Raphaël Lugassy 18
Yann TIERSEN SA ROUTE DU ROCK A 40 ANS, IL VEUT JOUIR DE LA VIE. NI ROCK, NI POST-ROCK, TIERSEN ALTERNE TRAVAIL EN SOLITAIRE ET EXPÉRIENCES DE GROUPE. SON DERNIER EFFORT EST CERTAINEMENT CELUI QUI LUI RESSEMBLE LE PLUS : ROCK ET SANS CONCESSION. MONTEZ LE SON DANS LES ÉCOUTEURS. Les <strong>le</strong>ttres du mot “Pa<strong>le</strong>stine” sont égrenées une à une par une voix d’outre-tombe. Un riff de guitare s’insinue pour se placer très en avant. Dans <strong>le</strong> même temps, une batterie frappadingue débou<strong>le</strong>. Du fuzz de partout. Pas d’erreur, vous écoutez Dust lane de Yann Tiersen. Picasso a-t-il changé quand il est passé du cubisme à la période b<strong>le</strong>ue ? Avec ce septième album (hors live et BOF), <strong>le</strong> Breton assume un virage rock mais demeure <strong>le</strong> mélodiste enchanteur qu’il n’a jamais cessé d’être : “Le fond reste toujours <strong>le</strong> même, c’est la forme qui évolue, explique-t-il très en verve. Mais je ne suis pas dans des “périodes” car cela voudrait dire qu’il y a des ruptures. Je vis une évolution tranquil<strong>le</strong>.” Paradoxal quand on sait que Tiersen galope en lâchant des guitares à écouter très fort qui fraient avec des nappes de synthés vintage et des percussions déchainées. A première vue, on est très loin de Rue des Cascades ou même du Phare, qui l’ont révélé. Il est sorti du schéma “chanson” dans <strong>le</strong>quel il s’était un peu enfermé depuis quelques albums et surtout depuis Les retrouvail<strong>le</strong>s (2005) dans <strong>le</strong>quel <strong>le</strong> musicien faisait chanter Jane Birkin ou Elisabeth Frazer des Cocteau Twins. En ce sens, Dust lane sonne presque comme un retour aux sources, non ? “A mes débuts, je faisais tout tout seul par nécessité. Puis j’ai collaboré avec d’autres, parfois trop. Je n’allais plus là où je voulais al<strong>le</strong>r…” Alors, sans renier ses aventures passées, Tiersen se remet à composer seul, en jouant de tous <strong>le</strong>s instruments. Exactement comme au départ, mais avec une idée bien précise : “Avant, dans mes albums, il y avait du contraste, mais c’était entre <strong>le</strong>s morceaux qui étaient assez courts.” Pour Dust lane, <strong>le</strong>s morceaux sont étirés et peuvent passer de l’ombre à la lumière. Il explore avidement toutes <strong>le</strong>s di- “J’en avais assez de par<strong>le</strong>r de musique avec des gens qui ne me parlaient que de “projets” !” 19 rections en même temps. “C’est parce que je n’ai pas composé ce disque en une seu<strong>le</strong> fois. J’ai fait de nombreuses pauses, ça m’a permis de prendre du recul.” Tout ce qui était acoustique a été enregistré à Ouessant, comme pour la majorité de ses disques et notamment Le phare ou Les retrouvail<strong>le</strong>s. Mais il a ensuite laissé décanter sa musique et de nouvel<strong>le</strong>s saveurs sont apparues. “J’ai aussi passé beaucoup de temps à déconstruire… pendant un moment, l’album ne ressemblait à rien. Cela effrayait <strong>le</strong>s gens qui passaient écouter l’avancement du projet ! J’aime bien ne pas savoir où la musique me mène.” Quand il ne compose pas une bande origina<strong>le</strong> de film (Tabarly en 2008) ou n’écrit pas pour <strong>le</strong>s copains (Finistériens pour Miossec), Tiersen travail<strong>le</strong> sur son projet, à tête reposée. Il ajoute des guitares é<strong>le</strong>ctriques, <strong>le</strong>s effets (utilisés comme des instruments), <strong>le</strong>s synthés vintage, <strong>le</strong>s chœurs… “Et puis j’ai tout remis en chantier au mix !” Boi<strong>le</strong>au l’expliquait déjà en 1674 dans L’art poétique : “Hâtez-vous <strong>le</strong>ntement et sans perdre courage, vingt fois sur <strong>le</strong> métier remettez votre ouvrage.” C’est Ken Thomas, déjà en charge du gros son de Dave Gahan, M83 ou Sigur Ròs, qui s’est attelé au mixage dans ses studios anglais de Leeds. Manifestement, Yann est content du résultat : “C’est <strong>le</strong> premier album que je peux écouter comme si j’étais un simp<strong>le</strong> auditeur car je ne sais plus comment je l’ai fait. Il y a tel<strong>le</strong>ment de couches et de choses différentes en textures et en sonorités. J’aime ce sentiment…” Alors ce disque aujourd’hui c’est quoi ? Un mur de sons, de mélodies et de décibels, qui pourrait ressemb<strong>le</strong>r à du post-rock. Sauf que c’est nettement mieux. Le mélodiste orfèvre