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De l'urgence à la reconstruction : passer par H.A.I.T.I. - Evenium

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<strong>De</strong> l’urgence à <strong>la</strong> <strong>reconstruction</strong> :<strong>passer</strong> <strong>par</strong> H.A.I.T.I.Pierre DuquesneAmbassadeur chargé des questions économiquesde <strong>reconstruction</strong> et de développementLe séisme qui a frappé Haïti le 12 janvieret <strong>la</strong> crise qui l’accompagne ont conduitaux mêmes interrogations qu’à l’accoutuméesur l’ampleur et <strong>la</strong> qualité de l’aided’urgence, le rôle respectif des organisationsnon gouvernementales (ONG) et des États,<strong>la</strong> capacité des autorités du pays frappé, <strong>la</strong>coordination entre les bailleurs, <strong>la</strong> réalité despromesses faites… Mais cette catastrophenaturelle, contrairement à d’autres, a aussipermis d’engager une véritable réflexion stratégiquesur le développement d’Haïti : dèsle 13 janvier, les commentateurs relevaientque les conséquences du séisme ne tenaientpas tant à sa magnitude qu’aux faiblessesinstitutionnelles de l’État haïtien et qu’il nes’agissait pas seulement de reconstruire (desbâtiments et des logements, à l’identique)mais de construire (des institutions et uneéconomie). Cette prise de conscience d’unecertaine temporalité n’a malheureusement pasempêché que, six mois après le séisme, l’ensembledes commentateurs ait considéré que<strong>la</strong> <strong>reconstruction</strong> était au point mort…Le cas haïtien a subsidiairement permis detester <strong>la</strong> capacité de réponse de <strong>la</strong> France, encoordination avec les autres acteurs, à undrame touchant certes un pays théoriquementproche, mais que l’opinion publique de notrepays connaissait finalement mal et où aucunde nos chefs d’État ne s’était rendu depuis l’indépendanceen 1804… avant <strong>la</strong> visite du présidentde <strong>la</strong> République le 17 février dernier.Selon le mot d’un géographe français d’originehaïtienne (Jean-Marie Théodat), « avec ceséisme, <strong>la</strong> France a renoué avec une <strong>par</strong>tie deson histoire ». Les Français se sont mobilisésau-delà des gestes compassionnels. À l’initiativede Bernard Kouchner, l’État a créé unemission interministérielle pour <strong>la</strong> <strong>reconstruction</strong>d’Haïti (MIRH), qui a permis de mobiliseret de coordonner l’ensemble des acteursfrançais et d’insérer au mieux notre pays dansle dispositif international.En <strong>par</strong>tant du cas d’Haïti – mais sur <strong>la</strong> based’expériences antérieures –, on conviendra quele passage de l’urgence à <strong>la</strong> <strong>reconstruction</strong> (quidoit caractériser une bonne gestion de crise)


<strong>De</strong> l’urgence à <strong>la</strong> <strong>reconstruction</strong> : <strong>passer</strong> <strong>par</strong> H.A.I.T.I.exige de fixer des objectifs, de savoir aider lepays concerné, d’impliquer tous les acteurs, depenser <strong>la</strong> (re)construction autrement, de créerles structures adéquates. H comme hiérarchisation,A comme assistance, I comme inclusivité,T comme territoires, I comme institutions, c’estle chemin d’HAITI.Hiérarchisation stratégiqueFace aux besoins urgents (le séisme haïtien afait au moins 250 000 morts, 300 000 blessés et700 000 dép<strong>la</strong>cés), <strong>la</strong> tentation est naturellementde vouloir tout faire tout de suite. Or <strong>la</strong> hiérarchisationdes