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LE CONTRAT AU LIBAN EN 2001 PAR HERVE LECUYER Le ...

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<strong>LE</strong> <strong>CONTRAT</strong> <strong>AU</strong> <strong>LIBAN</strong> <strong>EN</strong> <strong>2001</strong><strong>PAR</strong><strong>HERVE</strong> <strong>LE</strong>CUYER ∗<strong>Le</strong> Contrat, au Liban, en <strong>2001</strong> : un sujet, un lieu, une date.<strong>Le</strong> sujet est le contrat. Un singulier pluriel. <strong>Le</strong> contrat, ce sont a priori tous lescontrats, de droit public comme de droit privé, unilatéraux comme synallagmatiques, à titregratuit comme onéreux, commutatif comme aléatoire. Un magma, que, par une abstractionpropre au Droit, le Code des obligations et des contrats ramasse en une définition unique,posée à l’article 165 : un accord de volontés qui tend à la création de rapports obligatoires.<strong>Le</strong> consentement est créateur (COC, art. 176 : « Tout contrat et, d’une façon plus générale,toute convention a pour âme et pour armature le consentement des parties »), la liberté unmoteur (COC, art. 166 : « <strong>Le</strong> droit des contrats est dominé par le principe de la libertécontractuelle » ).<strong>Le</strong> lieu, c’est le Liban. Terre de contraste, le Liban est donc nécessairement terre decontrat, contrat ici retenu comme instrument privilégié de mise en œuvre d’une politique :l’illustrent, bien sûr, les assises contractuelles de Solidère qui permirent à cette dernièred’entreprendre une très ambitieuse politique de rénovation du Centre ville ou encore latéléphonie mobile qui connaît aujourd’hui quelques péripéties purement contractuelles…<strong>Le</strong> droit des contrats, au Liban, est, pour l’essentiel figé dans le Code des obligations et descontrats, modifié, à diverses reprises, depuis 1932. Mais le COC n’agrège pas à lui, bien sûr,l’entier droit des contrats. Pour deux raisons au moins : tout d’abord, parce qu’il y a des loishors code qui posent des réglementations spéciales à certains contrats (on songe ici à la loin° 520/96, publiée au JO du 13 juin 1996 réglementant les contrats fiduciaires) ; ensuite,parce que la loi n’est pas le droit, et qu’il ne peut être fait l’économie des autres pièces dudroit écrit, ni de la jurisprudence ou encore des usages, usages auxquels il est si souventrenvoyé par la loi (usage secundum legem), notamment par la loi commerciale.Une date : <strong>2001</strong>. Nous sommes à un tournant. Changement de siècle, changementde millénaire, occasion rêvée pour dresser un bilan et tenter une prospective.Ce bilan, quelle en serait la tonalité ? Elle paraît très contrastée.La première impression, en contemplant le tableau contractuel, est une impression demouvement, de dynamisme, de vitalité. <strong>Le</strong> contrat se porte fort bien. Tous les jours ilconquiert de nouvelles terres, tous les jours il prend de nouveaux visages, de nouvellesphysionomies. <strong>Le</strong> phénomène contractuel est animé d’un dynamisme extraordinaire. Lavitalité du contrat est remarquable. Puis, prenant un peu de recul par rapport à la toile, onconstate en revanche que le cadre lui, est empreint d’un certain statisme, que le mouvementqui caractérise l’objet ne semble pas caractériser le droit, qu’à la vitalité du contrat semblerépondre la stabilité du droit des contrats.C’est cette double impression que nous souhaiterions éprouver, impression de vitalité,d’une part, de stabilité d’autre part. Nous allons donc osciller entre dynamise (I) et statisme(II).∗Agrégé des Facultés françaises de droit, Professeur à la Faculté de droit et des sciences politiques del’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Directeur du Centre d’études des droits du monde arabe, CEDROMA.1


