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1 - Notes du mont Royal

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<strong>Notes</strong> <strong>du</strong> <strong>mont</strong> <strong>Royal</strong>www.notes<strong>du</strong><strong>mont</strong>royal.comCeci est une œuvre tombéedans le domaine public, ethébergée sur « <strong>Notes</strong> <strong>du</strong> <strong>mont</strong><strong>Royal</strong> » dans le cadre d’un exposégratuit sur la littérature.Source des imagesBibliothèque nationale de France


LES CARACTERESKDELA BRUYÈRE, i!l .ll- *J*f!'S* V: Igcl^1•ft'1 1 i.lu.


f 1.*V1333-82. — CoftiHlt, m. ET STKrt. tiuré.i_ m


1LES CARACTKR S/ '. • — ;;'DELA BRUY i^.^V • ':'..\ ACCOMPAGNÉS•s *' ' V . - DES CARACTERES DE TIIEOPIIRASTE\ //- ;. /DU DISCOURS A L ACADÉMIE FRANÇAISE^ ---^ D UNE NOTICE SUR tA BRUYÈREiniiTiox Et VAMOMJM*COLLATIONNÉE SUR LES MEILLEURS TEXTESLT SriTIE D'CI 1SDIXPAR CHARLES LOUANDRE*.~-PARISG. CHARPENTIER, ÉDITEUR" 13, RUE DE GI\ENELLE-SAINT-GERMAIN, 13Tous droits réservée.\\-'*t:* » *


S•!r-:/'Si5iAVERTISSEMENT SUR CETTE EDITION.!IS.'•SLa Bruyère a publié de son vivant huit éditions des Caractèrest la première en 1CSS, la huitième en 1G94, Il en avaitpréparé une nouvelle qui parut après sa mort, en ICOG, et quicontenait ses dernières corrections. C'était celle qu'il fallaitsuivre, et c'est précisément celle que n'ont pas suivie les éditeurs<strong>du</strong> dix-huitième siècle cl ceux des premières années <strong>du</strong>dix-neuvième. Il en est résulté de notables altérations dansle texte et do graves confusions dans les paragraphes, jusqu'aumoment où M. WalckenaOr est venu entreprendre untravail de collation, d'après la neuvième édition, qui doit ôtroconsidérée comme définitive. M. A. Destailleur dans la Z?ibliolhèqueElzèmrienne a suivi la môme marche, et il a repro<strong>du</strong>itavec un grand soin toutes les variantes. On peut doncdire que ces deux éditions ont fixé le texte, en prenant pourbase celui que La Bruyère lui-môme avait préparé dans ladernière année de sa vie. C'est ce môme texte qui est repro<strong>du</strong>itdans le présent volume.Parmi les variantes, il en est un grand nombre, il faut bienle dire, qui ne présentent aucun intérêt et que nous n'avonspas cru devoir donner, pour ne point reporter sans cesse l'attention<strong>du</strong> lecteur ; 'i bas des pages, sans profit pour souagrément ou son instruction. Nous nous sommes exclusivementattaché à celles qui accusaient des modifications sensiblesdans la pensée ou qui révélaient les procédés littéraires


VIAVERTISSEMENT SUN CETTE EDITION»mouche, dans l'ordre môme où les avait placés La Bruyère, etc'est dans cet ordre que nous les avons maintenus.En ce qui touche les notes, nous avons choisi dans tous lescommentateurs, ainsi que nous l'avons fait pour nos autreséditions de la bibliothèque Charpentier, celles qui nous ontparu d'une incontestable utilité, et celles-là seulement; carici, comme pour les variantes, nous avons pensé qu'il étaitinutile de détourner à chaque instant, sans profit, l'attention<strong>du</strong> lecteur; mais nous avons ajouté des notes nouvelles à tousles passages qui nous ont semblé avoir besoin d'écU ircissement.Nous avons réuni dans la notice tous les renseignementscertains qu'il nous a été possible de trouver sur l'auteur desCaractères, renseignements malheureusement trop rares etqui ne font connaître que d'une manière incomplète ce grandécrivain.Le volume est terminé par un index générai que nousavons, autant que possible, rédigé comme l'index de Montaigne,en conservant les propres expressions de l'auteur. Cetindex est complet et aussi précis que nous l'avons pu faire,el il permettra, nous l'espérons, aux lecteurs de La Bruyèreds retrouver sans peine, dans les Œuvres de cet écrivain,tous les passages auxquels ils auront besoin de recourir.Il y a dix ans que nous avons commencé dans la bibliothèqueCharpentier notre collection de Classiques français, et enoffrant aujourd'hui ce nouveau volume au public, nous nousfaisons un devoir de le remercier de la bienveillante in<strong>du</strong>lgenceavec laquelle il a accueilli nos modestes travaux, etîle remercier en même temps l'éditeur, M. Charpentier, del'empressement avec lequel il nous a secondé dans notre tâche,en mettant à notre disposition tous les éléments qui pouvaientnous la rendre plus facile.Cu, LOUANDBE.*» j -'!)* • -.


Ii •i t.tJEAN DE LA BRUYÈRE.IAucun document authentique ne nous fait connaîtrel'époque précise de la naissance de l'auteur des Caractères ;le lieu où il vint au monde est également ignoré. On saitseulement qu'il était originaire d'un village des environs deDourdan, et l'on a conclu d'un passage de son livre qu'ilétait né en 1612. Son père remplissait la charge de Conseillert ' secrétaire <strong>du</strong> roi et de ses finances,et s'intitulait Bourgeois! de Paris, Quant à notre auteur, qui était l'aîné de sa famille,on ignore complètement quelles furent les occupations de sajeunesse, et rien ne prouve qu'il ait fait un noviciat dans l.icongrégation de l'Oratoire, comme l'a dit un de ses biographes.Tout ce que l'on sait de positif, c'est qu'il acheta un emploide Conseiller <strong>du</strong> roi, Trésorier de France, à Cacn, etqu'en 1679 il possédait encore cet emploi, atten<strong>du</strong> qu'à cetteépoque il en prend le titre dans une quittance qui nous a été(conservée; mais quelques années plus tard on le retrouveattaché à la famille de Coudé, avec mille écus d'appointé*ments, et la charge de précepteur de M. le Duc, c'est-à-direde Louis de Bourbon, petit-fils <strong>du</strong> vainqueur de Rocroy *.Ce fut, dit-on, sur la proposition de Bossuct que La Bruyèrefut appelé auprès de M. le Duc; ce qu'il y a de certain, c'estque des relations bienveillantes existaient entre l'auteur desCaractères et Pévêque de Meaux, et que pendant longtempsils se réunirent tous deu\ dans les jardins de Versailles, avecquelques amis, pour se promener et causer de littérature,de philosophie et de religion. Ces réunions furent désignées1* C'est à tort que madame deGentis, et après elle la Biographie um'ivrteUe,ont placé La Bruyère auprès <strong>du</strong> <strong>du</strong>c de Bourgogne, l'élève de Fénelon.• M. Watckenaër remarque justement h propos de cet'ie erreur que personne à* la cour ne portail le titre de il. le Duc, si ce n'est le Ois <strong>du</strong> prince de Conde.t ?-* *


! •}VIIIJEAN DE LA BKCYfiRK.dans le public sous le nom de conciles, et c'était là pourj -La Bruyère la plus chère de ses distraclious; car cet homme,] . aussi supérieur par le cœur que par l'esprit, ne se mêlaijamais aux intrigues qui s'agilaient autour de lui. a On mejl'a dépeint, dit l'abbé d'Olivet dans ['Histoire de l'Académiefrançaise, comme un philosophe qui ne songeait qu'à vivreitranquille avec des amis et des livres; faisant un bon choixdes uns et des autres, ne cherchant ni ne fuyant le plaisir,toujours disposé à une joie modeste, et ingénieux à la fairenaître; poli dans ses manières et sage dans ses discours;craignant toute sorte d'ambition, même celle de <strong>mont</strong>rer del'esprit, » Tous les témoignages contemporains s'accordent\jà faire de La Bruyère le même éloge, et ce grand peintre desridicules, des vices et des misères morales de la société,qui fut comme Molière un grand homme de bien, n'eutcomme lui d'autres ennemis que ceux qui s'étaient reconnusdans son livre, ou les médiocrités vaniteuses à qui sagloire faisait ombrage.M, le Vue s'étant marié en 1685 avec mademoiselle deNantes, La Bruyère, qui resta toute sa vie célibataire, <strong>du</strong>tnécessairement à celte date cesser ses fonctions de précepteur,mais il n'en continua pas moins de toucher sa pensionetd'habiteràVersaillesrhôteldeCondé,avecle titre à'Ecuyer,comme on le voit par son acte de décès, et de Gentilhommede Monseigneur le Due, C'est là qu'il composa le livre desCaractères, dont la première édition parut en 1688, et futsuivie dans la même année de deux éditions nouvelles, cequi s'explique par la portée philosophique de l'ouvrage, saperfection littéraire et les applications qu'en fit aux contemporainsla malignité publique; car chacun croyait connaîtrel'original de chaque portrait. Une foule de lecteurs mettaienten marge de leurs exemplaires les noms réels qu'ils avaientappliqués aux noms de fantaisie inventés par l'auteur, et c'estd'après ces annotations qu'a été rédigée la Clef imprimée enHollande.iiissi désintéressé que modeste» La Bruyèi e, en livrant\


IRAN DR LA BRUYÈnE,son livre à Ja publicité, ne voulut en tirer aucun profit pourlui-môme.Dans les promenades qu'il faisait à Paris, it allait souventrendre visite au libraire Miclialletj il s'asseyait dons saboutique, feuilletait les ouvrages nouveaux et jouait avecsa fille, jeune et ebarmante enfant qu'il avait prise on affection.« Voulez-vous imprimer ceci? dit-il un jour à Miclmllet.en lui <strong>mont</strong>rant un manuscritfju'il venait de tirer de sa poche.Jenesaissi vousy trouverez votre compte; maisen cas de succèsle pro<strong>du</strong>it sera pour votre petite file. » Micliallct acceptaJ'offre <strong>du</strong> grand écrivain. La première édition fut enlevée enquelques jours;et, au bout dedix ans, l'ouvrage avait rapporte"au libraire plus de deux cent mille francs. Ce fut la dot desa tille, qui fit un mariage très-avantageux, et qui, reconnaissantede celte fortune inatten<strong>du</strong>e, raconta l'anecdote àMauperluis. Ce dernier la raconta à Formey, qui la fit connaître,en 1787, dans une séance publique de l'Académie deBerlin, dont il était le secrétaire perpétuel KAvant de publier son livre des Caractères, La Bruyèrel'avait fait lire à Nicolas de Malezieu, membre de l'Académiefrançaise. « Voilà, lui dit celui-ci, de quoi vous attirer beaucoupde lecteurs et beaucoup d'ennemis. » Les deux centmille francs gagnés par Michallet, la vive opposition querencontra l'élection de notre auteur à l'Académie française,et les épigrammes dont cette élection fut l'objet justifièrent detout point les prévisions de Malezieu*. Les intrigants, les pédantset les sots, toujours nombreux et toujours jaloux, s'ameutèrentcontre l'auteur des Caractères } comme ils s'étaientameutés contre l'auteur <strong>du</strong> Cid, contre Molière et Racine ;mais l'illustre assemblée passa outre, et en 1693 La Bruyèrefut élu. Son discours de réception, modèle de bon styleet de finesse, fut un véritable événement littéraire. L'é-IX,» >1. Formey, Recueil de Mémoires de l'Académie de Berlin, depuis 173Gjusqu'à la (in de 1787; in-4°, 1792, p. 19. '2. Voir sur celle élection la note qui le trouve en tète <strong>du</strong> discours de réceptionde notre auteur.


t !XJEAN DE LA BRUYÈRE.meute de la sotlise recommença avec une vivacité nouvelle; on alla jusqu'à tenter de faire défendre l'impres*sion <strong>du</strong> discours; mais cette fois encore La Bruyère eutgain de cause. 11 laissa crier les médiocrités vaniteuses,et sans cesse occupé d'améliorer son œuvre il en pu*blia, en 1694, la huitième édition. Il en préparait unenouvelle, qu'il avait, comme les précédentes, augmentéeet corrigée, lorsqu'il fut enlevé, le jeudi 11 mai 1696,par une attaque d'apoplexie. « Quatre jours auparavant,dit l'abbé d'Olivet, il était à Paris dans une compagniede gens qui me l'ont conté, où tout à coup il s'aperçut qu'ildevenait sourd, mais absolument sourd ; point de douleurcependant. Il s'en retourna à Versailles, où il avait son logementà l'hôtel de Condé, et une apoplexie d'un quartd'heure l'emporta, n'étant encore âgé que de cinquantedeuxans. » Une lettre datée <strong>du</strong> 21 mai 1696, el publiée parM* de Monmerqué, donne aussi quelques détails sur les derniersmoments de La Bruyère. L'auteur de celte lettre nementionne pas ta surdité dont parle d'Olivet. « J'avais soupe,dit-il, avec M. de La Bruyère le mardi ; il était* gai et nes'était jamais mieux porté. Le mercredi et le jeudi même sepassèrent en visites et en promenades sans aucun pressentiment.11 soupa avec appétit, et tout d'un coup il perdit laparole et sa bouche se tourna. M. Fagon, M. Félix et tous lesmédecins de la cour vinrent à son secours; il <strong>mont</strong>rait satête comme le siège de son mal ; il eut quelque connaissance.Saignée, émétique, lavement de tabac, rien n'y lit.11 fut assisté jusqu'à la fin de M. Galon, que M. ifagon ylaissa, et d'un aumônier de M. le Prince. »L'acte de décès de La Bruyère constate qu'il fut inhumédans la vieille église de la paroisse Notre-Dame de VersaillesS et aujourd'hui une plaque de marbre placée par les soinst. Voici ce document :« Et trait <strong>du</strong> registre dei acte* de décès de la paroisse Notre-Dame ds Ver-Millc».i Ce douitème de mat mil sis Cent qu6lre«vingt*scîi7, Jean La Bruyère,


tde l'édilité versaillaise, sur la façade de l'ancien hôtel deCondé, indique que c'est là que le grand observateur a composéson impérissable ouvragé, et qu'il a passé les t'ernicresannées de sa vie.Voilà tout ce que l'on sait de cet homme à jamais célèbreJEAN DE LA BRUYÈRE. XIIIr•:1Il est peu d'écrivains qui se. soient fait un aussi grandnom que La Bruyère, avec un aussi mince bagage littéraire.Sa tra<strong>du</strong>ction de Théophraste, son Discours à tAcadémiefrançaise, la préface dé ce Discours, et ses Caractères composenten effet toutes ses œuvres; et s'il est vrai qu'à samort on ait trouvé parmi ses papiers des Dialogues sur lequiètisme, on s'accorde à dire que ces dialogues étaient àpeine ébauchés, et que ceux qui ont paru sous son nomne sont qu'une œuvre apocryphe tout à fait indigne de sontalent.Quelle a été la source et puur ainsi dire l'occasion première<strong>du</strong> livre des Caractères? A-t-iletédirectement inspirépar Théophraste et l'antiquité, comme le titre sembleraitl'indiquer, ou par les gonts et les modes littéraires <strong>du</strong>dix-septième siècle? M. Cousin s'est chargé de répondre àcette question et de la résoudre. Voici ce qu'il nous apprendà ce sujet, et nous ne pouvons mieux faire que de repro<strong>du</strong>ireici ses propres paroles : « Mademoiselle, fille uniquede Gaston, <strong>du</strong>c d'Orléans, dit Imminent écrivain que nousvenons de citer, eut un jour à la campagne, en 1057, l'idéede demander à toutes les personnes de sa société de faireleur portrait, et sur-le-champ elle Ht c-lle-r 'nie le sien, encommençant par une description physique assez détaillée,fcéeuyer, gentilhomme de Monseigneur te Duc, âgé de cinquante au* ou environ,est décédé à l'hôlel de Condé, te onzième <strong>du</strong> mots et an que dessus, et: ohumé le lendemain dans la vieille église de ta paroisse, par moi, soussigné,prêtre de la mission» faisant les fonctions curiales, en prosci.ee de Robert*lierre de La Bruyère» ton frère, etde M* Charles LaDorcys de Boshèze, &*t»<strong>mont</strong>er de Son Alteise la Duchesse, qui ont signé, et de M, Huguet, conciergtdelh6tcl 9 qui a sîj>é # » {Revue rllro*j>icftôi octobre 1836*)


XIIJEAN DE LA BRUYÈRE.et passant de là à la peinture de son esprit, de son âme, dosesmœurs et de toutes ses qualités morales, elle fit aussi lesportraits de M. de Béthune, qui était son chevalier d'honneur»de M. d'Entragues et de beaucoup d'autres. Aprèsavoir donné l'exemple, elle voulut qu'on le suivît.... Tel futle passé-temps de Mademoiselle et de ses amis pendant lesannées 1657 et 1658 : de ce passé-temps sortit toute une littérature....Les portraits se multiplièrent à Paris cl dans lesprovinces... ; il y en eut d'excellents, il y en eut de médio»cres et aussi de détestables, jusqu'en 1688. La Bruyère renouvelaet éleva le genre et, sous le nom de Caractères, peignitson siècle et l'humanité '» »Les Caractères obtinrent, au moment de leur apparition,une vogue immense. L'auteur <strong>du</strong> Mercure Galant^ de Visé,qui était loin cependant d'être favorable à La Bruyère, racontequ'il se trouvait à la cour le premier jour que lesCaractères parurent, et qu'il vit de tous côtés « des pelotonsqui éclataient de rire. » Chacun croyait y retrouver les personnagesde sa connaissance. « Ce portrait est outré, disaientles uns. — Celui-ci, disaient lés autres, Vest bien plus encore.— On dit telle chose de madame une telle, » ajoutait-ond'un autre côté. Enfin» dit de Visé, la conclusion était qu'ilfallait acheter au plus tôt ce livre pour voir les portrait»,dont il était rempli, de peur que le libraire n'eût ordre d'enretrancher la meilleure partie.Le scandale que provoqua la satire personnelle fut doncla cause première <strong>du</strong> grand succès qu'obtint à son apparitionle litre des Caractères; mais était-ce là le succèsqu'avait cherché La Bruyère, et ces personnalités que chacuncroyait rencontrer à chaque page de son livre s'y trouvaientellesréellement? Sur ces deux points nous n'hésitons pas àrépondre par la négative. Le scandale était venu de Jur*ti Revue des Deux Monde* } l tf janvier 1884»p. 24 et sutv# — M. Coustofait remarquer avec raison que ce nom de Caractères n'est ni une Inventionde La Bruyère, ni un emprunt fait à Théophra»te. Ou disait Caractère poutportrait! et on appliquait te mot <strong>du</strong> genre mil en vogue par Mademoiselle*


- '"£ ^v'V1*• ' .iS{•JEAN DE LA BRUYÈREXIIImême et par la seule force de l'observation morale, parcequ'en traçant des caractères, La Bruyère, comme l'auteur<strong>du</strong> Misanthrope, avait fait ces caractères si vrais, si profondémenthumains que le public les avait pris pour des signalements.Celte opinion est formellement celle de M. Cousin,et nous sommes heureux de citer encore une fois cetillustre écrivain, dont l'autorité est si imposante dans l'histoirelittéraire <strong>du</strong> grand siècle. « On a uneclef de La Bruyère,dit M. Cousin \ mais ici la plus grande circonspection estnécessaire, car nun-seulement La Bruyère s'est servi souventde plusieurs originaux, mais ces originaux n'ont été pourlui qu'une occasion, un point de départ, la matière d'unepremière esquisse, sur laquelle il a ensuite librement travaillé, sans consulter aucun modèle particulier et l'œilfixé sur un caractère général et abstrait que son pinceauénergique rendait aussi vivant, aussi réel qu'un indivi<strong>du</strong>,mais où nul indivi<strong>du</strong> ne pouvait se reconnaître. Quelle clefappliquer à un pareil ouvrage? La Bruyère seul pouvait ladonner j on dil qu'il l'a faite. Il est permis d'en douter, etde considérer la Cfe^ publiée en Hollande, à quelques exceptionsprès, comme de simples conjectures curieuses et intéressantessur les contemporains de La Bruyère 1 . »Les hommes qui avaient cru se reconnaître dans lesCaractères ont depuis longtemps disparu de la scène <strong>du</strong>monde, et ceux qui les ont suivis s'y sont reconnus commeeux. Le livre, accueilli comme un pamphlet, est resté dansl'héritage intellectuel <strong>du</strong> genre humain, comme un chefd'œuvred'observation morale, et c'est là, en histoire littéraire,une destinée tout à fait exceptionnelle qui suffiraitseule à <strong>mont</strong>rer avec quelle force et quelle vérité saisissantel'auteur, en peignant les hommes de son temps, a peintl'homme de tous les siècles. Peu importe pour sa gloire queLa Bruyère ait été de son vivant l'objet des invectives dequelques insultcurs obscurs» tels 'que de Visé ou Vigneul*I* Ubi tupra,p. 27.


*•* .1 * ' k .. .-."-' ?XIVJEAN DE LA BPUYÊRB.Alarville. La postérité n'a point d'échos pour ces clameur.*des basses jalousies, et depuis tantôt deux siècles l'admirationa été universelle. Du vivant môme de l'auteur des Carac(ères, et dès la première édition <strong>du</strong> livre, Bussy-Rabutin 0:1 .saisit la portée, et il écrivit au marquis de Thermes, sousla date <strong>du</strong> 40 mars 1C88 : a Je suis de votre avis sur la destinéede cet ouvrage, que dès qu'il paraîtra il plaira fort auxgens d'esprit, mais qu'à la longue il plaira davantage. » Les"jugements <strong>du</strong> dix-huitième siècle et <strong>du</strong> dix-neuvième ontconfirmé pleinement cette prévision de Bussy-Rabutin. Voltairerange les Caractères parmi « les pro<strong>du</strong>ctions d'ungenre unique. » Il y trouve « un style rapide, concis, nerveux,des expressions pittoresques, un usage tout nouveaude la langue. » Vauvenargues répète cet éloge en enchérissantsur Voltaire : et L'éloquence de La Bruyère, ses tonssinguliers et hardis, et son caractère toujours original, nesont pas des choses que l'on puisse imiter.... On remarquedans tout son ouvrage un esprit juste, élevé, nerveux, pathé- «tique, également capable do réflexion et de sentiment, etdoué avec avantage de cette invention qui distingue les maîtreset qui caractérise le génie. Personne n'a peint les détailsavec plus de feu, plus de force, plus d'imagination dansl'expression. »(dl y a peu de livres en aucune langue, dit à son tourLa Harpe, où Ton trouve une aussi grande quantité de penséesjustes, solides, et un choix d'expressions aussi heureuxet aussi varié. La satire est chez lui bien mieux enten<strong>du</strong>e quedans La Rochefoucauld; presque toujours elle est particulariséeet remplit le titre <strong>du</strong> livre : ee sont des caractères,mais ils sont peints supérieurement. Ses portraits sont faitsde manière que vous les voyefagir, parler, se mouvoir, tantson style a de vivacité et de mouvement. Dans l'espace depeu de lignes, il met ses personnages en scène de vingt manièresdifférentes, et en une page il épuise tous les ridiculesd'un sot ou tous les vices d'un méchant, ou toute l'histoired'une passion, ou tous les traits d'une ressemblance morale.#*


\i./EAN DE LA BRUYÈRE. \VNul prosateur n'a imaginé plus d'expressions nouvelles, iVacréé plus de tournures fortes ou piquantes. »Les brillantes études dont le dix-septième siècle a été le•ujet de notre temps même ont été pour La Bruyère l'occasionde nouveaux hommages et d'une sorte de rajeunissement.MM. Sainte-Beuve, Cousin, Nisard, lui ont consacrédes pages éloquentes, et sa popularité semble augmenteravec l'âge, comme pour justifier une fois de plus la prophétielittéraire de Bussy-Rabutin. C'est qu'en effet l'auteurdes Caractères est <strong>du</strong> petit nombre des écrivains où l'ondécouvre à chaque lecture nouvelle des horizons nouveaux.Par sa foi il touche à Bossuet, en même temps que par saphilosophie il touche à Descartes. En attaquant les partisanset les courtisans, il combat à la fois le désordre des financeset les abus de l'ancienne monarchie qui soumet les destinées<strong>du</strong> pays à la faveur et à l'intrigue. 11 est aussi hardi, aussilibéral, plus libérai même que Molière j il défend, commeBoileau, les principes <strong>du</strong> bon goût et de la morale littéraire;et dans l'apparent désordre de son livre, nous avons eudéjà l'occasion de faire cette remarque, il s'attache à développerune grande et salutaire pensée morale. Cette satire,à la fois aimable et amère, dans laquelle il passe en revuetoutes les conditions sociales, n'est en définitive qu'un tableaude nos ridicules, de nos faiblessesou de nos vices, par lequelil cherche à nous faire rougir de nous-mêmes et à nous ramenerau bien, comme Pascal par le spectacle de notre néant.La pensée tout entière de son livre se révèle dans le dernierchapitre, celui Des esprits fort$ t et dans ces mots qui terminentce chapitre : « Les extrémités sont vicieuses et partentde l'homme; toute compensation est juste et vient de Dieu.». Gomme tous tes grands écrivains <strong>du</strong> règne de Louis XIV,La Bruyère a été depuis tantôt deux siècles l'objet de nombreusesétudes et de nombreux commentaires, soit dans lesouvrages de critique et d'histoire littéraire, soit dans les éditonsqui en ont été faites»


' «" - " - " ' i , . . . . * • . . : . T H , »XVI-9JEAN DE LA BMJYÈRE.5 Ii -gOutre lés helles pages que lui ont consacrées, comme nous •V\l'avons dit plus haut, MM. Sainte-Beuve. Nisard et Cousin, nousindiquerons pour les ouvrages de critique et d'histoire littéraire: tes Sentiments critiques sur les Caractères, Paris,Michel Brunet, 1701; — l'Apologie de La Bruyère, Paris,1701; — la Défense des Caractères, par Coste, réimpriméeen 1720 dans l'édition d'Amsterdam;—les remarques que lui aconsacrées Condillac dans la partie de son Cours d'Études quiest intitulée VArt d'écrire; — les appréciations de Vauvenar- ;gués, dans le premier volume de ses œuvres, Paris, 1827, in-8 0 ;— La Harpe, Cours de Littérature, Paris, 1818, in-S», t. vu,p. 338 et suiv.;— VEloge de La Bruyère, par Viclorin Fabrc,éloge qui fut couronné en 1810 par la seconde classe de l'Institut;— de La Bruyère, par Charles Caboche, Paris, 1844, :in-8°; — La Bruyère et À/. îValckenacr, par M. d'Orligues, 4.dans la Revue Indépendante <strong>du</strong> 25 fév» ,; er 1848.Parmi les éditions les plus notable* et qui contiennent descommentaires et des notices, nous indiquerons l'édition deCoste, 1720, 3 vol, in-12, plusieurs fois réimprimée; — deSuard, I781,in-12; — de mad. de Genlis, 1812, in-12; — deLcfèvre, 1822, in-8°, plusieurs fois réimprimée; — d'Auger,• 1823, in-12; — de Wulckenaër, 1845, 2 vol. in-12; — deM. Hemardinquer, 1849, in-12 ; — de M. A. Destailleur, Paris,1854, 2 vol. in-12. Celte dernière édition se recommande parle soin que M. A. Destailleur a mis à icpro<strong>du</strong>ire toutes les variantes,et à indiquer dans des tables générales les augmenta*lions et transpositions faites dans chacune des éditions originalesqui ont suivi la première.Nous ajouterons que le livre de La Bruyère donna naissanceà une foule d'imitations, parmi lesquelles les Mémoires de Trévouxde mars et d'avril 1701 citent les suivantes :Ouvrage dans le goût des Caractères, — Thèophraste mo*derne, ou nouveaux Caractères des mœurs,—Suite des CaraC' '\eres de Thèophraste et des mœurs de ce siècle, —Lesdifférentscaractères des femmes <strong>du</strong> siècle, — Caractères tirés dePEcriture sainte et appliqués aux mœurs <strong>du</strong> siècle, — Caractèresnaturels des hommes, en forme de d^ùogues,— Portraits ?$èrieux et critiques, •— Caractères des vertus et des vices»Cu, LOUANDRE.


» 1 » * ~TT'w, «.1*. • V *.^LES CARACTÈRESouLES MŒURS, DE CE SIÈCLE.> fAdmonere voluîmus, non morderejproJesse, non Ixdere; consulere moribushominum, non officero.EIUSM.Je rends au public ce qu'il m'a prêté : j'ai empruntédo lui la matière de cet ouvrage; il est justeque Payant achevé avec toute l'attention pour la véritédont je suis capable, et qu'il mérite de moi, jelui en fasse la restitution. Il peut regarder avec loisirce portrait que j'ai fait de lui d'après nature; et s'il seconnoît quelques-uns des défauts que je louche, s'encorriger. C'est l'unique fin que l'on doit se proposeren écrivant, et le succès aussi que l'on doit moins sepromettre. Mais comme les hommes ne se dégoûtentpoint <strong>du</strong> vice, il ne faut pas aussi se lasser de leurreprocher'; ils scroientpeut-être pires, s'ils venoientà manquer de censeurs ou de critiques : c'est ce quifait que l'on prêche et que l'on écrit*. L'orateur et1* Leur reprocher est une forme de notre vieille langue; reprocher àquelqu'un, sans régime direct, veut dire adresser des reproches, des observations.2. Ce qu'il y a de plus difficile lorsqu'on écrit contre les mœurs, c'est debien convaincre les hommes de ta vérité de leurs dérèglements. Comme ilsn'ont jamais manque de censeurs à cet égard, ils sont persuades que Ici désordresqu'on attaque ont été de tout temps les mêmes; que ce sont des vicesattachés à la nature, et par cette raison inévitables; des vices, s'ils esoieutie dire, nécessaires et presque Innocents. (VAuvtxAttGuts.)


•3-7-rr v't.LES**-•CARACTÈnES.l'écrivain ne sauraient vaincre la joie qu'ils ont d'êtreapplaudis; mais ils devroient rougir d'eux-mêmes,s'ils, n'avoient cherché, parleurs discours ou parleurs écrits, que des éloges : outre que l'approbationla plus sûre et la moins équivoque est le changementde mœurs et la réformation de ceux qui les lisent ouqui les écoutent. On ne doit parler, on ne doit écrireque pour l'instruction; et s'il arrive que l'on plaise, ilno faut pas néanmoins s'en repentir, si cela sert à insinueret à faire recevoir les vérités qui doivent instruire.Quand donc il s'est glissé dans un livre quelquespensées ou quelques réflexions qui n'ont ni lefeu, ni le tour, ni la vivacité des autres, bien qu'ellessemblent y être admises pour la variété, pour délasserl'esprit, pour le rendre plus présent et plus attentif àce qui va suivre, à moins que d'ailleurs elles ne soientsensibles, familières, instructives, accommodées ausimple peuple qu'il n'est pas permis de négliger, lelecteur peut les condamner, et l'auteur les doit proscrire: voilà la règle. Il y en a une autre, et que j'aiintérêt que l'on veuille suivre, qui est de ne pasperdre mon titre de vue, et de penser toujours,et dans toute la lecture de cet ouvrage, que ce sontles caractères ou les mœurs de ce siècle que je décris: car, bien que je les lire souvent de la cour deFrance et des hommes de ma nation, on ne peutpas néanmoins les restreindre à une seule cour, niles renfermer en un seul pays., sans que mon livrene perde beaucoup de son éten<strong>du</strong>e et de son utilité,ne s'écarte <strong>du</strong> plan que je me suis fait d'y peindreles hommes en général, comme des raisons qui entrentdans l'ordre des chapitres et dans une certainesuite insensible des réflexions qui les composent.Après cette précaution si nécessaire, et dont on pénètreassez les conséquences, je crois pouvoir protestercontre tout chagrin, toute plainte,, toute ma*« -•>i;• .*- * • - \^ . -- - *. •~ -, -< . y " -1


**imt*r* l è S *j%fcw*3w**%V* y^ •-• - \ \LES CARACTÈRES. 3ligne interprétation, toute fausse application, et toutecensure; contre les froids plaisants et les lecteursmal intentionnés '. Il faut savoir lire, et ensuitese taire, ou pouvoir rapporter ce qu'on a lu, niplus ni moins que ce qu'on a lu ; et si on le peutquelquefois, ce n'est pas assez, il faut encore levouloir faire. Sans ces conditions, qu'un auteurexact et scrupuleux est en droit d'exiger de certainsesprits pour l'unique récompense de son travail, jedoute qu'il doive continuer d'écrire, s'il préfère <strong>du</strong>moins sa propre satisfaction à l'utilité de plusieurset au zèle de la vérité. J'avoue d'ailleurs que j'ai balancédès Tannée MDCLXXXX et avant la cinquième édition,entre l'impatience de donner à mon livre plusde rondeur et une meilleure forme par de nouveauxcaractères, et la crainte de faire dire à quelques-uns :Ne finiront-ils point, ces caractères, et ne verronsnousjamais aulre chose de cet écrivain? Des genssages me disoient, d'une part ; la matière est solide,utile, agréable, inépuisable ; vivez longtemps et traitez-lasans interruption pendant que vous vivrez.Que pourriez-vous faire de mieux ? Il n'y a pointd'année que les folies des hommes ne puissent vousfournir un volume. D'aulres, avec beaucoup de raison,me faisoient redouter les caprices de la multitudeet la légèreté <strong>du</strong> public, de qui néanmoinsj'ai de si grands sujets d'élre content, et ne manquoientpas de me suggérer que personne presquedepuis trente années ne lisant plus que pour lire, ilfalloit aux hommes, pour les amuser, de nouveauxcbapilrcs et un nouveau lilrc ; que cette indolenceavoit rempli les boutiques et peuplé le monde, depuistout ce temps, de livres^ froids et ennuyeux,1. Molière piotcste de même contre les interprétations malignes, et les ap»plicatioiii qu'on pouvait faire aux personnes de son temps des portraits (racesdan» tes comédies. Voir l'Impromptu de Vtrsaitîcs, se. ni.


4 LES CARACTÊUES.d'un mauvais style et de nulle ressource, sans règleset sans la moindre justesse, contraires aux mœurset aux bienséances, écrits avec précipitation et lusde m$me, seulement par leur nouveauté; et que, sije ne savois qu'augmenter un livre raisonnable, lemieux que je pouvois faire étoit de me reposer. Jepris alors quelque cbose de ces deux avis si opposés,et je gardai un tempérament qui les rapprochoît : jene feignis point d'ajouter quelques nouvelles remarquesà celles qui avoient déjà grossi <strong>du</strong> doublela première édition de mon ouvrage : mais afin quele public ne fût point obligé de parcourir ce qui étoitancien, pour passer à ce qu'il y avoit de nouveau,et qu'il trouvât sous ses yeux ce qu ? il avoit seulementenvie de lire, je pris soin de lui désigner cette secondeaugmentation par une marque particulière : je crusaussi qu'il ne scroit pas inutile de lui distinguer lapremière augmentation par une autre marque plussimple, qui servît à lui <strong>mont</strong>rer le progrès de mesCaractères, et à aider son choix dans la lecture qu'ilen voudrait faire : et comme il pouvoit craindre quece progrès! n'allât à l'infini, j'ajoutois a toutes cesexactitudes, une promesse sincère de ne plus rienhasarder e... ce genre. Que si quelqu'un m'accused'avoir manqué à ma parole, en insérant dans lestrois éditions qui ont suivi, un assez grand nombrede nouvelles remarques, il verra <strong>du</strong> moius qu'enles confondant avec les anciennes, par la suppressionentière de ces différences qui se voient par apostille,j'ai moins pensé à lui faire lire rien de nouveau,qu'à laisser peul-ôtre un ouvrage de mœurs pluscomplet, plus fini et plus régulier à la postérité. Cene sont point au reste des maximes que j'ai vouluécrire : elles sont comme des lois dans la morale ; etj'avoue que je n'ai ni assez d'autorité, ni assez degénie pour faire le législateur. Je sais même que./ tf


y •>-> .% •* * ^i }LES CÀRACTÈHES. 5j'auroîs péché contre l'usage des maximes, qui veutqu'à la manière des oracles elles soient courtes etconcises. Quelques-unes de ces remarques le sont,quelques autres sont plus éten<strong>du</strong>es. On pense leschoses d'une manière différente, et on les expliquepar un tour aussi tout différent, par une sentence, parun raisonnement, par une métaphore ou quelqueautre figure, par un parallèle, par une simple comparaison,par un fait tout entier, par un seul trait, parune description, par une peinture : de là procède lalongueur ou la brièveté de mes réflexions. Ceux enfinqui font des maximes veulent être crus : je consens,au contraire, que Ton dise de moi que je n'aipas quelquefois bien remarqué, pourvu que l'on remarquemieux 1 .1* Cet avertissement ne se trouve point, tel qu*on vient de le lire, dans lestrois prt nières éditions. Il ne se compose tians ces éditions que de quelque*lignes. C'est à p3itir de la quatrième que l'auteur l'a dévclopoé en l'amélic**&nt à ch&auc édition rouvetle.i.*» f


V( '1DES OUVRAGES DE L'ESPRIT.Tout est dit, et l'on vient trop tard, depuis plusde sept mille ans qu'il y a des hommes, et qui pensent.Sur ce qui concerne les mœurs, le plus beauet le meilleur est enlevé : l'on ne fait que glaneraprès les anciens et les habiles d'entre les modernes.f II faut chercher seulement à penser et à parlerjuste, sans vouloir amener les autres à notre goût età nos sentiments : c'est une trop grande entreprise.f C'est un métier que de faire un livre, comme defaire une pen<strong>du</strong>le. Il faut plus que de l'esprit pourêtre auteur. Un magistrat 1 alloit par son mérite à lapremière dignité; il étoit homme délié et pratiquedans les affaires; il a fait imprimer un ouvrage moral -qui est rare par le ridicule.ï II n'est pas si aisé de se faire un nom par unouvrage parfait ^ue d'en faire valoir un médiocrepar le nom qu'o. i'cst déjà acquis.^ Un ouvrage uitirique ou qui contient des faits, quiest donné en feuilles sous le manteau aux conditionsd'être ren<strong>du</strong> de môme, s'il est médiocre, passe pourmerveilleux; l'impression est l'écueil. - \ï Si l'on ôte de beaucoup d'ouvrages de morale, ]l'avertissement au lecteur, Pépîtrc dédicatoire, la préface,la table, les approbations 8 , il reste à peine assezde pages pour mériter le nom de livre.I. Suivant la cUf } Poncct de La Rivière» conseiller au parlement de Paris,tuteur <strong>du</strong> livre intitulé : tes Avantages de ta tteitte&se*î> Le$ approbations, c*csl-à*dire les attestations délivrées parla Facull tde théologie, pour constater que les livres ne renfermaient rien de contraire& la morale et à la religîom Cette formalité avait été Imposée par une ordon*'oance <strong>du</strong> 11 déc. 1547.*


''- tr! .In ^ •DES OUVRAGES DE L'ESPRIT. 71 II y a de certaines choses dont la médiocrité estinsupportable : la poésie 1 , la musique, la peinture, lediscours public.Quel supplice que celui d'entendre déclamer pompeusementun froid discours, ou prononcer de médiocresvers avec toute l'emphase d'un mauvais poète!T Certains poètes sont sujets, dans le dramatique,à de longues suites de vers pompeux, qui semblentforts, élevés et remplis de grands sentiments. Le peupleécoute avidement, les yeux élevés et la boucheouverte, croit que cela lui plaît, et à mesure qu'il ycomprend moins, l'admire davantage : il n'a pasle temps de respirer, il a à peine celui de se récrieret d'applaudir. J'ai cru autrefois, et dans ma premièrejeunesse, que ces endroits étoient clairs etintelligibles pour les acteurs, pour le parterre etl'amphithéâtre; que leurs auteurs s'enlendoient euxmêmes;et qu'avec toute l'attention que je donnois àleur récit, j'avois tort de n'y rien entendre ; je suisdétrompé.1 L'on n'a guère vu jusqu'à présent un chef-d'œuvred'esprit qui soit l'ouvrage de plusieurs : Homère a faitl'Iliade, Virgile l'Enéide, Ïile-Livo ses Décades, etl'Orateur Romain ses Oraisons.T II y a dans l'art un point de perfection, commede bonté ou de maturité dans la nature : celui qui lesent et qui l'aime a le goût parfait : celui qui ne lesent pas, et qui aime en deçà ou au delà, a le goûtdéfectueux. Il y a donc un bon et un mauvais goût; etl'on dispute des goûts avec fondement.^ Il y a beaucoup plus de vivacité que de goût parmit. On peut faire te «ot partout ailleurs, malt non en lapolstciMcdiocrtbuj CîîO poelî*Non di, ton homines, non coneccscre columnœ.Pleust k Dku que celte sentence 6e trouvas! au front des boutiques de touts nosimprimeurs, pour on deflfendre l'entrée à tant de versificateurs, (MOSTAIGMB,lir, II, chap, xvti.)hVfiv-îS**r'i.•t0i4\ î• :i< f* ?n a!î


8 DES OUVRAGES DE L'ESPRIT.les hommes; ou, pour mieux dire, il y a peu d'hommesdont l'esprit soit accompagné d'un goût sûr etd'une.critique judicieuse,t La vie des héros a enrichi l'histoire, et l'histoire aembelli les actions des héros : ainsi je ne sais qui sontplus redevables, ou ceux qui ont écrit l'hisloiro à ceuxqui leur en ont fourni une aussi noble matière, ou cesgrands hommes à leurs historiens.ï Amas d'épithôtes, mauvaises louanges : ce sonttes faits qui louent, et la manière de les raconter.S Tout l'esprit d'un auteur consiste à bien définiret à bien peindre. MOïSE 1 , HOMèRE, PLATON, VIRGILE,HORACE ne sont au-dessus des autres écrivains quepar leurs expressions et par leurs images. Il faut exprimerle vrai pour écrire naturellement, fortement,délicatement.T On a dû faire <strong>du</strong> style ce qu'on a fait de l'architecture.On a entièrement abandonné l'ordre gothiqueque la barbarie avait intro<strong>du</strong>it pour les palais et pourlès temples a : on a rappelé le dorique, l'ionique et lecorinthien : ce qu'on ne voyoit plus que dans lesruines de l'ancienne Home et de la vieille Grèce, devenumoderne, éclate dans nos portiques et dans nospéristyles. De môme on ne sauroit, en écrivant,rencontrer le parfait, et, s'il se peut, surpasser lesanciens que par leur imitation.Combien de siècles se sont écoulés avant que leshommes, dans les sciences et dans les arts, aient purevenir au goût


DES OUVRAGES DE L'ESPRIT. 9on les presse, on en tire le plus que Ton peut, on enrenfle ses ouvrages ; et quand enfin l'on est auteur, etque l'on croit marcher tout seul, on s'élève contreeux, on les maltraite, semblable à ces enfanls druset forts d'un bon lait qu'ils ont sucé, qui battent leurnourrice.Un auteur moderne 1 prouve ordinairement que lesanciens nous sont inférieurs en deux manières, parraison et par exemple : il tire la raison de son goûtparticulier, et l'exemple de ses ouvrages.Il avoue que les anciens, quelque inégaux etpeu corrects qu'ils soient, ont de beaux traits; illes cite, et ils sont si beaux qu'ils font lire sa critique.Quelques habiles * prononcent en faveur des ancienscontre les modernes; mais ils sont suspects,et semblent juger en leur propre cause, tant leursouvrages sont faits sur le goût de l'antiquité : on lesrécuse.ï L'on devroit aimer à lire ses ouvrages à ceux quien savent assez pour les corriger e! les estimer.Ne vouloir être ni conseillé ni corrigé sur son ouvrageest un pédantisme.Il faut qu'un auteur reçoive avec une égale modestieles éloges et la critique que l'on fait de sesouvrages.ï Entre toutes les différentes expressions qui peuventrendre une seule de nos pensées, il n'y en aqu'une qui soit la bonne ; on ne la rencontre pas toujoursen parlant ou en écrivant. 11 est vrai néanmoinsqu'elle existe, que tout ce qui ne l'est point est faible,i* Vraisemblablement Charles Perrault, de l'Académie française, ré eni$23 t mort en 1703, auteur <strong>du</strong> livre intitulé % Parallèle des anciens et desmodernes, Paris, 16S8 , 4 vol. în-12. I/abbé de Boisrobert et Desmarels deSaiîtt-Sorlin avaient soutenu, avant Perrault, la thèse de la supériorité desmodernes.2. Ces habiles sont Samt-Èvre<strong>mont</strong>, Huel, Hirdouînj Fraguîer, et surtoutBoileau. Voir le curieux ouvrage mtîlulé : Querelles littéraires, de», Paris,176i t ia*l2 t t. II, p, 2?5 t


j. A-10 DES OUVRAGES DR L'eSPMT.et ne satisfait point un homme d'esprit qui veut sefaire entendre.* Un bon auteur, et qui écrit avec soin, éprouve souventque l'expression qu'il chorchoit depuis longtempssans la connoître, cl qu'il a enfin trouvée, estcelle qui éloit la plus simple, la plus naturelle, qui-sembloit devoir se présenter d'abord et sans effort.Ceux qui écrivent par humeur sont sujets h retoucherà leurs ouvrages : comme elle n'est pas toujoursfixe, et qu'elle varie en eux selon les occasions, ils serefroidissent bientôt pour les expressions et les termesqu'ils ont le plus aimés.1 La môme justesse d'esprit qui nous fait écrire de-bonnes choses, nous fait appréhender qu'elles ne lesoient pas assez pour mériter d'ôtre lues.Un esprit médiocre croit écrire divinement : un bon•esprit croit écrire raisonnablement.t L'on m'a engagé, dit Aristc^ à lire mes ouvragesà ZOïïQ », je l'ai fait : ils l'ont saisi d'abordl, et avantqu'il ait eu le loisir de les trouver mauvais, il les aloués modestement en ma présence, et il ne les .a pasloués depuis devant personne. Je l'excuse, et je n'en-demande pas davantage à un auteur : je le plainsmémo d'avoir écouté de belles choses qu'il n'a pointfaites.Ceux qui, par leur condition, se.trouvent exempts


DES OUVRAGES DE t/EfPMT,\ Bien des gens vont jusqu'à sentir le mérfle d'unmanuscrit qu'on leur lit, qui ne peuvent se déclareren sa faveur, jusquesà ce qu'ils aient vu le cours qu'ilaura dans le monde par l'impression, ou quel serason sort parmi les habiles; ils ne hasardent pointleurs suffrages, et ils veulent être portés par la fouleet entraînés par la multitude, Ils disent alors qu'ilsont les premiers approuvé cet ouvrage et que le publicest de leur avis.Ces gens laissent échapper les plus belles occasionsde nous convaincre qu'ils ont de la capacité et deslumières, qu'ils savent juger, trouver bon oe qui estbon, et meilleur ce qui est meilleur. Un bel ouvragetombe entre leurs mains, c'est un premier ouvrage :l'auteur ne s'est pas encore lait un grand nom, il n'arien'qui prévienne en sa faveur; il ne s'agit point defaire sa cour ou de flatterles grands en applaudiss?. n tà ses écrits : on ne vous demande pas, Zélotcs, devous récrier : C'est un chef-d'œuvre de l'esprit : l'humaniténe va pas plus loin : c'est fusquoh la parole humainepeut s'élever : on ne jugera à l'avenir <strong>du</strong> goûtde quelqu'un qu'à proportion qu*il en aura pour cettepièce; phrases outrées, dégoûtantes, qui sentent lapension ou l'abbaye; nuisibles à cela même qui estlouable et qu'on veut louer. Que ne disiez-vous seulement: Voilà un bon livre. Vous le dites, il est vrai,avec toute la France, avec les étrangers comme avecvos compatriotes, quand il est imprimé par toute l'Europe,et qu'il est tra<strong>du</strong>it en plusieurs langues : il n'estplus temps 1 .f Quelques-uns de ceux qui ont lu un ouvrage enapportent certains traits dont ils n'ont pas comprislft . -entrailles, et ne cherchons point de raisonnements pour nous empêcher d'à»voir <strong>du</strong> plaisir. (MOUèRB, Critique de l'Ecole des femmes, se. vu.)t. Quelques commentateurs pensent, et avec raison ce semble, que LaBruyère, dans ce passage, fait allusion à son propre livre.ï


Va-y12 DES OUVRAGES DB l/ESPRlT.le sens, et qu'ils altèrent encore par tout ce qu'ils ymettent <strong>du</strong> leur; et ces traits ainsi corrompus et défigurés,qui ne sont autre chose que leurs proprespensées et leurs expressions, ils les exposent a lacensure, soutiennent qu'ils sont mauvais, et tout lemonde convient qu'ils sont mauvais ; mais l'endroit del'ouvrage que ces critiques croient citer, et qu'en effetils ne citent point, n'en est pas pire.î Que dites-vous <strong>du</strong> livre â'ffermodore? Qu'il estmauvais, répond Anthime. Qu'il est mauvais, qu'il esttel, conlinue-l-il, que ce n'est pas un livre, ou quimérite <strong>du</strong> moins que le monde en parle. Mais l'avezvouslu? Non, dit Anthime. Que n'ajoute-t-il queFulvie et Mêlante l'ont condamné sans l'avoir lu, etqu'il est ami de Fulvie et de Mélanie,1 Arsène*, <strong>du</strong> plus haut de son esprit, contemple leshommes, et dans l'éloignement d'où il les voit, il•est comme effrayé de leur petitesse. Loué, exalté etporté jusqu'aux cieux par. de certaines gens qui sesont promis de s'admirer réciproquement, il croit,avec .quelque mérite qu'il a, posséder tout celui qu'onpeut avoir, et qu'il n'aura jamais : occupé et remplide ses sublimes idées, il se donne à peine le loisir deprononcer quelques oracles : élevé par son caractèreau-dessus des jugements humains, il abandonne auxâmes communes le mérite d'une vie suivie et uniforme,et il n'est responsable de ses inconstances qu'à cecercle d'arnis qui les idolâtrent. Eux seuls savent juger,savent penser, savent écrire, doivent écrire. Il n'ya point d'autre ouvrage d'esprit si bien reçu dans lemonde, et si universellement goûté des honnêtes gens,je ne dis pas qu'il veuille approuver, mais qu'il daignelire : incapable d'être corrigé par cette peinture, qu'ilne lira point.hI. Suirant la cltf, Arsène serait le comte de Trévilte.i-.*/v.


:ir--DES OUVRAGES DE L'ESPRIT. 13] Théocrine sait des.choses assez inutiles i il a dessentiments toujours singuliers; il est moins profondque méthodique;.il n'exerce que sa mémoire; il estabstrait, dédaigneux, et il semble toujours rire enlui-même de ceux qu'il croit ne le valoir pas, Le hasardfait que je lui lis mon ouvrage, il l'écoute. Estillu? il me parle <strong>du</strong> sien. Et <strong>du</strong> vôtre, me direz-vous,qu'en pense-t-il? Je vous l'ai déjà dit, il me parle <strong>du</strong>sien.f II n'y a point d'ouvrage si accompli qui ne fondittout entier au milieu de la critique, si son auteurvouloit en croire tous les censeurs, qui ôtent chacunl'endroit qui leur plaît le moins.j C'est une expérience faite, que s'il se trouve dixpersonnes qui effacent d'un livre une expression ouun sentiment, l'on en fournit aisément un pareilnombre qui les réclame; ceux-ci s'écrient : Pourquoisupprimer cette pensée? elle est neuve, elle est belle,et le tour en est admirable ; et ceux-là affirment aucontraire, ou qu'ils auroient négligé cette pensée, ouqu'ils lui auroù ît donné un autre tour. Il y a unterme, disent les uns, dans votre ouvrage, qui estrencontré, et qui peint la chose au naturel; il y a unmot, disent les autres, qui est hasardé, et qui d'ailleursne signifie pas assez ce que vous voulez peutêtrefaire entendre : et c'est <strong>du</strong> même trait et <strong>du</strong>même mot que tous ces gens s'expliquent ainsi 1 ; ettous sont connaisseurs, et passent pour tels. Quelautre parti pour un auteur que d'oser pour lors êtrede l'avis de ceux qui l'approuvent?ï Un auteur sérieux n'est pas obligé de rempliroon esprit de toutes les extravagances, de toutes lessaletés, de tous les mauvais mots que l'on peut dire,«t de toutes les ineptes applications que l'on peut*i. Cf. Molière, Critique de VÈcoîe des femmes, se. ir.


tt14 DES OUVnAGES DE L'KSPIIIT.faire au sujet de quelques endroits de son ouvrage,et encore moins de les supprimer. Il est convaincu,que quelque scrupuleuse exactitude que l'on ait danssa manière d'écrire, la raillerie froide des mauvais' plaisants est un mal inévitable, et que les meilleureschoses ne leur servent souvent qu'à leur faire rencontrerune sottise,ï Si certains esprits vifs et décisifs étoient crus, ceseroit encore trop que les termes pour exprimer lessentiments; il faudroit leur parler par signes, ou,sans parler, se faire entendre. Quelque soin qu'onapporte à être serré et concis, et quelque réputationqu'on ait d'être tel, ils vous trouvent diffus.I! faut leur laisser tout à suppléer, et n'écrire quepour eux seuls : ils conçoivent une période par lemot qui la commence, et par une période tout unchapitre : leur avez-vous lu un seul endroit de l'ouvrage,c'est assez, ils sont dans le fait et entendentl'ouvrage. Un tissu d'énigmes leur seroit une lecturedivertissante ; et c'est une perte pour eux que ce styleestropié qui les enlève soit rare, et que peu d'écrivainss'en accommodent. Les comparaisons tiréesd'un fleuve dont le cours, quoique rapide, est égalet uniforme, ou d'un embrasement qui, poussé parles vents, s'épand au loin dans une forêt où il consumeles chênes et les pins, ne leur fournissent aucuneidée de l'éloquence. Montrez-leur un feu grégeoisqui les surprenne, ou un éclair qui les éblouisse,-ils vous quittent <strong>du</strong> beau' et <strong>du</strong> bon.\ Quelle prodigieuse distance entre un hel ouvrageet un ouvrage parfait ou régulier ! Je ne saiss'il s'en est enebre trouvé de ce dernier genre, Il eslpeut-être moins difficile aux rares génies de rencontrerle grand et le sublime, que d'éviter toutes sortesde fautes. Le Cid n'a eu qu'une voix pour lui à sanaissance, quia été celle de l'admiration; il s'est vuîIt1&b&£%* < ir '-s-* •>•>r3w*; • >.mi£&•-:•-_ï*


DES OUVRAGES DK L'ESPRIT. 15plus fort que l'autorité et la politique 1 , qui ont Icnlévainement de le détruire; il a réuni en sa faveur desesprils toujours partagés d'opinions et de sentiments,les grands et le peuple : ils s'accordent tous à le savoirde mémoire, et h prévenir au théâtre les acteursqui le récitent. Le Cid enfin est l'un des plus beauxpoèmes que l'on puisse faire ; cl l'une des meilleurescritiques qui ait été faite sur aucun sujet, est celle <strong>du</strong>Cid».^ Quand une lecture vous élève l'esprit, et qu'ellevous inspire des sentiments nobles et courageux, necherchez pas une autre règle pour juger de l'ouvrage :il est bon, et fait de main d'ouvrier.T Capys qui s'érige en juge <strong>du</strong> beau style, et quicroit écrire comme BOTJHOURS et RABWIN 8 , résiste àla voix <strong>du</strong> peuple, et dit tout seul que Damis n'estpas un bon auteur» Damis cède à la multitude, et ditingénument avec le public que Capys 4 est un froidécrivain.T Le devoir <strong>du</strong> nouvelliste est de dire : il y a untel livre qui court, et qui est imprimé chez Cramoisy,en tel caractère; il est bien relié et en beau papier;il se vend tant. Il doit savoir jusques à l'enseigne <strong>du</strong> librairequi le débite : sa folie est d'en vouloir faire lacritique.Le sublime <strong>du</strong> nouvelliste est le raisonnement creuxsur la politique.Le nouvelliste se couche le soir tranquillement surune nouvelle qui se corrompt la nuit, et qu'il estobligé d'abandonner le matin à son réveil.}Le philosophe consume sa vie à observer leshommes, et il use ses esprits à en démêler les vicesi. Allusion à la ligue t c'est le mot dont Boiteau se aert, que le cardinal deRichelieu forma contre le Cid.4, Sous ce titre : Sentiments de l'Académie sur le Cid.5. Via. Comme Bussy; 4 e édition.4. Suivant les clefs, Capys serait Boursault, et Damis BoiUau.*. ?


\ -1-ti •t\f•>10 DES OUVBAGES DE L'ESPRIT.et le ridicule. S'il donne quelque tour à ses pensées,[ c'est moins par une vanité d'auteur que pour mettreune vérité qu'il a trouvée dans tout le jour nécessairepour faire l'impression qui doit servir à son dessein.Quelques lecteurs croient néanmoins le payer avecusure, s'ils disent magistralement qu'ils ont lu sonlivre, et qu'il y a de l'esprit ; mais il leur renvoie tousleurs éloges, qu'il n'a pas cherchés par son travail etpar ses veilles. II porte plus haut ses projets et agitpour une fin plus relevée : il demande des hommesun plus grand et un plus rare succès que les louanges,et môme que les récompenses, qui est de les rendremeilleurs.i-T Les sots lisent un livre, et ne l'entendent point ;les esprits médiocres croient l'entendre parfaitement :les grands esprits ne l'entendent quelquefois pas toutentier; ils trouvent obscur ce qui est obscur, commeils trouvent clair ce qui est clair. Les beaux esprits•sveulent trouver obscur ce qui ne l'est pas, et ne pas ||entendre ce qui est fort intelligible.1 Un auteur cherche vainement à se faire admirerpar son ouvrage. Les sots admirent quelquefois, maisce sont des sots. Les personnes d'esprit ont en euxles semences de toutes les vérités et de tous les sentiments,rien ne leur est nouveau ; ils admirent peu, ilsapprouvent.^ Je ne sais si l'on pourra jamais mettre dans deslettres plus d'esprit, plus de tour, plus d'agrément etplus de style que l'on en voit dans celles de BALZAC*tt de VOITURE*. Elles sont vides de sentiments qui «n'ont régné que depuis leur temps, et qui doiventaux femmes leur naissance. Ce sexe va plus îoin que*-SrS..*,•S>'iv siV!§jg1. Jean-Louis Gucz, seigneur de Balzac,né à Àugoulcmc, en 1594, mott |en i6i>5, * Iî t Vincent Voiture, de l'Académie française, né à Amiens, en 15ÔS, morten 1048»s, '»e_*' "i "i "i « i i '" ' -••*-j .+*ft'


DES OUVIUGES OB L'ESPRIT. 17le nôtre dans ce genre d'écrire», elles trouvent sousleur plume des'tours et des expressions qui souventen nous ne sont l'effet que d'un long travail et d'unepénible recherche : elles sont heureuses dans te choixdes termes, qu'elles placent si juste, que, tout connusqu'ils sont, il ont le charme de la nouveauté, etsemblent être faits seulement pour l'usage où ellesles mettent. Ils n'appartient qu'à elles de faire liredans un seul mot tout un sentiment, et de rendre délicatementune pensée qui est délicate; elles ont * unenchaînement de discours inimitable qui se suitnaturellement, et qui n'est lié que par le sens. Si lesfemmes étoient toujours correctes, j'oserois dire queles lettres de quelques-unes d'entre elles seroientpeut-être ce que nous avons dans notre langue demieux écrit.ï 11 n'a manqué à TéRENCE que d'être moins froid.Quelle pureté ! quelle exactitude l quelle politesse !qucHe élégance ! quels caractères l il n'a manqué àMOLIèRE que d'éviter le jargon et le barbarisme 3 etd'écrire purement. Quel feu I quelle naïveté ! quellesource de la bonne plaisanterie l quelle imitation desmœurs! quelles images et quel fléau <strong>du</strong> ridiculelMais quel homme on auroit pu faire de ces deux comiques!^ J'ai lu MALHERBE et THéOPHILE. Ils ont tous deuxconnu la nature, avec cette différence, que le premier,d'un style plein et uniforme, <strong>mont</strong>re tout à lafois ce qu'elle a de plus beau et de plus noble, de plusi. Les Lettres de madame de Scvigné n'ont été publiées que postérieurementà la mort de La Bruyère ; mais comme il en avait circulé des copies, onpeoso que notre auteur en avait eu connaissance. Voltaire est <strong>du</strong> même axissur le talent épis toi aire des femmes. La correspondance de madame de MaîutenonconGrme une fois de plus le jugement exprimé dans cet article.2. VAR. Elles ont surtout, *3. YAR. Le barbarisme ne se trouve pas dans les huit premières éditions.On s'est <strong>du</strong> reste étonné, arec raison, <strong>du</strong> reproche que notre auteur adresseici a Mulicrc.


