CH. DIDIER GONDOLA<strong>ne</strong>s qui ont parfois causé suici<strong>de</strong>s et meurtres. I1 est vrai qu’au momentoh la frénésie <strong>de</strong>s (( promotions R battait son plein, les prix <strong>de</strong> l’immobilierconnaissaient u<strong>ne</strong> chute vertigi<strong>ne</strong>use due à l’explosion <strong>de</strong> l’offre. Beaucoupcédèrent leurs maisons à <strong>de</strong>s prix dérisoires pour investir chez (( Bindoet consorts (37).L’aveuglement fut tel que même les mises en gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> la Banque duZaïre sur le caractère illicite <strong>de</strong> ces <strong>jeux</strong> attisèrent, au contraire, la passionpopulaire et mirent la banque dans le collimateur <strong>de</strong>s clients <strong>de</strong> Bindo.Au sein <strong>de</strong> cette clientèle, qui comptait beaucoup d’adolescents, s’organisèrent<strong>de</strong>s briga<strong>de</strong>s <strong>de</strong> protection qui (( ont juré <strong>de</strong> s’attaquer à tout véhicule<strong>de</strong> la Banque qu’ils surprendraient sur la route. La Banque du Zaïrea donc été obligée <strong>de</strong> retirer <strong>de</strong> la circulation tous les véhicules <strong>de</strong> soncharroi automobile portant la mention (( Banque du Zaïre i) pour <strong>ne</strong> pasexposer ses agents et ses moyens <strong>de</strong> cransport à la colère <strong>de</strong> la population B(Le Phare, 17 mai 1991, p. 13).Les <strong>jeux</strong> d’argent ont également causé <strong>de</strong>s morts et <strong>de</strong>s blessés graves,surtout au sein <strong>de</strong> la population estudianti<strong>ne</strong> qui s’est retrouvée au sommet<strong>de</strong> la <strong>va</strong>gue <strong>de</strong> violences (38). Les poussées <strong>de</strong> violence <strong>de</strong>s étudiants seprolongeront jusqu’à la fin du mois <strong>de</strong> juin, mais seront à chaque foisdésamorcées par la promesse du gouver<strong>ne</strong>ment <strong>de</strong> rembourser lui-même,dans un bref délai, les sommes bloquées dans les (( promotions D. Ainsi, lejeudi 20 et le vendredi 21 juin, u<strong>ne</strong> expédition <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>s civils, agissant<strong>de</strong> connivence avec la gendarmerie, a coûté la vie à u<strong>ne</strong> dizai<strong>ne</strong> <strong>de</strong> souscripteurset causé <strong>plus</strong>ieurs blessés. Le drame a eu lieu aux abords <strong>de</strong>sbureaux du (( Panier <strong>de</strong> la ménagère n <strong>de</strong> Matete où, après <strong>plus</strong> <strong>de</strong> douzeheures d’attente, les souscripteurs ont été molestés et dépouillés <strong>de</strong> leurseffets person<strong>ne</strong>ls par les forces <strong>de</strong> l’ordre coalisées (39). I1 faut rechercherles causes <strong>de</strong>s pillages (40) <strong>de</strong> septembre dans l’atmosphère qui pré<strong>va</strong>lutà Kinshasa au cours <strong>de</strong>s mois <strong>de</strong> juillet et d’août. La vie chère, la colère(37) A Kisangani, u<strong>ne</strong> famille entièrese retrouve dans la rue, sans abri, le papaayant vendu la parcelle et placé l’argentchez Nguma. Mais le temps d’être payé enretour <strong>de</strong> ses millions, le pire a surgi. L’infortuné,un enseignant, crie <strong>de</strong>puis à lamalchance. Mais il n’est pas le seul. Chaquejour qui passe, même les <strong>va</strong>gabondsont appris à être fidèles au journal télévisé<strong>de</strong> 20 heures pour en savoir un peu <strong>plus</strong>sur le sort <strong>de</strong> leur fortu<strong>ne</strong> (i glacée r) (Le Soft<strong>de</strong>filtance, 30 mai 1991, p. 24).(38) Le 14 mai, <strong>de</strong>s étudiants désespérés<strong>de</strong> I’ISTA saisissent un busCity-train et u<strong>ne</strong> remorque d’essence appartenantà la société Zaïre-SEP. Ils menacent<strong>de</strong> brûler les <strong>de</strong>ux véhicules au casoù le commandant <strong>de</strong> la ville interviendraitpar la force. Le général Bolozi don<strong>ne</strong> alorsl’ordre à ses gar<strong>de</strong>s civils <strong>de</strong> quadriller l’institut.Les étudiants répon<strong>de</strong>nt par <strong>de</strong>s insulteset <strong>de</strong>s jets <strong>de</strong> pierre. L’ordre estdonné <strong>de</strong> libérer les <strong>de</strong>ux véhicules. Deuxétudiants tombent sous les balles <strong>de</strong>s militaires; 18 autres s’en tirent avec <strong>de</strong>s bles-sures (La Sewzazlze, 16 mai 1991, p,. 8). Lelen<strong>de</strong>main, en représailles, les étudiants <strong>de</strong>I’ISTA brûlent vif un gar<strong>de</strong> civil. La violenceredouble et s’étend aux autres institutsquand tombe, au soir du 14 mai, ladécision <strong>de</strong> la primature interdisant les<strong>jeux</strong> <strong>de</strong> placement dans les campus et lesinstituts supérieurs. Le len<strong>de</strong>main, les affrontementsentre étudiants et gar<strong>de</strong>s civilsse multiplient. On dénombre, à l’issue <strong>de</strong>séchauffourées, <strong>plus</strong>ieurs étudiants blessésà la baïon<strong>ne</strong>tte et brûlés aux gaz lacrymogè<strong>ne</strong>set un mort par balle à I’ISC. Le 17mai, le gouver<strong>ne</strong>ment ferme 1’IPN. Le 24mai, tous les autres instituts supérieurssont assiégés par la gar<strong>de</strong> civile.(39) EZima, 28 juin 1991, p. 1.(40) Ils ont fait les u<strong>ne</strong>s du Mon<strong>de</strong>(du 24 septembre au 27 septembre 1991).Provoquée par u<strong>ne</strong> rébellion orchestrée <strong>de</strong>la 31‘briga<strong>de</strong>, dans la nuit du dimanche22 au lundi 23 septembre, la furie a gagnéla population qui, sans relâche, a pillé et<strong>va</strong>ndalisé pendant les trois jours sui<strong>va</strong>nts.107
