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Vers un appauvrissement managérialiste des organisations de ...

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Article« <strong>Vers</strong> <strong>un</strong> <strong>appauvrissement</strong> managérialiste <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>organisations</strong> <strong>de</strong> services humainscomplexes ? »Alain Dupuis et Luc FarinasNouvelles pratiques sociales, vol. 22, n° 2, 2010, p. 51-65.Pour citer cet article, utiliser l'adresse suivante :http://id.erudit.org/i<strong>de</strong>rudit/044219arNote : les règles d'écriture <strong><strong>de</strong>s</strong> références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir.Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation <strong><strong>de</strong>s</strong> services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.htmlÉrudit est <strong>un</strong> consortium inter<strong>un</strong>iversitaire sans but lucratif composé <strong>de</strong> l'Université <strong>de</strong> Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation <strong>de</strong> la recherche. Érudit offre <strong><strong>de</strong>s</strong> services d'édition numérique <strong>de</strong> documentsscientifiques <strong>de</strong>puis 1998.Pour comm<strong>un</strong>iquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.caDocument téléchargé le 11 février 2011 09:33


D O S S I E R<strong>Vers</strong> <strong>un</strong> <strong>appauvrissement</strong>managérialiste<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>organisations</strong> <strong>de</strong> serviceshumains complexes ?Alain DupuisTélé-<strong>un</strong>iversitéUniversité du Québec à MontréalLuc FarinasÉtudiant au 3 e cycleÉcole nationale d’administration publiqueLes mo<strong><strong>de</strong>s</strong> managériales se succè<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>puis <strong><strong>de</strong>s</strong> décenniesdans les <strong>organisations</strong> publiques <strong>de</strong> services humainscomplexes. Auc<strong>un</strong>e ne peut revendiquer <strong><strong>de</strong>s</strong> fon<strong>de</strong>mentssoli<strong><strong>de</strong>s</strong> ou <strong>un</strong> réel succès. La combinaison <strong>de</strong> fusion d’établissements,d’intégration régionale et <strong>de</strong> gestion axéesur les résultats fon<strong>de</strong> les <strong>de</strong>rnières réformes en datedans le secteur <strong>de</strong> la santé et <strong><strong>de</strong>s</strong> services sociaux. Ils’agit d’<strong>un</strong>e mo<strong>de</strong> managériale sans fon<strong>de</strong>ment sérieuxau regard <strong><strong>de</strong>s</strong> sciences <strong>de</strong> l’organisation et qui poussel’ensemble du système vers le modèle <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong>


52 Pratiques sociales et pratiques managérialesentreprise divisionnalisée. Sous l’effet <strong>de</strong> ce modèle, nos<strong>organisations</strong> risquent <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir toujours plus grosses,plus formelles, plus abstraites, plus impersonnelles, plussuperficielles, vi<strong><strong>de</strong>s</strong> d’engagements et <strong>de</strong> jugementséclairés.In the past <strong>de</strong>ca<strong><strong>de</strong>s</strong>, there has been a steady stream ofmanagerial mo<strong>de</strong>ls in complex human services organizations.None can claim solid fo<strong>un</strong>dations or real success.The combination of institutional mergers, regional integrationand results-based management <strong>un</strong><strong>de</strong>rlies the latestreforms in the health and social services sector. This is amanagerial mo<strong>de</strong>l without serious fo<strong>un</strong>dation in organizationalscience and it pushes the whole system towardthe mo<strong>de</strong>l of the divisionalized large-scale organization.Un<strong>de</strong>r this mo<strong>de</strong>l, our organizations risk becoming everlarger, more formal, more abstract, more impersonaland more superficial, void of commitment and informedjudgment.INTRODUCTIONSous l’effet <strong><strong>de</strong>s</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong> managériales qui se présentent comme <strong>un</strong>e « rationalisation» ou <strong>un</strong>e « mo<strong>de</strong>rnisation » <strong>de</strong> la gestion, on intègre, on fusionne, onimpose <strong>un</strong>e reddition <strong>de</strong> comptes « claire et transparente », on cherche <strong><strong>de</strong>s</strong>économies d’échelle. On implante la rationalisation <strong><strong>de</strong>s</strong> choix budgétaires,la gestion par objectifs, le budget base zéro, la planification stratégique, laqualité totale, la réingénierie <strong><strong>de</strong>s</strong> processus, le benchmarking, les pratiquesexemplaires, les pratiques basées sur <strong><strong>de</strong>s</strong> données probantes, la gestion axéesur les résultats, les règles <strong>de</strong> saine gouvernance. On affirme et on penseviser <strong>un</strong>e plus gran<strong>de</strong> coordination, <strong>un</strong>e plus gran<strong>de</strong> équité, <strong>un</strong>e plus gran<strong>de</strong>efficience, <strong>un</strong>e plus gran<strong>de</strong> qualité et <strong>un</strong>e plus gran<strong>de</strong> imputabilité. Y arrivet-on? Et si l’on obtenait plutôt l’effet inverse ?Toutes ces techniques managériales ont en comm<strong>un</strong> <strong>de</strong> présupposer <strong>un</strong>modèle organisationnel hiérarchiste et mécaniste particulièrement inadéquatdans les écoles, les <strong>un</strong>iversités, les hôpitaux et les centres <strong>de</strong> services <strong>de</strong> santéet <strong>de</strong> services sociaux. Ces <strong>organisations</strong> partagent la caractéristique <strong>de</strong> nepouvoir accomplir leurs fonctions dans la société que si elles peuvent comptersur l’engagement profond et le jugement expérimenté <strong><strong>de</strong>s</strong> professionnels quidonnent les services. Or toutes ces techniques managériales ont pour effetd’affaiblir l’engagement du personnel <strong>de</strong> ces <strong>organisations</strong> et <strong>de</strong> minimiserla place du jugement <strong>de</strong> ceux qui donnent les services. Sous l’effet <strong>de</strong> ceNPS, vol. 22, n o 2


