VII congrès <strong>de</strong> l’AFSP – Lil<strong>le</strong>, 18,, 19, 20, 21 septembre 2002Troisième moment : l'autonomisation <strong>de</strong> la dynamique passionnel<strong>le</strong> vis-à-vis <strong>de</strong>scirconstances qui lui ont donnée naissanceEn effet, après avoir constaté son impuissance <strong>de</strong> fait, <strong>le</strong> Roi entre dans une série <strong>de</strong>concessions [116-117] qui, loin <strong>de</strong> satisfaire <strong>le</strong>s opposants, allaient renforcer l’intransigeanceet la vio<strong>le</strong>nce <strong>de</strong>s chefs religieux et populaires écossais.Dès lors, la dynamique change <strong>de</strong> nature ; el<strong>le</strong> parvient à ce moment particulier où <strong>le</strong>sconditions qui lui ont donné naissance, du moins cel<strong>le</strong>s qui l’ont déc<strong>le</strong>nché, cessent <strong>de</strong> porter <strong>le</strong>mouvement d’actions et <strong>de</strong> réactions. Celui-ci s’émancipe, s’autonomise en quelque sorte.Alors, la menace du papisme, par <strong>le</strong> biais <strong>de</strong> la réforme du canon, est relayée par une autredynamique affective. Ce qui <strong>de</strong>vient premier, pour ainsi dire, dans l’ordre <strong>de</strong>s motifs, tenait <strong>de</strong>plus en plus au maintien sinon à la consolidation <strong>de</strong> l’unité du front ainsi constituée. Raisonpour laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s écossais allaient refuser <strong>le</strong>s propositions roya<strong>le</strong>s qui, pensaient-ils, n’auraientpas d’autre effet que <strong>de</strong> <strong>le</strong>s diviser, <strong>le</strong>s affaiblir [118-119].Ce qui <strong>de</strong>venait premier, dans l’ordre <strong>de</strong>s motifs, était alors la construction d’une unité,la lutte contre <strong>le</strong> risque <strong>de</strong> division que la concaténation <strong>de</strong>s passions, par <strong>le</strong> jeu <strong>de</strong> la haine etdu mépris, ne pouvait manquer d’alimenter. Dans un tel con<strong>texte</strong>, la dimension essentiel<strong>le</strong>mentaffective et passionnel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s rapports d’opposition <strong>de</strong>venait susceptib<strong>le</strong> <strong>de</strong> se reproduire et <strong>de</strong>s’amplifier indéfiniment ; el<strong>le</strong> parvenait à se décontextualiser voire à s’autonomiser. Alors <strong>le</strong>jeu <strong>de</strong>s passions <strong>de</strong>vait pouvoir y trouver un nouvel élan et, parce que <strong>le</strong>s circonstances s’yprêtaient, <strong>le</strong> travail <strong>de</strong> fanatisation, <strong>de</strong> généralisation pouvait y produire tous ses effets.Il serait intéressant, ce que je ne ferais pas ici, <strong>de</strong> montrer comment, dans un tel moment,<strong>le</strong>s fabulations, <strong>le</strong>s inventions et <strong>le</strong>s accusations <strong>le</strong>s plus diverses, portant sur <strong>de</strong>s personnes,sur <strong>de</strong>s actes, mais aussi sur <strong>de</strong>s intentions, vont avoir prise sur <strong>le</strong>s croyances populaires, vont<strong>de</strong>venir <strong>de</strong>s médiations parfaitement efficaces pour orienter <strong>le</strong>s actions et <strong>le</strong>s réactions. En unmot, l’agencement <strong>le</strong>s circonstances était <strong>de</strong>venu tel que <strong>le</strong>s individus, <strong>le</strong>s regroupements dontils étaient susceptib<strong>le</strong>s, pouvaient croire ce qui <strong>le</strong>ur était raconté en chaire, dans <strong>le</strong>s lieuxpublics et trouver ainsi <strong>le</strong>s raisons d’une mobilisation plus généra<strong>le</strong> contre l’Eglised’Ang<strong>le</strong>terre et, par voie d’extension, contre l’Ang<strong>le</strong>terre et tout ce qu’el<strong>le</strong> représentait auxyeux <strong>de</strong>s Ecossais.La mo<strong>de</strong>rnité <strong>de</strong>s explications retenues tient, entre autres choses, au souci <strong>de</strong> tenirensemb<strong>le</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s circonstances et cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s dynamiques affectives. Ces <strong>de</strong>rnières ne sontjamais envisagées pour el<strong>le</strong>s-mêmes mais toujours en relation avec <strong>de</strong>s con<strong>texte</strong>s qui <strong>le</strong>urdonnent une puissance d’action. Si <strong>le</strong> fanatisme est un affect social, si l’expression peut avoirun sens, c’est seu<strong>le</strong>ment parce qu’il désigne quelque chose <strong>de</strong> commun à aux hommes qui,adossé à <strong>de</strong>s circonstances particulières, peut se développer sous la forme <strong>de</strong> conduitesdévastatrices dans <strong>le</strong>urs effets. En ce sens, analyser <strong>le</strong>s conduites <strong>de</strong> “ fanatisation ” relèvelégitimement <strong>de</strong> ces phénomènes <strong>de</strong> radicalisation en <strong>politique</strong> au moyen <strong>de</strong>squels rendrecompte <strong>de</strong> certains changements <strong>de</strong> conjonctures <strong>politique</strong>s.Sur cet exemp<strong>le</strong> précis que j’évoquais, et sans prétendre réduire la comp<strong>le</strong>xité <strong>de</strong>s causesqui conduisent à l’affrontement entre l’Ang<strong>le</strong>terre et l’Ecosse pour <strong>le</strong>quel Hume mobilise unmodè<strong>le</strong> explicatif plus large, il importe <strong>de</strong> voir comment la <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> certains dispositifspermet d’éclairer empiriquement la manière dont certaines conduites <strong>de</strong> ruptures peuventacquérir un poids causal et conjoncturel si grand. Ce qui ne veut pas dire, loin s’en faut, etHume ne fait pas la confusion, que ces conduites soient à comprendre comme <strong>le</strong>s causespremières <strong>de</strong> ces événements.6