priorités est indispensable. Elle aconduit notre pays à indiquer dès le dé<strong>par</strong>t et àfaire valider dès <strong>la</strong> première conférence internationale(Montréal, 25 janvier 2010) que leplus important n’était pas nécessairementl’évaluation des besoins (Post Disaster NeedsAssessment – PDNA), mais <strong>la</strong> définition <strong>par</strong>les autorités haïtiennes, en lien avec <strong>la</strong> communautéinternationale, d’une stratégie de développement,même im<strong>par</strong>faite. Cet objectif a étéatteint dans un <strong>la</strong>ps de temps assez bref avec <strong>la</strong>présentation à <strong>la</strong> Conférence des donateurs deNew York (31 mars 2010), dont <strong>la</strong> France a étécoprésidente avec les principaux bailleurs, d’unP<strong>la</strong>n d’action pour le relèvement et le développementnational (PARDN).La hiérarchisation doit d’abord conduire àtraiter les problèmes de manière ordonnée dans letemps. Même si le passage de <strong>la</strong> première urgenceà l’aide humanitaire, puis à <strong>la</strong> <strong>reconstruction</strong>,enfin au développement, se fait dans unecertaine continuité, le traitement des problèmesd’urgence ne peut s’opérer sans une vision demoyen-long terme, que l’on peut résumer ainsi :« Avant de reconstruire, il faut savoir où le faireet comment. » Le PARDN distingue ainsi, assezopportunément, trois périodes.D’abord une période d’urgence, de six mois,qui implique de commencer à traiter l’énormemasse de déchets, de prendre des mesures sanitaires,d’organiser le retour des enfants dansles écoles, de re<strong>la</strong>ncer <strong>la</strong> production agricole etd’identifier les premiers sites de relogement.Au terme de cette période, même si tout estloin d’être fait, force est de constater que lesprévisions pessimistes des premières semainesne se sont pas avérées, même si deux élémentsavaient peut-être été oubliés, mais se sont révéléscruciaux. D’une <strong>par</strong>t, <strong>la</strong> nécessité de maintenir<strong>la</strong> sécurité quotidienne. Le rôle de <strong>la</strong> Missiondes Nations unies pour <strong>la</strong> stabilisation en Haïti(MINUSTAH), renforcée <strong>par</strong> des contingentsde divers pays, dont le nôtre, a été essentiel 1 .D’autre <strong>par</strong>t, <strong>la</strong> résilience du peuple haïtien etsa capacité à se prendre en main : le fait que lesHaïtiens eux-mêmes aient <strong>par</strong>ticipé aux opérationsde sauvetage ou aient organisé <strong>la</strong> vie dansles camps de dép<strong>la</strong>cés ne traduit pas un échecde <strong>la</strong> communauté internationale, mais uneforce du pays. Mais cette patience ne saurait êtreéternelle.Ensuite, une période d’imp<strong>la</strong>ntation (sic), dedix-huit mois, puis une autre de concrétisationde <strong>la</strong> <strong>reconstruction</strong>, de dix ans. À <strong>la</strong> conférencede Montréal, <strong>la</strong> communauté internationales’est engagée pour une durée minimale d’unedécennie : ce<strong>la</strong> peut <strong>par</strong>aître <strong>la</strong>rgement théorique,mais c’est <strong>la</strong> première fois qu’un tel engagementest pris, qui sera naturellement testé.Par grands domaines, le PARDN insistesur les « refondations territoriales, économique,sociale et institutionnelle ». Les autoritéshaïtiennes ont progressivement affiné1. Qu’il suffise simplement de rappeler que les problèmes de sécuritéà court terme ont été quelque peu négligés en Afghanistan en2001-2002.


