Mon<strong>de</strong>Révolution t<strong>un</strong>isienneVivre libreUne manifestationplace <strong>de</strong> laGuillotière àLyon, le 13 janvier<strong>de</strong>rnier, veille <strong>de</strong> lafuite <strong>de</strong> Ben Ali.<strong>14</strong> janvier 2011. Les regards du mon<strong>de</strong> entier se tournent vers la T<strong>un</strong>isie.Après <strong>un</strong> mois <strong>de</strong> manifestations violemment réprimées et <strong>un</strong>e centaine <strong>de</strong>morts, le peuple t<strong>un</strong>isien fait chuter le régime autoritaire du prési<strong>de</strong>nt ZineEl Abidine Ben Ali, au pouvoir <strong>de</strong>puis 23 ans. « <strong>La</strong> révolution <strong>de</strong> jasmin » metfin à <strong>un</strong> règne marqué par la répression policière, <strong>de</strong>s élites corrompues,<strong>un</strong>e je<strong>un</strong>esse sans emploi, <strong>un</strong>e presse muselée… C’est tout <strong>un</strong> peuplequi s’est soulevé pour clamer haut et fort les valeurs <strong>de</strong> liberté, travail etdignité. Aujourd’hui, le pays tente <strong>de</strong> reprendre son <strong>de</strong>stin en main. Tous cesévénements sont suivis <strong>de</strong> très près et avec beau<strong>coup</strong> d’émotion à <strong>Saint</strong>-<strong>Priest</strong> où vit <strong>un</strong>e importante comm<strong>un</strong>auté t<strong>un</strong>isienne. Couleurs a recueillileurs paroles et diverses réactions.> Un partage plus équitablePar Christine Nadalini« J’ai été agréablement surpris par cette révolution,alors qu’on n’a rien vu venir. <strong>La</strong> dictatureétait bien installée, on était persuadé que BenAli n’allait jamais partir. Les T<strong>un</strong>isiens étaientformatés, ils ont vécu dans la peur, ils nepouvaient pas s’exprimer librement, ils étaienttrès méfiants quand ils se retrouvaient dansles cafés, il ne fallait surtout pas critiquer legouvernement par crainte <strong>de</strong> finir en prison.L’ancien prési<strong>de</strong>nt Bourguiba avait fait <strong>de</strong>l’éducation et <strong>de</strong> la formation <strong>un</strong>e priorité.Jusqu’<strong>aux</strong> années 70, les diplômés avaient lagarantie <strong>de</strong> trouver <strong>un</strong> travail. L’école était<strong>un</strong> formidable ascenseur social. Sous BenAli, nombreux étaient ceux qui trimaient etqui n’avaient rien. Les diplômes ne débouchaientsur rien. <strong>La</strong> population en avait assez<strong>de</strong> ce gouvernement corrompu <strong>aux</strong> pratiquesmafieuses. <strong>La</strong> corruption a gangréné le payset c’est ce qui l'a fait basculer. Auc<strong>un</strong> parti,auc<strong>un</strong>e religion n’a porté ce mouvement quel’on doit à la je<strong>un</strong>esse, <strong>aux</strong> femmes et au rôledécisif d’internet. Aujourd’hui ils sont libérés etont <strong>un</strong>e soif <strong>de</strong> s’exprimer librement.Je suis plutôt confiant pour l’avenir. Il fautque le futur gouvernement sache répondre <strong>aux</strong>questions <strong>de</strong> chômage, <strong>de</strong> pauvreté et qu’il y ait<strong>un</strong> partage plus équitable <strong>de</strong>s richesses.Je souhaite que les choses se stabilisent rapi<strong>de</strong>mentpour le bien <strong>de</strong> tous.».Kaïs, enseignant en sciences humaines.Vit à <strong>Saint</strong>-<strong>Priest</strong> <strong>de</strong>puis <strong>un</strong>e ving-TAine d’années.24
Profon<strong>de</strong> amitié« L'aspiration d'<strong>un</strong> peuple à la liberté est toujours <strong>un</strong>e bonnenouvelle. Il faut saluer la transition démocratique en T<strong>un</strong>isieet souhaiter qu'elle se poursuive pacifiquement. Notre ville a<strong>de</strong>s liens forts avec ce pays et nous suivons tous avec beau<strong>coup</strong>d'espoir et d'affection pour nos amis t<strong>un</strong>isiens les événementsactuels. » Martine DAVid, maire <strong>de</strong> <strong>Saint</strong>-<strong>Priest</strong>.> Une gran<strong>de</strong> fierté« J’étais à T<strong>un</strong>is fin décembre, en vacances chez <strong>de</strong>s parents, et on sentait <strong>un</strong>e tension, ce n’étaitpas comme d’habitu<strong>de</strong>. On savait que ça allait arriver. Le peuple s’est soulevé, sans lea<strong>de</strong>r. Il estresté organisé et solidaire. On a <strong>un</strong> sentiment <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> fierté <strong>de</strong> cette je<strong>un</strong>esse qui a manifestéson ras-le-bol : être diplômé et sans avenir, ce n’était plus possible. Après 50 ans <strong>de</strong> dictature, ons’inquiète sur la personne qui va reprendre les rênes. Il va falloir faire les bons choix. Tout le mon<strong>de</strong>a sa place. Maintenant la démocratie va pouvoir s’installer et avec elle la liberté <strong>de</strong> la presse, <strong>de</strong>pensée et <strong>de</strong> parole. On ne veut plus voir <strong>de</strong> corruption. Il est maintenant important que l’économiereparte vite et que tout le mon<strong>de</strong> reprenne le travail. » Mo<strong>un</strong>ir.