VII congrès <strong>de</strong> l’AFSP – Lil<strong>le</strong>, 18,, 19, 20, 21 septembre 2002Je voudrais proposer, pour conclure cette présentation, un autre exemp<strong>le</strong> illustrant lafécondité <strong>de</strong> la démarche et qui montre comment la radicalisation peut encore jouer comme unvecteur décisif <strong>de</strong> changement <strong>de</strong> conjoncture, à partir d’une mobilisation particulièrementefficace <strong>de</strong> ce que l’on appel<strong>le</strong>rait, aujourd’hui, l’opinion du public.III. La popularisation d’une controverseentre <strong>le</strong> roi et son par<strong>le</strong>mentIl y a quelque chose <strong>de</strong> résolument mo<strong>de</strong>rne dans la façon humienne <strong>de</strong> déconstruire <strong>le</strong>mouvement à partir duquel se forge la légitimité <strong>de</strong> certaines croyances <strong>politique</strong>s parl’établissement d’un rapport <strong>de</strong> force qui en permet la généralisation.De ce point <strong>de</strong> vue, la manière dont <strong>le</strong> par<strong>le</strong>ment et, plus précisément, la Chambre <strong>de</strong>sCommunes, entendait imposer sur la pério<strong>de</strong> 1625-1649, une définition <strong>de</strong> la représentationlégitime, <strong>de</strong>s croyances en l’existence d’une constitution originel<strong>le</strong> et authentique portant sur <strong>le</strong>gouvernement mixte, cette manière supposait <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> radicalisation qui, dans certainescirconstances, allaient permettre d’inverser <strong>le</strong> rapport <strong>de</strong>s forces entre roi et par<strong>le</strong>ments etcontraindre <strong>le</strong> premier à résipiscence.L’une <strong>de</strong>s voies <strong>de</strong> la radicalisation du conflit à partir <strong>de</strong> quoi obtenir un déséquilibreproducteur d’une conjoncture <strong>politique</strong> favorab<strong>le</strong> était alors l’instrumentation <strong>de</strong> l’opinionpopulaire ou, pour reprendre un terme propre à ces historiens, <strong>de</strong> l’opinion commune. Ils’agissait, en d’autres termes, <strong>de</strong> construire un rapport au “ public ”, c’est-à-dire <strong>de</strong> mobiliser<strong>le</strong> “ public ” au service <strong>de</strong> certaines croyances. Comment, donc, la controverse qui opposait <strong>le</strong>Roi et son Par<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s années allait-el<strong>le</strong> sortir <strong>de</strong> l’enceinte par<strong>le</strong>mentaire strictosensu pour monter en généralité, c’est-à-dire pour se répandre avec <strong>le</strong>s effets dont el<strong>le</strong> étaitsusceptib<strong>le</strong> parmi <strong>le</strong> plus grand nombre ?En 1641, <strong>le</strong> roi Char<strong>le</strong>s est, une fois <strong>de</strong> plus, contraint <strong>de</strong> convoquer un nouveaupar<strong>le</strong>ment parce qu’il se retrouve sans argent et que la <strong>le</strong>vée <strong>de</strong> certains impôts ainsi quel’octroi <strong>de</strong> divers subsi<strong>de</strong>s ne peuvent se faire sans l’accord du par<strong>le</strong>ment. L’état d’esprit <strong>de</strong> ce<strong>de</strong>rnier, qui s’inscrit dans la lignée <strong>de</strong>s précé<strong>de</strong>nts par<strong>le</strong>ments convoqués et prorogés, est alorssans ambiguïté. Il s’agissait “ <strong>de</strong> pousser plus loin <strong>le</strong>s innovations ” 3 en matière <strong>de</strong> répartition<strong>de</strong>s attributs <strong>de</strong> la souveraineté entre prérogative roya<strong>le</strong> et privilèges du par<strong>le</strong>ment. Ilimportait, pour cela, <strong>de</strong> construire une confrontation qui lui soit favorab<strong>le</strong> et, dans ce but, <strong>de</strong>profiter <strong>de</strong> l’état d’esprit général qui prévalait en ce début <strong>de</strong>s années 1640.La session s’ouvre, c’était <strong>de</strong>venu une sorte <strong>de</strong> rituel <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> règne <strong>de</strong> Jacques Ier, surla rédaction d’une remontrance pour énumérer l’ensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong>s griefs que <strong>le</strong> Par<strong>le</strong>ment et <strong>le</strong>Peup<strong>le</strong> qu’il affirmait représenter faisaient au roi. Mais ce par<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> 41 fait alors uneinnovation particulièrement redoutab<strong>le</strong> : la remontrance, en effet, “ n’était point adressée auroi ; on y déclarait ouvertement que c’était un appel au peup<strong>le</strong> ” 4 . Un appel qui donnait au<strong>texte</strong> une dimension résolument publique, du moins par la nature du <strong>de</strong>stinataire, et réduisait,ipso facto, la position du roi à cel<strong>le</strong> d’un tiers, <strong>le</strong> mettant dans une sorte d’égalité avec <strong>le</strong>peup<strong>le</strong>.3- HA, V, LVII, p. 220 ; HE, V, LV, p. 350.4- HA, V, LVII, p. 221 ; HE, V, LV, p. 351.7