D I P L O M A T I E D E L A C R I S Eleur réf lexion grâce au dialogue engagé avec<strong>la</strong> communauté internationale : d’abord, surle terrain, mais aussi à <strong>la</strong> faveur de diversesrencontres internationales, celles avec lesacteurs non gouvernementaux décrites plus basou avec les hauts fonctionnaires pré<strong>par</strong>ant <strong>la</strong>conférence ministérielle de New York. Elles ontsu infléchir leur discours, en mettant l’accentmoins sur les infrastructures routières que surl’ensemble des réseaux, également portuaireset aéroportuaires, et, plus encore, sur l’éducationet le développement du secteur privé. Lesdonateurs ont, plus que les autorités haïtiennes,souligné <strong>la</strong> nécessité du reboisement, l’accèsaux services sociaux – Bernard Kouchner aobtenu que s’engage une réflexion sur <strong>la</strong> miseen p<strong>la</strong>ce d’un système d’assurance-ma<strong>la</strong>die –,<strong>la</strong> bonne gouvernance ou encore <strong>la</strong> politiqueuniversitaire.Ces exemples montrent qu’il aurait été vainde limiter <strong>la</strong> réflexion à <strong>la</strong> simple <strong>reconstruction</strong>antisismique des bâtiments sans essayer detraiter les problèmes d’Haïti à <strong>la</strong> source et surle long terme.Assistance effectiveLe travail minutieux des équipes du PDNAa conduit à une estimation des pertes de7,9 milliards de dol<strong>la</strong>rs, soit 120 % du PIB(record malheureux pour une catastrophenaturelle) se décomposant en 4,3 milliardsde dol<strong>la</strong>rs de destructions physiques strictosensu (dont <strong>la</strong> moitié pour les logements) et3,6 milliards de dol<strong>la</strong>rs de pertes économiquesassociées (diminution de production, d’emplois,de sa<strong>la</strong>ires…). Les besoins du pays surlongue période ont été estimés à 11,5 milliardsde dol<strong>la</strong>rs (<strong>la</strong> moitié pour les secteurs sociaux)et à 3,9 milliards de dol<strong>la</strong>rs à deux ans : c’estcette somme que les Haïtiens venaient chercherà <strong>la</strong> Conférence de New York. Les promessesde dons ont été supérieures : 5,3 milliardsde dol<strong>la</strong>rs sur deux ans (et une dizaine demilliards à moyen terme). L’Union européenneet ses États membres constituent le premierdonateur (1,6 milliard de dol<strong>la</strong>rs).Cette comptabilisation est toujours contestableet contestée, les donateurs étant a priorisuspectés de ne pas respecter leurs annonces.Pour <strong>la</strong> première fois s’agissant d’Haïti, cespromesses ont été supérieures aux demandes.Pour <strong>la</strong> première fois, surtout, et pour quelquepays que ce soit, un système de suivi despromesses de dons supervisé <strong>par</strong> les Nationsunies a été mis en p<strong>la</strong>ce sur Internet. Il nesaurait remp<strong>la</strong>cer un suivi politique, non seulementd’ailleurs des engagements des donateurs,mais également de ceux du pays récipiendaire.L’expérience française de <strong>la</strong> Conférence internationaledes donateurs pour l’État palestinien(Paris, décembre 2007), qui s’est traduite enprès de trois ans <strong>par</strong> plus d’aide transférée quepromise et plus de réformes accomplies qu’annoncées,montre que ce<strong>la</strong> est possible.Par ailleurs, l’aide purement financière desdonateurs publics ne résume pas le soutienapporté à un pays non seulement en catastrophehumanitaire, mais en quête d’État.Même si elle a été moins élevée que pour letsunami, l’aide de <strong>la</strong> société civile et des acteursnon gouvernementaux français a atteint entre80 et 100 millions de dol<strong>la</strong>rs, les sommes équivalentesétant beaucoup plus conséquentes auCanada et aux États-Unis. Surtout, <strong>la</strong> constructiond’un véritable État exige, au-delà de l’aidefinancière, de l’assistance technique, de l’expertise,ou encore de <strong>la</strong> formation qui ontégalement été promises <strong>par</strong> les bailleurs.Pour ce qui <strong>la</strong> concerne, <strong>la</strong> Fra nce aannoncé, <strong>par</strong> <strong>la</strong> voix du président de <strong>la</strong>République, un effort budgétaire total de


