ÉVÉNEMENT17Quatre salles, 800 m 2 au totaldans le Musée d’Aquitaine,forment le socle d’une volontéferme de la Ville de regarderen face son passé. Pour l’équipe duMusée d’Aquitaine, cette approche nepouvait être simplement mémorielle. Lavisite en 2008 de l’International SlaveryMuseum à Liverpool consacré à l’esclavageet ses répercussions avait fortementmarqué les consciences de l’équipe municipalepartie à la rencontre de l’expériencede sa ville jumelle. Il fallait penser un espacequi fasse le lien entre passé, présent etavenir.Histoire et mémoire« Nous avons aussi tenu compte des critiques deshistoriens sur le manque de rigueur historiquede ce lieu qui privilégiait l’approche mémorielle,explique François Hubert, commissairede l’exposition avec Christian Block, etdirecteur du Musée d’Aquitaine. Il a doncfallu réfléchir à la construction du discours historique.Nous avons évité une approche internationaletrop générale. Ici nous parlons du casparticulier de <strong>Bordeaux</strong>, tout en le replaçant dansles perspectives de l’époque. » « C’est une tragédiehumaine qui fait partie de notre histoire »,explique de son côté Christian Block,spécialiste du XVIII e siècle au Musée d’Aquitaine.De fait, l’objectif poursuivi dans lamise au point de cet espace est bien deconfronter aux faits les préjugés et lesreprésentations fausses qui aboutissentà des prises de position radicales.« L’histoire du métissage et de la diversité est“C’EST UNE TRAGÉDIE HUMAINE QUIFAIT PARTIE DE NOTRE HISTOIRE.”CHRISTIAN BLOCK, COMMISSAIRE DE L’EXPOSITION, AVEC FRANÇOIS HUBERTaussi née de là. Cette ouverture était d’autantplus nécessaire sous le poids de l’actualité. C’estnotre histoire collective, et nous voulons un lieude connaissance commune » ajoute ChristianBlock. Le souci évident de pédagogie aconstitué une ligne directrice majeure carles salles accueilleront les scolaires.Sources et démarcheCette approche historique doit permettreégalement de retranscrire toute l’horreuret la violence de cette histoire. « Il est en effetdifficile d’évoquer l’esclavage dont on a peu detraces directes », explique François Hubert.Une partie de l’exposition repose sur lefonds déposé au Musée d’Aquitaine : lacollection Chatillon, riche de 600 gravureset estampes, léguée au Musée en 1999.Marcel Chatillon, ancien médecin etchirurgien en poste en Guyane etGuadeloupe, a en effet, acquis une grandediversité d’œuvres, qui furent réalisées duXVI e au XX e siècle. Si cette collection, quiavait déjà fait l’objet d’une première expositionen 1999 « Regards sur les Antilles »,a été l’occasion de retracer la relation privilégiéede <strong>Bordeaux</strong> avec les Antilles, certainsont émis des réserves sur le fait qu’elledonnait une vision édulcorée des réalitésde l’esclavage. « Les gravures du XVIII e siècle,certains objets très précieux évoquant l’esclavageexpriment difficilement la violence intrinsèque »,explique François Payet, muséographe etscénographe de l’exposition. C’est ce queChristian Block appelle « une violence endentelle ». Dans cette perspective, lescommissaires de l’exposition ont défini– avec l’aide d’historiens et d’ouvrages –le propos intellectuel, comment et avecquoi l’illustrer, puis le scénographe et lagraphiste ont pris le relais pour la mise enforme et mise en scène d’objets. En outre,cette collection a été remarquablementcomplétée par des cartes, maquettes,témoignages et objets qui ont permisd’aborder le sujet dans sa globalité. Pourl’espace dédié au commerce atlantique età l’esclavage, un soin tout particulier a étéporté à la gamme chromatique et à lasignalétique. « Ce travail prolonge les espaceset les conclut, explique Caroline Pauchant,graphiste. C’est la partie didactique, la signalétiquedoit renforcer les thématiques et enrichirle propos quand des documents sont partiels.Nous travaillons à partir de données historiquesque nous devons rendre facilement accessiblesvisuellement. »Photographe depuis une quinzained’années, Philippe Caumes a collaboréavec Loïc le Loët, à la création d’un« mur de la diversité », une sélectionphotographique (voir en couverture)présentée dans une des nouvellessalles du Musée d’Aquitaine.www.philippecaumes.fr<strong>Bordeaux</strong> magazine / 364 / mai <strong>2009</strong>
