À la racine - CEMEA Basse-Normandie

À la racine / extrait du texte 2
Angela – Ce n’est pas possible Sigmund. Pas possible. Nous sommes cinq ici et il faut poser quelques
règles. Je vous interdis de recommencer. Je vous interdis de tripoter quiconque ici.
Sigmund – Vous m’interdisez ?
Angela – Oui, je vous interdis.
Sigmund – Vous êtes qui, pour me parler comme ça ? Dieu ? L’envoyée du soviet ? La petite
commissaire du peuple, garante de la morale puritaine de ce séminaire ?
Angela – Il ne s’agit pas de ça, Sigmund. Vous faites juste n’importe quoi, et ce n’est pas possible.
Sigmund – Vous êtes coincée, Angela. Il faut vous décontracter un peu. La sexualité fait partie de la
vie, du mouvement universel qui réunit les êtres …
Angela – Vous ne confondez pas un peu le mouvement universel avec les impulsions de votre pénis ?
Sigmund – Angela… Je suis thérapeute. Je connais mon métier. Vous avez peut-être vécu les années
70, mais on dirait que vous avez loupé la révolution sexuelle…
Angela – Alors que vous, vous l’avez vécue peut-être ?
Sigmund – Parfaitement. J’ai expérimenté toutes les positions, les configurations et les perversions
possibles. J’ai mené des investigations scientifiques poussées, des vérifications pratiques capitales.
Je suis enfin allé, physiquement, au cœur de ma matière… Moi qui m’étais un peu brimé lors de ma
première vie viennoise, ce fut une métamorphose pour l’homme que je suis… J’ai appris à écouter
mon corps… J’ai d’ailleurs connu, bibliquement, certaines de vos amies…
Angela – Certaines de mes amies ?
Sigmund – Oui, des féministes, Angela. Des féministes qui n’avaient pas peur de coucher avec les
hommes… J’ai beaucoup appris à leur contact. Il y en avait une, une Française, très inspirée par mes
écrits, qui me taquinait beaucoup… Elle disait qu’il fallait complètement inverser ma théorie de l’envie
de pénis… Qu’en réalité, c’était les hommes qui étaient jaloux… Jaloux de l’utérus des femmes, de
leur mystérieuse puissance, de leur capacité à donner la vie… Et que c’était à cause de cette jalousie,
de cette terrible « envie d’utérus » que les hommes avaient pris le pouvoir dans la société… C'est
amusant, non ?
Angela – Ça n’amuse que vous, Sigmund... Ma puissance, désolée, je ne la tire certainement pas des
tréfonds mon utérus. Je la tire de mon histoire, de l’histoire des miens, et des luttes de tous les
opprimés, hommes comme femmes. Du bonheur de briser les déterminations, de sentir la liberté
s’élargir. Avec cette focalisation naturalisante et biologisante sur nos organes sexuels, on ne s’en
sortira jamais… Il faut déconstruire un peu Sigmund… Arrêtez de vous accrocher comme ça à votre
pénis… Ce qui importe ce n’est pas ce que nous avons entre les jambes, mais les droits que nous
possédons, en tant qu’êtres humains…
Sigmund – Vous êtes rabat-joie avec vos droits, Angela… On discutait beaucoup avec Antoinette, qui
a d’ailleurs fondé « Psychanalyse et politique », une sorte d’hommage à mon égard finalement. On
débattait beaucoup, moi je n’en démordais pas… Le fait d’être en désaccord ne donnait que plus de
charme à nos parties de jambes en l’air… J’en retirais une fougue… D’ailleurs, couchés, on se parle
beaucoup mieux… Vous n’avez jamais remarqué ça ? Les plus belles conversations intellectuelles
avec des femmes, moi je les ai eues au lit, avant ou après le feu de l’action… Et vous ?
Angela – Quoi moi ?
Sigmund – Vous pendant les années 70 ? Votre libération sexuelle ? Un peu de place pour la
gaudriole, au milieu des tracts et de la lutte armée ?
Angela – Je m’occupais d’une autre libération, Sigmund. Qui excédait les limites de ma zone génitale,
désolée…
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