I- <strong>Le</strong> dynamisme<strong>Le</strong> contrat au Liban est conquérant et s’épanouit là où on ne l’attend pasnécessairement. De longue date, il baigne le droit de la faillite, sous l’aspect du concordat,destinée à prévenir la faillite ou à clôturer cette dernière. Plus récente est la place occupéepar lui dans la résolution des litiges. Certes, l’arbitrage, et son assise nécessairementcontractuelle, en est une technique éprouvée, mais le Nouveau Code de procédure civileasseoit désormais nettement la place du contrat des les procédures étatiques. D’abord, parla promotion et la théorisation de la juridiction gracieuse ; ensuite par la faculté reconnue auxparties en litige de convenir de lier le juge par la dénomination ou le fondement juridiqueinvoqués par elles ou encore de lui demander de statuer en amiable compositeur.Demain, ce sera le contrat électronique qui sera consacré, à l’initiative de la BDL et quioffrira un nouveau support à cet instrument multi-usages.Mais le dynamisme du phénomène contractuel ne se résume pas aux percées que le contratréalise dans telle ou telle pièce de la législation. Il ne se manifeste d’ailleurs sans doute pasessentiellement ainsi.<strong>Le</strong> dynamisme s’apprécie en effet principalement au quotidien, dans les pratiques quitoujours créent, inventent de nouvelles figures contractuelles, sans nullement avoir besoind’un quelconque support voire d’une quelconque autorisation de la loi. La libertécontractuelle, ici tant magnifiée, s’exprime d’abord à travers ces créations spontanéesvenues d’en bas, non proposées voire imposées d’en haut. La liberté consacre le règne del’innommé. La vitalité s’apprécie d’abord dans le domaine de l’innommé. Mais elle peutaussi s’apprécier dans le domaine des contrats nommés, lorsque le législateur propose denouveaux modèles contractuels aux particuliers et aux praticiens.Dès lors, prendre la mesure du dynamisme du phénomène contractuel implique desonder ces deux domaines, et d’aller de l’innomé (A) au nommé (B).A. L’INNOMMÉAux termes de l’article 175 COC, « <strong>Le</strong>s contrats sont nommés ou innommés selonque la loi leur applique ou non un vocable et une configuration déterminés ».<strong>Le</strong>s contrats innommés sont donc les produits d’une pratique créatrice, produits de laliberté contractuelle auxquels la loi n’applique pas un vocable et une configurationdéterminés. Mais ce défaut de qualification légale ne caractérise par un défaut dereconnaissance légale. La loi consacre en effet, sinon encourage ces créations spontanéeset les fruits de ces créations ne sont pas abandonnés au non-droit. Ils demeurent soumis audroit commun des contrats et peuvent éventuellement se voir appliquer telle ou telle pièce durégime d’un contrat spécial, au prix d’un raisonnement par analogie (COC, art. 175 in fine).On imagine, a priori, un complet émiettement des pratiques, les parties, dans chaquecas concret, forgeant, selon leurs besoins propres, leur instrument contractuel. Pourtant, lapratique démontre une tendance, finalement fort naturelle, à la rationalisation, lanormalisation, la standardisation des contrats innommés.Ces deux mouvements sont constatables au Liban, mouvement d’épanouissement del’innommé, de normalisation de l’innommé.2


courant, destinées à prévenir toute difficulté que pourrait engendrer l’article 305 du Code decommerce dont la cohérence interne est loin d’être évidente 7 .2. La normalisation de l’innommé<strong>Le</strong> foisonnement de la pratique, son inventivité, sa créativité, pourraient se traduirepar un émiettement de la matière contractuelle, multiplication de contrats ad hoc, destinés àrépondre aux besoins précis de contractants précis, ne satisfaisant pas dès lors à d’autres.Bref, de la vitalité de l’innomé pourrait sortir un magma de pratiques contractuelles éparses.Et pourtant, au Liban comme ailleurs, on assiste quasi-naturellement à un processus denormalisation, de standardisation, de rationalisation des pratiques créatrices spontanées.Ces pratiques aboutissent à la création de contrats standards, contrats types 8 , à l’élaborationde modèles.Mais ce processus naturel de rationalisation s’accompagne aussi inéluctablement d’unetendance à la domination de l’une des parties au contrat sur l’autre, la partie forte, à l’originedu modèle, modèle autant contrat type que contrat d’adhésion 9 . <strong>Le</strong> risque est grand dès lorsque l’inégalité des parties se traduise par un déséquilibre contractuel jouant en faveur et audétriment de qui l’on sait. La standardisation de l’innommé appelle sans doute une réponseappropriée du droit des contrats. Cette réponse est-elle apportée par lui ? Nous le verronsultérieurement (V. infra, 2 e partie).Constatons pour le moment que l’extraordinaire vitalité