• ^ 'P-TE»* ^é*"i - W-* •tfîtf C^-rf *j *-**; - —r— •18 DES OUVRAGES DB L'ESPJWT.naïf el de plus simple; il en fait la peinture ou l'histoire,L'autre, sans choix, sans exactitude, d'uneplume libre et inégale, tantôt charge ses descriptions,s'appesantit sur les détails; il fait une analomie :tantôt il feint, il exagère, il passe le vrai dans la nature,il en fait le roman.T RONSARD » et BALZAC ont eu chacun dans leur genreassez de bon et de mauvais, pour former après eux detrès-grands hommes en vers et en. prose,T MAROT, par son tour et par son style, sembleavoir écrit depuis RONSARD : il n'y a guère entre cepremier et nous, que la différence de quelques mots.î RONSARD et les auteurs ses contemporains ont plusnui au style qu'ils ne lui ont servi. Us l'ont retardédans le chemin de la perfection ; ils l'ont exposé à lamanquer pour toujours, et à n'y plus revenir. Il estétonnantque les ouvrages de MAROT 2 , si naturels et sifaciles, n'aient su faire de Ronsard, d'ailleurs pleinde verve et d'enthousiasme, un plus grand poète queRonsard et que Marot; et au contraire que Belleau,Jodellc et <strong>du</strong> Dartas 3 aient été sitôt suivis d'un RACANet d'un MALHERBE*, et que notre langue, à peine corrompue,se soit vue réparée.1 MAROT et RABELAIS sont inexcusables d'avoir semél'or<strong>du</strong>re dans leurs écrits : tous deux avoient assezde génie et de naturel pour pouvoir s'en passer, mômei1. Depuis que Ronsard et <strong>du</strong> Bellay ont donué, crédit à nostre poésie franchise,ie ne veots si petit apprenti qui n'enfle des mots, qui ne renge la cadenceà peu près comme eux : Plus sonat quam valet. (MO.NTAIGXB, lir. I,ch. xxr.)2. Marot, né à Canons, en 1495, mourut à Turin en 1544. A cette date Ronsardavait vingt ans, étant né en 1524. Il a donc pu écrire ses premiersvers au moment où Marot composait ses dernières poésies.3. Vin. Sainl'GelaiSf dans les huit premières éditions.4. Belleau, lié à Nogcnt-le-Rolrou, en 1528, mort en 1577; — Jodetle,oé à Paris, en 1532, mort en 1573; —<strong>du</strong> Bartas, né en 1544, mort en 1590.Ces trois écrivains, on le voit par ces dates, appartiennent complètement auseizième siècle, tandis que Racan et Malherbe appartiennent en partie ausiècle suivant; en effet, Malherbe, né vers 1555, est mort en 1628, et Racan.oé en 1589, est mort en 1670,\ '


f ;DES OUVIIAGRS DE l/ESPMT. 10à l*égard de ceux qui cherchent moins à admirerqu'à rire dans un auleur. Rabelais surtout est incompréhensible;son livre est une énigme, quoiqu'onreuille dire, inexplicable : c'est une chimère, c'estle visage d'une belle femme, avec des pieds et unequeue de serpent, ou dé quelque autre bôtc plus difforme: c'est un monstrueux assemblage d'une moralefine et ingénieuse et d'une sale corruption, Oh il estmauvais, il passe bien loin au delà <strong>du</strong> pire ; c'est lecharme de la canaille : où il est bon, il va jusqu'àl'exquis et à l'excellent, il peut être le mets des plusdélicats.î Deux écrivains l , dans leurs ouvrages, ont blâméMONTAGNE , que je ne crois pas, aussi bien qu'eux,exempt de toute sorte de blâme : il paroît que tousdeux ne l'ont estimé en nulle manière. L'un ne pensoitpas assez pour goûter un auteur qui pense beaucoup: l'autre pense trop subtilement pour s'accommoderdes pensées qui sont naturelles.^ Un style grave, sérieux, scrupuleux, va fort loin :on lit AMY0T a et COEFFETEAU 3 : lequel lit-on de leurscontemporains? BALZAC, pour les termes et pour l'expression, est moins vieux que VOITURE ; mais si cedernier, pour le tour, pour l'esprit et pour le naturel,n'est pas moderne et ne ressemble en rien à nosécrivains, c'est qu'il leur a été plus facile *de le négligerque de l'imiter, et que le petit nombre de ceuxqui courent après lui ne peut l'atteindre.fLe H*** Q***« est immédiatement au-dessus <strong>du</strong>rien. Il y a bien d'autres ouvrages qui lui ressem-1. Nicole et Malebrancbe, suivant M. Destailleurs; Balzac et Malebrancbe.suivant M. Sainte-Beuve.2. Jacques Àmyot, né à Melun, en 1513, évèque d'Auxerre, tra<strong>du</strong>cteur deromans grecs, des 'Vies et des Œuvres moraîes de Plutarque, mort en (593*3, Nicolas Coeffeteau, né à Saitit-Calais, en 1574, évoque de Marseille en1621, mort en 1623, a laissé divers ouvrages de controverse *et une tra<strong>du</strong>ctionde Florus qui parut en 1621.4, VAR. Le M'** G M *. — Lelfercure galant, commencé en 1672, pard«


20 DES OUVRAGES DE L'ESPRIT.folent. Il y autant d'invention à s'enrichir par un sot, livre, qu'il y a de sottise à Tacheter : c'est ignorer legoût <strong>du</strong> peuple, que de ne pas hasarder quelquefoisde grandes fadaises.T L'on voit bien que Y Opéra est l'ébauche d'ungrand spectacle : il en donne l'idée.Je ne sais comment YÔpéra, avec une musique siparfaite et une dépense toute royale, a pu réussir àm'ennuyer 1 .Il y a des endroits dans Y Opéra qui laissent en désirerd'autres. Il échappe quelquefois de souhaiter lalin de tout le spectacle : c'est faute de théâtre, d'actionet de choses qui intéressent.V Opéra t jusques à ce jour, n'est pas un pofime, cesont des vers ; ni un spectacle, depuis que les machinesont disparu parle bon ménage â'Âmpkion* et desa race : c'est un concert, ou ce sont des voix soutenuespar des instruments. C'est prendre le change etcultiver un mauvais goût, que de dire, comme l'onfait, que la machine n'est qu'un amusement d'enfants,et qui ne convient qu'aux marionnettes ; elleaugmente cl embellit la fiction, soutient dans les spectateurscette douce illusion qui est tout le plaisir <strong>du</strong>théâtre, où elle jette encore le merveilleux. J.1 ne fautpoint de vols, ni de chats, ni de changements auxBérénices 3 , et à Pénélope 4 ; il en faut aux Opéras :et le propre de ce spectacle est de tenir ks esprits,11lVisé, et continué jusqu'en 1716 par Dufrcsny et Lefebvre dcFonteoay. LacôUlectioude ce recueil forme 571 vol* in-12.J* La Bruyère, qui osa dénoncer Popéra comme ennuyeui, pro<strong>du</strong>isit presquele mime scandale que Ji-J. Rousseau, quand il Imprima que nous n'avions paflde musique» (LA HARPE,)Ce fut le cardinal Mazariit qui intro<strong>du</strong>isît Topera on France, Il fit venir unotroup italienne qui représenta, en 1645, au Fetit-Bourbon, devant la cour,une soi le d'opéra butta de Strozzu D'autres acteurs italiens furent appctés ea1047, et une troisième troupe figura aux fêtes <strong>du</strong> maringe de Louis XIV,2* Lulli cl ses imitateurs.3i La Bérénice de Corneille et celle de Racine.4» La Fcmhpedc l'abbé Ceutst t jouée en 16$4 (te*M


* , \ÈDES OUVRAGES DE t/ESPMT. 21les yeux et les oreilles dans un égal enchantement.T Ils ont fait, le théâtre, ces empressés ', les machines,les ballets, les vers, la musique, tout le spectacle,jusques à la salle où s'est donné le spectacle, j'entendsle toit et les quatre murs dès leurs fondements.Qui doute que la chasse sur l'eau, l'enchantement dela table 8 , la merveille <strong>du</strong> labyrinthe' 8 , ne soient encorede leur invention? j'en juge par le mouvementqu'ils se donnent, et par l'air content dont ils s'applaudissentsur tout le succès. Si je me trompe, etqu'ils n'aient contribué en rien à cette fôte si superbe*, si galante, si longtemps soutenue, et où unseul a suffi pour le projet et pour la dépense, j'admiredeux choses : la tranquillité et le flegme de celuiqui a tout remué, comme l'embarras et l'action deceux qui n'ont rien fait.f Les connaisseurs ou ceux qui se croient tels, sedonnent voix délibéralive et décisive sur les spectacles,se cantonnent aussi, et se divisent en des partiscontraires, dont chacun, poussé par un tout autre intérêtque par celui <strong>du</strong> public ou de l'équité, admireun certain poeme ou une certaine musique, et siffletoute autre. Ils nuisent également, par cette chaleura défendre leurs préventions, et à la faction opposéeet k leurs propres cabales î ils découragent par millecontradictions les poëtus et les musiciens, retardentt. Ces empressés se rapportent aui ordonnateurs de la fcle dont il va êtrepariédans co paragraphe.2. Ilendefc-vous de chasse dans la forêt de Chantilly* (Kote de La fintyïre.)3* Collation très-ingénieuse donnée dans le labyrinthe de Chantilly. (iVotede La Bruyère,)4, Il s'agit tel d'une fête qui <strong>du</strong>ra huit jourâ, ctqui fut offerte, en 1688, parle (ils <strong>du</strong> grand Coudé, Henri-Jules de Bourbon, prince de Coudé, à Louit,Dauphin, dit Monseigneur le seul enfant que touis XIV ait eu de sa femme,Made-Therèsc d'Autr.cho. Le Dauphin, ne eu 1601, mourut en tîtl. Il étaitl'clèvo de lîossuetct de M. de Montaos-er. *— Le Msrcurù galant, en rendantcompte de celte file, en avait attribué l'organisation à l'architecte Jean Bchinet à quelques autres cn.ploycs. La Hruyère en restitue tel toute la direction fiprince de Coudé, et il eu tire l'occasion de se moquer des importants.


- ,• • y+22 DES OUVRAGES DE L ? ESPMT.le progrès des sciences et des arts, en leur ôlant lefruitqu'ils pourroient tirer de l'émulation et de ialiberté qu'auroient plusieurs excellents maîtres defaire, chacun dans leur genre et selon leur génie, de'rés-beaux ouvrages.\ D'où vient que l'on rit si librement au théâtre, clque l'on a honte d'y pleurer? Est-il moins dans la na«ture de s'attendrir sur le pitoyable, que d'éclater surle ridicule? Est-ce l'altération des traits qui nous retient?Elle est plus grande dans un ris immodéré quedans la plus amère douleur; et l'on détourne son visagepour rire comme pour pleurer en la présence desgrands et de tous ceux que l'on respecte. Est-ce unepeine que l'on sent'h laisser voir que l'on est tendre,et à marquer quelque faiblesse, surtout en un sujetfaux, et dont il semble que l'on soit la <strong>du</strong>pe? Mais,sans citer les personnes grave» ou les esprits forts quitrouvent <strong>du</strong> faible dans un ris excessif comme dansles pleurs, et qui se les défendent également, qu'attend-ond'une scène tragique? Qu'elle fasse rire? Etd'ailleurs la vérité n'y règnc-t-tlle pas aussi vivementpar ses images que dans le comique? L'âme ne vat-ellepas jusqu'au vrai dans l'un et l'autre genre avantque do s'émouvoir? Est-elle môme si aisée à contenter?Ne lui faut-il pas encore le vraisemblable?Comme donc ce n'est point une chose bizarre d'entendres'élever de tout un amphithéâtre un ris universelsur quelqu'cndroit d'une comédie, et que celasuppose au contraire qu'il est plaisant et très-naïvementexécuté, aussi l'extrême violence que chacun sefait à contraindre ses larmes, cl le mauvais ris donton veut les couvrir, prouvent clairement que l'effetnaturel <strong>du</strong> grand tragique scroit de pleurer tous franchementet de concert à la vue l'un de l'autre et sansautre embarras que d'essuyer ses larmes*, outre qu'aprèsêtre convenu de s'y abandonner, on éprouveroittI F;r.^5-•rt-*/


DES OUVRAGES DE L'ESPIUT. 23encore qu'il y a souvent moins lieu de craindre depleurer au théâtre que de s'y morfondre.T Le poème tragique vous serre le cœur dès soncommencement, vous laisse à peine dans tout sonprogrès la liberté de respirer, et le temps de vous remettre; ou s'il vous donne quelque relâche, c'estpour vous replonger dans de nouveaux abîmes et dansde nouvelles alarmes. Il vous con<strong>du</strong>it h la terreur parla pitié, ou réciproquement à la pitié par le terrible ;vous mène par les larmes, par les sanglots, par Tincertitude,par l'espérance, par la crainte, par les surpriseset par l'horreur, jusqu'à la catastrophe. Cen'est donc pas un tissu de jolis sentiments, de déclarationstendres, d'entretiens galants, de portraitsagréables, de mots douceumtx, ou quelquefois assezplaisants pour faire rire, suivi à la vérité d'une dernièrescène * où les mutins n'entendent aucune raison,et où, pour la bienséance, il y a enfin <strong>du</strong> sang répan<strong>du</strong>et quelque malheureux à qui il en coûte lavie.


24 DES OUVRAGES DE L'ESPRIT.de se lever tard, de passer une parité <strong>du</strong> jour à satoilette, de se voir au miroir, de P. parfumer, de semettre des mouches, de recevoir des billets, et d'yfaire réponse : mettez ce rôle sur la scène, plus longtempsvous le ferez <strong>du</strong>rer, un acte, deux actes, plust- Vh2,il sera naturel et conforme à son original, mais plusaussi il sera froid et insipide.111 semble que le roman .et la comédie pourroienttêtre aussi utiles qu'ils sont nuisibles : l'on y voit de siKgrands exemptes de constance» de vertu, de tendresse(•••et de désintéressement, de si beaux et de si parfaits'f.caractères, que quand une jeune personne jette de là ï*sa vue sur tout ce qui l'entoure, ne trouvant que dessujets indignes et fort au-dessous de ce qu'elle vientd'admirer, je m'étonne qu'elle soit capable pour euxde la moindre faiblesse.5 CORNEILLE ne peut être égalé dans les endroits oùil excelle ; il a pour lors un caractère original et inimitable; mais il est inégal. Ses premières comédiesî *sont sèches, languissantes, et ne laissoient pas espérerqu'il dût ensuite 1 aller si loin; comme ses dernièresfont qu'on s'étonne qu'il ait pu tomber de si haut '.S.Dans quelques-unes de ses meilleures pièces, il y a•. %des fautes inexcusables contre les mœurs; un style ||de déclamateur qui arrête l'action et la fait languir ; [|fides négligences dans les vers et dans l'expression, A fjqu'on ne peut comprendre en un si grand homme. Cemqu'il y a eu en lui de plus éminent, c'est l'esprit qu'il ! javoit sublime, auquel il a été redevable de certainsvers, les plus heureux qu'on ait jamais lus ailleurs,liade la con<strong>du</strong>ite de son théâtre qu'il a quelquefois hasardéecontre les règles des anciens, et enfin de sesdénoûments; car il ne s'est pas toujours assujetti au 1!t. VJU» Qu'il <strong>du</strong>t jamais ensuite»2. YAR. Ce membre de phrase ne se trouve point dam les trois premièresédition*.i


mM8$:sSDES OUVRAGES DE L*ESPRtT» 25goût des Grecs et à leur grande simplicité : il a aiméau contraire à charger la scène d'événements dont ilest presque toujours sorti avec succès ; admirablesurtout par l'extrême variété et le peu de rapport quise trouve pour le dessein entre un si grand nombrede poômes qu'il a composés. Il semble qu'il y aitplus de ressemblance dans ceux de RACINE, et qu'ilstendent un peu plus à une môme chose; mais il estégal, soutenu, toujours le môme partout, soit pour ledessein et la con<strong>du</strong>ite de ses pièces, qui sont justes,régulières, prises dans le bon sens et dans la nature;soit pour la versification qui est correcte, riche dansses rimes, élégante, nombreuse, harmonieuse : exactimitateur des anciens, dont il a suivi scrupuleusementla netteté et la simplicité de l'action, à qui le grandet le merveilleux n'ont pas môme manqué, ainsi qu'àCorneille, ni le touchant ni le pathétique. Quelle plusgrande tendresse que celle qui est répan<strong>du</strong>e dans toutle Cid, dans Polyeucte et dans les Horaces? Quellegrandeur ne se remarque point en Mithridate, enPorus et en Burrhus? Ces passions encore favoritesdes anciens, que les tragiques aimoient à exciter surles théâtres, et qu'on nomme la terreur et la pitié,ont été connues de ces deux poôlcs : Oreste, dansl'Andromaque de Racine, et Phèdre <strong>du</strong> môme auteur,comme l'Œdipe et les Horaces de Corneille, en sont lapreuve. Si cependant il est permis de faire entre euxquelque comparaison, et de les marquer l'un et l'autrepar ce qu'ils ont de plus propre, et par ce quiéclate le plus ordinairement dans leurs ouvrages,peut-être qu'on pourroit parler ainsi : Corneille nousassujettit à ses caractères et à ses idées; Racine seconforme aux nôtres 1 : celui-là peint les hommescomme ils devroient être, celui-ci les peint tels qu'ilst. VA*. Descend jusqu'au*


26 Df.S OUVnAGES DE L ESPRIT.sont \ Il y a plus dans le premier de ce que l'on admire,et de ce que l'on doit même imiter : il y a plusdans le second de ce que l'on reconnoît dans les autres,de ce que l'on éprouve dans soi-même. L'un• élève, étonne, maîtrise, instruit : l'autre plaît, remue,louché, pénètre. Ce qu'il y a de plus beau, de plusnoble et de plus impérieux dans la raison, est manié parle premier ; et par l'autre, ce qu'il y a de plus flatteuret de plus délicat dans la passion. Ce sont dans celui-làdes maximes, des règles, des préceptes, et danscelui-ci <strong>du</strong> goût et des sentiments. L'on est plus occupéaux pièces de Corneille : l'on est plus ébranlé et |plus attendri à celles de Racine. Corneille est plusmoral ; Racine, plus naturel. II semble que l'un imiteSOPHOCLE, et que l'autre doit plus à EURIPIDE.f Le peuple appelle éloquence la facilité que quelques-unsont de parler seuls et longtemps, jointe àl'emportement <strong>du</strong>. geste, à l'éclat de la voix et à laforce des poumons. Les pédants ne l'admettent aussique dans le discours oratoire, et ne la distinguent pasde l'entassement des flgures, de l'usage des grandsmots, de la rondeur des périodes.Il semble que la logique est l'art de convaincre dequelque vérité, et l'éloquence un don de l'âme, lequelnous rend maîtres <strong>du</strong> cœur et de l'esprit des autres,qui fait que nous leur inspirons ou que nous leurpersuadons tout ce qui nous plaît. |L'éloquence peut se trouver dans les entretiens etdans tout genre d'écrire. Elle est rarement où on lacherche, et elle est quelquefois où on ne la cherchepoint. (L'éloquence est au sublime ce que le tout est à sa ||partie.Qu'est-ce que le sublime? il ne paroît pas qu'onr^y.mft Si*mh Celte décision de La Bruyère a été la source d'un très-grand nombre dedissertations, «Cela est éblouissant f dit Voltaîre, mais cela est très-fau\. *M||^


4 's*vasP•MSIff• «*•^ * tDES OUVltAGIïS BK l/lCSMilT. 27j*ait défini K Est-ce une figure? nail-il des figures, ou<strong>du</strong> moins de quelques figures? lout genre d'écrirereçoit-il le sublime, ou s'il n'y a que les grands sujetsqui en soient capables? peut-il briller autre chosedans l'églogue qu'un beau naturel, et- dan? les lettresfamilières, comme dans les conversations qu'unegrande délicatesse? ou plutôt le naturel 2 et ,'e délicatne sont-ils pas le sublime des ouvrages donl ils fontla perfection? qu'est-ce que le sublime? où entre lesublime?Les synonymes ont plusieurs dictions ou plusieursphrases différentes, qui signifient une mémo chose.L'antithèse est une opposition de deux vérités qui sedonnent <strong>du</strong> jour l'une à l'autre. La métaphore ou lacomparaison emprunte d'une chose étrangère uneimage sensible et naturelle d'une vérité. L'hyperboleexprime au delà de la vérité, pour ramener l'esprit àla mieux connoitre. Le sublime ne peint que la vérité,mais en un sujet noble : il la peint tout entière danssa causent dans son effet; il est l'expression ou l'imagela plus digne de cette vérité. Les esprits médiocresne trouvent point l'unique expression, et usent desynonymes. Les jeunes gens sont éblouis de l'éclat del'antithèse, et s'en servent. Les esprits justes, et quiaiment à faire des images qui soient précises, donnentnaturellement dans la comparaison et la métaphore.Les esprits vifs, pleins de feu, et qu'une vaste imaginationemporte hors des règles et de la justesse, nepeuvent s'assouvir de l'hyperbole. Pour le sublime, iln'y a môme entre les grands génies que les plus élevésqui en soient capables.Voir t OEutres de Yoltaire,


f28 DES OUVRAGES DE Vt-SPIUT.T Tout écrivain, pour écrire nettement, doit se mettreà la place de ses lecteurs, examiner son propreouvrage comme quelque chose qui lui est nouveau,qu'il lit pour la première fois, où il n'a nulle part, etque l'auteur auroit soumis à sa critique; et se persuaderensuite qu'on n'est pas enten<strong>du</strong> seulement a causeque l'on s'entend soi-même, mais parce qu'on est eneffet intelligible.Xt-T L'on n'écrit que pour être enten<strong>du</strong> ; mais il faut<strong>du</strong> moins, en écrivant, faire entendre de belles choses.L'on doit avoir une diction pure, et user de termesqui soient propres, il est vrai; mais il faut qce cestermes si propres expriment des pensées nobles,t*;vives, solides, et qui renferment un très-beau sens.YC'est faire de la pureté et de la clarté <strong>du</strong> discours unmauvais usage que de les faire servir à une matièrearide, infructueuse, qui est sans sel, sans utilité, sanst.nouveauté. Que sert aux lecteurs de comprendre aisémentet sans peine des choses frivoles et puériles,quelquefois fades et communes, et d'être moins incertainsde la pensée d'un auteur qu'ennuyés do sonouvrage?4 ..Si l'on jette quelque profondeur dans certainsfo.écrits, si l'on affecte une finesse de tour, et quelquefoisune trop grande délicatesse, ce n'est que par lawbonne opinion qu'on a de ses lecteurs.T L'on a celte incommodité à essuyer dans la lecturedes livres faits par des gens de parti et de cabale,tr-,que l'on n'y voit pas toujours la vérité, Les faits y t|sont déguisés, les raisons réciproques n'y sont pointrapportées dans toute leur force, ni avec une entièreexactitude; et, ce qui use la plus longue patience, ilfaut lire un grand nombre de termes <strong>du</strong>rs cl injurieuxque se disent des hommes graves, qui, d'un point dei oclrino ou d'un fait contesté, se font une querellepersonnelle. r !cs ouvrages ont cela do particulier,L *ffK 1•••F*.t.*L r.m%iF"


tk DES 0UVUAGES DE l/F.SPlUT. 29•-if- i-.î:aAS„.-:.•H* r •* ' •3-s:3"f| qu'ils ne méritent ni le cours prodigieux qu'ils ontpendant un certain temps, ni le profond oubli où ilstombent, lorsque le feu et la division venant à s'éteindreils deviennent des almanachs de l'autre année.^ La gloire ou le mérite de certains hommes estde bien écrire ; de quelques autres, c'est de n'écrirepoint.*f L'on écrit régulièrement depuis vingt années :l'on est esclave de la construction î l'on a enrichi lalangue de nouveaux mots, secoué le joug <strong>du</strong> latinisme,et ré<strong>du</strong>it le style à la phrase purement française : l'ona presque retrouvé le nombre que MALHERBE et BALZACavoient les premiers rencontré, et que tant d'auteursdepuis ont laissé perdre. L'on a mis enfin dans lediscours tout l'ordre et toute la netteté dont il estcapable : cela con<strong>du</strong>it insensiblement à y mettre del'esprit.\It y a des artisans ou des habiles, dont l'espritest aussi vaste que l'art et la science qu'ils professent :ils lui rendent avec avantage, par le génie, par l'invention,ce qu'ils tiennent d'elle et de ses principes :ils sortent de l'art pour l'ennoblir, s'écartent desrègles» si elles ne les con<strong>du</strong>isent pas au grand et ausublime : ils marchent seuls et sans compagnie, maisils vont fort haut et pénètrent fort loin, toujours sûrset confirmés par le succès des avantages que l'on tirequelquefois de l'irrégularité. Les esprits justes, doux,modérés, non-seulement ne les atteignent pas, ne lesadmirent pas, mais ils ne les comprennent point, etvoudroient encore moins les imiter. Ils demeurenttranquilles dans l'éten<strong>du</strong>e de leur sphère, vont jusqu'àun certain point qui fait les bornes de leur capacitéet de leurs lumières : ils ne vont pas plus loin, parcequ'ils ne voient rien au delà. Ils ne peuvent au plusqu'être les premiers d'une seconde classe, et excellerJif.is le médiocre.


30 DES OUVnAGES DE L'ESPRIT.1 II y a des esprits, si j'ose le dire, inférieurs etsubalternes qui ne semblent faits que pour être lerecueil, le registre ou le magasin de toutes les pro<strong>du</strong>ctionsdes autres génies. Ils sont plagiaires, tra<strong>du</strong>c­«fi-V-'teurs, compilateurs : ils ne pensent point, ils disent ïlce que les auteurs ont pensé ', et comme le choix despensées est invention, ils l'ont mauvais, peu juste, etqui les détermine plutôt à rapporter beaucoup dechoses que d'excellentes choses. Ils n'ont rien d'ori- 'tjinal et qui soit à eux; ils ne savent que ce qu'ils ontappris, et ils n'apprennent que ce que tout le monde |veut bien ignorer, une science vaine, aride, dénuéed'agrément et d'utilité, qui ne tombe point dans laconversation, qui est hors de commerce, semblableà une monnaie qui n'a point de cours. Cn est tout àla fois étonné de leur lecture et ennuyé de leur entre- j|tien ou de leurs ouvrages. Ce sont ceux que les grandset le vulgaire confondent avec les savants, et que lessages renvoient au pédanlismc a .î La critique souvent n'est pas une science : c'eslun métier où il faut plus de santé que d'esprit, plusde travail que de capacité, plus d'habitude que degénie. Si elle vient d'un homme qui ait moins de discernementque de lecture, et qu'elle s'exerce sur defcertains chapitres, elle corrompt et les lecteurs et jfl'écrivain.\ Je conseille à un auteur né copiste et qui a l'extrêmemodestie de travailler d'après quelqu'un, dene choisir pour exemplaires que ces sortes d'ouvrages [où'il.cntre de, l'esprit, de l'imagination ou même del'érudition : s'il n'atteint pas ses originaux, <strong>du</strong> moins jil en approche et il se fait lire. Il doit au contraire [éviter comme un écucil de vouloir imiter ceux qui--.IJt3*r•tc.\n-•i-VKMVf*-?I. VAR, tU ne pensent point, Us disent ce que Us auteurs ont pensé; ceMembre de phrase ne se trouve point dans les st* premières éditions.S. Voir, tur la fausse science, Montagne, Essais, !ïY, I, cb. sut.I^i i•••y;• y


ifiV\3•yDES OUVfUGES DE l/ESPRlT.écrivent par humeur, que le cœur fait parler, à qui ilinspire les termes et les figures, et qui tirent, pourainsi dire, de leurs entrailles tout ce qu'ils exprimentsur le papier : dangereux modèles, et tout propres àfaire tomber dans le froid, dans le bas et dans le ridiculeceux qui s'ingèrent de les suivre. En effet je riroisd'un homme qui voudrait sérieusement parler <strong>mont</strong>on de voix, ou me ressembler de visage.TUn homme né chrétien et François se trouve contraintl dans la satire : les grands sujets lui sont défen<strong>du</strong>s;il les entame quelquefois, et se détourneensuite sur de petites choses, qu'il relève par la beautéde son génie et de son sljie.^ Il faut éviter le style vain et puéril, de peur deressembler h Dorilas* et IIandbttrg \ L'on peut aucontraire, en une sorte d'écrits, hasarder de certainesexpressions, user de termes transposés et qui peignentvivement, et plaindre ceux qui ne sentent pasle plaisir qu'il y a à s'en servir ou à les entendre.î Celui qui n'a égard, en écrivant, qu'au goût deson siècle, songe plus à sa personne qu'à ses écrits.Il faut toujours tendre à la perfection ; et alors cellejustice qui nous est quelquefois refusée par nos contemporains,la postérité sait nous la rendre.J II ne faut point mettre un ridicule où il n'y en apoint : c'est se gâter le goût, c'est corrompre son jugementet celui des autres. Mais le ridicule qui est quelquepart, il faut l'y voir, l'en tirer avec grâce, et d'unemanière qui plaise et qui instruise.1 iloftACE, ou IksPBÊAUX, l'a dit avant vous, Je ioti VA a, Est embarrassé dans la satire,2. Dotïtas, prgbablemenl l'historien Yartilas, né kOu


•f-:32 DBS OUVRAGES DE L'ESPRIT.crois sur votre parole, mais je l'ai dit comme mien.Ne puis-je pas penser après eux une chose vraie, etque d'autres encore penseront après moi* ?st. La vérité et la raison sont communes à ua chascun, et ne sont non plutà qui les a dictes primitivement qu'à qui les a dict aprei. (UOXTAIGKB, Essaie)iir. I, ch, xiv.)V:**••,rv• • l**^MV'%•(•Viut • 't-r-î-'jrr'-•*•l. •.•''IlIf ^t H-'ïl &£t -'AS*••-•*•-•! ï*-"^v'M••'-*Ji: îi-i$IIp.


'&&:? imMIIm•ï'A;ï:•";ïIîà 1:•?ï| Qui peut, avec les plus rares talents et le plus excellentmérite, n'Être pas convaincu de son inutilité,quand il considère qu'il laisse, en mourant, un mondequi ne se sent pas de sa perle, et où tant de gensse trouvent pour le remplacer?1 De bien des gens, il n'y a que le nom qui vale •quelque chose. Quand vous les voyez de fort près,n'est moins que rien; de loin ils imposent.T Tout persuadé que je suis que ceux que l'onchoisit pour de différents emplois, chacun selon songénie et sa profession, font bien, je me hasarde dedire qu'il se peut faire qu'il y ait au monde plusieurspersonnes, connues ou inconnues, que l'on n'emploiepas, qui feraient très-bien 2 , et je suis in<strong>du</strong>it h ce sentimentpar le merveilleux succès de certaines gensque le hasard seul a placés, et de qui jusqu'alors onn'avoit pas atten<strong>du</strong> de fort grandes choses.Combien d'hommes admirables, et qui avoient detrès-beaux génies, sont morts sans qu'on en ait parlé lCombien vivent encore dont on ne parle point, etdont on ne parlera jamais lT Quelle horrible peine à un homme qui est sansprôneurs et sans cabale, qui n'est engagé dans aucuncorps, mais qui est seul, et qui n'a que beaucoup domérite pour toute recommandation, de se faire jourà travers l'obscurité où il se trouve, et de venir auniveau d'un fat qui est en crédit!1J • -! îi rSI. Vale pour vaille} c'est une forme parlicullh-e à La Bruyère.S. La nature fait le mérite, et la fortune le met en œuvre. (LA Kociuroc*CiCLD.)rt'i'&?.~v^r-i>.î


34 OU MÊMTE PERSONNE?!*\ Personne presque ne s'avise de lui-môme <strong>du</strong> mérited'un au Ire.Les hommes sont trop occupas d'eux-mêmes pouravoir le loisir de pénétrer ou de discerner les autres;» de là vient qu'avec un grand mérite et une plus grandemodestie Ton peut être longtemps ignoré.î Le génie et les grands talents manquent souvent,quelquefois aussi les seules occasions : tels peuventêtre loués de ce qu'ils ont fait, et tels de ce qu'ils auroientfait.f II est moins rare de trouver de l'esprit que des |gens qui se servent <strong>du</strong> leur, ou qui fasser* valoircelui des autres, et le mettent à quelque iisa&o. |1 II y a plus d'outils que d'ouvriers, et de ces derniersplus de mauvais que d'exoellents : que pensezvousde celui qui veut scier avec un rabot, et quiprend sa scie pour raboter?î II n'y a point au monde un si pénible métier quecelui de se faire un grand nom : la vie s'achève quel'on a à peine ébauché son ouvrage.^ Que faire d'Égésippe^ qui demande un emploi?Le meltra-t-on dans les finances ou dans les troupes?Cela est indifférent, et il faut que ce soit l'intérêt seulqui en décide, car il est aussi capable de manier del'argent ou de dresser des comptes que de porter lesarmes. Il est propre à tout, disent ses amis, ce quisignifie toujours qu'il n'a pas plus de talent pour unechose que pour une autre, ou, en d'autres termes,qu'il n'est propre à rien. Ainsi la plupart des hommes,occupés d'eux seuls dans leur jeunesse, corrompuspar la paresse <strong>du</strong> par le plaisir, croient faussement,dans un âge plus avancé, qu'il leur suffit d'être inutilesou dans l'indigence afin que la Ktau.blique soitengagée à les placer ou à les secourir, él ils profitentrarement de celte leçon si importante, que leshommes devroient employer les premières années deriiî«rj1Vf.rvmI•s-


-IVU'm• -&'4?3*II1* 4-"g'xrIIi DU MÊP.ITE PRIISONNEL. 35'•'> ' V!rk ;leur vie à devenir tels par leurs éludes et parleur travail,que la république elle-même eût besoin de leurin<strong>du</strong>strie et de leurs lumières; qu'ils fussent commeune pièce nécessaire a tout son édifice, et qu'elle setrouvât portée par ses propres avantages à faire leurfoi tune ou à l'embellir.Nous devons travailler à nous rendre très-dignes dequelque emploi : le reste ne nous regarde point, c'estl'affaire des autres.f Se faire valoir par des choses qui ne dépendentpoint des autres, mais de soi seul, ou renoncer à sefaire valoir : maxime inestimable et d'une ressourceinfinie dans la pratique, utile aux foibles, aux vertueux,à ceux qui ont de l'esprit, qu'elle rend maîtresde leur fortune ou de leur repos ; pernicieuse pourles grands, qui diminueroil leur cour, ou plutôt lenombre de leurs esclaves; qui feroit tomber leurmorgue avec une partie de leur autorité, et les ré<strong>du</strong>iroitpresque à leurs entremets et à leurs équipages;qui les priveroit <strong>du</strong> plaisir qu'ils sentent à se faireprier, presser, solliciter, à faire attendre ou à refuser,à promettre et à ne pas donner; qui les travcrseroitdans le goût qu'ils ont quelquefois à mettre les sots envue et à anéantir le mérite quand il leur arrive de lediscerner; qui banniroit des cours les brigues, les cabales,les mauvais offices, la bassesse, la flatterie, lafourberie ; qui feroit d'une cour orageuse, pleine demouvements et d'intrigues, comme une pièce comiqueou môme tragique, dont les sages ne seroient que lesspectateurs; qui remettroit de la dignité dans les différentesconditions des hommes, de b. sérénité surleur visage; qui étendroit leur liberté; qui réveilleroiten eux, avec les talents naturels, l'habitude <strong>du</strong>travail et de l'exercice ; qui les exciteroit à l'émulation,au désir de la gloire, à l'amour'de la vertu; qui, aulieu de courtisans vils, inquiets, inutiles, souvent onéî0-t *f( ï1 >4l-:-.at ^^^\ ,\ ..LLr%_sfii„*ti5I -:- ; H>* ;^ •*f.,,-Vï3*&' *r ..?>?s>s #'£.-»>' -\-~^> i* 1, t-'S\j.•*V? ' >r-ki' * ^ %vT


36 DU «Su.:;; PERSONNEL*reux à la république, en feroit ou de sages économes,ou d'excellents pères de famille, ou des juges intègres,ou de bons officiers, ou de grands capitaines, ou desorateurs, ou des philosophes, et qui ne leur attireroità tous nul autre inconvénient que celui peut-être delaisser à leurs héritiers moins de trésors que de bonsexemples.TU faut en France beaucoup de fermeté et unegrande éten<strong>du</strong>e d'esprit pour se passer des chargeset des emplois, et consentir ainsi à demeurer chezsoi et à ne rien faire. Personne presque n'a assez demérite pour jouer ce rôle avec dignité, ni assez defonds pour remplir le vide <strong>du</strong> temps, sans ce que levulgaire appelle des affaires. Il ne manque cependantà l'oisiveté <strong>du</strong> sage qu'un meilleur nom, et que méditer,parler, lire et être tranquille, s'appelât travailler.1 Un homme de mérite, et qui est en place, n'esljamais incommode par sa vanité ; il s'étourdit moins<strong>du</strong> poste qu'il occupe qu'il n'est humilié par un plusgrand qu'il ne remplit pas, et dont il se croit digne;plus capable d'inquiétude que de fierté ou de méprispour les autres, il ne pèse qu'à soi-même.\ Il coûte a un homme de mérite de faire assidûmentsa cour, mais par une raison bien opposée hcelle que l'on pourroit croire. Il n'est point tel sansune grande modestie, qui l'éloigné de penser qu'ilfasse le moindre plaisir aux princes s'il se trouve surleur passage, se poste devant leurs yeux, et leur <strong>mont</strong>reson visage ; il est plus proche de .se persuaderqu'il les importune, et il a besoin de toutes les raisonstirées de l'usage et de son devoir pour se résoudre àse <strong>mont</strong>rer* Celui au contraire qui a bonne opinion desoi, et que le vulgaire appelle un glorieux, a <strong>du</strong> goûtà se faire voir, et il fait sa cour avec d'autant plus deconfiance, qu'il est incapable de s'imaginer que les


•DU MÉRITE PERSONNEL, . 37grands dont il est vu pensent autrement de sa personnequ'il fait lui-môme. -*^Un honnête homme se paye par ses mains de l'applicationqu'il a à son devoir par le plaisir qu'il sentà le faire, et se désintéresse sur les éloges, l'estime etla reconnoissance, qui lui manquent quelquefois.1 Si j'osois faire une comparaison entre deux cou*dilions tout a fait inégales, je dirois qu'un homme decœur pense à remplir ses devoirs à peu près commele couvreur songe à couvrir : ni l'un ni l'autre ne cherchentà exposer leur vie, ni ne sont détournés par lepéril; la mort pour eux est un inconvénient dans lemétier, et jamais un obstacle. Le premier aussi n'estguère plus vain d'avoir paru à la tranchée, emporteun ouvrage ou forcé un retranchement, que celui-cid'avoir <strong>mont</strong>é sur de hauts combles, ou sur la pointed'un clocher. Ils ne sont tous deux appliqués qu'à bienfaire, pendant que le fanfaron travaille à ce que l'ondise de lui qu'il a bien fait.^ La modestie est au mérite ce que les ombres sontaux figures dans un tableau : elle lui donne de la forceet <strong>du</strong> relief.Un extérieur simple est l'habit des hommes vulgaires,il est taillé pour eux et sur leur mesure; mais&| c'est une parure pour ceux qui ont rempli leur vie deE£*.•5?S* 4 ...F#grandes actions : je les compare à une beauté négligée,mais plus piquante.Certains hommes, contents d'eux-mêmes, de quel-| que action ou de quelque ouvrage qui ne leur a pas| mal réussi, et ayant ouï dire que la modestie sied bienaux grands hommes, osent être modestes, contrefont| les simples et les naturels ; semblables à ces gens d'une§t taille médiocre qui se baissent aux portes de peur dese heurter , *m^ Votre fils est bègue r ne le faites pas <strong>mont</strong>er surla tribune. Votre filleest née pour le monde : ne l'en-


38 DU MÊRITK PERSONNRL,.fermez pas parmi les vestales. Xantus, votre affranchi,est fotble et timide ; ne différez pas, retirez-le deslégions et de la milice. Je veux l'avancer, dites-vous :comblez-le de biens, surchargez-le de terres, de titreset de possessions, servez-vous <strong>du</strong> temps : nous vivonsdans un siècle où elles lui feront plus d'honneur quela vertu. Il m'en coùteroit trop, ajoutez-vous. Parlezvoussérieusement, Crassus? Songez-vous que c'estune goutte d'eau que vous puisez <strong>du</strong> Tibre pour enrichirXantus que vous aimez, et pour prévenir les honteusessuites d'un engagement où il n'est pas propre?111 ne faut regarder dans ses amis que la seule vertuqui nous attache à eux, sans aucun examen de leurbonne ou de leur mauvaise fortune; et, quand on sesent capable de les suivre dans leur disgrâce, il fautles cultiver hardiment et avec confiance jusque dansleur plus grande prospérité.f S'il est ordinaire d'être vivement touché deschoses rares, pourquoi le sommes-nous si peu de lavertu?. T S'il est heureux d'avoir de la noissance, il ne l'estpas moins d'être tel qu'on ne s'informe plus si vousen avez.f Il apparott de temps en temps sur la surface 1 dela terre des hommes rares, exquis, qui brillent parleur vertu, et dont les qualités éminentes jettent iméclat prodigieux. Semblables à ces étoiles extraordinairesdont on ignore les causes, et dont on sait encoremoins ce qu'elles deviennent après avoir disparu,ils n'ont ni aïeuls ni descendants ; ils composent seulstoute leur race*.J Le bon esprit nous découvre notre devoir, notreengagement à le faire, et, s'il y a <strong>du</strong> péril, avec péril ;il inspire le courage ou il y supplée.4^£ifi-:.mi, VAB. Sur la face, dani les boit premières éditions.î. On a cru que ceci s'appliquait au cardinal de Richelieu.


PU MÉRITE PERSONNEL. 391 Quand ou exccIJe dans son art, et qu'on lui donnetoute la perfection dont il est capable, l'on en sort enquelque manière, et l'on s'égale à ce qu'il y a deplus noble et de plus relevé. Y*** est un peintre',C*** un musicien ', et l'auteur de Pyrame est un poète 8 ;mais MIGNARD est MIGNAKD, LULLI est LULLT, et COR-NEILLE est CORNEILLE.î Un homme libre, et qui n'a point de femme, s'il aquelque esprit, peut s'élever au-dessus de sa fortune,se mêler dans le monde, et aller de pair avec les plushonnêtes gens. Cela est moins facile à celui qui estengagé : il semble que le mariage met tout le mondedans son ordre,f Après le mérite personnel, il faut l'avouer, ce sontles éminentes dignités et les grands titres dont leshommes tirent plus de distinction et plus d'éclat, etqui ne sait être un Érasme doit penser à être évoque.Quelques-uns, pour étendre leur renommée, entassentsur leurs personnes des pairies 4 , des colliersd'ordre, des primaties*, la pourpre, et ils auroientbesoin d'une tiare; mais quel besoin a Trophisme*d'être cardinal?1. Vignon, suivant les contemporains. Ce peintre, qui voulut imiter .Michel*Ange, était ne à Tours, en 1590. Il mourut en 1670.2. Cotasse, maître de chapelle <strong>du</strong> roi, gendre de Lulli, né en 1639, morien (709*3. Pradon.4. Le mot pairie, dans notre ancienne organisation féodale, a deux acceptions; il s'appliquait à une dignité qui attachait ceux qui en étaient revêtus à lapersonne même des rots, et leur conférait le litre de pair de France; de plus,il s'appliquait à uue terre noble, qui conférait aussi le titre de pair, mais sansdonner aucun rang à la cour, et qui se trouvait dans les menus conditionsque les autres terres fieffées. C'est probablement dans la première de ces deuxacceptions que La Bruyère emploie ici le mot pairie,5. La primatie est une dignité attachée à un archevêché, et qui donne auindépendants tes uns des autres,6. Vin. Bénigne (Dossuet), dans ta plupart des éditions postérieures à lamort de La Bruyère,


40 DU HÊR1TR PERSONNEL.ï L'or éclate, dites-vous, sut les habits de Philémon:il, éclate de môme chez les marchands. Il est habillédes plus belles étoffes ; le sont-elles moins toutes déployéesdans les boutiques et a la pièce? Mais la broderiecl les ornements y ajoutent encore la magnificence: je loue donc le travail de l'ouvrier. Si on luidemande quelle heure il est, il tire une <strong>mont</strong>re quiest un chef-d'œuvre; la garde de son épée est unonyx '; il a au doigt un gros diamant qu'il fait brilleraux yeux, et qui est parfait; il ne lui manque aucune |de ces curieuses bagatelles que l'on porte sur soiautant pour la vanité que pour l'usage, et il ne se•Siplaint* non plus toute sorte de parure qu'un jeunehomme qui a épousé une riche vieille. Vous m'inspirezenfin de la curiosité ; il faut voir <strong>du</strong> moinsdes choses si précieuses : envoyez-moi cet habit etces bijoux de Philémon; je vous quitte de la personne3 .Tu te trompes, Philémon, si avec ce carrosse brillant,ce grand nombre de coquins qui te suivent, et1 -ces six hôtes qui te traînent, tu penses que l'on l'en mestime davantage. L'on écarte tout cet attirail, quil'est étranger, pour pénétrer jusqu'à toi, qui n'es qu'unfat.Ce' n'est pas qu'il faut quelquefois pardonner à celui '4qui, avec un grand cortège, un habit' riche et unmagnifique équipage, s'en croit plus de naissance etplus d'esprit ; il lit cela dans la contenance et dans lesyeux de ceux qui lui parlent.j Un homme à la cour, et souvent à la ville, qui a:*.*.»•Ji'?.crv-J-C


&| . DU MÉRITE PERSONNEL. A\ft*I3*•s1:'4un long manteau de soie ou de drap de Hollande,une ceinture large et placde haut sur l'estomac, lesoulier de maroquin, la calotte de même, d'un beaugrain, un collet bien fait et bien empesé, les cheveu.\arrangés et le teint vermeil, qui avec cela se souvient| de quelques distinctions métaphysiques, explique ceI que c'est quelalumiôre de gloire,.et sait précisémentI&.comment l'on voit Dieu, cela s'appelle un docleur '.Une personne humble, qui est ensevelie dans le cabinet,qui a médité, cherché, consulté, confronté,lu ou écrit pendant toute sa vie, est un hommedocte,| Chez nous, le soldat est brave, et l'homme derobe est savant : nous n'allons pas plus loin. Chez lesRomains, l'homme de robe étoit brave, et le soldatétoit savant : un Romain étoit tout ensemble et lesoldat et l'homme de robe.f 11 semble que le héros est d'un seul métier, quiest celui de la guerre, et que le grand homme est detous les métiers, ou de la robe, ou de l'épée, ou <strong>du</strong>cabinet, ou de la cour : l'un et l'autre mis ensemblene pèsent pas un homme de bien,î Dans la guerre, la distinction entre le héros et legrand homme est délicate : toutes les vertus militairesfont l'un et l'autre; il semble néanmoins que lepremier soit jeune, entreprenant, d'une haute valeur,ferme dans les périls, intrépide; que l'autre excellepar un grand sens, par une vaste prévoyance, par unehaute capacité et par une longue expérience. Peutêtrequ'ALEXANDRE n'étoit qu'un héros, et que CéSARétoit un grand homme.^ sEmile étoit né ce que les plus grands hommesne deviennent qu'à force de règles, de méditation etd'exercice. Il n'a eu dans ses premières années qu'àt. Le docteur,c'est, suivant les interprètes contemporains, l'abbé Boilcau,et Vhomme docte, Mabillon.4.


• wi^—i *ita-^^*"^***42 DU MÉRITE PERSONNEL.remplir des talents qui étoient naturels, et qu'à selivrer à son génie. Il a fait, il a agi, avant que de savoir,ou plutôt il a su ce qu'il n'avoit jamais appris. Diraijeijue les jeux de son enfance ont été plusieurs victoires? Une vie accompagnée d'un extrême bonheurjoint à une longue expérience seroit illustre par lesseules actions qu'il avoit achevées dès sa jeunesse.Toutes les occasions de vaincre qui se sont depuis offertes, il les a embrassées, et celles qui n'éloient pas,sa vertu et son étoile les ont fait naître : admirablemême et par les choses qu'il a faites et par cellesqu'il auroit pu faire. On l'a regardé comme un hommeincapable de céder à l'ennemi, de plier sous le nombreou sous les obstacles ; comme une âme de premier j§ordre, pleine de ressources et de lumières, et quivoyoit encore où personne ne voyoit plus; commecelui qui, à la tête des légions, étoit pour elles unprésage de la victoire, et qui valoit seul plusieurs légions;qui étoit grand dans la prospérité, plus grandquand la fortune lui a été contraire : la levée d'unsiège, une retraite, l'ont plus ennobli que ses triomphes;l'on ne met qu'après les batailles gagnées et lesvilles prises; qui étoit rempli de gloire et de modestie;, J on lui a enten<strong>du</strong> dire : Je fuyois, avec la môme grâceIqu'il disoit : Nous les battîmes; un homme dévoué à) l'État, à sa famille, au chef de sa famille ; sincère pour[j Dieu et pour les hommes; autant admirateur <strong>du</strong> h{ mérite que s'il lui eût été moins propre et moins fa- |J milier; un homme vrai, simple, magnanime, à qui |§ji-i&S?'Mi23il n'a manqué que les moindres vertus V^ Les enfants des dieux', pour ainsi dire, se tirentdes règles de la nature* et en sont comme l'exm!••?•:•••,pte -i. Quelques commentateurs ont reconnu Condé dans ce portrait; d'autretont pensé qu'en le traçant La Bruyère avait songé tout à la fois à Condé et àTureimc. Cette dernière opînioo nous paraît la plus vraisemblable%• Fils, petits-Bis, issus de rois {Note d$ La Bruyère.)>sj


&MLOU MKMTE PERSONNEL. 43ception ï ils n'attendent presque rien <strong>du</strong> temps et desannées. Le mérite chez eux devance l'âge, Ils naissentinstruits, et ils sont plus tôt des hommes parfaitsque le commun des hommes ne sort de l'enfance'.f Les vues courtes, je veux dire les esprits bornéset resserrés dans leur petite sphère, ne peuvent comprendrecette universalité de talents que l'on remarquequelquefois dans un môme sujet : où ils voientl'agréable, ils en excluent le solide; où ils croient découvrirles grâces <strong>du</strong> corps, l'agilité, la souplesse, ladextérité, ils ne veulent plus y admettre les dons del'âme, la profondeur, la réflexion, la sagesse : ils ôtentde l'histoire de SOCIUTE qu'il ait dansé *.ï II n'y a guère d'homme si accompli et si nécessaireaux siens, qu'il n'ait de quoi se faire moins regretter.î Un homme d'esprit et d'un caractère simple etdroit peut tomber dans quelque piège; il ne pensepas que personne veuille lui en dresser, et le choisirpour être sa <strong>du</strong>pe; cette confiance le rend moinsprécautionnô, et les mauvais plaisants l'entament parcet endroit. Il n'y a qu'à perdre pour ceux qui envjendroient à une» seconde charge î il n'est trompéqu'une fois.J'éviterai avec soin d'offenser personne, si je suiséquitable, mais sur toutes choses un homme d'esprit,si j'aime le moins <strong>du</strong> monde mes intérêts.f II n'y a rien de si délié, de si simple et de si imperceptible,où il n'entre des manières qui nous dé-!\i, La Bruyère <strong>du</strong>t tirer un fruit inappréciable, comme obserrattur, d'êtreinitié de près à la famille des Condés, si remarquable alors par ce mélanged'heureux dons, d'urbanité brillante, de férocité et de débauche* Toutes sesremarques sur les héros et les enfants des dieux naissent de là; il y a toujoursdissimulé ramerlume. (SAINT£*Br.uve.)v8* Des auteurs sublimes n'ont pas négligé de primer encore par les agréments*.»Le public, au lieu d'applaudir à l'universalité de leurs la'ciûs, a cruqu'ils étaient incapables de


.t.. ' k41 DU MÊMTE PERSONNEL.cèlent. Un sot ni n'entre, ni ne sort, ni ne s'assied, nîne se lève, ni ne se tait, ni n'est sur ses jambes,comme un homme d'esprit.VJe connois Mopse d'une visite qu'il m'a ren<strong>du</strong>esans me connoître. Il prie des gens qu'il ne connoîtpoint de le mener chez d'autres dont il n'est pasconnu; il écrit à des femmes qu'il connoît de vue; ils'insinue dans un cercle de personnes respectables, etqui ne savent quel il est, et là, sans attendre qu'onl'interroge, ni sans sentir qu'il interrompt, il parle,et souvent, et ridiculement. Il entre une autre foisdans une assemblée, se place où il se trouve, sansnulle attention aux autres, ni à soi-même; on l'Oled'une place destinée à un ministre, il s'assied à celle<strong>du</strong> <strong>du</strong>c et pair; il est là précisément celui dont lamultitude rit, et qui seul est grave et né rit point»Chassez un chien <strong>du</strong> fauteuil <strong>du</strong> roi, il grimpe à lachaire <strong>du</strong> prédicateur ; il regarde le monde indifféremment,sans embarras, sans pudeur : il n'a pas, nonplus que le sot, de quoi rougir.^ Celse est d'un rang médiocre, mîiis les grands lesouffrent; il n'est pas savant, il a relation avec dessavants; il a peu de mérite, mais il connoît des gensqui en ont beaucoup; il n'est pas habile, mais il a unelangue qui peut servir de truchement, et des piedsqui peuvent le porter d'un lieu à un autre. C'est unhomme né pour les allées et venues, pour écouler despropositions et les rapporter, pour en faire d'office,,pour aller plus loin que sa commission, et en être désavoué;pour réconcilier des gens qui se querellent àleur première entrevue ; pour réussir dans une affaire,et en manquer mille ; pour se donner toute la gloirede la réussite, et pour détourner sur les autres lahaine d'un mauvais succès. Il sait les bruits communs,les historiettes de la ville ; il ne fait rien, il dit ou ilécoute ce que les autres font ; il est nouvelliste ; il saitImM•*j> •


DU MÉRITE PERSONNEL. 45môme le secret des familles; il entre dans de plushauts mystères; il vous dit pourquoi celui-ci est exilé,et pourquoi on rappelle cet autre; il connoît le fondet les causes de la brouillerie des deux frères et de larupture des deux ministres 1 . N'a-t-il pas prédit auxpremiers les tristes suites de leur mésintelligence ?N'a-t-il pas dit de ceux-ci que, leur union ne seroitpas longue? N'étoit-il pas présent à de certaines parolesqui furent dites ? N'entra-t-il pas dans une espècede négociation ? Le voulut-on croire? fut-il écouté?À qui parlez-vous de ces choses? Qui a eu plus depart que Celse à toutes ces intrigues de cour? Et sicela n'étoit ainsi, s'il ne Pavoit <strong>du</strong> moins 'ou rôvéou imaginé, songeroit-il à vous le faire croire? auroit-ill'air important et mystérieux d'un hommerevenu d'une ambassade^ Ménippe est l'oiseau paré de divers plumages quine sont pas à lui, Il ne parle pas, il ne sent pas ;il répète des sentiments et des discours, se sertmôme si naturellement de l'esprit des autres, qu'ily est le premier trompé, et qu'il croit souvent direson goût ou expliquer sa pensée, lorsqu'il n'estque l'écho de quelqu'un qu'il vient de quitter. C'estun homme qui est de mise un quart d'heure de suite,qui le moment d'après baisse, dégénère, perd le peude lustre qu'un peu de mémoire lui donnoit, et moni,Ce passage fait allusion aux dissentiments qui éclatèrent à propos de JacquesII, roi d'Angleterre, entre le marquis de Louvois, ministre de laguerre, et Jean-Baptiste Colbert, marquis de Seignelay, Gis aîné <strong>du</strong> grandColbert, ministre de la marine. Seignelay voulait que la France aidât, pardes secours actifs, Jacques II à reconquérir le trône d'Angleterre, que lui'avait enlevé la révolution de 1638. Louvois, au contraire, s'opposait à touteintervention militaire. L'avis de Seignelay prévalut auprès de Louis XIV,mais les événements donnèrent raison à Louvois. Jacques II, qu'une escadrefrançaise avait transporté en Irlande, au mots de mai 1689, perdit l'annéesuivante la bataille de la Boyne, et fut obligé de revenir près de Louis XIV,en laissant la France engagée dans une guerre terrible.


T~«~"~ - * — • — < -•*'J *—• )4GDU MKRITR P nSONNRI.iIro la corde, Lui seul ignore combien il est au-dessous<strong>du</strong> sublime et de l'héroïque, cl f incapable de savoirjusqu'où l'on peut avoir de l'esprit, il croit naïvementque ce qu'il en a est tout ce que les hommes en sauroientavoir: aussi a-t-il l'airelle maintien de celuiqui n'a rien à désirer sur ce chapitre, et qui ne porteenvie à personne. Il se parle souvent à soi-même, etil ne s'en cache pas; ceux qui passent le voient, etqu'il semble 1 toujours prendre un parti, ou déciderqu'une telle chose est sans réplique, Si vous le saluezquelquefois, c'est le jeter dans l'embarras de savoirs'il doit rendre le salut ou non, et, pendant qu'ildélibère, vous ôles déjà hors de portée. Sa vanité l'afait honnête homme, l'a mis au-dessus de lui-même,l'a fait devenir ce qu'il n'étoit pas. L'on juge, en levoyant, qu'il n'est occupé que de sa personne; qu'ilsait que tout lui sied bien, et que sa parure est assortie;qu'il croit que tous les yeux sont ouverts surlui, et que les hommes se relayent pour le contempler\T Celui qui, logé chez soi dans un palais, avec deuxappartements pour les deux saisons, vient coucher auLouvre dans un entre-sol, n'en use pas ainsi par mode,slie.Cet autre qui, pour conserver une taille fine,s'abstient <strong>du</strong> vin et ne fait qu'un seul repas, n'est nisobre, ni tempérant; et d'un troisième, qui, impor-ré•'*~iH\4£f1. Toules les éditions données par La Bruyère portent ainsi : et qu'il $em+Ne, Les éditeurs modernes ont corrigé : et it semble. M. Destailleur ditque ; et qu'il semble, est probablement une faute d'impression qui auraéchappé à l'auteur. II. est difficile d'admettre que La Bruyère, qui revoyaitson livre à chaque édition nouvelle, ait laissé dans huit éditions successivespasser la même erreur* M. Dcstailleur, qui a corrigé comme les éditeurs quiTout précédé, ajoute que peut-être La Bruyère a voulu dire : et votent qu'titembte. Celte explication nous parait beaucoup plus exacte que la première,et Pcltipse est évidente; c'est pourquoi nous avons maintenu l'anciennelecture*S* Ceci a élé appliqué au maréchal de Ytlleroi, • glorieux ù l'excès paroalure, i suivant Saint-Simon• .fV'


DU MÊttITB PERSONNEL.tuné d'un ami pauvre, lui donne enfin quelque secours,l'on dit qu'il achète son repos, et nullementqu'il est libéral. Le motif seul fait le mérite des ac*. lions des hommes, et le désintéressement y met laperfection.f La fausse grandeur est farouche et inaccessible ;comme elle sent son foible, elle se cache, ou <strong>du</strong> moin*ne se <strong>mont</strong>re pas de front, et ne se fait voir qu'autantqu'il faut pour imposer et ne paroilrc point ce qu'elleest, je veux dire une vraie petitesse. La véritablegrandeur est libre, douce, familière, populaire; ellese laisse toucher et manier; elle ne perd rien à êtrevue de près; plus on la connoît, plus on l'admire; ellei se courbe par bonté vers ses inférieurs, et revientï sans effort dans son naturel: elle s'abandonne quelquefois,se néglige, se relâche de ses avantages, toujoursen pouvoir de les reprendre et de les faire valoir;elle rit, joue et badine, mais avec dignité; onWIl'approche tout ensemble avec liberté et avec retenue.Son caractère est noble et facile, inspire le respect*>et la confiance, et fait que les princes nous paraissentgrands et très-grands, sans nous faire sentir quenous sommes petits,f Le sage guérit de l'ambition par l'ambition môme;jf il tend à de si grandes choses, qu'il ne peut se bornerI à ce qu'on appelle des trésors, des postes, la fortuneet la faveur i il ne voit rien dans de si foibles avanta-1| ges qui soit assez bon et assez solide pour remplirason cœur et pour mériter ses soins et ses désirs; il ag môme besoin d'efforts pour ne les pas trop dédaigner.Le seul bien capable de le tenter est cette sorte degloire qui devroit naître de la vertu toute pure et toutesimple; mais les hommes ne l'accordent guère, et ils'en passe.î Celui-là est bon qui fait <strong>du</strong>'bien aux autres; s'ilî »* **£#:A7


' ij;. tki. '-- \ *?s-v >•,-*- '/48 DU MÉRITE PERSONNEL.souffre pour le bien qu'il fait» il est très-bon; s'ilsouffre de ceux à qui il a fait ce bien, il a une sigrande bonlé qu'elle ne peut ôlre augmentée que clansle ôas où ses souffrances viendroient à croître; et, s'ilen meurt, sa vertu ne s a moi t aller plus loin ; elle esthéroïque, elle estparfaitCi'•3Jtr.J_••>3-siI i83ir.Ii /


\*. *• wA*"••fii*DES FEMMES.':î:-. ^si- .>.f. -4*ïfeLes hommes et les femmes conviennent 1 rarementsur le mérite d'une femme ; leurs intérêts sont tropdifférents. Les femmes ne se plaisent point les unes auxautres par les mêmes agréments qu'elles plaisent auxhommes. Mille manières, qui allument dans ceux-ciles grandes passions, forment entre elles l'aversion etl'antipathie a .T II y a dans quelques femmes une grandeur artificielleattachée au mouvement des yeux, à un air detôte, aux façons de marcher, et qui ne va pas plusloin; un esprit éblouissant qui impose, et que l'onn'estime que parce qu'il n'est pas approfondi. 11 y, adans quelques autres une grandeur simple, naturelle,indépendante <strong>du</strong> geste et de la démarche, quia sasource dans le cœur, et qui est comme une suite deleur haute naissance; un mérite paisible, mais solide,accompagné de mille vertus qu'elles no peuvent couvrirde toute leur modestie, qui échappent et qui se<strong>mont</strong>rent a ceux qui ont des yeux.î J'ai vu souhaiter d'être fille, et une belle fille,depuis treize ans jusques à vingt-deux, et, après cetÂge, de devenir un homme*1 Quelques jeunes personnes ne connoissent pointassez les avantages d'une heureuse nature , et combienil leur seroit utile de s'y abandonner. Elles affaiblissentces dons <strong>du</strong> ciel, si rares et si fragiles, pardes manières affectées et par une mauvaise imitation.I» C'at'à'dirtf tont rarement d'accord tur le mérite { c'est la forme tatiuciConwniunt dé,'2. VA», OU VanttpMhii.6


50 DES FEMMES*Leur son de voix et leur démarche sont empruntés.Elles se composent, elles se recherchent, regardentdans un miroir si elles s'éloignent assez de leur naturel]Ce n'est pas sans peine qu'elles plaisent moins.^ Chez les femmes, se parer et se farder n'est pas,je l'avoue, parler contre sa pensée; c'est plus aussi 1que le travestissement et la mascarade, où l'on ne sedonne point pour ce que l'on paroît être, mais où l'onpense seulement à se cacher et à se faire ignorer :c'est chercher à imposer aux yeux, et vouloir paroîtreselon l'extérieur contre la vérité; c'est une espèce dementerie.Il faut juger des femmes depuis la chaussure jusqu'àla coiffure exclusivement, à peu près comme onmesure le poisson entre tête et queue.^ Si les femmes veulent seulement être belles àleurs propres yeux et se plaire à elles-mêmes, ellespeuvent sans doute, dans la manière de s'embellir,dans le choix des ajustements et de la parure, suivreleur goût cl leur caprice ; mais si c'est aux hommesqu'elles désirent de plaire, si c'est pour eux qu'ellesse fardent ou qu'elles s'enluminent, j'ai recueilli lesvoix, et je leur prononce, de la part de tous leshommes ou de la plus grande partie, que le blanc etle rouge les rend affreuses et dégoûtantes; que lerouge seul les vieillit et les déguise; qu'ils haïssentautant a les voir avec de la céruse sur le visage qu'avecde fausses dents en la bouche et des boules de ciredans les mâchoires; qu'ils protestent sérieusementcontre tout l'artifice dont elles usent pour se rendrelaides, et que, bien loin d'en répondre devant Dieu,il semble au contraire qu'il leur ait réservé ce dernieret infaillible moyen de guérir des femmes»1. Vin. Se mettre da rouge ou se farder est, fe l'avoue, un moindrecrime que parler contre sa pensée} c'est quelque chose aussi di moinsinnocent, etc,î>'*hvi vJEf j - * ">&•1S•M•n?.m-Vui -tew'-••,*.d 1%vP-t•¥


DES FEMMES. 51Si les femmes étoient telles naturellement qu'ellesle deviennent par artifice, qu'elles perdissent en unmoment toule la fraîcheur de leur teint, qu'elles eussentle visage aussi allumé et aussi plombé qu'elles sele font par le rouge et par la peinture dont elles sefardent, elles seroient inconsolables.1 Une femme coquette ne se rend point 1 sur la passionde plaire, et sur l'opinion qu'elle a de sa beauté.Elle regarde le temps et les années comme quelquechose seulement qui ride et qui enlaidit les autresfemmes ; elle oublie <strong>du</strong> moins que l'âge est écrit surle visage. La môme parure qui a autrefois embelli sajeunesse défigure enfin sa personne, éclaire les défautsde sa vieillesse. La mignardise et l'affectation l'accompagnentdans la douleur et dans la fièvre. Ellemeurt parée et en rubans de couleur.^ LISE entend dire d'une autre coquette qu'elle semoque de se piquer de jeunesse, et de vouloir userd'ajustements qui ne conviennent plus h une femmede quarante ans. Lise les a accomplis; mais les annéespour elle ont moins de douze mois, et ne la vieillissentpoint. Elle le croit ainsi; et, pendant qu'elle seregarde au miroir, qu'elle met <strong>du</strong> rouge sur son visageet qu'elle place des mouches, elle convient qu'iln'est pas permis a un certain âge de faire la jeune, etque Clarice, en effet, avec ses mouches et son rouge,est ridicule.î Les femmes se préparent pour leurs amants, sielles les attendent; mais, si elles en sont surprises,elles oublient à leur arrivée l'état oh elles se trouvent:elles ne se voient plus. Elles ont plus de loisir avecles indifférents ; elles sentent le désordre où elles sont,s'ajustent en leur présence, ou disparoissent un moment,et reviennent parées.i> C'est-à-dire i ne fcc corrige pas dj la passion de phirc»


**r •/ iS52 DES FEMMES.î Un beau visage est le plus beau de tous les spectacles;et l'harmonie la plus douce est le son de voixde pelle que l'on aime.i L'agrément est arbitraire. La beauté est quelquechose de plus réel et de plus indépendant <strong>du</strong> goût etde l'opinion 1 .T L'on peut être touché de certaines beautés si parfaiteset d'un mérite si éclatant, que l'on se borne ales voir et à leur parler.T Une belle femme qui a les qualités d'un honnêtehomme est ce qu'il y a au monde d'un commerceplus délicieux. L'on trouve en elle tout le mérite desdeux sexes.î II échappe à une jeune personne de petites chosesqui persuadent beaucoup, et qui flattent sensiblementcelui pour qui elles sont faites» Il n'échappepresque rien aux hommes ; leurs caresses sont volontaires.Its parlent) ils agissent» ils sont empressés, etpersuadent moins.T Le caprice est, dans les femmes, tout proche dola beauté, pour Être son contre-poison, et afin qu'ellenuise moins aux hommes, qui n'en guériroient passans ce remède 2 .VLes femmes s'attachent aux hommes par les faveursqu'elles leur accordent; les hommes guérissentpar ces mêmes faveurs.\ Une femme oublie d'un homme qu'elle n'aime plusjusques aux faveurs qu'il a reçues d'elle,S Une femme qui n'a qu'un galant croit n'être pointcoquette; celle qui a plusieurs galants croit n'être quecoquette. *Telle femme évite d'être coquette par un fermeattachement a un seul, qui passe pour folle par sonmauvais choix,t. Voir mr la beauté, Montaigne^ Essa(s t liv. tt, cl», *ir»4, VAR. Sans remède*+ + 3MtS


1tDES FEMMES. 535Un ancien galant tient a si pende chose, qu'ilcède h un nouveau mari ; et celui-ci <strong>du</strong>re si peu, qu'unnouveau galant qui survient lui rend le change.Un ancien galant craint ou méprise un nouveaurival, selon le caractère de la personne qu'il sert.Il ne manque souvent à un ancien galant, auprèsd'une femme qui l'attache, que le nom de mari; c'estbeaucoup, et il seroit mille fois per<strong>du</strong> sans cette circonstance.T II semble que la galanterie dans une femme ajouteà la coquetterie. Un homme coquet, au contraire, estquelque chose de pire qu'un homme galant. L'hommecoquet et la femme galante vont assez de pair.T II y a peu de galanteries secrètes. Bien des femmesne sont pas mieux désignées par le nom de leursmaris que par celui de leurs amants.5 Une femme galante veut qu'on l'aime; il suffit àune coquette d'être trouvée aimable et de passer pourbelle. Celle-là cherche à engager; celle-ci se contentede plaire. La première passe successivement d'unengagement à un autre; la seconde a plusieurs amusementstout à la fois, Ce qui domine dans l'une, c'estla passion et le plaisir; et dans l'autre, c'est la vanitéet la légèreté. La galanterie est un foible <strong>du</strong> cœur, oupeut-être un vice de la comptexion ; la coquetterie estun dérèglement de l'esprit '. La femme galante se faitcraindre, et la coquette se fait haïr. L'on peut tirerde ces deux caractères de quoi en faire un troisième»le pire de tous»t Une femme foible est celle à qui l'on reprocheune faute, qui se la reproche à elle-même, dont let. Les femmes croyent souvent aimer encore qu'elles n'aiment pas. L'oc*castou, l'occupation d'une Intrigue, l'émotion d ctprit que donne la galanterie,le pente naturelle au plaisir d'être aimées, et la peine de refuser leur per*suident qu'elles ont de la passion lorsqu'elles n'ont que <strong>du</strong> ta coquetterie. {ILUoclltFuVCiULt},)6.


