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III - Centre de Recherche en Gestion - Ecole Polytechnique

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heures <strong>de</strong> savants problèmes administratifs ou sci<strong>en</strong>tifiques, ne dispos<strong>en</strong>t ultimem<strong>en</strong>t que<strong>de</strong> dix minutes pour trancher <strong>de</strong> questions dont l'importance a fait justem<strong>en</strong>t qu'elles sontarrivées jusqu'à eux.Ce même chiffre <strong>de</strong> dix minutes est cité par P. Bonarelli (9) pour indiquer le tempsconsacré à chaque décision dans l'<strong>en</strong>treprise qu'il a étudiée, mais les explicationsinvoquées sont d'une autre nature. Il s'agit d'un fabricant <strong>de</strong> matériel électronique dontles produits se démo<strong>de</strong>nt vite et sont soumis à une vive concurr<strong>en</strong>ce. Avoir le bon produitau bon mom<strong>en</strong>t peut rapporter gros, car le prix joue un faible rôle à côté <strong>de</strong> la rapidité <strong>de</strong>livraison et la qualité. On se trouve donc dans un cas où l'information est une <strong>de</strong>nréepérissable, qui doit être exploitée toute fraîche. Par ailleurs, les articles et les cli<strong>en</strong>ts sontnombreux et variés, <strong>de</strong> sorte que chaque responsable doit se prononcer sur beaucoup <strong>de</strong>choix par unité <strong>de</strong> temps. Dans ces conditions, guère <strong>de</strong> possibilités pour pr<strong>en</strong>dre <strong>de</strong>sordres ou pour se concerter. Comm<strong>en</strong>t assurer la cohér<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> tous ces choix?La solution adoptée, on l'a vu, consiste à appliquer un petit nombre <strong>de</strong> principes simples;par exemple: "ne faire nous-mêmes que les tâches nobles", "jamais <strong>de</strong> stocks", etc.L'usage s'est établi <strong>de</strong> donner à un tel co<strong>de</strong> <strong>de</strong> conduite le nom <strong>de</strong> "culture d'<strong>en</strong>treprise".Une étu<strong>de</strong> att<strong>en</strong>tive peut montrer, et ce fut le cas ici, que les décisions ainsi ret<strong>en</strong>uespeuv<strong>en</strong>t être à l'occasion très loin <strong>de</strong> l'optimum économique, mais elles ont l'avantaged'être prises rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t. Aussi bi<strong>en</strong> l'<strong>en</strong>treprise <strong>en</strong> cause connaissait-elle uneremarquable prospérité <strong>en</strong> termes <strong>de</strong> bénéfices et <strong>de</strong> taux <strong>de</strong> croissance.Voilà donc un cas <strong>de</strong> gestion dans l'urg<strong>en</strong>ce, où les choix font peu <strong>de</strong> place à la réflexionet l'étu<strong>de</strong> et pourtant se révèl<strong>en</strong>t justifiés a posteriori, si l'on s'<strong>en</strong> ti<strong>en</strong>t du moins au critèredu profit comptable. Peters et Waterman et leurs émules érig<strong>en</strong>t ce g<strong>en</strong>re <strong>de</strong> constatation<strong>en</strong> véritable religion, et certains s'<strong>en</strong> indign<strong>en</strong>t. Ainsi, G.Y. Kervern (18) considère quel'apologie du tir réflexe conduit à <strong>de</strong>s mœurs <strong>de</strong> brutes, et à <strong>de</strong>s erreurs aussi tragiquesque la <strong>de</strong>struction, par un porte-avions le .3 juillet 1988, d'un Airbus civil <strong>de</strong> 177 piedsconfondu avec un avion <strong>de</strong> chasse <strong>de</strong> 62 pieds <strong>de</strong> long.A quoi P. Bonarelli répond qu'optimiser au s<strong>en</strong>s classique, c'est <strong>en</strong> réalité sousoptimiser,car le temps passé à réfléchir coûte cher. Il suggère même que la décisionrapi<strong>de</strong> prise sur <strong>de</strong>s critères sommaires constitue un optimum "éco-rationnel" (d'après L.Lévy-Garboua).De la même manière, Ph. Roqueplo considère que la machine gouvernem<strong>en</strong>tale remplitune fonction cruciale: elle empêche les catastrophes. Plutôt qu'un état-major généralmettant <strong>en</strong> œuvre une gran<strong>de</strong> stratégie, il faut la voir comme un service d'<strong>en</strong>treti<strong>en</strong>, voire<strong>de</strong> sapeurs-pompiers, qui