<strong>De</strong> l’urgence à <strong>la</strong> <strong>reconstruction</strong> : <strong>passer</strong> <strong>par</strong> H.A.I.T.I.326 millions d’euros (dont notre <strong>par</strong>t dans lebudget communautaire) sur deux ans. En susd’une aide au budget haïtien de 20 millionsd’euros <strong>par</strong> an (5 millions d’euros ayant étéversés en avril et le solde de <strong>la</strong> tranche 2010le sera avant <strong>la</strong> fin septembre), de certainsprojets de <strong>reconstruction</strong>, dont celui, emblématique,de l’hôpital universitaire d’État dePort-au-Prince, notre aide multiforme portenotamment sur l’aide à <strong>la</strong> mise au pointd’un cadastre 2 , <strong>la</strong> fourniture de véhicules deprotection civile, <strong>la</strong> formation des étudiantset des fonctionnaires (en évitant l’exode descerveaux), <strong>la</strong> mise à disposition d’assistantstechniques dans les ministères haïtiens.En dépit de l’émotion créée <strong>par</strong> le séisme,cette mobilisation n’aurait pas été possible sans<strong>la</strong> constitution dans les divers pays et institutionsd’équipes dédiées (en France, <strong>la</strong> MIRH)bouscu<strong>la</strong>nt quelque peu les habitudes et lestraditions. La pérennisation de ces efforts surune longue période dans un contexte budgétairedifficile pour l’aide publique au développementne pourra s’opérer qu’avec une fortevolonté politique des donateurs, elle-même<strong>la</strong>rgement tributaire de <strong>la</strong> détermination desautorités haïtiennes.Inclusivité réelleSi l’action décisive de quelques dizaines dedirigeants est nécessaire pour reconstruire etdévelopper un pays, il est aujourd’hui indispensabled’associer une <strong>la</strong>rge palette d’acteursnon gouvernementaux à l’exercice de programmationet de mise en œuvre.2. Il n’y en a pas en Haïti, alors que ce dispositif est indispensablenon seulement pour envisager <strong>la</strong> <strong>reconstruction</strong>, mais aussi poursécuriser les investissements privés, lever des ressources, redistribuer<strong>la</strong> richesse.Lors de l’organisation <strong>par</strong> <strong>la</strong> France de <strong>la</strong>Conférence internationale de soutien à l’Afghanistan(juin 2008), une journée pré<strong>par</strong>atoireavait été aménagée avec <strong>la</strong> société civile, pourl’essentiel des ONG travail<strong>la</strong>nt en Afghanistan.À l’initiative de <strong>la</strong> France, l’exercice a été systématisépour pré<strong>par</strong>er <strong>la</strong> conférence de NewYork. Nous avons proposé aux États-Unis etaux Nations unies, qui <strong>par</strong>rainaient l’exercice(et aux autorités haïtiennes, initialement réticentes,comme l’avaient été leurs homologuesafghanes), d’entendre, lors de quatre réunionspré<strong>par</strong>atoires, les entreprises haïtiennes etétrangères (rassemblées à Port-au-Prince le15 mars sous l’égide de <strong>la</strong> Banque interaméricainede développement), les diasporas (àWashington, sous l’égide de l’Organisation desÉtats américains, les 22 et 23 mars), les collectivitéslocales haïtiennes et internationales (àFort-de-France, le 23 mars) et enfin les ONGdu pays ou travail<strong>la</strong>nt dans le pays (à NewYork, le 25 mars).Toutes ces rencont res ont ra ssembléplusieurs centaines de personnes, dont, commesouhaité, fort peu de représentants étatiques,et ont fait l’objet de travaux pré<strong>par</strong>atoiresintenses : les maires haïtiens ont produit undocument stratégique, les ONG européennesse sont réunies à Bruxelles pour faire entendreune voix spécifique. En outre, les Nations uniesont organisé une enquête de terrain consistantà interroger près de 1 800 personnes dansle cadre de plus de 150 groupes. <strong>De</strong> toutes cesréunions pré<strong>par</strong>atoires et de ce travail d’enquête,il a été fait rapport à New York <strong>par</strong> desreprésentants haïtiens et étrangers. Mêmesi une certaine frustration s’est fait sentir,c’est <strong>la</strong> toute première fois qu’une conférenceintergouvernementale de donateurs est ainsiprécédée de discussions avec un tel nombred’acteurs non gouvernementaux. Ces échanges


