FOOTBALLALLEMAGNE, ANNÉE ZÉROLa peur du videÀ moins de trois mois de sa Coupe du monde, l’Allemagne, qui reçoit ce soir les États-Unis, est à la recherche de son glorieux passé.Une équipe nationaleen plein doute,un sélectionneur critiqué,des clubs presque touséliminés des Coupesd’Europe, et pourcouronner le tout,des affaires de matchestruqués. Alors ques’annonce « sa » Coupe dumonde, l’aigle allemandet son football battent del’aile, loin de l’arroganced’antan. Inquiétant.DORTMUND – (ALL)de notre envoyé spécialPAULE, LA NOUVELLE mascotte dela Fédération allemande, est un petitaigle espiègle et sympathique. Unedéclinaison rassurante et sourianted’un emblème autrefois symboled’arrogance et de toute-puissance.Lors de sa première apparition officielle,avant-hier, dans une concessionautomobile de Düsseldorf, Paulen’a pas franchement suscité l’enthousiasme.Comme pour conjurer unmauvais sort, un confrère s’estdemandé à haute voix si le gentilrapace avait été vacciné contre lagrippe aviaire…Cette forme de dérision situe le climatdans lequel baigne la Nationalmannschaft,et autour d’elle toute unenation, à moins de quatre-vingts joursde l’ouverture de la Coupe du monde.Dans un pays rentré dans le rang, lepessimisme s’est insinué et a patiemmentgrignoté les certitudes, écornéles clichés. Exemple significatif dudéclin du « modèle allemand », en2005, le nombre des naissances esttombé à son niveau le plus bas depuisl’après-guerre (686 000). Autresindices de la montée de la morosité,l’Allemagne compte 5 millions de chômeurs.Dans certains « Bundesländer», des employés des servicespublics sont en grève depuis sixsemaines parce qu’ils n’acceptent pasune augmentation de leur temps detravail hebdomadaire (de 38,5 à40 heures) sans compensation financière.Parenthèse sacrée et rituelle, la Bundesligaest insensible à l’usure etsemble déconnectée de cette dureréalité sociale. La moyenne de fréquentationdes matches de PremièreDivision (38 057 en 26 journées) aencore augmenté par rapport à la saisondernière. Mais cette assiduitépopulaire, aussi historique que culturelle,n’est-elle pas une façon de fuirl’évidence ? Dans un parfait mimétismeavec son voisin français, le footballtraîne aussi son lot d’affaires et derévélations malodorantes. Des événementsrécents le prouvent, l’activitésouterraine de la mafia des paris esttoujours aussi intense, un an aprèsl’affaire Hoyzer (voir page 2). Plusgrave encore, la police criminelle deBielefeld enquête sur le versement de580 000 euros qui aurait pu servir àfausser le résultat de la rencontre –décisive pour le maintien – entre leBayer Leverkusen et Arminia Bielefeld,le 4 mai 2003. Quelques joursplus tard, Rainer Calmund, l’ex-managerXXL du Bayer, a signé troischèquesd’un montant équivalent à unintermédiaire pour financer uneoption d’achat sur deux joueurs croateet serbe.Sur le terrain, cette tendance dépressionnairese traduit par un doubleconstat d’échec : Schalke 04 est le seulKlinsmann, homme du mondeDebout dans la tempête, le sélectionneur allemand assume son éloignementet ses méthodes.À LA FIN D’UN LONG ENTRETIEN,l’année dernière, au cœur de la Coupedes Confédérations, Jürgen Klinsmannavait conclu, dans un large sourire :« Vous savez, le monde est beaucoupplus petit qu’on ne croit. » Il étaitconvaincant dans sa façon de parler dela Californie, où il vit avec sa femme etson fils, comme si c’était là, de l’autrecôté de la rue. J’y vais et je reviens,dites-moi où est le problème. Le problème,lui a-t-on fait savoir, c’est quela rue est large comme un océan, ajoutéà l’étendue des États-Unis. Le sélectionneurallemand en souriait : «Jeviens en Allemagne deux fois par mois.J’ai un bureau chez moi, je vois lesmatches de Bundesliga à la télé, mesadjoints sont sur les stades. Quelquepart, ça me permet d’avoir du recul. »Au terme « recul », beaucoup préfèrent« éloignement », voire « distance», et pas seulement géographique.Ainsi, la façon qu’a eueKlinsmann de sauter le rendez-vousdes entraîneurs participant à la prochaineCoupe du monde, à Düsseldorf,a provoqué la colère publique de FranzBeckenbauer, le président du comitéd’organisation. Klinsmann s’en estexpliqué, sa mère l’ayant rejoint aumême moment en Amérique pour unecérémonie en souvenir de son père.