S'agissant de la multiplicité des langues et des cultures, une ... - Euxin

Wénin • Babel (Gn 11,1-9) • 12
comme totalitaire et impérialiste, a bel et bien avorté 16 . C’est peut-être en ce sens que les
rédacteurs de la Genèse ont pris soin de situer le récit après la description positive de la
dispersion des nations et des langues au chapitre 10 : car pour ceux qui, comme le royaume de
Juda, avaient été sous la coupe des Babyloniens, l’échec de cet empire avait représenté la
chance de pouvoir échapper à son emprise totalitaire et de vivre sur leur terre, pour y
constituer une nation à part entière, selon les termes du refrain de Gn 10. Une telle chance ne
pouvait être à leurs yeux que l’œuvre d’Adonaï leur Dieu.
Mais en choisissant de placer la légende de Babel dans le prolongement des récits
mythiques du début de la Genèse, ceux qui ont composé la Thora lui conféraient une portée
supplémentaire, en la situant sur un horizon universel. De cette façon, le récit de Babel
devenait une critique radicale de toute tentative totalitaire de réaliser l’unité des humains. Car
si le chapitre 10 rappelle l’unité fondamentale de l’humanité en la faisant descendre d’un seul
et même ancêtre, il évoque également son foisonnement et sa multiplicité, qui ne peuvent être
abolis qu’au prix d’un nivellement et d’un appauvrissement auxquels le Dieu de la Bible ne
peut se résoudre. Tel est, me semble-t-il, le cœur de ce célèbre récit.
Faudra-t-il conclure, alors, que l’unité des humains et des peuples ne fait pas partie du
projet de Dieu ? Je ne pense pas. Mais ce que l’histoire de Babel dit, c’est que l’unité qu’il
veut ne peut se faire au prix de l’abolition des différences. Le Dieu de la Bible est un Dieu
d’alliance. Or, une alliance ne peut se vivre que là où les partenaires restent eux-mêmes, avec
leurs particularités et leurs singularités, tout en créant un lieu d’échange et d’enrichissement
mutuel. Dans les Actes des Apôtres, un récit fait pendant à celui de Babel. C’est le récit de la
Pentecôte (Ac 2,1-11). On y raconte que, sous l’impulsion de l’Esprit de Dieu, des gens
« venus de toutes les nations qui sont sous le ciel » (v. 4) comprennent les apôtres qui
proclament les merveilles de Dieu : « chacun les entendait parler sa propre langue » (v. 7, cf.
v. 11), explique le narrateur. Ainsi, la diversité des langues n’est pas abolie. Seulement, elle
ne constitue plus un obstacle à la communication entre les humains. Voilà, selon Luc,
comment Dieu comprend l’unité de l’humanité. Non une uniformité où les diversités
s’effaceraient, mais une communion où les différences deviennent le lieu d’une alliance
inédite.
16
Voir récemment J.-L. SKA, Les énigmes du passé. Histoire d’Israël et récit biblique (Le livre et le
rouleau 14), Lessius, Bruxelles, 2001, p. 30-31.