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RENCONTRE SUR LE FILM L'ESQUIVE - College au cinéma 37

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<strong>RENCONTRE</strong> <strong>SUR</strong> <strong>LE</strong> <strong>FILM</strong> L’ESQUIVEMERCREDI 21 MARS 2007L’association Collège <strong>au</strong> Cinéma <strong>37</strong> a accueilli le mercredi 21 mars 2007 Cyril Jouhanne<strong>au</strong>, formateur encinéma, pour parler du film d’Abdellatif Kechiche, L’esquive. Voici le compte-rendu de cette rencontre.D’après Cyril Jouhanne<strong>au</strong>, L’Esquive est un film qui se passe en banlieue mais tout ce qui concerne labanlieue est mis de côté. Toute l’image sensible de la banlieue est exprimée par les sentiments. Dès ledébut du film, le spectateur entre en territoire étranger avec un sentiment d’agression. Il est d’emblée dansun système de confrontation. La première séquence du film s’ouvre sur un groupe de jeunes préparant unracket qui n’<strong>au</strong>ra jamais lieu pour les spectateurs. En effet, Abdellatif Kechiche l’emmène ailleurs en suivantle personnage de Krimo. Toute l’attention du spectateur est focalisée sur ce personnage que Lydia amèneà la répétition de théâtre.Abdellatif Kechiche nous emmène à la suite des personnages mais on ne va jamais <strong>au</strong> bout avec eux.Krimo, adolescent en recherche, s’esquive :- du groupe de jeunes (de l’expédition punitive),- de sa relation avec Magali,- de la visite avec sa mère à son père emprisonné,- du théâtre,- de ses sentiments envers Lydia,- de la représentation de théâtre,- de la relation amoureuse avec Lydia à la fin du film.RAPPORT AU LANGAGEC’est un film fatiguant à suivre, construit à la manière d’un film d’action, presque comme un western.L’alternance de scènes calmes (psychologie des personnages) avec des scènes de joutes oratoires a lemême effet, pour Cyril Jouhanne<strong>au</strong>, que l’intervention des joutes martiales dans Tigres et Dragons d’AngLee.Le film montre une impossibilité de dire les sentiments due à l’enfermement des personnages dans descodes et des conventions. Ceci donne un langage rugueux et rude (mots empruntés à l’arabe) avec touteune palette d’insultes. On trouve également une impossibilité de l’intimité traduite par des gros plans despersonnages comme si Abdellatif Kechiche allait traquer leurs sentiments. Ceci est accentué par lesmouvements de regards, par le langage et par un morcellement des personnages (personnages briséscomme Fathi, comme Magali, personnages en construction comme Krimo). Abdellatif Kechiche exprime toutcela par sa manière saccadée de filmer et des dialogues toujours coupés. Tout fonctionne sur la répartie :une bribe de phrases en attend une <strong>au</strong>tre comme dans un western l’utilisation du champ-contrechamp(exemple du duel).La structure globale du film est construite de telle manière que chaque séquence va trouver soncontrechamp :- la première séquence a son contrechamp dans la séquence avec les policiers,- la première altercation de Magali a son contrechamp avec la deuxième altercation avec les filles.Abdellatif Kechiche prend la langue et le texte comme matéri<strong>au</strong>x. A la fin du film, lors du spectacle desenfants, la fable des oise<strong>au</strong>x va résumer tout le film. Abdellatif Kechiche compare ses personnages à dedrôles d’oise<strong>au</strong>x qui rêvent d’un ailleurs pour compenser la réalité rude de la cité :- « Je ne vois parmi vous que querelles et batailles, cela ne peut plus durer, écoutez-moi, nous avons unroi… » .- « Je cherche mon chemin, je cherche partout si je vais le trouver un jour quelque part »- « Vous n’avez rien franchi, oise<strong>au</strong>x, cette colline n’était qu’un songe, nous sommes toujours à la mêmeplace. »- « Nous avons fait un long voyage pour parvenir à nous-même. »Il y a ces oise<strong>au</strong>x dans leur cage, qu’on invite à parler avec leurs pairs. Il n’y a pas de vue d’ensemble, onest toujours dans un espace morcelé.Krimo rêve d’un ailleurs (dessins de voiliers de son père). Il n’y a pas de lignes de fuite s<strong>au</strong>f lorsque Krimocherche un lustre imaginaire <strong>au</strong> moment de la répétition avec Lydia.


