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12 dclg<br />
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Entretien<br />
Analyses &<br />
Décryptages<br />
Anouar Benmalek (suite et fin)<br />
«Chaque fois<br />
gieux avancé. Je dis le seul contrat sur lequel,<br />
pour le moment, nous pouvons nous mettre<br />
d’accord, c’est le contrat détenu par la<br />
Constitution. Elle a beaucoup de défauts<br />
mais elle comporte un article très important,<br />
la liberté de conscience. Cette liberté de<br />
conscience, n’est pas monnayable. Alors que<br />
les <strong>Algérie</strong>ns veullent et réclament la liberté<br />
de conscience ailleurs et la refusent chez eux,<br />
je dis comment voulez-vous que l’on vous<br />
respecte ? Voilà le premier questionnement<br />
auquel on doit se livrer en <strong>Algérie</strong> si on veut<br />
être considéré comme une nation majeure. Et<br />
en même temps que l’on ne s’étonne pas que<br />
l’on soit une société aussi antipathique quand<br />
on est vu de l’étranger. Nous ne voulons rien<br />
pour les autres. Comment voulez-vous qu’ils<br />
nous acceptent ? Vous dites à un <strong>Algérie</strong>n en<br />
France : «Il ne faut pas construire de mosquée.»<br />
Ah ! On est raciste ! En <strong>Algérie</strong>, il est<br />
interdit de construire des églises. Ah mais<br />
c’est normal ! Cette ambivalence entre<br />
demander tout pour soi lorsque l’on est à<br />
l’étranger et ne rien concéder aux autres<br />
quand on est chez soi, c’est d’abord un geste,<br />
une preuve d’immaturité mais qui a une<br />
conséquence directe, qui est celle de vous<br />
rejeter à la marge de ce qui compte dans l’humanité.<br />
C’est un comportement schizophrène<br />
que celui de vouloir la liberté pour soi<br />
chez les autres mais ne pas la vouloir pour les<br />
autres chez soi.<br />
Voilà ! Un Président a le droit de tout dire<br />
face à un autre Président.<br />
Ce silence-là voulait dire quoi, selon vous ?<br />
Je l’ignore ! Ce que je peux vous dire, c’est<br />
que j’ai eu un peu honte, moi, de ce silencelà,<br />
en tant qu’<strong>Algérie</strong>n. L’Etat algérien oublie<br />
au fond qu’il n’est pas la propriété du<br />
Président ou des gens qui sont au pouvoir. Il<br />
est la forme de structuration de tout un pays<br />
et oubliant cela, on a l’impression que ne<br />
compte que l’humeur d’un individu qui est le<br />
président de la République et peut être de<br />
quelques-uns autour de lui, peut-être des<br />
généraux, je n’en sais rien. La structure du<br />
pouvoir est tellement mystérieuse en <strong>Algérie</strong><br />
que l’on ne sait pas vraiment qui détient<br />
celui-ci. Et que le reste du pays n’existe pas.<br />
Qu’en pensent les <strong>Algérie</strong>ns ? Je n’ai pas vu de<br />
<strong>Algérie</strong> <strong>News</strong> : A ce propos, vous le voyez<br />
comment l’avenir de l’<strong>Algérie</strong> ? Beaucoup<br />
sont pessimistes et vous ?<br />
Anouar Benmalek : J’ai toujours dit que<br />
j’étais un peptimiste. Un peptimiste, c’est<br />
celui qui étant pessimiste ne rêve que d’une<br />
chose, être optimiste. Et c’était Emile Habibi,<br />
un écrivain palestinien, qui avait inventé cette<br />
expression que je reprends à mon compte<br />
parce que si on veut être pessimiste, on peut<br />
aligner un tas de facteurs pour cela en<br />
<strong>Algérie</strong> : la corruption, le fait que l’envie de<br />
démocratie ne soit pas l’envie première des<br />
<strong>Algérie</strong>ns, la peur que s’il y a un vote libre ce<br />
soit un vote islamisant...<br />
D’un autre côté, on peut aussi, avoir des<br />
raisons d’être optimiste. La richesse. C’est un<br />
argument de poids à tel point que l’<strong>Algérie</strong>,<br />
c’est incroyable, prête maintenant de l’argent<br />
au FMI. Et moi, je l’ai appris de façon rocambolesque.<br />
C’était le président français qui en<br />
faisait la déclaration lors d’une conférence de<br />
presse à Alger, lors de sa visite d’Etat. Notre<br />