18ÉVÉNEMENTVisite guidée des sallesPour construire l’espace dans la durée, lesscénographes ont travaillé à mettre aupoint une sobriété concrète.Intitulée « <strong>Bordeaux</strong> au XVIII e siècle : lecommerce atlantique et l’esclavage », l’expositionaborde deux questions à la foisliées et pourtant bien distinctes. « La traiteet l’esclavage sont des faits historiques qui s’alimententmutuellement. Pourtant, aussi liéssoient-ils, ce sont deux phénomènes distincts,occupant des durées, des lieux et des histoiresdifférentes », analyse l’historien ÉricSaugera 1 . L’esclavage était plurimillénaire,et il lui survécut plusieurs dizainesd’années dans les colonies. De fait, lessalles explorent, par leur nombre (4), leurarticulation et leur thématique, les tenantset les aboutissants de ces questions.Salle 1 : La fierté d’une villede pierreConsacrée à la ville de <strong>Bordeaux</strong> auXVIII e siècle, la première salle reconstituele contexte local en mettant en exergueson statut de ville grandiose à l’architecturemonumentale. « L’utilisation d’un rougefoncé et d’un brun dans cette salle évoque lecontexte historique du XVIII e siècle et sert d’écrin àla mise en scène des façades », commenteFrançois Payet. Au centre, une grandemaquette en arc de cercle reprend les voûteset les pilastres de la place de la Bourse.« Autour de là, nous avons décliné plusieurs thèmes,explique François Hubert. Cette grandemétropole contrôle un arrière-pays très riche,dont les denrées sont acheminées par la Garonne.Nous évoquons aussi la vie sociale et culturelledu XVIII e siècle, les dynasties parlementaires etmarchandes, mais aussi l’explosion démographiqueet les réseaux commerciaux avec d’autrespays européens, tels que l’Angleterre et laHollande. »Le choix du XVIII e siècle s’explique quant àlui par la fréquence du commerce triangulaire.À partir de 1729, les voyagesdeviennent plus réguliers et la traite bordelaiseatteint sa vitesse de croisièreentre 1782 et 1792 avec 207 expéditions.Salle 2 : <strong>Bordeaux</strong> porte océaneCette richesse de <strong>Bordeaux</strong> et de sonarrière-pays est lourde de conséquence :<strong>Bordeaux</strong> occupe la seconde place dansle trafic négrier (11,4 %), loin derrièreNantes (41,3 %) 2 . Au total, environ 500navires bordelais ont déporté environ150 000 Noirs d’Afrique occidentale versles Antilles. Si <strong>Bordeaux</strong> a vécu du systèmeesclavagiste, il n’en demeure pasmoins qu’il ne représentait que 5 % del’activité portuaire. Les 95 % restantsvenaient du commerce en droiture, commele démontre cette 2 e salle. « <strong>Bordeaux</strong>privilégie le commerce direct avec les Antilles,écrit l’historienne Danielle Pétrissans-Cavaillès, elle amène aux îles (Guadeloupe,Martinique, St-Domingue…) vin et produitsruraux en échange de produits coloniaux café,cacao, tabac, épices, bois tropicaux et surtout lesucre, responsable, par son exigence en maind’œuvre,de l’appel progressif à l’esclavage africain…» 3 . Les objets exposés expliquentce commerce, mais parlent aussi de larencontre avec l’autre et les rapports avecles Antilles. Traversée de très beaux objets(maquettes, cartes), la salle est plus sombre,de couleur chocolat, pour faire jaillirces pièces rares. Pourtant, d’autres objetssont là pour restituer la violence du commerceatlantique : chaînes d’esclaves,fusils, monnaie d’échange pour les esclaves(perles de Murano, cauris…), carnetde bord d’un navire négrier, plongent levisiteur dans la réalité historique. De bellesmaquettes de bateaux forment alorsun passage vers la 3 e salle, allégorie d’unetraversée de l’océan pour rejoindre lesAntilles.<strong>Bordeaux</strong> magazine / 364 / mai <strong>2009</strong>