<strong>Vers</strong> <strong>un</strong> <strong>appauvrissement</strong> managérialiste <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>organisations</strong>… 53managérialisme, les <strong>organisations</strong> ont tendance à être toujours plus grosses,plus désincarnées, plus abstraites et impersonnelles, ce qui les vi<strong>de</strong> du sens<strong>de</strong> la mission, du sens du travail, du sens <strong>de</strong> l’engagement personnel et <strong><strong>de</strong>s</strong>responsabilités. Et si l’on se trompait lour<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> modèle organisationnelet <strong>de</strong> mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> gestion ?QUELS MODÈLES ORGANISATIONNELS POURLES ORGANISATIONS DE SERVICES HUMAINS COMPLEXES ?Notre imaginaire est peuplé <strong>de</strong> certains archétypes organisationnels dominants,<strong>de</strong> quelques façons légitimes et simplificatrices <strong>de</strong> comprendre l’organisationdu travail collectif. Ces archétypes sont <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles mentaux etculturels plus ou moins adéquats selon le travail qu’il faut accomplir, selon lafonction qu’il faut remplir. Le hiérarchisme est l’<strong>un</strong> <strong>de</strong> ces modèles culturelset mentaux dominants (Hood, 1998) que certains ont voulu et souhaitenttoujours implanter avec plus <strong>de</strong> vigueur dans les écoles, dans les hôpitaux,dans les <strong>un</strong>iversités. C’est ce hiérarchisme qui nous fait penser, entre autres,qu’il est évi<strong>de</strong>nt et approprié d’attribuer au conseil d’administration et audirigeant d’<strong>un</strong>e organisation la responsabilité <strong>de</strong> l’accomplissement <strong>de</strong> samission. Le hiérarchisme est <strong>un</strong> élément du managérialisme, <strong>un</strong> courant <strong>de</strong>pensée où les gestionnaires et les techniques managériales sont considéréscomme les éléments centraux du bon fonctionnement <strong>de</strong> toutes les <strong>organisations</strong>.Pour beaucoup <strong>de</strong> gens, la gestion est inconcevable en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> cecadre <strong>de</strong> pensée.Dans cet archétype hiérarchiste, on fait <strong>un</strong>e distinction très nette entrele travail <strong><strong>de</strong>s</strong> gestionnaires et celui <strong><strong>de</strong>s</strong> « exécutants ». Les droits <strong>de</strong> décisionet <strong>de</strong> contrôle sont attribués aux gestionnaires. Comment pourrait-il en êtreautrement ? Les sciences <strong>de</strong> l’organisation ont avancé l’idée que cet archétypen’est relativement efficace que pour les tâches simples qu’<strong>un</strong>e personneseule peut comprendre et superviser (Mintzberg, 1989 ; Donaldson, 2001 ;Grandori, 2001 ; Scott, 2003). L’archétype hiérarchiste doit être complétépar <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes organisationnels bureaucratiques pour accommo<strong>de</strong>rla gestion à plus gran<strong>de</strong> échelle. La hiérarchie et la supervision directe sontalors complétées par la normalisation <strong><strong>de</strong>s</strong> processus et <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats dutravail à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> règles écrites. La supervision du travail s’appuie dans cecas sur <strong><strong>de</strong>s</strong> plans, <strong><strong>de</strong>s</strong> règlements, <strong><strong>de</strong>s</strong> procédures, <strong><strong>de</strong>s</strong> mesures et <strong><strong>de</strong>s</strong> ciblesquantifiées. Les idées à la mo<strong>de</strong> sur la gestion par résultats et la reddition<strong>de</strong> comptes claire et transparente fondée sur l’imputabilité <strong><strong>de</strong>s</strong> dirigeantset sur <strong><strong>de</strong>s</strong> indicateurs et <strong><strong>de</strong>s</strong> cibles relèvent <strong>de</strong> cet archétype organisationnelqui nous fait voir l’organisation comme <strong>un</strong>e machine.NPS, vol. 22, n o 2


54 Pratiques sociales et pratiques managérialesLes sciences <strong>de</strong> l’organisation ont avancé et développé l’idée que l’efficacitérelative <strong>de</strong> l’archétype mécaniste est limitée aux tâches analysables,stables, répétitives, faciles à observer et à mesurer (Burns et Stalker, 1994 ;Perrow, 1970 ; Scott, 2003). Comment penser alors qu’il peut être adaptéaux <strong>organisations</strong> professionnelles <strong>de</strong> services humains complexes, <strong><strong>de</strong>s</strong><strong>organisations</strong> à la mission, aux moyens et aux résultats complexes, ambigus,opaques, incertains et partiellement indéterminés ? (Hasenfeld, 1983.) Selonles sciences <strong>de</strong> l’organisation, nous <strong>de</strong>vrions penser les écoles, les hôpitauxet les <strong>un</strong>iversités comme <strong><strong>de</strong>s</strong> institutions sociales « organiques » qui se développentau fil <strong><strong>de</strong>s</strong> décennies plutôt que comme <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes mécanistesconçus par ingénierie organisationnelle. Il faudrait les penser à l’ai<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>modèles organisationnels égalitaristes, collégiaux ou professionnels, qui sesont révélés être <strong><strong>de</strong>s</strong> façons privilégiées d’organiser la réalisation <strong>de</strong> missionscomplexes nécessitant <strong><strong>de</strong>s</strong> savoirs et <strong><strong>de</strong>s</strong> jugements élaborés <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>ceux qui produisent les services.En bref, le managérialisme n’a pas <strong>de</strong> fon<strong>de</strong>ment bien assuré dans lessciences <strong>de</strong> l’organisation. Ces <strong>de</strong>rnières ont révélé l’existence et la légitimitéd’<strong>un</strong>e gran<strong>de</strong> variété <strong>de</strong> mécanismes organisationnels plus ou moinsaptes à contribuer à la réalisation du travail à faire (Grandori, 2001). Les<strong>organisations</strong> réelles sont <strong><strong>de</strong>s</strong> combinaisons toujours particulières <strong>de</strong> cesmécanismes. Il est donc peu vraisemblable que les mêmes idées et les mêmestechniques puissent contribuer au bon fonctionnement <strong>de</strong> toutes les <strong>organisations</strong>indifféremment <strong>de</strong> la nature <strong>de</strong> leur mission et du travail qu’elles ontà faire. Le managérialisme met <strong>de</strong> l’avant certains mécanismes managériauxhiérarchistes et mécanistes au détriment <strong><strong>de</strong>s</strong> autres mécanismes organisationnelset empêche, selon nous, d’adopter <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes appropriés dansles <strong>organisations</strong> <strong>de</strong> services humains complexes.COLLÉGIALISME ET PROFESSIONNALISMEDANS LES ORGANISATIONS DE SERVICES COMPLEXESLa nature complexe, indéterminée, opaque et ambiguë <strong>de</strong> la mission <strong><strong>de</strong>s</strong><strong>organisations</strong> <strong>de</strong> services humains complexes, <strong><strong>de</strong>s</strong> moyens nécessaires pouraccomplir cette mission, et <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats <strong>de</strong> leur action (Hasenfeld, 1983 ;Cohen et March, 1986) limite énormément la possibilité que le managérialismepuisse contribuer à améliorer l’efficacité <strong>de</strong> ce type d’organisation(Grandori, 2001). Il y a <strong>de</strong> fortes chances que ce soit même l’inverse et quele managérialisme réduise la capacité <strong>de</strong> ces institutions sociales à accompliradéquatement leurs fonctions dans la société. Comme nous avons commencéà l’exposer, on peut opposer à la perspective hiérarchiste et mécaniste lesarchétypes égalitariste (Hood, 1998), professionnaliste (Freidson, 1994,NPS, vol. 22, n o 2