MDES FEMMES.cœur combat la raison, qui veut guérir, qui ne guérirapoint, ou bien tard 1 .^ Unp femme inconstante est celle qui n'aime plus;une légère, celle qui déjà en aime un autre; une volage,celle qui ne sait si elle aime et ce qu'elle aime;une indifférente, celle qui n'aime rien.^ La perfidie, si je l'ose dire, est un mensonge 1de toute la personne. C'est dans une femme l'art deplacer un mot ou une aclion qui donne le change, etquelquefois de mettre en œuvre des serments et despromesses qui ne lui coûtent pas plus à faire qu'àvioler.Une femme infidèle, si elle est connue pour tellede la personne intéressée, n'est qu'infidèle; s'il lacroit fidèle, elle est perfide.On tire ce bien de la perfidie des femmes qu'elleguérit de la jalousie*\ Quelques femmes ont, dans le cours de leur vie,un double engagement à soutenir, également difficileà rompre et à dissimuler; il ne manque à l'un que lecontrat, et à l'autre que le cœur.^ A juger de celle femme par sa beauté, sa jeunesse,sa fiertéet ses dédains, il n'y a personne quidoute que ce ne soit un héros qui doive un jour lacharmer. Son choix est fait : c'est un petit monstre,qui manque d'esprit.J II y a des femmes déjà llétrics qui, parleur complcxionou par leur mauvais caractère, sont naturellementla ressource des jeunes gens qui n'ont pasassez de bien. Je ne sais qui est plus à plaindre, oud'une femme avancée en âge qui a besoin d'un cavalier,ou d'un cavalier qui a besoin d'une vieille.5 Le rebut de la cour est reçu à la ville dans unet. Qu'une femme est b plaindre quand elle a tout ensemble de l'amour etde ta uiltiî iLi noLtitKncim.t».)S. Vm. tirt une tnentetie.


,^yORS FEMMES. 55ruelle, où il défait le magistrat, môme en cravate eten habit gris, ainsi que le bourgeois en baudrier, lesécarte, et devient maître de la place. Il est écoulé, ilest aimé; on ne tient guère plus d'un moment contreune écharpe d'or et une plume blanche, contre unJiomme qui parle au roi et voit tes ministres. Il fait desjaloux et des jalouses; on l'admire, il fait envie :aquatre lieues de la, il fait pitié '.1 Un homme de la ville est pour une femme de provincece qu'est pour une femme de ville un hommede la cour.^ A un homme vain, indiscret, qui est grand parieuret mauvais plaisant, qui parle de soi avec confianceet des autres avec mépris, impétueux, allier,entreprenant, sans mœurs ni probité, de nul jugementet d'une imagination très-libre, il ne lui manqueplus, pour être adoré de bien des femmes, quede beaux traits et la taille belle.f Est-ce en vue <strong>du</strong> secret, ou par un goût hypocondre,que cette femme aime un valet, celle autreun moine, et Dorine son médecin?ïRoscius* entre sur la scène de bonne grâce : oui,Lèlie; et j'ajoute encore qu'il a les jambes bien tournées,qu'il joue bien, et de longs rôles, et que, pourdéclamer parfaitement, il ne lui manque, comme onle dit, que de parler avec la bouche. Mais csl-it le seulqui ait de l'agrément dans ce qu'il fait? et ce qu'ilfait, est-ce ta chose la plus noble cl la plus honnêteque l'on puisse foire ? Roseius d'ailleurs ne peut élreà vous, il est à un autre; et quand cela ne seroit pasainsi, il est retenu, Claudie* attend, pour l'avoir,qu'il se soit dégoûté de Aîessaline*. Prenez Bathylle %I. Cet article a été appliqué au comte d'Aûbigné, frère de madame Jelîuttilenon,tt» le comédien baron.3> La maréchale de La Perte*.* La comteisc d'Oloutic. — La maréchale Je La Fei'têjMadclehie d'Attenter,


'. 'I -/.50 DES FEMMES.Lélie '. Où trouverez-vous, je ne dis pas dans l'ordredos chevaliers, que vous dédaignez, mais même parmiles farceurs, un jeune homme qui s'élève si haut endansant, et qui passe 2 mieux la capriolc?Youdriezvousle sauteur Cobus t qui, jetant ses pieds en avant,tourne une fois en l'air avant que de tomber à terre?Ignorez-vous qu'il n'est plus jeune? Pour Bathylle,dites-vous, la presse y est trop grande, cl il refuseplus de femmes qu'il n'en agrée. Mais vous avez Draconle joueur de flûte; nul autre de son métier n'enfleplus décemment ses joues en soufflant dans le hautboisou le flageolet, car c'est une chose infinie que lenombre des instruments qu'il fait parler; plaisantd'ailleurs, il fait rire jusqu'aux enfants et aux femmelettes.Qui mange et qui boit mieux que Dracon en unseul repas? il enivre toute une compagnie, et il serend le dernier. Vous soupirez, Lélie : est-ce queDracon auroit fait un choix, ou que malheureusementon vous auroit prévenue? Se seroit-il enfin engagé àCésoniûi qui l'a tant couru, qui lui a sacrifié une sigrande foule d'amants, je dirai môme toute la fleurdes Romains ; à Césonie, qui est d'une famille patricienne,qui est si jeune, si belle et si sérieuse? Je vousplains, Lélie, si vous avez pris par contngion ce nouveaugoût qu'ont tant de femmes romaines pour cequ'on appelle des hommes publics, et exposés-, pa*leur condition, à la vue des autres. Que ferez-vous,lorsque le meilleur en ce genre vous est enlevé? Ilreste encore Broute le questionnaire 8 ; le peuple neviH.tnorle à plus do quatre-vingts ans, et sa sœur ta comtesse d'Olome, firentgrand bruit par leur beauté cl le débordement de leur «te. Elles se firentdévotes quand elles furent vieilles. Aucune femme, même les plus décriéespour ta galanterie, n'osait tes voir ni paraître nulle part devant elles. Ou ehétait là ators; ta mode a bien changé depuis, (SAIST-SIMON.)t. Ilalliytlc, c'


DES FEMMES. 57parle que de sa force et deson adresse; c'est un jeunehomme qui a les épaules larges et la taille ramassée,un nègre d'ailleurs, un homme noir.T Pour les femmes <strong>du</strong> monde, un jardinier est unjardinier, et un maçon est un maçon 1 ; pour quelquesautres plus retirées, un maçon est un homme, un jardinierest un homme» Tout est tentation à qui lacraint.ï Quelques femmes donnent aux couvents et à leursamants. Galantes et bienfactrices a , elles ont jusquedans l'enceinte de l'autel des tribunes et des oratoires,où ellçs lisent des billets tendres, et où personne nevoit qu'elles ne prient point Dieu.ï Qu'est-ce qu'une femme que l'on dirige? Est-ceune femme plus complaisante pour son mari, plusdouce pour ses domestiques, plu> appliquée à sa familleet à ses affaires, plus ardente et plus sincèrepour ses amis; qui soit moins esclave de son humeur,moins attachée à ses intérêts; qui aime moins lescommodités de la vie ; je ne dis pas qui fasse des largessesà ses enfants, qui sont » déjà riches, mais qui,opulente cllc-mômc et accablée <strong>du</strong> superflu, leurfournisse le nécessaire et leur rende au moins la justicequ'elle leur doit; qui soit plus exempte d'amour desoi-même et d'éloignement pour les autres ; qui soitplus libre de tous attachements humains? Non, dites-1» Madame de Maintenon pcnsail autrement, Dans une de ses lettres, daté*!de 1700, et adressée à l'une des dames de Saint-Cvr, madame <strong>du</strong> Pérou, onlit t tJc \ou* ai dit dans it'aulres temps que vous ne pouviez trop inspirer auxdemoiselles ta crainte des hommes, que ce sont nos ennemis..., mais je n'aijamais on pour objet votre serrurier, ni votre menuisier{je n'ai jamais cruq:io les r.tnioncurs de cheminées pussent être dangereux pour vos demoiselles}il n'y eu a pas qui aient le cœur assez bas ni assez corrompu pour avoirune seule pensée sur ces sortes de geus'là, etc.» (Voir Lettres historiques etédifiantes, publiées par Th. Lavallée. Paris, Charpentier, iSbO, tome 11,page 23b.)S. C'est le >ieu)t mot pris exclusivement dan* te sens de l'adjectif qualifi»cilif. Quelques éditeurs modernes ont mis à tort bienfaitrices, qui est lub*fctuilif cl prrscutc un autre sens,3. VAH. QUI seroient,


*/5SDES FEMMES.vous, ce n'est rien de toutes ces choses. J'insiste, etje vous demande : Qu'est-ce donc qu'une femme queL'on dirige? Je vous entends, c'est une femme qui aun'directeur.T Si le confesseur et le directeur ne conviennentpoint sur une règle de con<strong>du</strong>ite, qui sera lé tiersqu'une femme prendra pour sur-arbitre?î Le capital pour une femme n'est pas d'avoir undirecteur, mais de vivre si uniment qu'elle s'en puissepasser.1 Si une femme pouvoit dire à son confesseur, avecses autres foiblesses, celles qu'elle a pour son directeur,et le temps qu'elle perd dans son entretien,peut-ôtre lui seroit-il donné pour pénitence d'y renoncer.\ Je voudrois qu'il me fût permis de crier de toutema force à ces hommes saints qui ont été autrefoisblessés des femmes : Fuyez les femmes, ne les dirigezpoint; laissez à d'autres le soin de leur salut.\ C'est trop contre un mari d'être coquette et dévote: une femme devroit opter.\ J'ai différé à le dire, et j'en ai souffert} mais enfinil m'échappe, et j'espère môme que ma franchisesera utile a celles qui, n'ayant pas assez d'un confesseurpour leur con<strong>du</strong>ite, n'usent d'aucun discernementdans le choix de leurs directeurs. Je ne sorspas d'admiration ctd'étonncment à ta vue de certainspersonnages que je ne nomme point. J'ouvre de fortgrands yeux sur eux; je les contemple; ils parlent,je prête l'oreille; je m'informe; on me dit des faits;je les recueille; et je ne comprends pas comment d6s«gens en qui je crois voir toutes choses diamétrale*ment opposées au bon esprit, au sens droit, a l'expériencedes affaires <strong>du</strong> monde, h la connoissance del'homme, à la science de la religion et des mœurs,présument que Dieu doive renouveler en nos-jours la


-•DES FEMMES. .50merveille de l'apostolat, et faire un miracle en leurspersonnes, en les rendant capables, tout simples etpetits esprits qu'ils sont, <strong>du</strong> ministère des âmes,celui de tous te plus délicat et le plus sublime : et si,au contraire, ils se croient nés pour un emploi si relevé,si difficile et accordé à si peu de personnes, etqu'ils se persuadent de ne faire en cela qu'exercerleurs talents naturels et suivre une vocation ordinaire, je le comprends encore moins.Je vois bien que le goût qu'il y a à devenir le dépositaire<strong>du</strong> secret des familles, à se rendre nécessairepour les réconciliations, à procurer des commissionsou à placer des domestiques, à trouvertoutes les portes ouvertes dans les maisons des grands,à manger souvent à de bonnes tables, à se promeneren carrosse dans une grande ville, et à faire de délicieusesretraites à la campagne, à voir plusieurs personnesde nom et de distinction s'intéresser à sa vieet à sa santé, et à ménager pour les autres et poursoi-même tous les intérêts humains; je vois bien,encore une fois, que cela seul a fait imaginer le spécieuxet irrépréhensible prétexte <strong>du</strong> soin des âmes,et semé dans le monde celte pépinière intarissable dedirecteurs*t La dévotion vient à quelques-uns, et surtout auxfemmes 1 , comme une passion, ou comme le foiblcd'un certain âge, ou comme une mode qu'il faut suivre.Elles comptoient autrefois une semaine par les jours dejeu, de spectacle, de concert, de mascarade, ou d'unjoli sermon 9 ; elles alloientielundi perdre leur argentchez Fsmène t le mardi leur temps chez Clùnène t et lemercredi leur réputation chezCélimène» Elles savoient,I » Le jeu, ta dévotion et te bel esprit sont trois pat lis pour tel leurairtqui tic sont plus jitmes. (VAimîutict'es.) 'S. VA*, Par tes jours de jeu, de spectacle, dt repas, de promenade, dtconcert, de mascarade, et d'un joli sermon*»ï£^;*£j. ,


t•* J. • • -y60 DES FEMMES.dès la veille, toute la joie qu'elles dévoient avoir lejour d'après et le lendemain ; elles jouissoient tout àla fois <strong>du</strong> plaisir présent et de celui qui ne leur pou*voit manquer; elles auroient souhaité de les pouvoirrassembler tous en un seul jour : c'étoit alors leurunique inquiétude et tout le sujet de leurs distractions; et si elles se trouvoient quelquefois à VOpéra telles y regretloient la comédie. Autres temps , autresmœurs:elles outrent l'austérité et la retraite; ellesn'ouvrent plus les yeux qui leur sont donnés pouivoir; elles ne mettent plus leurs sens à aucun usage ;et, chose incroyable ! elles parlent peu; elles pensentencore, et assez bien d'elles-mêmes, comme assezmal des autres. Il y a. chez elles une émulation devertu et de réforme, qui lient quelque chose de lajalousie ; elles ne haïssent pas de primer dans ce nou-. veau genre de vie, comme elles faisoient dans celuiqu'elles viennent de quitter par politique ou pardégoût. Elles se perdoient gatment par la galanterie,par la bonne chère et par l'oisiveté ; et elles se perdenttristement par la présomption et par l'envie.\ Si j'épouse Ilermas^ une femme avare, elle ne meruinera point; si une joueuse, elle pourra s'enrichir;si ,uno savante, elle saura m'instruire ; si une tv vde,elle ne sera point emportée; si une emportée, elleexercera ma patience; si une coquette, elle voudrame plaire; si une galante» elle le sera peut-être jusqu'àm'aimer; si une dévote', répondez, Hermas,que dois-jo attendre de celle qui veut tromper Dieu,et qui se trompe elle-même ?^ Une femme est aisée à gouverner, pourvu que cesoit un homme qui s'en donne la peine. Un seul mômeen gouverne plusieurs; il cultive leur esprit et leurmémoire, fixe et détermine leur religion ; il entrei1 Fausse dévote. (Note ai La î/ïut/êrt?.)X' f — t*>c>


DES FEMMES.Clprend môme de régler leur cœur. Elles n'approuventet ne désapprouvent, ne louent et ne condamnent,qu'après avoir consulté ses yeux et son visage. Il est ledépositaire de leurs joies et de leurs chagrins, de leursdésirs, de leurs jalousies, de leurs haines et de leursamours; il les fait rompre avec leurs galants; il lesbrouille et les réconcilie avec leurs maris, et il profitedes interrègnes. Il prend soin de leurs affaires,sollicite leurs procès, et voit leurs juges; il leur donneson médecin, son marchand, ses ouvriers; il s'ingèrede les loger, de les meubler, et il ordonne de leuréquipage* On le voit avec elles dans leurs carrosses,dans les rues d'une ville et aux promenades, ainsi quedans leur banc à un sermon, et dans leur loge à lacomédie; il fait avec elles les mômes visites; il les accompagneau bain, aux eaux, dans les voyages ; il ale plus commode appartement chez elles à la campagne.Il vieillit sans déchoir de son autorité ; un peud'esprit et beaucoup de temps à perdre lui suffit pourla conserver; les enfants, les héritiers, la bru, la nièce,les domestiques, tout en dépend. 11 a commencé parse faire estimer; il finit par se faire craindre. Cet amisi ancien, si nécessaire, meurt sans qu'on le pleure,et dix femmes dont il était le tyran héritent, par samort, de la liberté.^ Quelques femmes ont voulu cacher leur con<strong>du</strong>itesous les dchofs de la modestie, et tout ce que chacunea pu gagner par une continuelle affectation, et qui nes'est jamais démentie, a été de faire dire de soi ; Onl'auroit prise pour une vestale*] C'est, clans les femmes, une violente preuve d'uneréputation bien nette et bien établie, qu'elle ne soitpas môme effleurée par la familiarité de quelquesunesqui ne leur ressemblent point, et qu'avec touteia pente qu'on a aux malignes explications, on ait roa


.^~r*f.G'£DF.5 FEMMES.cours à une toute autre raison de ce commerce qu'àcelle de la convenance des mœurs."j yn comique outre sur la scène ses personnages ;un pofile charge ses descriptions ; un peintre quifait d'après nature force et exagère une passion,un contraste, des attitudes, et celui qui copie, s'ilne mesure au compas les grandeurs et les proportions,grossit ses figures, donne à toutes les pièces qui entrentdans l'ordonnance de son tableau plus de volumeque n'en ont celles de l'original : de môme la pruderieest une imitation de la sagesse.Il y aune fausse modestie qui est vanité, une faussegloire qui est légèreté, une fausse grandeur qui estpetitesse, une fausse vertu qui est hypocrisie, unefausse sagesse qui est pruderie.Une femme prude paye de maintien et de paroles ;une femme sage paye de con<strong>du</strong>ite. Celle-là suit sonhumeur et sa complexion, celle-ci sa raison et soncœur. L'une est sérieuse et austère ; l'autre est, dansles diverses rencontres, précisément ce qu'il fautqu'elle soit. La première cache des foibles sous deplausibles dehors; la seconde couvre un riche fondssous un air libre et naturel; La pruderie contraintl'esprit, no cache ni l'âge ni la laideur; souvent elleles suppose. La sagesse, au contraire, pallie les défauts<strong>du</strong> corps, ennoblit l'esprit, ne rend la jeunesseque plus piquante, et la beauté que plus périlleuse.ï Pourquoi s'en prendre aux hommes de ce que lesfemmes ne sont pas savantes î Par quelles lois, parquels édits, par quels rescrils, leur a-t-on défen<strong>du</strong>d'ouvrir les yeux et de lire, de retenir ce qu'elles ontm, et d'en rendre compte ou dans leur conversationou par leurs ouvrages? Ne se sont-elles pas au contraireétablies elles-mêmes dans cet usage de ne riensavoir, ou par la faiblessede leur complexion, ou parîa paresse de leur esprit, ou nar In soin de leur beauté,!11I1• +±r-iyÊUs?&IKfr-•V1$êhfr.»=.#t


i^S-'$ ^ & ^ ^ * * ^ * t o ^ : ^ .-. .. DES FEMMES. G3ou par une certaine légèreté qui les empoche desuivre une longue étude, ou par le talent cl le géniequ'elles ont seulement pour les ouvrages de la main,ou par les distractions que donnent les détails d'undomestique, ou par un éloigncmenl naturel des chosespénibles et sérieuses, ou par une curiosité toute différentede celle qui contente l'esprit, ou par un toutautre goût que celui d'exercer leur mémoire ? Mais,a quelque cause que les hommes puissent devoir cetteignorance des femmes, ils sont heureux: que lesfemmes, qui tes dominent d'ailleurs par tant d'endroits,aient sur eux cet avantage de moins,On regarde une femme savante comme on fait unebelle arme : elle est ciselée arlistement, d'une polis*sure admirable, et d'un travail fort recherché; c'estune pièce de cabinet que l'on <strong>mont</strong>re «ux curieux,qui n'est pas d'usage, qui ne sert ni à la guerre ni èi lachasse, non plus qu'un cheval de manège, quoiquele mieux instruit <strong>du</strong> inonde.Si la science cf la sagesse se trouvent unies en unmôme sujet, je ne m'informe plus <strong>du</strong> sexe, j'admire ;et si vous me dites qu'une femme sage ne songe guèreà être savante, ou qu'une femme savante n'est guèresage, vous avez déjà oublié ce que vous venez de lire,que les femmes ne sont détournées des sciences quepar de certains défauts : concluez donc vous-mêmesque moins elles auroient de ces défauts, plus ellesseraient sages, et qu'ainsi une femme sage n'en seroitque plus propre à devenir savante, ou qu'une femmesavante, n'étant telle que parce qu'elle auroit puvaincre beaucoup de défauts, n'en est que plusâge KLa neutralité entre des femmes qui nous sont éga-I. Voirguf ta science des femmes t MontaîgW, Essat$ f \i\\ 111 % ch. mj—Pénelott, rfc VE<strong>du</strong>cation des fttles} — Madame do Mattitetmn, lettre» surl'é<strong>du</strong>cation des (Mes; — Entretiens sur l'é<strong>du</strong>cation des filles s — lettreshistoriqms et cdifianttê adressées aux d's t


04 DES FEMMES. ,lcment amies, quoiqu'elles aient rompu pour des intérêtsoù nous n'avons nulle part, est un point difficile :il faut choisir souvent entre elles, ou les perdre toutesdoux 1 .11l y a telle femme qui aime mieux son argent queses amis, et ses amants que son argent.\ Il est étonnant de voir dans le cœur de certainesfemmes quelque chose de plus vif et de plus fort quel'amour pour les hommes, je veux dire l'ambition etle jeu ; de telles femmes rendent les hommes chastes :elles n'ont de leur sexe que les habits.f Les femmes sont extrêmes; elles sont meilleuresou pires que les hommes.\ La plupart des femmes n'ont guère de principes;elles se con<strong>du</strong>isent par le cœur, et dépendent pourleurs mœurs de ceux qu'elles aiment.\ Lcs.femmcs vont plus loin en amour que la plupartdes hommes ; mais les hommes l'emportent sur ellesen amitié.Les hommes sont cause que les femmes ne s'aimentpoint.î II y a <strong>du</strong> péril a contrefaire. Lise y déjà vieille, veutrendre une jeune femme ridicule, et ellc-mômc devientdifforme; elle me fait peur. Elle use, pour l'imiter,de grimaces et de contorsions : la voila aussilaide qu'il faut pour embellir celle dont elle semoque.\ On veut h la ville que bien dos idiots et des idiotesaient de l'esprit. On veut à la cour que bien des gensmanquent d'esprit qui en ont beaucoup ; et, entre lespersonnes de ce dernier genre, une belle femme ne sesauve qu'à peine avec d'autres femmes.î Un homme cstplus fidèle au secret d'autrui qu'au4.I. VA», Apres cet arlicte, dans tes trois premières éditions, se trouvaitCïlut.cl : Quand Von a assez fait auprès d'une femme pour devoir Vengager,ti cela M réussit point, il y a encore une ressourcc p qui est de ne plusiEtâifV 1 -v.,7 >*"!£i •.IS?:1 '*•-7,-*


DUS FEMMES.sien propre ; une femme, au contraire, garde micua*son secret que celui d'aulrui.11l n'y a point dans le cœur d'une jeune personneyn si violent amour auquel l'inlérôt ou l'ambilienn'ajoute quelque chose.Y II y a un temps oh les filles les plus riches doiventprendre parti; elles n'en laissent gui>re * échapperles premières occasions sans se préparer un lonyrepentir î il semble que la réputation des biens diminueen elles avec celle de leur beauté. Tout favorisaau contraire une jeune personne, jusques à l'opiniondes hommes, qui aiment à lui accorder tous les avantagesqui peuvent la rendre plus souhaitable.î Combien de filles à qui une grande beauté n'ajamais servi qu'à leur faire espérer une grande forlunelT Les belles filles sont sujettes a venger ceux deleurs amants qu'elles ont maltraités, ou par de laids,ou par de vieux, ou par d'indignes maris.\ La plupart des femmes jugent <strong>du</strong> mérite et de labonne mine d'un homme par l'impression qu'ils fontsur elles, et n'accordent presque ni l'un ni l'autre àI celui pour qui elles ne sentent rien.| 1 Un homme qui seroit en peine de connollrc s'il4change, s'il commence à vieillir, peut consulter lebyeux d'une jeune femme qu'il aborde et le ton dontelle lui parle : il apprendra ce qu'il craint de savoir,llurtc école 11 Une femme qui n'a jamais les yeux que sur unemôme personne, ou qui les en détourne toujours, faitpenser d'elle la même chose.t II coûte peu aux femmes de dire ce qu'elles neIGiir/cn (aire} c'est alors qu'elle vous rappelle. —> Dan s la quatrième tfdUlon,cet article» ne l'appliquant plus à une femme el ren<strong>du</strong> plut général, a Hàtransposé au chapitre <strong>du</strong> Cœur, (A* DEITIILUVII»)l. Vin. Elles ne laissent ffuèiv,_ *' i & ^ ^ Q ^ ^ ^ & î * ? - ^ ••* 'r- *~ £ *-'V i - . -,-. ,-.•.; .-/»•'-.-«; ^t.^^'^ÎV*^"^^^


CGDES FEMMES.sentent point; il coule encore moins aux hommes dedire ce qu'ils sentent.1 II arrive quelquefois qu'une femme cache à unhomme toute la passion qu'elle sent pour lui, pendantque, de son côté, il feint pour elle toute celle qu'il nesent pas.1 L'on suppose un homme indifférent, mais quivoudrait persuader à une femme une passion qu'il nesent pas; cl l'on demande s'il ne lui seroit pas plusaisé d'imposer à celle dont il est aimé qu'à celle quine l'aime point.1 Un homme peut tromper une femme par un feintattachement, pourvu qu'il n'en ait pas ailleurs un véritable;^Un homme éclate contre une femme qui nei'aime plus, et se console; une femme fait moins debruit quand elle est quittée, et demeure longtempsinconsolable.T Les femmes guérissent de leur paresse par la vanitéou,par l'amour.La paresse, au contraire, dans les femmes vives estle présage de l'amour.j II est fort sûr qu'une femme qui écrit avec emportementest emportée; il est moins clair qu'ellesoit touchée. 11 semble qu'une passion vive et tendreest morne et silencieuse, et que le plus pressant intérêtd'une femme qui n'est plus libre, celui qui l'agitedavantage, est moins de persuader qu'elle aime quede s'assurer si elle est aimée.1 Glycère n'aime pas les femmes; elle huit leurpommerce et leurs visites, se fait celer pour elles, etsouvent pour ses amis, dont le nombre est petit,à qui elle est sévère, qu'elle resserre dans leur ordre,rjans leur permettre ' rien de ce qui passe l'a-SI. VA». Elle Uur est $:nk\% Ut resserré dans leur ordre t il M laxtptimctf etc.cw *iL, ift*tS&\


leIDES FfiMMF.5.mitié; clic est distraite avec eux, leur répond pardes monosyllabes, et semble cherchera s'en défaire.Elle est solitaire et farouchedans sa maison ; sa porleest mieux gardée, et sa chambre plus inaccessibleque celles de Monthoron 1 et A'Ilémery** Une seule,Corinne^ y est atten<strong>du</strong>e, y est reçue, et à toutes lesheures; un l'embrasse à plusieurs reprises; on croit raimer;on lui parle à l'oreille dans un cabinet où ellessontseulcs; on a soi-même plus de deux oreilles pourl'écouter ; on se plaint à elle de tout autre que d'elle ;on lui dit toutes choses, et on ne lui apprend rien;clic a la confiance de tous les deux. L'on voitGlycèrcen partie carrée au bal, au théâtre, dans les jardinspublics, sur le chemin de Venouze i 9 oh l'on mangeles premiers fruits; quelquefois seule en litière sur laroute <strong>du</strong> grand faubourg où elle a un verger délicieux,ou à la porte de Canidie \ qui a de si beaux secrets,qui promet aux jeunes femmes de secondes noces,qui en dit le temps et les circonstances. Etle parottordinairement avec une coiffure plate et négligée, ensimple déshabillé, sans corps et avec des mules : elleest belle en cet équipage, et il ne lui manque que dela fraîcheur. On remarque néanmoins sur elle uneriche attache, qu'elle dérobe avec soin aux yeux deson mari. Elle le flatte; elle le caresse; elle inventetousles jours pour lui de nouveaux noms; elle n'a pasd'autre lit que celui de ce cher époux, et elle ne veutpas découcher. Le matin, elle se partage entre sa toiletteet quelques billets qu'il faut écrire. Un affranchivient lui parler en secret; c'est Parmenon^ qui estfavori, qu'elle soutient contre l'antipathie <strong>du</strong> maîtreG71. Trésorier de l'épargne, à qui Corneille a dédié sa tragédie de Cinna.î. Fils d'un paysan de Sienne, protégé <strong>du</strong> cardinal Mazarin, contrôleurgénéral, et en dernier lieu surintendant des finances.d. Viiiccnucs.4. La Yoiiin, tireuse de caries et marchande de poisons, brûlée à Partien 1680.


08 DES PEU MBS.et la jalousie des domesliques. Qui, a la vérité, fai\mieux connoHro des intentions, et rapporte mieuxunc;réponsc, que Parmcnon? qui parle moins de cequ'il faut taire? qui sait ouvrir une porte secrète avecmoins de bruit? qui con<strong>du</strong>it plus adroitement par lepetit escalier? qui fait mieux sortir par où l'on est• entré?T Je ne comprends pas comment un mari qui .s'abandonneà son humeur et à sa complexion, qui necache aucun de ses défauts, et se <strong>mont</strong>re au contrairepar ses mauvais endroits; qui est avare, qui est tropnégligé dans son ajustement, brusque dans ses réponses,incivil, froid'et taciturne, peut espérer dedéfendre le cœur d'une jeune femme conlrc les entreprisesde son galant, qui emploie la parure et lamagnificence, la complaisance, les soins, l'empressement,les dons, la flatterie.\ Un mari n'a guère un rival qui ne soit de sa main,et comme un présent qu'il a autrefois fait à sa femme.Il le loue devant elle de ses belles dents et de sa bellelôtc; il agrée ses soins; il reçoit ses visites; et, aprèsce qui lui vient de son cru, rien no lui paroît domeilleur goût que le gibier et les truffes que cet amilui envoie. Il donne à souper et il dit aux conviés îGoûtez-bien cela ; il est de Léandrc y et il ne me coûtôqu'un grand merci.î 11 y a telle femme qui anéantit ou qui enterre sonmari, au point qu'il n'en est fait dans le monde aucunemention : vlfe-il encore? ne vit-il plus? on endoute. Il ne sert dans sa famille qu'à <strong>mont</strong>rer l'exempled'un silence timide et d'une parfaite soumission»Il ne lui est dû ni douaire ni conventions; mais à celaprès, et qu'il n'accouche pas, il est la femme, et elleest le mari. Ils passent les mois entiers dans une. môme maison sans le moindre danger de se rencontrer; il est vrai seulement qu'ils sont voisins. Mon-


_^ • «- » ' r •. ••".. - •. • • • . • . . *•» - i i. •>DES FEMMES.sieur paye le rôtisseur et le cuisinier» et c'est loujochez madame qu'on a soupe. Ils n'ont souvent rienùQ commun, ni le lit, ni la table, pas môme le nom;ils vivent à la romaine pu à la grecque : chacun a lesien, et ce n'est qu'avec le temps, et après qu'on estinitié au jargon d'une ville, qu'on sait enfin que M. B...est publiquement, depuis vingt années, le mari demadame L...\ Telle autre femme, à qui le désordre manque pourmortifier son mari, y revient par sa noblesse et ses al*lîanccs, par la riche dot qu'elle a apportée, par lescharmes de sa beauté, par son mérite, par ce quequelques-uns appellent vertu.\ Il y a peu do femmes si parfaites ' qu'elles empochentun mari de se repentir, <strong>du</strong> moins une fois lejour, d'avoir une femme, ou de trouver heureux celuiqui n'en a point.1 Les douleurs muettes et slupides sont hors d'u*sage : on pleure, on récite, on répète, on est si touchéede la mort de son mari, qu'on n'en oublie pas lamoindre circonstance.1 Ne pourroil-on point découvrir l'art de se faire»aimer de sa femme ?I Une femme insensible est celle qui n'a pas encorevu celui qu'elle doit aimer.II javoit a Smyrne une très-belle fille qu'on appeloitH mire i et qui éloit moins connue dans toute laville par sa beauté que par la sévérité de ses mœurs,et surtout par l'indifférence qu'elle conservoit pourtous les hommes, qu'elle voyoit, disoit-ellc, sans aucunpérit, et sans d'autres dispositions que celles oii ellese trouvoit pour ses amies ou pour ses frères. Ellene croyoit pas la moindre partie de toutes les foliesqu'on disoit que l'amour nvoit fait faire dans tous lesl, Une honnête femme est m trésor caché, celui qui l'a trouve* fait fortbien dô ttc t'en |MS vanter. (LA Uocu»:ruucAVLD.)


70 DES FEMMES.temps ;et celles qu'elle avoit vues elle-même, elle neles pouvoit comprendre : elle ne connoissoit quel'amitié. Une jeune et charmante personne, à qui elledevbil celle expérience, la lui avoit ren<strong>du</strong>e si douce,qu'elle ne pensoit qu'à la faire <strong>du</strong>rer, et n'imaginoitpas par quel autre sentiment elle pourroit jamaisse refroidir sur celui de l'estime et de la confiance,dont elle éloit si contente. Elle ne parloit que d'Zfaphrosine: c'étoit le nom de celle fidèle amie ; cl toutSmyrnc ne parloit que d'elle et d'Euphrosinc : leuramitié passoit en proverbe. Émire avoit deux frèresqui étoient jeunes, d'une excellente beauté, et donttoutes les femmes de la ville étoient éprises ; et il estvrai qu'elle les aima toujours comme une sœur aimeses frères. Il y cul un prêtre de Jupiter qui avoit accèsdans la maison de son père, à qui elle plut, qui osa lelui déclarer, et ne s'attira que <strong>du</strong> mépris. Un vieillard,qui, se confiant en sa naissance et en ses grandsbiens, avoit eu la même audace, eut aussi la mômeaventure. Elle triomphoit cependant; et c'étoit jusquealors au milieu de ses frères, d'un prôlrc et d'unvieillard, qu'elle se disoit insensible. Il sembla que leCiel voulût l'exposer à de plus fortes épreuves, quine servirent néanmoins qu'à la rendre plus vaine, etqu'à l'affermir dans la réputation * d'une fille que l'amourne pouvoit toucher. De trois amants que sescharmes lui acquirent successivement et dont elle necraignit pas de voir toute la passion ', le premier,dans un transport amoureux, se perça le sein à sespieds; le second, plein de désespoir de n'être pasécouté, alla se faire tuer à la guerre de Crèie f et le1. YAR. El qu'à affermir la réputation oh elle s'vtoit établie.2. YAR. Lui acquirent malgré toutes ses rigueurs, et qui se succédèrentl'un à Vautre, quatrième édition. •—El dont elle m craignoîl pas, ajoutédans la cinquième édition , avec le chargement de rédaction cUdctsui.(A. DtîTAlLUtll )


tfLk ' t - t.DES FEMMKS.troisième mourut de langueur cl d'insomnie, Celuiqui les devoil venger n'avoit pas encore paru. Ce vieillard qui avoit été si malheureux dans ses amours s'enéloit guéri par des réflexions sur son âge et sur le caractèrede la personne à qui il vouloif plaire ; il désirade conlinuer de la voir, et elle le souffrit. Il luiamena un jour son fils, qui étoit jeune, d'une physionomieagréable, et qui avôit une taille fort noble.Elle le vit avec intérêt; et comme il se tut beaucoupen la présence de son père, elle trouva qu'il n'avoitpas assez d'esprit, et désira qu'il en eût eu davantage.Il la vit seul, parla assez, et avec esprit; mais commeil la regarda peu et qu'il parla encore moins d'elle etde sa beauté, elle fut surprise et comme indignéequ'un homme si bien fait et si spirituel ne fût pasgalant. Elle s'entretint de lui avec son amie, qui voulutle voir. Il n'eut des yeux que pour Euphrosinc, il luidit qu'elle étoit belle; et Èmire, si indifférente, devenuejalouse, comprit que. Ctésiphon étoit persuadéde ce qu'il disoit, et que non-seulement il étoit galant,mais même qu'il étoit tendre. Elle se trouva depuisce temps moins libre avec son amie '. Elle désira deles voir ensemble une seconde fois, pour être pluséclaircie; et une seconde entrevue lui fit voir encoreplus qu'elle ne craignoit de voir, et changea ses soupçonsen certitude. Elle s'éloigne d'Euphrosine, ne luiconnolt plus le mérite qui l'avoit charmée, perd legoût de sa conversation i elle ne l'aime plus ; et cechangement lui fait sentir que l'amour dans son cœura pris la place de l'amitié. Ctésiphon et Euphrosincse voient tous les jours, s'aiment, songent à s'épouser,s'épousent. La nouvelle s'en répand par toute la ville,et l'on publie que deux personnes enfin ont eu cotteoie si rare de se marier à ce qu'ils aimoient, Émin*'»i Vin. El avec ce nouvet amant de son amie»


DU COEUILA'\ W'«>iII y a un goût dans là pure amitié où ne peuventAtteindre ceux qui sont nés médiocres.^ L'amitié peut subsister entre des gens de différentssexes, exempte mémo de toute grossièreté. Unefemme cependant regarde toujours un homme commeun homme; et réciproquement, un homme regardeune femme comme une femme. Celte liaison n'est nipassion ni amitié pure; elle fait une classe à part.î L'amour naît brusquement, sans autre réflexion,par tempérament ou par foiblcsse ; un trait de beauténous fixe, nous détermine. L'amitié, au contraire, seforme peu à peu, avec le temps, par la pratique, parun long commerce. Combien d'esprit, do bonté decœur, d'attachement, de services et de complaisancedans les amis, pour faire en plusieovs années bienmoins que ne fait quelquefois en un moment un beauvisage ou une belle main!. f Le temps, qui fortifie les amitiés, affaiblit l'amour.\ Tant que l'amour <strong>du</strong>re, il subsiste de soi-même,et quelquefois par les choses qui semblent le devoiréteindre, par les caprices, par les rigueurs, par l'éloignement,par la jalousie. L'amitié, au contraire, abesoin do secours; elle pérît faute de soins, de confianceet de complaisance.^ 11 est plus ordinaire de voir un amour extrêmel|U*uno parfaite amitié '.^ L'amour et l'amitié s'excluent l'un l'autre*1. Quoique rato q,ic soit le Véritable auiûur, il l*ëft moins que \x vériUbteituilic. (f.A ItocUEroicAl'tn ]


441ADU COEUR.V Celui qui a eu l'expérience d'un grand amournéglige l'amitié; et celui qui est épuisé sur l'amitién'a 4 encore rien fait pour l'amour.*


i r -t*:r.DU COEUR. 75î C'est une vengeance douce a celui qui aime beaucoupde faire, par lout son procédé, d'une personneingrate une très-ingrate.1II est triste d'aimer sans une grande fortune, etqui nous donne les moyens de combler ce que l'onaime, et le rendre si heureux qu'il n'ait plus de souhaitsà faire.î S'il se trouve une femme pour qui l'on ait eu unegrande passion, et qui ait été indifférente, quelquesimporlanls services qu'elle nous rende dans la suitede notre vie, l'on court un grand risque d'être ingrat.f Une grande rcconnoissancc emporte avec soi beaucoupde goût et d'amitié pour la personne qui nousoblige*ï Être avec des gens qu'on aime, cela suffit; rôver,leur parler, ne leur parler point, penser a eux, penserà des choses plus indifférentes, mais auprès d'eux,tout est égal.f II n'y a pas si loin de la haine à l'amitié que del'antipathie.T H semble qu'il est moins rare de passer de l'antipathieà Pamour qu'à l'amitié.•f L'on confie son secret dans l'amitié} mais iléchappe dans l'amour.L'on peut avoir la confiance de quelqu'un sansen avoir le cœur. Celui qui a le cœur n'a pas besoin 'de révélation ou de confiance ; tout lui est ouvert.\ L'on ne voit dans l'amitié que les défauts quipeuvent nuire à nos amis. L'on ne voit en amour dedéfauts dans ce qu'on aime que ceux dont on soufFresoi-môme.\ Il n'y a qu'un premier dépit en amour» comme lapremière faute dans l'amitié, dont on puisse faire unbon usage»liVA lu iVa i'*t/j &w?ru


U f M J i J . l t i ^ ^ M n » < ' • . » ~ j n M < H i • I M I I I I I I » • • < • » •*"^_7tiDU COEUR.11l semble que, s'il y a un soupçon injuste, bizarreet sans fondement, qu'on ait une fois appelé jalousie,celte autre jalousie qui est un sentiment juste, naturel,fondé pn raison et sur l'expérience, mériteroitun autrenom.Le tempérament a beaucoup de part à la jalousie,et elle ne suppose pas toujours une grande passion.C'est cependant un paradoxe qu'un violent amour sansdélicatesse.Il arrive souvent que l'on souffre tout seul de ladélicatesse. L'on souffre de la jalousie, et l'on faitsouffrir les autres.Celles qui ne nous ménagent sur rien, et ne nousépargnent nulles occasions dé jalousie, ne méritcroientde nous aucune jalousie, si l'on se régloitpluspar leurs sentiments et leur con<strong>du</strong>ite que par soncœur \f Les froideurs et les relâchements clans l'amitiéont leurs causes. En amour, il n'y a guère d'autre raisonde ne s'aimer plus que de s'être trop airnés.^ L'on n'est pas plus maître de toujours aimer, qu'onl'a été de ne pas aimer s .T Les amours meurent par le dégoût, et l'oubli lesenterre.î Le commencement et le déclin de l'amour se fontsentir par l'embarras où l'on est de se trouver seuls.T Cesser d'aimer, preuve sensible que l'homme estborné, et que le cœur a ses limites.C'est foiblesse que d'aimer; c'est souvent une autrefoiblesse que de guérir.1, Les infidélités devroient éteindre l'amour, et il ne faudroit pas êtrealous quand on a sujet de l'être : il n'y a que les personnes qui évitent delonner de la jalousie qui soient dignes qu'on en ait pour elles. (Li ROCRKfOUCAULD.)2. Comme on n'est jamais en liberté d'aimer on dé cesser d'airr.er, l'a m a 1.1ne peut se plaindre avec justice de l'inconstance de sa mailre&sc, ni elle dela légèreté de sou amant [Idem.)t >>— -•• « •^* "** " "


If'fcr•SJDU COEUR, 77On guérit comme on se console : on n'a pas dans lecœur de quoi toujours pleurer cl toujours aimer.^ Il devroit y avoir dans le cœur des sources ' inépuisablesde douleur pour de certaines pertes. Cen'est guère par vertu ou par force d'esprit que l'onsort d'une grande affliction. L'on pleure amèrement,et l'on est sensiblement touché; mais l'on est ensuitesi foiblc ou si léger, que l'on se console 8 .^ Si une laide se fait aimer, ce ne peut être qu'éper<strong>du</strong>mcnt: car il faut que ce soit ou par une étrangefoiblesse de son amant, ou par de plus secrets et de* plus invincibles charmes que ceux de la beauté. -1 L'on est encore longtemps à se voir par habitude,et à se dire de bouche que l'on s'aime, après que lesmanières disent qu'on ne s'aime plus.*[ Vouloir oublier quelqu'un, c'esty penser. L'amoura cela de commun avec les scrupules, qu'il s'aigritpar les réflexions et les retours que l'on fait pour s'endélivrer. 11 faut, s'il se peut, ne point songer à sa passionpour I'affoiblir.ï L'on veut faire tout le bonheur, ou, si cela ne sepeut ainsi, tout le malheur de ce qu'on aime.î Regretter ce que l'on aime est un bien, en comparaisonde vivre avec ce que l'on hait.| I Quelque désintéressement qu'on ait à l'égard deceux qu'on aime, il faut quelquefois se contraindrepour eux, et avoir la générosité de recevoir.Celui-là peut prendre, qui goûte un plaisir aussidélicat à recevoir que son ami en sent à lui donner 3 .s^ Donner, c'est agir, ce n'est pas souffrir de sesbienfaits, ni céder à l'importunité ou à la nécessité deceux qui nous demandent.27,*-*£S^^^^T ^ r^yae * • " £ £ * • - * r ï i * . . i ; i t « s - . - t - e - f j f - - „ * — & T - ; — - .


78 DU CŒUR.T Si l'on a donné à ceux que l'on aimoit, quelquechose qu'il arrive, il n'y a plus d'occasions où l'ondoive /songer à ses bienfaits.I On n dit en latin qu'il coule moins cher de haïr,que d'aimer; ou, si Ton veut, que l'amitié est plus àcharge que la haine. Il est vrai qu'on est dispensé dedonner à ses ennemis; mais ne coûte-t-il rien de s'envenger? Ou, s'il est doux et naturel do faire <strong>du</strong> mal àce que l'on hait, l'est-il moins de faire <strong>du</strong> bien à cequ'on aime? Ne seroit-il pas <strong>du</strong>r et pénible de ne*cur en point faire?J II y a <strong>du</strong> plaisir à rencontrer les yeux de celui aqui l'on vient de donner.î Je ne sais si un bienfait qui tombe sur un ingrat, f|et ainsi sur un indigne, ne change pas de nom, et s'ilmériloit plus de reconnoissance.î La libéralité consiste moins à donner beaucoupqu'à donner à propos.f S'il est vrai que la pitié ou la compassion soit unretour vers nous-mêmes qui nous met en la place desmalheureux, pourquoi tirent-ils de nous si peu desoulagement dans leurs misères?II vaut mieux s'exposer à l'ingratitude que de manqueraux misérables.ï L'expérience confirme que la mollesse ou l'in<strong>du</strong>lgencepour soi et la <strong>du</strong>reté pour les autres n'est qu'unseul et môme vice.1 Un homme <strong>du</strong>r au travail et à la peine, inexorableà soi-môme, n'est in<strong>du</strong>lgent aux autres que parun excès de raison.J Quelque désagrément qu'on ait à se trouver chargé'0d'un indiç ', l'on goûte à peine les nouveaux avantagesqui le tirent enfin de notre sujétion : de môme,la joie que l'on reçoit de l'élévation de son ami estun peu balancée par la petite peine qu'on a de le voirau-dessus de nous, ou s'égalera nous. Ainsi l'on s'act.., Xp..*.*-'


!H»•j tA-%l**%ïDU COEUR. 79corde mal avec soi-mômo : car l'on veut des dépendants,et qu'il n'en coûte rien. L'on veut aussi le biende ses cimis, et, s'il arrive, ce n'est pas toujours pars'en réjouir que l'on commence.T On convie, on invite, on offre sa maison, sa table,son bien et ses services; rien ne coûte qu'à tenirparole.1 C'est assez pour soi d'un fidèle ami, c'est mômebeaucoup de l'avoir rencontré; on ne peut en avoirtrop pour le service des autres.1 Qup.nd on a assez fait auprès de certaines personnespour avoir dû se les acquérir, si cela ne réussitpoint, il y a encore une ressource, qui est de ne plusrien faire.1 Vivre avec ses ennemis comme s'ils dévoient unjour ôlre nos amis, et vivre avec nos amis comme s'ilspouvoient devenir nos ennemis, n'est ni selon la naturede la haine, ni selon les règles de l'amitié : ce n'estpoint une maxime morale, mais politique.\ On ne doit pas se faire des ennemis de ceux qui,mieux connus, pourroient avoir rang entre nos amis.On doit faire choix d'amis si sûrs et d'une si exacteprobité, que, venant à cesser de i'ôtre, ils ne veuillentpas abuser de notre confiance, ni se faire craindrecomme ennemis.j II est doux de voir ses amis par goût et par estime ;il est pénible de les cultiver par intérêt : c'est solliciter.Il faut briguer la faveur de ceux à qui l'on veut<strong>du</strong> bien, plutôt que de ceux de qui l'on espère <strong>du</strong>bien.T On ne vole point des mômes ailes pour sa fortuneque l'on fait pour des choses frivoles et de fantaisie.Il y a un sentiment de liberté à suivre ses caprices, ettout au contraire de servitude à courir pour son établissement: il est naturel de le souhaiter beaucoup


80 DU COEUR.et d'y travailler peu, de se croire digne de le trouversans l'avoir cherché,VCelui qui sait attendre le bien qu'il souhaite neprend pas le chemin de se désespérer s'il ne lui arrivepas; et celui au contraire qui désire une chose avecune grande impatience y met trop <strong>du</strong> sien pour enêtre assez récompensé par le succès.1 11 y a de certaines gens qui veulent si ardemmentet si déterminément une certaine chose que, de peurde la manquer, ils n'oublient rien de ce qu'il fautfaire pour la manquer.Les choses les plus souhaitées n'arrivent point,ou, si elles arrivent, ce n'est ni dans le temps ni dansles circonstances où elles auroient fait un extrêmeplaisir.\ Il fout rire avant que d'être heureux, de peur demourir sans avoir ri.\ La vie est courte, si elle ne mérite ce nom quelorsqu'elle est agréable; puisque, si l'on cousoit ensembletoutes les heures que l'on passe avec ce quiplaît, l'on feroit à peine d'un grand nombre d'annéesune vie de quelques mois.^ Qu'il est difficile d'être content de quelqu'un I\ On ne pourroit se défendre de quelque joie à voirpérir un méchant homme; l'on jouiroit alors <strong>du</strong>fruit de sa haine, et l'on tireroit de lui tout ce qu'onen peut espérer, qui est le plaisir de sa perte. Samort enfin arrive, mais dans une conjoncture où nosintérêts ne nous permettent pas de nous en réjouir :il meurt trop tôt ou trop tard.\ Il est pénible à un homme fier de pardonner àcelui qui le surprend en faute, et qui se plaint de luiavec raison; sa fierté ne s'adoucit que lorsqu'il reprendses avantages, et qu'irmet l'autre dans sontort.T Comme nous nous affectionnons de plus en plu&


*^3t ï JinS t v A


* * * • J ^ M1 * _ \ * > m y ^ m ^ * +--*i^-^82 DU coKun.esprit; ni hauteur ni souplesse, ni force ni in<strong>du</strong>strie,ne les peuvent dompter; avec cette différence quequelques-uns sont ainsi faits par raison et avec fondement, et quelques autres par tempérament et parhumeur.Il se trouve des hommes qui n'écoutent ni la raisonni les bons conseils, et qui s'égarent volontairement,par la crainte qu'ils ont d'être gouvernés.D'autres consentent d'être gouvernés par leurs amisen des choses presque indifférentes, et s'en font undroit de les gouverner à leur tour en des choses graveset de conséquence.Drance l veut passer pour gouverner son maître,*qui n'en croit rien, non plus que le public : parlersans cesse à un grand que l'on sert, en des lieux et endes temps où il convient le moins, lui parler à l'oreilleou en des termes mystérieux, rire jusqu'à éclateren sa présence, lui couper la parole , se mettreentre lui et ceux qui lui parient, dédaigner ceux quiviennent faire leur cour ou attendre impatiemmentqu'ils se retirent, se mettre proche de lui en une posturetrop libre, figurer avec lui le dos appuyé à unecheminée, le tirer par son habit, lui marcher sur lestalons, faire le familier, prendre des libertés, marquentmieux un fat qu'un favori.Un homme sage ni ne se laisse gouverner, ni necherche à gouverner les autres ; il veut que la raison 'gouverne seule, et toujours.Je ne haïrois pas d'ôtre livré par la confiance à unepersonne raisonnable, et d'en être gouverné en touteschoses, et absolument, et toujours : je serois sûr de(. On a voulu reconnaître dans le portrait de Drance le comte de Cler<strong>mont</strong>-Tonnerre promier gentilhomme de la chambre de Mousicur. Il se vit ohligé,de quitter son service à cause <strong>du</strong> mépris que tui avaient valu ses traits plat*sants et satiriques. — Avec une poltronnerie qui lui faisait tout souffrir, ditSaint-SimoM, il s'atliroit cent affaires par son escroquerie et ses bous mots, etil étoit enfin tombé à un tel point U'al jeetion qu'on avoit honte de l'insulterquand il di-oil quelque sottise,3t tt:T*P* »-


"Sféfe^:.^-^,•ri---*-•-". '- . ' ' "T£*4^.-(-4,uADU CœUR.mV-.5• s;/I*bien faire, sans avoir le soin de délibérer; je jouiroisde la tranquillité de celui qui est gouverné par laraison,I Toutes les passions sont menteuses; elles se déguisentautant qu'elles le peuvent aux yeux des autres;elles se cachent à elles-mêmes : il n'y a point de vicequi n'ait une fausse ressemblance avec quelque vertu,et qui ne s'en aide.ï On trouve 1 un livre de dévotion, et il touche; onen ouvre un autre qui est galant, et il fait son impression,Oserai-je dire que le cœur seul concilie les cho­vsï.ses contraires, et admet les incompatibles?os^ Les hommes rougissent moins de leurs crimes que1 de leurs foi blesses et de leur vanité. Tel est ouver­55=tement injuste, violent, perfide, calomniateur, quicache son amour ou son ambition, sans autre vue quede la cacher.^ Le cas n'arrive guère où l'on puisse dire : J'étoisambitieux : ou on ne l'est point, ou on l'est toujours,mais le temps vient où l'on avoue que l'on a aimé,\ Les hommes commencent par l'amour, finissentpar l'ambition, et ne se trouvent souvent dans une assietteplus tranquille que lorsqu'ils meurent,^ Rien ne coûte moins à la passion que de se mettreau-dessus de la raison; son grand triomphe est del'emporter sur l'intérêt.1 L'on est plus sociable et d'un meilleur commercepar le cœur que par l'esprit.^ Il y a de certains grands sentiments, de certainesactions nobles et élevées, que nous devons moins àla force de notre esprit qu'à la bonté de noire naturel.^ Il n'y a guère au monde un plus bel excès quecelui de la reconnaissance.i, YAR. On ouvre.8J?


