Paradoxes d’un <strong>système</strong> <strong>de</strong> productionagricole : la <strong>riziculture</strong> camerounaise enquelques questions !Félix Meutchieye, Richard Chin Wirnkar, Paul Esenei24<strong>Le</strong> Cameroun dépend encore largement <strong>de</strong>simportations pour satisfaire sa <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nationale en riz. <strong>Le</strong>s tentatives <strong>de</strong> développement<strong>de</strong> la production rizicole, amorcées<strong>de</strong>puis longtemps, ont rarement donné <strong>de</strong>srésultats probants. Mais, <strong>de</strong>puis quelquesannées l’espoir renait grâce à l’introductiondu SRI. Radioscopie du secteur rizicolecamerounais en quelques questions !Sécurité alimentaire : Unehistoire <strong>de</strong> dupes?Selon une évaluation globale, le Camerounjouit <strong>de</strong> l’autosuffisance alimentaire.Toutefois cette autosuffisance <strong>de</strong>meuretrès précaire. <strong>Le</strong>s évènements <strong>de</strong> Février2008 1 sont encore <strong>de</strong> fraîche mémoirepour témoigner <strong>de</strong> cette précarité. Ces« émeutes <strong>de</strong> la faim », même si elles ontparfois <strong>de</strong>s relents politiques, ne sont jamaistrès loin et risquent <strong>de</strong> continuer à embrasernos villes tant que <strong>de</strong>s solutions concertéeset efficaces, ne sont pas trouvées pourassurer une sécurité alimentaire durable auxpopulations. Mais l’horizon d’une abondancealimentaire pour tous semble encorelointain puisque <strong>de</strong>s données récentes <strong>de</strong> laBanque Mondiale et <strong>de</strong> l’Institut National <strong>de</strong>la Statistique révèlent qu’environ 28% <strong>de</strong>sCamerounais vivent en situation d’insécuritéalimentaire et que trois <strong>de</strong>s dix régions quecompte le pays, à savoir l’Extrême Nord(25% <strong>de</strong> taux d’autosuffisance alimentaire),le Littoral (56%), et le Nord (83%), sontdéficitaires sur le plan alimentaire. <strong>Le</strong>sdifficultés <strong>de</strong> transfert <strong>de</strong>s productions entreles zones productives et les zones déficitaireset la pauvreté sont les principaux facteursà l’origine <strong>de</strong> cette insécurité. Avec unepopulation urbaine <strong>de</strong> 51% et 4 ménagesurbains sur 5 vivant essentiellement du riz,on peut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si les manifestations<strong>de</strong> 2008 n’étaient pas « rizogènes ». <strong>Le</strong>Cameroun est actuellement le plus grand1. <strong>Le</strong>s « émeutes <strong>de</strong> la faim » surviennent enfévrier 2008 (du 23 au 29) à la suite d'une haussegénéralisée <strong>de</strong>s produits <strong>de</strong> première nécessité.Ces émeutes seront amplifiées par le projet duprési<strong>de</strong>nt Paul Biya <strong>de</strong> modifier la constitution duCameroun afin <strong>de</strong> se représenter en 2011. La crisea touché principalement les gran<strong>de</strong>s villes du pays,notamment Yaoundé et Douala.Techniciens agricoles dans une exploitation rizicole au Camerounfournisseur <strong>de</strong> produits vivriers et maraîchersd’Afrique Centrale, mais paradoxalement,il doit encore importer annuellementd’énormes quantités <strong>de</strong> riz pour satisfairela <strong>de</strong>man<strong>de</strong> nationale. <strong>Le</strong> pays a importé545 000 tonnes <strong>de</strong> riz en 2011, pour 145milliards <strong>de</strong> FCFA. En 2010, les importations<strong>de</strong> riz étaient <strong>de</strong> 350 000 tonnes. Soit uneaugmentation <strong>de</strong> 35% (ACDIC, 2012).La mort prématurée <strong>de</strong>ssociétés d’encadrement a-t-ilsonné le glas <strong>de</strong> la <strong>riziculture</strong>camerounaise?