> Créer <strong>un</strong>e nouvelle T<strong>un</strong>isie« Vu <strong>de</strong> l’étranger, la T<strong>un</strong>isie donnait l’image d’<strong>un</strong> beaupays mais personne ne savait réellement ce que lepeuple subissait. Aujourd’hui, mon espoir est <strong>de</strong> voir secréer <strong>un</strong>e nouvelle T<strong>un</strong>isie avec <strong>un</strong> gouvernement quicomprenne le peuple. » Hasna, 43 ans, mère <strong>de</strong> famille..> Avoir enfin <strong>un</strong>e vie normale« C’est extraordinaire ce qui s’est passé. Il fallait que ça arrive. Trop longtempsil n’y a eu qu’<strong>un</strong> seul parti qui a fait ce qu’il a voulu. C’est donc <strong>un</strong>grand renouveau qui s’annonce. Tout ce qu’on souhaite c’est <strong>un</strong> nouveaugouvernement avec <strong>un</strong> prési<strong>de</strong>nt je<strong>un</strong>e qui écrit l’avenir avec son peuple.Pour l’instant, l’urgent est <strong>de</strong> laisser travailler le gouvernement transitoireet d’attendre les prochaines élections. On veut être libre et pouvoir s’exprimer,avoir <strong>un</strong>e vie normale, <strong>un</strong> boulot, c’est tout .»Deux T<strong>un</strong>isiens installés à <strong>Saint</strong>-<strong>Priest</strong> <strong>de</strong>puis près <strong>de</strong> 40 ans.> Repères17 décembre 2010 : la protestation commence suiteà l’immolation par le feu à Sidi Bouzid d’<strong>un</strong> je<strong>un</strong>e marchandambulant.27 décembre 2010 : le mouvement gagne la capitale.Les manifestations sont réprimées dans la violence.4 janvier 2011 : la protestation prend <strong>de</strong> l’ampleur.9 janvier : <strong>de</strong>s émeutes violentes font <strong>de</strong>s dizaines <strong>de</strong> morts.<strong>14</strong> janvier : le prési<strong>de</strong>nt Ben Ali quitte le pays.27 janvier : composition d’<strong>un</strong> nouveau gouvernement transitoire menépar Mohammed Ghannouchi.Révolution <strong>de</strong> jasmin :Le jasmin, qui a prêté son nomà cette révolution, est <strong>un</strong>e fleurblanche parfumée, emblématique<strong>de</strong> la T<strong>un</strong>isie qui symbolisela pureté, la douceur <strong>de</strong>vivre et la tolérance.> Le meilleur<strong>de</strong> l'humanitéPrési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la Ligue <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong>l’Homme <strong>de</strong> 2000 à 2005, l’avocatMichel Tubiana était à T<strong>un</strong>is ces<strong>de</strong>rnières semaines. Il nous livre sonsentiment sur cette révolte du peuplet<strong>un</strong>isien.« <strong>La</strong> révolte dupeuple t<strong>un</strong>isienrévèle <strong>un</strong>e aspirationà la liberté, àla démocratie et àla justice socialequi place lesdroits <strong>de</strong> l'Hommeau premier plan.Une fois <strong>de</strong> plus, peu importe queles individus théorisent leur révoltesous tel ou tel concept, ce qui restece sont les buts poursuivis et, en l'espèce,c'est bien le rétablissement <strong>de</strong>la construction <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> l'Hommequi est en jeu. À l'inverse <strong>de</strong> ce queles gouvernants occi<strong>de</strong>nt<strong>aux</strong> n'ontcessé <strong>de</strong> déclarer, l'alternative n'étaitpas entre privation <strong>de</strong> liberté etintégrisme religieux : cela c'était lediscours <strong>de</strong> la dictature, discours quiaurait perduré si elle s'était maintenueplus longtemps avec le soutien<strong>de</strong>s gouvernements européens. Ce quidément aussi le discours colonial quene cesse <strong>de</strong> servir implicitement cesmêmes gouvernements, et en particulierle gouvernement français, surces populations qui "ne seraient pasprêtes pour la démocratie".Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> toutes les analyses politiques,voir <strong>un</strong> peuple se libérer est<strong>un</strong>e <strong>de</strong>s plus belles choses à laquelleon peut assister. Voir ces hommes etces femmes qui, pendant <strong>de</strong>s annéesont subi toutes les avanies et ont étéhumiliés, reprendre possession <strong>de</strong> leurliberté, voir s'engager les discussionsles plus diverses, toucher du doigt cequ'est le bonheur <strong>de</strong> se déplacer sanssurveillance, <strong>de</strong> comm<strong>un</strong>iquer librement,<strong>de</strong> dire, voir avec quelle rapiditél'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la liberté se répandcomme <strong>un</strong>e traînée <strong>de</strong> poudre, il y adans tout cela le meilleur <strong>de</strong> l'humanitéet la plus belle <strong>de</strong>s justifications<strong>de</strong>s combats menés. ».DR25