<strong>Vers</strong> <strong>un</strong> <strong>appauvrissement</strong> managérialiste <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>organisations</strong>… 552001) et organique (Burns et Stalker, 1994), qui veulent que tous les pairssoient porteurs <strong>de</strong> la mission et conjointement responsables <strong>de</strong> sa réalisation.Les <strong>organisations</strong> <strong>de</strong> services complexes nécessitent l’exercice constant d’<strong>un</strong>jugement complexe par ceux qui font le travail. Les principes et métho<strong><strong>de</strong>s</strong>organisationnels collégiaux et organiques sont plus appropriés que ceux duhiérarchisme mécaniste pour assurer l’exercice d’<strong>un</strong> tel jugement (Weick etMcDaniel, 1989 ; Freidson, 1994, 2001). C’est l’<strong>un</strong>e <strong><strong>de</strong>s</strong> propositions majeures<strong><strong>de</strong>s</strong> sciences <strong>de</strong> l’organisation que les archétypes organisationnels apparentésau collégialisme et au professionnalisme soient plus appropriés que lehiérarchisme mécaniste pour développer et déployer le savoir spécialisé etle jugement expert, c’est-à-dire les compétences propres aux métiers <strong><strong>de</strong>s</strong><strong>organisations</strong> <strong>de</strong> services humains complexes. Il faut alors faire appel entreautres à la normalisation <strong><strong>de</strong>s</strong> qualifications par ceux qui font le travail, àl’ajustement mutuel, aux normes sociales (responsabilité morale enversla mission ; on agit par <strong>de</strong>voir et par conviction et non pour répondre auxcomman<strong><strong>de</strong>s</strong> d’<strong>un</strong> « dirigeant imputable »). Freidson (1994, p. 176) présente<strong>de</strong> la façon suivante certaines caractéristiques du modèle « professionnel » :The professional mo<strong>de</strong>l is based on the <strong>de</strong>mocratic notion that people are capableof controlling themselves by cooperative, collective means and that, in the case ofcomplex work, those who perform it are in the best position to make sure it getsdone well. It contains within it the assumption that when people can control theirown work, and when their work, while specialized, is complex and challenging,they will be committed to it rather than alienated from it.Les mécanismes organisationnels du collégialisme et du professionnalismeren<strong>de</strong>nt possible le travail sur les connaissances et les valeurs nécessaireà l’accomplissement <strong><strong>de</strong>s</strong> missions complexes et ambiguës <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>organisations</strong><strong>de</strong> services humains (Weick et McDaniel, 1989).LE MODÈLE MANAGÉRIALISTE DE L’ORGANISATION MÉCANISTEET DIVISIONNALISÉEPlusieurs <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments <strong>de</strong> « mo<strong>de</strong>rnisation » managérialiste <strong>de</strong> la gestion<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>organisations</strong> publiques sont très visibles dans le secteur <strong>de</strong> la santé et<strong><strong>de</strong>s</strong> services sociaux du Québec, c’est le cas par exemple <strong>de</strong> l’intégrationorganisationnelle et <strong>de</strong> la gestion par résultats. Le premier a pris différentesformes, <strong>de</strong> la fusion d’hôpitaux <strong>un</strong>iversitaires à la création <strong><strong>de</strong>s</strong> Centres <strong><strong>de</strong>s</strong>anté et <strong>de</strong> services sociaux (CSSS). Le second se traduit entre autres par <strong><strong>de</strong>s</strong>ententes quasi contractuelles <strong>de</strong> gestion et d’imputabilité, et par la prédominanced’« objectifs » qu’on souhaite « piloter » à distance à l’ai<strong>de</strong> d’indicateursmesurables et <strong>de</strong> cibles chiffrées.NPS, vol. 22, n o 2


