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Pour la Science - Direction des sciences du vivant - CEA

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Biologie végétaleFrançois ParcyDe nombreuses p<strong>la</strong>ntes ne fleurissent qu’après avoir étésoumises à une période de froid et quand le jour a une <strong>du</strong>réeadaptée. Les mécanismes <strong>du</strong> contrôle de <strong>la</strong> floraison sontdésormais élucidés à l’échelle molécu<strong>la</strong>ire.L ’ E S S E N T I E L4 <strong>Pour</strong> fleurir, <strong>la</strong> plupart<strong>des</strong> p<strong>la</strong>ntes ont besoind’une expositionde plusieurs semainesau froid et d’une longueurde jour adaptée.4 On dispose désormaisd’une <strong>des</strong>cription précise<strong>des</strong> mécanismesmolécu<strong>la</strong>ires qui fontfleurir les p<strong>la</strong>ntes.4 Le froid déclenche<strong>la</strong> synthèse de protéinesqui inhibent un gène cléau sommet de <strong>la</strong> tige.4 Dans les feuilles,<strong>la</strong> lumière active<strong>la</strong> synthèse <strong>du</strong> florigène,une protéine qui migredans <strong>la</strong> sève jusqu’aubouton floral.Chaque année, les mêmes p<strong>la</strong>ntesfleurissent à peu près au mêmemoment. Dans les pays tempérés,les crocus et les primevères s’épanouissenten février- m a r s, les champs de colza<strong>des</strong>sinent <strong>des</strong> damiers jaunes au printe m p s ; en été les coquelicots parsèmentles champs de taches rouges, et les colchiquesmarquent l’arrivée de l’automne.Si les p<strong>la</strong>ntes à fleurs accompagnent ainsiles saisons, c’est qu’elles sont adaptéesà leur env i r o n n e m e n t : chaque espècefleurit, donc se repro<strong>du</strong>it, lors de <strong>la</strong>période <strong>la</strong> plus favorable à <strong>la</strong> dispersion<strong>des</strong> graines, qui assureront <strong>la</strong> naissanced’une nouvelle génération.Cette adaptation sous-entend que lesp<strong>la</strong>ntes sont capables de capter <strong>des</strong>signaux de l’environnement spécifiquesd’une période de l’année. Ces s i g n a u xont été identifiés à partir <strong>des</strong> années 1920 :ce sont principalement <strong>la</strong> température et<strong>la</strong> <strong>du</strong>rée <strong>du</strong> jour. Mais les mécanismesmolécu<strong>la</strong>ires qui permettent à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nted’interpréter ces messages env i r o n n e-mentaux, et de fleurir ont été découve r t srécemment. Après avoir rappelé quelquesgénéralités sur <strong>la</strong> floraison,nous examineronsle rôle essentiel que jouent le froidet <strong>la</strong> longueur <strong>du</strong> jour sur l’apparition – o un o n – <strong>des</strong> fleurs.Les p<strong>la</strong>ntes à fleurs, ou angiospermes(<strong>du</strong> greca n g e i o n, capsule, s p e r m a, semence),représentent <strong>la</strong> majorité <strong>des</strong> espèces végétalessauvages et cultiv é e s, avec plus de2 6 0 000 espèces connues. Apparu au Ju r a s-sique supérieur, il y a 150 millions d’anné e s, ce groupe végétal doit son succèsé volutif à l’« i nve n t i o n » de <strong>la</strong> fleur.Fleurir au bon momentCet organe, constitué de feuilles modifiées,abrite et protège les organes repro<strong>du</strong>cteurs(les étamines, mâles, et les carpelles,femelles), attire les insectes pollinisateurs(par ses parfums, ses couleurs et sonnectar) et donne naissance à un fruit, structureadaptée à <strong>la</strong> survie et à <strong>la</strong> dispersion<strong>des</strong> graines qu’il contient. Grâce à leursfleurs et à leurs fruits, les angiospermesont colonisé tous les milieux, y comprisa q u a t i q u e s, en supp<strong>la</strong>ntant les p<strong>la</strong>ntes auxgraines non protégées et dépourvues def l e u r s, les gymnospermes (les conifèrespar exemple).2] Biologie végétale© <strong>Pour</strong> <strong>la</strong> <strong>Science</strong> - n° 381 - juillet 2009


© <strong>Pour</strong> <strong>la</strong> <strong>Science</strong> - n° 381 - Juillet 2009Biologie végétale [3