du contrat au Liban est due engrande partie à l’inventivité de la pratique, qui multiplie les nouveaux modèles contractuels.Tout le mérite ne revient cependant pas à la pratique seule. <strong>Le</strong> législateur, lui aussi, forge denouveaux modèles qu’il propose aux praticiens. Mais pour le constater, il convient de passerde l’innommé au nommé.B. <strong>LE</strong> NOMMÉLa vitalité actuelle du contrat, au Liban, est aussi due aux initiatives du législateur quiconsacre de nouveaux contrats. Il demeure néanmoins à apprécier la manière dont sescréations sont reçues par la pratique, car celle-ci finalement a toujours le dernier mot et faitla fortune ou la désuétude d’une innovation légale. En un mot, le législateur propose, lapratique dispose.1. <strong>Le</strong> législateur proposeCes propositions du législateur peuvent en fait être classées en deux catégories. Lapremière comprend les contrats qui ont été forgés par la pratique et qui sont, finalementrecueillis par la loi. <strong>Le</strong> nommé succède alors à l’innommé. <strong>Le</strong> législateur recueille les fruitsde la pratique. Son intervention est, en quelque sort, provoquée.7 Pour une analyse critique de cette disposition, v. Ch. Fabia et P. Safa, Code de commerce annoté, tome 1,p. 640 et s.8 Sur la notion de contrat type, v. J. Léauté, « <strong>Le</strong>s contrats types », RTD civ. 1953, p. 429.9 A. RIEG, « Contrat type et contrat d’adhésion », Etudes de droit contemporain, Trav. et Recherches de l’Institutde Droit comparé de Paris, 1970, p. 105 ; F.X. TESTU, « <strong>Le</strong> juge et le contrat d’adhésion », JCP G, 1993, I,3673.4


La seconde catégorie regroupe, quant à elle, les hypothèses où des contrats sont forgés detoute pièce par le législateur, sans précédents issus de la pratique. <strong>Le</strong> nommé naît ex nihilo,il n’est plus le produit de l’innommé. L’intervention n’est plus provoquée, elle est spontanée.a. L’exemple le plus net d’intervention provoquée est peut-être celui du crédit-bail ouleasing. <strong>Le</strong> leasing, alors qu’il était innommé, était très fréquemment pratiqué au Liban,certaines sociétés affiliées à des groupes bancaires s’étant d’ailleurs de facto, spécialiséesdans cette matière. <strong>Le</strong> besoin d’une reconnaissance législative, d’une promotion du contrat,passant de l’innommé au nommé, et d’un encadrement de la pratique s’est néanmoins faitsentir, notamment afin que soit organisée une publicité efficace des contrats de leasing,destinée à informer les tiers de la consistance exacte de leur droit de gage. Il convenaitaussi de garantir le sérieux et la fiabilité de l’organisme de crédit-bail, donc de réserverl’activité à certaines institutions limitativement énumérées (sociétés spécialisées, filiales dessociétés étrangères spécialisées, établissements financiers régulièrement inscrits auprès dela BDL).Tels furent les principaux objets de la loi du 27 décembre 1999 accompagnée d’un arrêtéd’application du Gouverneur de la BDL du 2 mars 2000 10 .b. Quant à l’intervention spontanée, on songe naturellement à l’illustrer par la loi 520/96,publiée au JO du 13 juin 1996 réglementant les contrats fiduciaires 11 . L’intervention, à leursujet, était nécessairement spontanée. La pratique se serait, sans elle, heurtée à desobstacles insurmontables issues du droit du patrimoine lato sensu. Encore que l’on pouvaitsonger à certains succédanés, tel, par exemple, une convention de quasi-usufruit, mais avecl’inconvénient néanmoins que les biens auraient figuré dans le patrimoine du quasiusufruitier,donc à la merci de ses créanciers.<strong>Le</strong> législateur propose, la vitalité du nommé rejoint théoriquement la vitalité del’innomé pour garantir le dynamisme du contrat. Néanmoins, « Une fois promulguée, la loidoit échapper à ceux qui l’ont faite » 12 . Elle doit échapper à ceux qui l’ont faite. Plusradicalement, elle échappe à ceux qui l’ont faite. <strong>Le</strong> législateur propose, mais la pratiquedispose.2. La pratique disposeL’épreuve de vitalité des contrats nommés passe nécessairement par l’analyse de cequ’en fait la pratique. Celle-ci peut faire la fortune de certains, la ruine d’autres, ou encorecompléter voire gauchir, déformer, les propositions du législateur.Sans doute la pratique continuera-t-elle