« Un congrès de la FIFA, a fait comprendre“Klinsi”, reste moins importantque la famille. » C’est plus quecompréhensible, mais, à trois mois dela Coupe du monde, dans un paysentièrement tourné vers l’événement,club de Bundesliga qualifié pour lesquarts de finale d’une Coupe d’Europe(celle de l’UEFA) et l’Allemagnetremble à l’idée de subir un nouvelaffront face aux États-Unis, troissemaines après le désastre de Florenceface à l’Italie (1-4).« Peut-on dire que les États-Unis,classés au cinquième rang du classementFIFA, font partie des nationsmajeures du football ? » La question,perfide, n’a pas manqué d’être poséeà Jürgen Klinsmann, l’entraîneurd’une équipe nationale qui n’a plusbattu un «grand»depuis le 7 octobre2000 (l’Angleterre, 1-0, à Wembley).Que le sélectionneur allemand ait étécontraint d’y répondre sans s’effaroucherni esquisser la moindre grimacesouligne l’étendue de la défiance àson égard. « Les États-Unis ont beaucoupprogressé, a répondu un Klinsmannaux traits tirés et au visageamaigri.Mais on nepeut quandmêmepas les placer au niveau de la Franceou du Brésil. »Triple championne du monde (1954,1974 et 1990), finaliste en 2002,l’Allemagne en est réduite à scruter unprobant succès face aux États-Unispour ne pas s’enfoncer dans la crise.Pour situer l’origine du mal, les glorieuxanciens déplorent « des vertusoubliées ». « La société allemande achangé, souligne Toni Schumacher, legardien de but de l’équipe d’Allemagnelors de la fameuse demi-finalede Séville en 1982. De mon temps, lesgens se retrouvaient dans notre forcede caractère, notre volonté, notredétermination. Ce n’est plus le casaujourd’hui. »Klinsmann sur le grilKarl-Heinz Rummenigge, le présidentdu Bayern Munich, est persuadé quel’Allemagne a raté une marche. «De1990 à 2000, nous avons négligé laformation, assure-t-il, nous avons cruque la réunification allait suffire pournous doter de joueurs de qualité.Nous enpayonsle prix aujourd’hui. Lagénération des Beckenbauer, Breitner,Netzer incarne le succès et laréussite. Ballack ou Kahn, nos starsd’aujourd’hui, appartiennent à unegénération qui connaît des problèmes.Depuis1996,nous avons perducette confiance en nous et nousn’avons plus autant de talents individuelssur le terrain. Nous essayonsdonc de compenser par de l’euphorieet de la motivation. Mais je pense quele plus dur est derrière nous. »Affectueusement surnommé « GrinsiKlinsi » en raison de son éternel souriresur son visage d’ange, Klinsmannest le gestionnaire malgré lui de cedéclin. Son empressement à allerrejoindre sa famille en Californie, où ilvit, après la débâcle italienne, sonabsence lors du séminaire des entraîneursqualifiés pour la Coupe dumonde, voilà quinze jours, ce détachementapparent, ont provoqué lacolère de la presse. Et déclenché lecourroux de Franz Beckenbauer,l’omnipotent président du comitéd’organisation du Mondial 2006. Ledébat a même tourné à l’affaired’État. La semaine dernière, à l’issued’un dîner (prévu de longue date),Angela Merkel a publiquement affichésonsoutien à Klinsmann dans unesorte d’appel à l’unité nationale. «Jesuis convaincue qu’il est sur la bonnevoie avec son équipe », a déclaré lachancelière de la République fédéraled’Allemagne. « L’ensemble du gouvernementest avec vous », a-t-elleajouté à l’adresse du sélectionneur.« La pression, quelle pression ? »s’est étonné Jürgen Klinsmann aumoment d’évoquer les enjeux de laALLEMAGNE - ÉTATS-UNISUne déroute à effacerl’affaire a pris une dimension considérable.Les députés s’en sont emparésetla chancelière Angela Merkel en personneestintervenue pourcalmerle jeuet assurer l’ancien buteur de la Nationalmannschaft(47 buts en 108 sélections)de son soutien : « L’ensemble dugouvernement est avec vous. »Wenger : « Il saurautiliser la critique »On sait pourtant que, même sansl’appui du premier personnage del’État, Klinsmann resterait droit dansses bottes. Il peut se le permettre pouravoir posé ses conditions avant des’engager. Les entraîneurs physiquesaméricains, le psychothérapeute, lesrassemblements au cœur des grandesvilles, les rencontres avec des philosopheset des artistes, les arrivéesd’Oliver Bierhoff comme manager etde Joaquim Löw, son adjoint, les communicationspar e-mails, tout étaitdans son projet. La Fédération l’a entérinéles yeux fermés. Elle ne s’est finalementopposée qu’à l’arrivée de BernhardPeters, un entraîneur de hockeysur glace, au poste de directeur techniquenational, lui préférant MathiasSammer.Tout cela en dit long, pourtant, sur leregard que pose Klinsmann sur lemonde et le