Cellule <strong>du</strong> méristèmedVERNALISATIONFLORAISONVRN1VIN3VRN2Hampe floraleGène FLC inactifTRANSITION FLORALEbeMéristème apicalc2A près une pério de végétati ve, <strong>des</strong> cel l u lessouches ( d ) <strong>du</strong> méristème apical ( e ) commencent à pro <strong>du</strong>ire <strong>des</strong> fleurs ; c’est <strong>la</strong> t ra n-s ition flora le. Tou tef oi s, cel le- ci ne peu ts’accomplir que si le gène FLC, inhibiteur<strong>des</strong> gènes de <strong>la</strong> flora i son, est à son tou rinhibé dans ces cellules. C’est ce que faitle froid pendant <strong>la</strong> phase dite de vernalisation.Le froid d é clen che <strong>la</strong> sy nth è sed’une protéine, VIN3, qui inhibe transitoirement l’epr ess ion de FLC. Deux au t r es protéines,VRN1 et VRN2, prolongent cet effet.P<strong>la</strong>ntuleGERMINATIONGène FLC actifaP<strong>la</strong>nt d’arabetteCelluleGraine1Da ns <strong>la</strong> gra i ne (a) de l’arabe tte <strong>des</strong> Da mes(Arabidopsis thaliana), le gène FLC (FloweringLocus C) est déjà actif. La protéine FLC correspondantebloque l’expression de gènes nécessai r es à <strong>la</strong> f lora i son. La p<strong>la</strong> ntu le ( b ) qui na î tde <strong>la</strong> germination, comme <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nte a<strong>du</strong>lte (c)sont de ce fait incapables de fleurir .4] Biologie végétale © <strong>Pour</strong> <strong>la</strong> <strong>Science</strong> - n° 381 - Juillet 2009


fGène FLC inactifADNFLORAISONHistoneCONFORMATION COMPACTEDE LA CHROMATINEGroupeméthyleADNgPAS DE FLORAISONGène FLC actifHistoneCONFORMATION LÂCHEDE LA CHROMATINELa floraison a lieu quand le gène FLC est inhibé.E l le ne peut se pro <strong>du</strong>ire si ce gène s’ex pr i meet que <strong>la</strong> pro t é i ne FLC est pr é sente. C’est l’arrangement de <strong>la</strong> ch romati ne, cons tituée pa rl ’en rou lement de l’ADN au tour de pro t é i nes,les histones, qui est le fac teur clé. Les pro t é i nesV IN3 et V R N sont responsables <strong>des</strong> cha ngementsde con f ormation de <strong>la</strong> ch romati ne. La pr em i è r e,pro<strong>du</strong>ite sous l’action <strong>du</strong> froid, se lie à <strong>la</strong> chromatine au niveau <strong>du</strong> gène FLC. Là, el le provoquel ’ add ition de groupes méthyle sur certa i nes histones( f ). Ce<strong>la</strong> inhibe tempora i r ement l’express ion <strong>du</strong> gène FLC. La p<strong>la</strong> nte peut alors fleu r i r.I nver sement, <strong>la</strong> con f ormation ou verte de <strong>la</strong> ch romatine (g) emp ê che l’inhibition de l’ex pr ess ion<strong>du</strong> gène FLC et, par suite, <strong>la</strong> floraison.3Toutefois, <strong>la</strong> stru c t u re florale est fragi l e . Un déclenchement de <strong>la</strong> floraison quiserait suivi d’une période trop froide out rop sèche compromettrait à coup sûrl a <strong>des</strong>cendance. La floraison doit doncse pro d u i re à un moment favorable del’année. C’est particulièrement vrai pourles p<strong>la</strong>ntes dites monocarpiques, qui nepro<strong>du</strong>isent <strong>des</strong> graines qu’une seule foisdans leur vie, bien qu’elles vivent parfoisplusieurs années. Par ailleurs, le cro i s e-ment entre indivi<strong>du</strong>s est facilité lorsque<strong>la</strong> floraison <strong>des</strong> p<strong>la</strong>ntes de <strong>la</strong> mêmeespèce est synchronisée, surtout pourles nombreuses p<strong>la</strong>ntes, dites allogames,qui ne peuvent s’autoféconder.Les mécanismes de <strong>la</strong> floraison ontété compris grâce à l’étude de p<strong>la</strong>ntesmodèles annuelles ou bisannuelles. Leurvie est caractérisée par deux phases.Durant <strong>la</strong> pre m i è re, <strong>la</strong> phase végétative,les parties aériennes pro<strong>du</strong>ites sont essentiellement<strong>des</strong> tiges et <strong>des</strong> feuilles. Ellessont engendrées par <strong>des</strong> cellulessouches rassemblées en une stru c t u re ,le méristème apical, le bourgeon parfoisvisible au bout <strong>des</strong> tiges, parfoiscaché, comme au cœur d’une sa<strong>la</strong>de.La phase végétative peut <strong>du</strong>rer dequelques jours à quelques mois. Puis ceméristème commence à pro d u i re <strong>des</strong>f l e u r s ; c’est <strong>la</strong> transition florale. La