S'agissant de la multiplicité des langues et des cultures, une ... - Euxin

Wénin • Babel (Gn 11,1-9) • 6
négativement 8 : il représente en effet un éloignement vis-à-vis de Dieu. Ce qui est donc un
mouvement loin de Dieu conduit ces gens dans une plaine au pays de Shinéar. Or on l’a vu,
selon 10,8-12, cette plaine est le lieu de la capitale de Nemrod : Babel, le lieu de naissance
des grands empires oppresseurs. Ainsi, c’est une fois arrivés au pays de Nemrod que les
humains imaginent le projet qu’ils ne vont pas tarder à mettre en œuvre.
Tel qu’il le formulent, ce projet est d’abord de cuire des briques. Or, à la réflexion, il
serait plus logique d’élaborer d’abord le projet d’ensemble – la ville à construire – puis, dans
un second temps, d’envisager la manière concrète de s’y prendre et de penser alors aux
matériaux à employer. Mais le narrateur, par sa façon de raconter, donne à penser que ces
gens confectionnent des briques avant même de savoir à quoi elles vont servir. Il met ainsi
l’accent sur le travail répétitif et sans but précis, travail d’esclaves s’il en est, esclaves qui
n’ont pas à envisager la finalité de leur besogne. Le lecteur de la Bible se souvient bien sûr ici
des Hébreux réduits en esclavage en Égypte et contraints de faire des briques pour les villes
de Pharaon 9 . Or ici, a priori, les gens ne sont pas esclaves : ils s’encouragent les uns les autres
à ce travail, comme s’ils choisissaient eux-mêmes leur vie de servitude. Mais connaît-on des
esclaves sans maître ? Et qui pourrait donc être ce maître ? La question est ouverte, et la suite
du récit devrait nous en apprendre davantage.
Ensuite, toujours dans un langage répétitif, qui prolonge l’impression que ces gens
ânonnent les mêmes mots 10 , le narrateur suggère que les briques vont servir à la construction
de bâtiments. Il faut se demander l’effet de sens narratif de cette remarque, dont j’ai souligné
plus haut la raison probable. Comme me le suggérait un étudiant, la différence entre briques et
pierres consiste en ce que les secondes sont taillées et ne sont donc pas souvent régulières,
alors que les premières, confectionnées au moule, sont uniformes et peuvent donc se ranger
avec régularité. C’est pourquoi un bitume lisse suffit pour les assembler, alors qu’un mortier
plus substantiel doit combler les vides laissés par les pierres. S’il en est ainsi, les matériaux
choisis sont à l’image des bâtisseurs eux-mêmes qui s’inscrivent dans une uniformité sans
altérité.
8
9
10
Voir Gn 3,24, où Adam et Ève s’éloignent « à l’orient » du jardin et de l’arbre de vie, et 4,16 où
Caïn sort loin de la face du Seigneur, lui aussi « à l’orient d’Éden ».
Voir Ex 1,13-14 ; 5,6-19. Une des villes ainsi bâtie porte un nom de pharaon : Ramsès (Ex 1,11).
La répétition peut difficilement se rendre en français : la brique, l e véna, sert de pierre, l e ’aven,
tandis que le bitume, hakhémar, sert de mortier, hakhomèr.