56 Pratiques sociales et pratiques managérialesLa logique d’ensemble du ministère <strong>de</strong> la Santé et <strong><strong>de</strong>s</strong> Services sociaux,comme celle du ministère <strong>de</strong> l’Éducation, ressemble fortement à celle d’<strong>un</strong>egran<strong>de</strong> entreprise « divisionalisée », à celle d’<strong>un</strong> vaste conglomérat, avec tousles défauts connus <strong>de</strong> ce type d’organisation, en particulier la gestion superficielleà distance qui met l’accent sur les éléments tangibles au détriment<strong><strong>de</strong>s</strong> éléments intangibles (Mintzberg, 1989). Avec la <strong>de</strong>rnière réorganisationen date, on regroupe la production <strong><strong>de</strong>s</strong> services sociaux et <strong>de</strong> santé dans<strong>un</strong>e « division » locale, <strong>un</strong>e organisation sous la responsabilité d’<strong>un</strong> gestionnaire« imputable » <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats et <strong>de</strong>vant rendre <strong><strong>de</strong>s</strong> comptes, le directeurgénéral du CSSS. On place les divisions locales sous l’autorité d’<strong>un</strong>e Agence<strong>de</strong> santé et <strong>de</strong> services sociaux, qui est <strong>un</strong>e division à l’échelle régionale.La division régionale, l’Agence, réalise la normalisation <strong><strong>de</strong>s</strong> « résultats »attendus <strong><strong>de</strong>s</strong> CSSS, qui sont présentés sous la forme <strong>de</strong> cibles chiffrées àl’ai<strong>de</strong> d’indicateurs quantitatifs. Ces « résultats » font l’objet d’<strong>un</strong>e ententequasi contractuelle entre l’Agence et le CSSS, l’entente <strong>de</strong> gestion et d’imputabilité.L’Agence fait elle-même l’objet d’<strong>un</strong>e normalisation <strong>de</strong> ses résultatsà travers <strong>un</strong>e entente <strong>de</strong> gestion et d’imputabilité qu’elle signe avec le « siègesocial », c’est-à-dire le ministère <strong>de</strong> la Santé et <strong><strong>de</strong>s</strong> Services sociaux. Pouraccentuer l’autonomie <strong><strong>de</strong>s</strong> divisions régionales et locales, on les place sousla responsabilité hiérarchique <strong>de</strong> conseils d’administration.Comme l’explique Mintzberg (1989), dans ce type <strong>de</strong> configurationorganisationnelle, les divisions sont poussées vers l’organisation mécanistecentralisée pour satisfaire aux exigences chiffrées imposées par le siège.Comme les <strong>organisations</strong> <strong>de</strong>viennent également plus grosses à la suite <strong><strong>de</strong>s</strong>fusions, elles sont attirées encore plus fortement par le modèle mécanisteet ses règles écrites impersonnelles (Donaldson, 2001 ; Scott, 2003). On y atoujours plus recours à la supervision hiérarchique, à la normalisation <strong><strong>de</strong>s</strong>processus <strong>de</strong> travail et à celle <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats, qui ne sont pas <strong><strong>de</strong>s</strong> principes <strong>de</strong>gestion <strong>un</strong>iversels, mais plutôt <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes <strong>de</strong> coordination constitutifsdu modèle hiérarchique et mécaniste (Mintzberg et Glouberman, 2001,p. 74). La pression sur les établissements <strong>de</strong> santé et <strong>de</strong> services sociaux endirection <strong>de</strong> l’organisation hiérarchique et mécaniste les éloigne toujoursplus <strong><strong>de</strong>s</strong> modèles d’organisation professionnelle et collégiale plus appropriéspour assurer leur bon fonctionnement.ANALYSE CRITIQUE DE QUELQUES PRINCIPESORGANISATIONNELS DU MANAGÉRIALISMECohen et March (1986, p. 36) attribuent l’<strong>un</strong>e <strong><strong>de</strong>s</strong> faiblesses du modèle hiérarchisteet mécaniste (c’est-à-dire administratif) au postulat peu réalisteque la gestion doit être orientée par et vers <strong><strong>de</strong>s</strong> buts bien définis et <strong><strong>de</strong>s</strong> façonsNPS, vol. 22, n o 2


<strong>Vers</strong> <strong>un</strong> <strong>appauvrissement</strong> managérialiste <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>organisations</strong>… 57<strong>de</strong> faire normalisées. Mintzberg (1989) voit <strong>un</strong>e autre faiblesse importantedans la séparation nette entre le travail <strong>de</strong> gestion et le travail <strong>de</strong> production<strong><strong>de</strong>s</strong> services. Cette division verticale du travail favorise la gestion àdistance superficielle axée sur les résultats mesurables et nuit à l’exerciced’<strong>un</strong> jugement profondément informé et ancré dans l’expérience pratique.Ces faiblesses affectent toutes les tentatives pour importer dans les <strong>organisations</strong>professionnelles <strong>de</strong> services humains complexes les prescriptionsmanagérialistes conçues pour <strong><strong>de</strong>s</strong> entreprises industrielles hiérarchiqueset mécanistes (où elles ont déjà pour effet le désengagement <strong>de</strong> tous et lagestion superficielle).Comme nous l’avons évoqué, l’<strong>un</strong>e <strong><strong>de</strong>s</strong> démarches populaires <strong>de</strong> cemanagérialisme est celle <strong>de</strong> la gestion par résultats et du contrôle du ren<strong>de</strong>ment« à distance » à l’ai<strong>de</strong> d’indicateurs mesurables. On souhaite contrôlerle travail d’<strong>un</strong>e organisation complexe, mais sans avoir les connaissanceset la capacité <strong>de</strong> traitement nécessaires pour déci<strong>de</strong>r ce que tout le mon<strong>de</strong>doit faire et comment le faire. On établit par « planification stratégique »<strong><strong>de</strong>s</strong> objectifs simples qu’on présente sous la forme <strong>de</strong> cibles chiffrées. Cettedémarche mécaniste produit plusieurs effets pervers importants dans les<strong>organisations</strong> où la mission, les moyens et les résultats sont complexes. L’<strong>un</strong>e<strong><strong>de</strong>s</strong> faiblesses <strong>de</strong> ces mécanismes <strong>de</strong> contrôle superficiels à base d’indicateursest qu’ils focalisent l’attention sur ce qui est tangible, prévisible, facilementobservable, quantifiable et interprétable (Mintzberg, 1989 ; Pollitt, 2003,p. 46). Or dans les <strong>organisations</strong> <strong>de</strong> services humains complexes, la plupart<strong><strong>de</strong>s</strong> éléments qui comptent n’ont tout simplement pas ces caractéristiques.La démarche managérialiste et ses systèmes <strong>de</strong> contrôle <strong>de</strong> la performancesuperficiels affaiblissent la capacité <strong>de</strong> l’organisation à accomplir sa mission,elle appauvrit cette mission, elle diminue la capacité <strong><strong>de</strong>s</strong> vrais porteurs <strong>de</strong>la mission – les mé<strong>de</strong>cins, les infirmières, les travailleurs sociaux, les enseignants,les professeurs – d’exercer <strong>un</strong> jugement approfondi et éclairé auservice <strong>de</strong> l’institution où ils travaillent afin qu’elle puisse remplir sa fonctiondans la société. À l’inverse, le modèle professionnel et ses mécanismes <strong>de</strong>contrôle largement intériorisés permettent l’exercice d’<strong>un</strong> tel jugement parles porteurs <strong>de</strong> la mission sur toutes les affaires <strong>de</strong> l’organisation, y comprisles coûts et les bénéfices intangibles.Dans <strong>un</strong>e organisation complexe fondée sur le jugement <strong>de</strong> ceux quifont le travail, on ne peut efficacement remplacer le sens <strong><strong>de</strong>s</strong> responsabilitéset la gestion collégiale <strong>de</strong> tous les porteurs <strong>de</strong> la mission par <strong>un</strong> contrôleexterne <strong>de</strong> la haute direction comme le fait le managérialisme. Ce mécanisme<strong>de</strong> contrôle n’a tout simplement pas cette capacité en situation <strong>de</strong>complexité <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances et <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs, comme les sciences <strong>de</strong> l’organisationl’ont montré (Grandori, 2001 ; Dupuis, Farinas et Demers, 2004 ;NPS, vol. 22, n o 2