p<strong>la</strong>ntee n t re alors en phase re p ro d u c t i v e .E l l e mourra lorsqu’une grande partie <strong>des</strong>es fleurs auront donné <strong>des</strong> graines.L’exemple type de ces p<strong>la</strong>ntes modèles estl’arabette <strong>des</strong> Dames, Arabidopsis thali a n a (voir l’encadré page XX).En fonction <strong>des</strong> conditions de l’environnement,une même p<strong>la</strong>nte annuelle oubisannuelle peut fleurir au bout de quelquessemaines ou de plusieurs mois. Sur ce point,les p<strong>la</strong>ntes diff è rent fondamentalement de<strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> animaux, chez lesquels <strong>la</strong>maturité sexuelle n’est acquise qu’à un certainâge et est beaucoup moins influencéepar l’environnement. Toutefois, les p<strong>la</strong>ntesprésentent souvent, comme les animaux,une période juvénile pendant <strong>la</strong>quelle ellesne peuvent pas se re p ro d u i re, même si lesconditions sont favorables.Deux facteurs clés conditionnent ledéclenchement de <strong>la</strong> floraison. Le pre m i e rest l’exposition à une période prolongéede fro i d ; le deuxième est <strong>la</strong> <strong>du</strong>rée <strong>du</strong> jour,ou photopériode. Les comportementsvarient alors : certaines espèces fleurissentsans période de froid, tels l’endive, l’épina rd, le pois ou le blé de printemps ; le plussouvent, elles ont besoin à <strong>la</strong> fois d’uneexposition au froid puis d’une photopériodeadéquate (voir l’encadré page XX).L’importance de ces deux facteurs pour<strong>la</strong> re p ro<strong>du</strong>ction <strong>des</strong> p<strong>la</strong>ntes résulte de leurconstance d’une année sur l’autre, contrairementaux facteurs enviro n n e m e n t a u xsujets à <strong>des</strong> fluctuations, tels l’ensoleillementet <strong>la</strong> température ambiante.Comment le froid agit-il sur <strong>la</strong> flora i s o n ? Son importance dans les paystempérés a été mise en évidence sur le bléaux États-Unis à <strong>la</strong> fin <strong>du</strong> XIX e siècle, puispar l’Allemand Gustav Gassner peu avant1920. Par exemple, les blés d’hiver sontsemés à l’automne et ont besoin, pour fleurirau printemps, de passer <strong>la</strong> saison fro i d esous forme de p<strong>la</strong>ntules de quelques centi m è t res de haut . La récolte est souventabondante à condition que l’hiver nesoit pas trop rude, car les jeunes p<strong>la</strong>ntsgèleraient. Les blés de printemps, eux,sont semés à <strong>la</strong> fin de l’hiver : ils ne risquentpas de subir les gelées, mais ont <strong>des</strong>rendements inférieurs car leur période dec roissance est plus courte que celle <strong>des</strong>blés d’hiver.La mémoire de l’hiverEn URSS, à <strong>la</strong> fin <strong>des</strong> années 1920, un horti c u l t e u r, Trofim Lyssenko, affirma quel’humidité rendait <strong>la</strong> graine plus sensibleà l’action <strong>du</strong> froid et que <strong>des</strong> blésd’hiver pouvaient être semés au printemps,ce qui permettrait de ne pas exposerles jeunes p<strong>la</strong>ntules aux hiversr i g o u reu x. Le nom qu’il donna à ce traitementfut tra<strong>du</strong>it en français par vernalisation(<strong>du</strong> <strong>la</strong>tin v e r n a l i s : printanier).Mais, généralisé à l’ensemble <strong>du</strong> territoirerusse, ce traitement fut un échec. Enrevanche, l’effet positif <strong>du</strong> froid sur <strong>la</strong> floraisona été confirmé par <strong>des</strong> re c h e rc h e splus récentes. Il concerne par exemple lesp<strong>la</strong>ntes bisannuelles, telles <strong>la</strong> carotte et<strong>la</strong> betterave sucrière : elles germent etgrandissent <strong>la</strong> p re m i è re année, accumulent<strong>des</strong> réserves, passent l’hiver enfouiesdans le sol sous forme de tuberc u l e s ,re p rennent leur croissance et fleurissentau cours de leur second printemps, avantde pro d u i re <strong>des</strong> graines et de mourir.Outre son importance pratique pourl ’ a g r i c u l t u re, <strong>la</strong> vernalisation, enten<strong>du</strong>ea u j o u rd’hui comme l’effet <strong>du</strong> froid prolongésur <strong>la</strong> capacité à fleurir, intére s s eles scientifiques. Elle montre que les p<strong>la</strong>ntesont, apparemment, une « m é m o i re » de© <strong>Pour</strong> <strong>la</strong> <strong>Science</strong> - n° 381 - Juillet 2009Biologie végétale [5