football. Décalé, sansdoute, ouvert sur les autres, détachéde toute contrainte, quand bien mêmeon lui a mis une « task force » chargéede l’encadrer dans les pattes. Il faitavec, sans dévier sa course. Et il iradonc au combat mondial avec l’idéeoriginelle : « Donner du plaisir, attaquer,marquer des buts, plutôt un 5-4qu’un 1-0. » Cela avait plu lors de laCoupe des Confédérations. Mais,depuis la correction (1-4) reçue à Florence,contre l’Italie, le 1 er mars dernier,la presse se déchaîne. Klinsmannfait celui qui ne s’inquiète pas. Il laissedire, garde sa confiance aux jeunes etcontinue d’oublier Christian Wörns, leLA QUESTION DU JOURL’Allemagne, à domicile,gagnera-t-elle une quatrièmeCoupe du monde cet été ?Pour voter, connectez-vous sur www.lequipe.frentre16heureset22heuresouenvoyezOUIouNONparSMSau 61008 (0,34 euro + coût de un SMS).Le 1 er mars dernier à Florence, l’Allemagne de Michael Ballack (au centre) était humiliée par l’Italie de Fabio Cannavaro (à gauche) et Andrea Pirlo (4-1). Difficileà digérer pour la nation organisatrice à trois mois de l’événement. (Photo Pics United/Presse Sports)rencontre de ce soir. « Elle n’est pasquantifiable. Nous traversons unepériode de turbulences mais nous nenous prenons pas la tête. Les discussionset les controverses, ce n’est pasnotre truc. Nous, ce qui nous intéresse,c’est d’être prêts le 9 juin… »Manager du Bayern et porte-parolede la task force qui encadre l’équipenationale, Uli Hoeness a pourtantdéjà prévenu.Si l’Allemagne n’estpasà la hauteur au cours de ce derniermatch de préparation à domicile, ilannonce d’« énormes discussions ausujet de Klinsmann ».ÉRIC CHAMPELAUJOURD’HUI, 20 H 30, À DORTMUND,WESTFALENSTADIONALLEMAGNE : Kahn – Owomoyela, Mertesacker, Metzelder, Lahm – Kehl, Schneider,Borowski, Ballack – Asamoah, Klose. Entraîneur : J. Klinsmann.ÉTATS-UNIS: Keller – Pearce, Gibbs, Pope, Cherundolo– Convey, Klein,Mastroeni,Olsen – Johnson, Tweilman. Entraîneur : B. Arena.Arbitre : M. Fröjdfeldt (Suède).DOUZE MATCHES, onze victoires, un nul, aucune défaite, 54 buts marqués,6 encaissés : depuis 1935, l’Allemagne n’a jamais perdu à Dortmund. Ce remakedu quart de finale de la Coupe du monde 2002 face aux États-Unis (victoire del’Allemagne 1-0) est justement l’occasion de démontrer que l’Allemagne saitencore gagner. Après la débâcle de Florence, le 1 er mars (1-4), c’est la dernièresortie de la Mannschaft avant la communication de la liste des 23 sélectionnés, le15 mai. « Je ne me fais aucun souci, le football allemand peut évoluer au plus hautniveau », a assuré Miroslav Klose, le meilleur buteur de la Bundesliga (18 buts).Face à une équipe américaine très mixte et privée de ses joueurs majeurs évoluanten Europe (Beasley, McBride, Reyna, Lewis, Onyewu), l’Allemagne sera égalementdiminuée. Deisler (qui va être opéré du genou et sera absent six mois), Frings(mollet), Hanke (bassin), Kuranyi (genou) et Huth (que Chelsea n’a pas libéré) sontabsents alors que Kahn, comme prévu, retrouvera sa place dans les buts. – E. C.défenseur de Dortmund. Mêmeaujourd’hui, et il faut le faire, parcequ’on annonce une belle bronca, cesoir, au Westfalenstadion, où l’Allemagneaffronte les États-Unis, patrienatale contre terre d’adoption.Homme du monde, grand voyageur (ila joué à Stuttgart, au Bayern, à Monaco,à la Sampdoria, à Tottenham), cefils de boulanger de quarante ans, PDGd’une société de conseil aux États-Unis, est surtout resté le même en passantdu statut de joueur à celuid’entraîneur. Intransigeant, il imposeses idées.ArsèneWenger, qui a étésonentraîneur en Principauté, se souvient« d’un joueur très exigeant envers luimêmeet envers les autres ». « Je nepensais pas vraiment qu’il deviendraitentraîneur. À l’époque, il était un peurêveur, porté sur l’écologie, différent.» Mais aussi : « Intelligent, extraverti,moderne.Jene m’enfaispas troppour lui et l’équipe d’Allemagne. J’aientrevu beaucoup de promesses à laCoupe des Confédérations. Les critiquesqu’on entend sont celles d’uneopinion et d’une presse qui angoissent.C’est toujours pareil quand unenation joue à domicile. Mais, vous verrez,les Allemands seront là. À Florence,ilsont perduun match amical demilieu de semaine. Ce n’est pas siimportant. »Klinsmann, lui, se répète : « Je veuxaller en finale. » « En interne, c’est unrassembleur, souligne Wenger. Il saurautiliser la critique. »JEAN-MARC BUTTERLINMERCREDI 22 MARS 2006 PAGE 3