84 DU COKUR,fil faut être bien dénué d'esprit, fi ramouv ( lamalignité, la nécessité, n'en font pas trouver.^ Il y a des lieux que l'on admire; il y en a d'autresqui touchent, et où l'on aimeroit à vivre '.II me semble que l'on dépend des lieux pour l'esprit,l'humeur, la passion, le goût et les sentiments.^ Ceux qui font bien mériteroient seuls d'être enviés,s'il n'y aveit encore un meilleur parti à prendre, quiest de faire mieux r c'est une douce vengeance contreceux qui nous donnent cette jalousie.j Quelques-uns se défendent d'aimer et de faire desvers, comme de deux foibles qu'ils n'osent avouer,l'un <strong>du</strong> cœur, l'autre de l'esprit.| Il y a quelquefois dans le cours de la vie de sichers plaisirs et de si tendres engagements que l'onnous défend, qu'il est naturel de désirer <strong>du</strong> moins qu'ilsfussent permis : de si grands charmes ne peuventêtre surpassés que parcelui de savoir y renoncer parYertu *.1. Jean-Jacques et Bernardin de Saint-Pierre, avec leur amour des lieux,te chargeront de développer un jour toutes les nuances, closes et sommeillantes,pour ainsi dire, dans ce propos discret et charmant. Lamartine ne fera quetra<strong>du</strong>ire poétiquement le mot de La Bruyère, quand il s'écriera :Objets inanimés, avez-vous donc une âmeQui s'attache à notre âme et la force d'aimer ?SAISTE-BEOVB.2. Une note manuscrite porte que la marquise de Bdkforure était fortl'amie de La Bruyère. Cette note a éveillé l'attention de M. Sainte-Beuve,et U a cherché la continuation <strong>du</strong> fait dans le livre même des Caractères.* Madame de Belleforière, dit-il, était une de ces personnes dont LaBruyère, au chapitre <strong>du</strong> Cœur, devait avoir l'idée présente quand il disait it U y a quelquefois dans le cours de la vie de si chers plaisirs, etc. » '• Était-elle celle-là même qui lui faisait penser ce mot d'une délicatessequi va jusqu'à la grandeur : t L'on peut être touché de certaines béantes,etc.? • Il y a moyen, avec un peu de complaisance, de reconstruire et derêver plus d'une sorte de vie cachée pour La Bruyère, d'après quelquesunesde ses pensées qui recèlent toute une destinée, et, comme il seiuole,.tout un romaa enseveli. >IiP.*M* ^ «•IK^-r *^ ~- -l* *.^_-w w*._ ,,-«-*^*0W^£


iDE LA SOCIÉTÉ ET DE LA CONVERSATION,"J• r.4"-_t..p-u•ïI&*- •*•cr.f Un caractère bien fade est celui de n'en avoiraucun.C'est le rôle d'un sot d'être importun : un hommehabile sent s'il convient ou s'il ennuie; il sait disparaîtrele moment qui précède celui où il serait detrop quelque part*TL'on marche sur les mauvais plaisants, et il pleutpar tout pays de cette sorte d'insectes. Un bon plaisantest une pièce rare; à un homme qui est né tel, ilest encore fort délicat d'en soutenir longtemps lepersonnage ; il n'est pas ordinaire que celui qui faitrire se fasse estimer.^ Il y a beaucoup d'esprits obscènes, encore plusde médisants ou de satiriques, peu de délicats. Pourbadiner avec grâce, et rencontrer heureusement surles plus petits sujets, il faut trop de manières, tropde politesse, et môme trop de fécondité : c'est créerque de railler ainsi, et faire quelque chose de rien.T Si l'on faisoit une sérieuse attention à tout ce quise dit de froid, de vain et de puéril dans les entretiensordinaires, Ton aurait honte de parler ou d'écouter,et l'on se condamnerait peut-être à un silenceperpétuel, qui serait une chose pire dans le commerceque les discours inutiles. Il faut donc s'accommoderà tous les esprits ; permettre comme un mai nécessairele récit des fausses nouvelles, les vagues réflexionssur le gouvernement présent ou sur l'intérêtdes princes, le débit des beaux sentiments, et quireviennent toujours les mômes : il faut laisser Aronces


V86 DE LA SOClÊTfiparler proverbe 1 , et Mèlinda parler de soi, de ses vapeurs,de ses migraines et de ses insomnies.• ^ L'on voit des gens qui, dans les conversations ouUns le peu de commerce que l'on a avec eux, vousdégoûtent par leurs ridicules expressions, par la nouveauté,et j'ose dire par l'impropriété des termes dontils se servent, comme par l'alliance de certains motsqui ne se rencontrent ensemble que dans leur bouche,et à qui ils font signifier des choses que leurs premiersinventeurs n'ont jamais eu intention de leurfaire dire. Ils ne suivent en parlant ni la raison ni l'usage,mais leur bizarre génie, que l'envie de toujoursplaisanter, et peut-être de briller, tourne insensiblementà un jargon qui leur est propre, et qui devientenfin leur idiome naturel ; ils accompagnent un langagesi extravagant d'un geste affecté et d'une prononciationqui est contrefaite. Tous sont contentsd'eux-mêmes et de l'agrément de leur esprit, et l'onne peut pas dire qu'ils en soient entièrement dénués;mais on les plaint de ce peu qu'ils en ont, et, ce quiest pire, on en souffre.J Que dites-vous? comment? je n'y suis pas : vousplairoit-il de recommencer? J'y suis encore moins;je devine enfin: vous voulez, Acis, me dire qu'ilfait froid? Que ne disiez-vous : il fait froid.Vous voulez m'apprendre qu'il pleut ou qu'il neige,dites : Il pleut, il neige. Vous me trouvez bon visage,et vous désirez de m'en féliciter, dites : Je vous trouvebon visage. Mais, répondez-vous, cela est bien uni et,bien clair, et d'ailleurs qui ne pourroit pas en dire autant?Qu'importe, Acis? Est-ce un si grand mal 2 ,d'être enten<strong>du</strong> quand on parle, et de parler commetout le monde? Une chose vous manque, Acis, à vous1. C'est-à-dire, iie parler que par proverbes — c'est une forme <strong>du</strong> dixsrpticmesiècle : parler êpigramme, parler chrétien. On dit encore parler-chasse, parler argent.2. YAA. Malheur,iï


• > ^ L : j f c - t - - - - -L—.Jr•-Î.a-KT DE LA CONVERSATION*. 87et h vos semblables les diseurs do phé bu s 1 t\oi\s ne vousen défiez point, et je vais vous jeter dans l'étonnément: une cbose vous manque, c'est l'esprit, Ce n'estpas tout : il y a en vous une chose de trop, qui estl'opinion d'en avoir plus que les autres. Voila la sourcede votre pompeux galimatias, de vos phrases embrouillées,et de vos grands mots qui ne signifientrien ( Vous abordez cet homme, ou vous entrez danscette chambre; je vous tire par votre habit, et vousdis à l'oreille : Ne songez point à avoir de l'esprit,n'en ayez point ; c'est votre rôle. Ayez, si vous pouvez,un langage simple •*, et tel que l'ont ceux en qui vousne trouvez aucun esprit ; peut-être alors croira-t-onque vous en avez.T Qui peut se promettre d'éviter dans la société deshommes la rencontre de certains esprits vains, légers,familiers, délibérés, qui sont toujours dans une compagnieceux qui parlent, et qu'il faut que les autresécoutent? On les entend de l'antichambre; on entreimpunément et sans crainte de les interrompre. Ilscontinuent leur récit sans la moindre attention pourceux qui entrent ou qui sortent, comme pour le rangou le mérite des personnes qui composent le cercle ;ils font taire celui qui commence a conter une nouvelle,pour la dire de leur façon, qui est meilleure :ils la tiennent de Zamet t de Jîuccelay, ou de ConchinP,m!• On dit qu'un homme parle phébus, lorsquVn affectant de parler entermes magnifiques, il tomba dans le galimatias et l'obscurité. (Diction, deTRéVOUX.) — Phcbus est un personnage des romans de mademoiselle de Scudéi-y,et c'est le langage que lui prête cet écrivain qui a donné lieu au dictonci-dessus,2, Le parler que j'aime, c'est un parler simple et naïf. (Montaigne, voir ; jEssais, liv. t f ch. xvv.)— Tout ce que dit ici La Druycre est également ditpar Molière dans les Précieuses ou les Fcmm:$ savantes, et par Boileau, àpropos de Brébeuf et des autres poètes de la môme école. Le secret iv la supérioritélittéraire <strong>du</strong> dîx-srpticme siècle est là tout entier,3. Sans dire monsieur. [Note de La Bruycrt.) /| H tutoie, en parlant, ceiu <strong>du</strong> plus haut étage,El le nom de monsieur est chez lut hors d*usage.(MOLIèRE, le Misanthrope, act.Il, se. r*)'*5«A*.. aS&fëSteSA-


•m'. ( S8 DR LA SOCIÉTÉ\j:qu'ils ne connoisscnt point, a qui ils n'ont jamais; i parlé, et qu'ils traiterôiont de Monseigneur s'ils leurparloient. Ils s'approchent quelquefois de l'oreille <strong>du</strong>plus qualifié de l'assemblée, pour le gralifler d'une) circonstance que personne ne sait, et dont ils no veulentpas que les autres soient instruits ; ils supprimentIlquelques noms pour déguiser l'histoire qu'ils racontent,et pour détourner les applications. Vous lest^priez, YOUS les pressez inutilement : il y a des chosesqu'ils ne diront pas ; il y a des gens qu'ils ne sauroietitr-nommer, leur parole y est engagée; c'est le dernier!• •f iisecret, c'est un mystère, outre que vous leur demandezl'impossible : car, sur ce que vous voulez appren­!••i ')V'rdre d'eux, ils ignorent le fait et les personnes.\ Amas a tout lu, a tout vu, il veut le persuader',.ainsi; c'est un homme universel, et il se donne pourjtel. 11 aime mieux mentir que de se taire 1 ou de pairroître ignorer quelque chose. On parle à la table d'un\ grand d'une cour <strong>du</strong> Nord : il prend la parole et l'ôtcà ceux quialloient dire ce qu'ils en savent; il s'oriente, dans cette région lointaine comme s'il en étoit originaire; il discourt des mœurs de cette cour, des femmes^Nous ne pouvons di?e de quel Z*met il s'agit ici, atten<strong>du</strong> qu'il y a troispersonnages de ce nom : i° Sébastien Zamet, fils d'un cordonnier, né à Luc*ques, en 1549. D'abord valet de chambre et cordonnier de Henri III, Sebastienacquit une fortune considérable, et après avoir été l'ami de Mayenne etle confident de Henri IV, il devint te surintendant de Marie de Médicis, etmourut en 1614;—2° Jean Zamet, son fils aîné, capitaine des gardes deHenri IV, et surintendant des bâtiments de Fontainebleau;-- 3°SébastienZamet, son autre fils, aumônier de Marie de Médicîs, évêque de Langres, morten 1655.Ruccetay est un abbé florentin, qui, après avoir été le conseiller <strong>du</strong> papePaul V, vint s'établir en France, et 6e fit remarquer à la cour par ses grandesdépenses. H mourut en 1622»Concïno.Coucini, fils d'un notaire de Florence» vint en France en 1600avec Marie de Médicîs. D'abord gentilhomme de cette princesse! il s'cle\a àr- s'*|ES*(• Les gons qui savent peu parlent beaucoup, et les gens qui savenl beaucoupparlent peu. (J.-J* ROUSSEAU»)mxv ?y~j-^llljpl jlllJ^A'HfV '


'ïtïSi-ïfc'*.^ KV».'. ^* J--~.1^-*J*"Hi *•:&1»*,'>^AVwi r•"i• t£•S*'i .A*».IET m LA CONVERSATION» 80vaf VîOS serez sur de ne pas ennuyer. Payez, comme l'on dit, v?lreécot, mais ne payez jamais pour toute la compagnie, car» sur cet article, il ya peu de gens qui ne soient très-convaincus qu'Us sont en état de % payer eux*roèmes. (Lord CnESTcnncLD.)8


•-- «"-t*v * --^ • *• (/• tt-il essuyer! combien de ces mots aventuriers qui parois-sent subitement, <strong>du</strong>rent un temps, et que bientôt onTifne revoit plus ! S'il conte une nouvelle, c'est moins)i\\pour rapprendre à ceux qui l'écoulcnt que pour avoir1* le mérite de la dire, et de la dire bien; elle devientII un roman entre ses mains : il fait penser les gens à samanière, leur met cri'la bouche ses petites façons deparler, et les fait toujours parler longtemps; il tombeensuite en des parenthèses qui peuvent passer pourépisodes, mais qui font oublier le gros de l'histoire,et a lui qui vous parle, et à vous qui le supportez. Quescroit-ce de vous et de lui, si quelqu'un ne survenoitheureusement pour déranger le cercle et faire oublierla narration ?T J'entends TkéodectedQ l'antichambre; il grossit savoix à mesure qu'il s'approche. Le voilà entré i il rit,il crie, il éclate. On bouche ses oreilles î c'est un tonnerre1 1 11 n'est pas moins redoutable par les chosesqu'il dit que par le ton dont il parle. Il ne s'apaise, etil ne revient de ce grand fracas que pour bredouillerdes vanités et des sottises. Il a si peu d'égard au temps,\ < aux personnes, aux bienséances, que chacun a son\! fait sans qu'il ait eu intention de le lui donner; iln'est pas encore assis, qu'il a, à son insu, désobligétoute l'assemblée. A-t-on servi, il se met le premierh table, et dans la première place ; les femmes sont à\ { sa droite et à sa gauche. Il mange, il boit, il conte, ilplaisante, il interrompt tout à la fois. Il n'a nul discernementdes personnes, ni <strong>du</strong> maître, ni des conviés ;il abuse de la folle'déférence qu'on a pour lui. Est-colui, est-ce Eutidbme % qui donne le repas? Il rappellev '•(, 'tr90 DE LA SOCIÉTÉh soi toute l'autorité de la table, et il y a un moindreinconvénient à la lui laisser entière qu'à la lui disputer.J.c vin et les viandes n'ajoutent rien à son carac-V-Hffrt/.i -i 1tfi•-["y->s* ••/sx- 3 ^»1. Ce pot trait a été imité par Dcltlle dans ta Conversation, ch, Ut*-"*•'


'"lSr.r'V\7^-i-j.+ .ET DE LA CONVERSATION. 91tère.,Si l'on joue, il gagne au jeu ; il veut railler celuiqui perd, et il l'offense ; les rieurs sont pour lui : iln'y a soi te de fatuités qu'on ne lui passe. Je cèdeenfin et je disparois, incapable de souffrir plus longtempsThdodecle et ceux qui le souffrent 1 .î Troilc est utile à ceux qui ont trop de Lien : illeur ôtc l'embarras <strong>du</strong> superflu ; il leur sauve la peined'amasser de l'argent, de faire des contrais, de fermerdes coffres, de porter les clefs sur soi, et de craindreun vol domestique. Il les aide dans leurs plaisirs, et ildevient capable ensuite de les servir dans leurs passions;bientôt il les règle et les maîtrise dans leurcon<strong>du</strong>ite. Il est l'oracle d'une maison, celui dont onattend, que dis-je? dont on prévient, dont on devineles décisions. Il dit de cet esclave : Il faut le punir, etet on le fouette, et de cet autre : Il faut l'affranchir,et on l'affranchit. L'on voit qu'un parasite ne le faitpas rire, il peut lui déplaire : il est congédié. Lemaître est heureux si Troile lui laisse sa femme et sesenfants. Si celui-ci est à table, et qu'il prononce d'unmets qu'il est friand, le maître et les conviés, qui enmangeoient sans réflexion, le trouvent friand, et ne s'enpeuvent rassasier; s'il dit au contraire d'un autremets qu'il est insipide, ceux qui commençoient à legoûter n'osant avaler le morceau qu'ils ont a la bouche,ils le jettent à terre. Tous ont les yeux sur lui,observent son maintien et son visage avant de prononcersur le vin ou sur les viandes qui sont servies.Ne le cherchez pas ailleurs que dans la maison dece riche qu'il gouverne : c'est là qu'il mange, qu'ildort et qu'il fait digestion, qu'il querelle son valet,qu'il reçoit ses ouvriers, et qu'il remet ses créanciers»Il régonlc, il domine dans une salle ; il y reçoit la couret les hommages de ceux qui, plus fins que les. au1» SuWûtitlcs clefs manuscrites Théodede terait le corote d'Aubîgoé, frètede madame de Maintenant


•;•«'vi»i *92 DE LA SOCIÉTÉtrès, ne veulent aller au maître que par Troi.e. Si Tonentre par malheur sans avoir une physionomie qui>, lui agrée, il ride son front et il détourne sa vue ; si on. i l'aborde, il ne se lève pas; si l'on s'assied auprès de• lui, il s'éloigne ; si on lui parle, il ne répond point; jj si l'on continue de parler,, il passe dans une autre i..; chambre ; si on le suit, il gagne l'escalier ; il fianchi-I roit tous les étages ou il se lanceroit par une fenêtre, .;,iplutôt que de se laisser joindre par quelqu'un qui aun visage ou un son de voix l qu'il désapprouve. L'un3t l'autre sont agréables en Troile, et il s'en est serviheureusement pour s'insinuer ou pour conquérir. Tout\ devient, avec le temps, au-dessous de ses soins,P;" -. comme il est au-dessus de vouloir se soutenir ou con* E{ tinuer de plaire par le moindre des talents qui ontjcommencé à le faire valoir. C'est beaucoup qu'il sortequelquefois de ses méditations et de sa taciturnité5 pour contredire, et que môme pour critiquer il daigne[y une fois le jour avoir de l'esprit» Bien loin d'attendrede lui qu'il défère à vos sentiments, qu'il soit comj'plaisant, qu'il vous loue, vous n'êtes pas sûr qu'iljaime toujours votre approbation ou qu'il souffre votrecomplaisance.| T H faut laisser parler cet inconnu que le hasard a'•_placé auprès de vous dans une voiture publique, à unefôte ou à un spectacle ; et il ne vous coûtera bientôtpour le connoltre que de l'avoir écouté : vous saurezson nom, sa demeure, son pays, l'état de son bien,son emploi, celui de son père, la famille dont est samère, sa parenté, ses alliances, les armes de sa maisonj vous comprendrez qu'il est noble, qu'il a unchâteau, do beaux meubles, des valets, et un carrosse.^ Il y a des gens qui parlent un moment avanty -VS -vF*;-Ss >f1 V' .Kli Yit. Un ton de voit»v*C&ï?r


*•!*»'. .1-•mls®£&£»3"• "ri" *Aat-1' rET DE LA CONVERSATION. 93que d'avoir pensé. Il y en a d'autres qui ont unefade attention à ce qu'ils disent, et avec qui Ton souffredans la conversation de tout le travail de leuresprit; ils sont comme pélris de phrases et de petitstours d'expression, concertés dans leur geste et danstout leur maintien; ils sont puristes ', et ne hasardentpas le moindre mot, quand il devroit faire le plus beleffet <strong>du</strong> monde ; rien d'heureux ne leur échappe ; rienne coule de source et avec liberté î ils parlent proprementet ennuyeusement.T L'esprit de la conversation consiste bien moins àen <strong>mont</strong>rer beaucoup qu'à en faire trouver aux autres2 , celui qui sort de votre entretien content de soiet de son esprit l'est de vous parfaitement. Les hommesn'aiment point à vous admirer, ils veulent plaire ; ilscherchent moins à être instruits, et môme réjouis,qu'à être goûtés et applaudis; et le plaisir le plus délicatest de faire celui d'autrui*.1 II ne faut pas qu'il y ait trop d'imagination dansnos conversations ni dans nos écrits : elle ne pro<strong>du</strong>itsouvent que des idées vaines et puériles, qui ne serventpoint à perfectionner le goût et à nous rendremeilleurs ; nos pensées doivent être prises dans lebon sens et la droite raison, et doivent élre un effetde notre juge<strong>mont</strong>»1 C'est une grande misère que de n'avoir pas assezd'esprit pour bien parler, ni assez de jugement pourse taire» Voilà le principe de toute impertinence.i. Gens qui affectent une grande pureté de tangage. (Note de La Bruyère*)— L'explication de ee mot, par l'auteur Iuî*wcrac, donne lieu de penserqu'il l'avait créé.2. Eu cette cschole <strong>du</strong> commerce des hommes, j'ay souvent remarque cevice, qu'au lieu de prendre cognoissance d'aullruy, nous ne travaillons q


il94 DE LA SOCIÉTÉ^Dire d'une chose modestement ou qu'elle est bonne 1«i qu'elle est mauvaise, et les raisons pourquoi elleest telle, demande <strong>du</strong> bons sens et de l'expression;c'est une affaire. Il est plus court de prononcer, d'unton décisif et qui emporte la preuve de ce qu'onavance, ou qu'elle est exécrable, ou qu'elle est miraculeuse.T Rien n'est moins selon Dieu et selon le mondeque d'appuyer tout ce que l'on dit dans la conversa- ,tion, jusqucs aux choses les plus indifférentes, par delongs et de fastidieux serments. Un honnête hommequi dit oui et non mérite d'ôlre cru : son caractèrejure pour lui, donne créance à ses paroles, et lui attiretoute sorte de confiance.T Celui qui dit incessamment qu'il a de l'honneuret de la probité, qu'il ne nuit à personne, qu'il consentque le mal qu'il fait aux autres lui arrive, et quijure pour le faire croire, ne sait pas môme contrefairel'homme de bien.Un homme de bien ne sauroit empocher, par toutesa modestie, qu'on ne dise de lui ce qu'un malhonnêtehomme sait dire de soi.1 Clëon parle peu obligeamment ou peu juste, c'estl'un ou l'autre; mais il ajoute qu'il est fait ainsi, etqu'il dit ce qu'il pense.111 y a parler bien, parler aisément, parler juste,parler à propos. C'est pécher contre ce dernietgenreque de s'étendre sur un repas magnifique que l'onvient de faire devant des gens qui sont ré<strong>du</strong>its à épargnerleur pain ; de dire merveilles de sa santé devantdes infirmes; d'entretenir de ses richesses, de sesrevenus et de ses ameublements, un homme qui n'ani rentes, ni domicile; en un mot de parler de sonbonheur devant des misérables : celle conversationest trop forte pour eux, et la comparaison qu'ils fontalors do leur état au vôtre rst odieuse.ï••** t.if• >mfiHi .1T . ;!.'•E, - *t%'.im* '• \y hmi ;"..; Vi,..,*.* — * f » f'


^£S=$?I ET DE LA CONVERSATION. 95f Pour vous, dit Etttiphron, vous êtes riche, ou vousdevez l'ôtre : dix mille livres de rente, et en fonds deterre, cela est beau, cela est doux, et l'on est heureuxà moins; pendant que lui qui parle ainsi a cinquantemille livres de revenu, et qu'il croit n'avoir que lamoitié de ce qu'il mérile. Il vous taxe, il vous apprécie,il fixe voire dépense; et s'il vous jugeoit digned'une meilleure forlune, et de celle môme où il aspire,• m§ il ne manquerait pas de vous la souhaiter. Il n'est pas• T - ym'A*CïT--S 1%3m_ rle seul qui fasse de si mauvaises estimations ou descomparaisons si désobligeantes '; le monde est pleind'Euliphrons.\ Quelqu'un, suivant la pente de la coutume quiveut qu'on loue, et par l'habitude qu'il a à la flatterieet à l'exagération, congratule Théodème sur un discoursqu'il n'a point enten<strong>du</strong>, et dont personne n'a pu encorelui rendre compte i il ne laisse pas de lui parler de songénie, de son geste, et surtout de la fidélité de samémoire : et il est vrai que Théodème est demeurécourt.^ L'on voit des gens brusques, inquiets, suffisants,qui, bien qu'oisifs et sans aucune affaire qui les appelleailleurs, vous expédient, pour ainsi dire, en peude paroles, et ne songent qu'à se dégager de vous; onleur parle encore, qu'ils sont partis et ont disparu.Ils ne sont pas moins impertinents que ceux qui vousarrêtent seulement pour vous ennuyer; ils sont peutêtremoins incommodes.1 Parler et offenser, pour de certaines gens, estprécisément la môme chose. Ils sont piquants etamers; leur style est môle de fiel et d'absinthe; laraillerie, l'injure, l'insulte, leur découlent des lèvrescomme leur salive. Il leur serait utile d'ôlre nés muetsou stupidesj ce qu'ils ont de vivacité et d'esprit leuri» VAR. Si odîcusct,i" ï.'ÎTfîs


06 DR LA SOCIÉTÉnuit davantage que ne fait à quelques autres leur sotitise. Ils ne se contentent pas toujours de répliqueravec aigreur, ils attaquent souvent avec insolence; ils \i frappent sur tout ce qui se trouve sous leur langue,sur les présents, sur les absents; ils heurtent de frontet de côté, comme des béliers. Demande-t-on à desbéliers qu'ils n'aient pas de cornes? De môme n'espère-t-onpas de réformer par cette peinture des naturelssi <strong>du</strong>rs, si farouches, si indociles. Ce que l'on'peut faire de mieux, d'aussi loin qu'on les découvre, j;est de les fuir de toute sa force et sans regarder derrièresoi.ï II y a des gens d'une certaine étoffe oa d'un certaincaractère avec qui il ne faut jamais se commettre,de qui l'on ne doit se plaindre que le moins qu'ilest possible, et contre qui il n'est pas même permisd'avoir raison.^ Entre deux personnes qui ont eu ensemble uneviolente querelle, dont l'un a raison et l'autre ne l'apas, ce que la plupart de ceux qui y ont assisté ne. manque jamais de faire, ou pour se dispenser déjuger,ou par un tempérament qui m'a toujours paru horsde sa place, c'est de condamner tous les deux : leçonimportante, motif pressant et indispensable de fuir àl'orient quand le fat est à l'occident, pour éviter dejpartager avec lui le môme tort. |^ Je n'aime pas un homme que je ne puis aborder1-./le premier, ni saluer avant qu'il me salue, sans m'avilirà ses yeux, et sans tremper dans la bonne opinionqu'il a de lui-;nôme. MONTAGNE diroit l 5*r »: Je veux avoirmes coudées franc!tes t et être courtois et affable à mon\ point) sans remords ni conséquence. Je ne puis <strong>du</strong> toutest river contre mon penchant et aller au rebours de monnaturel^ qui m'emmeine tiers celuy que je trouve à uiai. Imité de Montagne* (A*ote de La liruuèrCi) \f.1i-îï'itriI -,| K


-AÏ ï'^r**-••*T'-.V''*. r? •> » j -• ' v ri'- *?•«•?*"V 1%H!^••i-yh*ET DE LA CONVERSATION. 07rencontre. Quand il m'est égal, et qu'il ne m'est pointennemy, f anticipe sur son accueil ; je le questionne sursa disposition et santé; je luy fais offre de mes offices,sans tant marchander sur le plus ou sur le moins, ne être,comme disent aucuns, sur le qui-vive. Celuy-là me déplaist,qui, par la connoissance que j'ay de ses coutumeset façons d'agir, me tire de cette liberté et franchise*Comment me ressouvenir tout à propos, et d'aussi loinque je vois cet homme, Remprunter une contenance graveet importante, et qui l'avertisse que je crois le valoirbien et au delà; pour cela % de me ramentevoir de mesbonnes qualitez et conditions, et des siennes mauvaises,puis en faire la comparaison? C'est trop de travail pourmoy, et ne suis <strong>du</strong> tout capable de si roide et si subiteattention ; et quand bien elle m'auroit succédé une pre~mière fois, je ne laisserois de fléchir et me démentir àune seconde tâche : je ne puis me forcer et contraindrepour quelconque à être fier.1 Avec de la vertu, de la capacité, et une bonnecon<strong>du</strong>ite, Ton peut être insupportable. Les manières,que l'on néglige comme de petites choses, sont souventce qui fait que les hommes décident de vous enbien ou en mal : une légère attention à les avoir douceset polies prévient leurs mauvais jugements. Il nefaut presque rien pour être cru fier, incivil, méprisant,désobligeant; il faut encore moins pour êtreestimé tout le contraire.\ La politesse n'inspire pas toujours la bonté,l'équité, la complaisance, la gratitude ; elle en donne<strong>du</strong> moins les apparences, et fait paroître l'homme audehors comme il devroit être intérieurement*.L'on peut définir l'esprit de politesse, l'on ne peut• *f .y**?t. Vin, Et pour ce»2, La politesse a ren<strong>du</strong> nos mœurs moins féroces; oui, eu apparence, audehors; mais dans l'intérieur point <strong>du</strong> tout.4. La politesse qui adoucit l'espritcuaurclt presque toujours le cœur, parce qu'elle établit parmi les hommes lerepue de l'ait, qui affaiblit tous les scul.'jnculs do latiature. (VAtvtsincit s.)/ A •h.l'. ;« .,%.' tjf


i •\tî t\t( .Liî{siti08 nii LA SOCIETEen fixer la pratique : elle suit l'usage et les coutumesi reçues; elle est attachée aux temps, aux lieux, auxpersonnes, et n'est point la môme dans les deux sexes,jni dans les différentes conditions. L'esprit tout seul |ne la fait pas deviner; il fait qu'on la suit par imita- [lion, et que l'on s'y perfectionne. Il y a des tempéra- Iments qui ne sont suscepliblcs que de la politesse; et j.il y en a d'autres qui ne servent qu'aux grands talents, ïou à une vertu solide. H est vrai que les manières . |polies donnent cours au mérite, et le rendent agréable,et qu'il faut avoir de bien éminentes qualitéspour se soutenir sans la politesse.II me semble que l'esprit de politesse est une certaineattention à faire que, par nos paroles et par nosmanières, les autres soient contents de nous et d'euxmômes.1 C'est une faute contre la politesse que de louerimmodérément, en présence de ceux que vous faiteschanter ou toucher un instrument, quelque autre personnequi a ces mômes talents; comme devant ceuxqui vous lisent leurs vers, un autre poète.1 Dans les repas ou les fôtes que l'on donne auxautres, dans les présents qu'on leur fait, et dans tousles plaisirs qu'on leur procure, il y a faire bien, etfaire selon leur goût; le dernier est préférable.III y auroit une espèce de férocité à rejeter indifféremmenttoutes sortes de louanges; l'on doit être |sensible à celles qui nous viennent des gens de bien,qui louent en nous sincèrement des choses louables.| 1 Un homme d'esprit, et qui est né fier, ne perdrien de sa fierté et de sa roideur pour se trouver pauj,vrc ; si quelque chose au contraire doit amollir son |humeur, le rendre plus doux et plus sociable, c'estun peu de prospérité.Ne pouvoir supporter tous les mauvais caractèresdont le monde est plein n'est pas un fort bon carac-t ;MV.^ •r. *leM- •5-->i- !zH -i*.In.- 1 - >.r:1* *4•S?zt^fà^T^-^p^.-^--,


i * < * * - 1 - " • • • • • > • • * J ^ . - . . J•"AET DR LA CONVERSATION. 901ère : il faut, dans le commerce, des pièces d'or etde la monnoio 1 . ?.t Vivre avec des gens qui sont brouillés, et dont ilfaut écouter de part et d'autre les plaintes réciproques,c'est, pour ainsi dire, ne pas sortir de l'audience, etentendre <strong>du</strong> matin au soir plaider et parler procès.î L'on sait des gens qui avoient coulé leurs joursdans une union étroite; leurs biens étoient en commun;ils n'avoient qu'une même demeure; ils ne seperdoicnt pas de vue. Ils se sont aperçus à plus dequatre-vingts ans qu'ils dévoient se quitter l'un l'autreet finir leur société; ils n'avoient plus qu'un jour àvivre, et ils n'ont osé entreprendre de le passer en-| semble ; ils se sont dépêchés de rompre avant que deêK3443'•Tir•t'•sï•îI%tVmourir; ils n'avoient de fonds pour La complaisanceque jusque-la. Ils ont trop vécu pour le bon exemple;un moment plus tôt ils mouroient sociables, et laissoientaprès eux un rare modèle de la persévérancedans l'amitié.1 L'intérieur des familles est souvent troublé parles défiances, par les jalousies et par l'antipathie,pendant que des dehors contents, paisibles et enjoués,nous trompent, et nous y font supposer une paix quin'y est point; il y en a peu qui gagnent a être approfondies.Celte visite que vous rendez vient de suspendreune querelle domestique, qui n'attend que votreretraite pour recommencer.T Dans la société, c'est la raison qui plie la première,Les plus sages sont souvent menés par le plusfou et le plus bizarre. L'on étudie son foible, son humeur,ses caprices; l'on s'y accommode; l'on évitede le heurter; tout le monde lui cède. La moindrer.•ï-r


,100 DE LA SOCIÉTÉsérénité qui paroît sur son visage lui attire des éloges;, on lui lient compte de n'être pas toujours insupportable.Il est craint, ménagé, obéi, quelquefon aimé.i \ Il n'y a que ceux qui ont eu de vieux collatéraux,ou qui en.ont encore, et dont il s'agit d'hériter, qpuissent dire ce qu'il en coûte,\ \ Cléante est un très-honnête homme; il s'estt-VVchoisi une femme qui est la meilleure personne <strong>du</strong>monde, et la plus raisonnable. Chacun, de sa part,fait tout le plaisir et tout l'agrément des sociétés oùil se trouve; l'on ne peut voir ailleurs plus de probité,plus de politesse. Ils se quittent demain, et l'acte deleur séparation est tout dressé chez le notaire. Il y asans mentir de certains mérites qui ne sont point faitspour être ensemble, de certaines vertus incompatibles.\ L'on peut compter sûrement sur la dot, le douaireet les conventions, mais foiblement sur les nourritures: elles dépendent d'une union fragile de la bellemèreet de la bru, et qui périt souvent dans l'année<strong>du</strong> mariage.T Un beau-père aime son gendre, aime sa bru. Unebelle-mère aime son gendre, n'aime point sa bru.Tout est réciproque.T Ce qu'une marâtre aime le moins de tout ce qui•est au monde, ce sont tes enfants de son mari : pluselle est folle de son mari, plus elle est marâtre.Les marâtres font déserter les villes et les" bourgades,et n" peuplent pas moins la terre de mendiants,de vagabonds, de domestiques et d'esclaves,que la pauvreté,.î G** et II** ' sont voisins de campagne, et leurs> ( S t--s*mt» SMl faut en croire les auteur» de clefs f « Vedeau de Gram<strong>mont</strong>> conseiller 3g


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• » ' - H . < T " I * V , * - . ; « - " < ' » ^ t ' * - V i i ^ ' ~ - f * * ^ r 5 ? j i w 'V"•'fltsaIIa5ET DE LA CONVERSATION. 103\ La moquerie est souvent indigence d'esprit.* f Vous le croyez votre <strong>du</strong>pe : s'il feint de l'ôtrc,qui est plus <strong>du</strong>pe de lui ou de vous ' ? • r" •J Si vous observez avec soin qui sont les gens quine peuvent louer, qui blâment toujours, qui ne sontcontents de personne, vous rcconnoitrez que ce sontceux mômes dont personne n'est content '.f Le dédain et le rengorgement dans la société attirentprécisément le contraire de ce que l'on cherche 3 ,"ï c'est à se faire estimer.J Le plaisir de la société entre les amis se cultivepar une ressemblance de goût sur ce qui regarde lesmœurs, et par quelque différence d'opinions sur lessciences : par là, ou l'on s'affermit * dans ses sentiments,ou l'on s'exerce et l'on s'instruit par ladispute.1 L'on ne peut aller loin dans l'amitié, si l'on n estpas disposé à se pardonner les uns aux autres lespetits défauts.] Combien de belles et inutiles raisons à étaler acelui qui est dans une grande adversité, pour essayerde le rendre tranquille 1 Les choses de dehors, qu'onappelle les événements, sont quelquefois plus fortesque la raison et que la nature. Mangez, dormez, nevous laissez point mourir de chagrin, songez à vivre îharangues froides, et qui ré<strong>du</strong>isent à l'impossible.Êtes-vous raisonnable de vous tant inquiéter? N'est-cepas dire : Êtes-vous fou d'être malheureux?î Le conseil, si nécessaire pour les affaires, est queli}tt» ta plus subtile dû toutes les finessesest de savoir bien feindre dans le%ptégci qu'on nous tend, et Ton n'est jamais si aisément trompe que quand ousonge h tromper les autres. (LA ROCHEFOUCAULD.)2» Tout le monde trouve à redire en autrui ce qu'on trouve à redire en lui{Idem.)Si nous n'avions pas tant de tfcfaul*nous ne prendrions pas tant de pbi&ità en remarquer dans les autre's, [tdem»)3, YAH, Decû où Von vise.4. YAR* Ou Voiti'affermit tl Von s$ comptait**l


104 DE l\ SOCIÉTÉriquefois,dans la société, nuisible à qui le donne, etinutile à celui à qui il est donné. Sur les mœurs, vousfaites remarquer des défauts ou que l'on n'avoue pas,ou que l'on estime des vertus ; sur les ouvrages, vousrayez les endroits qui paroissent admirables à leurauteur, où il se complaît davantage, où il croit s'êtresurpassé lui-même. Vous perdez ainsi la confiance devos amis, sans les avoir ren<strong>du</strong>s ni meilleurs ni plus,habiles.f L'on a vu, il n'y a pas longtemps, un cercle ' dopersonnes des deux sexes liées ensemble par la conversationet par un commerce d'esprit. Ils laissoientau vulgaire l'art de parler d'une manière intelligible;une chose dite entre eux peu clairement en enlraînoitune autre encore plus obscure, sur laquelle on enchérissoitpar de vraies énigmes, toujours suivies delongs applaudissements; par tout ce qu'ils appeloientdélicatesse, sentiments, tour et finessed'expression,ils étoient enfin parvenus à n'être plus enten<strong>du</strong>set à ne s'entendre pas eux-mêmes. Il ne falloit pourfournir à ces entretiens, ni bon sens, ni jugement,ni mémoire, ni la moindre capacité; il falloit del'esprit, non pas <strong>du</strong> meilleur, mais de celui qui estfaux, et où l'imagination a trop de part.\ Je le sais, Thêobalde ', vous êtes vieilli; maisvoudriez-vous que je crusse que vous êtes baissé, quevous n'êtes plus poète ni bel esprit, que vous êtesprésentement aussi mauvais juge de tout genre d'ou-Trage que méchant auteur, que vous n'avez plus riende naïf et de délicat dans la conversation î Votre airlibre et présomptueux me rassure, et me persuadeii-32ffst.'ët. L'hôtel de Bambouillet.2. Boursault, selon la clef imprimée j Mais des clefs manuscrites désignentBenserade, auquel ce caractère paroît -mieux conTenir. Il s'était opposé àl'admission de La Brujère à l'Académie, en 1691, et c'est la même aimée quecet article parut, dans la 6* édition. Depuis, l'auteur a donné le mèiue nomde Thêobalde â loue ses détracteurs, dans la préface de Son discours à l'Académie.(A, DesTiuxicii.)t.V*


- J»ET DE LA CONVERSATION, 105t N•ms-i•xtout le contraire. Vous ôtcs donc aujourd'hui tout ceque vous fûtes jamais, et peut-être meilleur : car, sià votre âge vous ôtcs si vif et si impétueux, quelnom, Théobalde, falloil-il vous donner dans votrejeunesse, et lorsque vous étiez la coqueluche ou l'entétement de certaines femmes qui ne juroient quepar vous et sur votre parole, qui disoient : Cela estdélicieux ; qu'a-t-il dit ?«• L'on parle impétueusement dans les entretiens,souvent par vanité ou par humeur, rarement avecassez d'attention : tout occupé <strong>du</strong> désir de répondreà ce qu'on n'écoute point, l'on suit ses idées, et on.les explique sans le moindre égard pour les raisonnementsd'autrui; l'on est bien éloigné de trouve*ensemble la vérité, l'on n'est pas encore convenu decelle que l'on cherche. Qui pourroit écouter ces sortesde conversations et les écrire feroit voir quelquefoisde bonnes choses qui n'ont nulle suite.?ll a régné pendant quelque temps une sorte deconversation fade et puérile, qui rouloit toute sur desquestions frivoles qui avoient relation au cœur et àce qu'on appelle passion ou tendresse. La lecturede quelques romans les avoit intro<strong>du</strong>ites parmi lesplus honnêtes gens de la ville et de la cour ; ils s'ensont défaits, et la bourgeoisie les a reçues, avec lespointes et les équivoques,1 Quelques femmes de la ville ont la délicatesse dene pas savoir ou de n'oser dire le nom des rues, desplaces et de quelques endroits publics qu'elles necroient pas assez nobles pour être connus. Ellesdisent: le Louvre, la place <strong>Royal</strong>e ; mais elles usentde tours et de phrases plutôt que de prononcer decertains noms, et, s'ils leur échappent, c'est <strong>du</strong>moins avec quelque altération <strong>du</strong> mot, et après quelquesîàçons qui les rassurent : en cela moins naturellesque les femmes de la cour, qui, ayant besoin,


i;106 DE LA SOCIÉTÉdans le discours, des halles, <strong>du</strong> châtclet, ou dechoses semblables, disent : les halles^ le châtclet,1 Si l'on feint quelquefois de ne se pas souvenir de' certains noms que l'on croit obscurs, et si l'on affectede les corrompre en les prononçant, c'est par ' labonne opinion qu'on a <strong>du</strong> sien.'1 L'on dit par belle humeur, et dans la liberté dela conversation, de ces choses froides qu'à la véritél'on donne pour telles, et que l'on ne trouve bonnesque parce qu'elles sont extrêmement mauvaises. Cettemanière basse de plaisanter a passé <strong>du</strong> peuple, à quielle appartient, jusque dans une grande partie de la•jeunesse de la cour, qu'elle a déjà infectée. Il estvrai qu'il y entre trop de fadeur et do grossièretépour devoir craindre qu'elle s'étende plus loin, etqu'elle fasse de plus grands progrès dans un pays quiest le centre <strong>du</strong> bon goût et de la politesse ; l'on doitcependant en inspirer le dégoût à ceux qui la prati-quent : car bien que ce ne soit jamais sérieusement,elle ne laisse pas de tenir la place, dans leur espritet dans le commerce ordinaire, de quelque chose de! meilleur. »t Entre dire de mauvaises choses ou en dire debonnes que tout le monde sait, et les donner pourjnouvelles, je n'ai pas à choisir.I • 1 Lucain a dit une jolie chose; Il y a un beau mot dejClaudien; Il y a cet endroit de Sénèque; et là^dessusane longue suite de latin que l'on cite souvent devantdes gens qui ne l'entendent pas, et qui feignent del'entendre. Le secret seroit d'avoir un grand sens etbien de l'esprit' : car ou l'on se passeroil des anciens,ou, après les avoir lus avec soin, l'on sauroit encorechoisir les meilleurs, et les citer à propos.T Hermagoras ne sait pas qui est roi de Hongrie ; il-XI. VAR. On feint de ne se pas soutenir,.....> et on affecte de..,., par labonne opinion.


ET DE LA CONVERSATION. 107s'étonne de n'entendre faire aucune mention <strong>du</strong> roide Bohème ; ne lui parlez pas des guerres de Flandreet de Hollande, dispensez-le <strong>du</strong> moins de vous répondre; il confond les temps, il ignore quand elles ontcommencé, quand elles ont fini; combats, sièges,tout lui est nouveau. Mais il est instruit de la guerredes géants, il en raconte le progrès et les moindresdétails, rien ne lui est échappé; il débrouille demôme l'horrible chaos des deux empires, le babylonienet l'assyrien ; il connoît h fond les égyptiens etleurs dynasties. Il n'a jamais vu Versailles, il ne leverra point; il a presque vu la tour de Babel ; il encompte les degrés; il sait combien d'architectes ontprésidé a cet ouvrage ; il sait le nom des architectes.Dirai-je qu'il croit Henri IV* fils de Henri III? Ilnéglige <strong>du</strong> moins de rien connoître aux maisons deFrance, d'Autriche et de Bavière : quelles minuties !dit-il; pendant qu'il récite de mémoire, toute une listedes rois des Modes ou de Babylone, et que les nomsd'Apronal, d'Hérigebal, deNoesnemordach, de Mardokempad,lui sont aussi familiers qu'à nous ceux deVALOIS et de BOURBON. Il demande si l'empereur ajamais été marié; mais personne ne lui apprendraque Ninus a eu deux femmes. On lui dit que le roijouit d'une santé parfaite ; et il so souvient que Thetmosis,un roi d'Egypte, ôtoit valétudinaire, et qu'iltenoit cette complexion de son aïeul Alipharmutosis.Que ne sait-il point? quelle chose lui est cachée de lavénérable antiquité? Il vous dira que Sémiramis, ou,selon quelques-uns, Sérimaris, parloit comme son filsNinyas; qu'on ne les dislinguoit pas à la parole : sic'étoit parce que la mère avoit une voix mâle commeson fils, ouïe fils une voix efféminée comme sa mère,qu'il n'ose pas le décider. Il vous révélera que Nera4. Henri le Grand. {Note de la Bruyère,)


î >,fs. 1: !108 DE f,A SOCIÉTÉbrod étoit gaucher, et Sésostris ambidextre; que c'estune erreur do s'imaginer qu'un Àrtaxerxe ait étéappelé Longue-Main parce que les bras lui tomboientjusqu'aux genoux, et non à cause qu'il avoit une mainplus longue que l'autre ; et il ajoute qu'il y a desauteurs graves qui affirment que c f étoit. la droite iqu'il croit néanmoins être bien fondé h soutenir quec'est la gauche,T Ascagne est statuaire, Hégion, fondeur, jEschinofoulon, eiCydics bel esprit * ; c'est sa profession. Il aune enseigne, un atelier, des ouvrages de commande,et des compagnons qui travaillent sous lui ; il ne voussauroit rendre de plus d'un mois les stances qu'ilvous a promises, s il ne manque dé parole à Dositkée,qui l'a engagé à faire une élégie ; une idylle est sur lemétier : c'est pour Crantor, qui le presse et qui luilaisse espérer un riche salaire. Prose, vers, que voulez-vous?il réussit également en l'un et en l'autre.Demandez-lui des lettres de consolation, ou sur uneabsence, il les entreprendra ; prenez-les toutes faiteset entrez dans son magasin, il y a à choisir. Il a unami qui n'a point d'autre fonction sur la terre que dele promettre longtemps à un certain monde, et de leprésenter enfin dans les maisons comme homme rareet d'une exquise conversation; et là, ainsi que lemusicien chante et que le joueur de luth touche sonluth devant les personnes à qui il a été promis, Cydias,après avoir toussé, relevé sa manchette, éten<strong>du</strong> lamain et ouvert les doigts, débite gravement ses penséesquintessenciées et sesraisonnementssophisliques*Différent de ceux qui, convenant de principes etconnoissant la raison ou la vérité, qui est une, s'arrachentla parole l'un à l'autre pour s'accorder surleurs sentiments, il n'ouvre la bouche que pour con-1. les beaux esprits ont une pVice dan$ la bonne compagnie, mais la.dernière, (VAUVENAUGUëS*)


V*•è3-SEï DE I.A COXVEnSAriON,(redire : Il me semble, dit-il sérieusement, que c*esttout le contraire de ce que vous dites ; ou : Je m sauroisêtre de votre opinion ; ou bien : C'a été autrefois monentêtement, comme il est le vôtre; mais.,, il y a troichoses, ajoute-t-il, à considérer,,, et il en ajoute unequatrième ; fade discoureur, qui n'a pas mis plus tôtle pied dans une assemblée qu'il cherche quelquesfemmes auprès de qui il puisse s'insinuer, se parer deson bel esprit ou de sa philosophie, et mettre en œuvreses rares conceptions ï car, soit qu'il parle ou qu'ilécrive, il ne doit pas être soupçonné d'avoir en vueni le vrai ni le faux, ni le raisonnable ni le ridicule ; ilévite uniquement de donner dans le sens des autres,et d'être de l'avis de quelqu'un : aussi attend-il dansun cercle que chacun se soit expliqué sur le sujet quis'est offert, ou souvent qu'il a amené lui-môme, pourdire dogmatiquement des choses toutes nouvelles,mais h son gré décisives et sans réplique. Cydias s'égaleà Lucien et à Sénèque ', se met au-dessus dePlaton, de Virgile et de Théocrite î et son flatteura soin de le confirmer tous les nptins dans cetteopinion. Uni de goût et d'intérêt avec les contempteursd'Homère, il attend paisiblement que les hommesdétrompés lui préfèrent les poôtes modernes : ilse met en ce cas à la tète de ces derniers, et il sait àqui il adjuge la seconde place. C'est, en un mot, uncomposé <strong>du</strong> pédant et <strong>du</strong> précieux, fait pour êtreadmiré de la bourgeoisie et de la province, en quinéanmoins on n'aperçoit rien de grand que l'opinionqu'il a de lui-même *.T C'est la profonde ignorance qui inspire s le tondogmatique. Celui qui ne sait rien croit enseigneraux autres ce qu'il vient d'apprendre lui-môme; celuiÏ00i. Philosophe cl poète tragique. (Note de L&Bruylre.)2. Cf. Molière, le Misanthrope, acte H, se. T.S. VAI», Qui inspire ordinairement.IA


5i.'* f - .î .-9' 1ISt.1.'t..411wi»• i:\11v- \; I •110 DB LA SOCIRTftqui sait beaucoup pense à peine que ce qu'il ditpuisse être ignoré, et parle plus indifféremment.\ Les plus grandes choses n'ont besoin que d'êtredites simplement, elles se gâtent par l'emphase. Ilfaut dire noblement les plus p tites ; elles ne se soutiennentque par l'expression, le ton et la manière.T II me semble que l'on dit les choses encore plusfinement qu'on ne peut les écrire.\ Il n'y a guère qu'une naissance honnête, ou qu'unebonne é<strong>du</strong>cation, qui rende les hommes capables desecret.1 Toute confiance est dangereuse si elle n'est entière :il y a peu de conjonctures où il ne faille tout dire outout cacher. On a déjà trop dit de son secret à celuià qui l'on croit devoir en dérober une circonstance.\ Des gens vous promettent le secret, et ils le révèlenteux-mêmes et à leur insu ; ils ne remuent paslés lèvres, et on les entend ; on lit sur leur front etdans leurs yeux : on voit au travers de leur poitrine ;ils sont transparents. D'autres ne disent pas précisémentune chos?


ET DE LA CONVERSATION'. 1119-tion, exagère la commodité des apparlemeuis, ainsique la richesse et la propreté des meubles ; il assurequ'il aime la bonne chère, les équipages : il se plaintque sa femme n'aimoit point assez le jeu et ïa société,Vous êtes si riche, lui disoit l'un de ses amis, quen'achetez*vous cette charge? pourquoi ne pas fairecette acquisition qui étendrait votre domaine? On mecroit, ajoute'Hl, plus de bien que je n'en possède, iln'oublie pas son extraction et ses alliances : Monsieurle Surintendant, qui est mon cousin, madame la Çhan*celière, qui est ma parente, voilà son style. Il raconteun fait qui prouve le mécontentement qu'il doit avoirde ses plus proches, et de ceux môme qui sont seshéritiers : Ai-je tort? dit-il à Élise : ai-je grand sujetde leur vouloir <strong>du</strong> bien? et il l'en fait juge. Il insinueensuile qu'il a une santé foiblc et languissante, et ilparle de la cave où il doit être enterré. Il est insinuant,flatteur, officieux, à l'égard de tous ceux qu'iltrouve auprès de la personne à qui il aspire. MaisÉlise n'a pas le courage d'être riche en l'épousant.On annonce, au moment qu'il parle, un cavalier qui,de sa seule présence, dé<strong>mont</strong>e la batterie de l'hommede ville : il se lève déconcerté et chagrin, et va direailleurs qu'il veut se remarier,f Le sage quelquefois évite ie monde, de peur d'êtreenuuyé.


y V •! IDESBIENS DE FORTUNE.*ii.•'' >•j:!.iUn homme fort riche peut manger des entremets,faire peindre ses lambris et ses alcôves, jouir d'unpalais à la campagne et d'un autre h la ville, avoir ungrand C .aipage, mettre un <strong>du</strong>c dans sa famille, etfaire de son flls un grand seigneur ; cela est juste etde son ressort; mais.il appartient péut-ôlre à d'autresde vivre contents ',I Une grande naissance ou une grande fortune annoncele mérite et le fait plus tôt remarquer.1 Ce qui disculpe le fat ambitieux de son ambitionest le soin que l'on prend, s'il a fait une grande fortune,de lui trouver un mérite qu'il n'a jamais eu, etaussi grand qu'il croit l'avoir.} A mesure que la faveur et les grands biens se retirentd'un homme, ils laissent voir en lui le ridiculequ'ils couvroient, et qui y étoit sans que personnes'en aperçût,î Si l'on ne le voyoit de ses yeux, pourroit-on jamaiss'imaginer l'étrange disproportion que le plus ou lemoins de pièces de monnoie met entre les hommes?Ce plus ou ce moins détermine à l'épée, à la robe,ou à l'Église : il n'y a presque point d'autre vocation.î Deux marchands étoient voisins, et faisoient lemôme commerce, qui ont eu dans la suite une fortunetoute différente. Ils avoient chacun une fille unique ;elles ont été nourries ensemble, et ont vécu dansi!3îl i( ;1* Quelque différence qui paroisse entre les fortunes, il y a néanmoins unecertaine compensation de biens et de maux qui les rend égales (î.x liocus*FOUCAULD,)


1 /DES MENS DE FORTUNE. 113celte familiarité que donnent un môme âge et unemôme condition ï l'une des deux, pour se tirer d'uneextrômc misère, cherche à se placer; elle entre auservice d'une fort grande dame et Tune des premièresde la cour, chez sa compagne.^ Si le financier manque son coup, les courtisansdisent de lui: C'est un bourgeois, un homme de rien,un malotru ; s'il réussit, ils lui demandent saillie.1 Quelques-uns ont fait dans leur jeunesse l'apprentissaged'un certain métier, pour en exercer un autre,et fort différent, le reste de leur vie '.f Un homme est laid, de petite taille, et a peu d'esprit; l'on me dit à l'oreille : Il a cinquante millelivres de rente. Cela le concerne toutseul, et il ne m'enfera jamais ni; pis ni mieux ; si je commence à le regarderavec d'autres yeux, et si je ne suis pas maître defaire autrement, quelle sottise lï Un projet assez vain seroit de vouloir tourner unhomme fort sot et fort riche en ridicule ; les rieurssont de son côté.ï N**, avec un portier rustre, farouche, tirant surle Suisse, avec un vestibule et une antichambre, pourpeu qu'il y fasse languir quelqu'un et se morfondre,qu'il paroisse enfin avec une mine grave et une démarchemesurée, qu'il écoute un peu et ne recon<strong>du</strong>iset» 11 s'agît ici des agioteurs et des usuriers, qu'on désignait sous le nomde partisans et dont quelques-uns avaient d'abord été laquais* Ce mot date<strong>du</strong> seizième siècle, comme on le voit par ce passage d'Eslienne Pasquîer :ï La malignité <strong>du</strong> temps pro<strong>du</strong>isit une vermine de gens, que nous appelâmespar un mot nouveau, partisans, qui avançaient la moitié ou tiers <strong>du</strong> denierpour avoir te tout, i — On appelait aussi partisans ceux qui prenaient à fermeIes % revenus de l'État. le nom de traitants s'appliquait, en outre, à ces derniers,fparce qu'ils traitaient avec le gouvernement <strong>du</strong> recouvrement desdeniers publics, ou qu'ils passaient des marchés pour les fournitures, Lestraitants et les partisans furent nommés, plus tard, maïtâtiers et fournis-4eurs* Quelques*uns de ces indivi<strong>du</strong>s acquirent, par leurs concussions, des fortunesconsidérables* On sait que ce sont eux que Le Sage a flétris dansTurcaret. Quand ce grand observateur eut composé sa pièce} les traitants luioffrirent cent mille livres pour la retirer <strong>du</strong> théâtre, et il refusa malgré sapauvreté.10.


i l - -114 DES BIENS.DE FOltTUNB.point, quoique subalterne qu'il soit d'ailleurs, il ferasentir de lui-môme quelque chose qui approche de laconsidération,f Je vais, Clitiphon, à votre porte ; le besoin quej j'ai de vous me chasse de mon lit et de ma chambre :jplût aux dieux que je ne fusse ni votre client ni votreîàcheux l Vos esclaves me disent que vous êtes enfermé,et que vous ne pouvez m'écouler que d'uneheure entière. Je reviens avant le temps qu'ils m'onttmarqué, et ils me disent que vous êtes sorti. Quefaites-vous, Clitiphon, dans cet endroit le plus reculéde votre appartement, de si laborieux qui vous empochede m'entendre? Vous enfilez quelques mémoires,vous collalionnez un registre, vous signez,vous paraphez. Je n'a vois qu'une chose à vous demander,et vous n'aviez qu'un mot à me répondre, oui,iou non. Voulez-vous être rare ? Rendez service à ceux}';qui dépendent de vous : vous le serez davantage par{* cette con<strong>du</strong>ite que par ne vous pas laisser voir, 0homme important et chargé d'affaires, qui, à votretour, avez besoin de mes offices, venez dans la soliflu de de mon cabinet : le philosophe est accessible.Je ne vous remettrai pas à un autre jour; vous metrouverez sur les livres de Platon qui traitent de laspiritualité de l'âme et de sa distinction d'avec lecorps, ou la plume à la main pour calculer les distancesde Saturne et de Jupiter : j'admire Dieu dansses ouvrages, et je cherche par la connoissance de lavérité à régler mon esprit et devenir meilleur. Entrez,toutes les portes vous sont ouvertes ; mon antichambren'est pas faite pour s'y ennuyer en m'attendant;tpassez jusqu'à moi sans me faire avertir. Vous m'apportezquelque chose de plus précieux que l'argent/•et l'or, si c'est une occasion de vous obliger. Parlez,que voulez-vous que je fasse pour vous? Faut-il quittermes livres, mes éludes, mon ouvrage, cette lignerIv


ifDES MENS DE FOMTNB. 115qui est commencée? Quelle interruption heureusepour moi tmc celle qui vous est utile ! Le manieurd'argent, l'homme d'affaires, est un ours qu'on nesauroit apprivoiser; on ne le voit dans sa loge qu'avecpeine, Que dis-jc? on ne le voit point ; car d'abordon ne le voit pas encore, et bientôt on ne le voit plus.L'homme de lettres, au contraire, est trivial commeune borne au coin des places ; il est vu de tous, et àtoute heure, et en tous états, à table, au lit, nu, habillé,sain ou malade ; il ne peut être important, et ilne le veut point ôtre.f N'envions point à une sorte de gens leurs grandesrichesses; ils les ont à titre onéreux, et qui nenous accomoderoit point. Ils ont mis leur repos, leursanté, leur honneur et leur conscience pour les avoir;cela est trop cher, et il n'y a rien à gagner à un telmarché,t Les P. T. S. ' nous font sentir toutes les passionsTune après l'autre : l'on commence par le mépris, àcause de leur obscurité : on les envie ensuite, on leshait, on les craint, on les estime quelquefois, et onles respecte; l'on vit assez pour unir à leur égard parla compassion.^ Sosie, de la livrée a passé, par une petite recette,h une sous-ferme 1 ; et par les concussions, la violence,et l'abus qu'il a fait de ses pouvoirs, il s'est enfin, surles ruines de plusieurs familles, élevé à quelquegrade, Devenu noble par une charge, il ne lui manquaitque d'être homme de bien : une place de marguillicra fait ce prodige.f Arfure cheminoil seule et à pied vers le grandi« C'e&Uà-dirc les partisans* — Voir la note de la page i 13.2. Les traitants qui affermaient la perception des impôts sous-Iouaient a.Lur tour cette perception dans une certaine éten<strong>du</strong>e <strong>du</strong> territoire. C'est à ecl


116 UES BIENS DE FORTUNE.portique de Saint*** , cntendoit de loin le sermond'un carme ou d'un docteur qu'elle ne voyoitqu|obliquement, et dont elle perdoit bien des paroles.Sa vertu étoit obscure, et sa dévotion connue commesa personne. Son mari est entré dans le huitième denier* ; quelle monstrueuso fortune en moins de sixannées ! Elle n'arrive à l'église que dans un char ; onIlui porte une lourde queue 8 : l'orateur s'interrompt.pendant qu'elle se place; elle le voit de front, n'enperd pas une seule parole ni le moindre geste. Il y ahune brigue entre les prôlres pour la confesser ; tousuveulent l'absoudre, et le curé remporte.1 L'on porte Crésus au cimetière : de toutes ses•».,immenses richesses, que le vol et la concussion luiavoient acquises, et ,qu'il a épuisées par le luxe et; /» par la bonne chère, il ne lui est pas demeuré de quoi,('•-1se faire enterrer; il est mort insolvable, sans biens,^1 •;.]•et ainsi privé de tous les secours. L'on n'a vu chez lui"'"*'ni julep, ni cordiaux, ni médecins, ni le moindrei;- . docteur qui l'ait assuré de son salut.i\ Champagne^ au sortir d'un long dîner qui lui enflel'estomac, et dans les douces fumées d'un vin d'Ave-)\ ! nay ou de Sillery, signe un ordre qu'on lui présente,•3:kkK'tXI- Jl \t\iVli Huitième denier*—L'explication de ce passage est assez embarrassante,— Dans notre ancien droit administratif on appelait huitième denier un droitprélevé tous les trente ans sur les engagïstes des domaines aliénés de l'Église,pour leur en confirmer la jouissance* La Bruyère a-t-il voulu dire que lemari d'Arbre avait affermé la perception de ce droit, ou bien qu'il était adjudicatairepour une part d'un huitième de Tune des fermes de l'État, et qu'ilavait par conséquent prélevé un huitième des bénéfices? Cette dernière ex*plication nous paraît la plus probable.î. C'est-à-dire, une robe avec une lourde queue. —Dès le treizièmetiède les femmes avaient des robes d'une longueur démesurée qu'elles laissaienttraîner derrière en queue de serpent. Sous Charles VI on allongeaencore démesurément les queues des robes, et Ton en vit qui avaient vingtcinqaunes de long. — «Ces longues queues, dit le père Méne&lrier, furent si* multipliées et si extraordinairement longues, que cela devint scandaleux, etobligea les popes, non-feulement à les défendre universellement à toutes sortesde personnes, mais même à ordonner qu'on refusât L'absolution aux personnesqui en porteraient, i Malgré les anathèmes de l'Église, l'usage des robesk queue a toujours persisté sous l'ancienne monarchie.r- ** - . -


- *IBS BIENS DR FORTUNE.qui ûtcroit le pain à toute une province si Ton n'y remédioit; il est excusable : quel moyen de comprendre,dans l,a première heure de la digestion, qu'onpuisse quelque part mourir de faim ? rT Syluaîn t de ses deniers, a acquis de la naissanceet un autre nom ; il est seigneur de la paroisse où sesaïeuls payoient la (aille.; il n'auroit pu autrefoisentrer page chez Cléobule, et il est son gendre '.T Dorus passe en litière par la voie Appienne> précédéde ses affranchis et de ses esclaves, qui détournentle peuple et font faire place ; il ne lui manqueque des licteurs ; il entre à home avec ce corlége, oùil semble triompher de la bassesse et de la pauvretéde son père Sanga.t On ne peut mieux user de sa forlunc que faitPériandre : elle lui donne <strong>du</strong> rang, <strong>du</strong> crédit, de l'autorité; déjà on ne le prie plus d'accorder son amitié,on implore sa protection. Il a commencé par dire desoi-môme : un homme de ma sorte; il passe à dire : unhomme de ma qualité. Il se donne pour tel, et il n'y apersonne de ceux à qui il prête de l'argent, ou qu'ilreçoit à sa table, qui est délicate, qui veuille s'yopposer. Sa demeure est superbe, un dorique règnedans tous ses dehors ; ce n'est pas une porte, c'est unportique. Est-ce la maison d'un particulier, est-ce untemple ? le peuple s'y trompe. Il est le seigneur dominantde tout le quartier. C'est lui que l'on envie, etdont on voudroit voir la chute; c'est lui dont lafemme, par son collier de perles, s'est fait des ennemiesde toutes les dames <strong>du</strong> voisinage. Tout se soutientdans cet homme; rien encore ne se démentdans cette grandeur qu'il a acquise, dont il ne doitrien, qu'il a payée '. Que son père, si vieux et si ca<strong>du</strong>c,1. La clef désigne pour ce caractère George, fameux partisan, queBoi*leau cite dans sa première satire,2* Qu'il a payée, — On sait que sous Louis XIV te besoin d'argent ûlcréeiU7


118 DES BIENS DE FORTUNE.n'est-il mort il y a vingt ans et avant qu'il se fit dansle monde aucune mention de Périandre? Commentpourra-t-il soutenir ces odieuses pancartes ' qui déchiffrentles conditions, et qui souvent fdnt rougir laveuve et les héritiers? Les supprimcra-t-il aux yeuxde toute une ville jalouse, maligne, clairvoyante, etaux dépens de mille gens qui veulent absolumentaller tenir leur rang à des*obsèques? Veut-on d'ailleursqu'il fasse de son père un Noble homme, et peutêtreun Honorable homme, lui qui est Messire* ?T Combien d'hommes ressemblent à ces arbres déjàforts et avancés que l'on transplante dans les jardins,où ils surprennent les yeux de ceux qui les voientplacés dans de beaux endroits où ils ne les ont pointvus croître, et qui neconnoissent ni leurs commencementsni leurs progrès I1 Si certains morts revenoient au monde, et s'ilsvoyoient leurs grands noms portés, et leurs terresles mieux titrées, avec leurs châteaux et leurs maisonsantiques, possédées par des gens dont les pèresétoient peut-être leurs métayers, quelle opinion pourroicnt-ilsavoir de notre siècle ?1 Rien ne fait mieux comprendre le peu de choseque Dieu croit donner aux hommes en leur abandonnantles richesses, l'argent, les grands établissementset les autres biens, que la dispensation qu'ilune foule de charges qui conféraient la noblesse, cl que même on anoblit,moyennant finance, un grand nombre de bourgeois riches. Dans le seul moisde mars de l'année 1606, il y eut cinq cents personnes anoblies de cette manière.t* Billets d'enterrement. (Sote'de La Bruyère.)t> I.d litre de noble homme étaii tout itmplcment une qualification Rio*Nie; celui if honorait e hom me était donné au* bourgeois «l au* marchandsqui n'avaient ni charge ni seigneurie, ainsi qu'aux gens de robe et aux gensde lettres. Mettre, qui vient de sire, seigneur, se donnait au contraire à ccutqui étaient nobles, qui avaient des armes cl possédaient des fiefs. On voit parlà le sens do la phrase. I.a Bruyère a- voulu dire : Comment Vérîandre, quiest nob'c, poui-rvt-il donner à son père , sur ses billets d'enterrement, dettitres bourgeois?


• t p ^ y ; •:.'•:.DES RIENS DE FO(\TUNE. 110en fait, et le genre d'hommes qui en sont le mieuxpourvus.T Si vous entrez dans les cuisines* où Ton voit ré<strong>du</strong>iten art et en méthode le secret de flatter votre goûtet de vous faire mander au delà <strong>du</strong> nécessaire ; siTOUS examinez en déu.tt tous les apprêts des viandesqui doivent composer le festin que l'on vous prépare;si vous regardez par quelles mains elles passent, ettoutes les formes différentes qu'elles prennent avantde devenir un mets exquis et d'arriver à celle propretéet à cette élégance qui charment vos yeux,'vous font hésiter sur le choix et prendre le partid'essayer de tout ; si vous voyez tout le repas ailleursque sur une table bien servie, quelles saletés ! queldégoût! Si vous allez derrière un théâtre, et si vousnombrez les poids, les roues, les cordages, qui fontles vols et les machines ; si vous considérez combiende gens entrent dans l'exécution de ces mouvements,quelle force de bras, et quelle extension do nerfs ilsy emploient, vous direz i Sont-ce là les principes etles ressorts de ce spectacle si beau, si naturel, quiparoit animé et agir de soi-même? vous vous récrierez: Quels efforts ! quelle violence l De même,{n'approfondissez pas la fortune des partisans.1 Ce garçon si frais, si fleuri ', et d'une si belle•santé, est seigneur d'une abbaye et de dix autres bénéfices' ; tous ensemble lui rapportent six-vingt millelivres de revenu, dont il n'est payé qu'eu médaillesd'or *. Il y a ailleurs six-vingts familles indigentes quine se chauffent point pendant l'hiver, qui n'ont pointV*I, On a appliqué cel article à Charles-Maurice, archevêque de Reims, filsic Michel Lelcllicr, chancelier de Praucc, ne à Turin eu 1642, mort eu1710.î, te Bénéfice est une certaine portion <strong>du</strong> bien de l'Église assignée a«te personne ecclésiastique pour en jouir pcndanMoutc sa vie pour rclrilm*fif.n <strong>du</strong> service qu'il rend ou qu'il doit rendre a l'Église. (Diclîonn. de Trc»mm.).3. Louis d'or. [NoU de ta Bruyère dam te» deux premfiret éditions,)


1t : ,1f, ; * ' . - • • E . : > ' • • ' Vf '• * ^J-*


u r " *£•-«'CLi.tf : - . *. --.1TiKS MENS DE FORTUNE. 121le souvenir de la musique d'Orphée \ et se contenterde la sienne.\ Ne traitez pas avec Crrfon f il n'est touché que deses seuls avantages. Le piège est tout dressé à ceuxà qui sa charge, sa terre, ou ce qu'il possède, ferontenvie : il vous imposera des conditions extravagantes.Il n'y a nul ménagement et nulle composition à attendred'un homme si plein de ses intérêts et si ennemides vôtres : il lui faut une <strong>du</strong>pe.T Brontin, dit le peuple, fait des retraites, et s'enfermehuit jours avec.dcs saints î ils ont leurs méditations,et il a les siennes.^ Le peuple souvent a le plaisir de la tragédie ; ilvoit périr sur le théâtre <strong>du</strong> monde les personnages lesplus odieux, qui ont fait le plus de mal dans diversesscènes, et qu'il a le plus haïs.«[ Si Ton partage la vie des P. T. S. * en deux portionségales, la première, vive et agissante, est toutoccupée a vouloir affliger le peuple, et la seconde,voisine de la mort, à se déceler et à se ruiner les unsles autres.f Cet homme qui a fait la fortune de plusieurs, qui 'a fais la vôtre, n'a pu soutenir la sienne, ni assureravant sa mort celle de sa femme et de ses enfants :ils vivent cachés et malheureux. Quelque bien instruitque vous soyez de la misère de leur condition, vousne pensez pas à l'adoucir; vous ne le pouvez pas eneffet: vous tenez table, vous bâtissez; mais vousconservez par reconnoissance le portrait de votrebien-facteur 0 çui a passé, à la vérité, <strong>du</strong> cabinet àl'antichambre : ijucls égards I il pouvoit aller au gardemeubl'14^ it» Orfco e EuritUce, musique de Montcverdc, représente en 16472. Des partisans*3. Oti ne tnanqui» jamais de raisons» quand on a fait fortune, pour oublier utbienfaiteur ou un ancien ami* cl l'on rappelle alors avec dépit tout ce qu'oit aal longtemps dissimulé de leur humeur* (VàUVENAUOUSS).4. On dirait aujourd'hui au grenier* —On donnait le nom de gardc~me\t>


•*.\ •l •122 DES BIENS DE FOltTUNE.^ Il y a une <strong>du</strong>reté de complexion;. il y en a uneAutre de condition et d'état. L'on lire de celle-ci,comme de la première, de quoi s'en<strong>du</strong>rcir sur la misère(\es autres, dirai-je môme de quoi ne pas plaindreles malheurs de sa famille? Un bon financier 1 nepleure ni ses amis, ni sa femme, ni ses enfants,1 Fuyez, retirez-vous ; vous n'êtes pas assez loin. Jesuis, dites-vous, sous l'autre tropique. Passez sous lepôle et dans l'autre hémisphère; <strong>mont</strong>ez aux étoiles,si vous le pouvez. M'y voilà. Fort bien, vous Ôles ensûreté. Je découvre sur la terre un homme avide, insatiable,inexorable, qui veut, aux dépens de tout cequi se trouvera sur son chemin et à sa rencontre, etquoi qu'il en puisse coûter aux autres, pourvoir à luiseul, grossir sa fortune, et regorger de biens.1 Faire fortune est une si belle phrase, et qui ditune si bonne chose, qu'elle est d'un usage universel \on la reconnoit dans toutes les langues ; elle plaît auxétrangers et aux barbares; elle règne à la cour et à laville; elle a percé les cloîtres et franchi les murs des( abbayes de l'un et de l'autre sexe 3 ; il n'y a point deHoux sacrés où elle n'ait pénétré, point de désert nide solitude où elle soit inconnue.j À force de faire de nouveaux contrats, ou de sentirson argent grossir dans ses coffres, on se croit enfinune bonne tôte, et presque capable de gouverner.î II faut une sorte d'esprit pour faire fortune^ etsurtout une grande fortune : ce n'est ni le bon, ni lebel esprit, ni le grand, ni le sublime, ni le fort, .ni lej *bh aux appartements dans lesquels otl rangeait le* meubles de rebut ou ceux-qui ne servaient que par occasion.I» VAR* Un bon partisan*5. Yitw Elle a passé de la cour à ta ufffc, elle a perce tes cloîtres etfranchi tes murs des abbayes de l'un et de Vautre sexe ; il n'y a point de* lieux sacrés ou profanes oit elle n'ait pénétré; on ta reconnoit dans toutesJts tangues; elteptatt aux étrangers, aux barbares; il suffit d'être homme*lour s'en tenir*


'T.33•Sâ:1M'5* *i.:*Sh*1mDES BIENS DE FORTUNE. 123délicat; je ne sais précisément lequel c'est, et j'attendsque quelqu'un veuille m'en instruire \Il faut moins d'esprit que d'habitude ou d'expériencepour faire sa fortune; l'on y songe trop tard,et quand enfin l'on s'en avise, l'on commence par desfautes que l'on n'a pas toujours le loisir de réparer ;de là vient peut-être que les fortunes sont si rares.Un homme d'un petit génie peut vouloir s'avancer;il néglige tout, il ne pense <strong>du</strong> matin au soir, il ne rôvela nuit qu'à une seule chose, qui est de s'avancer. Ila commencé de bonne heure et dès son adolescenceà se mettre dans les voies de la fortune. S'il trouveune barrière de front qui ferme son passage, il biaisenaturellement, et va à droit 2 ou à gauche, selon qu 4Ly voit de jour et d'apparence; et si de nouveaux obstaclesl'arrêtent, il rentre dans le senlier qu'il avoitquitté. Il est déterminé, par la nature des difficultés,tantôt à les sur<strong>mont</strong>er, tantôt à les éviter, ou à prendred'autres mesures; son intérêt, l'usage, les conjonctures,le dirigent. Faut-il de si grands talents et unesi bonne tête à un voyageur pour suivre d'abord legrand chemin, et, s'il est plein et embarrassé, prendrela terre, et aller à travers champs, puis regagnersa première roule, la continuer, arriver à son terme?Faut-il tant d'esprit pour aller à ses fins? tëst-cedoncuu prodige qu'un sot riche et accrédité?Il y a même des slupides, cl j'ose dire des imbécilles,qui se placent en de beaux postes, et qui saventmourir dans l'opulence, sans qu'on les doive soupçonneren nulle manière d'y avoir contribué de leurtravail ou de la moindre in<strong>du</strong>strie; quelqu'un les n1. Vauvenargucs c'est chargé de répondre à la demande de La bruyère t• î.» fortune euge, dil-H, des soins. Il faut çtre souple, amusant, cabaler,n'offenser personne, plaire aux femmes cl aux lunnnies on place, so mêler des,plaisirs et des ruT.iire$, cacher son secret, savoir s'ennuyer ta nuit à table, etjouer trois quadrilles sans quitter la chaise.2. leur à droite»IÊtî* -


124 DKS BIENS DE FORTUNE.con<strong>du</strong>its a la source d'un fleuve, ou bien le hasardseul tes y a fait rencontrer ; on leur a dit : Voulez-vousde l'eau? puisez; et ils ont puisé.J Quand on est jeune, souvent on est pauvre î oul'on n'a pas encore fait d'acquisitions, ou les successionsne sont pas échues. L'on devient riche et vieuxen môme temps : tant il est rare que les hommespuissent réunir tous leurs avantages; et si cela arriveà quelques-uns, il n'y a pas de quoi leur porter envie :ils ont assez à perdre par la mort pour mérrlcr d'ôtreplaints.ï 11 faut avoir trente ans pour songer h sa fortune;clic n'est pas faite à cinquante; l'on balit dans sa vieillesse,et l'on meurt quand on en est aux peintres etaux vitriers.\ Quel est le fruit d'une grande fortune, si ce n'estde jouir de la vanité, de l'in<strong>du</strong>strie, <strong>du</strong> travail et de ladépense de ceux qui sont venus avant nous, et detravailler nous-mômes, de planter, de balir, d'acquérirpour la postérité?\ L'on ouvre et l'on étale tous les matins pour tromperson monde*, et l'on ferme le soir après avoir trompétout le jour.î Le marchand fait des <strong>mont</strong>res pour donner de samarchandise ce qu'il y a de pire ; il a le cati l et lesfaux jours afin d'en cacher les défauts, et qu'elleparoisse bonne; il la surfait pour la vendre plus cherqu'elle ne vaut ; il a des marques fausses et mystérieusesafin qu'on croie n'en donner que son prix, unmauvais aunage polir en livrer le moins qu'il se peut;-et il a un trébuchet afin que celui à qui il l'a livrée lalui paie en or qui soit de poids.ï Dans toutes les conditions, le pauvre est bienproche de l'homme de bien, et l'opulent n'est guèreI. Cati, api>rct propre à rendre les é'offes plus fermes et plus luslrc'ci.r•


*' **^ê .1 » «tl , " » h. • / . - W ^ : " : ^i(DES MENS DE FORTUNE. 125éloigné de la friponnerie. Le savoir-vivre et l'habileténe mènent pas jusques aux énormes richesses.L'on peut s'enrichir dans quelque art, ou dans quelquecommerce que ce soit, par ostentation d'une certaineprobité.De tous les moyens do faire sa fortune, le pluscourt et le meilleur est de mettre les gens à voir clairementleurs intérêts à vous faire <strong>du</strong> bien.T Les hommes, pressés par les besoins de la vie, etquelquefois par le désir <strong>du</strong> gain ou de la gloire, cultiventdes talents profanes, ou s'engagent dans desprofessions équivoques, et dont ils se cachent longtempsà eux-mômes le péril et les conséquences; ilsles quittent ensuite par une dévotion discrète, qui neleur vient jamais qu'après qu'ils ont fait leur récolle,et qu'ils jouissent d'une fortune bien établie.^ Il y a des misères sur la terre qui saisissent lecœur. Il manque à quelques-uns jusqu'aux aliments;ils redoutent l'hiver, ils appréhendent de vivre. L'onmange ailleurs des fruits précoces, l'on force la terreet les saisons pour fournir à sa délicatesse ; de simplesbourgeois, seulement h cause qu'ils étotent riches,ont eu l'audace d'avaler en un seul morceau lanourriture de cent familles. Tienne qui voudra contrede si grandes extrémités; je ne veux être, si je lepuis, ni malheureux ni heureux; je me jette et meréfugie dans la médiocrité,î On sait que les pauvre: sont chagrins de ce quetout leur manque, et que personne ne les soulage;mais s'il est vrai que les riches soient colères, c'estde ce que la moindre chose puisse leur manquer, ouque quelqu'un veuille leur résister.\ Celui-là est riche', qui reçoit plus qu'il no consume; celui-là est pauvre, dont la dépense excède larecette.il.