BOUTONS FLORAUX d’arabette <strong>des</strong> Damesobservés au microscope électroniqueà ba<strong>la</strong>yage. Le méristème apical d’oùproviennent les fleurs est au centre. Chaquepetite « boule » est un bourgeon floral.L E M O D È L E A R A B E T T EL’arabette <strong>des</strong> Dames, Arabidopsis tha -l i a n a, est une petite mauvaise herbe de<strong>la</strong> famille <strong>du</strong> colza ou de <strong>la</strong> moutarde (brassicacées).Son génome (séquencé en 2001)est court, tout comme son cycle de vie(environ six semaines), si bien qu’elle estaujourd’hui <strong>la</strong> plus utilisée <strong>des</strong> p<strong>la</strong>ntes pourles recherches sur les végétaux ; en outre,elle pro<strong>du</strong>it <strong>des</strong> milliers de graines. Les biologistesmanipulent facilement son génome.Connaissant les perturbations provoquéespar les mutations, ils identifient les gènesmutés et en dé<strong>du</strong>isent leur fonction normale.Par exemple, ils isolent <strong>des</strong> mutants dont <strong>la</strong>floraison est précoce ou, au contraire, tardi v e, ou qui sont insensibles à <strong>la</strong> <strong>du</strong>rée <strong>du</strong>jour ou au froid hivernal.l ’ h i v e r. Durant les mois s’écou<strong>la</strong>nt entrele moment où <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nte est exposée au fro i det celui où elle fleurit, les cellules souches<strong>du</strong> méristème apical effectuent de multiplesdivisions. Les cellules qui pro d u i-sent les fleurs ne sont donc pas celles quiont connu le froid, mais les <strong>des</strong>cendantesde leurs <strong>des</strong>cendantes. En apparence, lestissus se souviennent de l’exposition aufroid que <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nte a subie dans le passé.Comment une p<strong>la</strong>nte peut-elle avoir de <strong>la</strong>m é m o i re ? C’est ce que <strong>des</strong> découvertesrécentes ont révélé.Les scientifiques ont exploité le fait qu’ilexiste <strong>des</strong> arabettes ayant besoin de vernalisation(celles <strong>du</strong> Nord de l’Europe) etd ’ a u t res qui fleurissent sans ce traitement(aux Îles <strong>du</strong> Cap Vert par exemple). En étudiantles diff é rences entre ces souches, leg roupe de Richard Amasino, de l’Université<strong>du</strong> Wisconsin, a mis en évidence le rôle<strong>du</strong> gène F L C (Flowering Locus C, Locus defloraison C). La protéine F L C se lie à l’A D Net bloque <strong>la</strong> transcription <strong>des</strong> gènes nécessa i res à <strong>la</strong> floraison. En revanche, le fro i dfait baisser <strong>la</strong> quantité de F L C dans les cellules.Ainsi, le froid, en inhibant l’inhibiteurF L C, stimule <strong>la</strong> floraison.À l’automne, lorsque <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nte n’apas encore été exposée aux température shivernales, <strong>la</strong> quantité de <strong>la</strong> protéine F L Cest importante, ce qui empêche <strong>la</strong> transitionflorale. Puis, au cours de l’hiver, lesbasses températures font décro î t re saconcentration, jusqu’au moment où <strong>la</strong>floraison est possible, c’est-à-dire au printemps.L’étude de dizaines de souchesd’arabette venant de multiples régions<strong>du</strong> globe montre que le besoin en vernalisationest toujours lié à l’abondance ouà l’activité de <strong>la</strong> protéine F L C : les arabettesqui fleurissent sans exposition au fro i den pro<strong>du</strong>isent peu de façon permanente,ou synthétisent une protéine F L C i n a c t i v eà cause de mutations présentes soit dansle gène F L C lui-même, soit dans un gèneactivateur de ce dernier, nommé F R I G I D A.Des mutantsamnésiquesÀ ce stade, on peut se demander commentle froid peut jouer sur <strong>la</strong> quantité d’unep rotéine. La question a été étudiée sur<strong>des</strong> mutants d’arabette qui ne fleurissentpas, même si on les soumet au fro i d : insensiblesà <strong>la</strong> vernalisation, ils continuent àp ro d u i re <strong>des</strong> feuilles