gouvernement est tellement à ce point schizophrène<br />
que même les choses dont il pourrait<br />
être fier, il n’en informe pas son peuple.<br />
Donc, il y a des raisons d’être optimiste. La<br />
jeunesse qui est, en même temps, un très<br />
grand danger, est un très grand atout. Tout<br />
est possible. L’<strong>Algérie</strong> doit aspirer à la démocratie<br />
mais que veut dire la démocratie dans<br />
notre société ?<br />
Et à votre avis, dire que la démocratie c’est<br />
la voix de la majorité, cela ne suffit pas...<br />
Non ! Il y a deux choses pour assurer la<br />
démocratie. C’est la voix de la majorité plus<br />
l’absolu respect de la minorité. Or, pour<br />
beaucoup dans le monde arabe, les élections<br />
serviraient à faire arriver des gens au pouvoir<br />
pour que une fois au pouvoir, ne plus le quitter.<br />
Les islamistes, eux, au moins de ce point<br />
de vue, ont l’honnêteté de dire que s’ils arrivaient<br />
au pouvoir, il n’y aura plus d’élections<br />
libres. Il n’y aura plus d’élections que dans le<br />
sens islamique comme en Iran où les gens ont<br />
des idées différentes mais uniquement dans le<br />
cadre islamique. Et donc là, cet aspect-là n’est<br />
pas quelque chose de naturel chez nous.<br />
Dans l’histoire du monde musulman, celui-ci<br />
a toujours été caractérisé, en général, par la<br />
confusion entre le religieux et le politique. Le<br />
calife était aussi «Amir El Mouminime», ce<br />
qui fait que la différence d’opinion était tout<br />
de suite considérée comme une hérésie. Le<br />
politique se confond avec le religieux qui luimême<br />
se confond avec le politique. Et quand<br />
on entend, par exemple, des islamistes parler,<br />
on sent que pour eux, ils vous disent avec une<br />
bonne foi renversante, mais nous sommes la<br />
majorité ! C’est vrai qu’ils sont la majorité<br />
mais pour eux, la majorité ! ce ne sont que<br />
ceux qui pensent comme eux. Tous ceux qui<br />
pensent autrement ne font plus partie de la<br />
«Oumma». En Egypte, par exemple, les coptes<br />
sont considérés comme des sous-<br />
Egyptiens. En <strong>Algérie</strong>, je suis toujours très<br />
choqué de voir que l’on réclame des gens qui<br />
se marient avec une <strong>Algérie</strong>nne un certificat<br />
de conversion. On exige de l’autre qu’il<br />
devienne musulman. Dans quel siècle vivonsnous<br />
? Trouver normal, comme allant de soi<br />
que quelqu’un qui se marie avec un ressortissant<br />
algérien doit obligatoirement devenir<br />
musulman pour que son mariage soit<br />
reconnu. Quelle violence on fait à la<br />
conscience libre de quelqu’un ! Par exemple,<br />
cette loi qui a soulevé très peu d’indignation<br />
en <strong>Algérie</strong>, qui a été votée, il y a quelques<br />
années, et qui punissait de deux ans de prison<br />
et d’une énorme amende quiconque aurait<br />
par voie, un mot qui est très étrange, de<br />
séduction ou de violence fait changer un<br />
<strong>Algérie</strong>n de religion. Ce n’est pas possible !<br />
C’est d’abord anticonstitutionnel et en plus<br />
ce qui m’avait le plus choqué, c’est que le<br />
Parlement n’avait rien trouvé à redire.<br />
Comment voulez-vous que les autres vous<br />
respectent si vous ne respectez pas la liberté<br />
de conscience ? Je trouve terrible que l’<strong>Algérie</strong><br />
du 21 e siècle trouve normales, de telles lois,<br />
qui pour moi, appartiennent plutôt au<br />
Moyen-Age, qui évoquent plutôt<br />
l’Afghanistan, plutôt l’Arabie Saoudite mais<br />
pas la grande <strong>Algérie</strong> de Ben M’hidi et de tous<br />
les grands qui se sont battus au prix de tortures<br />
et j’en passe pour libérer l’<strong>Algérie</strong>. C’est<br />
insupportable et quelque soit l’argument reli-<br />
Finalement, c’est nous les <strong>Algérie</strong>ns qui<br />
nous mettons en marge de la marche universelle<br />
!<br />
Avant, on pouvait dire que l’on n’avait pas<br />
assez d’informations, qu’il n’y avait pas assez<br />
de circulation de l’information. Ce n’est plus<br />
