L.ART en Loire 8
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à cette problématique. Etre toute ouïe au message, pour<br />
l’écouter sans a priori, voilà quel était mon désir profond.<br />
J’ai donc fait un choix qui pourrait paraitre étrange, bizarre.<br />
Plutôt que de suivre précisém<strong>en</strong>t et systématiquem<strong>en</strong>t<br />
son travail, j’ai décidé que dans un premier temps<br />
(sur plusieurs mois), j’allais n’<strong>en</strong> écouter, n’<strong>en</strong> suivre que<br />
l’« écume ». Pour pr<strong>en</strong>dre la métaphore du bateau, non pas<br />
suivre le bateau lui-même, mais la trace d’écume qu’il laisse<br />
dans son sillage, afin de ne me conc<strong>en</strong>trer que sur le chemin<br />
suivi et non être distraite par le brouhaha al<strong>en</strong>tour. J’ai donc<br />
décidé de ne suivre, de n’écouter que les empreintes, les<br />
traces des performances qu’il allait réaliser, pour ne surtout<br />
pas me laisser <strong>en</strong>vahir par le point de vue des médias, ce qui<br />
était ma crainte principale. Ne surtout pas laisser pervertir<br />
mon regard, par celui des journaux. Ce suivi de loin de son<br />
travail est ce qui m’a permis de forger ma propre opinion<br />
sur celui-ci, de pouvoir bénéficier de tous les questionnem<strong>en</strong>ts<br />
que celui-ci provoquait, et qu’<strong>en</strong> tant qu’artiste, je<br />
souhaitais pouvoir pleinem<strong>en</strong>t apprécier. Apprécier ce travail<br />
à sa juste valeur, voilà quel était mon objectif.<br />
Mais cela n’a pas été sans inconvéni<strong>en</strong>ts, puisque de<br />
facto, je suis passée à côté de quelques performances, par<br />
exemple. Ainsi, si j’ai pu apprécier certaines performances<br />
a posteriori, out of office reste pour moi un grand mystère,<br />
le décalage dans le temps <strong>en</strong>tre la performance et le mom<strong>en</strong>t<br />
où je l’ai découverte, ayant manifestem<strong>en</strong>t été fatal à<br />
ma compréh<strong>en</strong>sion. En choisissant cette méthodologie de<br />
suivi d’un artiste, je savais malheureusem<strong>en</strong>t courir ce type<br />
de risques. Cep<strong>en</strong>dant, face à la problématique « média »,<br />
ils n’ont pas pesé bi<strong>en</strong> lourds dans la balance. Et c’est ainsi<br />
que suivant les traces des activités artistiques de Shia Labeouf<br />
de loin, j’ai pu <strong>en</strong> « extraire la substantifique moelle »,<br />
comme l’aurait si bi<strong>en</strong> dit Rabelais.<br />
Les mois ont passés. J’ai doucem<strong>en</strong>t écouté les murmures<br />
des performances, l’écho de leurs voix à travers<br />
les méandres des médias. Puis, début octobre, quand j’<strong>en</strong><br />
ai s<strong>en</strong>ti le processus assez mûr, alors je me suis décidée<br />
à plonger dans le travail de Shia Labeouf, un peu comme<br />
une archéologue qui <strong>en</strong> lieu et place de creuser la terre à la<br />
recherche de ruines ou d’ossem<strong>en</strong>ts, allait parcourir le net<br />
<strong>en</strong> une archéologie contemporaine.<br />
Je me suis donc docum<strong>en</strong>tée, au travers d’interviews, de<br />
blogs, des films des performances.<br />
Ainsi, je découvris que contrairem<strong>en</strong>t à la prés<strong>en</strong>tation<br />
faite par la presse, les performances étai<strong>en</strong>t une œuvre<br />
collective, réalisée certes bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du par Shia Labeouf,<br />
mais aussi par Nastja Säde Rönkkö, performeuse finlandaise,<br />
et Luke Turner, écrivain et artiste anglais. Je suis donc alors<br />
partie à la découverte de ces artistes, dont j’ai regretté<br />
l’abs<strong>en</strong>ce de m<strong>en</strong>tion ou de traitem<strong>en</strong>t par les médias,<br />
surtout généralistes.<br />