alors que les p<strong>la</strong>ntesnon mutantes ont déjà fleuri. Les équipesde Caroline Dean, à Norwich, au Royaume-Uni, et de Richard Amasino ont découvertque les mutants insensibles se rangent dansdeux c<strong>la</strong>sses. Dans <strong>la</strong> pre m i è re, les bassest e m p é r a t u res ne font pas baisser <strong>la</strong> quantitéde <strong>la</strong> protéine F L C ; dans <strong>la</strong> seconde,elles ré<strong>du</strong>isent bien <strong>la</strong> quantité de pro t é i n ep ro<strong>du</strong>ite, mais de façon transitoire : <strong>la</strong> protéinereste peu abondante tant que lef roid est présent, puis sa concentration cro î tavec <strong>la</strong> température. Ces mutants sont enquelque sorte « a m n é s i q u e s » : ils oublientqu’ils ont eu froid dès qu’il refait chaud.Les chercheurs ont identifié les défautsm o l é c u l a i res <strong>des</strong> deux types de mutants.Chez les mutants de <strong>la</strong> pre m i è re c<strong>la</strong>sse, unfacteur nommé V I N3 (Vernalization Insensitive3) est en cause. Normalement, V I N3agit en empêchant l’expression <strong>du</strong>g è n e F L C, autrement dit <strong>la</strong> synthèse de <strong>la</strong>p rotéine F L C. Or ce facteur présente <strong>la</strong> particu<strong>la</strong>ritéd’être synthétisé sous l’effet <strong>du</strong>f roid, ce qui provoque <strong>la</strong> baisse de <strong>la</strong> quantitéde F L C et, par suite, <strong>la</strong> floraison. Maisce<strong>la</strong> se pro<strong>du</strong>it seulement si l’expositionau froid est assez longue, soit plusieurssemaines, un temps nécessaire pour quele facteur V I N3 s’accumule. Ce mécanismeévite à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nte de fleurir « hors saison »,par exemple en septembre après seulementune semaine de froid inhabituel.Ainsi, le froid n’agit pas directementsur <strong>la</strong> quantité de <strong>la</strong> protéine F L C, maisi n d i rectement, v i a <strong>la</strong> synthèse de <strong>la</strong> protéineV I N3. Comment ? On l’ignore encore .Chez les animaux, le froid agit parfois enmodifiant <strong>la</strong> conformation spatiale <strong>des</strong>molécules d’ARN ou <strong>des</strong> protéines, ou enmodifiant <strong>la</strong> fluidité <strong>des</strong> membranes cellu l a i res . Mais rien de tel n’a encore étédécrit chez les p<strong>la</strong>ntes.Chez les mutants « a m n é s i q u e s » de<strong>la</strong> deuxième c<strong>la</strong>sse, c’est l’anomalie de protéinesnommées V R N1 et V R N2 q u idéclenche <strong>la</strong> synthèse de <strong>la</strong> protéine F L C,et donc qui inhibe <strong>la</strong> floraison. L’ a c t i o nde <strong>la</strong> protéine V I N3 et <strong>des</strong> pro t é i n e s V R Ni l l u s t re comment l’expression <strong>des</strong> gènespeut varier indépendamment d’une actiond i recte sur leur transcription, par un mécanismeépigénétique (où l’expression <strong>des</strong>gènes est soumise à l’influence de l’environnement)qui agit sur l’enveloppe del ’A D N, <strong>la</strong> chromatine. Dans le noyau <strong>des</strong>cellules, l’A D N s ’ e n roule autour de protéines,les histones, formant une longuef i b re compactée et repliée sur elle-même,<strong>la</strong> chromatine. Or les protéines V I N3 et V R Nmodifient <strong>la</strong> compaction et l’ouverture de6] Biologie végétale © <strong>Pour</strong> <strong>la</strong> <strong>Science</strong> - n° 381 - Juillet 2009


particulier d’une longue nuit, qui ne re p r é-sente qu’un faible apport énerg é t i q u e ,s u ffit pour changer le comportement de<strong>la</strong> p<strong>la</strong>nte : par exemple, il empêche <strong>la</strong> floraisonchez une p<strong>la</strong>nte de jour court.Une fois de plus, c’est avec l’arabette<strong>des</strong> Dames et <strong>la</strong> méthode génétique quel’on a percé le mystère. A r a b i d o p s i s n ’ e s tpourtant pas un modèle idéal. C’est unep<strong>la</strong>nte de jours longs facultative : elle fleuritplus vite quand les jours sont longs (parexemple 16 heures de lumière ) : enviro nq u a t re semaines au lieu de huit ; mais ellen’a pas un besoin absolu de jours longs(elle peut fleurir quand les jours sontcourts). Or