<strong>Le</strong> projet d’intensification rizicole au Cameroundate <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> coloniale. En 1950,les colons français entreprennent d’intensifierla culture du riz et celle du coton pourapprovisionner les centres urbains en produitsvivriers et les industries textiles enmatières premières. L’entreprise est cependantpeu fructueuse dans l’ensemble. Dansles années 60, les autorités du Camerounindépendant, avec l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> bailleurs <strong>de</strong>fonds internationaux déci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> prendreles choses en main. Un projet rizicole <strong>de</strong>plusieurs milliers d’hectares est mis enœuvre en pays Massa.La SEMRY (Société pour l’expansion et lamo<strong>de</strong>rnisation <strong>de</strong> la <strong>riziculture</strong> à Yagoua)voit le jour à la fin <strong>de</strong>s années 60. C’estune structure gouvernementale dont lesstratégies ne sont pas très claires. <strong>Le</strong>sinterventions <strong>de</strong> toute nature (jumelage,péréquation) qui ont caractérisé les actionssuccessives <strong>de</strong> l’État pour tenter <strong>de</strong> protégerla filière riz n’ont pas davantage étécouronnées <strong>de</strong> succès et c’est surtout par<strong>de</strong>s subventions périodiques importantesque la SEMRY a pu survivre. Toutefois, lestransformations socio-économiques, quiont eu pour théâtre les aménagementshydro-agricoles <strong>de</strong> SEMRY sont, sans aucundoute, les plus importantes qu’aient connules Massa <strong>de</strong> la région <strong>de</strong> Yagoua. L’activitérizicole s’est peu à peu intégrée au <strong>système</strong><strong>de</strong> production <strong>de</strong>s Massa (agriculture, élevage,et pêche). <strong>Le</strong>s techniques <strong>intensive</strong>s(principalement le repiquage) ont été assimiléesrapi<strong>de</strong>ment et ont permis d’obtenir<strong>de</strong>s ren<strong>de</strong>ments moyens élevés estimés à 5t/ha et <strong>de</strong>s revenus monétaires importants.<strong>Le</strong> potentiel <strong>de</strong> production rizicole du Camerounse situait alors principalement dansles régions <strong>de</strong> l’Extrême-Nord, du Nord, <strong>de</strong>l’Ouest et du Nord-Ouest qui représentent94% <strong>de</strong> la production et 95% <strong>de</strong>s superfi-Photo : www.fap-cameroon.page.tl
cies. La production nationale est estiméeà près <strong>de</strong> 84 000 tonnes /an répartie surenviron 40 000 ha, dont une bonne partieestimée à 15 000 tonnes est assurée en<strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s grands périmètres rizicoles par<strong>de</strong>s petits producteurs villageois dans lesbas-fonds, le long <strong>de</strong>s berges <strong>de</strong> rivières eten culture pluviale.A la suite <strong>de</strong> la SEMRY, d’autres structuresd’encadrement virent le jour (SODERIM,UNDVA, LAGDO). Elles encadraient les riziculteursprivés, produisaient et commercialisaientle riz. Mais l’irrigation est frappéepar la crise, à la fin <strong>de</strong>s années 70, ce quia notamment affecté les gran<strong>de</strong>s sociétésd’État <strong>de</strong> ce secteur. <strong>Le</strong>s réformes engagéespar l’État après son retrait du secteurproductif ont abouti à la dissolution <strong>de</strong> certainessociétés et à la restructuration <strong>de</strong> certainesd’entre elles (SEMRY, UNVDA). Uneévaluation <strong>de</strong> la situation du désengagement<strong>de</strong> l’Etat montre que sur les 17 000ha aménagés dans les années 70, une superficieimportante <strong>de</strong> ces périmètres n’estplus en production par manque d’entretienet d’équipement lié à la privatisation <strong>de</strong>sentreprises publiques qui gèrent ces périmètres.La SODERIM s’est éteinte après le désengagement<strong>de</strong> l’Etat. Avec l’avènement<strong>de</strong> l’ajustement structurel, le projet pilotéconjointement par le Cameroun et la Chinese meurt dans une sorte d’indifférence. <strong>Le</strong>sChinois sont partis. <strong>Le</strong>s populations ruralesqui y voyaient une opportunité ont résistéquelques années, mais ont fini par se lasseret abandonner le rêve. La paupérisationmonte alors en flèche. En imposantleurs politiques d’ajustement structurel et<strong>de</strong> libéralisation du commerce, les institutionsfinancières internationales ont contribuéà la mort programmée <strong>de</strong> la productionlocale <strong>de</strong> riz et à la privatisation <strong>de</strong>s sociétés<strong>de</strong> développement du secteur agricole. Enl’acceptant benoîtement sans solution <strong>de</strong>rechange, l’Etat a frotté les allumettes d’unesour<strong>de</strong> colère, non seulement dans les campagnes,mais plus loin dans les villes du fait<strong>de</strong> l’exo<strong>de</strong> massif.Un vent <strong>de</strong> Renouveausouffle avec le SRI?