D I P L O M A T I E D E L A C R I S Epermettent des apports à <strong>la</strong> stratégie de développement,des rencontres entre acteurs dumême type en dehors de <strong>la</strong> coordinationtoujours un peu heurtée sur le terrain, unemeilleure efficacité de l’aide, voire <strong>la</strong> mise encommun de certaines ressources.<strong>De</strong>rrière de naturelles différences de vues,des convergences ont émergé de ces exercices,qui pouvaient rejoindre les préoccupationsdes bailleurs et mettaient l’accent, sansdoute plus que ne le faisait initialement le p<strong>la</strong>nhaïtien, sur les concepts de décentralisation etde déconcentration politiques, de décentralisationéconomique, sur le rôle de l’agriculture ou<strong>la</strong> nécessité d’une plus grande trans<strong>par</strong>ence etd’une meilleure gouvernance, pour ne pas direlutte contre <strong>la</strong> corruption. Bien entendu, tousces acteurs ont souhaité que l’exercice ne soitpas sans lendemain et pouvoir <strong>par</strong>ticiper étroitementà <strong>la</strong> <strong>reconstruction</strong> elle-même.Le reproche a pu être fait de ne pas avoirindividualisé <strong>la</strong> <strong>par</strong>ticipation des femmeshaïtiennes à l’exercice. L’observation est légitime.Celles-ci ont été plus durement touchéesque les hommes <strong>par</strong> le séisme lui-même (à16 h 53, le 12 janvier, elles étaient nombreusesà <strong>la</strong> maison à pré<strong>par</strong>er le dîner), portent <strong>la</strong>charge des dép<strong>la</strong>cements de popu<strong>la</strong>tion ou duretard de reprise des écoles. D’une manièregénérale, <strong>la</strong> résilience du peuple haïtien estcelle des femmes haïtiennes. Si l’aide d’urgencedans des catastrophes de ce genre doit bien sûrse concevoir prioritairement pour les femmes,<strong>la</strong> <strong>reconstruction</strong> ne peut se faire qu’avec elleset le développement pour l’essentiel <strong>par</strong> elles.Cette association des acteurs non gouvernementauxa également été réalisée en Francemême. Pour <strong>la</strong> première fois, les ONG ont étérégulièrement réunies au-delà de <strong>la</strong> gestionopérationnelle de <strong>la</strong> période de crise. <strong>De</strong>srencontres ont été organisées pour remodelerl’aide française et pré<strong>par</strong>er les échéancesinternationales avec les ONG, les entrepriseset les collectivités locales. Mieux encore, lesacteurs non gouvernementaux ont été réunisà l’initiative de <strong>la</strong> MIRH. Ces réunions ontnon seulement nourri <strong>la</strong> réf lexion administrativeet politique, mais également permisde présenter ici ou là une « offre française »(<strong>par</strong> exemple, dans les secteurs de l’eau et del’assainissement).Quel que soit le futur d’Haïti, ou les autrescatastrophes survenant dans d’autres pays, ilsera impossible à l’avenir de ne pas continuerà impliquer, de manière structurée, les acteursnon gouvernementaux.Territoires diversifiésDans ce pays concave qu’est Haïti, l’histoirepolitique et sociale est étroitement liée à <strong>la</strong>géographie. Dès le lendemain du séisme, ilétait c<strong>la</strong>ir qu’était condamnée <strong>la</strong> « républiquede Port-au-Prince », c’est-à-dire l’extrêmeconcentration des pouvoirs, des richesses, desactivités économiques et des élites en un seullieu, regroupant ainsi le tiers de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tionhaïtienne. Il était c<strong>la</strong>ir aussi qu’il fal<strong>la</strong>it réintégrerle « pays en dehors 3 », c’est-à-dire les exclusdu développement. Cette bonne volonté esttoujours affichée <strong>par</strong> les autorités haïtiennes etrésumée <strong>par</strong> l’objectif de décentralisation. Cettetâche ardue peut s’appuyer sur l’exode urbainconstaté vers toutes les régions du pays. Si lesréfugiés peuvent avoir une tendance naturelle àrevenir vers leur lieu de dé<strong>par</strong>t, ce dép<strong>la</strong>cementde popu<strong>la</strong>tion sans précédent (plus de 4 millionsà l’échelle de <strong>la</strong> France…) est malheureusementune opportunité d’aménagement politique etéconomique du territoire.3. Sous-titre de l’ouvrage de G. Barthélémy, L’univers rural haïtien.


