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Algérie News

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14 dclg<br />

é a a e<br />

Kiosque international<br />

Analyses &<br />

Décryptages<br />

Les étudiants africains,<br />

victimes du racisme ordinaire<br />

au Maroc<br />

Par Katia Touré : Slate Afrique<br />

Originaires d'Afrique de<br />

l'Ouest, des étudiants<br />

témoignent de la violence et<br />

du racisme quotidien dont<br />

ils sont victimes au royaume<br />

chérifien.<br />

Quand Fatim est arrivée au<br />

Maroc pour entamer ses études<br />

de droit à la faculté de Souissi à<br />

Rabat, elle s'attendait à une<br />

belle aventure. Mais, pour la Guinéenne de<br />

20 ans, toujours installée dans la ville<br />

marocaine, sa vie d'étudiante s'est muée en<br />

un traumatisme qui la pousse, aujourd'hui,<br />

à quitter le pays.<br />

La raison: le racisme. En quatre ans,<br />

Fatim ne s'est pas faite un seul ami local et<br />

a connu plusieurs agressions. «Vous êtes<br />

Africains, vous êtes des Noirs», lui a-t-on<br />

souvent lancé tandis qu'elle arpentait les<br />

rues du quartier Océane avec ses amis africains.<br />

En octobre 2009, alors qu'elle se rend<br />

à la banque en milieu d'après-midi, elle se<br />

retrouve encerclée par six jeunes hommes<br />

qui la dépouillent, la battent, couteaux à la<br />

main. Dès lors, son père, inquiet, lui interdit<br />

de sortir seule. Une autre fois, elle quitte<br />

le supermarché aux environs de 21h30.<br />

Nouvelle agression. On la traite de «azia»<br />

(noire ou négresse en français) en lui mettant<br />

les pieds sur le visage et le ventre.<br />

Finies les virées nocturnes et les soirées<br />

en boîte, Fatim reste calfeutrée chez elle.<br />

Elle ne met le nez dehors que pour aller en<br />

cours ou accompagnée de ses amis. «Les<br />

Marocains se considèrent comme des<br />

Blancs. Ils n'aiment pas la peau noire. Je ne<br />

m'attendais vraiment pas à ça», confie<br />

l'étudiante, toujours sous le choc. «À la fac,<br />

c'est très difficile. Certains profs donnent<br />

les cours en arabe et refusent de parler<br />

français. Quand on leur dit qu'on ne comprend<br />

pas la langue, ils nous disent<br />

méchamment de nous adresser à nos voisins<br />

».<br />

Son amie, Awa, elle aussi guinéenne, est<br />

arrivée au Maroc pour des études d'ingénieur<br />

à l'Institut Supérieur du Génie<br />

Appliqué (IGA) à Casablanca. Elle dit subir<br />

un racisme, qui, désormais, lui passe au<br />

dessus de la tête. Quotidiennement, elle se<br />

fait insulter, en pleine rue, par des enfants,<br />

des adolescents et même des personnes<br />

âgés: «singe», «négresse», «sale Africaine»<br />

ou encore «esclave».<br />

«Je me suis faite agressée deux fois. La<br />

première fois, c'était à Casablanca, alors<br />

que j'attendais le bus 900 pour me rendre à<br />

Rabat. Un jeune homme est venu m'arracher<br />

mon sac en me traitant de négresse et<br />

de singe. Personne n'a levé le petit doigt»,<br />

raconte l'étudiante de 21 ans.<br />

Des autorités laxistes<br />

La deuxième fois, dans le quartier de<br />

Mohammedia, un homme d'une trentaine<br />

d'années, armé d'un couteau lui a dérobé<br />

son téléphone portable alors qu'elle était<br />

accompagnée d'une amie:<br />

«Nous attendions un taxi devant sa<br />

porte, un samedi soir. Il y avait beaucoup<br />

de monde. Du monde qui s'en foutait royalement.<br />

À la longue, on s'y fait. Il me reste<br />

deux ans d'études, alors je prends des précautions».<br />

Mais pourquoi ces jeunes étudiants ne<br />

vont-ils pas porter plainte? «Quand les<br />

policiers nous insultent eux-mêmes, je ne<br />

vois pas trop ce qu'ils peuvent faire pour<br />

nous. C'est peine perdue», répond un autre<br />

étudiant, âgé de 28 ans, un Béninois installé<br />

depuis cinq ans au Maroc et qui préfère<br />

garder l'anonymat.<br />

«Quand les Africains arrivent au Maroc,<br />

ils s'investissent beaucoup plus dans les<br />

études. Certains professeurs ne veulent pas<br />

que les étudiants marocains soient dominés<br />

par des Noirs, alors ils ne nous notent<br />

pas plus de 11 sur 20 quelque soit la qualité<br />

de notre travail», dénonce-t-il.<br />