ne fonctionne somme toute pas si mal.A qui donner raison: à G.Y. Kervern, ou à P. Bonarelli, dont l'affrontem<strong>en</strong>t est direct etexplicite?Avant <strong>de</strong> répondre, je voudrais noter que ces réflexions nous conduis<strong>en</strong>t à un changem<strong>en</strong>t<strong>de</strong> perspective radical par rapport aux théories habituelles : bi<strong>en</strong> loin que la décisionsavamm<strong>en</strong>t méditée soit la norme et l'urg<strong>en</strong>ce l'exception pathologique, s'offre à nousl'idée que l'urg<strong>en</strong>ce est un ingrédi<strong>en</strong>t inévitable <strong>de</strong> toute prise <strong>de</strong> décision: seule varie ladose. La décision rationnelle <strong>de</strong>s livres d'où l'urg<strong>en</strong>ce est abs<strong>en</strong>te serait alors un caslimite, asymptotique, improbable <strong>en</strong>core que théoriquem<strong>en</strong>t intéressant, comme <strong>en</strong>résistance <strong>de</strong>s matériaux la poutre <strong>de</strong> Saint-V<strong>en</strong>ant, parfaitem<strong>en</strong>t élastique et homogène,donc utopique, mais commo<strong>de</strong> à mettre <strong>en</strong> équations.Cette omni-prés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> l'urg<strong>en</strong>ce est cohér<strong>en</strong>te avec la vision <strong>de</strong> la marche <strong>de</strong>sorganisations que postule la recherche <strong>en</strong> gestion, au s<strong>en</strong>s <strong>de</strong> l'article <strong>de</strong> M. Berry, J.c.Moisdon et C. Riveline <strong>de</strong> 1979 (19) : chaque ag<strong>en</strong>t économique se comporte <strong>de</strong>manière à optimiser les critères sur lesquels il se s<strong>en</strong>t jugé. Ce caractère local <strong>de</strong> chaqueoptimum, qui r<strong>en</strong>d compte <strong>de</strong>s conflits internes évoqués ci-<strong>de</strong>ssus, est une conséqu<strong>en</strong>ce<strong>de</strong> l'urg<strong>en</strong>ce, car le temps manque pour élaborer sans cesse <strong>de</strong>s compromis. L'urg<strong>en</strong>cecroissante a pour effet <strong>de</strong> réduire <strong>en</strong>core le nombre <strong>de</strong> critères pris <strong>en</strong> compte par chacun.56Cett~ théorie se prés<strong>en</strong>te c0!TIme une physiologie <strong>de</strong>scriptive et eIle peut r<strong>en</strong>dre compte<strong>de</strong>s echecs comme <strong>de</strong>s sucees. EIle va nous ai<strong>de</strong>r, <strong>en</strong> particulier, à éclairer le débat <strong>en</strong>treG.y. Kervern et P. Bonarelli. Ce <strong>de</strong>rnier me paraît impru<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> qualifier d'écor~tI~nn~llela gestion <strong>de</strong> son <strong>en</strong>treprise. Cette expression suggère <strong>en</strong> effet une adéquationréfléchie <strong>de</strong>s moy<strong>en</strong>s aux fins. Or, parmi les dizaines d'<strong>en</strong>treprises "excell<strong>en</strong>tes" vantéespar Peters et Waterman (1 1), la majorité ont péri ou peu s'<strong>en</strong> faut dans les années qui ontsuivi la publication <strong>de</strong> leur livre. En effet, les critères simples peuv<strong>en</strong>t se révéler adéquatsquelque temps, mais il est très difficile <strong>de</strong> les remettre <strong>en</strong> cause quand ce n'est plus le cas.L'urg<strong>en</strong>ce prés<strong>en</strong>te <strong>en</strong> effet, passés les premiers mom<strong>en</strong>ts d'inquiétu<strong>de</strong> et d'adaptation,<strong>de</strong> redoutables commodités. Souv<strong>en</strong>t associée à <strong>de</strong>s dangers collectifs, eIle constitue uneexcuse idéale pour justifier oukases, mesures d'exception et jugem<strong>en</strong>ts expéditifs. Ellefinit par êt,re invoquée <strong>de</strong> façon rhétorique pour repousser les contestations. De plus,quand le <strong>de</strong>t<strong>en</strong>teur d'un pouvoir r<strong>en</strong>contre <strong>de</strong>s succès répétés, il est naturellem<strong>en</strong>t porté às'<strong>en</strong> t<strong>en</strong>ir aux mêmes choix quand leur pertin<strong>en</strong>ce a disparu.On voit donc que G. Y. Kervern a raison <strong>de</strong> mettre <strong>en</strong> gar<strong>de</strong> contre ces périls, mais P.Bonarelli n'<strong>en</strong> est pas moins fondé à témoigner <strong>de</strong>s succès qu'il a constatés.Une t<strong>en</strong>tation serait peut-être pour un économiste <strong>de</strong> traduire cette discussion sous formemathématique, <strong>en</strong> imaginant par exemple une fonction croissante du profit avec le temps<strong>de</strong> réflexion, mais décroissante avec le caractère périssable <strong>de</strong> l'information. Ontr,?uve.rait, <strong>en</strong> .fonction ~e .quelques paramètres caractérisant chaque décision, un temps <strong>de</strong>repexIOn optimal. .l\1.ms 1.1 est probable qu'un tel modèle ne nous instruirait guère <strong>en</strong>raison <strong>de</strong> toutes les simplifications auxquelles il faudrait cons<strong>en</strong>tir pour <strong>en</strong> donner uneexpression calculable et il laisserait dans l'ombre bi<strong>en</strong> <strong>de</strong>s aspects <strong>de</strong> l'urg<strong>en</strong>ce que nousavons rec<strong>en</strong>sés chemin faisant.Je voudrais proposer une approche théorique que je croisplus fécon<strong>de</strong>, fondée sur l'évaluation <strong>de</strong>s coûts et la recherche <strong>en</strong> gestion.5. LA BONNE URGENCE EXPLIQUÉELa principale difficulté que la sci<strong>en</strong>ce économique laisse dans l'ombre rési<strong>de</strong> on l'a vudans l'utilité indiscutable <strong>de</strong> l'urg<strong>en</strong>ce, au moins à court terme dans <strong>de</strong> nombreusessituatio,ns.C'est le cas dans les <strong>de</strong>ux exemples précé<strong>de</strong>nts, et c'est ce qu'ont égalem<strong>en</strong>tobserve D. Fixari et F. PaIlez (Petit traité d'urg<strong>en</strong>ce (20)) et J.-c. Moisdon (Grandsprojets, organisation et urg<strong>en</strong>ce (21)), dans <strong>de</strong>s travaux réc<strong>en</strong>ts.L'analyse que je proposerai repose sur <strong>de</strong>ux distinctions:-la distinction <strong>en</strong>tre" l'observateur" et "l'ag<strong>en</strong>t économique";-Ia distinction <strong>en</strong>tre "complexité d'abondance" et "complexité <strong>de</strong> s<strong>en</strong>s".Constatant qu'il n'est pas possible <strong>de</strong> calculer <strong>de</strong> manière indiscutable le coût d'un bi<strong>en</strong>ou d'un service, j'ai montré (17) qu'il est <strong>en</strong> revanche possible <strong>de</strong> définir avec précisionle coût d'une décision ou d'un événem<strong>en</strong>t pour un observateur déterminé. L'"observateur" est une <strong>en</strong>tité qui rec<strong>en</strong>se tous les effets, quantitatifs et qualitatifs <strong>de</strong> ladécision ou <strong>de</strong> l'événem<strong>en</strong>t considérés. Ri<strong>en</strong> ne dit qu'il se trouvera <strong>de</strong>ux observateurspour ress<strong>en</strong>tir à l'i<strong>de</strong>ntique une alternative déterminée. L'observateur est une consci<strong>en</strong>celibre.Par contraste, "l'ag<strong>en</strong>t économique", je l'ai dit plus haut, est un déci<strong>de</strong>ur logique <strong>en</strong> ceciqu'il optimise les jugem<strong>en</strong>ts dont il se s<strong>en</strong>t l'objet.Ces jugem<strong>en</strong>ts font partie <strong>de</strong>s élém<strong>en</strong>tsqui <strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t dans son appréciation personnelle <strong>en</strong> tant qu'observateur, mais ce ne sont pasles seuls, <strong>en</strong> sorte qu'il peut affirmer sans m<strong>en</strong>tir que sa décision lui déplait, mais lesordres sont les ordres et, que voulez-vous, ce n'est pas moi qui fais les réglem<strong>en</strong>ts.La <strong>de</strong>uxième distinction part <strong>de</strong> la remarque que l'appréciation <strong>de</strong> "complexité" portée suru~e sit~ation r<strong>en</strong>voie à <strong>de</strong>s ~.ifficultés <strong>de</strong> natures bi<strong>en</strong> différ<strong>en</strong>tes. Un problème peut être~ec!a:e complexe parce qu Il comporte beaucoup <strong>de</strong> solutions et que les moy<strong>en</strong>s sontlimités pour les explorer toutes.Mais cette épithète est aussi employée pour caractériser57

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