à garantir le succès du leasing, formulesemble-t-il toujours appréciée, après comme avant 1999.En revanche, le destin des contrats fiduciaires n’est pas encore assuré, ceux-ci n’ayant pasréussi à s’imposer dans les habitudes.Il est plus remarquable de constater que le nommé, même quand il naît de l’innommé, estaussi très vite dépassé par les pratiques qui, à partir du contrat nommé, débordent cedernier et promeuvent de nouvelles figures encore innommées : le législateur consacre leleasing en 1999 et la pratique promeut aujourd’hui le lease back.Il est aussi remarquable de constater combien la pratique fait emploi des contratsnommés à des fins non prévues par le législateur, inimaginables ( ?) par lui. Faut-il parler10 I. NAJJAR, Chroniques préc., p. 399.11 Sur laquelle, v. I . NAJJAR, « <strong>Le</strong>s contrats fiduciaires en droit libanais », Bull. Joly Bourse, 1999, p. 338 ;Actes du colloque de Beit Méry des 14 et 15 nov. 1997, publiés par la Banque du Liban.12 J. CARBONNIER, Essais sur les lois, p. 21.5


des bons usages faits en pratique de la vente à réméré 13 , réglementée dans le COC auxarticles 473 à 486, ou encore des emplois divers et multiples du mandat irrévocable 14 , voiredu simple mandat utilisés dans des montages finalement destinés à servir les intérêts dumandataire ? La Cour de cassation est parfois obligée de réagir 15 .Mais, c’est peut-être aujourd’hui l’exemple de l’assurance-vie qui mérite d’être mis enexergue. <strong>Le</strong> contrat est connu de la loi, et réglementé par le COC, aux articles 994 et s. Onsait aussi que, pour diverses raisons, l’assurance-vie n’était pas le placement privilégié deslibanais. Depuis quelques mois, se multiplient pourtant les signes d’une prochaine explosionde ce produit et les compagnies rivalisent d’intelligence pour proposer des modèles decontrat fort divers et adaptés aux besoins de chacun.L’article 1002 du COC dispose seulement que « les sommes assurées peuvent êtrestipulées payables :En cas de vie de l’assuré, à une date déterminéeLors du décès de l’assuréSoit en cas de vie de l’assuré à une époque déterminée, soit à son décès arrivé avant cetteépoque ».A partir de là, la pratique forge des types de contrat fort sophistiqués. Citons les contrats decapital différé contre assuré. Aux termes de ces contrats, en contrepartie d’une ou plusieursprimes, la compagnie d’assurance s’engage à verser au terme contractuel un capital, aumoins égal aux primes versées majorées d’un intérêt minimum et, éventuellement d’uneparticipation aux bénéfices. De plus, pour éviter que la compagnie soit dispensée de toutversement en cas de décès prématuré, existe une contre-assurance, aux termes de laquellela compagnie s’engage, en cas de décès de l’assuré avant terme, à payer la provisionmathématique aux bénéficiaires désignés par le souscripteur.En conséquence, quelle que soit la date du décès, la compagnie ne versera que l’épargneconstituée sur le contrat. Fleurissent aussi des « vies universelles », des « vies entières » oudes « assurances mixtes ».L’imagination des compagnies est quasiment sans limite. La plante innommée croît ànouveau d’une manière fulgurante sur le terreau du nommé.<strong>Le</strong> nommé et l’innommé, l’un et l’autre étroitement liés, imbriqués même, assurentaujourd’hui le dynamisme remarquable du contrat. Mais la matière contractuelle, nous lesavons, est pleine de paradoxes. Elle ne se caractérise pas en effet seulement par lemouvement, le dynamisme. Ces adjectifs, qui caractérisent parfaitement le phénomènecontractuel libanais, jurent en revanche quand on les accole au droit des contrats. C’est ici lastabilité qui semble prévaloir.Après le dynamisme, le statisme.II-<strong>Le</strong> statismeLa législation contemporaine relative aux baux d’habitation mise à part, législationfoisonnante depuis une vingtaine d’année, et qui montre combien la notion de provisoire, endroit, est relative, le droit libanais des contrats semble comme figé, insensible aux débats qui13 T. Beyrouth, 5 e Ch. Civ., 26 oct. 1995, al-Adl, 1996, p. 193.14 V. par ex. T. Mont-Liban, 5 janv. 1995, al-Adl, 1995, p. 362, Chron. préc., p. 319.15 Cass. 1 re ch. 30 déc. 1997, M. Elias c. N. Obeid, M et L. Karam, POEJ 2000, n° spéc., p. 36, noteR.J. SELWAN.6