vrai aujourd’hui ! Nous avons toute l’information<br />
que nous désirons. Nous savons bien<br />
que le monde est divers, qu’il est formé de<br />
gens très différents et pourtant ! L’<strong>Algérie</strong> a<br />
tous les moyens de devenir un grand pays.<br />
Elle donne l’impression de faire tout pour<br />
devenir un petit pays. Regardez, par exemple,<br />
la télévision officielle algérienne et vous, vous<br />
dites que ce n’est pas possible, que c’est indigne<br />
de l’<strong>Algérie</strong>. Elle ne sert plus à rien puisque<br />
de toutes manières, l’information est<br />
multiple en <strong>Algérie</strong>. Les télévisions par satellite,<br />
Internet,... C’est honteux que pendant la<br />
visite du président Hollande, les télévisions<br />
nationales n’aient pas été agressives en posant<br />
des questions gênantes,... Elles ont fait exactement,<br />
ce qu’a voulu faire le pouvoir algérien,<br />
c'est-à-dire au fond, accueillir avec une<br />
certaine gêne et un embarras le président<br />
français, qui venait défendre les positions de<br />
son pays, avec son programme. Evidemment,<br />
il ne fallait pas s’attendre à autre chose…<br />
Finalement, nous, on râle toujours après.<br />
C’est ce que vous voulez dire ?<br />
Oui ! Parce qu’il y a quelque chose qui<br />
était sidérant. C’est le silence du président de<br />
la République algérien. On a été pendant<br />
deux jours soumis à un rythme infernal. On a<br />
vu Hollande donner des conférences de<br />
presse, faire des discours importants..., on n’a<br />
pas entendu la réaction du président algérien.<br />
Qu’en pensait-il en fait ? Il a le droit d’être<br />
d’accord, de ne pas être d’accord, je veux dire.<br />
Il est chez lui. C’est le plus haut responsable<br />
de l’Etat ! Quelle a été la position de l’Etat<br />
algérien ? On ne sait pas ! Et ça, je me dis,<br />
comme c’est étonnant que l’<strong>Algérie</strong>, grand<br />
pays, persifleur, qui accepte d’être traité<br />
comme un enfant immature. Et le pire, c’est<br />
que je suis sûr qu’il n’y a même pas d’avis<br />
officiel. Je pense qu’on a traité un événement<br />
qui aurait dû être extrêmement important<br />
même pour des griefs, par exemple, pour dire<br />
au président français :<br />
«Non ! Je ne suis pas d’accord avec vous !»<br />
grands reportages à la télévision, par exemple,<br />
avec des gens aux opinions différentes<br />
s’étriper au cours de débats. Cela valait la<br />
peine d’opposer des gens pour et des gens<br />
contre, inviter des Français, des <strong>Algérie</strong>ns,<br />
parler ! Nous sommes des êtres humains<br />
parce que nous parlons. C’est ce qui nous différencie<br />
des animaux.<br />
Le problème c’est que si on ne prend pas la<br />
parole, quand on est dirigeant d’un pays, la<br />
donner devient autrement plus compliqué.<br />
Oui ! Et même, d’ailleurs, le silence un peu<br />
embarrassé ou se résumant à des éructations<br />
de partis politiques algériens, cela participe,<br />
aussi, d’un désir de faire plaisir à un pouvoir<br />
qui voudrait que tout le monde se taise. Mais<br />
il n’a pas les moyens de faire taire tout le<br />
monde et parfois, il n’en a même pas besoin<br />
puisque les gens ne parlent pas. C’est ça qui<br />
est terrible. L’autocensure et dans un contexte<br />
qui n’est pas celui des années 1970 ou 1980 !<br />
Pendant ces années-là, on avait peur mais là,<br />
au fond, qu’est-ce qui vous empêche d’avoir<br />
une opinion ? Je ne pense pas que le danger<br />
physique soit aussi important qu’il y a 30 ans !<br />
Dans tout çà Anouar Benmalek, vous ne<br />
courez plus après la vérité sur la torture ?<br />
Si ! Si ! D’abord, j’ai été très étonné quand<br />
mon livre,«Le Rapt», est sorti en <strong>Algérie</strong>, qui<br />
traite en gros de deux parties. Il y a la période<br />
de la guerre d’<strong>Algérie</strong> avec en gros deux phénomènes<br />
: le massacre de Mellouza et les tortures<br />
de l’armée française, et il y a un passage<br />
ALGERIE NEWS Lundi 4 février 2013