<strong>De</strong> l’urgence à <strong>la</strong> <strong>reconstruction</strong> : <strong>passer</strong> <strong>par</strong> H.A.I.T.I.Mais celle-ci pose de lourdes questionsstructurelles : s’agit-il de développer les villesproches de Port-au-Prince (Jacmel, Léogâne),elles-mêmes touchées à des degrés divers, ou lesautres grandes villes (Cap-Haïtien, Gonaïves)qui n’ont pas été frappées ou enfin tenter defixer dans les zones rurales (P<strong>la</strong>teau central)une <strong>par</strong>tie de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion ? Probablement unpeu des trois. P<strong>la</strong>cé devant ce choix, le gouvernementhaïtien a hésité entre le développementde six grands pôles ou de trois comme luisuggérait le secteur privé, s’appuyant sur desspécificités économiques pas toujours convenablementexploitées (tourisme, agriculture,petite industrie). Une idée s’est imposée : il n’ya aucune raison justifiant qu’Haïti ne puissepas connaître un développement économiquecom<strong>par</strong>able à celui de <strong>la</strong> République dominicaine,sa voisine, dont le degré de développementétait com<strong>par</strong>able il y a cinquante ans.La France a poussé à (re)découvrir le rôledes collectivités locales sans lequel il ne sauraity avoir de véritable développement, en Haïtiplus encore qu’ailleurs. L’idée a germé, maissans malheureusement prospérer, d’affecterune <strong>par</strong>tie de l’aide internationale aux collectivitéslocales. La coopération décentraliséeentre collectivités locales des pays donateurset leurs homologues d’un pays récipiendaireest également un facteur de développementdurable, même si les moyens financiers de cescollectivités ne sont pas toujours à <strong>la</strong> mesure deleurs ambitions.Le « pays en dehors » est enfin, dans le casd’Haïti, <strong>la</strong> diaspora – 4 millions d’Haïtiensdans une vingtaine de pays, dont les transfertsannuels représentent 20 à 25 % du PIB –, quine demande qu’à aider son pays d’origine, pourpeu que soit mis fin à l’interdiction de <strong>la</strong> doublenationalité et que soit garanti le cadre juridiquedes affaires.Le séisme du 12 janvier a donc révélé, jusqu’à<strong>la</strong> caricature, l’impossibilité d’un développementéconomique autocentré. La catastrophehumanitaire a mis au jour <strong>la</strong> crise d’un modèleéconomique et politique.Institutions solidesSi les économistes du développement ne sont pastotalement d’accord sur <strong>la</strong> forme que doiventprendre les institutions d’un pays en sortie decrise, nul ne doute plus aujourd’hui du rôle del’État et de <strong>la</strong> nécessité de coordonner institutionnellementl’aide des bailleurs.Le séisme qui a frappé Haïti a touché unpays qui commençait à connaître quelquessuccès, y compris en matière de gestion desfinances publiques, et a condamné un modèleà <strong>la</strong> fois extrêmement centralisé et fort peuétatique. La première priorité institutionnelleen Haïti est donc de recréer, voire de créer del’État. Les principales fonctions régaliennessont à développer.Avec 11 % du PIB, <strong>la</strong> collecte fiscale avantle 12 janvier était déjà l’une des plus faibles dumonde. La direction générale des impôts a étédécapitée <strong>par</strong> le tremblement de terre, mais <strong>la</strong>chute des recettes a été moins dramatique qu’attendue.Dans le nouveau programme qu’il aconclu avec Haïti, le FMI met à juste titre l’accentsur <strong>la</strong> nécessité d’augmenter les ressourcesinternes, mais à un niveau qui reste limité :13 % du PIB en 2013. Or l’augmentation desrecettes fiscales est toujours un test important :elle témoigne de <strong>la</strong> détermination politiquedu gouvernement, elle réduit <strong>la</strong> dépendance àl’égard de l’aide extérieure, elle est nécessairementsource de redistribution et de réductiondes inégalités, elle oblige, enfin, à mettre aupoint des mécanismes trans<strong>par</strong>ents de gestiondes finances publiques. Il est significatif, même