animent de nombreux pays (notamment les pays occidentaux) et qui se sont traduits par uneévolution profonde des droits des contrats internes, dans leur contenu, certes, mais peut-êtreplus encore dans leur esprit.<strong>Le</strong> regard ne peut être a priori négatif sur cette stabilité du droit libanais des contrats, surtoutlorsqu’on vient d’un pays où l’instabilité législative est tous les jours déplorée en doctrine,engendre maints effets pervers et pour tout dire, déstabilise le droit en son entier.Pas de changement pour le changement, donc. Il est alors impératif de se prononcer, toutd’abord, sur le point de savoir si le statisme du droit libanais des contrats, qualificatif qu’ilconviendra d’ailleurs peut-être de nuancer, est néfaste, de se prononcer sur le besoin duchangement (A). S’il fallait répondre par l’affirmative, il conviendrait alors de déterminer quipourrait ou devrait être à l’origine de ce changement, c’est-à-dire les acteurs du changement(B).A. <strong>LE</strong> BESOIN DE CHANGEM<strong>EN</strong>TA notre époque encore, une large part de la production et du commerce au Libanconserve un caractère artisanal et familial. <strong>Le</strong>s relations contractuelles que ce cadreengendre sont dès lors personnalisées, et souvent le fruit d’une négociation permettant auxparties d’en établir les éléments essentiels. Ces relations peuvent, certes, revêtir uncaractère inégalitaire, mais cette inégalité n’est pas institutionnalisée, structurelle.Dans ce domaine, le COC, tel qu’il est aujourd’hui interprété et appliqué, peut sembler dèslors parfaitement adapté aux besoins du Liban.Seulement, ce secteur économique artisanal et familial coexiste aujourd’hui avec unsecteur fortement concentré, qui engendre de formidables disparités au plan économiquemais aussi au plan du savoir, technique ou juridique. Disparité entre les professionnels et lesprofanes – les consommateurs – disparités entre les professionnels entre eux, certains étantdans la complète dépendance des autres (on pense aux concessionnaires, aux franchisés,aux sous-traitants etc.) et se trouvant dans un état de « vassalité économique ». <strong>Le</strong>législateur libanais en a bien conscience, lui qui a, de longue date, adopté uneréglementation très protectrice pour le représentant commercial.Cette tendance est accentuée par le phénomène, déjà signalé, de standardisation descontrats. <strong>Le</strong> XXIè siècle est, après le XXe, le siècle du contrat d’adhésion, support touttrouvé d’un contrat déséquilibré.L’inégalité, de ponctuelle, devient ainsi structurelle, et la relation contractuelle, unissant alorsun fort à un faible, susceptible d’engendrer des situations injustes. Jus est ars boni et aequi.Il ne peut s’en accommoder. Récemment encore, des appels à la réforme, à la réalisationd’un droit de la consommation au Liban ont été lancés à Beyrouth, à l’occasion d’un forumconsacré à ce sujet.<strong>Le</strong> droit français, devant cet état de fait, a réagi de diverses manières, fortdésordonnées.D’abord, en renforçant l’ordre public, cadre contraignant dans lequel doit se couler l’accorddes parties 16 . Ordre public de protection, essentiellement destiné à gommer les effets del’inégalité structurelle existant entre les contractants. Ce gonflement de l’ordre public aparfois atteint des extrêmes, au point que les parties, souvent, se contentent d’adhérer à unstatut impératif prédéfini.16 V. notamment, dans une littérature abandonte, P. DURAND, « La contrainte légale dans la formation du rapportcontractuel », RTDciv. 1944, p. 73 ; JOSSERAND, « <strong>Le</strong> contrat forcé et le contrat légal », D.H. 1940, p. 5 ; G.CORNU, «L’évolution du droit des contrats en France », in Journées de la Société de législation comparée , 1979,RIDcomp. n° spéc., vol. 1, p. 447.7