58 Pratiques sociales et pratiques managérialesDupuis, 2007). Les mécanismes du collégialisme qui sont mis <strong>de</strong> côté parle managérialisme ont justement pour force <strong>de</strong> mettre au premier plan laresponsabilité <strong>de</strong> chac<strong>un</strong>. Leurs processus assurent que cette responsabilitépuisse se développer, s’entretenir et se déployer. On peut et on doit cultiverce sens <strong><strong>de</strong>s</strong> responsabilités plutôt que le décourager et l’affaiblir par <strong><strong>de</strong>s</strong>réformes managérialistes inefficaces <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>organisations</strong> professionnelles <strong><strong>de</strong>s</strong>ervices humains complexes. L’<strong>un</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> éléments importants <strong>de</strong> ces réformesest l’intégration managériale <strong><strong>de</strong>s</strong> établissements sociosanitaires qui créent<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>organisations</strong> toujours plus grosses, plus impersonnelles et plus formelles.Ces réformes sont-elles nécessaires, inévitables et incontournables comptetenu <strong>de</strong> leurs effets secondaires négatifs ? Les sciences <strong>de</strong> l’organisation nousdonnent <strong><strong>de</strong>s</strong> raisons d’en douter.CRITIQUE DES FUSIONS D’ÉTABLISSEMENTS SOCIOSANITAIRESLes fusions d’établissements sociosanitaires ont été très nombreuses auQuébec dans les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières décennies, comme aux États-Unis et enAngleterre (Demers, Pelchat, Côté 2002 ; Cereste, Doherty et Travers 2003 ;Fulop et al. 2005). Les <strong>de</strong>rnières en date regroupent <strong><strong>de</strong>s</strong> hôpitaux, <strong><strong>de</strong>s</strong> centreslocaux <strong>de</strong> services comm<strong>un</strong>autaires (CLSC) et <strong><strong>de</strong>s</strong> centres <strong>de</strong> soins <strong>de</strong> longuedurée (CHSLD) dans <strong>de</strong> nouveaux centres <strong>de</strong> santé et <strong>de</strong> services sociaux(CSSS). On associe cette vague <strong>de</strong> fusions au nouveau management publicet au courant managérialiste (Bigelow et Arndt, 2000 ; Kitchener, 2002 ;Kitchener et Gask, 2003). Dans l’imaginaire administratif et managérialiste,les fusions auraient pour but d’assurer <strong>un</strong>e plus gran<strong>de</strong> « intégration »administrative et clinique <strong>de</strong> façon à réaliser <strong>un</strong>e meilleure « coordination »<strong>de</strong> l’offre <strong>de</strong> services. Cette coordination aurait toutes les vertus et permettrait<strong>de</strong> rationaliser l’offre <strong>de</strong> services, d’éliminer les doubles emplois et leschevauchements, <strong>de</strong> réduire la fragmentation, d’améliorer l’efficience et lacohérence du système <strong>de</strong> soins <strong>de</strong> santé et <strong>de</strong> services sociaux. Y a-t-il <strong>un</strong>fon<strong>de</strong>ment à tout cela ?Au plus fort <strong>de</strong> cette vague, les bénéfices supposés <strong><strong>de</strong>s</strong> fusionsd’établissements sociosanitaires étaient en réalité assez peu documentéset restaient entièrement à démontrer (Markham et Lomas, 1995). Ce quia fait dire à Garsi<strong>de</strong> (1999) dans <strong>un</strong> éditorial du British Medical Journalque : « Because of lack of so<strong>un</strong>d evi<strong>de</strong>nce, we have a government encouragingmergers as an act of faith […] » Au contraire, les étu<strong><strong>de</strong>s</strong> présententen général <strong><strong>de</strong>s</strong> résultats partagés, voire surtout négatifs (Snail et Robinson,1998 ; Posnett, 1999 ; Burns et Pauly, 2002 ; Fulop et al., 2002 ; Field et Peck,2003). Kitchener et Gask (2003, p. 20) soulignent le paradoxe soulevé parcette vague <strong>de</strong> fusions que rien dans la recherche ne vient justifier :NPS, vol. 22, n o 2