JEUX D’ARGENT, JEUX DE VILAINSjointe à l’impuissance, et surtout ce sentiment, qui <strong>de</strong>venait <strong>de</strong> <strong>plus</strong> en<strong>plus</strong> intense, d’avoir été joué par le pouvoir lui-même, poussèrent la populationà récupérer (41) par la violence ce qui lui a<strong>va</strong>it été ravi par laruse.A qui profite le crime ?La question <strong>de</strong> savoir qui tirait les ficelles <strong>de</strong>rrière les promoteurs <strong>de</strong>s<strong>jeux</strong> d’argent n’est pas sans intérét, quand on sait que l’u<strong>ne</strong> <strong>de</strong>s donnéesfondamentales du Zaïre <strong>de</strong>s années 90 <strong>de</strong>meure l’émiettement du pouvoiret l’utilisation <strong>de</strong> tous les moyens pour en conserver les débris. De<strong>va</strong>nt unMobutu aux abois, contrôlant à distance, plutôt mal que bien, et parconseillers interposés, la situation à IGnshasa, l’opposition, vraie ou fausse,s’est présentée comme le dépositaire d’un pouvoir qu’elle ramasse souventdans la rue où étudiants, militaires, joumalistes, fonctionnaires, religieux,Libanais et femmes commerçantes constituent autant <strong>de</strong> groupes <strong>de</strong> pression.Pour les victimes <strong>de</strong> ces escroqueries, il n’y a<strong>va</strong>it pas l’ombre d‘undoute : (( Bindo et consorts n’étaient que <strong>de</strong>s prête-noms avec l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>squelsle pouvoir mobutiste a tenté <strong>de</strong> brouiller les cartes <strong>de</strong><strong>va</strong>nt les échéanceset le climat politiques instaurés par l’ouverture démocratique. De<strong>va</strong>ntcette gran<strong>de</strong> inconnue qu’a constitué la perspective <strong>de</strong> l’ouverture <strong>de</strong> laConférence nationale, Mobutu aurait voulu tout saboter et provoquer undésordre in<strong>de</strong>scriptible qui lui aurait permis d’émerger u<strong>ne</strong> fois <strong>de</strong> <strong>plus</strong>comme le garant <strong>de</strong> la paix et <strong>de</strong> la sécurité nationales.Ceci permet <strong>de</strong> comprendre pourquoi, ignorant même le gouvemement<strong>de</strong> Mulumba Lukoji, les étudiants exigeront directement <strong>de</strong> Mobutule remboursement <strong>de</strong> leur argent. Dans un communiqué qu’ils adressentau gouver<strong>ne</strong>ment, le 25 mai, ils promettent <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre dans la rue lemercredi 29 mai et d’aller même jusqu’au ((sacrifice suprême^)) si ((lescritères <strong>de</strong> remboursement <strong>de</strong> leurs placements <strong>ne</strong> sont pas respectés parle promoteur <strong>de</strong> toutes ces escroqueries, le (( maître inspirateur )), qui n’estautre que Mobutu u (Umoja, 29 mai, p. 3). Qu’il s’agisse <strong>de</strong>s journalistes,<strong>de</strong>s partis d’opposition, 1’UDPS <strong>de</strong> Tshisekedi en tête, ou même <strong>de</strong>s partis<strong>de</strong> la mou<strong>va</strong>nce prési<strong>de</strong>ntielle, la responsabilité du gouver<strong>ne</strong>ment, et àtravers lui celle <strong>de</strong> Mobutu, <strong>ne</strong> fait pas <strong>de</strong> doute. Le joumal (( mpriste )) et(( jusque-mobutiste H Kapia n’hésita pas à accuser directement un gouver<strong>ne</strong>mentqu’il sa<strong>va</strong>it bien à la sol<strong>de</strong> <strong>de</strong> Mobutu en écri<strong>va</strong>nt :Assurer la séczwité <strong>de</strong> Bindo et ses actions par les éléments <strong>de</strong> la Gar<strong>de</strong>Civile, lui accor<strong>de</strong>r <strong>plus</strong> <strong>de</strong> temps à la télé et à la radio, <strong>plus</strong> même quele Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République, lui cé<strong>de</strong>r les installations administratives <strong>de</strong>I’Etat, notamment dans les zo<strong>ne</strong>s <strong>de</strong> Kinshasa, démontre à suffisancel’appui que le gouver<strong>ne</strong>ment accordait à Bindo (Icapia, 4 juin 1991,P. 7).(41) Le vocabulaire du pillage estd’ailleurs suggestif sur ce point. Les pilleurs,selon le peintre zaïrois Cheri Samba,Q emploient les mots ramasser, é<strong>va</strong>cuer, allerchercher, déplacer, mais jamais voler )), entretienaccordé au Het Belang Va’nlz Limburg,cité dans G. <strong>de</strong> Villers, op. cit., p. 145.108