" t. i/126 DES lilENS DE FORTUNE.Tel, avec deux millions de rente, peut être pauvrechaque année de cinq cent mille livres.II n'y a rien qui se soutienne plus longtemps qu'unemédiocre fortune; il n'y a rien dont on ne voie mieuxla fin que d'une grande fortune.L'occasion prochaine de la pauvreté, c'est de grandesrichesses.S'il est vrai que l'on soit riche de tout ce dont on n'apas besoin, un homme fort riche, c'est un hommequi est sage.S'il est vra; 1.1e l'on soit pauvre par toutes les chosesque l'on désire, l'ambitieuxet l'avare languissentdans une extrême pauvreté.1 Les passions tyrannisent l'homme; et l'ambitionsuspend en lui les autres passions, et lui donne pourun temps les apparences de toutes les vertus. Ce 7Wphonqui a tous les vices, je l'ai cru sobre, chaste,libéral, humble et mémo dévot: je le croirois encore,s'il n'eût enfin fait sa fortune.1 L'on ne se rend point sur le désir de posséder eide s'agrandir; la bile gagne, et la mort approche,qu'avec un visage flétri et des jambes déjà foibles,l'on dit : ma fortune, mon établissement»III n'y a au monde que deux manières de s'élever,ou par sa propre in<strong>du</strong>strie, ou par l'imbécillité desautres.^ Les traits découvrent la complexion et les mœurs ;mais la mine désigne les biens de fortune : le plus oule moins de mille livres de rente se trouve écrit surles visages.jChrysante, homme opulent et impertinent, neveut pas être vu avec Eugène^ qui est homme de mérite,mais pauvre; il croiroit en ôtre déshonoré;Eugène est pour Ghrysante dans les mômes dispositions: ils ne courent pas risque de se heurter.Quand je vois de certaines gens, qui me préve-


DES BIENS DR FORTUNE. 127noient autrefois par leurs civilités, attendre au contraireque je les salue, et en être avec moi sur le plusou sur le moins, je dis en moi-même : Fort bien, j'ensuis ravi, tant mieux pour eux ; vous verrez que cethomme-ci est mieux logé, mieux meublé et mieuxnourri qu'à l'ordinaire; qu'il sera entré depuis quelquesmois dans quelque afiaire, où il aura déjà faitun gain raisonnable. Dieu veuille qu'il en vienne danspeu de temps jusqu'à me mépriser 1T Si les pensées, les livres et leurs auteurs dépendoientdes riches et de ceux qui ont fait une bellefortune, quelle proscription 1 II n'y auroit plus derappel. Quel ton, quel ascendant ne prennent-ils passur les savants 1 Quelle majesté n'observent-ils pas àl'égard de ces hommes chêtifs^ que leur mérite n'a niplacés ni enrichis, et qui en sont encore à penser età écrire judicieusement I II faut l'avouer, le présentest pour les riches, et l'avenir pour les vertueux et leshabiles. HOMèRE est encore et sera toujours : les receveursde droits, les publicains ne sont plus ; ont-ilsété? leur patrie, leurs noms, sont-ils connus? y a-t-ileu dans la Grèce des partisans? Que sont devenus cesimportants personnages qui méprisoient Homère,qui ne songeoientdans la place qu'à l'éviter, qui ne*lui rendoient pas le salut, ou qui le saluoient par sonnom, qui ne dédaignoient pas l'associer à leur table,qui le regardoicnl comme un homme qui n'étoit pasriche, et qui faisoît un livre? Que deviendront lesFauconnets ' ? iront-ils aussi loin dans la postérité queDëSCARTES, ne François et mort en Suède ••î Du môme fond d'orgueil dont on s'élève fièrementm{• Il y avait un l>all de* fermes sous ce nom»î, A Stockholm, le 16 février 1650» — H n'est pas besoin de rappelertoi que Ûeecàrtes, accusé d'alhéîsmo; avait été demander un nsîte à ta reineChristine. La Bruyère» en attaquant si justement l'ignorance des partisan^protciteîci contre ringraliludedc la Franco à l'égard d'un de tes plus gtorietutnhnUè


128 DES BIENS DE FORTUNE.au-dessus de ses inférieurs, l'on rampe vilement devantceux qui sont au-dessus de soi. C'est le proprede ce vice, qui n'est fondé ni sur le mérite personnelni sur la vertu, mais sur les richesses, les postes, lecrédit, et sur de vaines sciences, de nous porterégalement à mépriser ceux qui ont moins que nousde cette espèce de biens, et à estimer trou ceux quien ont une mesure qui excède la nôtreT II y a des âmes sales, pétries de houe et d'or<strong>du</strong>re,éprises <strong>du</strong> gain et de Pinlérel, comme les belles âmesle sont de la gloire et de la vertu; capables d'uneseule volupté, qui est celle d'acquérir ou de ne pointperdre ; curieuses et avides <strong>du</strong> denier dix ;' uniquementoccupées de leurs débiteurs ; toujours inquiètessur le rabais ou sur le décri des monnoics; enfoncéeset comme abîmées dans les contrats, les titres et lesparchemins. De telles gens ne sont ni parents, niamis, ni citoyens, ni chrétiens, ni peut-être des hommes: ils ont de l'argent.T Commençons par excepter ces âmes nobles etcourageuses, s'il en reste encore sur la terre, secourables,ingénieuses à faire <strong>du</strong> bien, que nuls besoins,nulle disproportion, nuls artifices, ne peuvent séparerUc ceux qu'ils se sont une fois choisis pour amis ; cl,après celte précaution, disons hardiment une chosetriste et douloureuse a imaginer i il n'y a personneau monde si bien lié avec nous de société et de bienveillance,qui nous aime, qui nous goûte, qui nousfait mille offres de services, et qui nous sert quelquefois,qui n'ait en soi, par attachement à son intérêt,des dispositions très-proches à rompre avec nous, eth devenir notre ennemi.^ Pendant qyfOronte augmente avec ses années sonfonds et ses revenus, une fille naît dans quelque famille,s'élève, croit, s'embellit, et entre dans saseizième année ; il se fait prier à cinquante ans pour


DES BIENS DE FORTUNE. 129l'épouser, jeune, belle, spirituelle î cet homme sansnaissance, sans esprit et sans le moindre mérite, estpréféré à tous ses rivaux.î Le mariage, qui devroit être à l'homme une sourcede tous les biens, lui est souvent, par la dispositionde sa fortune, un lourd fardeau sous lequel il succombe: c'est alors qu'une femme et des enfants sontune violente tentation à la fraude, au mensonge, etaux gains illicites ; il se trouve entre la friponnerie etl'indigence : étrange situation .Épouser une veuve, en bon françois, signifie faires a fortune ; il n'opère pas toujours ce qu'il signifie.T Celui qui n'a de partage avec ses frères que pourvivre à l'aise bon praticien 1 veut être officier; le simpleofficier se fait magistrat, et le magistral veut présider; et ainsi de toutes les conditions où les hommeslanguissent serrés et indigents après avoir tenté audelà de leur fortune, et forcé, pour ainsi dire, leurdestinée, incapables tout à la fois de ne pas vouloirêtre riches et de demeurer riches.1 Dîne bien, Cléarquc t soupe le soir, mets <strong>du</strong> boisau feu, achète un manteau, tapisse la chambre : tun'aimes point ton héritier; tu ne le connois point, tun'en as point.ï Jeune, on conserve pour sa vieillesse; vieux, onépargne pour la mort* L'héritier prodigue paie desuperbes funérailles, et dévore le reste.1 L'avare dépense plus mort, en un seul jour, qu'ilne faisoit vivant en dix années ; et son héritier plusen dix mois, qu'il n'a su faire lui-même en toute savie.1 Ce que Ton prodigue, on l'ôte h son héritier î cei. Praticien, au dlwoptième sicetc, te «lisait dos avocats et procureurs.—Otëcier doit s'entendre ici de celui qui remplit uirccharge ouofiiccde justice.*— Le simple officier était un juge subalterne qui rendait la justice au nomd'un seigneur dans ses terres, et le magistrat un juge qui la rendoit au nom<strong>du</strong> roi dans un siège royal.


130 DES UIENS 0E FORTUNE.que Ton épargne sordidement, on se l'Ole à soi-mômevLe milieu est justice pour soi et pour les autres.4'Les enfants peut-être seroient plus chers à leurspôres, J et, réciproquement, les pères à leurs enfants,sans lo titre d'héritiers l ,î Triste condition de l'homme, et qui dégoûte de lavie! il faut suer, veiller, fléchir, dépendra, pouravoir un peu de fortune, ou la devoir h l'agonie donos proches. Celui qui s'cmpôche de souhaiter queson père y passe bientôt est homme de bien,T Le caractère de celui qui veut hériter de quelqu'unrentre dans celui <strong>du</strong> complaisant : nous nesommes point mieux flattés,mieux obéis, plus suivis,plus entourés, plus cultivés, plus ménagés, plus caressésde personne pendant notre vie, que de celuiqui croit gagner à notre mort» et qui désire qu'ellearrive. % .î Tous les hommes, par lès postes différents, parles titres et par les successions, se regardent commehéritiers les uns des autres, et cultivent par cet intérêt,pendant tout le cours de leur vie, un désir secretet enveloppé de la mort d'autrui ; le plus heureuxdans chaque condition est celui qui a plus de chosesà perdre par sa mort, et à laisser à son successeur.T L'on dit <strong>du</strong> jeu qu'il égale les conditions ; maiselles se trouvent quelquefois si étrangement disproportionnées,et il y a entre telle et telle condition unabîme d'intervalle si immense et si profond, que lesyeux souffrent de voir de telles extrémités se rapprocher: c'est comme une musique qui détonne, ce son|comme des couleurs mal assorties, comme desparolesqui jurent et qui offensent l'oreille, comme de cesbruits ou de ces sons qui font frémir; c'est, en unmot, un renversemenVdc toutes les bienséances. SiI. L'intérêt nous console de la mott donc? proches comme l'amitié nowconsolait de Irur «ic (YACVEIURIUES.)


DES BIENS DE FORTUNE. 131l'on m'oppose que c'est la pratique de tout l'Occident,je réponds que c'est peut-être aussi l'une de ceschoses qui nous rendent barbares à l'autre partie <strong>du</strong>monde, et que les Orientaux qui viennent jusqu'ànous remportent sur leurs tablettes ; je ne doute pasmôme que cet excès de familiarité ne les rebute davantageque nous ne sommes blessés de leur zombaye 1et de leurs autres prosternations.t Une tenue d'étals, ou les chambres assembléespour une affaire très-capitale, n'offrent point auxyeux rien de si grave et de si sérieux qu'une table degens qui jouent unegrand jeu: une triste sévérité règnesur leur visage ; implacables l'un pour l'autre, et irréconciliablesennemis pendant que la séance <strong>du</strong>re, ilsnereconnoissent plus ni liaisons, ni alliance, ni naissance,ni distinction. Le hasard seul, aveugle et farouchedivinité, préside au cercle, et y décide souverainement; ils l'honorent tous par un silence profond,et par une attention dont ils sont partout ailleurs fortincapables; toutes les passions, comme suspen<strong>du</strong>es,cèdent à une seule : le courtisan alors n'est ni doux,ni flatteur,ni complaisant 2 , ni môme dévot.} L'on ne reconnoît plus en ceux que le jeu et legain ont illustrés la moindre trace de leur premièrecondition. Ils perdent de vue leurs égaux, et atteignentles plus grands seigneurs, Il est vrai que la fortune<strong>du</strong> dé ou <strong>du</strong> lansquenet les remet souvent où elleles a pris.^ Je ne m'étonne pas qu'ily ait des brelans publics,comme autant de pièges ten<strong>du</strong>s à l'avarice des hommes,comme des gouffres où l'argent des particulierstombe et se précipite sans retour, comme d'affreux1. Yoyei les relations <strong>du</strong> royaume de Siara. (Noie de La Bruyère.)"2. Les Mémoires de Saint-Simon attestent à quel point la passion <strong>du</strong> jeu«tait portée à la cour de Louis XIY. Il cite des faits 1 qui prouvent que certainsjoueurs <strong>mont</strong>raient peu de scrupule dans le palais même <strong>du</strong> roi, qui jouaitaussi gros jeu. C'était te brelan qui était à la mode. (CDéBCIL.)


132 DES BIENS DE FORTUNE,écucils où les joueurs viennent se briser et se perdre;qu'il parte de ces lieux des émissaires pour savoir àheure marquée qui a descen<strong>du</strong> h terro avec u:. argentfrais d'une nouvelle prise, qui a gagné v.n procès |d'où on lui a compté une grosse somme, qui a reçuun don, qui a fait au jeu un gain considérable, quelfds de famille vient de recueillir une riche succession,ou quel commis imprudent veut hasarder sur unecarte les deniers de sa caisse. C'est un sale et indignemétier, il est vrai, que de tromper ; mais c'est un métierqui est ancien, connu, pratiqué de tout tempspar ce genre d'hommes que j'appelle desbrelandiers.L'enseigne est à leur porte, on y liroit presque : Icil'on trompe de bonne foi, car se voudroient-ils donnerpouri rréprochables? Qui ne sait pas qu'entrer etperdre dans ces maisons est une môme chose ? Qu'ilstrouvent donc sous leur main autant de <strong>du</strong>pes qu'ilen faut pour leur subsistance, c'est ce qui me passe.j Mille gens se ruinent au jeu, et vous disent froidementqu'ils ne sauroient se passer de jouer : quelleexcuse 1 Y a-t-il une passion, quelque violente ouhonteuse qu'elle soit, qui ne pût tenir ce môme langage?Seroit-on reçu a dire qu'on ne peut se passerde voler, d'assassiner, de se précipiter? Un jeu effroyable,continuel, sans retenue, sans bornes, où l'onn'a en vue que la ruine totale de son adversaire, où l'on "est transporté <strong>du</strong> désir <strong>du</strong> gain, désespéré sur lajperte, |consumé par l'avarice, où l'on expose sur une carte*ou à la fortune <strong>du</strong> dé là sienne propre, celle de sa .femme et de ses enfants, est-ce une chose qui soitpermise ou dont l'on doive se passer? Ne faut-il pas j|quelquefois se faire une 1 grande violence, lorsque,poussé par le jeu jusques à. une déroute universelle, ilfaut môme qu'on se passe d'habits et de nourriture,et de les fournir à sa famille?Je ne permets à personne d'ôtre fripon, mais jer*JPt%1.FNt% tjÇV


DES BIENS DE FORTUNE. 133permets à un fripon de jouer grand jeu; je le défendsh un honnête homme. C'est une trop grande puérilitéque de s'exposer à une grande perte.^ Il n'y a qu'une affliction qui <strong>du</strong>re, qui est cellequi vient de la perte des biens : le temps qui adoucittoutes les autres aigrit celle-ci. Nous sentons à toumoments, pendant le cours de notre vie, ou le bien41&que nous avons per<strong>du</strong> nous manque.S'. '!'•T II fait bon avec celui qui ne se sert pas de son|| bien à iv icr ses filles, à payer ses dettes, ou àes faire des contrats, pourvu que l'on ne soit ni ses enfants,ni sa femme,ï Ni les troubles, Zënobie, qui agitent votre empire,| ni la guerre que vous soutenez virilement contre unenation puissante depuis la mort <strong>du</strong> roi votre époux,$,Ir **- ThfÂne diminuent rien de votre magnificence. Vous avezpréféré à toute autre contrée les rives de l'Euphratepour y élever un superbe édifice : l'air y est sain ettempéré, la situation en est riante, un bois sacrél'ombrage <strong>du</strong> côté <strong>du</strong> couchant. Les dieux de Syrie,qui habitent quelquefois la terre, n'y auroient puchoisir une plus belle demeure. La campagne autourest couverte d'hommes qui taillent et qui coupent,qui Yont et qui viennent, qui roulent ou qui charrientle bois <strong>du</strong> Liban, l'airain et le porphyre ; les grues etles machines gémissent dans l'air, et font espérer àceux qui voyagent vers l'Arabie de revoir à leur retouren leurs foyers ce .'palais achevé, et dans cettesplendeur où vous désirez de le porter, avant de l'habiter,vous et les princes vos enfants. N'y épargnezrien, grande reine ; employez-y l'or et tout l'art dosplus excellents ouvriers; que les Phidias et les Zeuxisde votre siècle déploient toute leur science sur vosplafonds et sur vos lambris ; tracez-y de vastes et dedélicieux jardins, dont l'enchantement soit tel qu'ilsne paraissent pas faits de la main des hommes; épui-


4- f>.


i-jî.'i-.V r*. • £-: :*,V".*¥•I6?r ÂitDES TIENS IIP, POIITUXB. 155\ La cause la plus immédiate de la ruine et de ladéroule dos personnes des deux conditions, de la robecl de l'épéc, est que l'état seul, et non le bien, règlela dépense.\ Si vous n'avez rien oublié pour votre fortune, queltravail! si vous avez négligé la moindre chose, quelrepentir l^ Giton a le teint frais, le visage plein et les jouespendantes,l'œil fixe et assuré, les épaules larges, l'estomachaut, la démarche ferme et délibérée. H parleavec confiance; il fait répéter celui qui l'entretient,et il ne goûte que médiocrement toirt ce qu'il lui dit.Il déploie un ample mouchoir, et se mouche avecgrand bruit; il crache fort loin, et il éternue forthaut. Il dort le jour, il dort la nuit, et profondément;il ronfle en compagnie. Il occupe a table et à la promenadeplus de place qu'un autre; il lient le milieuen se promenant avec ses égaux ; il s'arrête, et l'ons'arrête; il continue démarcher, et l'on marche : tonsse règlent sur lui. Il interrompt, il redresse ceux quiont la parole; on ne l'interrompt pas, on l'écouteaussi longtemps qu'il veut parler; on est de son avis,on croit les nouvelles qu'il débite. S'il s'assied, vous*le voyez s'enfoncer dans un fauteuil, croiser les jambesl'une sur l'autre, froncer le sourcil, abaisser sonchapeau sur ses yeux pour ne voir personne, ou lerelever ensuite, et découvrir son front par fierté etpar audace. Il est enjoué, grand rieur, impatient,présomptueux, colère, libertin, politique, mystérieuxsur les affaires <strong>du</strong> temps; il se croit des talents et del'esprit. Il est riche.Phêdon a les yeux creux, le teint échauffé, le corpssec et le visage maigre. Il dort peu, et d'un sommeilfort léger; il est abstrait, rêveur, et il a avec de l'espritPair d'un stupide. Il oublie de dire ce qu'il sait,ou <strong>du</strong> parler d'événements qui lui sont connus ; cts'il le


I\? .•5:.136 DES BIENS DE FORTUNE.fait quelquefois, il s'en lire mal/11 croit peser à ceuxa qui il parle ; il conte brièvement, mais froidement;.il ne se fait pas écouter, il ne fait point rire. Il applaudit,il sourit à ce que les autres lui disent, il estde leur avis ; il court, il vole pour leur rendre depetits services. Il est complaisant, flatteur, empressé;il est mystérieux sur ses affaires, quelquefois menteur;il est superstitieux, scrupuleux, timide. Il marchedoucement et légèrement; il semble craindre defouler la terre ; il marche les yeux baissés, et il n'oseles lever sur ceux qui passent. Il n'est jamais <strong>du</strong> nombrede ceux qui forment un cercle pour discourir ; ilse met derrière celui qui parle, recueille furtivementce qui se dit, et il se retire si on le regarde. Il n'occupepoint de lieu, il ne tient point déplace ; il va leseépaules serrées, le chapeau abaissé sur ses yeux pour |fin'être point vu ; il se replie et se renferme dans sonmanteau. Il n'y a point de rues ni de galeries si embarrasséeset si remplies de monde où il ne trouver**eimoyen de passer sans effort, et de se couler sans être |-A.aperçu. Si on le prie de s'asseoir, il se nict à peine,sur le bord d'un siège. Il parle bas dans la conversation,et il articule mal ; libre néanmoins lù'isur lest*Mr >affaires publiques, chagrin contre le siècle, médiocrementprévenu des ministres et <strong>du</strong> ministère. Il n'oujvre la bouche que pour répondre; il tousse, il se |?s V4â"mouche-sous son chapeau; il crache presque sur soi,et il attend qu'il soit seul pour éternuer, ou, si celalui arrive, c'est à HHSU de la compagnie; il n'en !coûte à personne ni salut ni compliment. Il estpauvre,I.v m.Avec ses amis.terïfJV


I •-'ilDE LA VILLE.,.*wjfr-|*•aM*L'on se donne à Paris, sans se parler, comme unrendez-vous public 1 , mais fort exact, tous les soirs,au Cours * ou aux Tuileries, pour se regarder au visageet se désapprouver les uns les autres.L'on ne peut se passer de ce môme monde que l'onn'aime point, et dont l'on se moque.L'on s'attend au passage réciproquement dans unepromenade publique, l'on y passe en revue l'un devantl'autre. Carrosse, cnevaux, livrées, armoiries,rien ;n'échappe aux yeux, tout est curieusement oumalignement observé ; et, selon le plus ou le moinsde l'équipage, ou l'on respecté les personnes, où onles dédaigne.1" Tout le monde connoît cette longue levée quiborne et qui resserre le lit de la Seine <strong>du</strong> côté où elleentre à Paris avec la Marne, qu'elle vient de recevoir 8 :les hommes s'y baignent au pied pendant les chaleursde la canicule ; on les voit de fort près se jeter dansl'eau; on les en voit sortir : c'est un amusement.Quand cette saison n'est pas venue, les femmes de laville ne s'y promènent pas encore ; et quand elle estpassée, elles ne s'y promènent plus.fDans ces lieux d'un concours général 4 , où lesfemmes se rassemblent pour <strong>mont</strong>rer une belle étoffe,et pour recueillir le fruit de leur toilette, on ne sepromène pas avec une compagne par la nécessité de1. VAS. Rendei'vous général*S. Le Cours-la-Reine, entre la grande allée des Champs-Elysées cl laSeine.3. Le quai Saint* Bernard.4. Probablement lt jardin des Tuileries.iS.


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11DE LA VILLE. 139années cependant ne passent point sur une môme&| coterie; il y a toujours, dès la première année, desNisemences de division pour rompre dans celle qui doitI suivre. L'intérêt de la beauté, les incidents <strong>du</strong> jeu,l'extravagance des repas, qui, modestes au commen-§§ cernent* dégénèrent bientôt en pyramides de viandesS" et en banquets somptueux, dérangent la république,et lui portent enfin le coup morloî ; il n'est en fortmF*-| peu de temps non plus parlé de celle nation que desA-mouebes de l'année passée.jj j II y a dans la ville la grande et la petite p obe ; et lapremière se venge sur l'autre des dédains de la cour,]§ et des petites humiliations qu'elle y essuie. De savoirquelles sont leurs limites, où la grande finit, et où la§§ petite commence, ce n'est pas une chose facile. Il ^trouve même un corps considérable qui refuse d'êtreIj•>srR»1<strong>du</strong> second ordre, et à qui l'on conteste le premier ' îil ne se rend pas néanmoins, il cherche au contraire,par la gravité et par la dépense, à s'égaler à la magistrature,ou ne lui cède qu'avec peine : on l'entend direque ta noblesse de son emploi, l'indépendance de saprofession, le talent de la parole et Je mérite personnelbalancent au moins les sacs de mille francs quele fils <strong>du</strong> partisan ou <strong>du</strong> banquier a su payer pour souoffice.\ VoJJ moquez-vous de rêver en carrosse, ou peutêtrede vous y reposer? Vite, prenez votre livre ouvos papiers, lisez, ne saluez qu'à peine ces gens quipassent dans leur équipage. Ils vous en croiront plusoccupé; ils diront : Cet homme est laborieux, infatigable; il lit, il travaille jusque dans les rues ou surla route. Apprenez <strong>du</strong> moindre avocat qu'il faut paroltreaccablé d'affaires, froncer le sourcil, et rêverà rien" très-profondément, savoir* à propos perdre lei, Les avocats


HODE LA VILLE.boire et le manger, ne faire qu'apparoir dans sa maison,s'évanouir et se perdre comme un fantôme dansle sombre de son cabinet, se cacher au public, éviterle théâtre, le laisser à ceux qui ne courent aucun risqueà s'y <strong>mont</strong>rer, qui en ont à peine le loisir, auxGOMONS, aux DUIIAMELS *.1 II y a un certain nombre de jeunes magistrats queles grands biens et les plaisirs ont associés £ quelquesunsde ceux qu'on nomme à la cour de petits-înaîtrès:ils les imitent, ils se tiennent fort au-dessus de lagravité de la robe, et se croient dispensés par leurâge et par leur fortune à être sages et modérés. Ilsprennent de la cour ce qu'elle a de pire : ils s'approprientla vanité, la mollesse, l'intempérance, le libertinage,comme si tous ces vices leur étoient <strong>du</strong>s, et,affectant ainsi un caractère éloigné de celui qu'ils ontà soutenir, ils deviennent enfin, selon leurs souhaits,des copies fidèles de très-méchants originaux *,T Un homme de robe à la ville, et le môme à lacour, ce sont deux hommes. Revenu chez soi, il reprendses mœurs, sa taille et son visage, qu'il yavôit laissés : il n'est plus ni si embarrassé ni sihonnête.T, Les Crispim se cotisent et rassemblent dansleur famille jusques à six chevaux pour allonger unéquipage qui, avec un essaim de gens de livrée où ilsont fourni chacun leur part, les fait triompher auCours ou à Yincennes, et aller de pair avec les nouvellesmariées, avec Ja$on , qui se ruine , et avec


V^i'.bDE LA VILLE.armes ; la braftcho aînée, la branche cadette, les cadetsde la seconde branche ; ceux-là portent les armespleines ', ceux-ci brisent d'un lambcl, et les autresd'une bor<strong>du</strong>re dentelée. Ils ont avec les BOURBONS,sur une môme couleur, un môme métal ; ils portent,comme eux, deux et une. Cène sont pas des fleursdelis, mais ils s'en consolent; peut-être dans leur cœurtrouvent-ils leurs pièces aussi honorables, et ils lesont communes avec de grands seigneurs qui en sontcontents. On les voit sur les litres * et sur les vitrages,sur la porte de leur château, sur le pilier de leurhaute-justice, où ils viennent de faire pendre unhomme qui méritoit le bannissement. Eltcs s'offrentaux yeux de toutes parts : elles sont sur les meubleset sur les serrures; elles sont semées sur les carrosses.Leurs livrées ne déshonorent point leurs armoiries.Je dirois volontiers aux Sannions : Votrefolie est prématurée; attendez <strong>du</strong> moins que le siècles'achève sur votre race; ceux qui ont vu votre grandpère,qui lui ont parlé, sont vieux, et ne sauroientplus vivre longtemps. Qui pourra dire comme eux :Là il étaloit, et vendoit très-cher • ?Les Sannions et Uts Grispins veulent encore davantageque l'on dise d'eux qu'ils font une grande dépense,ï4l>?•i.i. Les armes pleines n'ont aucune autre pièce de blason que celles qu'ellesavaient à l'origine, et auxquelles ou n'a rien ajouté. Telles sont tes anciennesarmes de France, d'azur à trois fleurs de lis d'or» Ces armes, ainsi que l'indiqueLa Bruyère, appartiennent aux branches aînées* ~-Brt$et d'un lambcl,c'est placer horizontalement sur les armoiries une tringle à trois pendants,un au milieu, deux au\ extrémités; — la bor<strong>du</strong>re est une pièce en forme deceinture qui environne l'écu. C'est par ces pièces de rapport que les armes bri*secs se distinguent des armes pleines.2* Les litres étaient des bandes noires qu'on tendait autour des églises oudes chapelles, aux enterrements des seigneurs, et sur lesquelles c*i appliquaitleurs armoiries.3» Ces détails ont clé appliqués aux de Lesseville, dont les ancêtres, richestanneurs, avaient reçu des lettres de noblesse de Kenri IV % auquel ils avaientprêté de l'argent après la bataille d'hry. Mais le travers que relève ici LaBruyère a été dans tous les temps, y compris le nôtre, si général en France,que rutre auteur n'avait pas beîoîn de particulariser.Jte;v;,f


F%4Il' | _ï *'àIff'iiH2DR LA VILLE.qu'ils n'aiment à la faire. Ils font un récit long et ennuyeuxd'une fôtc ou d'un repas qu'ils ont donné; ilsdisent l'argent qu'ils ont per<strong>du</strong> au jeu, et ils plaignentfort haut celui qu'ils n'ont pas songé à perdre, Ilsparlent jargon et mystère sur de certaines femmesils ont réciproquement cent choses plaisantes à se con*ter; Us ont fait depuis peu des découvertes; ils se pas*sent les uns aux autres qu'ils sont gens à belles aven-| tures. L'un d'eux, qui s'est couché tard à la campagne,et qui voudroit dormir, se lève matin, chausse desguêtres, endosse un habit de toile, passe un cordonoù pend le fourniment, renoue ses.cheveux, pren<strong>du</strong>n fusil : le voilà chasseur, s'il liroit bien. 11 revientV-V -*"' t,_fp:'de nuit, mouillé et recru, sans avoir tué. Il retourneà la chasse le lendemain, et il passe tout le jour àmanquer des grives ou des perdrix,Un autre, avec quelques mauvais chiens, auroit enviede dire : Ma meute. Il sait un rendez-vous de chasse,il s'y trouve, il est au laisser-côurre ; il entre dans lefort, se môle avec les piqueurs, il a un cor. Il ne ditpas, comme Ménalippe ' : Ai-jc <strong>du</strong> plaisir? il croit enavoir. Il oublie lois et procé<strong>du</strong>re : c'est un Hippolyte.Mênandre t qui le vit hier sur un procès qui est entreses mains, ne reconnoîlroit pas aujourd'hui son rap-porteur. Le voyez-vous le lendemain à sa chambre,où l'on va juger une cause grave et capitale ? Il se.faitentourer de ses confrères, il leur raconte comme iln'a point per<strong>du</strong> le cerf de meute, comme il s'estétouffé de crier après les chiens qui étoient en dé-faut, ou après ce'ux des chasseurs qui prenoient lechange; qu'il a vu donner les six chiens. L'heurepresse ;.il achève de leur parler des abois et do la curée, et il court s'asseoir avec les autres pour juger,It-*f$£•5-;> ' 1. De Nouveau, surintendant des postes» ^Ce Nouveau, un jour, au com*jvî 'trienremeut qu'il cul un équipage de chasse» couraut un cerf, demanda à tontv /teneur tilf-/tf bien <strong>du</strong> plaisir?» (TALLCUAST DtsKijiux*)s* ->


i'^Ifk&"Ha vaiif*3*t)E LA YILIR. 143^ Quel est l'égarement de certains particuliers qui,s| riches <strong>du</strong> négoce de leurs pères, dont ils viennent derecueillir la succession, se moulent sur les princespour leur garde-robe et pour leur équipage, excitent,par une dépense excessive et par un faste ridicule,^les traits et la raillerie de toute une ville qu'ilscroient éblouir, et se ruinent ainsi à se faire moquerde soi !Quelques-uns n'ont pas môme le triste avantage derépandre leurs folies plus loin que le quartier où ilshabitent : c'est le seul théâtre de leur vanité. L'on nesait point dans l'Ile qu'André ' brille au Marais etqu'il y dissipe son patrimoine; <strong>du</strong> moins, s'il étoitconnu dans toute la ville et dans ses faubourgs, ilseroit difficile qu'entre un si grand nombre de citoyensqui ne savent pas tous juger sainement * de touteschoses il ne s'en trouvât quelqu'un qui diroit de lui :// est magnifique, et qui lui tiendroit compte des régalsqu'il fait à Xante et à Ariston, et des fêtes qu'il donne» à Elamire. Mais il se ruine obscurément î ce n'estqu'en faveur de deux ou trois personnes 8 , qui ne l'estimentpoint, qu'il court h l'indigence, et qu'aujourd'huien carrosse, il n'aura pas dans six mois lemoyen d'aller à pied.^ Narcisse se lève le matin pour se coucher le scir ;il a ses heures de toilette comme une femme; il vatous les jours fort régulièrement à la belle messe auxFeuillants ou aux Minimes; il est homme d'un boncommerce, et l'on compte sur lui au quartier de **pour un tiers ou pour un cinquième à l'hombre ou aureversi. Là il tient le fauteuil quatre heures de suitechez Aricie> où il risque chaque soir cinq pistolesd'or. Il lit exactement la Gazette de Hollande et le•1. VAR. Qu'Onuphrt, *2. Vxn. Sûrement* /3. VAR. De cinq ou six personne*.


* - s•r *-A "a, " «I.'%. 144 DR. LA VILLE.Mercure galant; il a lu Bergerac 1 , Des Marcts ', Les-| clache 8 , les Historiettes de Barbin *, et quelques re-| • cueils de poésies. Il se promène avec des femmes à la^ , Plaine ou au Cours, et il est d'une ponctualité rcli-Ii gieuse sur les visites. Il fera demain ce qu'il faitaujourd'hui et ce qu'il Ht hier, et il meurt ainsi aprèsavoir vécu. -| \ Voilà un homme, dites-vous, que j'ai vu quelquepart ; de savoir où, il est difficile, mais son visage,m'est familier. Il l'est à bien d'autres, et je vais, s'ilse peut, aider votre mémoire» Est-ce au boulevardsur un strapontin, ou aux Tuileries dans la grandeallée, ou dans le balcon à la comédie? Est-ce au scrmon,au bal, à Rambouillet 6 ? Où pourriez-vous nel'avoir point vu? où n'cst-il point? S'il y a dans laplace une fameuse exécution ou un feu de joie, ilparoît à une fenêtre de l'hôtel de ville ; si l'on atten<strong>du</strong>ne magnifique entrée, il a sa place sur unéchafaud;s'il se fait un carrousel, le voilà entré, et placé surl'amphithéâtre; si le roi reçoit des ambassadeurs, il Ueu Pcrigord* vers 1620» auteur <strong>du</strong> Pédant jouêci <strong>du</strong> Voyage dans ta lune,mort en 16552, SalnUSorlin. (ï'otede ta Bruyère) — Des Marels de Saint*Sorlln, l'un •Ades premiers membres de l'Académie française, aufeur d 1 Àspa&te> des Ftfsionnaires,de Miraïuiphèh, Paris en ibOS» mort en 1676»p3> Louis de Lescldchc, tié vers 1630» en Auvergne, mort en 1671, avait ^|ouvert à Parts une école de grammaire et de philosophie qui eut pendant queU f|que temps un grand sucées, mais que la philosophie de bescartes fit bientôt mdéserter» On remarquera que La Bruyère n'indique à dessein, parmi les au*tour* favoris de Narchse, aucun des grands écrivains <strong>du</strong> dit-septième j|ttlècie.4» Recueil d'anecdotes publiées par le libraire Barbin»b. L'endos d* Rambouillet, dans le faubourg SatnUÀulome, ||t-H_'. "*_#6 :*


¥ s.* ti . "\ •iDE u VILLE* 145sente.? le peuple ou l'assistance. Il y a une chassepublique, une Sawt-Hubert t le voilà à cheval ; onpane parle d'un aun camp et d'une aune revue, il u est jx a uuiiics, Quilles, u il està Achôres. Il aime les troupes, la milice,La guerre,il la voit de près, et jusques au fort de Bernardi.CHAMLEY sait les marches , JACQUIER les vivres, Du-METZ l'artillerie 1 . Celui-ci voit, il a vieilli sous le harnoisen voyant; il est spectateur de profession ; il nefait rien de ce qu'un homme doit faire, il ne sait riende ce qu'il doit savoir, mais il avu, dit-il, toutee qu'onpeut voir, et il n'aura point regret de mourir. Quelleperte alors pour toute la ville l Qui dira après lui : LeCours est fermé, on ne s'y promène point ; le bourbierde Vincenncs est desséché et releva, on n'y verseraplus? Qui annoncera un concert, un beau salut, unprestige de la foire? Qui vous avertira que Baumavicilcmourut hier, que 3 Rochois est enrhumée et ne chanterade huit jours? Qui connoltra comme lui un bourgeoish ses armes et à ses livrées? Qui dira i Scapinporte des fleursde lis, et qui en sera plus édifié? Quiprononcera avec plus de vanité et d'emphase le nomd'une simple bourgeoise? Qui sera mieux fourni devaudevilles? Qui prêtera aux femmes les Annalesgâtantes et le Journal amoureux? Qui saura commelui chanter à table tout un dialogue de VOpcm> et lesfureurs de Roland dans une ruelle? Enfin, puisqu'il ya à la ville comme ailleurs de fort sottes gens, desgens fades, oisifs, désoccupés, qui pourra aussi parfaitementleur convenir?î Thêramhne étoit riche et avoit <strong>du</strong> mérite; il ahérité i il est donc très-riche et d'un très-grand mé*rite. Voilà toutes les femmes en campagne pour1. Jacquier, mutiltlonnalre dettivresf Dutr.cti, lieutenant général de Par*tillerlc. — Yitn Dans la 8 e édition, au Heu àt'Jacquittl'artillerie, ou lit i Vaubati hs sièges*tes thrëë, Dumctt2. Marthe de llochols, ch&utcuse de l'Osera*13


I .;.'fï >it '•s.i• ii *i '•t.'fr..MODE LA VILLE.l'avoir pour galant et toutes les filles pour épouseur» IIva de maison en maison faire espérer aux mères qu'ilépousera. 1 Est-il assis, elles se retirent, pour laisser àI leurs filles toute la liberté d'être aimables, et à Thé*ramène de faire ses déclarations. Il tient ici contre lemortier 1 ; là, il efface le cavalier ou le gentilhomme.Un jeune homme fleuri, vif, enjoué, spirituel, n'estpas souhaité plus ardemment ni mieux reçu ; on sel'arrache des mains, on a à peine le loisir de sourireà qui se trouve avec lui dans une môme visite '» Combiende galants va-t-il mettre en déroute 1 quels bonspartis ne fera-t-il pas manquer! Pourra-Ul suffire àtant d'héritières qui le recherchent? Ce n'est pas seulementla terreur des maris, c'est l'épouvantai! detous ceux qui ont envie de l'être, et qui attendentd'un mariage à remplir le vide de leur consignation*.On devroit proscrire de tels personnages si heureux,'si pécunicux, d'une ville bien policée, ou condamnerle sexe, sous peine de folie ou d'indignité, à neles traiter pas mieux que s'ils n'avoient que <strong>du</strong>mérite.'ï Paris, pour '/ordinaire le singe de la cour, ne saitpas toujours la contrefaire; il ne l'imite en aucunemanière dans ces dehors agréables et caressants quequelques courtisans, et surtout les femmes, y ont naturellementpour un homme de mérite, et qui n'amôme que <strong>du</strong> mérite. Elles ne s'informent ni de ses!• C'est-à-dire contre tes hauts dignitaire» <strong>du</strong> parlement, qui portaientpour coiffure un bonnet nommé mortier*i, Vin, Ce qui se trouve entre lei mots épouseur et U lient ett une addl*Monde laS'édit. Oit lit dau» le» S*, 6* et 7* t H tient ici contre le mortier ; làil le dispute au cavaltet ou au genllUiomme ; on se Varrache des mains; unjeune homme (leuri, vif, enjoué, spirituel, ne setott pas souhaité plus ardemmentnt mieux reçu; son char demeurolt aux portes, (t entre dans lescours, tout lui est ouvert* Dans la 8 e édition» le second membre de phrase,son char, etc., a été remplace bien heureusement par cette piquante observa*lîoa t OH a à peint te loisir de sourire à qui se trouve avec lut dans unemême visite* (A. Dtstàiutun.)S. Le vide de leur consignation i e'est*à*dire te manque d'argent quiIci empêche de couiigner le» fonds nécessaires à l'acquisition d'une charge.viÇ-Sfip(p• r4' ,m,.T':ïm&.*C'A


} ', V. 1DE U VILLE, 147contrats ni de ses ancêtres; elles le trouvent à la cour,cela leur suffit; elles le souffrent, elles l'estiment;elles ne demandent pas s'il est venu en chaise deposte ou à pied, s'il a une charge, une terre ou unéquipage. Comme elles regorgent de tram, de splendeuret de dignité, elles se délassent volontiers avecla philosophie ou la vertu. Une femme de ville entendellele bruissement d'un carrosse qui s'arrête à saporte, elle pétille de goût et de complaisance pourquiconque est dedans, sans le connottre ; mais si ellea vu de sa fenêtre un bel attelage, beaucuup de livrées,et que plusieurs rangs de clous parfaitementdorés l'aient éblouie, quelle impatience n'a-t-elle pasde voir déjà dans sa chambre le cavalier ou le magistratl Quelle charmante réception ne lui fera-t-ellepoint? Otera-t-elle les yeux de dessus lui? Il ne perdrien auprès d'elle ; on lui tient compte des doublessoupentes et des ressorts qui le font rouler plus mollement;elle l'en estime davantage, elle l'eu aimemieux.^ Celte fatuité de quelques femmes de la ville, quicause en elles une mauvaise imitai ion de celles dela cour, est quelque chose do pire que la grossière 10des femmes <strong>du</strong> peuple et que la rusticité des villageoises; elle a sur toutes deux l'affectation de plus»î La subtile invention, de faire de magnifiques présentsdo noces qui no coûtent rien, et qui doiventêtre ren<strong>du</strong>s en espèces ! 'î L'utile et la louable pratique, de perdre en fraisde noces le tiers de la dot.qu'unc femme apporte t decommencer par s'appauvrir de concert par l'amas etl'entassement de choses superflues, et de prendredéjà sur son fonds de quoi payer Gaultier *, les meiHblés et la toilette tI. Fcitneiu marchand d'étoffe» d


• yrv\ •• •sF/t4•>•i, *L! i1« *•.»r*A9148 ni? LA VILLE.T Le bel et le judicieux usage, que celui qui, préférantune sorte d'effronterie aux bienséances et a la 1U)pudeur, expose une femme d'une seule nuit 1 Fsurun lit comme sur un théâtre, pour y faire pendantquelques jours un ; ridicule personnage, et la livre encet état à la curiosité des gens de l'un et dp l'autre-ïsexe, qui, connus ou inconnus, accourent de touteune ville à ce spectacle pendant qu'il <strong>du</strong>rci Que man- ,quc-t-il'à une'telle coutume, pour être entièrementbizarre et incompréhensible, que d'être lue dansquelque relation de la Mingrélic?^ Pénible coutume, asservissement incommode I sechercher incessamment les unes les autres avec l'impatiencede ne se point rencontrer ; ne se rencontrerque pour se dire des riens, que pour s'apprendreréciproquement des choses dont on est égalementinstruite, et dont il importe peu que l'on soitr-jfi.-•*.instruite; n'entrer dans une chambre précisémentque pour en sortir; ne sortir de chez soi l'après-dlnécque pour y rentrer le soir, fort satisfaite d'avoir vu encinq petites heures trois suisses, une femme que l'onconnoît à peine et une autre que l'on n'aime guère 1Qui considéreroit 8 f •bien le prix <strong>du</strong> temps, c». combiensa perle est irréparable, pleureroit amèrement sur desi grandes misères.î On s'élève à la ville dans une indifférence grossièredes choses rurales et champêtres ; on dislingue àï:*.peine la plante qui porte le chanvre d'avec celle quipro<strong>du</strong>it le lin, et le blé froment d'avec les seigles, etl'un ou l'autre d'avec lo inéleil ; on se contente de senourrir et de s'habiller. Ne parlez a a un grand nom-T- 1I. Une femme d'une seule nuit, c'esUà-dtre une femme qu'on & épouséela veille, et qui n'a encore cohabité qu'une seule tiuit arec ton mail. — Cepassage fait allusion à l'usage où étaient le» nouvelles mariées de se placer eugrande toilette sur un lit |.our recevoir les visites de noce.ï. VAII. Qui connoHrolt bien,3* Vin. Ne partez pas»


* '31IIrf3II^tii\l\tiDR LA VILLE.HObre de bourgeois ni de guércts, ni de baliveaux, ni doprovins, ni de regains, si vous voulez être enten<strong>du</strong> ices termes pour eux ne sont pas françois. Parlez auxuns d'aunage, de tarif, ou de sou pour livre, et auxautres de voie d'appel, de requête civile, d'appointé*ment, d'évocation. Ils cohnoissent le monde, et encorepar ce qu'il a de moins beau et de moins spécieux; ils ignorent la nature, ses commencements,ses progrès, ses dons, ses largesses. Leur ignorancesouvent est volontaire, et fondée sur l'estime qu'ilsont pour leur profession et pour leurs talents. Il n'ya si vil praticien qui, au fond de son étude sombre etenfumée, et l'esprit occupé d'une plus noire chicane,ne se préfère au laboureur qui jouit <strong>du</strong> ciel, qui cultivela terre, qui sème à propos, et qui fait de richesmoissons ; et 's'il entend quelquefois parler des premiershommes ou des patriarches, de leur vie champêtreet de leur économie, il s'étonne qu'on ait puvivre en do tels temps, 0(1 il n'y avoit encore ni offices,ni commissions, ni présidents, ni procureurs; il necomprend pas qu'on ait jamais pu se passer <strong>du</strong> greffe,<strong>du</strong> parquet et de la buvette,5 Les empereurs n'ont jamais triomphé à Rome simollement, si commodément, ni si sûrement môme,contre te vent, la pluie, la poudre et le soleil, que lebourgeois sait a Paris se faire mener par toute la ville iquelle dislance de cet usage à la mule de leurs ancêtres1 Ils ne savoient point encore se pWver <strong>du</strong> nécessairepour avoir le superflu, ni préférer le faste auxchoses utiles. On ne lcsvoyoit point s'éclairer avec desbougies et se chauffer h un petit feu; la cire é itpour l'autel et pour le Louvre. Ils ne sortoient pointd'un mauvais dîner pour <strong>mont</strong>er'dans lc>?r carrosse ;ils se çersuadoient que l'homme avoit des jambespour marcher, ci Us marchoient» Ils se conservoientpropres quand il fcisoit sec, et dans un temps humide1,1


*{'!•i150 DR LA VILLE.ils gâtaient leur chaussure, aussi peu embarrassés defranchir les rues et les carrefours, que le chasseur de. traverser un guèret, ou le soldat de se mouiller dans» une tranchée. On n'avoit point encore imaginé d'attelerdeux hommes à une litière; il y avoit mêmeplusieurs magistrats qui alloicnt à pied à la Chambreou aux Enquêtes» d'aussi bonne grâce qu'Auguste autrefoisalloit de son pied au Capitale. L'étain, dans cetemps, bi illoit sur les tables et sur les buffets, comme 'le fer et le cuivre dans les foyers; l'argent et l'orétaient dans les coffres '. Les femmes se faisoient servirpar des femmes; on mettait celles-ci jusqu'à lacuisine. Les beaux noms de gouverneurs et de gouvernantesn'éloient pas inconnus à nos pères : ils savoîcntà qui l'on confioit les enfants des rois et desplus grands princes ; mais ils partageoienl le servicede leurs domestiques avec leurs enfants, contents deveiller eux-mêmes immédiatement a leur é<strong>du</strong>cation.Ils comptaient en toutes choses avec eux-mêmes :leur dépense était proportionnée à leur recette; leurslivrées, leurs équipages, leurs meubles, leur table,leurs maisons de la ville et de la campagne, tout éloitmesuré sur leurs rentes et sur leur condition. Il yt. Voltaire a Irès-vttcmcnt critiqué ce passage. tNe vollà«Ml pas, dit-Il, un plaisant éloge à donner a nos pères, de ce qu'ils n'avaient ni abondance,ni in<strong>du</strong>strie, ni goûtant propretéI L'argent était dans les coffres!Si cela était, c'était une très-grande sottise» L'argent est fait pour circuler,pour faire éciore tous tel arts, pour acheter l'in<strong>du</strong>strie des hommes. Qui tegarde est mauvais citoyen i et même est mauvais ménager, i M. Destaillcurdit avec raison que ce reproche est injuste, et que ce n'est point l'avarice ttta malpropreté que La Bruyère loue chez tes hommes <strong>du</strong> vieut temps, maisseulement l'ordre et l'économie. — Il nous semble, quanta nous, que si LaBruyère a raison sur ce dernier point, il s'est un peu trompé sur quelquesautres, en oubliant que les lots somptuaires avalent plus de part que ta sitn*plicité dans la distinction des classes; que si bien des gens ee servaient d»svatssette d'étain, c'est que l'usage de ia vaisselle d'argent était réservé à lanoblesse» et qu'il était interdit au roturier de s'habiller comme te gentil*homme, rout- rester dans l'etacte vérité de l'histoire, Il faut reconnaîtreque si l'aisance était beaucoup moins répan<strong>du</strong>e, le luxe, pour ceut qui pou*valent se le permettre, était relativement tout aussi grand dans te tuojeuâge et a l'époque de ta renaissance qu'il peut l'être de notre temps.••V*


I• £ 5- " ff'-v,--r-i-,/ $8ISriDE LA VILLE. 151avoit entre eux des distinctions extérieures qui empéchoicntqu'on ne prit la femme <strong>du</strong> praticien pourcelle <strong>du</strong> magistrat, et le roturier ou le simple valetpour le gentilhomme. Moins appliqués à dissiper ou àgrossir leur patrimoine qu'à le maintenir, ils le laissoiententier à leurs héritiers, et passoient ainsi d'unevie modérée à une mort 1 tranquille. Ils ne disoientpoint : Le siècle est <strong>du</strong>r, la misère est grande, l'argentest rare ; ils en avoient moins que nous, et en avoientassez, plus riches par leur économie et par leur modestieque de, BWS revenus et de leurs domaines.Enfin l'on étoit alors pénétré de celte maxime, quece qui est dans les grands splendeur, somptuosité,magnificence, est dissipation, folie, ineptie, dans leparticulier*mm$f•&•I^V •• .JR"a•:3"-Tt.-sT -va• '.&"* *-*VA*S! Y*-k'ï?*••>'


f•.I *."< I« •'.yi».\K \ 'w\V.••


DR LA coun. 153~&*.t*!ti-iVLVSt"passe dans une antichambre, dans des cours, ou surl'escalier.1 La cour ne rend pas content ; elle empoche qu'onne le soit ailleurs.f II faut qu'un honnête homme ait tàté de la cour :il découvre, en y entrant, comme un nouveau mondejui lui étoit inconnu, où il voit régner également levice et la politesse, et où tout lui est utile, le bon etle mauvais.^ La cour est comme un édifice bâti de marbre î jeveux dire qu'elle est composée d'hommes fort <strong>du</strong>rs,mais fort polis.1 L'on va quelquefois a la cour pour en revenir, etse faire par là respecter <strong>du</strong> noble de sa province, oude son diocésain 1 .t Le brodeur et le confiseur seroient superflus, etne feroient qu'une <strong>mont</strong>re inutile, si l'on étoit modesteet sobre î les cours seroient désertes, et les roispresque seuls, si l'on étoit guéri de la vanité et del'intérêt. Les hommes veulent être esclaves quelquepart et puiser là de quoi dominer ailleurs. Il semblequ'on livre en gros aux premiers de la cour l'air dehauteur, de fierté et commandement 3 , afin qu'ils ledistribuent en détail dans les provinces : ils fontprécisément comme on leur fait, vrais singes de laroyauté.5 II n'y a rien qui enlaidisse certains courtisanscomme ta présence <strong>du</strong> prince : à peine les puis-jc rcconnoltrea leurs visages; leurs traits sont altérés,cl leur contenance est avilie. Les gens fiers et superbessont les plus défaits, car ils perdent plus <strong>du</strong> leur jcelui qui est honnête et modeste s'y soutient mieux,il n'a rien à réformer,1* Vin. Ce* mots s Ou de son diocésain, ont été ajouté» dan* la 4* édition.â. VAn. De fierté et de commandement»


y154 DE LA coun.5 : L ] L'air de COUP est contagieux ; il se prend à V*** *comme l'accent normand & Rouen ou à Falaise ; onl'entrevoit en des fourriers », en de petits contrôleurs,et en des chefs de fruiterie : l'on peut avec une portée,d'esprit fort médiocre y l'aire de grands progrès. Unhomme d'un génie élevé et d'un mérite solide ne faitpas assez de cas de cette espèce de talent pour faireV.Jl '-r ^*1. 4"4ison capital de l'étudier et se le rendre propre ; il l'acquiertsans réflexion, et il ne pense point à s'en défaire.îN*** arrive avec grand bruit ; il écarte le monde,se fait faire place ; il gratte, il heurte presque ; il senomme : on respire, et il n'entre qu'avec la foule.TU y a dans les cours des apparitions de gens aven- |turiers ot hardis, d'un caractère libre et familier, quise pro<strong>du</strong>isent eux-mêmes 8 , protestent qu'ils ont dansleur art toute l'habileté qui manque aux autres, etqui sont crus sur leur parole. Ils profitent cependantde l'erreur publique, ou de l'amour qu'ont les hommespour la nouveauté : ils percent la foule, et parviennentjusqu'à l'oreille <strong>du</strong> prince, à qui le courtisan lesvoit parler, pendant qu'il se trouve heureux d'en êtrevu. lis ont cela de commode pour les grands, qu'ilsen sont soufferts sans conséquence, et congédiés de


DB LA coun. 155§ que qu'ils se sentent au-dessus de ceux qui se trouventprésents ; ils s'arrêtent et on les entoure; ils ontla parole, président au cercle, et persistent dans cettehauteur ridicule et contrefaite, jusqu'à ce qu'il survienneun grand , qui, la faisant tomber tout d'uncoup par sa présence, les ré<strong>du</strong>ise à leur naturel, qui*>zest moins mauvais.ï Les cours ne sauroient se passer d'une certaineU3JLespèce de courtisans, hommes flatteurs,complaisants,insinuants, dévoués aux femmes, dont ils ménagentles plaisirs, étudient les foibles, et flattent toutes lespassions ; ils leur soufflent à l'oreille des grossièretés,leur parlent de leurs maris et de leurs amants dansdes termes convenables, devinent leurs chagrins, leursmaladies, et fixent leurs couches ; ils font les modes,raffinent sur le luxe et sur la dépense, etapprennent ace sexe de prompts moyens de consumer de grandessommes en habits, en meubles et en équipages; ilsont eux-mêmes des habits où brillent l'invention et larichesse, et ils n'habitent d'anciens palais qu'aprèsles avoir renouvelés et embellis. Ils mangent délicatementet avec réflexion ; il n'y a sorte de volupté qu'ilsn'essayent, et dont ils ne puissent rendre compte. Ilsdoivent à eux-mêmes leur fortune, et ils la soutiennentavec la môme adresse qu'ils l'ont élevée. Dédaigneuxet tiers, ils n'abordent plus leurs pareils, ils neles saluent plus; ils parlent où tous les autres se taisent;entrent, pénètrent en des endroits et à des heu*res où les grands n'osent se faire voir : ceux-ci, avecde longs services, bien des plaies sur le corps, debeaux emplois ou de grandes dignités, ne <strong>mont</strong>rentipas un visage si assuré, ni une contenance si libre.»Ces gens ont l'oreille des plus grands princes, sont detous leurs plaisirs et de toutes leurs fûtes, ne sortentpas <strong>du</strong> Louvre où <strong>du</strong> château, où ils marchent etagissent comme chez eux et dans leur domestique 1 ,?i


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M%II!S*1fi!ïDE LA coun. 157que l'on peut y ignorer ; il ne leur manque aucun destalents nécessaires pour s'avancer médiocrement*Gens néanmoins éveillés et alertes sur tout ce qu'ilscroient leur convenir, un peu entreprenants, légerset précipités; le dirai-jc? ils portent au vent, atteléstous deux au char de la fortune, et tous deux fortéloignés de s'y voir assis.1 Un homme de la cour qui n'a pas un assez beaunom doit l'ensevelir sous un meilleur; mais, s'il l'atel qu'il ose le porter, il doit alors insinuer qu'il estde tous les noms le plus illustre, comme sa maisonde toutes les maisons la plus ancienne : il doit teniraux PRINCES LORRAINS, aux ROUANS, aux CHâSTJLLONS,aux MONTMORENCIS, et, s'il se peut, aux PRINCES DUSANG; ne parler que de <strong>du</strong>cs, de cardinaux et de ministres1 : faire entrer dans toutes les conversations sesaïeuls paternels et maternels, et y trouver place pourl'oriflamme et pour les croisades ; avoir des sallesparées d'arbres généalogiques, d'écussons chargés deseize quartiers 9 et de tableaux de ses ancêtres et desalliés de ses ancêtres; se piquer d'avoir un ancienchâteau à tourelles, à créneaux et à machecoulis; direen toute rencontre : ma race t ma branche^ mon nom etmes amies; dire de celui-ci qu'il n'est pas homme dequalité, de cellc-lfi qu'elle n'est pas demoiselle 3 , ou,si on lui dit qu'Hyacinthe a eu le gros lot, demanders'il est gentilhomme» Quelques-uns riront de ces con-*•*»•* Si\ i A»ri*.•>*:•t)iltt11Sf-r^5fifÇk1V*Vi^rir •ri,iî :•. J T; 1 • • 1 f?i i :•tyT » Va* dcmodclle, —- Ce passage a. été retouché plusieurs (ois, car pour la Duu» tifStct . •-\l s •?•i.ir^ if- ï vr 1 -"


ti\t1158 DB ï.à coin.trc-temps, mais il les laissera rire ; d'autres en ferontdes contes, et il leur permettra de conter; il diratoujours qu'il marche après la maison régnante, et àforce de le dire, il sera cru.1 C'est une grande simplicité que d'apporter à lucour la moindre roture, et de n'y être pas gentilhomme.1 L'on se couche à la cour et l'on se lève sur l'intérêt;c'est ce que l'on digère le matin et le soir, lejour et la nuit; c'est ce qui fait que l'on pense, quel'on parle, que l'on se tait, que l'on agit; c'est danscet esprit qu'on aborde les uns ot qu'on néglige lesautres, que Ton <strong>mont</strong>e et que l'on descend; c'est surcelte règle que l'on mesure ses soins, ses complaisances,son estime, son indifférence, son mépris. Quelquespas que quelques-uns fassent par vertu vers lamodération et la sagesse, un premier mobile d'ambitionles emmène avec les plus avares, les plus violentsdans leurs désirs, et les plus ambitieux : quel moyende demeurer immobile où tout marche, où tout seremue, et de ne pas courir où les autres courent? Oncroit môme être responsable à soi-môme de son élévationet de sa fortune : celui qui ne l'a point faite àla cour est censé ne l'avoir pas dû faire; on n'enappelle pas. Cependant s'en éloignera-t-on avant d'enavoir tiré le moindre fruit, ou persislera-t-on à y demeurersans grâces et sans récompenses? question si •épineuse, si embarrassée, et d'une si pénible décision,qu'un nombre infini de courtisans vieillissent sur leoui et sur le, non, et meurent dans le doute.î II n'y a rien à la cour de si méprisable et de si indignequ'un homme qui ne peut contribuer en rien ànotre fortune : je m'étonne qu'il ose se <strong>mont</strong>rer.t jw -••ifiFKO-Ht• 6X.» -s: •=!W4J w"de ta phrase on trouve encore cette variante : Demander, est-il homme Jiqualité? 4 e cl &• édit. — E$Ml gentilhomme? 6* «dit.S11


£fc?,',*£,7^i: ii-r. ri t*-..—•....1ipISIf••sDE LA COUR. 1591 Celui qui voit loin derrière soi un homme de sontemps et do sa condition, avec qui il est venu à la couila première fois, s'il croit avoir une raison solided'être prévenu de son propre mérite et de s'estimerdavantage que cet autre qui est demeuré en chemin,ne se souvient plus de ce qu'avant sa faveur il pensoitde soi-même et de ceux qui l'avoient devancé.1 t'est beaucoup tirer de notre ami, si, ayant <strong>mont</strong>éà une grande faveur, il est encore un homme de notreconnoissahec.T Si celui qui est en faveur ose s'en prévaloir avantqu'elle lui échappe, s'il se sert d'un bon vent qui soufflepour faire son chemin, s'il a les yeux ouverts surtout ce qui vaque, poste, abbaye, pour les demanderet les obtenir, et qu'il soit muni de pensions, de brevetset de survivances, vous lui reprochez son aviditécl son ambition ; vous dites que tout le tente, que toutlui est propre, aux siens, a ses créatures, et que, parle nombre et la diversité des grâces dont il se trouvecomblé, lui seul a Fait plusieurs fortunes. Cependantqu'a-t-il dû faire? Si j'en juge moins par vos discoursque par le parti que vous auriez pris vous-même enpareille situation, c'est ce qu'il a fait.L'on blâme les gens qui font une grande fortunependant qu'ils en ont les occasions, parce que l'ondésespère, par la médiocrité de la sienne, d'être jamaisen état de faire comme eux, et de s'attirer ce reproche'. Si l'on étoit à portée de leur succéder, l'oncommencerait à sentir qu'ils ont moins de tort, et l'onseroit plus retenu, de peur de prononcer d'avance sacondamnation.11l ne faut rien exagérer, ni dire des cours le maltt La haine pour les favoris n'est autre chose que l'amour de ta faveur. Ledépit de ce pas U posséder se console et s'adoucit 'par te mépris que l'on té*ntoigne à corn qui la possèdent, et nous leur refusons nos hommngcs, tifipouvant pas leur 6lcr ce qui attire ceux de tout le m^ide. (LA UOCIIKI-OO*CXILD.)


