Encina va laisser une empreinte sur son œuvre, dépourvue de sens en dehorsde ce contexte énonciatif. Il s’agit d’une pratique partagée avec d’autres divertissementsde cour comme <strong>le</strong>s momos, qui continuent à se tenir tandis que <strong>le</strong> <strong>théâtre</strong>se développe à la même époque . Il importe de souligner <strong>le</strong> contexte <strong>«</strong> d’émergenced’un espace théâtral » (Garcia, 1988) mais surtout l’évidence d’une prise deconscience littéraire de l’auteur par rapport à son art <strong>et</strong> à son métier, ainsi quel’eff<strong>et</strong> de dénégation qui résulte des signes scéniques analysés. Ces manifestationspatentes du <strong>«</strong> je » de l’auteur rappel<strong>le</strong>nt, <strong>dans</strong> <strong>le</strong> domaine de l’iconographie, lamusca depicta <strong>et</strong> <strong>le</strong> tab<strong>le</strong>au à l’intérieur du tab<strong>le</strong>au .Tout <strong>le</strong> monde <strong>et</strong> PersonneEn Espagne la figure du fou, doté de c<strong>et</strong>te réversibilité constante – à la fois sot<strong>et</strong> sage – est devenue une source d’inspiration féconde pour <strong>le</strong>s dramaturges. Onla r<strong>et</strong>rouve <strong>dans</strong> la Farce du Monde <strong>et</strong> Mora<strong>le</strong> (rédigée ca. 1518) par <strong>le</strong> bachelier HernánLópez de Yanguas. L’auteur y m<strong>et</strong> en scène <strong>le</strong> berger Ap<strong>et</strong>ito (Appétit) en invitantdès <strong>le</strong> début <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur à se reconnaître <strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te figure puisqu’el<strong>le</strong> est, selon sestermes, chacun d’entre nous (<strong>«</strong> cada uno de nosotros »). Ap<strong>et</strong>ito est guidé par un<strong>«</strong> vif désir », par <strong>«</strong> un mouvement qui tend à satisfaire un besoin organique, un instinct» ; il est appelé âne insipiens (v. 200). Comme <strong>le</strong> rappel<strong>le</strong> <strong>le</strong> Psaume, <strong>«</strong> l’hommeétait en honneur, mais il ne l’a pas compris ; il s’est comporté comme <strong>le</strong>s bestiaux» . Il est un personnage dépouillé de tout ce qui confère une identité. Il n’apas de nom propre, c’est-à-dire, il n’est personne. La présence de c<strong>et</strong>te épiphaniehumaine, Mankind, Humanum Genus, Ap<strong>et</strong>ito, Género humano, Chacun, Everyman, Jedermann,coïncide avec l’essor d’une autre tradition, qui remonte à l’épisode homériquedu cyclope, cel<strong>le</strong> de Nemo . Dans l’Odyssée, IX, 366,7, on pouvait déjà lire :<strong>«</strong> Mon. Asensio, 1974 ; Díez Garr<strong>et</strong>as, 1999, p. 163-174.. À ce propos, voir Martinda<strong>le</strong>, 1972.. Sur la musca depicta, Chastel, 1984. Quant au tab<strong>le</strong>au à l’intérieur du tab<strong>le</strong>au, comme l’affirmeMichael Camil<strong>le</strong>, <strong>«</strong> se rattache à la tradition gothique » (Camil<strong>le</strong>, 1996 : 180).. Dictionnaire de l’Académie française, 9 e éd...À ce propos, voir Gilson, 1998 : 378 <strong>et</strong> ss.Voir Castelli-Gattinara, 1976. En outre, <strong>le</strong>s cervantistes se souviendront de ce passage duLicenciado Vidriera : <strong>«</strong> On lui demanda quel avait été l’homme <strong>le</strong> plus heureux du monde, “Nemo,répondit-il, car Nemo novit patrem ; Nemo sine crimine vivit ; Nemo sua sorte contentus ; Nemo ascenditin caelum” ». Cf. Nouvel<strong>le</strong>s exemplaires, p. 228. Il est intéressant de s’attarder sur la généalogie de lafigure, qui remonte au moins à la tromperie d’Ulysse au Cyclope donnant comme son nom <strong>le</strong>36 <strong>Javier</strong> espejo surÓs – méta<strong>théâtre</strong>http://umr6576.cesr.univ-tours.fr/publications/m<strong>et</strong>atheatre