<strong>Vers</strong> <strong>un</strong> <strong>appauvrissement</strong> managérialiste <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>organisations</strong>… 59Despite mo<strong>un</strong>ting international evi<strong>de</strong>nce that NPM mergers fail to <strong>de</strong>liver targetedcost savings and improvements in synergy, “merger mania” (Fuchs 1997) hasspread from US hospitals to many other fields of public service organizations. Inthe UK, the phenomenon emerged early among NHS trusts with ninety-nine casespresenting since 1997 (Allen et al., 2002). Newer strains inclu<strong>de</strong> : the creation ofsocial care trusts and mental health “super-trusts” in England (Peck et al., 2002) ;the health care reconfiguration programme in Wales (Welsh Office, 1997) […].De la même façon que les recherches n’ont jamais confirmé les prétendusavantages <strong>de</strong> la rationalisation budgétaire, du benchmarking, <strong>de</strong> lagestion axée sur les résultats et <strong><strong>de</strong>s</strong> autres mo<strong><strong>de</strong>s</strong> managériales (Birnbaum,2001), auc<strong>un</strong>e étu<strong>de</strong> empirique ne vient étayer les présupposés managérialistessur les bénéfices hypothétiques <strong><strong>de</strong>s</strong> fusions d’hôpitaux et d’établissements<strong>de</strong> santé et <strong>de</strong> services sociaux. Les coûts, les dangers et les difficultés <strong><strong>de</strong>s</strong>fusions sont par contre bien réels et bien documentés (Field et Peck 2003).Les économies espérées se réalisent rarement alors que <strong><strong>de</strong>s</strong> coûts « inattendus» apparaissent presque à coup sûr. La qualité <strong><strong>de</strong>s</strong> soins et la satisfaction<strong>de</strong> la clientèle n’augmentent pas. Les listes d’attente ne sont pas réduites. Lemoral du personnel se détériore. La philosophie, la mission et les pratiques<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>organisations</strong> <strong>de</strong> plus petite taille sont menacées par celles <strong><strong>de</strong>s</strong> plusgran<strong><strong>de</strong>s</strong> (Dupuis, Farinas et Demers, 2004).Sur le plan organisationnel, les fusions relèvent clairement du modèleorganisationnel hiérarchiste et mécaniste, ce qui explique certainement <strong>un</strong>epartie <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmes qu’elles rencontrent et qu’elles causent. Les fusionsd’hôpitaux et la création <strong><strong>de</strong>s</strong> CSSS amènent <strong>un</strong>e centralisation plus gran<strong>de</strong><strong>de</strong> l’autorité sur le territoire où elles sont réalisées. Elles infléchissent lesystème vers l’intégration dans <strong>un</strong>e seule et même hiérarchie. Toutes lesétu<strong><strong>de</strong>s</strong> montrent <strong>de</strong>puis les années 1960 que plus les <strong>organisations</strong> sontgrosses, plus elles ont tendance à compter sur les règles formelles (écrites etimpersonnelles) pour assurer la coordination <strong>de</strong> leurs activités (Donaldson2001 ; Scott, 2003). On a toutes les raisons <strong>de</strong> douter <strong>de</strong> l’efficacité <strong>de</strong> cestransformations managérialistes, car on sait <strong>de</strong>puis déjà longtemps que lacentralisation, la hiérarchie et les règles ont <strong>un</strong>e capacité très limitée à assurerle bon fonctionnement <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>organisations</strong> <strong>de</strong> services humains complexes(Mintzberg, 1989 ; Grandori 2001).L’INTÉGRATION DES SYSTÈMES MULTIORGANISATIONNELSDE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUXÉtant donné les défauts connus <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> entreprise divisionnaliséecaractérisée par la gestion abstraite et superficielle à base d’indicateurs et<strong>de</strong> cibles mesurables (Mintzberg, 1989), il faut questionner la valeur du cadreNPS, vol. 22, n o 2


60 Pratiques sociales et pratiques managérialesd’interprétation qui fait voir par défaut <strong><strong>de</strong>s</strong> « problèmes <strong>de</strong> coordination »dans les systèmes multiorganisationnels <strong>de</strong> santé et <strong>de</strong> services sociaux.L’absence d’<strong>un</strong>e autorité centrale et d’<strong>un</strong>e ligne hiérarchique qui contrôle et« pilote » le système n’indique pas nécessairement qu’il y a <strong>un</strong> déficit <strong>de</strong> coordinationimportant, et surtout pas que le fonctionnement <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>organisations</strong>pourra être amélioré si on « intègre » et contrôle le système à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> cesmécanismes organisationnels. À l’inverse, les systèmes multiorganisationnelspeuvent avoir <strong><strong>de</strong>s</strong> qualités importantes et sous-estimées lorsqu’ils mettenten œuvre <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes <strong>de</strong> coordination non centralisés et peu formalisésà base d’ajustement mutuel et <strong>de</strong> normes sociales (Dupuis et Farinas, 2009).L’intégration régionale <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes <strong>de</strong> santé est <strong>un</strong>e démarche managérialistequ’on poursuit au Canada <strong>de</strong>puis <strong>un</strong> moment (Church et Barker,1998). Aux États-Unis, sa promotion a été faite sous différentes appellations :intégration, consolidation, coopération, collaboration, continuité <strong>de</strong> services,réseaux et systèmes intégrés, entre autres (Dennis, Cocozza et Steadman,1999 ; Hambrick et Rog, 2000). La <strong>de</strong>rnière réforme en date au Québec, qui sesitue encore dans cet esprit, intègre dans <strong>un</strong>e même organisation les hôpitaux,les centres <strong>de</strong> santé et <strong>de</strong> services locaux (CLSC) et les centres hospitaliers<strong>de</strong> soins <strong>de</strong> longue durée (CHSLD) présents sur <strong>un</strong> territoire donné. Cettequête <strong>de</strong> coordination, d’équité, d’efficience à l’ai<strong>de</strong> d’<strong>un</strong>e intégration localeet régionale par la hiérarchie et les règles a-t-elle <strong>un</strong> fon<strong>de</strong>ment théoriqueou empirique bien assuré ? On peut en douter sérieusement.Du point <strong>de</strong> vue administratif et managérial, les systèmes multiorganisationnels<strong>de</strong> production <strong>de</strong> services publics sont <strong>de</strong>puis longtemps jugésfragmentés, alourdis par <strong><strong>de</strong>s</strong> chevauchements et <strong><strong>de</strong>s</strong> doubles emplois, malcoordonnés, minés par le gaspillage, souvent à tort selon Lindblom (1965),Chisholm (1989), Ostrom (1989) et Landau (1991), entre autres. En fusionnantet en intégrant, on pense éliminer la « fragmentation » et le fonctionnementen « silo » qui nuirait à <strong>un</strong>e offre <strong>de</strong> service cohérente et « continue ».On pense éliminer les chevauchements et les doubles emplois qui seraientsource <strong>de</strong> gaspillage et <strong>de</strong> confusion.Il existe encore <strong>un</strong>e fois peu d’étu<strong><strong>de</strong>s</strong> qui documentent les affirmationshabituelles sur les problèmes ou le manque <strong>de</strong> coordination allégués(Weiss, 1981 ; Bardach, 1998). Les techniques managériales mécanistes ethiérarchiques habituellement choisies pour réformer les services sociosanitairessont peu adéquats pour assurer la coordination dans les <strong>organisations</strong><strong>de</strong> services humains complexes. Les mécanismes organisationnels <strong>de</strong>l’autorité hiérarchique, <strong>de</strong> la normalisation <strong><strong>de</strong>s</strong> processus <strong>de</strong> travail et <strong><strong>de</strong>s</strong>résultats sont relativement impuissants dans les situations <strong>de</strong> complexité <strong><strong>de</strong>s</strong>connaissances et <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs (Grandori, 2001 ; Mintzberg et Glouberman,2001), et ils constituent en fait eux-mêmes <strong>un</strong>e source <strong>de</strong> difficulté pour laNPS, vol. 22, n o 2


