n’ont rien perdu. Il a lui<br />
aussi fait jouer des appels d’offre,<br />
invité de nouveaux acteurs<br />
économiques qui, à Paris, pourraient<br />
se rapprocher du Golfe de<br />
Guinée. Il est également reproché<br />
à Gbagbo d’avoir laissé<br />
s’implanter les Libanais.<br />
La France a ainsi vu disparaître<br />
son hégémonie d’autrefois de la<br />
même manière qu’au Congo,<br />
les Européens doivent désormais<br />
côtoyer de nouveaux partenaires.<br />
Derrière le maintien ou<br />
non de Gbagbo au pouvoir se<br />
joue le contrôle du Golfe de<br />
Guinée. Cet eldorado pétrolier<br />
que Français ou Américains en<br />
perte de vitesse dans le monde<br />
arabe et unis pour cette fois ne<br />
souhaitent pas voir passer en<br />
d’autres mains. A leurs yeux,<br />
Alassane Ouattara, ami personnel<br />
de Sarkozy, ancien directeur<br />
du Fmi, gestionnaire libéral,<br />
représente un interlocuteur<br />
beaucoup plus crédible que<br />
Gbagbo, le nationaliste.<br />
Commentaire d’Antoine Glazer,<br />
journaliste-écrivain français<br />
«La France a vraiment perdu de<br />
son influence. Si elle ne l’avait<br />
pas perdue, on ne serait pas<br />
arrivé à cette situation de<br />
novembre 2004 en Côte<br />
d’Ivoire. Avoir des parachutistes<br />
français qui étaient venus pour<br />
«pacifier» une crise ivoirienne et<br />
qui ont fini par tirer sur des<br />
Iivoiriens. On voit bien comment<br />
la France n’avait pas les capacités<br />
d’analyser réellement les<br />
situations et de faire ce qu’elle<br />
voulait. Elle a perdu quelque<br />
part sa science africaine. En<br />
considérant qu’à une période,<br />
elle contrôlait vraiment tout. Il ne<br />
faut pas le nier. Il y a eu une<br />
période où la France contrôlait<br />
ses anciennes colonies. Ce qui<br />
n’est plus le cas depuis la fin de<br />
la guerre froide. Souvent les<br />
Africains ne se rendent pas<br />
compte à quel point la France a<br />
perdu ses influences».<br />
La Rd. Congo<br />
et les Grands lacs<br />
A l’instar de bon nombre<br />
d’Africains, l’opinion congolaise,<br />
observe l’exceptionnelle unanimité<br />
de la communauté internationale<br />
à propos de la Côte<br />
d’Ivoire. Et se demande quel est<br />
le véritable enjeu de l’épreuve<br />
de force en cours. Pour tout<br />
gouvernement de Kinshasa,<br />
issu de la majorité présidentielle,<br />
il n’entend pas se laisser piéger<br />
dans un scrutin à deux tours<br />
qui permettrait à tous les candidats<br />
de l’opposition de se rallier<br />
à une candidature commune<br />
dirigée contre le Président sortant.<br />
Il envisage de passer à un<br />
simple scrutin majoritaire. Le<br />
Congo garde encore présent à<br />
l’esprit cette terrible phrase prononcée<br />
par Nicolas Sarkozy, en<br />
2010, dans la région des grands<br />
Lacs.<br />
Quant à la région des Lacs, la<br />
violence s’est une nouvelle fois<br />
déchaînée. L’option militaire<br />
n’apportera aucune solution au<br />
problème de fond qui se pose<br />
de façon récurrente depuis bien<br />
davantage que 10 ans. Il faut<br />
trouver une nouvelle approche<br />
pour apporter aux pays de la<br />
région, l’assurance que l’on<br />
semble de ces questions, sera<br />
réglée de façon globale. Cela<br />
met en cause la place, la question<br />
de l’avenir du Rwanda.<br />
Pays à la démographie dynamique<br />
avec lequel la France a<br />
repris son dialogue. Cela pose<br />
aussi la question de la<br />
République démocratique du<br />
Congo. Pays à la superficie<br />
immense, à l’organisation étrangère<br />
des richesses frontalières.<br />
Il faudra bien qu’à un moment<br />
ou à un autre, il y ait un dialogue<br />
qui ne soit pas conjoncturel,<br />
mais structurel. Comment<br />
Dans cette région du monde où<br />
l’on partage l’espace, les richesses,<br />
on accepte de comprendre<br />
que la géographie a ses lois.<br />
Que les pays changent rarement<br />
d’adresse et qu’il faudra<br />
apprendre à vivre les uns à côté<br />
des autres.<br />
RETRANSCRIT PAR:<br />
PASCAL SORO<br />
MARIE ADÈLE DJIDJÉ<br />
EMMANUEL KOUASSI<br />
CHRISTIAN DALLET<br />
MARIE CHANTAL OBINDÉ<br />
ISSA T. YEO<br />
GRÂCE OUATTARA<br />
COORDINATION:<br />
PAULIN N. ZOBO