L’autre voie empruntée a consisté à tenter de restaurer les conditions d’un débat équilibré,d’abord, pour tenter de pallier l’inégalité dans le rapport contractuel individuel, en tentantd’instaurer une dimension collective au rapport contractuel : c’est le cas en matière de bauxd’habitation ou pour les contrats de consommation avec le rôle reconnu aux associations deconsommateurs habilitées désormais à demander la suppression de clauses abusives dansles contrats types. Il s’est encore agi d’éclairer le consentement de la partie faible en luigarantissant l’information, souvent en provenance de l’autre partie, sachante, voire enimposant à cette dernière un devoir de conseil. Des efforts ont aussi été déployés pourgarantir un certain équilibre contractuel, en privant la partie forte de la possibilité d’insérerdans le contrat certaines clauses susceptibles de jouer trop ouvertement à son profit et dedéséquilibrer ainsi trop ouvertement le contrat 17 .Cette perspective pourrait être qualifiée de néo-libérale 18 , puisqu’il s’agit seulement derétablir les contractants dans une situation permettant au principe de liberté contractuelle dejouer pleinement, puisqu’il s’agit de magnifier le consentement, dont on s’assure seulementqu’il est bien libre et réfléchi.Cela n’est pas encore assez pour certains, qui aujourd’hui plaident pour le solidarismecontractuel 19 . Fils et filles de Demogue 20 , ils croient dans le fait que le contrat doit être un« haut lieu de sociabilité et d’amitié où chacune des parties tache de rendre toute justice àl’autre » 21 et adopte, comme nouvelle devise contractuelle : Loyauté, solidarité, fraternité 22 . Ils’agirait de garantir le dépassement d’une conception individualiste et antagoniste du contratoù chacun veillait à la défense de ses propres intérêts. La référence à la bonne foi, qui figureà l’article 1134 du Code civil français, commanderait d’aimer son cocontractant comme unfrère. Et comme tel n’est pas toujours le cas, il conviendrait de reconnaître au juge tous lesmoyens nécessaires pour rétablir l’équilibre contractuel, fusse au détriment de la forceobligatoire du contrat 23 .Puisque l’on a admis, pour une part seulement, c’est-à-dire dans un domaineseulement, le besoin du droit libanais d’évoluer pour tenter de traiter l’inégalité structurelledes contractants, il demeurerait à se prononcer sur la voie susceptible par lui d’êtreempruntée. Cela revient à déterminer quels devraient être les acteurs du changement.B. <strong>LE</strong>S ACTEURS DU CHANGEM<strong>EN</strong>TQui est le mieux à même de permettre et réaliser l’adaptation du droit des contratslibanais afin de juguler les effets les plus néfastes de l’inégalité structurelle descontractants ?On songe bien sûr au législateur. Une bonne réforme, une bonne loi sur la consommation,ou pourquoi pas, à l’instar du droit français, un bon code de la consommation…17 Sur tous ces points, v. C. THIBIERGE-GUELFUCCI, « Libres propos sur la transformation du droit des contrats »,RTDciv. 1997, p. 357.18 Fr. TERRÉ, Ph. SIM<strong>LE</strong>R et Y. <strong>LE</strong>QUETTE, Droit des obligations, Dalloz, 7 e éd., n° 36.19 Ch. JAMIN, « Plaidoyer pour le solidarisme contractuel », Mélanges J. GHESTIN, LGDJ, <strong>2001</strong>, p. 441.20 DEMOGUE, Traité des obligations en général, A. Rousseau, tome 6, 1932, n° 3 : « les contractants forment unesorte de microcosme, une petite société où chacun doit travailler dans un but commun qui est la somme des butsindividuels poursuivis par chacun ».21 A. SÉRI<strong>AU</strong>X, Droit des obligations, PUF coll. Dr. fondamental, n° 55.22 D. MAZE<strong>AU</strong>D, « Loyauté, solidarité, fraternité, la nouvelle devise contractuelle ? », Mélanges Fr. TERRÉ, 1999,p. 603.23 Ces thèses sont loin de recevoir l’approbation unanime de la doctrine contemporaine. V. La synthèse descritiques dans Fr. TERRÉ, Ph. SIM<strong>LE</strong>R et Y. <strong>LE</strong>QUETTE, op. cit., n° 40-1.8


Telle n’est peut-être pas la voie préférable. <strong>Le</strong> législateur peut naturellement être unacteur du changement, mais il ne devrait en être qu’un acteur subsidiaire. D’autres peuventlui être préférés, dont on peut attendre qu’ils soient les principaux artisans du changement.1. <strong>Le</strong>s acteurs principaux du changementIls sont de deux ordres.a. Ce peut d’abord être les contractants eux-mêmes. Il serait souhaitable d’aboutir à unesorte d’auto-régulation des professionnels, une auto-discipline, une production normativevenant d’en bas. Chacune des corporations pourrait élaborer, collectivement, une sorte dedéontologie corporative destinée à équilibrer leurs rapports, nés du contrat d’adhésion, avecla partie a priori faible. Nous avons déjà, au Liban, un Code de déontologie médicale qui est,entre autre, et un peu, la loi des