nom est Personne. Mon père <strong>et</strong> ma mère <strong>et</strong> tous mes compagnons me nommentPersonne ».Dans la Farce du Monde <strong>et</strong> Mora<strong>le</strong> :Mundo ¿ Cómo te llamas ?Ap<strong>et</strong>itoAp<strong>et</strong>ito me llamo.MundoSea en ora buena, que buen nombre tienes,e mírame bien, que si te convienestenerte he comigo (v. 29-33).Dans la moralité anglaise Mundus <strong>et</strong> Infans (imprimée en 1522) :Mundus Welcome, fair child ! What is thy name ?Infans I wot not, sir, withouten blame ;But oftime my mother in her gameCal<strong>le</strong>d me Dalliance.pronom de va<strong>le</strong>ur négative Outis, <strong>«</strong> personne ». Son équiva<strong>le</strong>nt latin, Nemo, adopté par <strong>le</strong> christianismemédiéval, donnera lieu à San Nemo. Au début du xvi e sièc<strong>le</strong>, après 1507, un barbierde Strasbourg, Joerg Schan, publiait <strong>le</strong>s péripéties de Niemand (<strong>le</strong> poème a été édité, traduit enanglais, par Gerta Calmann, 1960). La version en latin donnera lieu au poème épigrammatiqueNemo de Ulrich Von Hutten, imprimé à Bâ<strong>le</strong> par Johan Froben (1518) suivant la recommandationd’Érasme. On r<strong>et</strong>rouvera Nemo, par exemp<strong>le</strong>, <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s Scenica progymnammata de Reuchlin(1513) ou, en France, <strong>dans</strong> la Prosopopeia Nemini (ca. 1513) de Geoffrey Tory. Asensio, <strong>dans</strong> sonétude sur l’<strong>Auto</strong> da Lusitânia de Gil Vicente, se demande par quel<strong>le</strong> voie l’auteur português auraiteu connaissance de la tradition de Nemo. Dans l’auto de l’auteur portugais, Todo o Mundo, <strong>«</strong> richemarchand », fait front à Nadie, <strong>«</strong> habillé comme pauvre ». C<strong>et</strong> affrontement, qu’Asensio dit <strong>«</strong> n<strong>et</strong>rouver nul<strong>le</strong> part », lui semb<strong>le</strong> une <strong>«</strong> invention » du dramaturge portugais. La seu<strong>le</strong> imitationde Gil Vicente que j’ai vu – conclut-il – est cel<strong>le</strong> de Lope de Rueda, Entremés del Mundo y No nadie(Asensio, 1991 : 283). Schevill, de sa part, signa<strong>le</strong> plusieurs <strong>«</strong> analogies » entre l’auto vicentin <strong>et</strong>l’œuvre attribuée à Lope de Rueda, pour conclure à ce suj<strong>et</strong> qu’ <strong>«</strong> on ne peut pas affirmer quela scène […] est une imitation de Gil Vicente. Il semb<strong>le</strong> beaucoup plus probab<strong>le</strong> qu’une autrefarce du Moyen Âge ou de la Renaissance, en latin, français ou en italien, était connue <strong>dans</strong>la péninsu<strong>le</strong> <strong>et</strong> influait sur ces pièces ». Il est diffici<strong>le</strong> de savoir si <strong>le</strong> Nemo imprimé en latin étaitconnu <strong>dans</strong> la péninsu<strong>le</strong>. La farce de Yanguas, cependant, aurait joui d’un grand succès puisque,en marge d’une supposée editio princeps perdue, on connaît deux rééditions, de 1524 <strong>et</strong> 1528,antérieures à Lusitânia (Schevill, 1915 : 36).http://umr6576.cesr.univ-tours.fr/publications/m<strong>et</strong>atheatreMÉTATHÉÂTRE – javier espejo surÓs 37
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