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Kiosque international<br />
Analyses &<br />
Décryptages<br />
Les étudiants africains,<br />
victimes du racisme ordinaire<br />
au Maroc<br />
Par Katia Touré : Slate Afrique<br />
Originaires d'Afrique de<br />
l'Ouest, des étudiants<br />
témoignent de la violence et<br />
du racisme quotidien dont<br />
ils sont victimes au royaume<br />
chérifien.<br />
Quand Fatim est arrivée au<br />
Maroc pour entamer ses études<br />
de droit à la faculté de Souissi à<br />
Rabat, elle s'attendait à une<br />
belle aventure. Mais, pour la Guinéenne de<br />
20 ans, toujours installée dans la ville<br />
marocaine, sa vie d'étudiante s'est muée en<br />
un traumatisme qui la pousse, aujourd'hui,<br />
à quitter le pays.<br />
La raison: le racisme. En quatre ans,<br />
Fatim ne s'est pas faite un seul ami local et<br />
a connu plusieurs agressions. «Vous êtes<br />
Africains, vous êtes des Noirs», lui a-t-on<br />
souvent lancé tandis qu'elle arpentait les<br />
rues du quartier Océane avec ses amis africains.<br />
En octobre 2009, alors qu'elle se rend<br />
à la banque en milieu d'après-midi, elle se<br />
retrouve encerclée par six jeunes hommes<br />
qui la dépouillent, la battent, couteaux à la<br />
main. Dès lors, son père, inquiet, lui interdit<br />
de sortir seule. Une autre fois, elle quitte<br />
le supermarché aux environs de 21h30.<br />
Nouvelle agression. On la traite de «azia»<br />
(noire ou négresse en français) en lui mettant<br />
les pieds sur le visage et le ventre.<br />
Finies les virées nocturnes et les soirées<br />
en boîte, Fatim reste calfeutrée chez elle.<br />
Elle ne met le nez dehors que pour aller en<br />
cours ou accompagnée de ses amis. «Les<br />
Marocains se considèrent comme des<br />
Blancs. Ils n'aiment pas la peau noire. Je ne<br />
m'attendais vraiment pas à ça», confie<br />
l'étudiante, toujours sous le choc. «À la fac,<br />
c'est très difficile. Certains profs donnent<br />
les cours en arabe et refusent de parler<br />
français. Quand on leur dit qu'on ne comprend<br />
pas la langue, ils nous disent<br />
méchamment de nous adresser à nos voisins<br />
».<br />
Son amie, Awa, elle aussi guinéenne, est<br />
arrivée au Maroc pour des études d'ingénieur<br />
à l'Institut Supérieur du Génie<br />
Appliqué (IGA) à Casablanca. Elle dit subir<br />
un racisme, qui, désormais, lui passe au<br />
dessus de la tête. Quotidiennement, elle se<br />
fait insulter, en pleine rue, par des enfants,<br />
des adolescents et même des personnes<br />
âgés: «singe», «négresse», «sale Africaine»<br />
ou encore «esclave».<br />
«Je me suis faite agressée deux fois. La<br />
première fois, c'était à Casablanca, alors<br />
que j'attendais le bus 900 pour me rendre à<br />
Rabat. Un jeune homme est venu m'arracher<br />
mon sac en me traitant de négresse et<br />
de singe. Personne n'a levé le petit doigt»,<br />
raconte l'étudiante de 21 ans.<br />
Des autorités laxistes<br />
La deuxième fois, dans le quartier de<br />
Mohammedia, un homme d'une trentaine<br />
d'années, armé d'un couteau lui a dérobé<br />
son téléphone portable alors qu'elle était<br />
accompagnée d'une amie:<br />
«Nous attendions un taxi devant sa<br />
porte, un samedi soir. Il y avait beaucoup<br />
de monde. Du monde qui s'en foutait royalement.<br />
À la longue, on s'y fait. Il me reste<br />
deux ans d'études, alors je prends des précautions».<br />
Mais pourquoi ces jeunes étudiants ne<br />
vont-ils pas porter plainte? «Quand les<br />
policiers nous insultent eux-mêmes, je ne<br />
vois pas trop ce qu'ils peuvent faire pour<br />
nous. C'est peine perdue», répond un autre<br />
étudiant, âgé de 28 ans, un Béninois installé<br />
depuis cinq ans au Maroc et qui préfère<br />
garder l'anonymat.<br />
«Quand les Africains arrivent au Maroc,<br />
ils s'investissent beaucoup plus dans les<br />
études. Certains professeurs ne veulent pas<br />
que les étudiants marocains soient dominés<br />
par des Noirs, alors ils ne nous notent<br />
pas plus de 11 sur 20 quelque soit la qualité<br />
de notre travail», dénonce-t-il.<br />
Selon un rapport de l'Unesco datant<br />