contrats conclus entre les patients et les établissementshospitaliers.En France, les sociétés de vente par correspondance ont ainsi décidé l’adoption d’un Codede bonne conduite, mettant à l’index les sociétés qui ne s’y conformeraient pas. La sanctionest commerciale, économique, aussi efficace, sans doute, que la sanction juridique.Attendre des professionnels eux-mêmes cette production normative spontanée est-il par tropidéaliste ? Mais préfèreront-ils une auto-discipline ou un cadre imposé d’en haut ?Ces producteurs de droit de demain pourraient sans peine s’appuyer sur le COC, dont lespotentialités sont étonnantes, pour élaborer cette déontologie. Ils pourraient ainsi s’engagerà offrir à leurs contractants un délai de repentir, qui serait tout autant un délai de réflexion.Point n’est besoin d’une loi spéciale, s’ils s’obligeaient collectivement à faire usage de cettefaculté qui leur est offerte par l’article 84 COC. Ils pourraient encore s’obliger à unformalisme protecteur, exiger par exemple un écrit, à titre d’instrumentum, ou encores’imposer certaines mentions destinées à éclairer le consentement du contractant. Cesefforts seraient couronnés par le COC, qui, dans l’alinéa 3 de l’article 220, dans le domaineoù le consensualisme règne en principe, entérine le formalisme conventionnel et diffère laformation du contrat au respect de cette forme souhaitée par les parties 24 . Ils pourraientencore s’accorder sur le renforcement des garanties légales imposées au vendeur, commel’autorise l’article 430 COC ou encore renoncer à insérer telle clause limitative ouexonératoire de responsabilité etc.L’autodiscipline collective devrait être le corollaire idoine du phénomène destandardisation et les professionnels eux-mêmes pourraient être les acteurs principaux duchangement souhaitable.b. <strong>Le</strong> juge serait aussi volontiers rangé parmi les acteurs principaux du changement. Samarge de manœuvre est en effet immense, et l’évolution, si elle vient du juge, serait plussouple et adaptable qu’une évolution législative. <strong>Le</strong> juge pourrait se convaincre qu’il peutlivrer une lecture constructive des dispositions du COC.Sans exagération, on peut affirmer que le COC contient, en germe, un véritable droit de laconsommation, qui ne demande qu’à éclore, dans la mesure nécessaire. Comment lireautrement l’article 179 qui rompt avec le principe selon lequel une offre ne lie pas son auteur,notamment lorsque l’offre est faite par correspondance ? Comment ne pas analyser commeune disposition susceptible de protéger, pour ce genre de contrat, le consommateur, l’article184 qui dit le contrat entre absents conclu dès le moment et au lieu où le destinataire del’offre a émis son acceptation ? Comment ne pas lire ainsi l’article 369 aux termes duquel,dans le doute, la clause s’interprète en faveur du débiteur et contre le créancier ? Ou encore24 V. F. HAGE-CHAHINE, « La notion d’inexistence et ses intérêts pratiques », POEJ n° 47, 1994, p. 69.9


l’article 266 qui autorise le juge à diminuer la clause pénale en cas d’exécution partielle deson obligation par le débiteur 25 , ou encore l’article 423, qui est une réplique avant l’heure dela loi Carrez française sur le métrage des lots de copropriété. Comment ne pas constaterque le COC a complètement intégré l’idée de proportionnalité 26 , notion qu’il cite parfois (parexemple à l’article 470) et applique souvent (v. art. 956) ? Faut-il encore citer les dispositionsdes articles 115 COC et 300, relatives au terme de grâce, pour achever d’en convaincre ?Ou l’article 181 alinéa 2, qui confère une dimension collective au rapport contractuel ?Un code libéral, sûrement, mais qui n’abdique nullement l’idée de protection de lapartie faible et d’équilibre contractuel. Un Code qui pourrait dès lors bien encourager le jugeà interpréter la lettre de manière à se conformer à cet esprit.Il pourrait, dans cette perspective, jouer sur plusieurs leviers.