Les séquences ont toujours lieu en extérieur hormis les scènes entre Krimo et sa mère. Le film joue avec unva-et-vient entre l’extérieur et l’intérieur de ces personnages. Il n’y a pas de scènes intimes, tout se joueentre eux à l’extérieur. Abdellatif Kechiche, pourtant, veut entrer à l’intérieur de ces personnages. Il y a untravail de la caméra pour cerner ces personnages dans la dynamique de groupe (groupes de filles,groupes de garçons). Cette dynamique de groupe s’articule <strong>au</strong>tour du langage (territoire étranger pour lespectateur) comme la langue du 18 ème siècle, celle de la pièce de Mariv<strong>au</strong>x, Le jeu de l’Amour et duHasard, est territoire étranger pour ces adolescents.RAPPORT DE LA LANGUE ET DES GESTESCette langue a la valeur de geste. On se demande quelle va être l’étincelle qui va faire passer lespersonnages à l’acte.Quand il n’y a plus le langage, les gestes viennent (violence de Fathi sur Frida) ou il y a embrouille entreles mots et les gestes (baiser raté entre Krimo et Lydia), puis les personnages repassent <strong>au</strong>x mots. Lesgestes et les paroles façonnent le film.Le personnage du professeur va leur dire trois éléments essentiels :1/ « Amuse-toi (…) essaye d’aller vers quelque chose d’<strong>au</strong>tre, de sortir de toi, d’aller vers un <strong>au</strong>trelangage, il imite quelqu’un d’<strong>au</strong>tre, est-ce que tu te rends compte de l’importance du langage dans cettepièce et dans cette scène ? Arlequin imite un maître, alors vas-y, fais un effort (…) Il y a du plaisir à fairecela, il doit y avoir du plaisir à sortir un peu de soi, sors de toi, amuse-toi, aie du plaisir, change delangage, change de manière de parler, change de manière de bouger, amuse-toi »2/ « (…) on est complètement prisonnier de notre condition sociale et quand on est riche pendant vingt ans,p<strong>au</strong>vre pendant vingt ans, on peut toujours se mettre en haillons quand on est riche et en robe de h<strong>au</strong>tecouture quand on est p<strong>au</strong>vre, on ne se débarrasse pas d’un langage, d’un certain type de sujet deconversation, d’une manière de s’exprimer, de se tenir qui indiquent d’où on vient. Et d’ailleurs, ça s’appelleLe jeu de l’Amour et du Hasard, mais il nous montre qu’il n’y a pas de hasard, les riches tombent amoureuxdans la pièce des riches et les p<strong>au</strong>vres tombent amoureux des p<strong>au</strong>vres, donc ils se reconnaissent malgréleurs déguisements et ils tombent amoureux <strong>au</strong> sein de leur même classe sociale, donc il n’y a pas dehasard mais il n’y a pas non plus d’amour, l’amour où on l’entend habituellement, c'est-à-dire, l’amour pur,normalement, on tombe amoureux d’un être, un être pur, le moi profond, pas tout ce qu’il y a <strong>au</strong>x alentours.Non, nous dit Mariv<strong>au</strong>x, on est conditionné, complètement conditionné par son milieu d’origine et on resteentre soi et on peut toujours se déguiser, on n’échappe pas à sa condition d’origine. (…) »3/ « Qu’est-ce que l’on fait en français lorsqu’il y a une virgule ? – Une p<strong>au</strong>se »Quand Lydia demande à réfléchir lorsque Krimo lui demande de sortir avec lui, rien ne va plus. Ladernière scène, alors que Lydia veut lui donner une réponse positive, Krimo reste dans cette position despectateur, il refuse sa propre existence. Krimo, avec sa réserve, reste enfermé même quand il décide defaire du théâtre, il ne comprend pas les mots, il ne peut pas exprimer ses sentiments, il va rester enfermédans sa position. Les <strong>au</strong>tres personnages arrivent à s’émanciper en prenant les choses en main.Les parents se résignent face à leur rêve