D I P L O M A T I E D E L A C R I S Esi ce<strong>la</strong> peut <strong>par</strong>aître étrange, que le principalengagement pris <strong>par</strong> les entreprises privéeshaïtiennes à New York ait été celui de payerleurs impôts… Un autre domaine stratégique est<strong>la</strong> consolidation de <strong>la</strong> « chaîne pénale » (police,justice, prisons), qui repose donc <strong>la</strong>rgement surles Nations unies.Le défi <strong>la</strong>ncé à Haïti est enfin de créer del’État en dehors de Port-au-Prince : pas dedécentralisation sans déconcentration, et pasde déconcentration sans formation de fonctionnairesterritoriaux. L’assistance techniquede tous les bailleurs est indispensable : elle estmoins visible que les centaines de millions dedol<strong>la</strong>rs dépensées, mais plus porteuse de développementà long terme. Elle ne saurait se substituerà <strong>la</strong> constitution d’une administrationsolide et elle doit être tout autant coordonnée,sinon plus, que l’aide financière.Comme le reconnaissent les autoritéshaïtiennes, le sous-développement du paysa <strong>la</strong>rgement des causes politiques : longuespériodes de dictature ou d’impéritie despouvoirs publics. On peut sans nul doute faireun lien entre le développement économique desannées précédant le séisme et le fonctionnementplus normal des institutions politiques. 2010devait voir se dérouler successivement les électionslégis<strong>la</strong>tives au printemps et les présidentiellesà l’automne. Les premières ont finalementété regroupées avec les secondes et devraientnormalement avoir lieu fin novembre. Lespré<strong>par</strong>er n’est pas une tâche facile : celle-ci s’effectueavec l’aide des Nations unies. La questiontraditionnelle s’est posée de savoir s’il convenaitde les décaler, compte tenu de l’état du pays.Les organiser quand même <strong>par</strong>aît indispensablesi l’on veut conforter l’idée que c’est auxHaïtiens eux-mêmes de décider de leur développement,de faire prendre des décisions <strong>par</strong>foisdifficiles <strong>par</strong> des autorités légitimes, d’éviter lestraditionnelles divisions de ce pays. Sortir decrise et se développer passe aussi <strong>par</strong> le respectde règles démocratiques chèrement acquises.La question institutionnelle se pose aussi auxbailleurs, pour ce qui concerne l’architecture del’aide. Les échanges de <strong>la</strong> communauté internationaledès le lendemain du séisme ont malheureusementporté plus sur ces sujets que sur lesobjectifs de développement d’Haïti. La Francea veillé à ce que le débat porte d’abord sur lesfins et non sur les moyens. Il n’empêche que cessujets sont importants.En qui concerne <strong>la</strong> coordination des donateurs,l’idée s’est vite imposée de créer un fondsfiduciaire multibailleurs (désormais appeléFonds pour <strong>la</strong> <strong>reconstruction</strong> d’Haïti – FRH),mais une controverse assez longue, et à dire vraiassez vaine, a opposé les tenants du modèle créépour l’Afghanistan – sous l’égide de <strong>la</strong> seuleBanque mondiale – à celui de <strong>la</strong> solution retenuepour l’Irak – avec deux « fenêtres » : l’une gérée<strong>par</strong> <strong>la</strong> Banque mondiale, l’autre <strong>par</strong> les Nationsunies. Le « modèle afghan » a finalement étéretenu, certes grâce au soutien des États-Unis,mais surtout <strong>par</strong>ce que les Nations unies onttoujours quelques difficultés à revendiquer <strong>la</strong>coordination de l’aide internationale quandelles n’arrivent pas à faire <strong>par</strong>ler d’une seule voixou agir en harmonie ses multiples agences ouinstitutions spécialisées… Une question pluscentrale a été posée à l’initiative de <strong>la</strong> France : leFRH devait-il servir de réceptacle uniquement àde l’aide-projet ou également à de l’aide budgétaire? La seconde solution l’a heureusementemportée, qui permet à des bailleurs, traditionnellementréticents à l’égard de l’aide budgétaire,d’y procéder avec toutes les garanties debonne gestion financière offertes <strong>par</strong> <strong>la</strong> Banquemondiale. La question des frais de gestion duFRH pour l’aide-projets demeure, en revanche,en débat.