<strong>Le</strong>s vices du consentement, tout d’abord. La crainte – ou violence – est suffisammentlargement définie dans le COC 27 pour pouvoir être interprétée comme couvrant leshypothèses de dépendance économique (on peut y voir une menace sur les biens dudébiteur).La lésion, ensuite, qui pourrait garantir un rééquilibrage objectif du contrat au prixd’une interprétation assez souple de ses conditions (art. 214).La théorie de la cause, encore. Cette puissante arme de rééquilibrage du contratpourrait être plus exploitée, notamment au stade de l’exécution du contrat. Certes, la Courde cassation n’y semble pas prête. Dans deux récents arrêts, encore, rendus les 7 février1997 28 et 14 avril 1998 29 , elle a dénié à la cause (ou à sa disparition) tout rôle au stade del’exécution du contrat. Et pourtant, une importante jurisprudence accepte de réduire larémunération du mandataire, ou les honoraires des professions libérales, et la Cour, dans unarrêt du 13 décembre 1954, avait bien indiqué que si le juge avait le pouvoir de réduire larémunération du mandataire, telle réduction ne pouvait être demandée quand le mandataireavait complètement rempli la mission à lui confiée. L’attention était bien portée surl’exécution du contrat, et l’absence partielle de cause sanctionnée à partir d’elle.Une exploitation plus profonde de la théorie de la cause permettrait sans doute d’assurerassez efficacement le rééquilibrage du contrat, sans avoir à consacrer ouvertement,jurisprudentiellement voire légalement, la théorie de l’imprévision 30 .<strong>Le</strong> dernier levier aux mains du juge est l’article 221 du COC : « <strong>Le</strong>s conventionsdoivent être comprises, interprétées et exécutées conformément à la bonne foi, à l’équité, etaux usages ». Disposition majeure, à laquelle le juge peut donner consistance, à partir delaquelle il pourrait d’ailleurs réécrire l’entier droit des contrats.25 Sur la clause pénale, v. S. JOUKHADARIAN, <strong>Le</strong> régime de la clause pénale, Etude comparative, Mémoire DESUSJ, 2000.26 Sur l’importance de cette notion dans les conceptions contemporaines du contrat, v. « Existe-t-il un principe deproportionnalité en droit privé ? », <strong>Le</strong>s petites affiches, 30 sept. 1998.27 COC, art. 210 : « Est nul le contrat conclu sous la pression de la crainte inspirée par une violence physique oupar des menaces affectant la personne ou les biens du débiteur, de son conjoint, de son ascendant ou de sondescendant, sans qu’il y ait lieu de distinguer selon que cette pression est l’œuvre d’un contractant, d’un tiers oude circonstances extérieures au cercle contractuel ».28 Cass. 4 e ch. 7 fév. 1997 : POEJ 2000, n° spéc. p. 22.29 Cass. 2 e ch. 14 avril 1998 : POEJ 2000, n° spéc., p. 27.30 Théorie que la Cour de cassation ne souhaite pas consacrer en droit libanais (v. encore, CA Beyrouth, 1 re ch.,28 déc. 1995, Hatem, vol. 214, p. 726 ; Cass. 1 re ch., 6 juin 1995, al-Adl, 1995, p. 57) et à laquelle le législateurn’a fait qu’une timide concession (L. n° 50/91, art. 5).10


<strong>Le</strong> juge et les cocontractants nous semblent devoir être les principaux acteurs duchangement. On ne concédera alors au législateur qu’une vocation subsidiaire.2. L’acteur subsidiaire du changement<strong>Le</strong> législateur ne devrait être qu’un acteur subsidiaire du changement, appelé àintervenir si et seulement si l’on devait déplorer une carence des professionnels et du juge.Pourquoi donc plaider en faveur de ce rôle seulement subsidiaire ?<strong>Le</strong> Doyen Carbonnier dit que toute loi en soi est un mal. Comme juriste, j’en suisconvaincu ; comme juriste français, j’en suis doublement convaincu.Comment pourrait en effet intervenir le législateur dans le jeu contractuel ? On ne voitguère comment il pourrait procéder autrement qu’en renforçant l’encadrement légal desvolontés individuelles, en gonflant, plus ou moins, l’ordre public pour imprimer sa marque surl’activité contractuelle, ordre public de direction, ou pour protéger d’une main de fer, la partiefaible contractante, ordre public de protection. Après, la litanie est connue : contrat dirigé,contrat imposé, contrat obligé, liberté contractuelle étouffée…Or, nous avons vu combien le dynamisme contractuel au Liban était le fruit de laliberté contractuelle. Il ne faudrait pas que le dynamisme retrouvé du droit des contrats, s’ilest d’origine législative, aboutisse au statisme du phénomène contractuel, drôle de jeu desvases communicants.La protection, oui ; l’équilibre, oui aussi ; la liberté, oui encore…Beyrouth10 Juillet <strong>2001</strong>11

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