de retour <strong>au</strong> pays qui ne se concrétisera jamais. Les filless’émancipent, les garçons n’y arrivent pas : Krimo reste fermé, Fathi suit une m<strong>au</strong>vaise pente, le père deKrimo et le be<strong>au</strong>-frère de Fathi sont en prison.Dans Wesh Wesh, qu’est-ce qui se passe ? de Rabah Ameur-Zaïmeche, les filles vont se mettre en ménageavec des hommes d’une <strong>au</strong>tre condition sociale alors que les hommes de leur condition sont à la dérive. Cefilm représente une société où les hommes ont une place de moins en moins reluisante.Les garçons et les filles ont le même langage, les mêmes codes de loy<strong>au</strong>té <strong>au</strong>xquels on ne déroge pas. Parexemple, quand un garçon demande à une fille de sortir avec lui, il f<strong>au</strong>t que la réponse soit claire etimmédiate, sinon, il y a un risque de conflit. L’amitié est la même : Fathi avec Krimo et Nanou avec Lydia. Ilsse construisent une carapace pour se protéger entre eux des émotions. Il y a un code de reconnaissance quiagit <strong>au</strong>ssi par rapport <strong>au</strong>x adultes. Cela forme la dynamique dans le groupe mais chacun connaît dessituations particulières qui viennent entamer cette dynamique.Cyril Jouhanne<strong>au</strong> précise que le film est loin du langage argotique utilisé dans Les Tontons flingueurs et par


Pierre Perret. Lorsqu’il était lui-même adolescent, il utilisait l’argot, pour parler secrètement avec ses frèreset sœurs à la maison, sans se douter que son be<strong>au</strong>-père connaissait déjà ce langage.On peut voir que ce langage est un jeu pour ces jeunes qui glissent facilement d’un code à un <strong>au</strong>tre(exemple : dans la scène de répétition entre Lydia et Krimo, Lydia a trois rôles : metteur en scène,comédienne et copine). Fathi a la même aisance mais cela paraît plus intuitif (exemple : lorsqu’il parle à lamère de Krimo et <strong>au</strong>x policiers).RAPPORT AU THÉÂTRECe qui est concevable en cours pour les adolescents l’est moins en dehors du cours (Exemple : accueilmoqueur de Frida à Lydia qui a traversé la cité avec son costume de théâtre).La question que le professeur pose à ses élèves comme sujet de rédaction : « Dans quelles mesures pensezvousque Mariv<strong>au</strong>x a voulu, dans la scène 5 de l’acte 1, privilégier l’analyse des sentiments <strong>au</strong>x dépens del’action ? » représente toute la question du film.Il y a deux mondes en confrontation (18 ème siècle et 21 ème siècle). Cette introduction de l’art va ébranler lacité, c’est un élément perturbateur.Krimo va faire du théâtre alors qu’il n’a jamais lu un livre.Il y a des scènes de confrontation entre les personnages.Le théâtre nous est donné à voir :- en classe- à l’extérieur- sur scèneLe théâtre contamine tout l’espace des personnages :Krimo, dans la pe<strong>au</strong> d’Arlequin, n’arrive pas à dire son texte et finit par s’esquiver. Il ne peut pas jouer àêtre amoureux car il est amoureux.A la représentation à la fin du film, Abdellatif Kechiche réalise des plans de coupe sur la salle : tout lemonde est là même les plus étrangers <strong>au</strong> théâtre (Fathi, Magali et son nouvel amour) s<strong>au</strong>f Krimo. Il vienttout de même observer de l’extérieur car Lydia le fascine.Fathi se transforme en metteur en scène pour la rencontre de Lydia et de Krimo dans la voiture et il y aquiproquo quand Fathi prend Nanou pour Lydia.La scène des policiers se termine avec un plan sur le livre de Frida : Le Jeu de l’amour et du hasard. Uneellipse stoppe la violence des policiers qui, interpellant ces « jeunes de banlieue », sont incapablesd’entendre que ces adolescents puissent