<strong>Le</strong> Projet d’appui au développement <strong>de</strong>s filièresagricoles (PADFA) initié en 2010 pourréduire l’impact <strong>de</strong> la pauvreté <strong>de</strong>s populationsrurales a misé sur <strong>de</strong>ux filières jugéesà fort potentiel économique pour la majorité<strong>de</strong>s exploitations rurales : le riz et l’oignon.L’intensification a semblé <strong>de</strong> ce fait la seuleoption possible. <strong>Le</strong>s objectifs <strong>de</strong> production<strong>de</strong> riz visent le passage <strong>de</strong> 50 000 t <strong>de</strong>riz décortiqué à près <strong>de</strong> 200 000 t afin <strong>de</strong>satisfaire une bonne partie <strong>de</strong> la consommationnationale. <strong>Le</strong> SRI offre à l’état actuelles meilleures opportunités : économies àdivers niveau : 50 % d’eau, 90 % <strong>de</strong> semences,utilisation quasi nulle d’herbici<strong>de</strong>set d’engrais chimique. <strong>Le</strong>s revenus <strong>de</strong>s paysansutilisant le SRI peuvent augmenter <strong>de</strong>74 %. <strong>Le</strong> ren<strong>de</strong>ment peut atteindre 12 voire15 tonnes par hectare dans <strong>de</strong>s conditionsoptimales. <strong>Le</strong> SRI répond aux différentsenjeux <strong>de</strong> l’agriculture agro-alimentaire :occuper moins <strong>de</strong> surface, préserver l’environnementet permettre <strong>de</strong> lutter contre lasous-alimentation.Au cours <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières années écoulées,quelque 10 tonnes <strong>de</strong> semencesaméliorées <strong>de</strong> riz ont été octroyés à 2500agriculteurs camerounais par l’Institut <strong>de</strong>recherche agricole pour le développement(IRAD). <strong>Le</strong>sdites semences sont constituées<strong>de</strong> trois variétés <strong>de</strong> type Nerica, qui est uncroisement <strong>de</strong> riz asiatique et africain. <strong>Le</strong>schercheurs <strong>de</strong> l’IRAD vantent la résistance<strong>de</strong> cette plante aux maladies, mais aussison bon ren<strong>de</strong>ment sur un cycle plus courtque la moyenne. Mais la faiblesse <strong>de</strong> s’appuyertoujours sur l’extérieur n’a pas quittéles politiques stratégiques : « la productionet la distribution <strong>de</strong>s semences va sepoursuivre, avec l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’ONG AfricaRiceet l’appui du gouvernement japonais », aprécisé le directeur général <strong>de</strong> l’IRAD, JacobNgeve ». La fixation sur la production dupaddy et peu sur la transformation (absenced’unité <strong>de</strong> décorticage) est une faiblesseà corriger dans les meilleurs délais. Faute<strong>de</strong> transformation, elle est principalementvendue aux commerçants nigérians sous laforme <strong>de</strong> riz paddy. La mécanisation, mêmeartisanale reste encore un vœu pieux. Lacoalition pour le développement du riz enAfrique (CARD) a préconisé une ouvertureaux privés, notamment par une organisationrigoureuse et efficiente. Par le biais <strong>de</strong>la CARD, on assiste à l’introduction du rizpluvial en zone forestière ainsi que dans lesgrands bassins qui abritent les <strong>de</strong>ux grandscentres <strong>de</strong> consommation que sont Yaoundéet Douala, et <strong>de</strong> l’appui à la culture du rizirriguée dans les gran<strong>de</strong>s zones que sontl’Extrême-Nord et le Nord-Ouest ou encoredu riz <strong>de</strong> plateaux à l’Ouest.La Haute Vallée du Noun : Unbassin rizicole en expansion ?L’intensification rizicole débute dans laHaute vallée du Noun en 1970 avec la création<strong>de</strong> la Société <strong>de</strong> Développement <strong>de</strong> laHaute Vallée du Noun (originellement TheUpper Nun Valley Development Authority-UNVDA). Cette structure est née <strong>de</strong> la volontépolitique d’encadrer les communautésrurales voisines <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux entités administratives(Ouest et Nord Ouest) partageant lavallée du fleuve Noun. <strong>Le</strong> domaine public<strong>de</strong> l’Etat octroyé à UNVDA est <strong>de</strong> 