<strong>Vers</strong> <strong>un</strong> <strong>appauvrissement</strong> managérialiste <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>organisations</strong>… 61coordination dans ces situations. Comme le soutient Morgan, c’est en partielorsqu’on les organise comme <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>organisations</strong> hiérarchiques et formellesque les systèmes multiorganisationnels sont « fragmentés » : « la bureaucratisationtend à provoquer <strong><strong>de</strong>s</strong> structures <strong>de</strong> pensée et d’action fragmentaires »(Morgan, 1999 : 84). La transformation progressive du système <strong>de</strong> santé et<strong>de</strong> services sociaux québécois en <strong>un</strong>e gran<strong>de</strong> organisation divisionnaliséen’ai<strong>de</strong> en rien à régler ce problème.Il n’existe pas, en effet, <strong>de</strong> démonstration que les ré<strong>organisations</strong>mises en place pour résoudre les problèmes postulés puissent augmenter enquantité ou en qualité la production <strong>de</strong> services sociosanitaires, comme nousle rappelle Bardach (1998, p. 16) : « […] if there is one proposition on whichconsensus among stu<strong>de</strong>nts of public administration is firm and wi<strong><strong>de</strong>s</strong>pread,it is that reorganization normally produces little value at a very high cost intime, energy, and personal anxiety ». L’intégration hiérarchique n’apportepas <strong>de</strong> progrès dans la coordination ni <strong>un</strong>e performance plus gran<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong><strong>organisations</strong> <strong>de</strong> services humains complexes.Hambrick et Rog (2000, p. 263) soutenaient en 2000 que les approchesformelles et à gran<strong>de</strong> échelle (comme ceux <strong>de</strong> l’organisation divisionnalisée)sont largement remises en question dans les écrits sur l’intégrationet la coordination. Rowe, Hoge et Fisk (1998, p. 491) concluaient déjà <strong>de</strong>façon sceptique sur l’intégration formelle : « Systems integration has been anelusive goal for planners and policy makers. To date, there is little empiricalevi<strong>de</strong>nce that, when achieved, it leads to better client outcomes. » Les réformesstructurelles managérialistes sont peu fondées, mais elles semblent toujoursséduire les hauts fonctionnaires et les politiciens, qui en ont encore fait lapromotion au Québec dans la <strong>de</strong>rnière décennie.LES QUALITÉS SOUS-ESTIMÉES DES SYSTÈMESMULTIORGANISATIONNELSDes travaux théoriques ont sérieusement mis en doute l’archétype organisationnelau fon<strong>de</strong>ment du diagnostic <strong>un</strong>iversel <strong>de</strong> manque <strong>de</strong> coordination <strong><strong>de</strong>s</strong>systèmes multiorganisationnels (Lindblom, 1965, 1990 ; Landau, 1969, 1991 ;Wildavsky, 1987 ; Ostrom, 1989). Ces travaux ont montré que les systèmesmultiorganisationnels ont souvent <strong><strong>de</strong>s</strong> qualités et <strong><strong>de</strong>s</strong> propriétés difficiles àvoir et à apprécier du point <strong>de</strong> vue managérialiste. Le fonctionnement <strong>de</strong> cessystèmes repose en partie sur <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismes organisationnels « invisibles »au regard <strong>de</strong> la théorie classique <strong>de</strong> l’administration et du managérialisme,qui focalisent l’attention sur l’autorité et les règles formelles, la hiérarchie,l’<strong>un</strong>ité <strong>de</strong> direction, la définition précise <strong><strong>de</strong>s</strong> responsabilités, la divisionpoussée du travail, la division du travail <strong>de</strong> conception et d’exécution, leNPS, vol. 22, n o 2