certains mutants d’arabette,dont le mutant constans (C O), ne perçoiventpas <strong>la</strong> photopériode et fleurissent avecre t a rd, même si les jours sont longs. Le gènec o n s t a n s, altéré chez le mutant C O, a étéidentifié, ce qui a permis d’analyser <strong>la</strong>répartition dans l’espace et dans le tempsde <strong>la</strong> quantité d’A R N messager et de <strong>la</strong> protéinecorre s p o n d a n t s .L’ARN et <strong>la</strong> protéine CO sont présentsdans les cellules de <strong>la</strong> feuille. Puisque lesmutants c o n s t a n s fleurissent tard i v e m e n t ,on peut en dé<strong>du</strong>ire que <strong>la</strong> protéine C Ostimule <strong>la</strong> floraison. Effectivement, <strong>des</strong>p<strong>la</strong>ntes où l’on provoque par génie génétiqueune forte synthèse de cette moléculefleurissent très vite. L’équipe de Georg eCoup<strong>la</strong>nd, de l’Institut Max P<strong>la</strong>nck deCologne, s’est donc penchée sur son moded’action. Elle a découvert deux pro p r i é t é sinatten<strong>du</strong>es. Tout d’abord, <strong>la</strong> quantité del ’A R N messager codant <strong>la</strong> protéine C O s u i tun rythme circ a d i e n : elle est élevée <strong>la</strong> nuit,baisse le matin et remonte en fin d’aprèsmidi.Ces oscil<strong>la</strong>tions sont quasiment lesmêmes que les jours soient courts ou longs.Elles se poursuivent pendant quelquesjours même dans l’obscurité totale : ellesne dépendent donc pas de <strong>la</strong> lumière, maisde l’horloge interne de <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nte.L’origine de<strong>la</strong> floraison : <strong>la</strong> feuilleÀ cette variation de concentration d’A R Nmessagers de C O, se superpose une régu<strong>la</strong>tionde <strong>la</strong> protéine C O elle-même par <strong>la</strong>l u m i è re. En effet, alors que certainesp rotéines restent stables <strong>du</strong>rant <strong>des</strong> heure sv o i re <strong>des</strong> jours dans les cellules, d’autre ssont dégradées (découpées puis re c y c l é e s )en quelques secon<strong>des</strong> par un complexeenzymatique, le protéasome. Or G. C o u-p<strong>la</strong>nd et ses collègues ont découvert que<strong>la</strong> protéine C O est stabilisée par <strong>la</strong> lumièreet dégradée par l’obscurité.Ainsi, <strong>du</strong>rant les pério<strong>des</strong> de jourscourts, l’A R N messager de C O n’est jamaisp ro<strong>du</strong>it en présence de lumière, ce quiempêche l’accumu<strong>la</strong>tion de <strong>la</strong> pro t é i n e ,et <strong>la</strong> floraison. Au contraire, quand les jourss’allongent, il existe un moment, en find’après-midi, où <strong>la</strong> quantité d’A R N m e s-sagers est suffisante et où <strong>la</strong> protéine C Op ro<strong>du</strong>ite est stabilisée par <strong>la</strong> lumière. Ellepeut alors s’accumuler et activer <strong>la</strong> floraison(voir l’encadré ci-<strong>des</strong>sous).C’est donc <strong>la</strong> coïncidence entre <strong>la</strong> synthèsede l’A R N messager de <strong>la</strong> protéine C Oet <strong>la</strong> stabilité de cette dernière qui expliquel ’ e ffet de <strong>la</strong> photopériode sur <strong>la</strong> floraison.L a p rotéine C O était-elle le florigènere c h e rc h é ? Migrait-elle jusqu’à <strong>la</strong> pointede <strong>la</strong> tige ? Non. En effet, une autre protéine,F T (Flowering locus T), était aussiun florigène potentiel. Elle avait été identifiéeen 1999 conjointement par l’équipede Detlef Weigel, à l’Institut Salk de SanDiego, et celle de Takashi Araki, de l’Universitéde Kyoto, en tant que stimu<strong>la</strong>teurde <strong>la</strong> floraison. Une p<strong>la</strong>nte qui enest privée fleurit tardivement. Si auL E R O L E D E L A P H O T O P É R I O D EMéristème apica<strong>la</strong>efProtéine FDConcentrationde l’ARN messagerde <strong>la</strong> protéine COProtéine CObTigeMigration de<strong>la</strong> protéine FTcGèneFTProtéine FTdTube criblé8] Biologie végétale © <strong>Pour</strong> <strong>la</strong> <strong>Science</strong> - n° 381 - Juillet 2009