<strong>De</strong> l’urgence à <strong>la</strong> <strong>reconstruction</strong> : <strong>passer</strong> <strong>par</strong> H.A.I.T.I.La coordination du côté du pays récipiendairede l’aide est également un enjeumajeur. Cette fonction peut être théoriquementassurée <strong>par</strong> le Premier ministre (quandil y en a un), le ministre des Finances ou celuide <strong>la</strong> P<strong>la</strong>nification/Coopération. Dans le cas<strong>par</strong>ticulier d’Haïti, une analogie a été faite(pas totalement pertinente) avec le dispositifretenu <strong>par</strong> l’Indonésie après le tsunami : <strong>la</strong>création d’une agence de développement estap<strong>par</strong>ue indispensable pour forcer <strong>la</strong> nécessairecoordination haïtienne. Mais comme ilétait difficile d’envisager sa création ex nihilo,une solution transitoire originale a été retenue,<strong>la</strong> Commission intérimaire pour <strong>la</strong> <strong>reconstruction</strong>d’Haïti (CIRH), organe hybride quiexerce à <strong>la</strong> fois des fonctions de type « conseild’administration » (26 membres votants, à<strong>par</strong>ité haïtiens et étrangers) et des fonctionsexécutives (instructions et décisions sur lesprojets). Cette commission coprésidée <strong>par</strong> lePremier ministre haïtien et l’ancien présidentaméricain Clinton doit céder <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce à unevéritable agence de développement purementhaïtienne à l’automne 2011. Le modèle auraitpu ap<strong>par</strong>aître comme une mise sous tutelleinternationale d’Haïti. Pour le moment, sesavantages l’emportent sur cet inconvénient :son existence force <strong>la</strong> coordination de chacun(du côté haïtien sont représentés non seulementl’exécutif, mais aussi le légis<strong>la</strong>tif, le judiciaire,le secteur privé et les ONG), elle rassureles contribuables (notamment américains), ellemaintient <strong>la</strong> dynamique de <strong>reconstruction</strong>. Leprincipal écueil à éviter sera que cette commission,ou demain <strong>la</strong> future agence, ne constitueune administration trop puissante, voire uncontre-gouvernement. Si cet écueil est évité,cette solution pourrait faire école.Une salutaire prise de conscienceLe cas d’Haïti illustre jusqu’à <strong>la</strong> caricatureles défail<strong>la</strong>nces endogènes conduisant à<strong>la</strong> persistance du sous-développement : indécisionpolitique, inégalités extrêmes, inefficacitéadministrative, centralisation économique etpolitique, absence d’intégrité financière, indifférenceinternationale… À <strong>par</strong>t l’ouverturecommerciale forcenée pour les produits agricoles(sujet majeur néanmoins), il est difficiled’imputer à <strong>la</strong> communauté internationale lesdifficultés de <strong>la</strong> situation haïtienne avant leséisme, ce qu’au demeurant les autorités du paysreconnaissent bien volontiers. D’ailleurs, lespremiers progrès étaient constatés avant le tremblementde terre, du fait des politiques menéesdepuis 2004.Le séisme aura permis une formidable prisede conscience. L’ampleur de <strong>la</strong> crise, pas seulementhumanitaire, qu’il a provoquée a ému lesopinions publiques occidentales et poussé leursdirigeants à agir. Les élites haïtiennes qui, pour <strong>la</strong>première fois, ont été durement touchées <strong>par</strong> unecatastrophe naturelle ont pris conscience de leursresponsabilités. Dès le dé<strong>par</strong>t, chacun a convenuque ce drame pouvait constituer une opportunité.L’absence de crise alimentaire et sanitaire nesuffit pas naturellement à calmer les impatienceslégitimes de ceux qui vivent encore dans desabris de fortune. Mais le <strong>par</strong>i collectif fait lors desmultiples rencontres internationales demeure : nepas se contenter d’un simple « replâtrage », maisdévelopper durablement le pays.Haïti constituera un cas d’école. La réussite aubout du chemin d’HAITI exige que ni <strong>la</strong> communautéinternationale, ni les Haïtiens eux-mêmesne retombent dans les ornières habituelles. Nulne peut le garantir, mais chacun s’est donné lesmoyens pour que <strong>la</strong> réussite et l’exemp<strong>la</strong>ritésoient le résultat de <strong>la</strong> mobilisation de tous.

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