d'octobre 2011, le nombre d'étudiants<br />
d'Afrique Subsaharienne présents au<br />
Maroc est passé de 4024, en 2005, à 6038,<br />
en 2009. En 2010, selon l'Institut<br />
Statistique de l'Unesco, ils étaient près de<br />
5000 dont une grosse proportion de<br />
Guinéens (518) et de Sénégalais (504) –<br />
compte tenu des relations diplomatiques<br />
qu'entretient le Maroc avec ces deux pays.<br />
Awa dit avoir choisi le royaume chérifien<br />
pour sa proximité avec son pays d'origine:<br />
«C'est plus facile de retourner voir les<br />
parents. Et au Maroc, il y a de très bonnes<br />
écoles». Sans compter que la plupart des<br />
Africains subsahariens n'ont pas besoin de<br />
visa pour se rendre au Maroc.<br />
«Si le pays a évolué, les mentalités restent<br />
archaïques. Les Marocains considèrent<br />
toujours les Noirs comme des esclaves»,<br />
reprend Awa. Cette dernière raconte d'ailleurs<br />
avoir eu affaire à un bailleur qui refusait<br />
de louer ses appartements à des Noirs,<br />
tout comme Bintou, une Sénégalaise de 24<br />
ans, qui a vu circuler une pétition pour lui<br />
faire quitter sa résidence sans motif apparent.<br />
«Nous ne sommes certainement pas<br />
au 21ème siècle ici», déclare Awa un brin<br />
déconcertée.<br />
« Tous les Marocains ne<br />
sont pas racistes»<br />
Pour son ami béninois, il faut temporiser<br />
les choses. «Tous les Marocains ne sont<br />
pas racistes. Il ne faut pas exagérer. Et moi<br />
je n'en veux pas aux journalistes de Maroc<br />
Hebdo qui parlent du "péril noir".<br />
Beaucoup d'immigrés africains foutent la<br />
merde ici, en attendant de pouvoir partir<br />
pour l'Europe», analyse-t-il.<br />
«Les Africains subsahariens présents au<br />
Maroc sont soient des clandestins, des<br />
"débrouillards" qui travaillent au noir dans<br />
les centres d'appel ou des étudiants», explique<br />
Iriébi, un étudiant Ivoirien en gestion,<br />
vice-président de la Confédération des élèves,<br />
étudiants et stagiaires africains étrangers<br />
au Maroc (CESAM), créée en 1981.<br />
Cette association, basée à Rabat, comporte<br />
plusieurs subdivisions consacrées à chaque<br />
communauté étudiante d'Afrique occidentale.<br />
Pour ce qui est du racisme, Iriébi parle<br />
de «petit couacs»: «Cela fait six ans que je<br />
suis ici. Maintenant je ferme les yeux,<br />
quand on m'insulte dans la rue. Quand les<br />
choses s'aggravent, nous nous adressons à<br />
l'ambassade du pays de l'étudiant<br />
concerné. L'ambassade s'adresse ensuite au<br />
ministère des Affaires étrangères marocain.<br />
Et puis ça s'arrête là. Quand on va voir la<br />
police, elle fait un constat, organise deux<br />
ou trois convocations, puis l'affaire est<br />
étouffée».<br />
Du choc à l'indifférence<br />
En d'autres termes, il n'y a rien à faire.<br />
Pour Souleymane, qui a quitté le pays il y a<br />
tout juste un an pour retrouver son Sénégal<br />
natal, la négrophobie se fait plus sentir à<br />
Fès ou Agadir qu'à Casablanca.<br />
«Oui, je me suis fait traiter de cafard, j'ai<br />
essuyé des regards méprisants dans la rue,<br />
on m'a jeté des sachets d'eau sur la tête,<br />
mais en tant que sénégalais, je me suis toujours<br />
senti mieux loti. Les Sénégalais sont<br />
des musulmans très pratiquants, et ça aide<br />
à se faire accepter», raconte le jeune<br />
homme de 23 ans. «Un jour, pour nous<br />
désigner, un professeur nous a appelé "les<br />
Africains". Je lui ai rétorqué que lui aussi<br />
était Africain. Il s'est excusé en disant qu'il<br />
aurait dû nous appeler les Subsahariens».<br />
Iriébi, lui, préfère jouer l'indifférence.<br />
«Si ça les amuse que ma peau soit noire, je<br />
rigole désormais avec eux». Binta aussi<br />
aurait voulu rire le jour où, juste après la<br />
prière du matin, elle est sortie faire quelques<br />
pas, son chapelet à la main, et a croisé<br />
sur son chemin un vieillard visiblement<br />
mal en point. Ce dernier a refusé son aide<br />
et quelques minutes après, s'est soudainement<br />
mis à rire à gorge déployée en la traitant<br />
de «négresse».<br />
K. T.<br />
ALGERIE NEWS Lundi 10 décembre 2012