4 BIBLIOGRAPHIEF. Parcy, La floraison,Biologie végétale : croissanceet développement,sous <strong>la</strong> direction deJ.F. Morot-Gaudry et R. Prat, vol. 2,chap. 6, pp. 157-181,Dunod, 2009.S.D. Michaels, Flowering timeregu<strong>la</strong>tion pro<strong>du</strong>ces much fruit,Curr. Opin. P<strong>la</strong>nt Biol., vol. 12,pp. 75-80, 2009.A. Giakountis et G. Coup<strong>la</strong>nd,Phloem transport of floweringsignals, Curr. Opin. P<strong>la</strong>nt Biol.,vol. 11, pp. 687-694, 2008.J.A.D. Zeevaart, Leaf-pro<strong>du</strong>cedfloral signals, Curr. Opin. P<strong>la</strong>ntBiol., vol. 11, pp. 541–547, 2008.Y. Kobayashi et D. Weigel, Move onup, it’s time for change, Genes &Dev., vol. 21, pp. 2371-2384, 2007.http://genesdev.cshlp.org/content/21/19/2371.full4 SITES WEBL. Taiz et E. Zeiger, A Companion toP<strong>la</strong>nt Physiologyhttp://4e.p<strong>la</strong>ntphys.net/index.phpLa <strong>du</strong>rée <strong>du</strong> jour influe sur <strong>la</strong> floraison.Diverses protéines sont impliquées, dontles principales sont <strong>la</strong> protéine Constans (CO,en marron), <strong>la</strong> protéine FT (en rouge)et <strong>la</strong> protéine FD (en vert).La quantité de l’ARN messagerde <strong>la</strong> protéine CO dans les cellules <strong>des</strong>feuilles évolue en fonction <strong>du</strong> rythmecircadien : l’ARN est synthétisé <strong>du</strong>rant <strong>la</strong> nuitet en fin d’après-midi, mais pas dans le restede <strong>la</strong> journée (courbe a).Plus il y a d’ARN messager, plus <strong>la</strong> protéinecorrespondante, CO, est synthétisée.Toutefois, cette protéine est stableà <strong>la</strong> lumière, alors qu’elle est dégradée dansl’obscurité. En fin d’après-midi (b),<strong>la</strong> quantité de protéines CO stables devientsuffisante pour activer le gène FT, qui code<strong>la</strong> protéine FT (c). La protéine passe alors,par de petits canaux présents dans les paroiscellu<strong>la</strong>ires, dans les tubes criblés<strong>du</strong> phloème (d), qui véhiculent <strong>la</strong> sève.Elle est alors transportée dans<strong>la</strong> tige jusqu'aux cellules <strong>du</strong> méristèmeapical (e). Là, elle se lie à une autre protéine,nommée FD (f). Ensemble, ces deuxprotéines activent une série de gènes codant<strong>des</strong> protéines qui construisent le boutonfloral, d'où sortira <strong>la</strong> fleur.c o n t r a i re, on lui fait pro d u i re par transgenèseune grande quantité de cette protéine,elle fleurit quasi instantanémentaprès <strong>la</strong> germination en ne pro d u i s a n tqu’une ou deux feuilles ! La protéine F Test un puissant in<strong>du</strong>cteur de <strong>la</strong> floraison.D ’ a u t res re c h e rch es ont montré que<strong>la</strong> protéine C O stimule <strong>la</strong> synthèse de <strong>la</strong>p rotéine F T dans <strong>la</strong> feuille, en pro v o q u a n t<strong>la</strong> transcription <strong>du</strong> gène correspondant. Lagrande diff é rence entre les deux molécules,c’est que <strong>la</strong> pre m i è re ne provoque <strong>la</strong> floraisonque si elle est pro<strong>du</strong>ite dans <strong>la</strong> feuille.Même si l’on force sa synthèse dans <strong>la</strong>pointe de <strong>la</strong> tige, <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nte ne fleurit pas.Au contraire, <strong>la</strong> seconde, F T, déclenche <strong>la</strong>floraison lorsqu’on active son expre s s i o ndans <strong>la</strong> feuille aussi bien que dans le méristèmeapical de <strong>la</strong> tige.Le florigène :un rôle universel ?Des deux molécules, <strong>la</strong> protéine F T s e m-b<strong>la</strong>it donc <strong>la</strong> meilleure candidate au titrede florigène. Restait à identifier <strong>la</strong> naturede <strong>la</strong> substance qui voyage dans <strong>la</strong> sève :est-ce l’A R N messager codant F T, <strong>la</strong> protéineelle-même, ou une autre molécule ?Des chercheurs avaient observé, encoup<strong>la</strong>nt <strong>la</strong> protéine F T à une pro t é i n ef l u o rescente, qu’elle se dép<strong>la</strong>ce dans <strong>la</strong>sève. En 2007, l’équipe de Markus Schmid,de l’Institut Max P<strong>la</strong>nck de Tübingenm o n t re que si l’on inhibe cette migrationen attachant <strong>la</strong> protéine F T à