avoir des affaires de cœur. Il y a une violence énoncée qui passerarement par les gestes. Cette intervention des policiers représente une violence institutionnalisée.Les personnages ne rentrent jamais dans les cadres qui leur sont proposés. Ce jeu de l’amour et du hasardse joue dans la cité. Le hasard amène l’amour : quand Krimo, par hasard, voit Lydia en costume, il estsubjugué et la dette (il lui a avancé dix euros) va se transformer en amour. Il l’invite une première fois <strong>au</strong>cinéma, elle n’accepte pas, il lui demande ensuite de répéter avec lui, elle accepte mais refuse ensuite unbaiser. Krimo est emporté par cette logique de sentiments qu'il n’arrive pas à dire avec les mots deMariv<strong>au</strong>x ni avec ses propres mots.Lydia est dans le théâtre : elle va traverser le film avec son costume s<strong>au</strong>f pour la dernière scène lorsqu’elleveut voir Krimo. Elle n’a pas non plus son costume lors des confrontations avec Magali, ni dans la voitureavec Krimo.Lors de la répétition de théâtre, Krimo dit ses sentiments à Lydia. Celle-ci, étonnée et sous la pression des<strong>au</strong>tres, préfère s’esquiver. Tout <strong>au</strong> long du film, Krimo et Lydia s’esquivent l’un l’<strong>au</strong>tre.Lydia s’approprie le terme de l’esquive en faisant du théâtre. Quand elle est confrontée à la déclarationde Krimo, elle se trouve confrontée à la perturbation des sentiments qu’il y a dans le texte de Mariv<strong>au</strong>x.Plus que de se retrouver dans le rôle de Lisette, elle se retrouve dans le personnage de Silvia qui a unepiètre image du mariage. Lydia a besoin de recul et c’est <strong>au</strong> moment où elle quitte définitivement lepersonnage de Lisette, après la représentation, qu’elle peut à nouve<strong>au</strong> endosser sa vie et prendre unedécision.


La pièce de Mariv<strong>au</strong>x, Le jeu de l’Amour et du Hasard, structure toute l’action du film. La question que l’onpeut se poser en regardant le film, c’est de savoir s’il y a un héros. La réponse se niche dans la capacité àdire ses sentiments. Ce qui nous renvoie <strong>au</strong>x relations de plus en plus complexes de notre époque dans unesociété de plus en plus médiatique. Les moyens de communication (blogs, forums, chats) sont inquiétants eton peut voir un parallèle avec la situation du film où la communication passe par le port du costume et lareprésentation de soi.La problématique de la tendresse de l’un pour l’<strong>au</strong>tre est difficile à exprimer.Dans le film, la difficulté de dire les sentiments est bien présente. Lydia est sous le poids du regard des<strong>au</strong>tres et elle en souffre. Elle est extrêmement touchée lorsque Krimo lui avoue qu’il a fait du théâtre pourelle.Dominique Roy pense qu’il f<strong>au</strong>t absolument montrer <strong>au</strong>x collégiens la séquence d’ouverture du film avant laprojection <strong>au</strong> cinéma, ceci afin qu’ils prennent des repères quant <strong>au</strong> langage des jeunes et qu’ils nerejettent pas d’emblée un monde qui leur est, pour be<strong>au</strong>coup, étranger.Cyril Jouhanne<strong>au</strong> ajoute qu’Abdellatif Kechiche a choisi de filmer en gros plans pour nous renvoyer à laposition du spectateur <strong>au</strong> théâtre. Tout le film se joue <strong>au</strong>tour du théâtre, des accessoires (l’éventail)…La présidente de l’association Collège <strong>au</strong> Cinéma <strong>37</strong> remercie Cyril Jouhanne<strong>au</strong> pour sa venue à Tours etpour son analyse du film L’Esquive.Compte rendu réalisé par Claire Tupin et Emmanuel Deram et relu par Dominique Roy.

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