62 Pratiques sociales et pratiques managérialesplan d’ensemble, les objectifs et les indicateurs mesurables. Dans l’extraitsuivant, Chisholm (1989, 11-12) résume bien la nature <strong><strong>de</strong>s</strong> mécanismesfaiblement formalisés qui peuvent organiser avantageusement <strong>un</strong> systèmemultiorganisationnel :This shadowy, elusive mechanism is a system of informal channels, behavioralnorms, and agreements. These informal organizational features <strong>de</strong>velop on thebasis of need. They <strong>de</strong>rive from the everyday processes of mutual adjustmentthat are exhibited by large-scale systems, public and private. Informal channelsof comm<strong>un</strong>ication, informal bargains and agreements, and norms of reciprocityall contribute directly and indirectly to processes of coordination. They also formthe fo<strong>un</strong>dation for formal schemes of coordination, especially by promotingconsensus in situations initially characterized by conflict and dissension.Notre étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’organisation du secteur <strong><strong>de</strong>s</strong> services aux sans-abri àMontréal met justement au jour <strong>un</strong> système multiorganisationnel <strong>de</strong> services<strong>de</strong> santé et <strong>de</strong> services sociaux qui n’est pas intégré hiérarchiquement dansson ensemble et qui n’est pas soumis à <strong>un</strong>e « entente <strong>de</strong> gestion et d’imputabilité» globale caractéristique d’<strong>un</strong>e gestion fondée sur la normalisation<strong><strong>de</strong>s</strong> résultats (Dupuis et Farinas, 2009). Le système d’ensemble est <strong>de</strong> type« organique » plutôt que hiérarchique et mécaniste. Il est largement organisésur la base d’ajustements mutuels entre les nombreux acteurs publics et« comm<strong>un</strong>autaires » <strong>de</strong> ce secteur. La coordination <strong><strong>de</strong>s</strong> services se réaliseen gran<strong>de</strong> partie dans les interactions entre les intervenants alors qu’ilsaccomplissent leur travail. Selon la théorie <strong>de</strong> l’organisation, <strong>un</strong> tel systèmeest potentiellement apte à composer avec la complexité <strong><strong>de</strong>s</strong> connaissances et<strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs caractéristique <strong><strong>de</strong>s</strong> services humains complexes, contrairementà <strong>un</strong> système formellement intégré et contrôlé par <strong>un</strong>e hiérarchie d’autorité,<strong><strong>de</strong>s</strong> règles, <strong><strong>de</strong>s</strong> indicateurs et <strong><strong>de</strong>s</strong> cibles quantifiables.CONCLUSIONLes mo<strong><strong>de</strong>s</strong> managériales se succè<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>puis <strong><strong>de</strong>s</strong> décennies dans les <strong>organisations</strong>publiques <strong>de</strong> services humains complexes. Auc<strong>un</strong>e ne peut revendiquer<strong><strong>de</strong>s</strong> fon<strong>de</strong>ments soli<strong><strong>de</strong>s</strong> ou <strong>un</strong> réel succès, comme nous le rappelle Birnbaum(2001). Dans le secteur <strong>de</strong> la santé et <strong><strong>de</strong>s</strong> services sociaux, la mo<strong>de</strong> actuellecombine fusions d’établissements, intégration régionale et gestion axée surles résultats. Il s’agit d’<strong>un</strong>e mo<strong>de</strong> managériale sans fon<strong>de</strong>ment sérieux quipousse l’ensemble du système vers le modèle <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> entreprise divisionnalisée,hiérarchique, mécaniste, dominée par <strong><strong>de</strong>s</strong> indicateurs et <strong><strong>de</strong>s</strong> ciblesnormalisables et mesurables. Sous l’effet <strong>de</strong> ce modèle, nos <strong>organisations</strong>risquent <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir toujours plus grosses, plus formelles, plus abstraites, plusimpersonnelles, vi<strong><strong>de</strong>s</strong> d’engagements et <strong>de</strong> jugements éclairés, moins aptesà accomplir réellement leur mission. On aurait avantage à voir <strong>un</strong> peu plusNPS, vol. 22, n o 2


<strong>Vers</strong> <strong>un</strong> <strong>appauvrissement</strong> managérialiste <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>organisations</strong>… 63nos <strong>organisations</strong> <strong>de</strong> services humains complexes comme <strong><strong>de</strong>s</strong> institutionssociales organiques fondées sur la pratique compétente <strong>de</strong> ceux qui donnentles services et <strong>un</strong> peu moins comme <strong><strong>de</strong>s</strong> machines conçues par ingénierieorganisationnelle. On aurait avantage à réhabiliter les modèles d’organisationcollégial, professionnel et organique mis à mal par le managérialisme maisqui placent au centre <strong>de</strong> la gestion le jugement expérimenté <strong><strong>de</strong>s</strong> praticiens.BIBLIOGRAPHIEBardach, E. (1998). Getting Agencies to Work Together, Washington, BrookingsInstitution Press.Bigelow, B. et M. Arndt (2000). « The More Things Change, The More They Staythe Same », Health Care Management Review, vol. 25, n o 1, 65-72.Birnbaum, R. (2001). Management Fads in Higher Education : Where They ComeFrom, What They Do, and Why They Fail, San Francisco, Jossey-Bass Publishers.Burns, L. R. et M. V. Pauly (2002). « Integrated Delivery Networks : A Detour onthe Road to Integrated Health Care ? », Business of Health, 128-143.Burns, T. et G. M. Stalker (1994). The Management of Innovation, 2 e édition,Londres, Tavistock Publications.Cereste, M., Doherty, N. F. et C. J. Travers (2003). « An Investigation into theLevel and Impact of Merger Activity Amongst Hospitals in the UK’s NationalHealth Service », Journal of Health Organization and Management, vol. 17,n o 1, 6-24.Chisholm, D. (1989). Coordination Without Hierarchy. Informal Structures in MultiorganisationalSystems, Berkeley, University of California Press.Church, J. et P. Barker (1998). « Regionalization of Health Services in Canada :A Critical Perspective », International Journal of Health Services, vol. 28, n o 3,467-486.Cohen, M. D. et J. G. March ([1974] 1986). Lea<strong>de</strong>rship and Ambiguity, 2 e édition,Boston, Harvard Business School Press.Dennis, D. L., Cocozza, J. J. et H. J. Steadman (1999). « What Do We KnowAbout Systems Integration and Homelessness », dans L. B. Fosburg et D. L.Dennis (dir.), Practical Lessons : The 1998 National Symposium on HomelessnessResearch, Delmar, National Resource Center on Homelessness and MentalIllness. En ligne : , consulté le 15 avril 2009.Dermers, L., Pelchat, Y. et G. Côté (2002). « Intégration institutionnelle et intégration<strong><strong>de</strong>s</strong> services : l’expérience <strong>de</strong> la région <strong><strong>de</strong>s</strong> Laurenti<strong><strong>de</strong>s</strong> », Recherchessociographiques, vol. xliii, n o 3, 549-576.Donaldson, L. (2001). The Contingency Theory of Organizations, Londres, SagePublications.NPS, vol. 22, n o 2


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