15.000ha, (environ 1/5ème <strong>de</strong> cette superficie estexploitée), pour une production <strong>de</strong> 15.000t<strong>de</strong> paddy et presque 10.000t <strong>de</strong> riz <strong>de</strong>stinéà la consommation.Depuis sa création, UNVDA a aménagé auprofit <strong>de</strong>s petits exploitants près <strong>de</strong> 3.000ha<strong>de</strong> casiers rizicoles améliorés. Quelques 14mini-barrages ont été construits, ainsi que49 distributeurs collectifs et 22km <strong>de</strong> canauxd’irrigation installés, avec en plus l’entretien<strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 150km <strong>de</strong> pistes ruralescréées pour l’écoulement <strong>de</strong> la productionfamiliale. Grâce à l’adoption <strong>de</strong> nouvellesmétho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> culture inspirées du SRI, on estpassé <strong>de</strong> 500 tonnes <strong>de</strong> riz paddy traité en2011 à 1200 tonnes en fin septembre 2012.Aujourd’hui UNVDA encadre directementplus <strong>de</strong> 15.000 producteurs (dont plus <strong>de</strong>50% <strong>de</strong> femmes). Des <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s d’assistanceau-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la zone <strong>de</strong> compétence<strong>de</strong> UNVDA sont adressées à l’organisation.<strong>Le</strong>s formations pratiques sont régulières,et la stratégie <strong>de</strong> commercialisation baséesur <strong>de</strong>s conditionnements « pour tous » :50kg, 25kg, 10kg, 5kg, et 2kg a développéen <strong>de</strong>ux ans <strong>de</strong>s filières <strong>de</strong> vente dans lesprincipales villes et maintenant étenduesjusqu’au Gabon.UNVDA, en plus du riz, fournit annuellementpas moins <strong>de</strong> 200t <strong>de</strong> sous produits (farinesblanches, sons et brisures) à l’industrielocale et surtout aux éleveurs <strong>de</strong> porcins.<strong>Le</strong> dialogue et le partenariat initiés avecles éleveurs bovins favorise une meilleurecohabitation.ConclusionUNVDA envisage dans un horizon prochel’extension <strong>de</strong>s casiers rizicoles à 20.000ha, avec la participation <strong>de</strong> 70.000 petitsexploitants organisés en petites coopérativeslocales. Pour atteindre son potentielannuel <strong>de</strong> 500.000t d’ici la prochainedécennie, UNVDA entend inaugurer avecla mécanisation directe au moins 10.000ha<strong>de</strong> casiers, à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>s producteurs.L’un <strong>de</strong>s enjeux actuels reste tout <strong>de</strong> mêmela problématique <strong>de</strong> l’irrigation. En effet, iln’existe pas <strong>de</strong> législation propre à l’irrigationet au drainage au Cameroun. <strong>Le</strong> paysdispose d’une loi portant régime <strong>de</strong> l’eau,à savoir la loi N° 98/005 du 14 avril 1998.Cette loi fixe le cadre juridique général durégime <strong>de</strong> l’eau et veille sur la protectioncontre la pollution <strong>de</strong> l’eau, la préservation<strong>de</strong>s ressources en eau, la qualité <strong>de</strong> l’eau<strong>de</strong>stinée à la consommation et les sanctionsdues au non-respect <strong>de</strong> la loi.L’avenir <strong>de</strong> l’irrigation au Cameroun passepar l’aménagement et la gestion <strong>de</strong> petitspérimètres par <strong>de</strong>s groupements paysans,l’intégration avec d’autres secteurs tels quel’aquaculture et le petit élevage, l’intensification<strong>de</strong>s cultures irriguées, l’amélioration<strong>de</strong>s infrastructures <strong>de</strong> communication etl’accès au crédit. Il faudrait pour ce fairecréer une agence <strong>de</strong> régulation du secteur<strong>de</strong> l’eau pour un meilleur fonctionnementdu secteur en l’absence d’un cadre réglementairerigoureux. Et on aura ainsi du rizpour tous…Félix Meutchieye,Enseignant-Chercheur, Faculté d’Agronomie et <strong>de</strong>sSciences Agricoles, Université <strong>de</strong> Dschangfmeutchieye@univ-dschang.orgAvec l’aimable collaboration <strong>de</strong> :Richard Chin Wirnkar,Ingénieur Agronome, Directeur Général <strong>de</strong> UNVDAPaul Esenei,Ingénieur Agronome, Superviseur Régional Nord Ouest,Programme <strong>de</strong> Vulgarisation Agricole25