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SAmd&^•»32IiI1iDE LA COim.1 Combien de gens vous étouffent de caresses dansle particulier, vous aiment et vous estiment, qui sontembarrassés de vous dans le public, et qui, au levéeou à. la messe, évitent vos yeux et votre rencontre ! Iln'y a qu'un petit nombre de courtisans qui, par grandeurou par une confiance qu'ils ont d'eux-mômes,| osent honorer devant le monde le mérite qui est seul,et dénué de grands établissements.1 Je vois un homme entouré et suivi, mais il est enplace; j'en vois un autre que tout le monde aborde,mais il est en faveur. Celui-ci est embrassé cl caressé,môme des grands; mais il est riche. Celui-là est regardéde tous avec curiosité, on le <strong>mont</strong>re <strong>du</strong> doigt;mais il est savant et éloquent. J'en découvre un quepersonne n'oublie de saluer; mais il est méchant. Jeveux un homme qui soit bon, qui ne soit rien davantage,et qui soit recherché.| ^ Vient-on de placer quelqu'un dans un nouveau: poste, c'est un débordement de louanges en sa faveurqui inonde les cours et la chapelle, qui gagne l'cseaiSj1s-I.1?VIlier, les salles, la galerie, tout l'appartement ; on ena au-dessus des yeux; on n'y tient pas. Il n'y a pasdeux voix différentes sur ce personnage; l'envie, lajalousie, parlent comme l'a<strong>du</strong>lation. Tous se laissententraîner au torrent qui les emporte, qui les force dodire d'un homme ce qu'ils en pensent ou ce qu'ilsn'en pensent pas, comme de louer souvent celui qu'ilsne connoissent point. L'homme d'esprit, de mérite oude valeur, devient en un instant un génie <strong>du</strong> premierordre, un héros, un demi-dieu. Il est si prodigieusementflatte*dans toutes les peintures que l'on fait delui, qu'il parolt difforme près de ses portraits; il luiest impossible d'arriver jamais jusqu'où, la bassesseet la complaisance viennent de le porter; il rougit desa propre réputation. Commcncc-t-il à chanceler dansce poste où on l'avoit mis, tout le monde passe faciu.liil


I t: i •jti162 DE u coin.lcmcnt à un autre avis; en est-il entièrement déchu,(/ les machines qui l'avoicnt guindé si haut par i'applaufk»' dissement et les éloges sont encore toutes dresséesThtI 1\ ;ti1 >• T»'ilif>our le faire tomber dans le dernier mépris; je veux• dire qu'il n'y en a point qui le dédaignent mieux, quile blâment plus aigrement, et qui en disent plus demal, que ceux qui s'étoient comme dévoués à la fureurd'en dire <strong>du</strong> bien ',T Je crois pouvoir dire d'un poste éminent et déhj;i: )i -f ;ii )cat qu'on y <strong>mont</strong>e plus aisément qu'on ne s'y conserve.5 L'on voit des hommes tomber, d'une haute fortunepar les mômes défauts qui les y a voient fait <strong>mont</strong>er.T II y a dans les cours deux manières de ce que l'onappelle congédier son monde ou se défaire des gens :se fâcher contre eux, ou faire si bien qu'ils se fâchentcontre vous et s'en dégoûtent.T L'on dit à ta cour <strong>du</strong> bien de quelqu'un pour deuxtaisons : la première, afin qu'il apprenne que nousdisons <strong>du</strong> bien de lui ; la seconde, afin qu'il en dise\/ v de nous.1 II est aussi dangereux à la cour de faire les avances,qu'il est embarrassant de ne les point faire.T H ya des gens à qui ne connoîlre point le nom etle visage d'un homme est un titre pour en rire et lemépriser. Ils demandent qui est cet homme: ce n'estni un HousseaUf ni un Fabri \ ni La Coutume 8 : ils nepourroientle méconnoilre.î L'on me dit tant de mal de cet homme, et j'y envois si peu, que je commence à soupçonner qu'U n'aitun mérite importun, qui éteigne celui des autres.1. Cf. Montaigne, Essais, liv. Ht, ch. vu!.2. Brûlé il y a vingt ans. {Noie de La Bruyère* ) ~ Cette note dam ledeux premières éditions portail t puni' pour it es sale tes •i, La Couture, tailleur d'habits de madame ta Dauphtne. U était devenufout cl, sur ce pied, il demeurait à la cour, et y fat&ait des contes fort et*travogatils. Il allait souvent à ta toilette de madame U Dauphine. (La cltf.)•s.If-•L 1-•7--C•-{•AmMPm*


*fA•a^*•tIIDE LA COUR.1G3^ Vous ôtcs homme de bien, vous ne songez ni àplaire ni a déplaire aux favoris, uniquement attaché àvotre maître et à votre devoir : vous êtes per<strong>du</strong>.î On n'est point effronté par choix, mais par complcxion»,c'est un vice de l'être, mais naturel. Celuiqui n'est pas né tel est modeste, et ne passe pas aisémentde cette extrémité à l'autre; c'est une leçonassez inutile que de lui dire : Soyez effronté, et vousréussirez; une mauvaise imitation ne lui proflteroitpas, et le feroit échouer, Il ne faut rien de moinsdans les cours qu'une vraie et naïve impudence pourréussir.t On cherche, on s'empresse, on brigue, on se tourmente,on demande, on est refusé, on demande et onobtient, mais, dit-on, sans l'avoir demandé, et dansle temps que Ton n'y pensoit pas et que l'on songeoîtmôme à tout autre chose : vieux style, menterie innocente,et qui ne trompe personne.ï On fait sa brigue pour parvenir à un grand poste,on préparc toutes ses machines, toutes les mesuressont bien prises, et l'on doit être servi selon ses sou*hails; tes uns doivent entamer, les autres appuyer;l'amorce est déjà con<strong>du</strong>ite, et la mine prête à jouer :alors on s'éloigne de la cour. Qui oscroit soupçonnerà* Ar té mon qu'il ait pensé à se mettre dans une si belleplace, lorsqu'on le tire de sa terre ou de son gouvernementpour l'y faire asseoir? Artifice grossier, finessesusées, et dont le courtisan s'est servi tant de fois,que, si je voulois donner le change à tout le public,et lui dérober mon ambition, je me trouverois sousl'œil et sous la main <strong>du</strong> prince, pour recevoir de luila grâce que j'aurois recherchée avec le plus d'emportement.\ Les hommes ne veulent pas que l'on découvre lesvues qu'ils ont sur leur fortune, ni que l'on pénôlroqu'ils pensent à une telle dignité, parce que, s'ils ne


lG'tDE LA coun.'l'obtiennent point, il y a de la honte, se persuadent-, ils, à Être refusés; et, s'ils y parviennent, il y a plusde gloire pour eux d'en être crus dignes par celui quila leur accorde, que de s'en juger dignes eux-mêmespar leurs brigues et par leurs cabales ; ils se trouventparés tout à la fois de leur dignité et de leur modestie.Quelle plus grande honte y a-l-il d'être refusé d'unposte que l'on mérite, ou d'y ôlre placé sans le mériter?Quelques grandes difficultés qu'il y ait à se placerà la cour, il est encore plus âpre et plus difficile de serendre digne d'être placé.Il coûte moins à faire dire de soi : Pourquoi a-l-ilobtenu ce poste? qu'à faire demander : Pourquoi nel'a-t-il pas obtenu?L'on se présente encore pour les charges de ville,l'on postule une place dans l'Académie Françoise ; l'ondemandoit le consulat : quelle moindre raison y au»roit-il de travailler les premières années de sa vie àse rendre capable d'un grand emploi, cl de demanderensuite sans nul mystère et sans nulle intrigue, maisouvertement et avec confiance, d'y servir sa patrie,son prince *, la république?1 Je ne vois aucun courtisan a qui le prince vienned'accorder un bon gouvernement, une place éminente,ou une forte pension, qui n'assure par vanité, ou pourmarquer son désintéressement, qu'il est bien moinscontent <strong>du</strong> don que de la manière dont il lui a étéfait. Ce qu'il y a en cela de sûr et d'in<strong>du</strong>bitable, c'estqu'il le dit ainsi,C'est rusticité que de donner de mauvaise grâce : leplus fort et le plus pénible est de donner; que coûtel*ild'y ajouter un sourire?H'•Ml~ÀI» Yift. Le prîntti


I DE LA COUR. 105II faut avouer néanmoins qu'il s'est trouvé des hom-mes qui rcfusoicnt plus honnêtement que d'autres nesavoient donner; qu'on a dit de quelques-uns qu'ilsse faisoient si longtemps prier, qu'ils donnoient sisèchement, et chargeoient une grâce qu'on leur arrachoitdeconditions si désagréables, qu'une plus grandegrAce étoit d'obtenir d'eux d'être dispensé de rienrecevoir.^ L^on remarque dans les cours des hommes avidesqui se revotent de toutes les conditions pour en avoirles avantages : gouvernement, charge, bénéfice, toutleur convient; ils se sont si bien ajustés que, par leurétat, ils deviennent capables de toutes les grâces; ilssont amphibies, ils vivent de l'église et de l'épéc, etauront le secret d'y joindre la robe. Si vous demandez: Que font ces gens à la cour? ils reçoivent, et envienttous ceux à qui l'on donne.t Mille gens à la cour y traînent leur vie a embrasser,serrer et congratuler ceux qui reçoivent, jusqu'àce qu'ils y meurent sans rien avoir.1 Mênophile emprunte ses mœurs d'une profession,et d'un autre son habit 1 ; il masque toute l'année,quoiqu'à visage découvert ; il paroît à la cour, à laville, ailleurs, toujours sous un certain nom et sous lemême déguisement. On le reeonnoît, et on sait quelil est à son visage 2 .\ Il y a, pour arriver aux dignités, ce qu'on appellela grande voie on le chemin battu ; il y a le chemindétourné ou de traverse, qui est le plus court.IL'on court les malheureux pour les envisager; l'onse range en haie, ou l'on se place aux fenêtres, pourobserver les traits cl la contenance d'un homme quiest condamné, et qui sait qu'il va mourir î vaine,MgIi* les éditeurs modernes ont corrigé ï d*tme autrc p comme e* rapportantà profession, TutiU'5 lo* éditions originales portent <strong>du</strong>n autre*î • Vitw On sait quel it c*f, H on h mconnoft à son ïisage*s


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DE LA coun. 167haoillé de pourpre, qu'il eu avoit de porter une croixd'or sur sa poitrine ; et parce que les grandes fêtes sepassoient toujours sans rien changer à sa fortune, ilmurmuroit contre le temps présent, trouvoit l'Étatmal gouverné, et n'en prédisoit rien que de sinistre;convenant en son cœur que le mérite est dangereuxdans les cours à qui veut s'avancer, il avoit enfin prisson parti, et renoncé à la prélalure, lorsque quelqu'unaccourt lui dire qu'il est nommé à un évôché. Remplide joie et de confiance sur une nouvelle si peu atten<strong>du</strong>e: Vous verrez, dit-il, que je n'en demeurerai paslà, et qu'ils me feront archevêque.111 faut des fripons à la cour auprès des grands etdes ministres, môme les mieux intentionnés ; maisl'usage en est délicat, et il faut savoir les mettre enœuvre i il y a des temps et des occasions où ils nepeuvent être suppléés par d'autres. Honneur, vertu,conscience, qualités toujours respectables, souventinutiles î que voulez-vous quelquefois que l'on fassed'un homme de bien ' ?î Un vieil auteur, et dont j'ose rapporter ici les proprestermes, de peur d'en affaiblir le sens par ma tra<strong>du</strong>ction2 , dit que s'etongner des petits, voire de ses pareils, et iceleux vilainer et dépriser; s'accointer degrands et puissants en tous biens et chevanecs, et en cetteleur cointise et privauté estre de tous ébats, gabs, mommerics,et vilaines besoignes ; estre eshonté saffranier etsans point de vergogne; en<strong>du</strong>rer brocards et gausscrics detous chacunS) sans pour ce feindre de cheminer en avant,et à tout son entregent, engendre heur et fortune*


DR LA COUR.^ Timante *, toujours le môme, et sans rien perdrede ce mérite qui lui a attiré la première fois de la réputationet des récompenses, ne laissoit pas de dégénérerdans L'esprit' des courtisans : ils étoient las del'estimer, ils le saluoienl froidement, ils ne lui soulioientplus; ils commençaient à ne le plus joindre,ils ne l'embrassoient plus, ils ne le tîroicnt plus àl'écart pour lui parler mystérieusement d'une choseindifférente, ils n'avoient plus rien à lui dire. Il luifalloit celte pension ou ce nouveau poste dont il vientd'être honoré pour faire revivre ses vertus à demi effacéesde leur mémoire, et en rafraîchir l'idée : ilsîlui font comme dans les commencements, et encore 1jmieux.î Que d'amis, que de parents naissent en une nuitau nouveau ministre ! Les uns font valoir leurs anciennesliaisons, leur société d'éludés, les droits <strong>du</strong> voisinage; les autres feuillettent leur généalogie, re<strong>mont</strong>entjusqu'à un trisaïeul, rappellent le côté paternelet le maternel : l'on veut tenir à cet homme par quelqueendroit, et l'on dit plusieurs fois le jour que l'ony lient; on l'imprimeroit volontiers : C'est mon ami tet je suis fort aise de son élévation, j'y dois prendrepart, il m'est assez proche. Hommes vains cl dévoués àla fortune, fades courtisans, parliez-vous ainsi il y ahuit jours ? Est-il devenu, depuis ce temps, plushomme de bien, plus digne <strong>du</strong> choix que le prince ensvient de faire? Àttcndiez-vous cette circonstance pourle mieux connoîlrc?j^ Ce qui me soutient et me rassure contre les petits jdédains que j'essuie quelquefois des grands et de mes jiégaux, c'est que je me dis à moi-môme : Ces gens n'en |veulent peul-ôtrc qu'à ma fortune, et ils ont raison :1. ArnauM de l'omponne, neveu <strong>du</strong> célèbre Au toi no Arnauld d? Port-<strong>Royal</strong>,icerctatre d'IUat des affaires étrangère», ue en 1071, inoit eu I6t)9.


DE LA COUR. 169•selle est bien petite. Ils m'adoreroicnt sans doute si - Ij'élois ministre.Dois-jc bientôt être en place? le sait-il? est-ce enlui un pressentiment? il me prévient, il me salue.T Celui qui dit : Je dînai Mer à Tibur, ou : J'y soupecesoir, qui le répète, qui fait entrer dix fois le nom dePlancus dans les moindres conversations, qui dit :Plancus me demandoit.*. Je disois à Plancus , ce- 1lui-là môme apprend dans ce moment que ce hérosvient d'être enlevé par une mort extraordinaire. 11 *part de la main 1 ; il rassemble le peuple dans les pla-, ces ou sous les portiques, accuse le mort, décrie sacon<strong>du</strong>ite, dénigre son consulat, lui ôte jusqu'à lascience des détails que la voix publique lui accorde,ne lui passe point une mémoire heureuse, lui refusefl'éloge d'un homme sévère et laborieux, ne lui faitpas l'honneur de lui croire parmi les ennemis de l'empireun ennemi 8 .î Un homme de mérite se donne, je crois, un joliïIspectacle, lorsque la même place à une assemblée, ouyà un spectacle, dont il est refusé, il la voit accorder àun homme qui n'a point d'yeux pour voir, ni d'oreilles ' 11pour entendre, ni d'esprit pour connoîlro et pourjuger, qui n'est recommandablc que par cerlaiucstlivrées, que même il A 'ne porte plus.^ Thêodote> avec un habit austère, a un visage comiqueet d'un homme qui entre sur la scène; sa voix,sa démarche, son geste, son attitude, accompagnentson visage; il est fin, cauteleux, doucereux, mystô-Irieux ; il s'approche de vous, et il vous dit à l'oreille :i. Partir de la main ee dît d'un cheval qui part légèrement et prend bien legalop.2. Col orlîctc a été ajouté dans l'édition de < 692.—Celte édition ayant paruun an après la mort de Louvois, ou y %il une allusion, cl plusieurs détails hîsotiquessemblent prouver que l'allusion était bien en effet dans l'intention dea Hruycrc. Tibur d'après cela serait Mnidon, où Louvois avait une maiso;i doampague, et Plancut Loti «oit lui-même, dont la mort imprévue et u;yttciicuso«usa une profonde sensaliou»15Ï2


mma^ -V170 DE LA COUR.Voilà tin beau temps; voilà un grand dégel 1 . S'il n'apas les grandes manières, il a <strong>du</strong> moins toutes lespçtilcs, et celles môme qui ne conviennent guèrequ'à! une jeune précieuse. Imiiginez-vous l'applicationd'un enfant à élever un château de cartes, ou à sesaisir d'un papillon : c'est celle de Théodote pour uneaffaire de rien, et qui ne mérite pas qu'on se remue;il la traite sérieusement, et comme quelque chose quiest capital ; il agit, il s'empresse, il la fait réussir : levoilà qui respire et qui se repose, et il a raison ; ellelui a coûté beaucoup de peine. L'on voit des gensenivrés, ensorcelés de la faveur : ils y pensent le jour,ils y révent la nuit; ils <strong>mont</strong>ent l'escalier d'un ministre,et ils en descendent; ils sortent de son antichambre,el ils y rentrent; ils n'ont rien à lui dire, etils lui parlent, ils lui parlent une seconde fois : lesvoilà contents, ils lui ont parlé. Pressez-les, tordezles,ils dégouttent l'orgueil, l'arrogance, la présomption; vous leur adressez la parole, ils ne vous répondentpoint, ils ne vous connoissent point, ils ont lesyeux égarés el l'esprit aliéné î c'est à leurs parents à enprendre soin et à les renfermer, de peur que leur foliene devienne fureur, et que le monde n'eu souffre. Théodotea une plus douce manie î il aime la faveur éper<strong>du</strong>ment;mais sa passion a moins d'éclat; il lui fait desvœux en secret, il la cultive, il la sert mystérieusement;il est au guet et à la découverte sur tout cequi paroît de nouveau avec les livrées de la faveur îont-ils une prétention, il s'offre à eux, il sintriguepour eux, il lcur^sacriflc sourdement mérite, alliance,amitié, engagement, rcconnoissancc. Si la place d'unCassini dcvciioit vacante, et quc'le suisse ou le postillon<strong>du</strong> favori s'avisât de la demander, il appuicroit saf*9î. J)El, jaques au Lijiijotir, il dit tout à l'oreille,(I:OUMU:, le Misanthrope aclc î, se. B.)-Z


2P>-.'®DE U COt'IL 171demande, il le jugeroit digne de cette place, il le trouveroitcapable d'observer cl de calculer, de parler deparhélies et de parallaxes. Si vous demandiez de Théodotes'il est au leur ou plagiaire, original ou copiste, jevousdonnerois ses ouvrages, cljc vous dirois : Lisez,et jugez; mais s'il est dévot ou courlisan, qui pourroitle décider sur le portrait que j'en viens de faire? Jeprononcerais plus hardiment sur son étoile. Oui, Théodote,j'ai observé le point de votre naissance, vousserez placé, et bientôt. Ne veillez plus, n'imprimezplus ; le public vous demande quartier.1 N'espérez plus de candeur, de franchise, d'équité»de bons offices, de services, de bienveillance, de générosité,de fermeté, dans un homme qui s'est depuisquelque temps livré à la cour, et qui secrètement veutsa fortune. Le reconnoissez-vous h son visage, à ses entretiens?Il ne nomme plus chaque chose par son nom;il n'y a plus pour lui de fripons, de fourbes, de sols etd'impertinents ; celui dont il lui échapperoit de direce qu'il en pense est cclui-lh mémo qui, venant à lesavoir, l'cmpôcheroit de cheminer, Pensant mal detout le monde, il n'en dit de personne; ne voulant <strong>du</strong>bien (fu'à lui seul, il veut persuader qu'il en veut àtous, afin que tous lui en fassent, ou que nul <strong>du</strong> moinslui soit contraire. Non content de n'être pas sincère,il ne souffre pas que personne le soit ; la véritéblesse son oreille. Il est froid et indifférent sur lesobservations que l'on nul sur la cour et sur le courlisan; et, parce qu'il les a enten<strong>du</strong>es, il s'en croit compliceet responsable. Tyran de la société et martyr deson ambition, il a une triste circonspection dans sacon<strong>du</strong>ite et dans ses discours, une raillerie innocente,mais froide et contrainte, un ris forcé, des caressescontrefaites, une conversation interrompue et desdistractions fréquentes. Il a une profusion, le dirai-je?des torrents de louanges pour ce qu'a fait ou ce qu'ata\ iasmpftin'4M4i-ii&'Jl& :": ••i'•.?••;i


172 DR LA COUR.dit un homme placé et qui est en faveur, et pour toutautre une sécheresse de pulmoniquo; il a des formulesde compliments différents pour l'entrée et pour lasortie à l'égard de ceux qu'il visite ou dont il est visité; et il n'y a personne de ceux qui se payent de mineset de façons de parler qui ne sorte d'avec lui fortsatisfait. Il vise également à se faire des patrons etdes créatures; il est médiateur, confident, entremetteur,il veut gouverner. Il a une ferveur de novicepour toutes les petites pratiques de cour; il sait où ilfaut se placer pour être vu ; il sait vous embrasser,prendre part à votre joie, vous faire coup sur coupdes questions empressées sur votre santé, sur vos affaires:et, pendant que vous lui répondez, il perd lefil de sa curiosité, vous interrompt, entame un autresujet; ou, s'il survient quelqu'un à qui il doive undiscours tout différent, il sait, en achevant de vouscongratuler, lui faire un compliment de condoléance ;f ?il pleure d'un œil, et il rit de l'autre. Se formant quelquefoissur les ministres ou sur le favori, il parle enpublic de choses frivoles, <strong>du</strong> vent, de la gelée ; il setait au contraire, et fait le mystérieux, sur ce qu'ilsait de plus important, et plus volontiers encore surce qu'il ne sait point.T II y a un pays où les joies sont visibles, mais fausses,et les chagrins cachés, mais réels. Qui croiroitg*'que l'empressement pour les spectacles, que les?•*•-éclats et les applaudissements aux théâtres de Molièreet d'Arlequin, les repas, la chasse, les ballets, lescarrousels, couvrissent tant d'inquiétudes, de soins et Jde divers intérêts, tans, de craintes et d'espérances, çdes passions si vives, et des affaires si sérieuses? §1 La vie de la cour est un jeu sérieux, mélancolique,qui applique. Il faut arranger ses pièces et ses balteries, Avoir un dessein, le suivre, parer celui de sonadversaire, hasarder quelquefois, et jouer de caprice ;


DR Ï.A COUR. 173et après toutes ses rêveries et toutes ses mesures onest échec, quelquefois mat, Souvent, avec des pionsqu'on ménage bien on va à dame, et l'on gagne lapartie : le plus habile l'emporte, ou le plus heureux.T Les roues, les ressorts, les mouvements, sont cachés; rien ne paroît d'une <strong>mont</strong>re que son aiguille,qui insensiblement s'avance et achève son tour : image<strong>du</strong> courtisan d'autant plus parfaite qu'aprûs avoir faitassez de chemin, il revient souvent au môme pointd'où il est parti.T Les deux tiers do ma vie sont écoulés ; pourquoitant m'inquiéter sur ce qui m'en reste? La plus brillantefortune ne mérite point ni le tourment que jeme donne, ni les petitesses où je me surprends, ni leshumiliations, ni les hontes que j'essuie : trente annéesdétruiront ces colosses de puissance qu'on ne voyoitbien qu'à force de lever la tête ; nous disparoîtrons,moi qui suis si peu de chose, et ceux que je contemploissi avidement, et de qui j'espérois toute ma grandeur.Le meilleur de tous les biens, s'il y a des biens,c'est le repos, la retraite, et un endroit qui soit sondomaine. N*** a pensé cela dans sa disgrâce, et l'aoublié dans la prospérité 1 .] Un noble, s'il vit chez lui dans sa province, il vitlibre, mais sans appui ; s'il vit à la cour, il est protégé,mais il est esclave : cela se compense.*ï Xantippe ', au fond de sa province, sous un vieuxtoit et dans un mauvais lit, a rêvé pendant la nuit qu'ilvoyoit le prince, qu'il lui parloit, et qu'il en ressentoitune extrême joie. Il a été triste à son réveil*, il a contéson songe, et il a dit : Quelles chimères ne tombentpoint dans l'esprit des hommes pendant qu'ils dor-I • YAR. Sa prospérité.lt Boateras, valet de chambre <strong>du</strong> roi*15.


174 DE LA COUR.nient ! Xantippe a continué de vivre ; il est venu à lacour, il a vu le prince, il lui a parlé ; et il a été plusloiri que son songe, il est favori.T Qui est plus esclave qu'un courtisan assi<strong>du</strong>, si cen'est un courtisan plus assi<strong>du</strong> ?t L'esclave n'a qu'un maître ; l'ambitieux en a autantqu'il y a de gens utiles à sa fortune.T Mille gens à peine connus font la foule au leverpour être vus <strong>du</strong> prince, qui n'en sauroit voir mille àla fois; et, s'il no voit aujourd'hui que ceux qu'ilvit hier et ^u'il verra demain, combien de malheureux!T De tous ceux qui s'empressent auprès des grandset qui leur font la cour, un petit nombre les honoredans le cœur, un grand nombre les recherche par desvues d'ambilion et d'intérêt, un plus grand nombrepar une ridicule vanité, ou par une sotte impatiencede se (aire voir.TU y a de certaines familles qui, par les lois <strong>du</strong>monde ou ce qu'on appelle de la bienséance, doiventêtre irréconciliables : les voilà réunies ; et où la religiona échoué quand elle a voulu l'entreprendre, l'intérêts'en joue, et le fait sans peine.T L'on parle d'une région où. les vieillards sont galants,polis et civils, les jeunes gens, au contraire,<strong>du</strong>rs, féroces, sans mœurs ni politesse; ils se trouventaffranchis de la passion des femmes dans un âge oùl'on commence ailleurs à la sentir ; ils leur préfèrentdes repas, des viandes et des amours ridicules. Celuilàchez eux est sobre et modéré, qui ne s'enivre quede vin : l'usage trop fréquent qu'ils en ont fait le leura ren<strong>du</strong> insipide. Ils cherchent à réveiller leur goûtdéjà éteint par des eaux-de-vie, et par toutes les liqueursles plus violentes ; il ne manque à leur débaucheque de boire de l'eau-forte. Les femmes <strong>du</strong> paysprécipitent le déclin de leur beauté par des artifices


DE LA COUR. 175qu'elles croient ser.vir à les rendre belles: leur coutumeest de peindre leurs lèvres* leurs joues, leurs sourcils etleurs épaules, qu'elles étaient avec leur gorge, leursbras ctlcurs oreilles, comme si elles craignoient de en*cher l'endroit par où elles pourroient plaire, ou de nepas se me : assez. Ceux qui habitent cette contréeont une physionomie qui n'est pas nette, mais confuse,embarrassée dans une épaisseur de cheveuxétrangers qu'ils préfèrent aux naturels, et dont ilsfont un long tissu pour couvrir leur télé : il descendà la moitié <strong>du</strong> corps, change les traits, et empoche 'qu'on ne connoisse les hommes à leur visage. Cespeuples d'ailleurs ont leur dieu et leur roi. Les grandsde la nation s'assemblent tous les jours, à une certaineheure, dans un temple qu'ils nomment église. Ily a au fond de ce temple un autel consacré à leurdieu, où un prêtre célèbre des mystères, qu'ils appellentsaints, sacrés et redoutables. Les grands formentun vaste cercle au pied de cet autel, et paroissentdebout, le dos tourné directement au prêtre etaux saints mystères, et les faces élevées vers leur roi,que l'on voit à genoux sur une tribune, et à qui ilssemblent avoir tout l'esprit et tout le cœur appliqués.On ne laisse pas de voir dans cet usage une espèce desubordination : car ce peuple paroît adorer le prince,et le prince adorer Dieu. Les gens <strong>du</strong> pays le nomment***a ; il est à quelque quarante-huit degrés d'élévation<strong>du</strong> pôle, et à plus d'onze cents lieues de merdes Iroquois et des Hurons.T Qui considérera que le visage <strong>du</strong> prince fait toutela félicité <strong>du</strong> courtisan, qu'il s'occupe 3 et se remplitpendant toute sa vie de le voir et d'en être vu, comliVàH* Ils descendent..., changent... et empêchent,2. Versailles. — Quelques éditeurs modernes ont mis ce mot en toutes IeU1res, sans voir q


176 DR LA COUR.prendra un peu comment voir Dieu peut faire toute lagloire et tout le bonheur des saints.i Les grands seigneurs sont pleins d'égards pour lesprinces : c'est leur affaire, ils ont des inférieurs. Lespetits courtisans se relâchent sur ces devoirs, font lesfamiliers, et vivent comme gens qui n'ont d'exemplesà donner à personne,T Que manque-t-il de nos jours à la jeunesse? Ellepeut et elle sait, ou <strong>du</strong> moins quand elle sauroitautant qu'elle peut, elle ne scroit pas plus décisive.T Foibles hommes l un grand dit de Timagbne> votreami, qu'il est un sot et il se trompe : je ne demandepas que vous répliquiez qu'il est homme d'esprit; osezseulement penser qu'il n'est pas un sot.De môme il prononce d*Iphicrate qu'il manque decœur : vous lui avez vu faire une belle action, rassurez-vous;je vous dispense de la raconter, pourvuqu'après ce que vous venez d'entendre, vous vous souveniezencore de la lui avoir vu faire.\ Qui sait parler aux rois?c'est peut-être où se terminetoute la prudence et toute la souplesse <strong>du</strong> courtisan.Une parole échappe, et elle tombe de l'oreille<strong>du</strong> prince bien avant dans sa mémoire, et quelquefoisjusque daus son cœur ; il est impossible de laravoir ; tous les soins que l'on prend et toute l'adressedont on use pour l'expliquer ou pour l'affoiblir serventà la graver plus profondément et à l'enfoncerdavantage : si ce n'est que contre nous-mêmes quenous ayons parlé, outre que ce malheur n'^st pas ordinaire,il y a encore un prompt remède, qui est denous instruire par notre faute, et de souff/ir la peinede notre légèreté ; mais si c'est contre quelque autre,quel abattement ! quel repentir I Y a-t-il u ae règle plusutile contre *m si dangereux inconvénient que deparler des autres au souverain, de leurs personnes, de-1


AtffcWGrf' , . ^ïtk."$m*»ftmSDE LA COim. 177leurs ouvrages, de leurs actions, de leurs mœurs, oude leur con<strong>du</strong>ite, <strong>du</strong> moins avec l'attention, les précautionset les mesures dont un parle de soi,1 Diseurs de bons mots, mauvais caractère- : je lodirois, s'il n'avoit été dit \ Ceux qui nuisent h la réputationou à la fortune des autres, plutôt que deperdr^ un bon mot, méritent une peine infamante .*cela n'a pas été dit, et je l'ose dire,T II y a un certain nombre de phrases toutes faitesque l'on prend comme dans un magasin, et dont l'onse sert pour se féliciter les uns les aulres sur les événements.Bien qu'elles se disentsouvent sansafTection,et qu'elles soient reçues sans reconnoissance, il n'estpas permis avec cela de les omettre, parce que <strong>du</strong>moins elles sont l'image de ce qu'il y a au monde demeilleur, qui est l'amitié, et que les hommes, ne pouvantguère compter les uns sur les aulres pour laréalité, semblent être convenus entre eux de se contenterdes apparences.1 Avec cinq ou six termes de l'art, et rien de plus,l'on se donne pour connoisseur en musique, en tableaux,en bâtiments, et en bopue chère; l'on croitavoir plus de plaisir qu'un autre _ entendre, à voir età manger; l'on impose à ses semblables, et l'on setrompe soi-môme.T La cour n'est jamais dénuée d'un certain nombrede gens en qui l'usage <strong>du</strong> monde, la politesse ou lafortune tiennent lieu d'esprit, et suppléent au mérite.Ils savent entrer et sortir; ils se tirent de la conversationen ne s'y môlant point ; ils plaisent à forcede se taire, et se rendent importants par un silencelongtemps soutenu, ou tout au plus par quelques mo*nosyllabes; ils payent de mines, d'une inflexion devoix, d'un geste et d'un sourire; ils n'ont pas, si jei. Par Pascal, dans les Pensée*.


178 DE LA COUR.l'ose dire, deux pouces do profondeur ; si vous lesenfoneew, vous rencontrez le tuf.• -T II y a des gens à qui la faveur arrive comme un accident,ils en sont les premiers surpris et consternés;ils se reconnoissent enfin, et se trouvent dignes deleur étoile; et comme si la stupidité et la fortuneétoienl deux choses incompatibles, ou qu'il fût impossibled'être heureux et sot tout à la fois, ils secroient de l'esprit; ils hasardent, que dis-je? ils ontla confiance déparier en toute rencontre, et sur quelquematière qui puisse s'offrir, et sans nul discernementdes personnes qui les écoutent. Ajouterai-jefu'ils épouvantent ou qu'ils donnent le dernier dégoûtpar leur fatuité et par leurs fadaises? Il est vrai <strong>du</strong>.moins qu'ils déshonorent sans ressource ceux qui ontquelque part au hasard de leur élévation.ï Comment nommerai-je cette sorte de gens qui nesont fins que pour les sots? Je sais <strong>du</strong> moins queles habiles les confondent avec ceux qu'ils saventtromper.C'est avoir fait un grand pas dans la finesse que defaire penser de soi que l'on n'est que médiocrementfin".La finessen'est ni une trop bonne ni une trop mauvaisequalilé; elle flotte entre le vice et la vcrlu; iln'y a point de rencontre où elle ne puisse, et peutêtreoù elle ne doive être suppléée par Uf prudence.La finesseest l'occasion prochaine de la fourberie,de l'un à l'autre le pas est glissant; le mensongeseul en fait la différence : si on l'ajoute à la finesse,c'est fourberie.Avec les gens qui par finesse écoutent tout et par-1. C'est une grande habileté que de savoir cacher sou habileté. (LA ROCHB-FOCCJUL».)


DR LA COUR.Î7Hent peu, parlez encore moins; ou si vous parlez beaucoup,dites peu de chose,T Vous dépendez, dans une affaire qui est juste etimportante, <strong>du</strong> consentement de deux personnes. L'unvous dit : J'y donne les mains pourvu qu'un tel y condescende;et ce tel y condescend, et ne désire plusque d'être assuré des intentions de h.ulrc. Cependantrien n'avance ; les mois, les années s'écoulent inutilement.Je m'y perds, dites-vous, et je n'y comprendsrien ; il ne s'agit que do faire qu'ils s'abouchent, etqu'ils se parlent» Je vous dis, moi, que j'y vois clair,et que j'y comprends tout : ils se sont parlé.«f II me semble que qui sollicite pour les autres a laconfiance d'un homme qui demande justice, et qu'enparlant ou en agissant pour soi-même on a l'embarraset la pudeur de celui qui demande grâce.f Si l'on ne se précautionne à la cour contre lespièges que l'on y tend sans cesse pour faire tomberdans le ridicule, l'on est étonné, avec tout son esprit,de setromerla <strong>du</strong>pe de plus sols que soi.^ Il y a quelques rencontres dans la vie où la véritéet la simplicité sont le meilleur manège <strong>du</strong> monde.1 Êtes-vous en faveur, tout manège est bon, vousne faites point de fautes, tous les chemins YOUS mènentau terme ; autrement tout est faute, rien n'estutile, il n'y a point de sentier qui ne vous égare.^ Un homme qui a vécu dans l'intrigue un certaintemps ne peut plus s'en passer; toute autre vie pourlui est languissante.1 II faut avoir de l'esprit pour être homme de cabale;l'on peut cependant en fivoir à un certain point,que l'on est au-dessus.de l'intrigue et de la cabale, etque l'on ne sauroit s'y assujettir; l'on va alors h unegrande fortune ou à une haute réputation par d'autreschemins.^ Avec un esprit sublime, une doctrine universelle,


180 DE LA COUR.une probité à toutes épreuves, et un mérite très-accompli,n'appréhendez pas, 6 Aristide, de tomber àla cour ou de perdre la faveur des grands, pendanttout le temps qu'ils auront besoin de vous.«f Qu'uu favori s'observe de fort près, car, s'il mefait moins attendre dans son antichambre qu'à l'ordinaire,s'il a le visage plus ouvert, s'il fronce moins lesourcil, s'il m'écoule plus volontiers, et s'il me recon<strong>du</strong>itun peu plus loin, je penserai qu'il commence atomber, et je penserai vrai,L'homme a bien peu de ressources dans soi-même,puisqu'il lui faut une disgrâce ou une mortificationpour le rendre plus humain, plus trailable, moinsféroce, plus honnête homme.^ L'on contemple dans les cours de certaines gens,et l'on voit bien, à leur discours et à toute leur con<strong>du</strong>ite,qu'ils ne songent ni à leurs grands-pères, ni àleurs pelils-iils : le présent est pour eux ; ils n'enjouissent pas, ils en abusent.^ Straton est né sous deux étoiles ; malheureux,heureux dans le même degré. Sa vie est un roman.Non, il lui manque le vraisemblable. Il n'a point eud'aventures, il a eu de beaux songes, il en a eu- demauvais; que dis-je? on ne rêve point comme il aa vécu. Personne n'a tiré d'une destinée plus qu'il afait ; l'extrême et le médiocre lui sont connus ; il abrillé, il a souffert, il a mené une vie commune^ rienne lui est échappé. 11 s'est fait valoir par des vertusqu'il assuroit fort sérieusement qui étoient en lui ; ila dit de soi : J'ai de l'esprit\ j'ai <strong>du</strong> courage; et tousont dit après lui': // a de l'esprit, il a <strong>du</strong> courage. Il aexercé dans l'une et l'autre fortune le génie <strong>du</strong> courtisan,qui a dit de lui plus de bien peut-être et plus demal qu'il n'y en avoit. Le joli, l'aimable, le rare, lemerveilleux, l'héroïque, ont été employés a son éloge ;et tout le contraire a servi depuis pour le ravaler : ca-


1 c • ' 'DK LA COUR, 181ractére équivoque, môle, enveloppé; une énigme, unequestion presque indécise 1 .^ La faveur met l'homme au-dessus de ses égaux ;et sa chute au-dessous.^ Celui qui, un beau jour, sait renoncer fermementou à un grand nom, ou à une grande autorité, ou àune grande fortune, se délivre en un moment de biendes peines, de bien des veilles, et quelquefois de biendes crimes.T Dans cent ans, le monde subsistera encore en sonentier ; ce sera le mAme théâtre et les mômes décorations,ce ne seront plus les mômes acteurs. Tout cequi se réjouit sur une grâce roçue, ou ce qui s'attristeet se désespère sur un refus, tous auront disparu dedessus la scène. Il s'avance déjà sur le théâtre d'autreshommes qui vont jouer dans une môme pièce lesmômes rôles ; ils s'évanouiront à leur tour ; et ceuxqui ne sont pas encore, un jour ne seront plus ; denouveaux acteurs ont pris leur place. Quel fond à fairesur un personnage de comédie '.1 Quia vu la cour a vu <strong>du</strong> monde ce qui est le plusbeau, le plus spécieux et le plus orné ; qui méprisela cour après l'avoir vue méprise le monde.\ La ville dégoûte de la province ; la cour détrompede la ville, et guérit de la cour.Un esprit sain puise à la cour le goût de la solitudeet de la retraite.1. Lauzun, « Il a été un personnage si extraordinaire et si unique en tontgenre, que c'est avec beaucoup de raison que La Bruyère a dit de lui, dansses Caractères, qu'il n'eloit pas permis de rêver comme il a vécu. • ( SUST-SIUOX.)2. M. Destailleur, à propos de cet article, rappelle que la même pensée setrouve dans le Petit Carême de Massillon, -—sermon <strong>du</strong> jeudi de la IV e se*niaine, — et dans Don Quichotte, — II* part., ch. 12»4 *16


DES GRANDS*,La prévention <strong>du</strong> peuple en faveur des grands es!si aveugle, et Pentôtemenl pour leur geste, leur visage, leur tonde voix et leurs manières si général,que s'ils s'avisoient d'être bons, cela iroità Tidolâtrie.î Si vous êtes né vicieux, à Théagène> je vous plains;si vous le devenez par foiblesse pour ceux qui ontintérêt que vous le soyez, qui ont juré entre eux devous corrompre, et qui se vantent déjà de pouvoir yréussir, souffrez que je vous méprise. Mais si vousêtes sage, tempérant, modeste, civil, généreux, reconnoissant,laborieux, d'un rang d'ailleurs et d'unenaissance à donner des exemples plutôt qu'à les prendred'autrui, et; à faire les règles plutôt qu'à les recevoir,convenez avec cette sorte de gens de suivre parcomplaisance leurs dérèglements, leurs vices et leurfolie, quand ils auront, par la déférence qu'ils vousdoivent, exercé toutes les vertus que vous chérissez ;ironie forte, mais utile, très-propre à mettre vos%I. Quoiqu'il contienne des vérités qui seront éternellement vraies, cecha*pitre repose plutôt sur l'observation accidentelle de la société que sur l'observationabsolue <strong>du</strong> cœur humain. La prévention <strong>du</strong> peuple en faveur des grandsn'est plus ce qu'elle était au temps de La Bruyère; loin de là* Ce mot degrand lui-même n'a plus l'acception qu'il avait alors. H y a de hauts fonctionnaires!des riches, il n'y a plus de grands, depuis que l'égalité devant laloi a été inscrite dans nos codes. Il est facile d'ailleurs de voir que La Bruyèrene reconnaissait guère et n'admettait d'autre aristocratie que celle de l'Intel*ligence et de l'honneur, et qu'il avait à cœur de protester contre les préjugésde son temps, préjugés qui éclatent dans les mémoires de Saint-Simon.La Bruyère devançait Pave ni r; Saint-Simon reculait vers le passé, et c'est lece qui fait que Saint-Simon, malgré son génie d'écrivain, paraît quelquefois siridicule en parlant des grands, tandis que La Bruyère nous charme encore, bicaqu'il présente ici la critique d'une société finie sans retour*i->'%•"--tts^H"fc*'-»*-


Vfcç-.j DES CRANDS. ïSÏ| mœurs en sûreté, à renverser tous leurs projets, et à| les jeter dans le parti de continuer d'être ce qu'ilsi sont, et de vous laisser tel que vous êtes.? 1 L'avantage des grands sur les autres hommes estimmense par un endroit i je leur cède leur bonnechère, leurs riches ameublements, leurs chiens, leurschevaux, leurs singes, leurs nains, leurs fous et leursflatteurs ; mais je leur envie le bonheur d'avoir à leurservice des gens qui les égalent par le cœur et parl'esprit, et qui les passent quelquefois.j Les grands se piquent d'ouvrir une allée dans uneforêt, de soutenir des terres par de longues murailles,de dorer des plafonds, de faire venir dix poucesd'eau, de meubler une orangerie ; mais de rendre uncœur content, de combler une ûme de joie, de prévenird'extrêmes besoins ou d'y remédier, leur curiositéne s'étend point jusque-là.T On demande si, en comparant ensemble les différentesconditions des hommes, leurs peines, leursavantages, on n'y remarqueroit pas un mélange ouune espèce de compensation de bien et de mal quiétabliroit entré elles l'égalité, ou qui feroit <strong>du</strong> moinsque l'une ne seroit guère plus désirable que l'autre.Celui qui est puissant, riche, et à qui il ne manquerien, peut former cette question; mais il faut que cesoit un homme pauvre qui la décide.11 ne laisse pas d'y avoir comme un charme attachéà chacune des différentes conditions et qui y demeure,jusques à ce que la misère l'en ait ôté. Ainsiles grands se plaisent dans l'excès, et les petits aimentla modération ; ceux-là ont le goût de domineret de commander, et ceux-ci sentent <strong>du</strong> plaisir etmôme de la vanité à les servir et à leur obéir; lesgrands sont entourés, salués, respectés; les petitsentourent, saluent, se prosternent ; et tous sontcontents.


i *4-184 DES GRANDS*s- £*• •*•1 II coûte si peu aux grands de ne donner que destft'paroles, et leur condition les dispense si fort de tenirj| les belles promesses qu'ils vous ont faites, que c'est«i*modestie à eux de ne promettre pas encore pluslargement.T II est vieux et usé, dit un grand ; il s'est crevé àETme suivre ; qu'en faire? Un autre, plus jeune, enlèveses espérances, et obtient le poste qu'on ne refuse àce malheureux que parce qu'il l'a trop mérité.! We ne sais, dites-vous avec un air froid et dédaigneux,Philante a <strong>du</strong> mérite, de l'esprit, de l'agrément,de l'exactitude sur son devoir, de la fidélité etde l'attachement pour son maître, et il en est médiocrementconsidéré ; il ne plaît pas, il n'est pas goûté.t.Expliquez-vous : est-ce Philante, ou le grand qu'ilsert, que vous condamnez ?T II est souvent plus utile de quitter les grands que• de s'en plaindre.î Qui peut dire pourquoi quelques-uns ont le grosr. •lot, ou quelques autres la faveur des grands?f Les grands sont si heureux qu'ils n'essuient pasmôme dans toute leur vie l'inconvénient de regretterla perte de leurs meilleurs serviteurs, ou des personnesillustres dans leur genre, et dont ils ont tiré leplus de plaisir et le plus d'utilité. La première choseque la flatteriesait faire, après la mort de ces hommesuniques, et qui ne se réparent point, est de leur supposer- Sdes endroits foibles, dont elle prétend que ceuxqui leur succèdent sont très-exempts ; elle assure quel'un, avec toute la capacité et toutes leslumiôres del'autre, dont il prend là place, n'en a point les défauts ;et ce style sert aux princes à se consoler <strong>du</strong> grand .etde l'excellent par le médiocre.1 Les grands dédaignent les gens d'esprit qui n'ontque de l'esprit ; les gens d'esprit méprisent les grandsqui n'ont que de la grandeur; les gens de bien plai-1 r3?-' ft .»«**^^-Fr», BIJ M.t+i +„


*DES GRANDS. 185gnent les uns et les autres, qui ont ou de la grandeurou de l'esprit, sans nulle vertu.T Quaiuï je vois, d'une part, auprès des grands, àleur table, et quelquefois dans leur familiarité de ceshommes licites, empressés, intrigants, aventuriers,esprits dangereux et nuisibles, et que je considère,d'autre part, quelle peiné ont les personnes démériteà en approcher, je né suis pas toujours disposé àcroire que les méchants soient soufferts par intérêt,ou que les gens de bien soient regardés comme inutiles;je trouve plus mon compte à me confirmerdans celte pensée que grandeur et discernement sontdeux choses différentes, et l'amour pour la vertu etpour les vertueux une troisième chose.


*v » '-* '•,' 1- * v>/*186 DES Gn'AXDS.Dieu comme de la sienne propre ; il y en a d'un plushaut rang et d'une grande distinction dont il ne doitaucun compte, et dont il se charge plus volontiers. Ilécoute; il veille sur tout ce qui peut servir de pâtureà son esprit d'intrigue, de médiation et de manège :à peine un grand est-il débarqué, qu'il l'empoigne ets'en saisit; on entend plutôt dire à Théophile qu'ille gouverne, qu'on n'a pu soupçonner qu'il pensoit àle gouverner l .1 Une froideur ou une incivilité qui vient de ceuxqui sont au-dessus de nous nous les fait haïr J , mais unsalut ou un sourire nous les réconcilie.î II y a des hommes superbes que l'élévation deleurs rivaux humilie et apprivoise; ils en viennent,par cette disgrâce, jusqu'à rendre le salut; mais letemps, qui adoucit toutes choses, les remet enfin dansleur naturel.^ Le mépris que les grands ont pour le peuple lesrend indifférents sur les flatteriesou sur les. louangesqu'ils en reçoivent, et tempère leur vanité ; de même,les princes, loués sans fin et sans relâche des grandsou des courtisans, en seroient plus vains, s'ils estimoientdavantage ceux qui les louent.1 Les grands croient être seuls parfaits, n'admettentqu'à peine dans les autres hommes la droiture d'esprit,l'habileté, la délicatesse, et s'emparent de ces richestalents, comme de choses <strong>du</strong>es à leur naissance!C'est cependant en eux une erreur grossière de senourrir de si fausses préventions; ce qu'il y a jamaiseu de mieux pensé, de mieux dit, de mieux écrit, etpeut-être d'une con<strong>du</strong>ite plus délicate, ne nous estpas toujours venu de leur fonds. Ils ont de grands domaineset une longue suite d'ancêtres; cela ne leurpeut être contesté.I. Cel article a été appliqué à l'nlbc Je RoqueU«?,évèqiic d'Autan, qui auraitfourni, tutvant S&lnUSitnon cl madame île Scvlgué, le type de Tartuffe,8. Vin. Nous ttt rend haïssable$,


' • •f!i"DES GRANDS. 1871 Avez-vous de l'esprit, de la grandeur, de l'habileté,<strong>du</strong> goût, <strong>du</strong> discernement? en croirai-je la préventionet la flatterie, qui publient hardiment votremérite? elles me sont suspectes, et je les récuse. Melaisserai-je éblouir par un air de capacité ou de hauteurqui vous met au-dessus de tout ce qui se fait, dece qui se dit et de ce qui s'écrit ; qui vous rend sec surles louanges, et empêche qu'on ne puisse arracher devous la moindre approbation? Je conclus de la plusnaturellement que vous avez de la faveur, <strong>du</strong> crédit etde grandes richesses. Quel moyen de vous définir,Téléphon ' ? on n'approche de vous que comme <strong>du</strong> feu,et dans une certaine distance; et il faudroit vous développer,vous manier, vous confronter avec vos pareils,pour porter de vous un jugement sain et raisonnable.Votre homme de confiance, qui est dansvotre familiarité, dont vous prenez conseil, pour quivous quittez Socrate et Aristide^ avec qui vous riez etqui rit plus haut que vous, Bave enfin, m'est trèsconnu; seroit-ce assez pour vous bien connotlrc?} 11 y en a de tels, que, s'ils pouvoient connoitreleurs subalternes et se connoître eux-mêmes, ils auraienthonte de primer.\ S'il y a peu d'excellents orateurs, y a-t-il bien desgens qui puissent les entendre? S'il n'y a pas assez debons écrivains, où sont ceux qui savent lire? De mômeon s'est toujours plaint <strong>du</strong> petit nombre de personnescapables de conseiller les rois, et de les aider dansl'administration de leurs affaires. Mais s'ils naissentenfin, ces hommes habiles et intelligents, s'ils agissentselon leurs vues et leurs lumières, sont-ils aimés,sont-ils estimés autant qu'ils le méritent? Sont-ilsloués de ce qu'ils pensent et de ce qu'ils font pour lapatrie? Ils vivent, il suffit : on les censure s'ils échouent»1. Sui vaut les contemporains le <strong>du</strong>e de LaFcuilladc.• *


T: -. "^*:'**'+' */ * * st- • » • -; w* v v v •• v - v-r-;" 7 fV* - *.188 DES GRANDS.et on les envié s'ils réussissent. Blâmons le peuple ohil seroit ridicule de voulcir l'excuser. Son chagrin etsa' jalousie, regardés des grands ou des puissantscomme inévitables, les ont con<strong>du</strong>its insensiblement àle compter pour rien, et à négliger ses suffrages danstoutes leurs entreprises, à s'en faire môme une règlede politique.Les petits se haïssent les uns les autres lorsqu'ilsse nuisent réciproquement. Les grands sont odieuxaux petits par le mal qu'ils leur font, et par tout Jebien qu'ils ne leur font pas. Ils leur sont responsablesde leur obscurité, de leur pauvreté et de leur infortune;ou <strong>du</strong> moins ils leur paroissent tels.\ C'est déjà trop d'avoir avec le peuple une mômereligion et un môme dieu: quel moyen encore des'appeler Pierre, Jean, Jacques, comme le marchandou le laboureur? Évitons d'avoir rien de commun avecla multitude ; affectons au contraire toutes les distinctionsqui nous en séparent. Qu'elle s'approprie tesdouze apôtres, leurs disciples, les premiers martyrs(telles gens, tels patrons); qu'elle voie avec plaisirrevenir, toutes les années, ce jour particulier que .chacun célèbre centime sa fôte. Pour nous autresgrands, ayons recours aux noms profanes; faisonsnousbaptiser sous ceux d'Annibal, de César et de. Pompée, c'étoient de grands hommes; sous celui doLucrèce, c'étoit une illustre Romaine; sous ceux deItenaud, de Roger, d'Olivier et de ïancrèdc, c'étoientdes paladins, et le roman n'a point de héros plusmerveilleux; soué ceux d'Hector, d'Achille, d'Hercule,tous demi-dieux; sous ceux môme de Phôbus et deDiane '. Et qui nous empochera de nous faire nommerJupiter, ou Mercure, ou Vénus, ou Adonis '.1. LA cltf cite entre autrei paml les penonnàget marquant» qui ont portécei noms t Chat de Vendôme, Annlbal d'Eitrée», Hercule de Rohati, Achillede Harlay, Vhébusde Fols, Diane d« Ch.asllgnter. (A. fiiitAittini.)t. Le travers que La Dru) èr«" j^'iaîc dans ce paragraphe a reparu de notre


. IV'*•:*: \DES fiiuxns. 189T Perdant que les grands négligent de rien connoître,je ne dis pas seulement aux intérêts des princeset aux affaires publiques, mais à leurs propres affaires,qu'ils ignorent l'économie et la science d'un père defamille, et qu'ils se louent eux-mômes de celte ignorance; qu'ils se laissent appauvrir et maîtriser pr.r desintendants; qu'ils se contentent d'ôtrt gourmets oucoteaux \ d'aller chez Thaïs ou chez Phryné,'de parlerde la meute et de la vieille meute, de dire combien ily a de postes de Paris à Besançon, ou à Philisbourg,des citoyens s'instruisent <strong>du</strong> dedans et <strong>du</strong> dehors d'unroyaume, étudient le gouvernement, deviennent finset politiques, savent le fort et le foible de tout unÉtat, songent à se mieux placer, se placent, s'élèvent,deviennent puissants, soulagent le prince d'une partiedes soins publics 2 . Les grands, qui les dédaignoient,les révèrent; heureux s'ils deviennent leurs gendres!î Si je compare ensemble les deux conditions deshommes les plus opposées, je veux dire les grands avecle peuple, ce dernier me paroit content <strong>du</strong> nécessaire,et les autres sont inquiels et pauvres avec le superflu.Un homme <strong>du</strong> peuple ne sauroit faire aucun mal ; ungrand ne veut faire aucun bien, et est capable degrands maux. L'un ne se forme et ne s'exerce quedans les choses qui sont utiles ; l'autre y joint les pernicieuses.Là se <strong>mont</strong>rent ingénument la grossièretéet la franchise ; ici se cache une séve maligne et cortemps,surtout pour tes noms de femme; maîs comme les petits avaient prisles noms des grands, les gens <strong>du</strong> monde, comme on dit de nos jours, ontrepris les noms que tes pelUs avaient quittés, rit ils en sont revenus eu calendrier.i * Ce nom fut donné à trois grands seigneurs tenant table, qui étaient par*tagés sur l'estime qu'on devait faire des vins des coteaux qui sont aut entbonsde Keims*2* La Bruyère donne tei en quelques mots l'histoire de* causes la décadencede la noblesse, et de l'élévation des classes moyennes* Il adresse enmémo temps un hommage indirect à Louis XIV, qui avait créé ta nouvelleAristocratie <strong>du</strong> talent»


v/•l .r •*100 DES CUANDS.fonipue sous l'dcorcc de la politesse. Le peuple n'aguère d'espritj et les grands n'ont point d'àmc ; celui-làa un bon fond, et n'a point oie dehors ; ceux-cin'ont que des dehors et qu'une simple superficie.Faut-il opter ? Je ne balance pas, je veux êtrepeuple 1 »1 Quelque profonds que soient les grands de la cour,et quelque art qu'ils aient pour paroître ce qu'ils nesont pas, et pour ne point pirottre ce qu'ils sont, ilsne peuvent cacher leur malignité, leur extrême penteà rire aux dépens d'autrui, et à jeter un ridicule souventoù il n'y en peut avoir. Ces beaux talents se découvrenten eux <strong>du</strong> premier coup d'oeil ; admirablessans doute pour envelopper une <strong>du</strong>pe et rendre sotcelui qui l'est déjà, mais encore plus propres à leurôter tout le plaisir qu'ils pourroient tirer d'un hommed'esprit, qui sauroit se tourner et se plier en millemanières agréables et réjouissantes, si le dangereuxcaractère <strong>du</strong> courtisan ne l'engageoit pas à » une fortgrande retenue. II lui oppose un 8 caractère sérieux,dans lequel il se retranche ; et il fait si bien que lesrailleurs, avec des intentions si mauvaises, manquentd'occasions de se jouer de lui.^ Les aises de la vie, l'abondance, le calme d'unegrande prospérité, font que les princes ont de la joiede reste pour rire d'un nain, d'un singe, d'un imbécileet d'un mauvais conte : les gens moins heureuxne rient qu'à propos.^Un grand aime la Champagne, abhorre la Brie;il s'enivre de meilleur vin que l'homme <strong>du</strong> peuple ;seule différence que la crapule laisse entre les con-1» It n'est pas besoin de faire remarquer que te paragraphe ci-dessus estCime des professions de foi démocratiques tes plus vives qui aient été faitesdans notre tangue. C'est en quelques lignes la contre-partie de ta célèbre satirede Boiîeau, sur la Noblesse,2. V A R . A'e lui imposoit pas,3. Vin, // ne lui reste que le.


t F{ .i f i^iV,.•"«'h1DES GRANDS. 191ditions les plus disproportionnées» entre le seigneuret l'estafler.11l semble d'abord qu'il entre dans les plaisirs desprinces un peu de celui d'incommoder les autres;mais non, les princes ressemblent aux hommes» ilssongent à eux-mêmes, suivent leur goût, leurs passions,leur commodité : cela est naturel.^11 semble que la première règle des compagnies,des gens en place ou des puissants, est de donner àceux qui dépendent d'eux pour le besoin de leursaffaires toutes les traverses qu'ils en peuvent crair-dve.1 Si un grand a quelque degré de bonheur sur lesautres hommes» je ne devine pas lequel» si ce n'estpeut-être de se trouver souvent dans le pouvoir etdans l'occasion de faire plaisir; et, si elle naît, cetteconjoncture, il semble qu'il doive s'en servir ; si c'esten faveur d'un homme de bien, il doit appréhenderqu'elle ne lui échappe. Mais, comme c'est en unechose juste, il doit prévenir la sollicitation, et n'êtrevu que po.ur être remercié ; et, si elle est facile, il nedoit pas même la lui faire valoir. S'il la lui refuse, jeles plains tous deux.J II y a des hommes nés inaccessibles, et ce sontprécisément ceux de qui les autres ont besoin, de quiils dépendent ; ils ne sont jamais que sur un pied ;mobiles comme le mercure, ils pirouettent, ils gesticulent,ils crient, ils s'agitent ; semblables à ces figuresde carlon qui servent de <strong>mont</strong>re à une fêtepublique, ils jettent feu et flamme, tonnent et foudroient:on n'en approche pas, jusqu'à ce que, venantà s'éteindre, ils tombent, et par leur chute deviennenttraita blés, mais inutiles.ï Le suisse, le valet de chambre, l'homme de livrée,s'ils n'ont plus d'esprit que ne porte leur condition,ne jugent plus d'eux-mêmes par leur première bassesseK mais par l'élévation de la fortune des gens


- »-• - - i . f • 's- • • •I »192 DES GRANDS.qu'ils servent, et mettent tous ceux qui entrent parleur porte, et <strong>mont</strong>ent leur escalier, indifféremment,au-dessous d'eux et de leurs maîtres : tant il est vrai«ju'ofo est destiné à souffrir des grands et de ce quileur appartient l^ Un homme en place doit aimer son prince, safemme, ses enfants ', et après eux les gens d'esprit; il,les doit adopter ; il doit s'en fournir et n'en jamaismanquer. H ne sauroit payer, je ne dis pas de trop depensions et de bienfaits, mais de trop de familiarité«t de caresses, les secours et les services qu'il en tire,même sans le savoir. Quels petits bruits ne dissipentilspas? quelles histoires ne ré<strong>du</strong>isent-ils pas à la fableet à la fiction? Ne savent-ils pas justifier les mauvaissuccès par les bonnes intentions ; prouver la bontéd'un dessein et la justesse des mesures par le bonheurdes événements ; s'élever contre la malignité etl'envie pour accorder à de bonnes entreprises demeilleurs motifs ; donner des .explications favorablesà des apparences qui étoient mauvaises; détournerles petits défauts, ne <strong>mont</strong>rer que les vertus, et lesmettre dans leur jour ; semer en mille occasions desfaits et des détails qui soient avantageux, et tournerle ris et la moquerie contre ceux qui oseroient endouter ou avancer des faits contraires? Je sais que lesgrands ont pour maxime de laisser parler, et de continuerd'agir; mais je sais aussi qu'il leur arrive,.enplusieurs rencontres» que laisser dire les empêche defaire.5 Sentir le mérite, et, quand il est une fois connu,le bien traiter : deux grandes démarches à fairetout de suite, et dont la plupart des grands sont fortincapables.\ Tu es grand, tu es puissant ; ce n'est pas assez i 't. VA» Safemmi ta enfants, ton princ*,


•V-•—"# •• i •DES GRANDS. 193fais que je t'estime, afin que je sois triste d'êtredéchu de tes bonnes grâces, ou de n'avoir pu lesacquérir.\ Vous dites d'un grand ou d'un homme en placequ'il est prévenant, officieux, qu'il aime à faire plaisir;et vous le confirmez par un long détail de ce qu'ila fait en une affaire où il a su que vous preniez intérêt*Je vous entends : on va pour vous au-devant dela sollicitation, vous avez <strong>du</strong> crédit, vous êtes connu<strong>du</strong> ministre, vous êtes bien avec les puissances : désiriez-vousque je susse autre chose?Quelqu'un vous dit : Je me plains d'un tel; il est fierdepuis son élévation, il me dédaigne, il ne me connoîtplus, —Je n'ai pas pour moi, lui répondez-vous, sujetde m'en plaindre ; au contraire, je m'en loue fort; et ilme semble même qu'il est assez civil» Je crois encorevous entendre î vous voulez qu'on sache qu'un hommeen place a de l'attention pour vous, et qu'il vous démêledans l'antichambre entre mille honnêtes gensde qui il détourne ses yeux, de peur de tomber dansl'inconvénient de leur rendre le salut ou de leursourire.Se louer de quelqu'un, se louer d'un grand, phrasedélicate dans son origine, et qui signifie sans doutese louer soi-même, en disant d'un grand to"t le bienqu'il nous a fait, ou qu'il n'a pas songé à nousfaire.On loue les grands pour marquer qu'on les voit deprès, rarement par estime ou par gratitude. On neconnoît pas souvent ceux que l'on loue : la vanité oula légèreté l'emporte quelquefois sur le ressentiment;on est mal content d'eux et on les loue.^ S'il est périlleux de tremper dans une affaire susecte,il l'est encore davantage de s'y trouver compliced'un grand : il s'en tire, et vous laisse payerdoublement, pour lui et pour vous.t?