J’ai notamm<strong>en</strong>t apprécié l’œuvre Till the morning comes,<br />
co-création de ces deux artistes, dont j’aime beaucoup le<br />
rapport à la nature, la mer déchainée, le phare lumineux au<br />
loin. Une thématique qui me touche, d’un être seul allant<br />
puis rev<strong>en</strong>ant du phare. Une solitude, seulem<strong>en</strong>t accompagnée<br />
du bruit du sil<strong>en</strong>ce…<br />
Le concept de (If You) Hold On, travail de Nastja Säde<br />
Rönkkö, m’a aussi beaucoup plu, même si pour le coup le<br />
plus intéressant aurait été d’y assister, bi<strong>en</strong> sûr.<br />
J’ai aussi particulièrem<strong>en</strong>t aimé Something Warm Wh<strong>en</strong> I<br />
Think About You pour tout à la fois son mélange poétique<br />
de tristesse et de t<strong>en</strong>dresse, et son fond d’absurdité et de<br />
naïveté. La nature comme soin, comme refuge au malheur<br />
humain, dans une forêt qui semble avoir été dévastée par<br />
des inc<strong>en</strong>dies, une forêt d’arbres brulés… Soins donnés,<br />
soins reçus, qui est le plus malheureux de l’humain ou<br />
de la nature ? Qui a le plus besoin de t<strong>en</strong>dresse pour se<br />
reconstruire ?<br />
Quant à Luke Turner, il a été véritablem<strong>en</strong>t mon coup de<br />
cœur. Je suis littéralem<strong>en</strong>t tombée amoureuse de sa série<br />
The ontic order, travail totalem<strong>en</strong>t hypnotique, que je vous<br />
invite instamm<strong>en</strong>t à découvrir. Des tableaux abstraits, avec<br />
des formes, dans lesquelles on peut tant projeter, imaginer,<br />
être libre <strong>en</strong> somme de ses interprétations. S’y perdre…<br />
une mise <strong>en</strong> abîme de soi-même, de ses certitudes, perdre<br />
son esprit dans les méandres de l’abstrait…<br />
J’aime aussi beaucoup The damoclean frame, ce corps<br />
étrange posé là. Dont on ne sait ri<strong>en</strong>. Seul, nu dans cette<br />
pièce froide, blanche comme un hôpital, aseptisée. Un<br />
corps anguleux, frêle, et cette cheminée toute petite, si<br />
petite qu’aucun feu ne peut réchauffer la pièce et <strong>en</strong>core<br />
moins ce corps, dont on ne sait s’il dort, ou s’il est mort.<br />
Anonymisé, car sans visage, seuls des cheveux sont visibles.<br />
Etrange… là aussi une mise <strong>en</strong> abîme, qui nous fait<br />
avoir mal pour ce corps, qui nous fait avoir froid pour cette<br />
pièce, qui nous fait vaciller à les regarder. Si beau et qui<br />
touche au corps et au cœur…<br />
Sinon, outre sa création thevoid, j’ai aussi apprécié la série<br />
Ruins, pour son travail autour du lieu, de la ruine grecque,<br />
de son architecture. Un travail intéressant à mirer, où ces<br />
ruines justem<strong>en</strong>t s’effac<strong>en</strong>t petit à petit dans le fond noir<br />
des photos, comme si elles étai<strong>en</strong>t un dernier rappel avant<br />
l’oubli, une métaphore, peut-être de la destinée humaine ?<br />
C’est par Luke Turner, aussi, que j’ai découvert le Metamodernisme,<br />
courant réc<strong>en</strong>t, créé vers 2009-2010 par<br />
Timotheus Vermeul<strong>en</strong> et Robin van d<strong>en</strong> Akker, qui sont des<br />
théorici<strong>en</strong>s culturels. Si vous souhaitez vous r<strong>en</strong>seigner davantage,<br />
pr<strong>en</strong>ez le temps de lire l’introduction rédigée par<br />
Luke Turner pour la revue <strong>en</strong> ligne anglaise Que<strong>en</strong> Mob’s<br />
Teahouse.<br />
Ce qui, personnellem<strong>en</strong>t, m’a beaucoup intéressée dans<br />
cette théorie, c’est la question du quadriptique sincérité,<br />
ironie, naïveté et cynisme, au regard de la génération dite<br />
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L.<strong>ART</strong> <strong>en</strong> LOIRE - # 8 - février 2015 - mini thème : oscillation métamoderniste perspective