Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
ville gourmande<br />
Aussi dense que vivant<br />
et coloré, on en prend<br />
plein les yeux… et les<br />
narines.<br />
Ville reconstruite prenant ses aises à<br />
angles droits, Brest n’en jouit pas moins<br />
de marchés qui tournent rond. Plus d’une<br />
quinzaine par semaine, chaque quartier ayant le<br />
sien, avec pour certains une spécificité. Pilier-<br />
Rouge, par exemple, se veut celui des bonnes<br />
affaires, avec des petits producteurs de fruits et<br />
légumes soldant ceux qu’ils n’ont pas écoulés, ou<br />
encore des retraités qui vendent le surplus de<br />
leur jardinière. Les convertis au bio, eux, sont<br />
fidèles aux « grand-messes » du mardi après-midi<br />
et du samedi matin à Kérinou. Trente ans qu’on<br />
y loue la terre du Finistère sans phytosanitaire,<br />
ce premier marché bio du département fédérant<br />
une trentaine d’adhérents à travers l’association<br />
CABA, dont les animations thématiques (autour<br />
du miel, du raisin…) contribuent à fidéliser la<br />
clientèle. Le lieu de ces échanges n’a hélas aucun<br />
charme, la petite halle accusant son âge. La<br />
verrière centrale des halles Saint-Martin donne<br />
par contre du cachet aux étals de cet autre<br />
marché couvert, celui de Saint-Louis, vétuste et<br />
déserté, ne comptant plus qu'une poignée de<br />
commerçants, le projet de de reconstruction,<br />
vieux d'une décennie, ayant été abandonné en<br />
décembre dernier.<br />
un marché des mille saveurs<br />
Mais il n’est qu’un seul vrai grand marché<br />
brestois. À ciel ouvert. L’incontournable forum<br />
du dimanche matin rue de Lyon. Traversant<br />
l’impressionnante rue de Siam – les Champs-<br />
Élysées brestois – le marché Saint-Louis se déploie<br />
d’un seul trait sur quelque cinq cents mètres.<br />
Aussi dense que vivant et coloré, on en prend<br />
plein les yeux… et les narines. Car on est là sur<br />
un marché des plus gourmands, les plats cuisinés<br />
y tenant le haut du pavé. Du gratin de patates<br />
(à l’andouille, à la saucisse fumée, aux bois de<br />
pétoncles…) au pot-au-feu breton, le kig ha farz<br />
bien de chez nous, et du couscous à la paëlla, on<br />
y joue de la louche sur tous les tons. Et on y grille<br />
même de l’agneau au feu de bois. Mais là comme<br />
ailleurs, c’est le poulet rôti qui fait fureur.<br />
« Prenez la queue comme tout le monde » : en été,<br />
jusqu’à 20 m de file d’attente pour le traiteur de<br />
Lanrivoaré. « Tout beau tout chaud », le jambon<br />
à l’os du charcutier de Landivisiau, lui aussi se<br />
mérite. Quelle affluence ! À l’heure où le clocher<br />
de Saint-Louis sonne la messe de 11 heures, la rue<br />
de Lyon n’est plus qu’une vague humaine<br />
avançant au pas, que seul l’intrépide tramway<br />
peut interrompre.<br />
le plaisir d’être ensemble<br />
Emporté par la foule, on trouve toutefois la place<br />
d’ouvrir son cabas au gré de cet interminable<br />
pêle-mêle d’étalages, où le marchand de tapis<br />
côtoie le vendeur d’épices et le détaillant en<br />
soutien-gorge le producteur de tourteaux<br />
femelles vivants. Un melting-pot plein d’allégresse<br />
où l’on prend son temps jusque sur les trop<br />
rares terrasses de cafés de la rue. Passé midi, les<br />
places sont chères sur celles d’en face Saint-Louis,<br />
la plus grande église française de la Reconstruction,<br />
symbole du nouveau Brest minéral, et dont<br />
la froideur monumentale contraste avec la<br />
chaleur sociale de ce marché populaire où les<br />
Brestois, sur fond de grandes avenues, semblent<br />
prendre plaisir à se serrer. Les uns contre les<br />
autres. Comme si, soixante-dix ans après l’anéantissement<br />
de la ville, toute une population<br />
voulait se dire le plaisir d’être ensemble. ◗<br />
N°13 mars / avril / mai )<br />
9