^ *4 .* {- V/194 DES CKANDS.\ Le prince n'a point assez de toute sa fortune pourpayer une basse complaisance, si l'on en juge partout ce que celui qu'il veut récompenser y a mis <strong>du</strong>sieni ; pt il n'a pas trop de toute sa puissance pour lepunir, s'il mesure sa vengeance au tort qu'il en areçu.


V tDES GUANOS. l u: )Jetez-moi dans les troupes comme un simple soidat,je suis ïHERSITE; mettez-moi à la tôtc d'une arméedont j'aie à répondre à toute l'Europe, je suisACHILLE.î Les princes, sans autre science ni autre règle \ont un goût de comparaison : ils sont nés et élevésau milieu et comme dans 1 le centre des meilleureschoses, à quoi ils rapportent ce qu'ils lisent, ce qu'ilsvoient et ce qu'ils entendent. Tout ce qui s'éloignetrop de LULLî, de RACINE et de LE BRUN, est condamné.T Ne parler aux jeunes princes que <strong>du</strong> soin de \cuirang est un excès de précaution, lorsque toute unecour met son devoir et une partie de sa politesse à lesrespecter, et qu'ils sont bien moins sujets à ignoreraucun des égards <strong>du</strong>s a leur naissance, qu'à confondreles personnes et les traiter indifféremment et sansdistinction des conditions et des litres. Ils ont unefierté naturelle, qu'ils retrouvent dans les occasions ;il ne leur faut des leçons que pour la régler, que pourleur inspirer la bonté, l'honnêteté et l'esprit de discernement.T C'est une pure hypocrisie à un homme d'une certaineélévation de ne pas prendre d'abord le rang quilui est <strong>du</strong> et que tout le monde lui cède. Il ne luicoûte rien d'être modeste, de se mêler dans la multitudequi va s'ouvrir pour lui, de prendre dans uneassemblée une dernière place, afin que lous l'y voientet s'empressent de l'en ôter. La modestie est d'unepour cota que tca seigneurs exposaient leur tfs pour te salut Je VÈtat et tagloire <strong>du</strong> souverain* Notre auteufr oublie d'ailleurs que tes gens de métiers.que posléLrétabli la ver! c des fallâ.I. Vin. Sans d'autre science ni d'autre rhjh


h;.% :DES GRANDS. 197^ Les grands ne doivent point aimer les dernierstemps ; ils ne leur sont point favorables : il est tristepour eux d'y voir que nous sortions tous <strong>du</strong> frère et dela sœur. Les hommes composent ensemble unemôme famille ; il n'y a que le plus ou le moins dans ledegré de parenté.î Théognis est recherché dans son ajustement, etil sort paré comme une femme ; il n'est pas hors desa maison, qu'il a déjà ajusté ses yeux et son visage,afin que ce soit une chose faite quand il sera dans-lepublic, qu'il y paroisse tout concerté, que ceux quipassent le trouvent déjà gracieux et leur souriant, etque nul ne lui échappe. Marche-t-ii dans les salles, ilse tourne à droite où il y a un grand monde, et à gaucheoù il n'y a personne; il salue ceux qui y sont etceux qui n'y sont pas. Il embrasse un homme qu'iltrouve sous sa main, il lui presse la tôte contre sapoitrine; il demande ensuite qui est celui qu'il a embrassé.Quelqu'un a besoin de lui dans une affairequi est facile ; il va le trouver, lui fait sa prière. Théognisl'écoute favorablement ; il est ravi de lui être bonà quelque chose; il le conjure de faire naître desoccasions de lui rendre service ; et, comme celui-ciinsiste sur son affaire, il lui dit qu'il ne la fera point ;il le prie de se mettre en sa place, il l'en fait juge. Leclient sort, recon<strong>du</strong>it, caressé, confus, presque contentd'être refusé.\C*est avoir une très-mauvaise opinion des hommes,et néanmoins les bien connollre, que de croire, dansun grand poste, leur imposer par des caresses étudiées,par de longs et stériles embrassements.\ Pamphile i ne s'entretient pas avec les gens qu'il1.r .a portrait de Pamphile a été appliqué à Dangcau, et c'est Saint-Simonqui le premier a fait te rapprochement j mais rien ne justifie cette esscrtîott,et tl est au contraire très-probable qu'il n'y a ià qu'une méchanceté de Saint*Simon, toujours si plein d'aigreur pour les nouveau* anoblis, Les savants17


! ' ' 'Vv-yl&SDES «RANDS.rencontre dans les salles ou dans les cours; si Ton encroit sa gravité et l'élévation de sa voix, il les reçoit,leur donne audience, les congédie ; il a des termestout h la fois civils et hautains, une honnêteté impérieuseet qu'il emploie sans discernement ; il a unefausse grandeur qui l'abaisse, et qui embarrasse fortceux qui sont ses amis, et qui ne veulent pas lemépriser.Un Pamphile est plein de lui-môme, ne se perd pasde vue, ne sort point de l'idée de sa grandeur, de sesalliances, de sa charge, de sa dignité ; il ramasse,pour ainsi dire, toutes ses pièces, s'en enveloppepour se faire valoir; il dit mon ordre, mon cordon bleu;il l'étalé ou il le cache par ostentation. Un Pamphile,en un mot, veut être grand, il croit l'être;il ne l'est pas, il est d'après un grand. Si quelquefoisil sourit à un homme <strong>du</strong> dernier ordre, a unhomme d'esprit, il choisit son temps si juste, qu'iln'est jamais pris sur le fait. Aussi ki rougeur lui <strong>mont</strong>eroit-elleau visage s'il étoit malheureusement surprisdans la moindre familiarité avec quelqu'un quin'est ni opulent, ni puissant , ni ami d'un ministre,ni son allié, ni son domestique. Il est sévère et inexorableà qui n'a point encore fait sa fortune. Il vousaperçoit un jour dans une galerie, et il vous fuit; elle..lendemain s'il vous trouve en un endroit moins public,ou, s'il est public, en la compagnie d'un grand,il prend courage, il vient à vous, et il vous dit : Vousne (alliezpas hier semblant de nous voir: Tantôt il vousquitte brusquement pour joindre un seigneur ou unpremier commis; et tantôt, s'il les trouve avec vousen conversation, il vous coupe et vous les enlève.Vous l'abordez une autre fois, et il ne s'arrête pas ; ilfrfib'ura ds% 5tims*if€â dt Uinsjwu rcf4im


jT-i.-f)RS fiïUXDS. 190se fait suivre, vous parle,si haut que c'est une scènepour ceux qui passent. Aussi les Pamphiles sont-ilstoujours comme sur un théâtre ; gens nourris dans lefaux, et qui ne haïssent rien tant que d'ôlrc naturels ;vrais personnages de comédie, des Floridors, desMondoris.On ne tarit point sur les Pamphiles : ils sont bas ettimides devant les princes et les ministres, pleins dehauteur et de confiance avec ceux qui n'ont que de lavertu; muets et embarrassés avec les savants; vifs,hardis et décisifs, avec ceux qui ne savent rien. Ilsparlent de guerre à un homme de robe, et de politiqueà un financier;ils savent l'histoire avec les femmes;ils sont poôtes avec un docteur, et géomètresavec un poëte. De maximes, ils ne s'en chargent pas ;de principes, encore moins; ils vivent à l'aventure,poussés et entraînés par le vent de la faveur et parl'attrait des richesses. Ils n'ont point d'opinion quisoit à eux, qui leur soit propre ; ils eu empruntent àmesure qu'ils en ont besoin ; et celui à qui ils ont recoursn'est guère un homme sage ou habile, ou vertueux; c'est un homme à la mode.t Nous avons pour les grands et pour les gens enplace une jalousie stérile ou une haine impuissantequi ne nous venge point de leur splendeur et de leurélévation, et qui ne fait qu'ajouter à notre propre misèrele poids insupportable <strong>du</strong> bonheur d'autt ui '. Quefaire contre une maladie le l'àme si invétérée et sicontagieuse? Conlentons^nous de peu, et de motntI. Les hommes aiment la grandeur; ils ta haïssent, l'adaûrect, Il cié^r;*cent. Us l'aiment parce qu'ils y toient lotit ce qu'ils dcsicîiit» le* pUUir*, Ushonneurs cl la puissance ; ils la haïssent parce qu'elle les rabaisse et les hamille,et qu'elle leur fait sentir la privation de ecsbîeus; ils l'aliuîfeut paréequ'ils eu sont ébloui»} il* la méprisent ou fout semblant d* U mépriser, airtdesVlever dans leur Imagination au-dessus des giands, cld* se Ivàtie ainsi u»egrandeur Imaginaire par le rabaissement de eeu\ qui soat l'objet d


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S •*. **»VDES GRANDS*20tlialités, des rapports, et ce qu'on appelle de mauvaisdiscours. Avec de bons yeux on voit sans peine lapetite ville, la rue Saint-Denis, comme transportées àV*** ou à F***', Ici l'on croit se haïr avec plus defierté et de hauteur, et peut-être avec plus de dignité.On se nuit réciproquement avec plus d'habiletéet de finesse, les colères sont plus iiloquentes, etl'on se dil des injures plus poliment et en meilleurstermes ; l'on n'y blesse point la pureté de la langue;l'on n'y offense que les hommes ou que leur réputation.Tous les dehors <strong>du</strong> vice y sont spécieux ; mais lefond, encore une fois, y est le même que dans les conditionsles plus ravalées. Tout le bas, tout le foible ettout l'indigne s'y trouvent. Ces hommes si grands oupar leur naissance, ou par leur faveur, ou par leursdignités, ces tôtes si fortes et si habiles, ces femmessi polies et si spirituelles, tous méprisent le peuple,et ils sont peuple.Qui dit le peuple dit plus d'une chose : c'est unevaste expression, et l'on s'étonneroit de voir ce qu'elleembrasse, et jusques où elle s'étend. Il y a le peuplequi est opposé aux grands : c'est la populace et lamultitude ; il y a le peuple qui est opposé aux sages,aux habiles etaux vertueux : ce sont les grands commeles petits.\ Les grands se gouvernent par sentiment : âmesoisives sur lesquelles tout fait d'abord une vive impression.Une chose arrive, ils en parlent trop, bientôtils en parlent peu, ensuite ils n'en parlent plus, etils n'en parleront plus; Action, con<strong>du</strong>ite, ouvrage,événement, tout est oublié; ne leur demandez nicorrection, ni prévoyance, ni réflexion, ni reconnoissanec,ni récompense.^ L'on se porte aux exlrémités'Opposées à l'égard(. Versailles et Foiilaiucfaleau.


V202 DES GRANDS.de certains personnages. La satire, après leur mort,court parmi le peuple, pendant que les^voûtes destemples retentissent de leurs éloges. Ils ne méritentquelquefois ni libelles ni discours funèbres ; quelquefoisaussi ils sont dignes de tous les deux.TL'on doit se taire sur les puissants : il y a presquetoujours de la flatterie à en dire <strong>du</strong> bien; il y a <strong>du</strong>péril à en dire <strong>du</strong> mal pendant qu'ils vivent, et de lalâcheté quand ils sont morts.t> if,'


j^^***-ti* wvs*—*,» ^ • -a* +»DU SOUVERAIN OU DE LA RÉPUBLIQUE'.Quand l'on parcourt, sans la prévention de sonpays, toutes les formes; de gouvernement, l'on nesait à laquelle se tenir ; il y a dans toutes le moins bonet le moins mauvais. Ce qu'il y a de plus raisonnableet de plus sûr, c'est d'estimer celle où l'on est né lameilleure de toutes, et de s'y soumettre.T II ne faut ni art ni science pour exercer la tyrannie;et la politique qui ne consiste qu'à répandre lesang est fort bornée et de nul raffinement; elle inspirede tuer ceux dont la vie est un obstacle à notreambition : un homme né cruel fait cela sans peine.C'est la manière la plus horrible et la plus grossièrede se maintenir ou de s'agrandir.\ C'est une politique sûre et ancienne dans les républiquesque d'y laisser le peuple s'endormir dansles fêtes, dans les spectacles, dans le luxe, dans lefaste, dans les plaisirs, dans la vanité et la mollesse ;le laisser se remplir <strong>du</strong> vide et savourer la bagatelle :quelles grandes démarches ne fait-on pas au despotiquepar cette in<strong>du</strong>lgence î5 II n'y a point de patrie dans le despotique; d'autreschoses y suppléent : l'intérêt, la gloire, le service<strong>du</strong> prince.\ Quand on veut changer et innover dans une république,c'est moins les choses que le temps que l'onconsidère. Il y a des conjonctures où l'on sent bieni. VA** DU souverain, dans les trois premières éditions.— Le mot repubtiquea tel la raèinc acception que le mot latin respublica, c'est-à-dire Uçouvernemenl exercé dans l'intérêt de tous.-*.-


f . •f 7 iS*' \. \1204 DO SOUVERAINqu'on ne sauroit trop attenter contre le peuple ; etil y en a d'autres où il est clair qu'on ne peut trop leménager. Vous pouvez aujourd'hui ôter à cette villeUes franchises, ses droits, ses privilèges ; mais demainne songez pas môme à réformer ses enseignes.^ Quand le peuple est en mouvement, on ne comprendpas où le calme peut y rentrer; et quandil est paisible, on ne voit pas par où le calme peut ensortir.1 II y a de certains maux dans la république qui ysont soufferts parce qu'ils préviennent ou empêchentde plus grands maux. Il y a d'autres maux qui sonttels seulement par leur établissement, et qui, étant .dans leur origine un abus ou un mauvais usage, sontmoins pernicieux dans leur suite et dans la pratiquequ'une loi plus juste ou une coutume plus raisonnable.L'on voit une espèce de maux que l'on peutcorriger par le changement ou la nouveauté 1 , qui estun mal, et fort dangereux. Il y en a d'autres cachéset enfoncés comme des or<strong>du</strong>res dans un cloaque,je veux dire ensevelis sous la honte, sous le secretet dans l'obscurité : on ne peut les fouiller et lesremuer qu'ils n'exhalent le poison ou l'infamie; lesplub sages doutent quelquefois s'il est mieux de•connoilre ces maux que de les ignorer. L'on tolèrequelquefois dans un État un assez grand mal, mais-qui détourne un million de petits maux ou d'inconvénients,qui tous seroient inévitables et irrémédiables.Il se trouve des maux dont chaque particuliergémit, et qui deviennent néanmoins un bien public,quoique le public ne soit autre chose que tous lesparticuliers. Il y a des maux personnels qui concourentau bien et à l'avantage de chaque famille. Il y en>- i' |. Comparer avec cet article : Montaigne, liv. I, cb« xxii; lit. III, ch. IXJl'auteur des Essais est <strong>du</strong> même avis que La Bruyère, au sujet de la tiou«teauiêt: jti . *


.)4I1i;*itli41IiJj -tLIrtOU DE LA RÉPUBLIQUE. 20a qui affligent, ruinent ou déshonorent les famillemais qui tendent au bien et à la conservation de 1machine de l'État et <strong>du</strong> gouvernement. JVanJres maurenversent des États, et sur leurs ruines en élèvent dnouveaux. On en a vu enfin qui ont sapé par les fondéments de grands empires, et qui les ont fait évanouir de dessus la terre, pour varier et renouveler 1face de l'univers,T Qu'importe à l'État qu'Frgaste soit riche, qu'iait des chiens qui arrêtent bien, qu'il crée les modesur les équipages et sur les habits, qu'il abonde esuperfluités ? Où il s'agit de l'iutérôt et des commodites de tout le public, le particulier est-il comptéLa consolation des peuples dans les choses qui lupèsent un peu est de savoir qu'ils soulagent le princeou qu'ils n'enrichissent que lui ; ils ne se croienpoint redevables à Ergaste de l'embellissement de sfortune,T La guerre a pour elle l'antiquité ; elle a été dantous les siècles; on l'a toujours vue remplir lemondde veuves et d'orphelins, épuiser les familles d'héritiers, et faire périr les frères à une môme bataille.Jeune SOYECOUR 1 , je regrette ta vertu, ta pudeur, tonesprit déjà mûr, pénétrant, élevé, sociable; je plainscelte mort prématurée qui te joint à ton intrépidefrère 8 , et t'enlève à une cour où tu n'as fait que te<strong>mont</strong>rer : malheur déplorable, mais ordinaire l Detout temps les hommes, pour quelque morceau deterre de plus ou de moins, sont convenus entre eux dese dépouiller, se brûler, se tuer, s'égorger 9 les unst. Le chevalier de Soyecour, capitaine-lieutenant des gendarmes-dauphin,blessé mortelle ment à la bataille de Fleurus, gagnée le 1 er juillet 1690, par leMaréchal de Luxembourg sur le prince de Waldeck, l'un des plus habiles généraui de la ligue d'Augsbourg.2. Le marquis de Soyecour, colonel dp régiment de Vermandote, tué dansla même bataille. — Ces deux officiers étaient les Gis 4e la marquise deBelleforière de Soyecour, dont il a été parlé ci-dessus*3. YAR. De se dépouiller, b*ûler* tuer, égorger*18


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ASfe*OU DE LA nÊPUBMQUB. 207choses extraordinaires. Quelques-uns consenliroientà voir une autre fois les ennemis aux portes de Dijonou de Corbie f à voir tendre des chaînes 1 , et faire desbarricades 2 , pour le seul plaisir d'en dire ou d'en apprendrela nouvelle,• Dêmophite % à ma droite, se lamente et s'dcrie:Tout est per<strong>du</strong>, c'est fait de l'État; il est <strong>du</strong> moinssur le penchant de sa ruine. Comment résister à unesi forte et si générale conjuration? Quel moyen, je nedis pas d'être supérieur, mais de suffire seul i\ de sipuissants ennemis? Cela est sans exemple dans la monarchie.Un héros, un ACHILLE y succomberoit. On afait, ajoute-t-il, de lourdes fautes : je sais bien ce queje dis, je suis <strong>du</strong> métier, j'ai vu la guerre, et l'histoirem'en a beaucoup appris. Il parle là-dessus avec admirationd'Olivier le Daim et de Jacques Cœur 3 . C'étaientlà des hommes, dit-il, c'étaient des ministres.Il débite ses nouvelles, qui sont toutes les plus tristes1. Pendant le moyen âge, les bourgeois des villes avaient le droit de placerdes chaînes à l'entrée des rues : on les attachait à d'énormes crochets defer, sculptés avec plus ou moins d'art. Ces chaînes étaient da véritables barricadesen permanence et mobiles. Ce ne fut qu'au dix«septième siècle que lesrois purent parvenir à enlever au* bourgeois ce moyen de défenso, [Diction'naire de Vhistoire de France,)2. Le mot barricade vient de barriques, parce que dans tes émotions populaireset les guerres civiles on employa souvent des barriques qu'on rein*plissait de terre et de pavés pour se retrancher dans tes rues,3. Jacques Cœur, Dis d'un orfèvre de Bourges, d'abord employé dans lesmonnaies, se livra ensuite au commerce, ou il fit des gains considérables, etfut chargé par Charles VU de l'administration des finances, avec le titre d'argentier<strong>du</strong> royaume. Malgré ces fonctions il continua un immense commerceavec l'Afrique et l'Asie, prêta de l'argent au roi pour la conquête de la Normandie»et entretint à ses frais plusieurs armées* Les ennemis que lui avaientsuscités sa faveur et sa fortune l'accusèrent de concussion, pour s'emparer deses biens, et le 19 mai 1453 il fut déclaré coupable des crimes qui lui étaientreprochés. Le roi lui fit grâce de la vie, mais il fut condamné au bannissement,à la confiscation de tous ses biens, et à une amende de 400,000 écus d'or»Les juges se partagèrent ses dépouilles, et il se rendît auprès <strong>du</strong> pape qui luidonna le* f commandement delà flotte qu'il avait armée contre les Turcs; ilmourut en arrivant à l'île de Chio en 145G. Malgré les accusations dont ii aété l'objet, Jacques Cœur n'en doit p*s moins être considéré comme unhomme très-remarquable. Quant à Olivier le Daim, ce n'était qu'un intrigantvulgaire, dont on s'explique difficilement Fa haute fortune ; il était né à Thiell,près Courtray, et fut pen<strong>du</strong> après la mort de Louis XI, en 1484.i '*;i,-t


s5-:*• t| | v et les plus désavantageuses que l'on pourroit feindre.** «V _ -«'f pT"* 1 -""f * .J L.


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Jt *• : . *"• ^t^-i4 %L'-Jl^'VIy S •"VilÉT8K-/ -i& : 1M-*.210 DU S0UVEUA1NGrand-Seigneur arme puissamment, ne veut point de. paix, et que son vizir va se <strong>mont</strong>rer une autre foisaux portes de Vienne, Il frappe des mains, cl il tressaillesur cet événement, dont il ne doute plus. Latriple alliance chez lui est un Cerbère, et les ennemisautant de monstres à assommer. Il ne parle que delauriers, que de palmes, que de triomphes et que detrophées. Il dit dans le discours familier : Notre augustehéros, notre grand potentat, notre invincible monarque.Ré<strong>du</strong>isez-le, si vous pouvez, à dire simplement: Le roi a beaucoup d'ennemis, ils sont puissants,ils sont unis, ils sont aigris, il les • a vaincus, j'espèretoujours qu*il les pourra vaincre. Ce style, trop fermeet trop décisif pour Démophile, n'est pour Basilide niassez pompeux, ni assez exagéré. Il a bien d'autresexpressions en tôte, il travaille aux inscriptions desarcs et des pyramides qui doivent orner la ville capitaleun jour d'entrée \ et dès qu'il entend dire que lesarmées sont en présence, ou qu'une place est investie,il fait déplier sa robe et la mettre à l'air, aûnqu'elle soit toute prête pour la cérémonie de la cathédrale.ï II faut que le capital d'une affaire qui assembledans une ville les plénipotentiaires ou les agents descouronnes et des républiques soit d'une longue etextraordinaire discussion si elle leur coûte plus detemps, je ne dis pas que les seuls préliminaires, maisque le simple règlement des rangs, des préséanceset des autres cérémonies.Le ministre ou le plénipotentiaire est un caméléon.prit les armes contre l'Autriche pour venger les chefs hongrois décapitésen (671, et son propre père, mort les armes à la main en combattant pourla Hongrie, Tékéli tint pendant trois ans la campagne contre les Autrichiens,les battit dans six grandes affaires, s'allia avec les Turcs, qui vinrent assiégerVienne, et fut pommé prince de Transylvanie. Mrfgré son grand courage etses talents militaires, il ne put faire abandonner la province aux Autrichiens,et il unit par se retirer en Turquie, où il.momuten 1705.


îfifi;OU DE LA RÉPUBLIQUE.v 2IlestunProtée.Semblablequclqucfoisàunjoueurhabile,il ne <strong>mont</strong>re ni humeur ni complexion, soit pour nepointdonnerlieuaux conjectures ou se laisserpénélrer,soit pour nerien laisser échapper de son secret par passionou par faiblesse. Quelquefois aussi il sait feindrele caractère le plus conforme aux vues qu'il a ci auxbesoins où il se trouve, et paroître tel qu'il a intérêtque les autres croient qu'il est en effet. Ainsi, dan?une grande puissance ou dans une grande foiblesse,qu'ilveut dissimuler, il est ferme et inflexible, pourôlcr l'envie dé beaucoup obtenir; ou il est facile,pour fournir aux autres les occasions de lui demanderet se donner la même licence. Une autre fois, ou ilest profond et dissimulé, pour cacher une vérité enl'annonçant, parce qu'il lui importe qu'il l'ait dite etqu'elle ne soit pas crue ; ou il est franc et ouvert, afinque, lorsqu'il dissimule ce qui ne doit pas être su,l'on croie néanmoins qu'on n'ignore rien de ce quel'on veut savoir, et que l'on se persuade qu'il a toutdit, De môme, ou il est vif et grand parleur, pour faireparler les autres, pour empocher qu'on ne lui parlede ce qu'il ne veut pas ou de ce qu'il ne doit pas savoir,pour dire plusieurs choses différentes • qui semodifient ou qui se détruisent les unes les autres, quiconfondent dans les esprits la crainte et la confiance,pour se défendre d'une ouverture qui lui est échappéepar une autre qu'il aura faite; ou il est froid et taciturne,pour jeter les autres dans l'engagement de parler,pour écouter longtemps, pour être écouté quandil parle, pour parler avec ascendant et avec poids,pour faire des promesses ou des menaces qui portentun grand coup et qui ébranlent. Il s'ouvre et parle lepremier, pour, en découvrant les oppositions, les con


* w - - « • V '. \'-\ ,\ -- •_ • ? > ^': \" ' * ;* Al 'y212 DU SOUVElUtNtradictions, les brigues et les cabales des ministresétrangers sur les propositions qu'il aura avancées,prendre èes mesures et avoir la réplique; et, dans uneautre rencontre, il parle le dernier, pour ne pointparler en vain, pour être précis, pour conhoitrc parfaitementles choses sur quoi il est permis de fairefond pour lui ou pour ses alliés, pour savoir ce qu'ildoit demander et ce qu'il peut obtenir. Il sait parler3en termes clairs et formels ; il sait encore mieux par-£ .1er ambigumcnt, d'une manière enveloppée, user detours ou de mots équivoques, qu'il peut faire valoir oudiminuer dans les occasions et selon ses intérêts. Il |demande peu quand il ne veut pas donner beaucoup ; P :il demande beaucoup pour avoir peu, et l'avoir plus •sûrement. 11 exige d'abord de petites choses, qu'il \prétend ensuite lui devoir ôtre comptées pour rien, !et qui n'excluent pas d'en demander une plus grande;et il évite au contraire de commencer par obtenir unpoint important, s'il l'empôche d'en gagner plusieursautres de moindre conséquence, mais qui tous ensembleremportent sur le premier. Il demande trop,pour être refusé, mais dans le dessein de se faire undroit ou une bienséance de refuser lui môme ce qu'ilsait bien qui lui sera demandé, et qu'il ne veut pas'octroyer. Aussi soigneux alors d'exagérer l'énormitéde la demande et de faire convenir, s'il se peut, desraisonsqu'il y a de n'y pas entendre,,que d'aflbiblircelles qu'on prétend avoir <strong>du</strong> ne lui pas accorder cequ'il sollicite avec instance; également appliqué hfaire sonner haut et à grossir dans l'idée des autresFte peu qu'il offre, et à mépriser ouvertement le peujjhque l'on consent de lui donner. Il fait de fausses offres,mais extraordinaires, qui donnent de la défiance 1 , t?tobligent de rejeter ce que l'on accepleroit inutile-I* VAR. Qui jettent dans h défiance*» *


v t->7i ..'7vOU DE LA HÉPUBLÎQUE. 213*ment, qui lui sont* cependant une occasion de Tairedes demandes exorbitantes, et mettent dans leurtort ceux qui les lui refusent. Il accorde plus qu'onne lui demande, pour avoir encore plus qu'il ne doitdonner. Il se fait longtemps prier, presser, importuner,sur une chose médiocre, pour éteindre }es espéranceset ôter la pensée d'exiger de lui rien de plusfort; ou, s'il se laisse fléchir jusques à l'abandonner,c'est toujours avec des conditions qui lui font partagerle gain et les avantages avec ceux qui reçoivent.Il prend directement ou indirectement l'intérêt d'unallié, s'il y trouve son utilité et l'avancement de sesprétentions. II ne parle que de paix, que d'alliances,que de tranquillité publique, que d'intérêt public; eten effet il ne songe qu'aux siens, c'est-à-dire à ceuxde son maître ou de sa république. Tantôt il réunitquelques-uns qui étoient contraires les uns aux autres,et tantôt il divise quelques autres qui étoient unis. Ilintimide les forts et les puissants; il encourage lesfoiblcs; il unit d'abord d'intérêt plusieurs foibles contreun plus puissant, pour rendre la balance égale; ilse joint ensuite aux premiers pour la faire pencher,et il leur vend cher sa protection et son alliance. Ilsait intéresser ceux avec qui il traite; et, par un adroitmanège, par de fins et de subtils détours, il leur faitsentir leurs avantages particuliers, les biens et leshonneurs qu'ils peuvent espérer par une certaine facilité,qui ne choque point leur commission, ni les intentionsde leurs maîtres 11 ne veut pas aussi être cruimprenable par cet endroit; il laisse voir en lui quelquepeu de sensibilité pour sa fortune î il s'attire parlà des propositions qui lui découvrent les vues desautres les plus secrètes, leurs desseins les plus profondset leur dernière ressource; et il en profite. Si1. Qui fui donnent,


Il£14 DU SOUVERAINquelquefois il est lésé dans quelques chefs qui ontenfin ét,é réglés, il crie haut; si c'est le contraire, ilcrie plus haut, et jette ceux qui perdent sur la justificationet la défensive. Il a son fait digéré par la cour,toutes ses démarches sont mesurées; les moindresavances qu'il fait lui sont prescrites; et il agit néanmoins,dans les points difficiles et dans les articlescontestés, comme s'il se relâchoit de lui-môme sur-lechamp,et comme par un esprit d'accommodement;il ose môme promettre à l'assemblée qu'il fera gontcila .proposition, et qu'il n'en sera pas désavoué. Il faitcourir un bruit faux des choses seulement dont il estchargé, muni d'ailleurs de pouvoirs particuliers, qu'ilne découvre jamais qu'à l'extrémité et dans les momentsou il lui seroil pernicieux de ne les pas mettreen usage. II tend surtout par ses intrigues au solideet à l'essentiel, toujours prôt de leur sacrifier les minutieset les points d'honneur imaginaires. 11 a <strong>du</strong>flegme, il s'arme de courage et de patience, il ne selasse point, il fatigue les autres, et les pousse jusqu'audécouragement 1 . Il se précautionne et s'en<strong>du</strong>rcit contreles lenteurs et les remises, contre les reproches,les soupçons, les défiances, contre les difficultés etles obstacles, persuadé que le temps seul et les conjoncturesamènent les choses et con<strong>du</strong>isent les espritsau point où on les souhaite. Il va jusnucs à feindre unintérêt secret à la rupture de la négociation, lorsqu'il -désire le plus ardemment qu'elle soit continuée; etsi, au contraire, il a des ordres précis de faire les derniersefforts pour la rompre, il croit devoir, pour y.réussir, en presser la continuation et la fin. S'il survientun grand événement, il so roidit ou it se relâche,selon qu'il lui est ulilc ou préjudiciable; et si, par.une grande prudence, il sait le prévoir', il presse et ilt« Vin. Et les jette dans le dccouwjenicnièk -


s •OU DE LA RÊPUBLIoYs. 215


J.", -.V " ,, ri -" •*! •••• J (5K", •r ** J .V^'-' '"". V^ ':;• V c C > ^-'_ *. *•" £t 'V216 DU SOUVERAINet sans liaisons; il peut être entouré de parents et decréatures, mais il n'y tient pas; il est détaché de tout,etconime isolé*\ Je ne doute point qu'un favori, s'il a quelque iorceet quelque élévation, ne se trouve souvent confus etdéconcerté des bassesses, des petitesses, de la flatterie,des soins superflus et des attentions frivoles deceux qui le courent, qui le suivent, et qui s'attachentà lui comme ses viles créatures, et qu'il ne se dédommagedans le particulier d'une si grande servitudepar le ris et la moquerie '.| Hommes en place, minisires, favoris, me peimcltrez-vousde le dire? ne vous reposez point sur vosdescendants pour le soin de votre mémoire et pour la<strong>du</strong>rée de votre nom ; les titres passent, la faveurs'évanouit, les dignités se perdent, les richesses sedissipent, et le mérite dégénère. Vous avez des enfants,il est vrai, dignes de vous, j'ajoute même capablesde soutenir toute votre fortune; mais qui peutvous en promettre autant de vos petits-fils? Ne m'encroyez pas, regardez cette unique fois de certainshommes que vous ne regardez jamais, que vous dé*daignez : ils ont des aïeuls, à qui, tout grands que.4-&Ï '


-" É"T •*- >C r ^-, ' - -' / - • T v -,*•* - • V* 1* V r^- ir L- T^r^i. JOU DE LA RÉPUDUQUE. 217•vous êtes, vous ne faites que succéder. Ayez de lavertu et de l'humanité; et si vous me dites : Qu'auronsnousde plus? je vous répondrai : De l'humanité et delu vertu. Maîtres alors de l'avenir, et indépendantsd'une postérité, vous êtes sûrs de <strong>du</strong>rer autant que lamonarchie; et dans le temps que l'on <strong>mont</strong>rera lesruines de vos châteaux, et peut-être la seule place oùils étoient construits, l'idée de vos louables actionssera encore fraîche dans l'esprit des peuples; ils considérerontavidement vos portraits et vos médailles ;ils diront i Cet homme * dont vous regardez la peinturea parlé à son maître avec force et avec liberté, eta plus craint de lui nuire que de lui déplaire ; il lui apermis d'ôtre bon et bienfaisant» de dire de ses villes :via bonne ville t et de son peuple : mon peuple» Cet autredont vous voyez l'image ', et en qui l'on remarqueune physionomie forte, jointe à un air grave, austèreet majestueux, augmente d'année à autre de réputation: les plus grands politiques souffrent de lui êtrecomparés. Son grano dessein a été d'affermir l'autorité<strong>du</strong> prince et la sûreté des peuples par l'abaissementdes grands î ni les partis, ni les conjurations,ni les trahisons, ni le péril de la mort, ni ses infirmités,n'ont pu l'en détourner. Il a eu <strong>du</strong> temps de restepour entamer un ouvrage continué ensuite et achevépar l'un de nos plus grands et de nos meilleurs princes,l'extinction de l'hérésie ô .\i. Georges d'Atnbcisc, né en 1460, mort en 1&10. Évoque de Montaubarà l*ège de quatorze ans, archevêque de Narbonne et ensuite de Rouen,premier ministre de Louis XII, H mérita par les sages réformes qu'il intro<strong>du</strong>isitdans l'administration le nom de Pire <strong>du</strong> peuple t qui fut égale...cutdonné à Louis XII. Les éloges que tut donne ici La Bruyère sont de tout pointmérités.2. Richelieu.3, La Bruyère se trompe en plaçant sur la même ligne la lutte do Louis XIVet de Richelieu contre te protestantisme. Les motifs qui firentagir Richelieuétalent avant tout politiques. L'assemblée des protestants, convoquée à La Rochelleen 1621, avait fait une déclaration d'indépendance, et partagé la Franceeu plusieurs gouvernements militaires | Il s'ensuivit une prise d'armes» Riche-19


i218 DU SOUVERAIN5 Le panneau le plus délié et le plus spécieux qui»dans tous les temps, ait été ten<strong>du</strong> aux grands par leursgens d'affaires, et aux rois par leurs ministres, est laleçon, qu'ils leur font de s'acquitter et de s'enrichir.Excellent conseil, maxime utile, fructueuse, une mined'or, un Pérou, <strong>du</strong> moins pour ceux qui ont su jusqu'àprésent l'inspirer à leurs maîtres Iî C'est un extrême bonheur pur les peuples quandle prince admet dans sa confiance et choisit pour leministère ceux môme qu'ils auroient voulu lui donner,s'ils en avoient été les maîtres.ï La science de? détails, ou une diligente attentionaux moindres besoins de la république, est une partieessentielle au bon gouvernement, trop négligée, à lavérité, dans les derniers temps, par les rois ou par lesministres, mais qu'on ne peut trop souhaiter dans lesouverain qui l'ignore, ni assez estimer dans celui quila possède, Que sert en effet au bien des peuples et àla douceur de leurs jours que le prince place les bornesde son empire au delà des terres de ses ennemis;qu'il fasse de leurs souverainetés des provinces de souroyaume; qu'il leur soit également supérieur par lessièges et par les batailles, et qu'ils ne soient devantlui en sûreté ni dans les plaines ni dans les plus fortsbastions; que les nations s'appellent les unes les autres,se liguent ensemble pour se défendre et pourl'arrêter; qu'elles se liguent en vain; qu'il marchetoujours et qu'il triomphe toujours; que leurs derrieticomprit qu'en hissant le protestantisme se développer, ta France marchaitdroit à une fédération pareille à celle de 1*Allemagne. H prit tes armespour sauver l'unité <strong>du</strong> pays, parce qu'il regardait comme un axiome de salutpublic ce précepte absolu : une M, un roi, uns foi» Quand it eut écrasé leprotestantisme comme parti politique, it termina la lutte en 1029 par le traitéi'Àlaii, et t'édit de Nantes resta en vigueur. Louis XIV, au contraire, eu persécutantles protestants, n'obéit qu'à d'aveugles scrupules, et n'eut pas•néme l'excuse d'avoir été provoqué, car tes protestants étaient pour lui dossujets fiJc-les et soumis, La révocation de IVdit de Nantes fut te grandJésSttrc de son règne.


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n>•.*.-'• •.-• *L ." t- »-^ "î>220 DU SOUVERAIN^ Les huit ou les dix mille hommes sont au souveraincomme une mbnnoie dont il achète une place ouune f victoire: s'il fait qu'il lui en coûte moins, s'ilépargne les hommes, il ressemble à celui qui marchandeet qui connoît mieux qu'un autre le prix del'argent.T Tout prospère dans une monarchie où l'on confondles intérêts de l'État avec ceux <strong>du</strong> prince.T Nommer un roi PèRE DU PEUPLE est moins faire sonéloge que l'appeler par son nom, ou faire sa définition.T II y a un commerce ou un retour de devoirs <strong>du</strong>souverain à ses sujets, et de ceux-ci au souverain:quels sont les plus assujettissants et les plus pénibles?ie ne le déciderai pas; il s'agit de juger, d'un côté,entre les étroits engagements <strong>du</strong> respect, des secours,des services, de l'obéissance, de la dépendance; etd'un autre, les obligations indispensables de bonté,de justice, de soins, de défense, de protection. Direqu'un prince est arbitre de la vie des hommes, c'estdire seulement que les hommes, par leurs crimes,deviennent naturellement soumis aux lois et à. la justice,dont le prince est le dépositaire; ajouter qu'ilest maître absolu de tous les biens de ses sujets, sanségards, sans compte ni discussion, c'est le langage dela flatterie, c'est l'opinion d'un favori qui se dédira àl'agonie.1 Quand vous voyez quelquefois un nombreux troupeauqui, répan<strong>du</strong> sur une colline vers le déclin d'unbeau jour, paît tranquillement le thym et le serpolet,ou qui broute dans une prairie une herbe menue ettendre qui a échappé à la faux <strong>du</strong> moissonneur, leberger soigneux et attentif est debout auprès de ses>r:r.t.-fif:r•-'•>î -IV-3uHi! *%Bruyère, pour faire accepter la hardiesse de certaines critiques, use de Umême lactique que Molict-c ctDoileau. tt ptacc la vérité sous ta sauvegardades compliments qu'il adresse au roi»ir'X'm


** *• J' ï.iC*• «* -.* - k - - • * . ** H-1OU DR LA RÉPUBLIQUE. 221brebis; il ne les perd pas de vue, il les suit, il lescon<strong>du</strong>it, il les change de pâturage i si elles se dispersent,il les rassemble; si un loup avide paroît, il lâcheson chien, qui le met en fuite; il les nourrit, il les défend; l'aurore le trouve déjà en pleine campagne, d'oùil ne se relire qu'avec le soleil. Quels soins! quellevigilance! quelle servitude! Quelle condition vousparoît la plus délicieuse et la plus libre, ou <strong>du</strong> bergerou des brebis? Le troupeau est-il fait pour le berger,ou le berger pour le troupeau? Image naïve des peupleset <strong>du</strong> prince qui les gouverne, s'il est bon prince.1 Le faste et le luxe dans un souverain, c'est le bergerhabillé d'or et de pierreries, la houlette d'or enses mains; son chien a un collier d'or, il est attachéavec une laisse d'or et de soie. Que sert tant d'or àson troupeau ou contre les loups?1 Quelle heureuse place que celle qui fournit danstous les instants l'occasion à un homme de faire <strong>du</strong>bien à tant de milliers d'hommes! Quel dangereuxposte que celui qui expose à tous moments un hommeà nuire à un million d'hommes lT Si les hommes ne sont point capables sur la terred'une joie plus naturelle, plus flatteuseet plus sensibleque de connoîlre qu'ils sont aimés, et si lesrois sont hommes, peuvent-ils jamais trop acheter lecœur de leurs peuplesH! y a peu de règles générales et de mesures certainespour bien gouverner; l'on suit le temps et lesconjonctures, et cela route sur la prudence et sur lesvues de ceux qui régnent i aussi le chef-d'œuvre del'esprit, c'est le parfait gouvernement; et ce ne seroitpeut-ôtre pas une chose possible, si les peuples, parl'habitude où ils sont de la dépendance et de la soumission,ne faisoient la moitié de l'ouvrage.5 Sous un très-grand roi, ceux qui tiennent les premièresplaces n'ont que des devoirs faciles, et que Tont9.


i'iV\ •il-'• it/;',»222 DU SOUVERAINIremplit sans nulle peine : tout coule de source; l'autoritéet le génie <strong>du</strong> prince leur aplanissent les chemins,leur épargnent les difficultés, et font tout prospère*au delà de leur attente : ils ont le mérite desubalternes.T Si c'est trop de se trouver chargé d'une seulefamille, si c'est assez d'avoir à répondre de soi seul,quel poids, quel accablement, que celui de tout unroyaume? Un : souverain est-il payé de ses peines parle plaisir que semble donner une puissance absolue,par toutes les prosternations des courtisans? Je songeaux pénibles, douteux et dangereux chemins qu'il estquelquefois obligé de suivre pour arriver à la tranquillitépublique j jo repasse les moyens extrêmes,mais nécessaires, dont il use souvent pour une bonnefin : je sais qu'il doit répondre à Dieu môme de lafélicité de ses peuples, que le bien et le mal est en sesmains, et que toute ignorance ne l'excuse pas; et jeme dis à moi-même : Voudrois-je régner? Un hommo. un peu heureux dans une condition privée devroit-ily renoncer pour une monarchie? N'est-ce pas beaucoup,pour celui qui se trouve en place par un droithéréditaire, de supporter d'ôtro né roi?^ Que de dons <strong>du</strong> ciel ne faut-il pas pour bien régnerl Une naissance auguste, un air d'empire et d'autorité,un visage qui remplisse la curiosité des peuplesempressés de voir le prince, et qui conserve lerespect dans le courtisan ; une parfaite égalité d'humeur; un grand éloignement pour la raillerie piquante,) ou assez de raison pour ne se la permettre point ; nefaire jamais ni menaces ni reproches ; ne point céder• à la colore, et être toujours obéi ; l'esprit facile, insinuant; le cœur ouvert, sincère, et dont on croit voirle fond, et ainsi très-propre a se faire des amis, descréatures et des alliés; être secret toutefois, profondet impénétrable dans ses motifs cl dans ses projets ;


Si'' r . - - __ ' , • • - %v *î! ?S*'/Ses1 'a' "•!%'MH*i•fr 1s-Sïl OU DB LA ItÉPUBLIQUE. 223jj <strong>du</strong> sérieux et de la gravité dans ie public ; de la briô-£f vêlé, jointe à beaucoup de justesse et de dignité, soit| dans les réponses aux ambassadeurs des princes, soitIdans les conseils ; une manière de faire des grâcesqui est comme un second bienfait ; le choix des personnesque l'on gratifie ; le discernement des esprits,des talents et des complexions, pour la distributiondes postes et des emplois ; le choix des généraux etdes ministres ; un jugement ferme, solide, décisifdans les affaires, qui fait que l'on connoît le meilleurparti et le plus juste ; un esprit de droiture et d'équitéqui fait qu'on le suit jusques à prononcer qucl-quefois contre soi-même en faveur <strong>du</strong> peuple, desalliés, des ennemis ; une mémoire heureuse et trèsprésente,qui rappelle les besoins des sujets, leursvisages, leurs noms, leurs requêtes ; une vaste capacité,qui s'étende non-seutement aux affaires de dehors,au commerce, aux maximes d'État, aux vues dela politique, au reculement des frontières par la conquêtede nouvelles provinces, et à leur sûreté par ungrand nombre de forteresses inaccessibles ; mais quisache aussi se renfermer au dedans, et comme dansles détails de tout un royaume ; qui en bannisse unculte faux, suspect et ennemi de la souveraineté, s'ils'y rencontre; qui abolisse des usages cruels et impies 1 ,s'ils y régnent ; qui réforme les lois et les coutumes,si elles étoicht remplies d'abus ; qui donne aux villesplus de sûreté et plus de commodités par le renouvellementd'une exacte police, plus d'éclat et plus de majestépar des édifices somptueux ; punir sévèrementles vices scandaleux; donner, par son autorité et parson exemple, <strong>du</strong> crédit à la piété et à la vertu ;protéger l'Église, ses ministres, ses'droits, ses libertés;ménager ses peuples comme ses enfants; être- t!• Le <strong>du</strong> I.s;


.-r.-yr-sr.Tyxf• Si *-i • fi^^Yif-4)V.if"t"ï«^*.J-224 DU SOUVERAINtoujours occupé de la pensée de les soulager, de rcndrelessubsides légers, et tels qu'ils se lèvent sur lesprovinces sans les appauvrir; de grands talents pourla guerre ; être vigilant, appliqué, laborieux ; avoirdes armées nombreuses, les commander en personne;être froid dans le péril, ne ménager sa vie que pour lebien de son État, aimer le bien de son État et sa gloireplus que sa vie; une puissance très-absolue, qui nelaisse point d'occasions aux brigues, à l'intrigue et à lacabale ; qui ôte cette distance infinie qui est quelquefoisentre les grands et les petits, qui les rapproche, etsous laquelle tous plient également 1 ; une éten<strong>du</strong>e deconnoissances qui fait que le prince voit tout par sesyeux, qu'il agit immédiatement et par lui-même, quesesgénérauxnesont, quoique éloignés de lui, que seslieutenants, et les ministres queues ministres; une profondesagesse qui sait déclarer la guerre, qui sait vaincreet user de la victoire, qui sait faire la paix, qui saitla rompre, qui sait quelquefois, et selon les divers intérêts,contraindre les ennemis à la recevoir; qui donnedes règles à une vaste ambition, et sait jusques oùl'on doit conquérir; au milieu d'ennemis couverts oudéclarés, se procurer le loisir des jeux, des fûtes, desspectacles ; cultiver les arts et les sciences, former etexécuter des projets d'édifices surprenants; un génieenfin supérieur et puissant, qui se fait aimer et révérerdes siens, craindre des étrangers; qui fait d'unecour, et môme de tout un royaume, comme uneseule famille, unie parfaitement sous un môme chef,dont l'union et la bonne, intelligence est redoutableau reste <strong>du</strong> monde. Ces admirables vertus me semblentrenfermées dans l'idée <strong>du</strong> souverain. Il est vraiT??t • *.•(,.-ji'r»•-li V*n. Une puissance très-absolue, qui ôte cette distance infinie quitsl quelquefois entre les grands cl les petits, qui les rapproche, et tousqui tous plient également} qui ne hisse point d'occasions aux brigues, àl'intrigue tt à la cabate»


.»\!i rA* -*•. - "4::?$OU DE LA KÊPUBLIQUE. 225qu'il est rare de les voir réunies ! dans un mêmesujet; il faut que trop de choses concourent à la fois :l'esprit, le cœur, les dehors, le tempérament ; et ilme paroît qu'un monarque 2 qui les rassemble toutesen sa personne est bien digne <strong>du</strong> nom de GRAND \>| 1. Vin. De tes rot'r ensemble, dans les deux premières cdilio^i.2, VAR. De là vient que le monarque,?. V*R, Ne mérite rien moins que le nom de Granir - " 4.>3- 1 .YiEnh n--J3Îr..V3ï*•&i


iVDE I/IIOMME.\Ne nous emportons point contre Jes hommos, envoyant leur <strong>du</strong>reté, leur ingratitude, leur injustice,leur fierté, l'amour d'eux-mêmes, et l'oubli des autres', ils sont ainsi faits, c'est leur nature : c'estne pouvoir supporter que la pierre tombe ou que lefeu s'élève.1 Les hommes, en un sens, ne sont pointlégcrs oune le sont quo dans les petites choses ; ils changentleurs habits, leur langage, les dehors, les bienséances;ils changent de goût quelquefois; ils gardentleurs mœurs toujours mauvaises; fermes et constantsdans le mal, ou dans l'indifférence pour la vertu.1 Le stoïcisme est un jeu d'esprit et une idée semblableà la république de Platon 3 , Les stoïques ontfeint qu'on pouvoit rire dans la pauvreté; être insensibleaux injures, à l'ingratitude, aux pertes de bienscomme à celles des parents et des amis; regarderfroidement la mort, et comme une chose indifférente,1. VAR. L'amour qu'il* ont pour eux-mêmes, el Voubîi où ils sont desautres*2. Montesquieu est d'un avis tout différent au sujet des stoïciens : (Lesdiverses sectes de philosophie chez les anciens pouvoîent être, considéréescomme des espèces de religion. Il n*y en a jamais eu dont les principes fussentplus dignes de l'homme, et plus proj'n* à former des gens de bien que f vfcelle des stoïciens, et, si je pouvais un moment cesser de penser que je suis chrétien,je ne pourrais m'empècher de mettre la destruction de la secte de Zlnonau nombre des malheurs <strong>du</strong> genre humain* /:§« Elle n'outrait que les choses dans lesquelles il y a de la grandeur, le raé*pris des plaisirs et de la douleur.« Elle seule savait {aire les citoyens; elle seule faisait les grands hommes; g'£elle seule faisait les grands empereurs.... ' L>c Pendant que les stoïciens regardaient comme une chose vainc les riches-^ses, les graiidcur&humoiaeSjIa douleur, les chagrins, les plaisirs, ils n'étaientlq|occupés qu'a travailler au bonheur des hommes* » {De l Esprit des loi$ } cha*^||pitréVjK)f%f%r:-StswIt'.F"Pr.tri,'•..• 3iv•A^, >__» M... ••„,,— -.•— •"* rw«-


Mfis0-êÀfoiA;:II; '^' -£VDB L'HOMME. 227qui ne devoitni réjouir ni rendre triste; n'ôlre vaincu *ni par le plaisir ni par la douleur; sentir le fer ou lefeu dans quelque partie de son corps sans pousser lemoindre soupir ni jeter une seule larme; et, ce fantômede vertu et de constance ainsi imaginé, il leur aplu de l'appeler un sage, Ils ont laissé à l'homme tousles défauts qu'ils lui ont trouvés, et n'ont presque relevéaucun de ses foiblcs. Au lieu de faire de ses vicesdes peintures affreuses ou ridicules qui servissent àl'en corriger, ils lui ont tracé l'idée d'une perfectionet d'un héroïsme dont il n'est point capable, et l'ontexhorté à l'impossible. Ainsi le sage, qui n'est pas,ou qui n'est qu'imaginaire, se trouve naturellementet par lui-môme au-dessus de tous les événements etde tous les maux. Ni la goutte la plus douloureuse, nila colique la plus aigûe, ne sauroient lui arracher uneplainte ; le ciel et la terre peuvent être renversés sansl'entraîner dans leur chute, et il demeureroit fermesur les ruines de l'univers; pendant que l'homme quiest en effet sort de son sens, crie, se désespère, étincelledes yeux, et perd la respiration pour un chienper<strong>du</strong> ou pour une porcelaine qui est en pièces.} Inquiétude d'esprit, inégalité d'humeur, inconstancede cœur, incertitude de con<strong>du</strong>ite, tous vices del'âme, mais différents, et qui, avec tout le rapportqui paroît entre eux, ne se supposent pas toujoursl'un l'autre dans un môme sujet,fil est difficile de décider si l'irrésolution rendl'homme plus malheureux que méprisable ; de môme,s'il y a toujours plus d'inconvénient à prendre unmauvais parti qu'à n'en prendre aucun.f Un homme inégal n'est pas un seul homme, ce«ont plusieurs ; il se multiplie autant de fois qu'il a denouveaux goûts et de manières différentes ; il est àI. YAB. Ne pouvoir être vaincu*


« *2*28 DE L'IIOMMB.chaque moment ce qu'il n'étoit point, et il va êtrebientôt ce qu'il n'a jamais été; il se succède à luimême.Ne demandez pas de quelle complexion il est,maisjquelles sont ses complexions, ni de quelle humeur,mais combien il a de sortes d'humeurs, Nevous trompez-vous point? Est-ce EuUchrate que vousabordez? Aujourd'hui, quelle glace pour vousl Hieril vous recherchoit, il vous caressoit, vous donniez dela jalousie à ses amis. Vous reconnoît-il bien? Dites*lui votre nom,S Mênalque ' descend son escalier, ouvre &a portepour sortir, il la referme; il s'aperçoit qu'il est enbonnet de nuit, et, venant à mieux s'examiner, il setrouve rasé à moitié, il voit que son épée est mise <strong>du</strong>côté droit, que ses bas sont rabattus sur ses talons,et que sa chemise est par-dessus ses chausses, S'ilmarche dans les places, il se sent tout d'un coup rudementfrapper à l'estomac ou au visage ; il ne soupçonnepoint ce que ce peut être, jusqu'à ce qu'ouvrantles yeux et se réveillant il se trouve ou devant un limonde charrette, ou derrière un long ais de menuiserieque porte un ouvrier sur ses épaules. On l'a vu unefois se heurter <strong>du</strong> front contre celui d'un aveugle, ||s'embarrasser dans ses jambes et tomber avec lui, |chacun de son côté, à la renverse. Il lui est arrivéplusieurs fois de se trouver tète pour tète à la rencontred'un prince et sur son passage, se reconnoître àpeine, et n'avoir que le loisir de se coller à un murpour lui faire place. Il cherche, il brouille a , il crie,il s'échaulfe, il appelle ses valets l'un après l'autre;Vb-rfêk"•1y*1. Ceci est moins un caractère particulier qu'un recueil de faits de distraction.Ils ne sauroient être en trop grand nombre, s'ils sont agréables, car lesgoûts étant différents, on a h choisir. (Noie de La Bruyère.) — Mênalquen'est autre que le comte de Brancas, i célèbre, dit Saint-Simon, par les prodigieusesdistractions que La Bruyère a immortalisées dans ses Caractères, iMénage et madame de Sêïigné en parlent daus le même sens.î, V*n. H fourrage,Srf.h't j+. i *^..h***» • «•••»*•! . T^*-^^*-»l^-*.M ^ IÉ. • mil MM '«V^.f—».' Irt^l *


fafttÏ4.totG.-:£. m—--DE L'HOMME, 230on lui perd tout\ on lui égare tout; il demande ses gantsqu'il a dans ses mains, semblable h cette femme quiprenoit le temps de demander son masque lorsqu'ellei'avoit sur son visage. Il entre à l'appartement, etpasse sous un lustre où sa perruque s'accroche etdemeure suspen<strong>du</strong>e : tous les courtisans regardent etrient; Ménalque regarde aussi et rit plus haut que lesautres ; il cherche des yeux, dans toute l'assemblée,où est celui qui <strong>mont</strong>re ses oreilles, et à qui il manqueune perruque ', S'il va par la ville, après avoirfait quelque chemin, il se croit égaré, il s'émeut, et ildemande où il est à des passants, qui lui (lisent précisémentle nom de sa rue; il entre ensuite dans samaison, d'où il sort précipitamment, croyant qu'ils'est trompé. Il descend <strong>du</strong> palais, et, trouvant au bas<strong>du</strong> grand degré un carrosse qu'il prend pour le sien,il se met dedans; le cocher touche et croit remenerson maître dans sa maison, Ménalque se jette hors dela portière, traverse la cour, <strong>mont</strong>e l'escalier, parcourtl'antichambre, la chambre, le cabinet; tout lui estfamilier, rien ne lui est nouveau ; il s'assied, il se repose,il est chez soi. Le maître arrive ; celui-ci se lèvepour le recevoir; il le traite fort civilement, le priede s'asseoir, et croit faire les honneurs de sa chambre;il parle, il rôve, il reprend la parole; le maîtrede la maison s'ennuie et demeure étonné. Ménalquene l'est pas moins, et ne dit pas ce qu'il en pense; ila affaire à un fâcheux, à un homme oisif, qui se retireraà la fin; il l'espère et il prend patience. La nuitarrive, qu'il est à peine détrompé. Une autre fois, ilrend visite à une femme, et se persuadant bientôt quec'est lui qui la reçojt, il s'établit dans son fauteuil, etne songe nullement à l'abandonner; il trouve ensuitett Cette *venlure cst.arrWée %u comte do Braueas, chez la reine, dont Uétait chevalier d'honneur»10


*• ï—V^H—' !"•>• ""^230 DR l/HOMMR.que colle dame fait ses visilos longues ; il attend atous moments qu'elle se love et le laisse en liberté;.mais comme cela tire en longueur, qu'il a faim, etque la nuit est déjà avancée, il la prie a souper; ellerit, et si haut, qu'elle le réveille. Lui-même se mariele malin, l'oublie le soir, et découche la nuit de sesnoces *, et quelques années après, il perd sa femme,elle meurt entre ses bras, il assiste a ses obsèques, et,le lendemain, quand on lui vient dire qu'on a servi, ildemande si sa femme est prèle, et si elle est avertie.C'est lui encore qui entre dans une église, et, prenantl'aveugle qui est collé a la porte pour un pilier et satasse pour le bénitier, y plonge la main, la porte à sonfront, lorsqu'il entend tout d'un coup le pilier quiparle, et qui lui offre des oraisons. Il s'avance dans lanef; il croit voir un prie-Dieu, il se jelle lourdementdessus; la machine plie, s'enfonce et fait des effortspour crier. Ménatquc est surpris de se voir à genouxsur les jambes d'un fort petit homme, appuyé sur sondos, les deux bras passés sur ses épaules et ses deuxmains jointes et éten<strong>du</strong>es qui lui prennent le nez etiui ferment la bouche. Il se retire confus, et va s'agenouillerailleurs; il tire un livre pour faire sa prière,et c'est sa pantoufle qu'il a prise pour ses heures, etqu'il a mise dans sa poche avant que de sortir. Il n'estpas hors de l'église qu'un homme de livrée court aprèslui, le joint, lui demande en riant s'il n'a pointla pantouflede monseigneur. Ménalque lui <strong>mont</strong>re la sienne,et .lui dit : Voilà toutes les pantoufles que j'ai sur moi;il se fouille néanmoins, et tire celle de l'évoque de***,qu'il vient de quitter, qu'il a trouvé malade auprèsde son feu, et dont, avant de prendre congé de lui, ill. Ceci peut paraître exagéré, mais on a eu de notre temps même de*• exemples de faits analogues» Il est antre i un illustre savant, mort il y aquelques années, et connu par ses distractions, d'oublier son nom eu momentde signer son contrat de mariage»i r1V:Vv 1i .ë.'Mmn33^f


&$3rÙ&&tz\*jï*Je:w- i'.t" l-3DR l/llOMMB. 231a ramassé la pantoufle» comme l'un de ses fiantsquiéloit h (erre : ainsi Ménalquo s'en retourne chez soiavec une pantoufle do moins. Il a une fois pc;<strong>du</strong> aujeu tout l'argent qui est dans sa bourse, et, voulantcontinuer de jouer, il entre dans son cabinet, ouvreune armoire, y prend sa cassette, en tire ce qu'il luiplaît, croit la remettre où i! l'a prise : il entend aboyerdans son armoire qu'il vient do fermer; étonné de ceprodige, il l'ouvre une seconde fois, cl il éclate derire d'y voir son chien, qu'il a serré pour sa cassette.Il joue au trictrac, il demande à boire, on lui en apporte;c'est à lui à jouer, il tient le cornet d'une mainet un verre de l'autre, et comme il a une grande soif,il avale les dés et presque le cornet, jette le verred'eau dans le trictrac, et inonde celui contre qui iljoue. Et dans une chambre où il est familier, il crachesur le lit et jette son chapeau à terre, en croyant fairetout le contraire. Il se promène sur l'eau, et il demandequelle heure il est. On lui présente une <strong>mont</strong>re; àpeine l'a-t-il reçue, que, ne songeant plus ni à l'heureni à la <strong>mont</strong>re, il la jette dans la rivière, comme unechose qui l'embarrasse. Lui-môme écrit une longue •lettre, met de la poudre dessus à plusieurs reprises,et jette toujours la poudre dans l'encrier. Ce n'est pastout : il écrit une seconde lettre, et, après les avoircachetées toutes deux, il se trompe à l'adresse. Un<strong>du</strong>c et pair reçoit l'une de ces deux lettres, et, enl'ouvrant, y lit ces mots : Maître Olivier^ ne manquez,sitôt la présente reçue, de m*envoyer ma provision defoin,,. Son fermier reçoit l'autre, il l'ouvre, et se lafait lire; on y trouve : Monseigneur ^ j'ai reçu avec unesoumission aveugle les ordres qu'il a plu à Votre Gran*deur„ % Lui-même encore écrit une lettre pendant lanuit, et, après l'avoir cachetée, il éteint sa bougie; ilne laisse pas d'être surpris de ne voir goutte^ et il saità peine comment cela est arrivé. Ménalquo descend


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ulVuà:ne L'HOMME,l 233moditâ<strong>du</strong> service; il la prend, la plonge dans le plat,remplit» la porte à sa bouche, et ilncsortpasd'étonnementde voir répan<strong>du</strong> sur son linge et sur ses habitsle potage qu'il vient d'avaler. Il oublie de boire pendanttout le dîner, ou, s'il s'en souvient, et qu'iltrouve que Ton lui donne trop de vin, il en flaque 1plus de la moitié au visage de celui qui est à sa droite;il boit le reste tranquillement, et no comprend paspourquoi tout le monde éclate de rire de ce qu'il ajeté h terre ce qu'on lui a versé de trop. Il est un jourretenu au lit pour quelque incommodité; on lui rendvisite; il y a un cercle d'hommes et de femmes danssa ruelle qui l'entretiennent; et, en leur présence, ilsoulève sa couverture et crache dans ses draps. On lemeneaux Chartreux; on lui fait voir un cloître ornéd'ouvrages, tous de la main d'un excellent peintre 2 ;le religieux qui les lui explique parle de saint Bruno»<strong>du</strong> chanoine et de son aventure *, en fait une longuehistoire, et la <strong>mont</strong>re dans l'un de ses tableaux. Ménalque,qui pendant la narration est hors <strong>du</strong> cloître,l • Flaquer est un mot de noire vieille langue qui signifie lancer, jeter avecviolence. Le Dictionnaire de Trévoux t après avoir cité la phrase de La| Brujère, ajoute : ce mot ne se trouve encore dans aucun dictionuaîrct C'estsans doute pour cela que notre auteur l'a mis eu italique.2. Eustache Le Sueur, né à Paris en 1617, mort eu 1655* Les tableauxdont il est ici question sont maintenant au Louvre.3# Voici le fait auquel La Bruyère fait allusion ici: — La tradition immémorialede Tordre des Chartreux ropporte que ce qui détermina saintïtruno à embrasser la vie solitaire fut ce qui arriva à Paris, à l'enterrementd'un prêtre appelé Raymond, théologien fameux, qui avait passé toute sa viepour un fort homme de bien ; savoir, que lorsqu'aux vigiles des mortsqu'on chantait sur sou corps, on commençait la quatrième leçon par ces mots :respondc miTu, il leva la tête et s'écria d'une voix épouvantable ; je suis-accusé par un juste jugement de Dieu* Sa sépulture fut pour cela différéejusqu'au lendemain, et alors au même endroit de l'office il redoubla sa voix et