Selon un rapport de l'Unesco datant<br />

d'octobre 2011, le nombre d'étudiants<br />

d'Afrique Subsaharienne présents au<br />

Maroc est passé de 4024, en 2005, à 6038,<br />

en 2009. En 2010, selon l'Institut<br />

Statistique de l'Unesco, ils étaient près de<br />

5000 dont une grosse proportion de<br />

Guinéens (518) et de Sénégalais (504) –<br />

compte tenu des relations diplomatiques<br />

qu'entretient le Maroc avec ces deux pays.<br />

Awa dit avoir choisi le royaume chérifien<br />

pour sa proximité avec son pays d'origine:<br />

«C'est plus facile de retourner voir les<br />

parents. Et au Maroc, il y a de très bonnes<br />

écoles». Sans compter que la plupart des<br />

Africains subsahariens n'ont pas besoin de<br />

visa pour se rendre au Maroc.<br />

«Si le pays a évolué, les mentalités restent<br />

archaïques. Les Marocains considèrent<br />

toujours les Noirs comme des esclaves»,<br />

reprend Awa. Cette dernière raconte d'ailleurs<br />

avoir eu affaire à un bailleur qui refusait<br />

de louer ses appartements à des Noirs,<br />

tout comme Bintou, une Sénégalaise de 24<br />

ans, qui a vu circuler une pétition pour lui<br />

faire quitter sa résidence sans motif apparent.<br />

«Nous ne sommes certainement pas<br />

au 21ème siècle ici», déclare Awa un brin<br />

déconcertée.<br />

« Tous les Marocains ne<br />

sont pas racistes»<br />

Pour son ami béninois, il faut temporiser<br />

les choses. «Tous les Marocains ne sont<br />

pas racistes. Il ne faut pas exagérer. Et moi<br />

je n'en veux pas aux journalistes de Maroc<br />

Hebdo qui parlent du "péril noir".<br />

Beaucoup d'immigrés africains foutent la<br />

merde ici, en attendant de pouvoir partir<br />

pour l'Europe», analyse-t-il.<br />

«Les Africains subsahariens présents au<br />

Maroc sont soient des clandestins, des<br />

"débrouillards" qui travaillent au noir dans<br />

les centres d'appel ou des étudiants», explique<br />

Iriébi, un étudiant Ivoirien en gestion,<br />

vice-président de la Confédération des élèves,<br />

étudiants et stagiaires africains étrangers<br />

au Maroc (CESAM), créée en 1981.<br />

Cette association, basée à Rabat, comporte<br />

plusieurs subdivisions consacrées à chaque<br />

communauté étudiante d'Afrique occidentale.<br />

Pour ce qui est du racisme, Iriébi parle<br />

de «petit couacs»: «Cela fait six ans que je<br />

suis ici. Maintenant je ferme les yeux,<br />

quand on m'insulte dans la rue. Quand les<br />

choses s'aggravent, nous nous adressons à<br />

l'ambassade du pays de l'étudiant<br />

concerné. L'ambassade s'adresse ensuite au<br />

ministère des Affaires étrangères marocain.<br />

Et puis ça s'arrête là. Quand on va voir la<br />

police, elle fait un constat, organise deux<br />

ou trois convocations, puis l'affaire est<br />

étouffée».<br />

Du choc à l'indifférence<br />

En d'autres termes, il n'y a rien à faire.<br />

Pour Souleymane, qui a quitté le pays il y a<br />

tout juste un an pour retrouver son Sénégal<br />

natal, la négrophobie se fait plus sentir à<br />

Fès ou Agadir qu'à Casablanca.<br />

«Oui, je me suis fait traiter de cafard, j'ai<br />

essuyé des regards méprisants dans la rue,<br />

on m'a jeté des sachets d'eau sur la tête,<br />

mais en tant que sénégalais, je me suis toujours<br />

senti mieux loti. Les Sénégalais sont<br />

des musulmans très pratiquants, et ça aide<br />

à se faire accepter», raconte le jeune<br />

homme de 23 ans. «Un jour, pour nous<br />

désigner, un professeur nous a appelé "les<br />

Africains". Je lui ai rétorqué que lui aussi<br />

était Africain. Il s'est excusé en disant qu'il<br />

aurait dû nous appeler les Subsahariens».<br />

Iriébi, lui, préfère jouer l'indifférence.<br />

«Si ça les amuse que ma peau soit noire, je<br />

rigole désormais avec eux». Binta aussi<br />

aurait voulu rire le jour où, juste après la<br />

prière du matin, elle est sortie faire quelques<br />

pas, son chapelet à la main, et a croisé<br />

sur son chemin un vieillard visiblement<br />

mal en point. Ce dernier a refusé son aide<br />

et quelques minutes après, s'est soudainement<br />

mis à rire à gorge déployée en la traitant<br />

de «négresse».<br />

K. T.<br />

ALGERIE NEWS Lundi 10 décembre 2012

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