uneg rosse protéine, on l’empêche d’agirdepuis <strong>la</strong> feuille, mais pas depuis le méristème.Et dès que l’on fournit à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nteune enzyme qui détache F T de cette gro s s ep rotéine, elle agit de nouveau depuis <strong>la</strong>feuille. C’était <strong>la</strong> preuve que le florigèneest bien <strong>la</strong> protéine F T.On a ensuite décrypté son mode d’action: une fois arrivée dans <strong>la</strong> pointe de <strong>la</strong>tige, elle s’associe à un facteur de transcription(nommé FD, flowering locus D) etdéclenche ainsi l’expression de <strong>la</strong> cascade<strong>des</strong> gènes et <strong>des</strong> protéines qui vontbâtir le bouton floral d’où surgira <strong>la</strong> fleur.D’après les re c h e rches menées jusqu’àprésent, le rôle de <strong>la</strong> protéine F T s e m b l euniversel chez les p<strong>la</strong>ntes à fleurs : parexemple, celle <strong>du</strong> tabac fait fleurir <strong>la</strong>tomate, celle de l’arabette fait fleurir lep e u p l i e r. Ses effets sur <strong>la</strong> floraison <strong>du</strong> peupliersont doublement spectacu<strong>la</strong>ire s .Un arbre a normalement une phase juvénile,qui <strong>du</strong>re 10 à 15 ans : bien que lesconditions soient favorables chaque annéeau printemps, il croît sans jamais fleurir.Après cette phase sans fleurs, <strong>la</strong> floraisonse pro<strong>du</strong>it chaque année. Or si l’onaugmente par transgenèse <strong>la</strong> quantité dep rotéine F T dans <strong>des</strong> p<strong>la</strong>ntules de peupliers,<strong>la</strong> floraison se pro<strong>du</strong>it au bout de4 à 5 semaines ! C’est ce qu’a montrée n 2006 le groupe d’Ove Nilsson, de l’Universitéd’Umea, en Suède. De quoi accélérerl’étude de l’amélioration <strong>des</strong> arbrespar croisements entre variétés, peu avancéeen raison <strong>du</strong> temps très long qui séparedeux générations. Qui plus est, il n’est pasn é c e s s a i re d’avoir recours à <strong>la</strong> transgenè s e : pour provoquer <strong>la</strong> floraison, ildevrait suffire de greffer une branche quipro<strong>du</strong>it de gran<strong>des</strong> quantités de protéineFT, si l’on extrapole les résultats obtenusavec l’arabette <strong>des</strong> Dames et <strong>la</strong> tomate.La deuxième surprise est venue quand<strong>des</strong> arbres transgéniques synthétisantbeaucoup de protéine FT ont été cultivésen jours courts. Dans ces conditions, unarbre normal se comporte comme à l’auto m n e : il perd ses feuilles et arrête de grandi r, et <strong>des</strong> écailles protectrices se formentautour <strong>des</strong> bourgeons. Les arbres transgéniquessurpro<strong>du</strong>isant F T ont continué àp o u s s e r, insensibles au changement de <strong>la</strong>photopériode. Cette expérience montre que<strong>la</strong> diminution de <strong>la</strong> quantité de florigènejoue un rôle à l’automne quand les bourgeonsentrent en dormance .<strong>Pour</strong>tant, le florigène n’a pas encorelivré tous ses secrets. Des étu<strong>des</strong> indiquentque le saccharose ou certaines hormonesvégétales sont d’autres facteurs mobilescapables de déclencher <strong>la</strong> floraison. Ilsjouent sans doute un rôle complémentairede celui de <strong>la</strong> protéine F T. Quoi qu’il ensoit, les découvertes récentes sur <strong>la</strong> biologiede <strong>la</strong> floraison sont ainsi allées audelà<strong>des</strong> espérances. Leurs applicationspotentielles sont nombreuses. Par exemple,en maîtrisant <strong>la</strong> floraison, on pourraité t e n d re les territoires de culture pour faireface à <strong>la</strong> demande grandissante. Il faudraitpour ce<strong>la</strong> que les mécanismes découvertschez les p<strong>la</strong>ntes modèles soient généralisablesaux diff é rentes espèces cultivées.Les pre m i è res étu<strong>des</strong> semblent montre rque c’est effectivement le cas, l’évolutionétant souvent plus prompte à ajuster <strong>des</strong>mécanismes existants qu’à en inventerde nouveaux.© <strong>Pour</strong> <strong>la</strong> <strong>Science</strong> - n° 381 - Juillet 2009 Biologie végétale [9

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