V T *Lï . * v _ * " -J• *t)ïV•V:234 DE L'HOMME.et bien loin au delà, y revient enfin, et demande aupère si c'est le chanoine ou saint Bruno qui est damné.Il se trouve par hasard avec une jeune veuve; il luiparle de son défunt mari, lui demande comment il estmort. Cette femme, à qui ce discours renouvelle sesdouleurs, pleure, sanglote, et ne laisse pas de reprendretous les détails de la maladie de son époux,qu'elle con<strong>du</strong>it depuis la veille de sa (lèvre, qu'il seportoit bien, jusqu'à l'agonie." Madame, lui demandeMénalquc, qui l'avoit apparemment écoutée avec attention,ti'aviez-vous que celui-là? Il s'avise un malinde faire tout hâter dans sa cuisine, il se lève avant lefruit, et prend congé de la compagnie. On. le voit cejour*Ja en tous les endroits de la ville, hormis en celuioù il a donné un rendez-vous précis pour cette affairequi l'a empêché de diner, et l'a fait sortira pied, depeur que son carrosse ne le fit attendre. L'entendezvouscrier, gronder, s'emporter contre l'un de sesdomestiques? Il est étonné de ne le point voir. OùpèuMl être? dit-il; que fait-il? qu'est-il devenu? Qu'ilne se présente plus devant moi, je le chasse dès àcette heure. Le valet arrive, à qui il demande fièrementd'où il vient; il lui répond qu'il vient de l'endroitod il l'a envoyé, et il lui rend un fidèle comptede sa commission. Vous le prendriez souvent pourtout ce qu'il n'est pas : pour un stupide, car il n'écoutepoint, et il parle encore moins; pour un fou, car,outre qu'il parle tout seul, il est sujet à de certainesgrimaces et à des mouvements de tôle involontaires;pour un homme fier et incivil, car vous le saluez, etil passe sans vous regarder, ou il vous regarde sansvous rendre le salut; pour un inconsidéré, car il parlede banqueroute au milieu d'une famille où il y a cettetache; d'exécution et d'échafaud devant un hommedont le père y a <strong>mont</strong>é; de roture devant des roluriers qui sont riches et qui se donnent pour nobles.+ 1 -rm* . rr.£-%=w0mhré -m£:t4 •/'T,3Ç,s-\:^ +*m


I\.IiïDE L'HOMME. 235De môme, il a dessein d'élever auprès de soi un filsnaturel, sous le nom et le personnage d'un valet, et,quoiqu'il veuille le dérober à la connoissance de safemme et de ses enfants, il lui échappe de l'appelerson fils dix fois le jour. Il a pris aussi la résolution demarier son (lis à la fille d'un homme d'affaires, et ilne laisse pas de dire de temps en temps, en parlantde sa maison et de ses ancêtres, quo les Ménalqucs nese sont jamais mésalliés. Enfin, il n'est ni présent niattentif dans une compagnie à ce qui fait le sujet de*la conversation. Il pense et il parle tout à la fois;mais la chose dont il parle est rarement celle à laquelleil pense; aussi ne parlc-t-il guère conséquemment etavec suite : où il dit «on, souvent il faut dire oui\ e,t oùil dit oui, croyez qu'il veut dire non; Il a, en vous répondantsi juste, les yeux fort ouverts, mais il nes'en sert point; il ne regarde ni vous ni personne,ni rien qui soit au monde; tout ce que vous pouveztirer de lui, et encovo dans lo temps qu'il est le plusappliqué et d'un railleur commerce, ce sont cesmots : Oui vraiment', C'est vrai. Bon l Tout de bon ?Oui-dà, Je pense qu'oui, Assurément, Ah l ciel l et quelquesautres monosyllabes qui ne sont pas môme placésà propos. Jamais aussi il n'est avec ceux avec quiil paroît ôtre; il appelle sérieusement son laquaismonsieur; Qi son ami il l'appelle ia Ver<strong>du</strong>re, Il ditVotre Révérence à un prince <strong>du</strong> sang, et Votre Altesseà un jésuite. Il entend la messe; le prôtre vient àéternuer; il lui dit: Dieu vous assiste! Il se trouveavec un magistrat; cet homme, grave par son caractère,vénérable par son âge et par sa dignité, l'interrogesur un événement, et lui demande si cela estainsi; Ménalque lui répond ï Oui, mademoiselle. Il revientune fois dt la campagne; ses laquais en livréeentreprennent de le voler, et y réussissent; ils descendentde son carrosse, lui portent un bout de flata-


fi • 2S0 DR 1/lIOMME.beau sous la gorge, lui demandent la bourse, et il larend. Arrivé chez soi, il raconte son aventure à sesamis,! qui ne manquent pas de rintcrrogcr sur lescirconstances, et il leur dit : Demandez à mes gens, Utii;{fi- - --•c • »' ' f rt. '' . *-Jt*» v •" «•A.J e•r* • *•v1y étoient.-•t L'incivilité n'est pas un vice de l'àme ; elle estl'effet de plusieurs vices : de la sotte vanité, de l'igno»ranco de ses devoirs, de la paresse, de la stupidité,de la distraction, <strong>du</strong> mépris des autres, de la jalousie.Pour ne se répandre que sur les dehors, elle n'en estque plus haïssable, parce que c'est toujours un défautvisible et manifeste; il est Ytai cependant qu'il offenseplus ou moins, selon la cause qui le pro<strong>du</strong>it. •^ Dire d'un homme colère, inégal, querelleux, chagrin,pointilleux, capricieux : c'est son humeur, n'estpas l'excuser, comme on le croit, mais avouer, sansy penser, que de si grands défauts sont irrémédiables.1 Ce qu'on appelle humeur est une chose trop négligéeparmi les hommes; ils dcvroient comprendrequ'il, ne leur suffit*pas d'être bons, mais qu'ils doiventencore paroître tels, <strong>du</strong> moins s'ils tendent à êtresociables, capables d'union et de commerce, c'est-àdireà ôlrc des hommes. L'on n'exige pas des âmesmalignes qu'elles aient de la douceur et de la souplesse;elle né leur manque jamais, et elle leur sert §|de piège pour surprendre les simples et pour fairevaloir leurs artifices : l'on désircroit de ceux qui ontun bon cœur qu'ils fussent toujours pliants, faciles,complaisants, et qu'il fût moins vrai quelquefois quece sont les méchants qui nuisent et le* bons qui fontsouffrir.T Le commun dès hommes va de la colère à l'injure;quelques-uns en usent autrement : ils offensent,et puis ils se fâchent. La surprise où l'on est toujoursde ce procédé ne laisse pas de place au ressentiment.T Les hommes ne s'attachent-pas assez à ne pointï £ëai. ^,r *3ta*'Ai? J%•5-'•*i *ki t* '• I •• T I T tM ^1T ^ H ^ 1»**» ^•^•«-««.•i-i^^-ç-Mi^ .-y ••tf' •• tv^^w


- ± f T ï f t - < ~ - t ' b j ' 3 * - . 4 J N + * L f t a J . t u . * • • _ _ * .I-'"'S, *+^:-#f33-DE L'HOMMB, 237manquer les occasions de faire plaisir : il semble quel'on n'entre dans un emploi que pour pouvoir obligeret n'en rien faire ; la chose la plus prompte et qui seprésente d'abord, c'est le refus, et l'on n'accorde quepar réflexion.f Sachez précisément ce que vous pouvez attendredes hommes en générai et de chacun d'eux en parti*culier, et jetez-vous ensuite dans le commerce <strong>du</strong>monde.T Si la pauvreté est la mère des crimes, le défautd'esprit en esl le père.T II est difficile qu'un fort malhonnête homme aitassez d'esprit : un génie qui est droit et perçant con<strong>du</strong>itenfin à la règle, à la probité, à la vertu. Il manque<strong>du</strong> sens et de la pénétration à celui qui s'opiniftf redans le mauvais comme dans le faux : l'on chercheen vain à le corriger par des traits de satire qui ledésignent aux autres, et où il ne se reconnoît pas luirmême; ce sont des injures dites à un sourd.-Il seroitdésirable, pour le plaisir des honnêtes gens et pour lavengeance publique, qu'un coquin ne le fût pas aupoint d'être privé de tout sentiment.ï 11 y a des vices que nous ne devons à personne,que nous apportons en naissant, et que nous fortifionspar l'habitude ; il y en a d'autres que l'on contracte,et qui nous sont étrangers. L'on est né quelquefoisavec des mœurs faciles, de la complaisance, et toutle désir de plaire ; mais, par les traitements que l'onreçoit de ceux avec qui l'on vit ou de qui l'on dépend,l'on est bientôt jeté hors de ses mesures, et même deson naturel; l'on a des chagrins et une bile que l'onne se connoissoit point, l'on se voit une autre complexion,l'on est enfin étonné de, se trouver <strong>du</strong>r etépineux.1 L'on demande pourquoi tous les hommes ensemblene composent pas comme une seule nation et


ffï«V:i -tIt.r»"• r1/ .*-,V"^238 DR l/HOMME.n'oqt point voulu parler une mémo langue, vivre sousles mômes lois, convenir entre eux des mêmes usageset d'un même culte; et moi, pensant à la contrariétédes esprits, des goûts et des sentiments, je suis étonnéde voir jusques à sept ou huit personnes se rassemblersous un même toit, dans une même enceinte, et >Vcomposer une seule famille '.tT II y a d'étranges pères, et dont toute la vie ne f-semble occupée qu'à préparer à leurs enfants des raisonsde se consoler de leur mort.T Tout est étranger dans l'humeur, le» mœurs et les "manières de la plupart des hommes : tel a vécu pen- -\dant toute sa vie chagrin, emporté, avare, rampant, \>soumis, laborieux, intéressé, qui étoit né gai, paisible,paresseux, magnifique, d'un courage fier et éloignéde toute bassesse; les besoins de la vie, la situationoù l'on se trouve, la loi de la nécessité, forcent lanature et y causent ces grands changements. Ainsi(tel homme au fond et en lui-même ne se peut définir :/trop de choses qui sont hors de lui l'altèrent \ lechangenti le bouleversent; il n'est point précisément |•û' ce qu'il est ou ce qu'il paroît être. fT La vie est courte et ennuyeuse ; elle se passe toute |à désirer : l'on remet à l'avenir son repos et ses joies, jj; à cet âge souvent où les meilleurs bien? ont déjà dis«i |> paru, la santé et la jeunesse. Ce temps arrive, qui jjnous surprend encore dans les désirs : on en est là, {quand la fièvre nous saisit et nous éteint; si l'on eût 1guéri, ce n'étoit que pour désirer plus longtemps.. . t. Vin» Pénétrant à fond la contrariété des esprits, des goûts et des sen*y : \ : VWinente, ie suis bien plus émerveillé de voir que les milliers d hommes qu>(:-.*• i r rcomposent une nation se trouvent rassemblés en un même pays pour parletune mime tangue, vitre sous les mêmes lois, convenir entre eux d'untmême coutume, des mêmes usages et d'un même culte, que de toir diverse*nations se cantonner sous les différents climats qui leur sont attributs, et s.-' *'i-**k I lÉl ^ m' ^ m


^t^*-*b**-^Vl^t,^l>?.^ .«•>.•DE L'HOMME. 2395 Lorsqu'on désire, on se rend h discrétion à celuide qui l'on espère ; est-on sûr d'avoir, on temporise,on parlemente, on capitule.^ Il est si ordinaire à l'homme de n'être pas heureux,et si essentiel à tout ce qui est un bien d'êtreacheté par mille peines, qu'une affaire qui se rendfacile devient suspecte, L'on comprend h peine, ouque ce qui coûte si peu puisse nous être fort avantageux,ou qu'avec des mesures justes l'on doive si aisémentparvenir à la fin que l'on se propose. L'on croitmériter les bons succès, mais n'y devoir compter quefort rarement.ï L'homme qui dit qu'il n'est pas né heureux pourroit<strong>du</strong> moins le devenir par le bonheur de ses amisou de ses proches. L'envie lui ôtc cette dernière ressource.t.Et^ Quoi que j'aie pu dire ailleurs, peut-être que lesaffligés ont tort; les hommes semblent être nés pourl'infortune, la douleur et la pauvreté; peu en échappent,et comme toute disgrâce peut leur arriver, ilsdevroient être préparés à toute disgrâce.| f Les hommes ont tant de peine à s'approcher surI les affaires, sont si épineux sur les moindres intérêts,f si hérissés de difficultés, veulent si fort tromper et sij peu être trompés, mettent si haut ce qui leur appar-( tient, et si bas ce qui appartient aux autres, que j'avoueque je ne sais par où et comment se peuventconclure les mariages, les contrats, les acquisitions,la paix, la trêve, les traités, les alliances.^ A quelques-uns l'arrogance tient lieu de grandeur,l'inhumanité de fermeté, et la fourberie d'esprit.Les fourbes croient aisément que les autres le sont;ils ne peuvent guère être trompés, et ils ne trompentpas longtemps.Je me rachèterai toujours fort volontiers d'êtrefourbe par être stupide et passer pour tel.> T, f


^*jr iii 5i1SV\\/#"240 DK l/lIOMME,On ne trompe point en bien; la fourberie ajoute Jamalice au mensonge.f S'il y avoit moins de <strong>du</strong>pes, il y auroit moins dece;qu'on appelle des hommes Ans ou enten<strong>du</strong>s, et deceux qui tirent autant de vanité que de distinctiond'avoir su, pendant tout le cours de leur vie, tromperles autres. Comment voulez-vous qu'Êrophifoi à quile manque de parole, les mauvais offices, la fourberie,bien loin de nuire, ont mérité des grâces et des bienfaitsde ceux mêmp qu'il a ou manqué de servir oudésobligés, ne présume pas infiniment de soi et deson in<strong>du</strong>strie?^ L'on n'entend dans les places et dans les rues desgrandes villes, et de la bouche de ceux qui passent,que les mots d'exploit, de saisie^ d'interrogatoire, depromesse, et de plaider contre sa promesse» Est-ce qu'iln'y auroit pas dans le monde la plus petite équité?Scroit-il» au contraire, rempli de gens qui demandentfroidement ce qui ne leur est pas dû, ou qui refusentnettement de rendre ce qu'ils doivent?Parchemins inventés pour faire souvenir ou pourconvaincre les hommes de leur parole ; honte de l'humanité!Otez les passions, l'intérêt, l'injustice, quel calmedans les plus grandes villes I Les besoins et la subsistancen'y font pas le tiers de l'embarras.f Hien n'engage tant un esprit raisonnable à supportertranquillement des parents et des amis les tortsqu'ils ont à son égard que la réflexion qu'il fait sur lesvices de l'humanité, et combien il est pénible auxhommes d'être constants, généreux, tldèies, d'êtretouchés d'une amitié plus forte que leur intérêt lComme il connolt leur portée, il n'exige point d'euxqu'ils pénètrent les corps, qu'ils volent dans l'air,qu'ils aient de l'équité. Il peut haïr les hommes engénéral, où il y a si peu de vertu; mais il excuse lesïjiJ&f.'s.


•JïS-^I-V*-•*'*»*r*3$r•â'S 3.a:§«*IV *DE L'HOMME.24tparticuliers, il les aime môme par des motifs plus'relevés, et il s'étudie à mériter le moins qu'il se peutune pareille in<strong>du</strong>lgence.î II y a de certains biens que l'on désire avec emportement,et dont l'idée seule nous enlève et noustransporte. S'il nous arrive de les obtenir» on les sentplus tranquillement qu'on ne l'eût pensé, on en jouitmoins que l'on n'aspire encore à de plus grands.


• •* *r *K Ét"^K . - • : - • '•l(• ittit*242 DE L'HOMME.lui ordonne de dîner peu; elle ajoute qu'elle est sujetteà des insomnies, et il lui prescrit de n'être au litque pendant la nuit : elle lui demande pourquoi elledevient pesante, et quel remède; l'oracle répondqu'elle doit se lever avant midi, et quelquefois se servirde ses jambes pour marcher : elle lui déclare quele vin lut est nuisible ; l'oracle lui dit de boire del'eau : qu'elle a des indigestions, et il ajoute qu'ellefasse diète. Ma vue s'affaiblit, dit Irène : Prenez deslunettes, dit Esculapc. Je m'affoiblis mot-môme, coutinuc-t-elle,et je ne suis ni si forte ni si saine que j'aiété : C'est, dit le dieu, que vous vieillissez. Mais quelmoyen de guérir de celte langueur? Le plus court,Irène, c'est de mourir comme ont fait votre mère et•votre aïeule. Fils d'Apollon, s'écrie Irène, quel conseilme donnez-vous? Est-ce là toute cette science queles hommes publient, et qui vous fait révérer de toutela terre ? Que m'apprenez-vous de rare et de mystérieux?Et ne savois-jc pas tous ces remèdes que vousm'enseignez? Que n'en usiez-vous donc, répond ledieu, sans venir me chercher de si loin, et abrégervos jours par un long voyage 1 ?1 La mort n'arrive qu'une fois, et se fait sentir àtous les moments de la vie : il est plus <strong>du</strong>r de l'appréhenderque de la souffrir'?1 L'inquiétude, la crainte, l'abattement, n'éloignents*1 Oit prétend qu'un médecin Uni ce discours à madame de Montespau, auicauv de Unutbon, ou cite allait souvent pour des maladies imaginaires* (À/lks*TAtLLtttti)a. Publius Syrus t MortemlitMMCrttâdius est quammwi**-Quelle sottisede nous peiner sur te poiuct <strong>du</strong> pacagea l'exemption de toute peine I Commenoslre naissance t'cjs apporta la naissance de toutes choses, aussi fera la mortde toutes chose» nostre mort* Pourquoy c'est pareille folie de pleurer de ceque d'icy à cent ans nous ne vivrons pas, que de pleurer de ce quenous m vivions pas il y a cent ans. (MONTAIGNE,) •-* Hieu ne peut cslreçrief qui n'est qu'une fois. Est-ce raison de craindre ti longtemps choiede si hrief temps*? Le longtemps vivrai et le peu de temps vivre est ren<strong>du</strong>tiHtl un par la mort t car le long et le court n'est point aux choses qui ne*oot ptus* (/


-?;> i-'-- H. - , ^."" * 'i- -I" + « V - 1^ i -"- T 'i.**t'£f!IDE L HOMMES. 24$pas la mort, au contraire : je doute seulement quele ris excessif convienne aux hommes, qui sontmortels. •^ Ce qu'il y a de certain dans la mort est un peuadouci par ce qui est incertain î c'est un indéfini dansle temps, qui tient quelque chose de l'infini et de cequ'on appelle éternité.ï Pensons que, comme nous soupirons présentementpour la florissantejeunesse qui n'est plus, et nereviendra point, la ca<strong>du</strong>cité suivra, qui nous fera regretterl'âge viril où nous sommes encore, et quenous n'estimons pas assez,5 L'on craint la vieillesse, que l'on n'est pas sûr depouvoir atteindre.5 L'on espère de vieillir, et l'on craint la vieillesse,c'est-a-dirc l'on aime la vie, et l'on fuit ta mort.1 C'est plus tôt fiiit de céder àla nature et de craindrela mort, que de faire de continuels efforts>s'armer de raisons et de réflexions, et être continuellementaux prises avec soi-même, pour ne la pascraindre.î Si de tous les homme3 les uns mouroient, lesautres non, ce scroit une désolante affliction que demourir.1 Une longue maladie semble être placée entre lavie et la mort, afin que la mort môme devienne unsoulagement et à ceux qui meurent et à ceux quirestent.T À parler humainement, la mort a un bel endroit*qui est de mettre fin à la vieillesse.La mort qui prévient la ca<strong>du</strong>cité arrive plus à propos que celle qui la termine.\LQ regret qu'ont les hommes <strong>du</strong> mauvais emploi<strong>du</strong> temps qu'ils ont déjà vécu ne les con<strong>du</strong>it pas toujoursà faire de celui qui leur reste à vivre un moi 1 ;leur usage*


l\r m r^*» rj ; ; 244 DE L'HOMME.! t* •-*


*• " _-V * ' *•niïDR L'HOMME. 2451nI'*SIiqui ne nous arrive guère ils jouissent <strong>du</strong> présent.\ Le caractère de l'enfance paroît unique ; lesmœurs, dans cet âge, sont assez les mômes, et cen'est qu'avec une curieuse attention qu'on en pénètrela différence; elle augmente avec la raison, parcequ'avec celle-ci croissent les passions et les vices,qui seuls rendent les hommes si dissemblables entreeux et si contraires à eux-mêmes»1 Les enfants ont déjà de leur âme l'imagination etla mémoire, c'est-à-dire ce que les vieillards .n'ontplus, et ils en tirent un merveilleux usage pour leurspetits jeux et pour tous leurs amusements î c'est parelles qu'ils répètent ce qu'ils ont enten<strong>du</strong> dire, qu'ilscontrefont ce qu'ils ont vu faire, qu'ils sont de tousmétiers, soit qu'ils s'occupent en effet à mille petitsouvrages, soit qu'ils imitent les divers artisans par lemouvement et par le geste; qu'ils se trouvent à ungrand festin et y font bonne chère; qu'ils se transportentdans des palais et dans des lieux enchantés ;que, bien que seuls, ils se voient un riche équipage etun grand cortège ; qu'ils con<strong>du</strong>isent des armées, livrentbataille, et jouissent <strong>du</strong> plaisir de la victoire;qu'ils parlent aux rois et aux plus grands princes;qu'ils sont rois eux-mêmes, ont des sujets, possèdentdes trésors qu'ils peuvent faire de feuilles d'arbres oude grains de sable ; et, ce qu'ils ignorent dans la suitede leur vie* savent, à cet Age, être les arbitres deleur fortune et les maîtres do leur propre félicité.5 II n'y a nuls vices extérieurs et nuls défauts <strong>du</strong>corps qui ne soient aperçus par les enfants ; ils lessaisissent d'une première vue, et ils savent les exprimerpar des mots convenables t on no nomme pointplus heureusement. Devenus hommes, ils sont chargés,à leur tour, de toutes les imperfections dont ilsse sont moqués,L'unique soin des enfants est de trouver l'endroitil.


.'-Y246 DE L'HOMME.foible de leurs maîtres, comme de tous ceux a quiils; sont soumis 1 : dès qu'ils ont pu les entamer, ilsgagnent le dessus, et prennent sur eux un ascendantqu'ils ne perdent plus. Ce qui nous fait déchoir unepremière fois de cette supériorité à leur égard esttoujours ce qui nous empoche de la recouvrer.\ La paresse, l'indolence et l'oisiveté, vices si naturelsaux enfants, disparaissent dans leurs jeux, oùils sont vifs, appliqués, exacts, amoureux des règleset do (a symétrie, où ils ne se pardonnent nulle fauteles uns aux autres, et recommencent eux-mêmes plusieursfois une seule chose qu'ils ont manquée : présagescertains qu'ils pourront un jour négliger leursdevoirs , mais qu'ils n'oublieront rien pour leursplaisirs.T Aux enfants tout parott grand 9 , les cours, les jardins,les édifices, les meubles, les hommes, les animaux: aux hommes les choses <strong>du</strong> monde paraissentainsi, et j'ose dire par la môme raison, parce qu'ilssont petits.T Les enfants commencent entre eux par l'état populaire,chacun y est le maître ; et, ce qui est biennaturel, ils ne s'en accommodent pas longtemps etpassent au monarchique. Quelqu'un se distingue, oupar une plus grande vivacité, ou par une meilleuredisposition <strong>du</strong> corps, ou par une connoissance plus(. Un des premier» soins des enfants est de découvrir le faible do ceut quiJ:les gouvernent. (RotjjJiiw.)| S. Cet article paraît avoir inspiré à Del II le les vers que volet tSans soins <strong>du</strong> lendemain, sans reg.-ets de la veille,L*enfant joue et s*endott, pour jouer se réveille \Trop faible eneor, son coeur ne saurait soutenirLe passé, le présent et l'immense avenir.A peine au présent seul son Ame peut suffire ti Le présent seul est tout, un coin est sou empire,Un hochet son trésor, un point l'immensité,Le soir son avenir, un jour l'éternité.[L'imûQtno t l'on, cli. VI.)-i1 * ••i&hM


1DE t/lIÛSJME. 247exacte des jeux différents et des petites lois qui lescomposent; les fiutres lui défèrent, et il se formealors un gouvernement absolu qui ne roule que surle plaisir.T Qui doute que les enfants ne conçoivent, qu'ils nejugent, qu'ils ne raisonnent conséquemment? Si c'estseulement sur de petites choses, c'est qu'ils sont enfants,et sans une longue expérience; et si c'est enmauvais termes, c'ost moins leur faute que celle deleurs parents ou de leurs maîtres.


• ,-tt•i v. »r1 '.•• ; ».V;248 DE L HOMME.* 3 a|f. f •' T Nous faisons par vanité ou par bienséance les1>, mômes choses et avec les mômes dehors que nous lesferions par inclination ou par devoir. Tel vient dettr.î • mourir a Paris de la fièvre qu'il a gagnée à veiller safemme, qu'il n'aimôit point 1 .}V!.\\T Les hommes, dans le cœur, veulent ôtre estimés,Set ils cachent avec soin l'envie qu'ils ont d'ôlrc estimés; parce.que les hommes veulent passer pour vertueux,et que vouloir tirer de la vertu tout autre avantageque la môme vertu 8 , je veux dire l'estime et lesrj 4louanges, ce ne scroit plus ôtre vertueux, mais aimerl'estime et les louanges, ou ôtre vain : les hommes'V*sont très-vains, et ils ne haïssent rien tant que depasser pour tels.\ Un homme vain trouve son compte à dire <strong>du</strong> bienou <strong>du</strong> mal de soi 9 ; un homme modeste ne parlepoint de soi»ïOn ne voit point mieux le ridicule do la vanité, etcombien elle est un vice honteux, qu'en ce qu'elle\n'ose se <strong>mont</strong>rer, et qu'elle se cache souvent sous lesapparences de son contraire.La fausse modestie est le dernier raffinement de la+•.î . -vanité 4 ï ••; elle fait que.rhomme vain no paroît pointtel, et se fait valoir au contraire par la vertu opposéeV f.au vice qui fait son caractère : c'est un mensonge. Lafausse gloire est l'écueil de la vanité ; elle nous con-*••<strong>du</strong>it a vouloir ôtre estimés par des choses qui, à lavérité, se trouvent en nous, mais qui sont frivoles etindignes qu'on les relève : c'est une erreur,\ Les hommes parlent de manière, sur ce qui les>¥%•je-Iv?£*-if! ; ' 1* te prince deConli, tnori de la petite vérole qu'il avait gognée t commef .le dit La tkuycre, en veillant 5a femme» qu'il n'attnaît point»• 2. la m une twfu pour la vertu même} cette forme était usitée au di&*tep*'tiertto gicclciV3. On aime mieui dire <strong>du</strong> mal de sol que de u\m pas parler» (LA Ho*eimoucAitt)»){ , 4* L'humilité ctt uu artifice de l'orgueil, [UAVa\ •


' **» *T»•T•- \ ^.s *DE L'HOMME. 249regarde, qu'ils n'avouent d'eux-mêmes que de petitsdéfauts, et encore ceux qui supposent en leurs personnesde beaux talents ou de grandes qualités* Ainsil'on se plaint de son peu de mémoire, content d'ailleursde son grand sens et de son bon jugement * ; l'onreçoit le reproche de la distraction et de la rêverie,comme s'il nous accordoit le bel esprit ; l'on dit desoi qu'on est maladroit, et qu'on ne peut rien fairede ses mains, fort consolé de la perte de ces petitstalents par ceux de l'esprit ou par les dons de Pâme,que tout le monde nous connoît ; l'on fait aveu de saparesse en des termes qui signifient toujours son désintéressement,et que l'on est guéri de l'ambition;l'on ne rougit point de sa malpropreté, qui n'estqu'une négligence pour les petites choses, et qui semblesupposer qu'on n'a d'application que pour les solideset les essentielles. Un homme de guerre aime àdire que c'étoit par trop d'empressement ou par curiositéqu'il se trouva un certain jour à la tranchée,ou en quelque autre poste très-périlleux sans être degarde ni commandé ; et il ajoute qu'il en fut reprisdo son général, De môme une bonne tête et un fermegénie qui se trouve né avec cette prudence que lesautres nommes cherchent vainement à acquérir ; quia fortifié la trempe de son esprit par une grandeexpérience; que le nombre, le poids, la diversité, ladifficulté et l'importance des affaires occupent seulement»et n'accablent point; qui, par l'éten<strong>du</strong>e de sesvues et de sa pénétration, se rend maître de tous lesévénements; qui, bien loin de consulter toutes lesréflexions qui sont écrites sur le gouvernement et lapolitique, est peut-être de ces âmes sublimes néespour régir les autres, et sur qui ces premières rôglca1. Tout te monde ec plaint dû ta mémoire et personne ne le plaint de ior>jugement. (U Roctitrotcn-Lb.)


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-J**.252 DE L'HOMMRd'envie, de caprices et de préventions. Quelle bizarrerieIï II semble que l'on ne puisse rire que des chosesridicules ; l'on voit néanmoins de certaines gens quirient également des choses ridicules et de celles quine le sont pas. Si vous êtes sot et inconsidéré, et qu'ilvous échappe devant eux quelque impertinence, ilsrient de vous ; si vous êtes sage, et que vous ne disiezque des choses raisonnables et <strong>du</strong> ton qu'il les fautdire, ils rient de môme.^ Ceux qui nous ravissent les biens par la violenceou par l'injustice, et qui nous ôtent l'honneur par lacalomnie, nous marquent assez leur haine pour nous,mais ils ne nous prouvent pas également qu'ils aientper<strong>du</strong> à notre égard toute sorte d'estime ; aussi nesommes-nous pas incapables de quelque retour poureux, et de leur rendre un jour notre amitié. La moquerie,au contraire, est de toutes les injures cellequi se pardonne le moins ; elle est le langage <strong>du</strong> mépris,et l'une des manières dont il se fait le mieux entendre; elle attaque l'homme dans son dernier retranchement,qui est l'opinion qu'il a de soi-même ; elleveut le rendre ridicule à ses propres yeux \ et ainsielle le convainc * de la plus mauvaise dispositionoù l'on puisse être pour lui, et le rend irréconciliable»^ C'est une chose monstrueuse que le goût et la facilitéqui est en nous de railler, d'improuver et demépriser les autres ; et tout ensemble la colère quenous ressentons contre ceux qui nous raillent, nousimprouvent et nous méprisent»\ î>a santé et les richesses, ôtant aux hommes l'expérience<strong>du</strong> mal, leur inspirent ta <strong>du</strong>reté pour leurssemblables ; et les gens déjà chargés de leur propre^


t-j» lt.*C it-Af vjtiv \J',>»*» n ^ ^ w t *i'»w*'w— ** J^fa ***» ^ i-* ^--w4DE I/IIOMMK. 253misère sont ceux qui entrent davantage par la corn*passion dans celle d'aulrui.\ Il semble qu'aux âmes bien nées les fêtes, lesspectacles, la symphonie, rapprochent et font mieuxsentir l'infortune de nos proches ou de nos amis.T Une grande âme est au-dessus de l'injure, de l'injustice,de la douleur, de la moquerie; et elle seroitinvulnérable, si elle ne souffroit par la compassion.'ï II y a une espèce de honte d'être heureux à la vuede certaines misères.\ On est, prompt à connoltre ses plus petits avantages,et lent à pénétrer ses défauts : on n'ignorepoint qu'on a de beaux sourcils, les ongles bien faits;on sait à peine que l'on est borgne ; on ne sait point<strong>du</strong> tout que l'on manque d'esprit.Argyre tire son gant pour <strong>mont</strong>rer une belle main,et elle ne néglige pas de découvrir un petit soulierqui suppose qu'elle a le pied petit ; elle rit des chosesplaisantes ou sérieuses pour faire voir de belles dents;si elle <strong>mont</strong>re son oreille, c'est qu'elle l'a bien faite ;et si elle ne danse jamais, c'est qu'elle est peu contentede sa taille, qu'elle a épaisse; elle entend touses intérêts, à l'exception d'un seul : elle parle touours,et n'a point d'esprit.I Les hommes comptent presque pour rien touteses v art us <strong>du</strong> cœur, et idolâtrent les talents <strong>du</strong> corpst lie l'esprit; celui qui dit froidement de soi, et sansroire blesser la modestie, qu'il est bon, qu'il estonstant, Adèle, sincère, équitable, reconnoissant,'ose dire qu'il est vif, qu'il a les dents belles et laeau douce : cela est trop fort.II est vrai qu'il y a deux vertus que les hommes, adirent,la bravoure et la libéralité, parce qu'il y aeux choses qu'ils estiment beaucoup et que ces verusfont négliger, la vie et l'argent; aussi personnel'avance de soi qu'il est brave ou libéral.telrJfcs/•an" "R •'-Î3•Ala3'Sti•*ift* tt - 1


, *•-'•st1\-254 DR L'HOMMR. .Personne ne dit de soi, et surtout sans fondement,qu'il est beau, qu'il est généreux, qu'il est sublime :on'a mis ces qualités à un trop baut prix; on se contentede le penser.•»j Quelque rapport qu'il paroisse de la jalousiel'émulation, il y a entre elles le môme éloignementque celui qui se trouve entre le vice et la vertu,La jalousie et l'émulation s'exercent sur le mômeobjet, qui est le bien ou Je mérite des autres; aveccelle différence que celle-ci est un sentiment volontaire,courageux, sincère, qui rend l'âme féconde,qui la fait profiter des grands exemples, et la portesouvent au-dessus de ce qu'elle admire ; et que cellelàau contraire est un mouvement violent et commeun aveu contraint <strong>du</strong> mérite qui est hors d'elle ;qu'elle va'môme jusques à nier la vertu dans les sujetsoù elle existe, ou qui, forcée de la reconnoitre,Lui refuse les éloges ou lui envie les récompenses;une passion stérile qui laisse l'homme dans l'état ouelle le trouve ; qui le remplit de lui-môme, de l'idéede sa réputation, qui le rend froid et sec sur les actionsou sur les ouvrages d'autrui ; qui fait qu'ils'étonne de voir dans le monde d'autres talents quetes siens, ou d'autres hommes avec les mômes talentsdont il se pique. Vice honteux, et qui, par son excès,rentre toujours dans la vanité et dans la présomption,et ne persuade pas tant à celui qui en est blesséqu'il a plus d'esprit et de mérite que les autres, qu'illui fait croire qu'il a à lui seul de l'esprit et <strong>du</strong>mérite.L'émulation et la jalousie ne se rencontrent guèreque dans les personnes de môme art, de mômes talentset de mômes conditions. Les plus vils artisanssont les plus sujets à la jalousie. Ceux qui font pro


*i \^»t~ .«•' * —- *- / \DE L'HOMME. 255ceux qui se mêlent d'écrire, ne devraient être capablesque d'émulation.Toute jalousie n'est point exemple de quelque sorted'envie, et souvent même ces deux passions se confondent.L'envie, au contraire, est quelquefois séparéede la jalousie, comme est celle qu'excitent dansnotre âme les conditions fort élevées au-dessus de lanôtre, les grandes fortunes, la faveur, le ministère.L'envie et la haine s'unissent toujours et se fortifientl'une l'autre dans un môme sujet, et elles nesont reconnoissables entre elles qu'en ce que l'unes'attache à la personne, l'autre à l'état et à la condition,Un homme d'esprit n'est point jaloux d'un ouvrierqui a travaillé une bonne épée, ou d'un statuaire quivient d'achever une belle figure. Il* sait qu'il y a dansces arts des règles et une méthode qu'on no devinepoint, qu'il y a des outils à manier dont il ne connottni l'usage, ni le nom, ni la figure; et il lui suffit depenser qu'il n'a point fait l'apprentissage d'un certainmétier, pour se consoler de n'y être point maître. Ilpeut, au contraire, être susceptible d'envie et mômede jalousie contre un ministre et contre ceux qui gouvernent,comme si la raison et le bon sens, qui luisont communs avec eux, étoient les seuls instrumentsqui servent à .régir un État et .à présider aux affairespubliques, et qu'ils <strong>du</strong>ssent suppléer aux règles, auxpréceptes, à l'expérience.T L'on voit peu d'esprits entièrement lourds et stupides;l'on en voit encore moins qui soient sublimeset transcendants. Le commun des hommes nage entreces deux extrémités; l'intervalle est rempli par ungrand nombre de talents ordinaires, mais qui sontd'un grand usage, servent à la république, et renfermenten sol l'utile et l'agréable, comme le commerce,les finances, le détail des armées, la navigation, les


2MDE L'HOMME.arts, les métiers, l'heureuse mémoire, l'esprit <strong>du</strong> jeu,celui de la société et de la conservation.1 Tout l'espril qui est au monde est inutile à celuiqui n'en a point : il n'a nulles vues, et il est incapabletic profiter de celles d'àutrui.TLc premier degré dans l'homme après la raison,ce seroit de sentir qu'il l'a per<strong>du</strong>e : la folie môme eslincompatible avec celle connoissance. De môme, cequ'il y auroil en nous de meilleur après l'esprit, ceseroit de connoltre qu'il nous manque; par là on feroitl'impossible î on sauroit sans esprit n'ôtre pas un sot,ni un fat, ni un impertinent.1 Un homme qui n'a de l'esprit que dans une certainemédiocrité est sérieux et tout d'une pièce i il nerit point, il ne badine jamais, il ne tire aucun fruit dela bagatelle; aussi incapable de s'élever aux grandeschoses que de s'accommoder, môme par relâchement,des plus petites, il sait à peine jouer avec ses enfants.1 Tout le monde dit d'un fat qu'il est un fat •, personnen'ose le. lui dire à lui-môme : il meurt sans lesavoir, et sans que personne se soit vengé.T Quelle mésintelligence entre l'esprit et le cœurlLe philosophe vit mal avec tous ses préceptes; et lepolitique, rempli de vues et de réflexions, ne sait passe gouverner.] L'esprit s'use comme toutes choses : les sciencessont ses aliments *, elles le nourrissent et le consument.\ Les petits soiitquelquefois chargés do mille vertusinutiles : ils n'ont pas de quoi les mettre en œuvre.i II se trouve des hommes qui soutiennent facilementle poids de la faveur et de l'autorité, qui se familiarisentavec leur propre grandeur, et à qui la tôte1, Vin. D'un tôt qu'il est un tôt*t. Va, Sont aliments»


*;*_--.-DR L'HOMME.ne tourne point dans les postes les plus élevés. Ceuxau contraire que la fortune, aveugle, sans choix etsans discernement, a comme accablés de ses bienfaits,en jouissent avec orgueil et sans modération : leursyeux, leur démarche, leur ton de voix et leur accès,marquent longtemps en eux l'admiration où ils sontd'eux-mêmes et de se voir si ëminenls; et ils deviennentsi farouches, que leur chute seule peut les apprivoiser.\ Un homme haut et robuste, qui a une poitrinelarge et de larges épaules, porte légèrement et debonne grâce un lourd fardeau, il lui reste encore unbras de libre; un nain seroit écrasé de la moitié de sacharge : ainsi les postes éminents rendent les grandshommes encore plus grands, et les petits beaucoupplus petits.1 II y a des gens qui gagnent à être extraordinaires :ils voguent, ils cinglent dans une mer oh les autreséchouent et so brisent ; ils parviennent, en blessanttoutes les règles de parvenir; i|,s tirent de leur irrégulariléet de leur folie tous lés- fruits d'une sagesse laplus consommée : hommes dévoués à d'autres hommes,aux grands a qui ils ont sacrifié, en qui ils ontplacé leurs dernières espérances, ils ne les serventpoint, mais ils les amusent : les personnes de mériteet de service sont utiles aux grands, ceux-ci leur sontnécessaires; ils blanchissent auprès d'eux dans la pratiquedes bons mots, qui leur tiennent lieu d'exploitsdont ils attendent la récompense; ils s'attirent, à forced'être plaisants, des emplois graves, et s'élèvent parun continuel enjouement jusqu'au sérieux des dignités;ils finissent enfin, et rencontrent inopinément un avenirqu'ils n'ont ni craint ni espéré : ce qui reste d'euxsur la terre, c'est l'exemple de leur fortune, fatal oceux qui voudroient le suivre5 L'on exigeroit de certains personnages qui ont2î.


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•>•',f T -< '-^r^>-,; : .' sDE L'iIOMMR* 259si différents d'eux-mêmes par le cœur et par l'esprit,qu'on est sûr de se méprendre, si l'on en juge seulementpar c/ "qui a paru d'eux dans leur première jeunesse.Tels étoient pieux, sages, savants, qui, parcette mollesse inséparable d'une trop riante fortune,ne le sont plus. L'on en sait d'autres qui ont commencéleur vie par les plaisirs et qui ont mis ce qu'ilsavoient d'esprit à les connottre, que les disgrâces ensuiteont ren<strong>du</strong>s religieux, sages, tempérants. Cesderniers sont, pour l'ordinaire, de grands sujets, etsur qui l'on peut faire beaucoup de fond : ils ont uneprobité éprouvée parla patience et par l'adversité; ilsentent sur ccjtc extrême politesse que le commercedes femmes leur a donnée, et dont ils ne se défontjamais, un esprit de règle, de réflexion, et quelquefoisune haute capacité, qu'ils doivent à la chambreet au loisir d'une mauvaise fortune.Tout notre mal vient de ne pouvoir être seuls * : delà le jeu, le luxe, la dissipation, le vin, les femmes,l'ignorance, la médisance, l'envie, l'oubli de soi-mêmeet de Dieu.t L'homme semble quelquefois ne se suffire pas àsoi-même : les ténèbres, la solitude le troublent, lejettent dans des craintes frivoles et dans de vainesterreurs; le moindre mal alors qui puisse lui arriverest de s'ennuyer.f L'ennui est entré dans le monde par la paresse •elle a beaucoup de part dans la recherche que fontl\hommes des plaisirs, <strong>du</strong> jeu, de la société. Celui quiaime le travail a assez de soi-même.\ La plupart des hommes emploient la meilleurepartie ' de leur vie à rendre l'autre misérable,111 y a des ouvrages qui commencent par A et finis-I. Le malheur des hommes vteul de ne tavotr pas te tenir en repos damune chambre. (PàSCAI,)I. VAR. Ad immiirê partie»


- fi • ' '260 DB L'HOMME.sent par Z : le bon, le mauvais, le pire, tout y entre;riep en un certain genre n'est oublié : quelle recherche,quelle affectation dans ces ouvrages l On lesappejlc des jeux d'esprit. De môme, il y a un jeu dansla con<strong>du</strong>ite : on a commencé, il faut finir; on veutfournir toute la carrière. Il seroit mieux ou de changerou de suspendre; mais il est plus rare et plus difficilede poursuivre : on poursuit, on s'anime par lescontradictions; la vanité soutient, supplée à la raison,qui cède et qui se désiste : on porte ce raffinementjusque dans les actions les plus vertueuses, danscelles môme où il entre de la religion.T II n'y a que nos devoirs qui nous coûtent, parceque leur pratique ne regardant que les choses quenous sommes étroitement obligés de faire, elle n'estpas suivie de grands éloges, qui est tout ce qui nousexcite aux actions louables et qui nous soutient dansnos entreprises. N*** aime une piété fastueuse qui luiattire l'intendance des besoins des pauvres, le renddépositaire de leur patrimoine et fait de sa maison undépôt public où se font les distributions; les gens àpetits collets * et les sœurs grises * y ont une libre en*tréc, toute une ville voit ses aumônes et les publie:qui pourroit douter qu'il soit homme de bien, si cen'est peut-être ses créanciers?1 Gêronte meurt de ca<strong>du</strong>cité et sans avoir fait cetestament qu'il projetoit depuis trente années; dixtôles viennent ab intestat partager sa succession. Il nevivoit depuis longtemps que par les soins ftAstérie % sai. On Appelle petit collet un homme qui t'etl mis dam la réforme, dansla dévotion, parce que les gens d'église portent de petits collets» tandis quoles gens <strong>du</strong> monde en portent de grands, ornés de points et de dentelles ; etquelquefois il se dit en mauvaise part des hypocrites qui affectent des manièresmodestes, et surtout de porter un petit col Ut* (Diction* de Taévoui»)1» On appelait S&urè grises des sœurs de charité qui vivaient en commu*nauté sans être religieuses. On désignait aussi sous le môme nom tes hospt*tallères <strong>du</strong> tiers-ordre de saint François, parce qu'elles ctalcct habillées degris. (Diction* de Trivoi t.)


*" *4i -DKL'SIOMMK.l 2Glfemme, qui, jeune encore, s'étoit dévouée à sa personne,ne le perdoit pas de vue, secourait sa vieillesseet lui a enfin fermé les yeux, Il ne lui laisse pas assezde bien pour pouvoir se passer, pour vivre, d'un autrevieillard.^ Laisser perdre charges et bénéfices plutôt que devendre ou de résigner, môme dans son extrême vieillesse,c'est se persuader qu'on n'est pas <strong>du</strong> nombrede ceux qui meurent; ou si l'on croit que l'on peutmourir, c'est s'aimer soi-même et n'aimer que soi.\ Fomte est un dissolu, un prodigue, un libertin,un ingrat, un emporté, qu'Auré/e, son oncle, n'a puhaïr ni déshériter.Frontiri) neveu d'Àurôle, après vingt années d'uneprobité connue et d'une complaisance aveugle pource vieillard, ne l'a pu fléchir en sa faveur, et ne tirede sa dépouille qu'une légère pension qucFauste, uniquelégataire, lui doit payer.1 Les haines sont si longues et si opiniâtres, quele plus grand signe de mort, dans un homme malade,c'est la réconciliation.\ L'on s'insinue auprès de tous les hommes, ou enles flattantdans tes passions qui occupent leur àmc,ou en compatissant aux infirmités qui affligent leurcorus, En cela seul consistent les soins que Ton peutleur rendre ; de là vient que celui qui se portebien et qui désire peu de chose est moins facile àgouverner.\ La mollesse et la volupté naissent avec l'hommeet ne finissentqu'avec lui; ni les heureux ni les tris*tes événements ne l'en peuvent séparer; c'est pourlui ou le fruit de la bonne fortune ou un dédommagementde la mauvaise.\ C'est une grande difformité dans la nature qu'unvieillard amoureux.' \ Peu de gens se souviennent d'avoir été jeunes, et


'tî'V ,2G2LE L IIOM.MK.combien il leur éloit difficile d'être chastes et tempérants.La première chose qui arrive aux hommesaprès avoir renoncé aux plaisirs, ou par bienséance,ou par lassitude, ou par régime, c'est de les condamnerdans les autres. 11 entre dans cette con<strong>du</strong>ite unesorte d'attachement pour les choses mômes que l'onvient de quitter ; l'on aimerait qu'un bien qui n'estplus pour nous ne fût plus aussi pour le reste <strong>du</strong>monde : c'est un sentiment de jalousie.T Ce n'est pas le besoin d'argent où les vieillardspeuvent appréhender de tomber un jour qui les rendavares, car il y en a de tels qui ont de si grands fondsqu'ils ne peuvent guère avoir celte inquiétude; et. d'ailleurs, comment pourroient-ils craindre de manquerdans leur ca<strong>du</strong>cité des commodités de la vie,puisqu'ils s'en privent eux-mêmes volontairementpour satisfaire à leur avarice? Ce n'est point aussi l'enviede laisser de plus grandes richesses à leurs enfants,car il n'est pas naturel d'aimer quelque autrechose plus que soi-même, outre qu'il se trouve desavares qui n'ont point d'héritiers. Ce vice est plutôtl'cAct de l'âge et de la complexion des vieillards, quis'y abandonnent aussi naturellement qu'ils suivoicntleurs plaisirs dans leur jeunesse ou leur ambitiondans l'Age viril* Il ne faut ni vigueur, ni jeunesse, nisanté, pour être avare ; l'on n'a aussi nul besoin des'empresser ou de se donner le moindre mouvementpour épargner ses revenus : il faut laisser seulementson bien dans les coffres et se priver de tout. Cela estcommode aux vieillards, à qui il faut une passionparce qu'ils sont hommes.5 II y a des gens qui sont mal logés, mal couchés,mal habillés, et plus mal nourris ; qui essuient les rigueursdes saisons; qui se privent eux-mêmes de lasociété des hommes, et passent leur? jours dans |asolitude; qui souffrent <strong>du</strong> présent, <strong>du</strong>passe et de l'a-»*


s*^, *F ^-**SDE L'HOMME. 2G3venir i dont la vio est comme une pénitence continuelle,et qui ont ainsi trouvé le secret d'aller à leurperle par le chemin le plus pénible : ce sont lesavares.^ Le souvenir de la jeunesse est tendre dans lesvieillards ; ils aiment les lieux où ils l'ont passée. Lespersonnes qu'ils ont commencé de connoître dans cetemps leur sont chères; ils affectent quelques mots<strong>du</strong> premier langage qu'ils ont parlé ; ils tiennent pourl'ancienne manière de chanter, et pour la vieilledanse ; ils vantent tes modes qui régnoienl alors dansles babils, les meubles et les équipages ; ils ne peuventencore désapprouver des choses qui servoicnt aleurs passions, qui étoient si utiles à leurs plaisirs, etqui en rappellent la mémoire. Comment pourroientilsleur préférer de nouveaux usages et des modestoutes récentes, où ils n'ont nulle part, dont ils n'espèrentrien, que les jeunes ont faites, et dont ilsliront à leur tour de si grands avantages contre la-vieillesse ?| Une trop grande négligence, comme une excessiveparure dans les vieillards, multiplient leurs rides,et font mieux voir leur ca<strong>du</strong>cité.fUn vieillard est fier, dédaigneux, et d'un commercedifficile, s'il n'a beaucoup d'esprit.5 Un vieillard qui a vécu à la cour, qui a un grandsens et une mémoire fidèle,est un trésor inestimable.11 est plein de faits et de maximes; l'on y trouvel'histoire <strong>du</strong> siècle, revêtue de circonstances très-curieuses,et qui ne se lisent nulle part ; l'on y apprenddes règles pour la con<strong>du</strong>ite et pour les mœurs, quisont toujours sûres, parce qu'elles sont fondées surl'expérience.5 Les jeunes gens, à cause des passions qui lesamusent, s'accommodent mieux de la solitude que lesvieillards.


264 DE L'HOMME.T Phidippe % déjà vieux, raffine sur la propreté etsur la mollesse; il passe aux petites délicatesses; ils'est fait un art <strong>du</strong> boire, <strong>du</strong> manger, <strong>du</strong> repos et del'exercice. Les petites règles qu'il s'est prescrites, etqui tendent toutes aux aises de sa personne, il les observeavec scrupule, et ne lés romproit pas pour unemaîtresse, si le régime lui avoit permis d'en retenir. Ils'est accablé de superfluités, que l'habitude enfin luirend nécessaires. Il double ainsi et renforce les liensqui l'attachent à la vie, et il veut employer ce qui luien reste à en rendre la perle plus douloureuse. N'appréhendoit-ilpas assez de mourir '?\ Gnathon ne vit que pour soi, et tous les hommesensemble sont à son égard comme s'ils n'étoientpoint. Non content de remplir h une table la premièreplace, il occupe lui seul celle de deux autres.H oublie que le repas est pour lui et pour toute lacompagnie ; il se rend maître <strong>du</strong> plat, et fait sonpropre de chaque service. Il ne s'attache à aucun desmets, qu'il n'ait achevé d'essayer de tous; il voùdroitpouvoir les savourer tous tout à la fois. Il ne se serta table que de ses mains; il manie les viandes, lesremanie, démembre, déchire, et en use de manièrequ'il faut que les conviés, s'ils veulent manger, mangentses restes. Il ne leur épargne aucune de ces malpropretésdégoûtantes capables d'ôter l'appétit auxplus affamés ; le jus et les sauces lui dégouttent <strong>du</strong>menton et de la barbe. S'il enlève un ragoût de dessusun plat, il le répand en chemin dans un autre plat etsur la nappe ; on le suit à la trace. Il mange haut eti. Dans tous les articles cUdessus on remarquera que La bruyère, traite engénéral assez sévèrement la vieillesse, et qu'il en parte plutôt en satirique qu'enmoraliste. Il est regrettable qu'il ne se soit point souvenu Ici <strong>du</strong> de SenectuteU Cicoron, qui donnait & Montaigne M appétit de vieillir. • Cet admirableUailé t dc philosophie pratique a Inspiré Bufîoii, et de nos jours même M. Flou*.'cns/qtii comme Buffjn, a Réhabilité la vieillesse, qu'il appelle heureuicmeuti l'âge saint d* la vie. •


IDE L'ilOMMR. 265avec grand bruit; il roule les yeux en mangeant; latable est pour lui un râtelier ; il écure ses dents, etil continue a manger. H se fait, quelque part où il setrouve, une manière d'établissement, et ne soufrrepas d'être plus pressé au sermon ou au théâtre quedans sa chambre. Il n'y a dans un carrosse que lesplaces <strong>du</strong> fond qui lui conviennent ; dans toute autre,si on veut l'en croire, il pâlit et tombe en foi blesse,S'il fait un voyage avec plusieurs, il les prévient dansles hôtelleries, et il sait toujours se conserver dans lameilleure chambre le meilleur lit. Il tourne tout à sonusage; ses valets, ceux d'autrui, courent dans le mômetemps 1 pour son service ; tout ce qu'il trouve sous samain lui est propre, hardes, équipages. Il embarrassetout le monde, ne se contraint pour personne, neplaint personne, ne connott de maux que les siens,que sa rrfplélion et sa bile ; ne pleure point la mortdes autres, n'appréhende que la sienne, qu'il rachèteroitvolontiers do l'extinction <strong>du</strong> genre humain.\ Cliton n'a jamais eu en toute sa vie que deuxaffaires, qui est de dîner le matin et de souper le soir.Il ne semble né que pour la digestion ; il n'a de mômequ'un entretien : il dit les entrées qui ont été servies audernië£ repas où il s'est trouvé; il dit combien ilyaeudépotages, et quels potages ; il place ensuite le rôt etles entremets; il se souvient exactement de quels platson a relevé le premier service ; il n'oublie pas les horsd'œuvre,le fruit et les assiettes ; il nomme tous lesvins et toutes les liqueurs dont il a bu ; il possède lelangage des cuisines autant qu'il peut s'étendre, et ilme fait envie de manger a une bonne table où il nesoit point *. Il a surtout un palais sur, qui ne prendpoint le change; et il ne s'est jamais vu exposé àt. VA», Sont dan* le Même temps m campagne, 'It ptvud soin d'y servir des mets fort délicats.— Oui ; nids je voudroil tien qu'il ne s'y smil )>"S ;23


• V'ip•îVïli'Mî j ^V. îm2Gtf ' DE L'HOMME.l'horrible inconvénient de mange; un mauvais ragoût,ou de boire d'un vin médiocre. C'est un personnageillustre dans son genre, et qui a porté le talent de sebien nourrir jusques où il pouvoit aller; on ne verraplus un homme qui mange tant et qui mange si bien.Aussi est-il l'arbitre des bons morceaux \ et il n'estguère permis d'avoir <strong>du</strong> goût pour ce qu'il désapprouve.Mais il n'est plus; il s'est fait <strong>du</strong> moins porterà table jusqu'au dernier soupir; il donnoit à mangerle jour qu'il est mort» Quelque part où il soit, ilmange; et, s'il revient au monde, c'est pour manger.1 Ruffin commence à grisonner; mais il est sain; ilI;;f'{jîj|j '. ' a un visage frais et un œil vif qui lui promettent en-(l(j jcorc vingt années de vie ; il est gai, jovial^ familier,indifférent; il rit de tout son cœur, et il rit tout soûli,' jet sans sujet : il est content de soi, des siens, de sa|j ( petite fortune ; il dit qu'il est heureux. Il perd son fils\\•'•'unique, jeune homme de grande espérance, et quifipouvoit un jour être l'honneur de sa famille ; il remettM-sur d'autres le soin de le pleurer : il dit : Mon fils estImort) cela fera mourir sa mère ; et il est consolé. Il n'a|| point de passions ; il n'a ni amis ni ennemis ; personne*f . ne l'embarrasse, tout le monde lui convient, tout luir-t -tI£§est propre ; il parle à celui qu'il voit une première foisavec la môme liberté et h même confiance qu'à ceuxqu'il appelle de vieux amis, et il lui fait part bientôt deses quolibets et de ses historiettes. On l'aborde, on lequitte sans qu'il y fasse attention; et le môme contequ'il a commencé de faire à quelqu'un, il l'achève kcelui qui prend sa place.\ N**cst moins aflbibli par l'âge que par la maladie,car il ne passe point soixante-huit ans ; mais il a la•goutte, et il est sujet à une colique néphrétique; il aC'est un fort méchant p!al que la lotte personne.%i VA qui gâte, à mon goût, tous te» repa» qu'il donnci• (Moukm, le Misanthrope, acte 11) se» v.)VN".. 1•j***.


DE L HOMME.2G7le visage décharné, le temt verdàlre, et qui menaceruine : il fait marner sa terre, et il compte que dequinze ans entiers il ne sera obligé de la fumer; Uplante un jeune bois, et il espère qu'en moins de vingtannées il lui donnera un beau couvert; il fait bâtirdansla rue** une maison de pierre de taille, raffermiedans les encoignures par des mains de fer, et dont iïassure, en toussant et avec une voix frôle et débile*qu'on ne verra jamais la fin ; il se promène tous lesjours dans ses ateliers sur le bras d'un valet qui lesoulage; il v.onlrc à ses amis ce qu'il a fait, et il leurdit ce qu'il a dessein de faire. Ce n'est pas pour sesenfants qu'il bâtit, car il n'en a point; ni pour ses héritiers,personnes viles et qui sont brouillées aveclui : c'est pour lui seul et il mourra demain.ï Antagoras&xm visage trivial et populaire; un suissde paroisse ou le saint de pierre qui orne le grandautel n'est pas mieux connu que lui de toute la multitude.Il parcourt le matin toutes les chambres ettous les greffes d'un parlement, et le soir les rues ciles carrefours d'une ville î il plaide depuis quaranteans, plus proche de sortir de la vie que de sortir d'affaires.11 n'y a point eu au palais depuis tout ce tempsde causes célèbres ou de procé<strong>du</strong>res longues et embrouilléesoù il n'ait <strong>du</strong> moins intervenu î aussi a-t-ilun nom fait pour remplir la bouche de l'avocat, et quis'accorde avec le demandeur ou le défendeur commele substantif et l'adjectif. Parent de tous et haï detous, il n'y a guère de familles dont il ne se plaigne,et qui ne se plaignent de lui; appliqué successivementà saisir une terre, à s'opposer au sceau, à seservir d'un committimus l } ou h mettre un arrêt à cxé


208 DE L'HOMME.culion ; outre qu'il assiste chaque jour à quelques as*semblées de créanciers ; partout syndic de directions,et perdant à toutes les banqueroutes, il a des heuresde reste pour ses visites ; vieil meuble de ruelle, oùil parle procès et dit des nouvelles, Vous l'avez laissédans une maison au Marais, vous le retrouvez au grandFaubourg, où il vous a prévenu, et où déjà il redit sesnouvelles et son procès. Si vous plaidez vous-même,et que vous alliez le lendemain à la pointe <strong>du</strong> jourchez l'un de vos juges pour le solliciter, le juge attendpour vous donner audience qu'Àntagoras soitexpédié.ï Tels hommes passent une longue vie & se défendredes uns et à nuire aux autres, et ils meurent consumésde vieillesse, après avoir causé autant de mauxqu'ils en ont souffert.T II faut des saisies de. terre et des enlèvements demeubles, des prisons et des supplices, je l'avoue;mais justice, lois et besoins à part, ce m'est une chosetoujours nouvelle de contempler avec quelle férocitéles hommes traitent d'autres hommes.ï L'on voit certains animaux farouches, des mâleset des femelles, répan<strong>du</strong>s par la campagne, noir.*, livideset tout brûlés <strong>du</strong> soleil, attachés à la terre qu'ilsfouillent et qu'ils remuent avec une opiniâtreté invincible;ils ont comme une voix articulée, et, quand ilsse lèvent sur leurs pieds, ils <strong>mont</strong>rent une face humaine: et en effet ils sont des hommes. Ils se retirentla nuit dans des tanières, où ils vivent de pain noir,d'eau et de racines; ils épargnent aux autres hommesla peine de semer, de labourer et de recueillir pourvivre, et méritent ainsi de ne pas manquer de ce painqu'ils ont semé.T Don Fernand dans sa province est oisif, ignorant,médisant, querelleux, fourbe, intempérant, impertinent;mais il lire l'épée contre ses voisins, et pour un" * * V * - ' - * ^ ^


DE L'HOMME.2G0rien il expose sa vie; il a tué des hommes, il sera lue.^ Le noble de province, inutile à sa patrie, à sa familleet à lui-même, souvent sans toit, sans habit etsans aucun mérite, répète dix fois le jour qu'il estgentilhomme, traite les fourrures et les mortiers ' debourgeoisie, occupé toute sa vie de ses parcheminset de ses titres, qu'il ne changeroit pas contre lesmasses d'un chancelier.ï II se fait généralement dans tous les hommes descombinaisons infinies de la puissance, de la faveur, <strong>du</strong>génie, des richesses, des dignités, de la noblesse, dela force, de l'in<strong>du</strong>strie, de la capacité, delà vertu, <strong>du</strong>vice, de la foiblesse, de la stupidité, de la pauvreté,de l'impuissance, de la roture et de la bassesse. Ceschoses, mêlées ensemble en mille manières différenteset compensées l'une par l'autre en divers sujets,forment aussi les divers états et les différentes conditions.Les hommes d'ailleurs, qui tous savent le fortet le foible les uns des autres, agissent aussi réciproquementcomme ils croient le devoir faire, connoissentceux qui leur sont égaux, sentent la supérioritéque quelques-uns ont sur eux et celle qu'ils ont surquelques autres, ef.yde là naissent entre eux ou lafamiliarité, ou le respect et la déférence, ou la fiertéet le mépris. De celte source vient qu&. dans les endroitspublics et où le monde se rassemble, on setrouve à tous moments entre celui que l'on cherche aaborder ou à saluer et cet autre que l'on feint de nepas connoître et dont l'on veut encore moins se laisserjoindre ; que l'on se fait honneur de l'un, et qu'ona honte de l'autre; qu'il arrive môme que celui dontvous vous faites honneur et que vous voulez retenir,1« Mortier* — Espèce de bonnet rond de velours noir bordé de galon d'or,«que les présidents des parlements portaient dans I f eiercîcc de leurs fonctionset qui est encore aujourd'hui la coiffure des présidents des cours de justice,(DicttdeVAcadémie.)Î3.


m - v m • ^ * Y ^ ^ '270 DE L'HOMME.est celui aussi qui est embarrassé de vous et qui vousquitte; et que le môme est souvent celui qui rougitd'autrui et dont on rougit» qui dédaigne ici et qui làest dédaigné; il est encore assez ordinaire de mépriserqui nous méprise. Quelle misère! et puisqu'il est vraique, dans un si étrange commerce, ce que Ton pensegagner d'un côté on le perd de l'autre, ne reviendroitilpas au môme de renoncer à toute hauteur et à touteOerté, qui convient si peu aux foibles hommes, et decomposer ensemble, de se traiter tous avec une mutuellebonté, qui, avec l'avantage de n'être jamaismortifiés, nous procureroit un aussi grand bien quecelui de ne mortifier personne,î Bien loin de s'effrayer ou de rougir même <strong>du</strong> nomde philosophe, il n'y a personne au monde qui ne dûtavoir une forte teinture de philosophie '. Elle convientà tout le monde : la pratique en est utile à tous lesâges, à tous les sexes et à toutes les conditions; ellenous console <strong>du</strong> bonheur d'autrui, dés indignes préférences,des mauvais succès, <strong>du</strong> déclin de nos forcesou de notre beauté ; elle nous arme contre la pauvreté,la vieillesse, la maladie et la mort, contre lessols et les mauval. railleurs; elle nous fait vivre sansune femme ou nous fait supporter celle avec qui nousvivons.î Les hommes, en un même jour, ouvrent leur âmeli de petites joies et se laissent dominer par de petitschagrins ; rien n'est plus inégal et moins suivi que cequi se passe en si peu de temps dans leur cœur etdans leur esprit. Le remède à ce mal est de n'estimerles choses <strong>du</strong> monde précisément que ce qu'ellesvalent.T II est aussi difficile de trouver un homme vain qui1. L'on ne peut plus entendre que celle qui est dépendante de la religtoachrétienne. [Note de La Bruyère.)•*»--*


ppDE L ? !Î0MH2, 271se croie assez heureux qu'un hcrame modeste qui secroie trop malheureux.Le destin <strong>du</strong> vigneron, <strong>du</strong> soldat et <strong>du</strong> tailleur depierre m'empêche de m'estimer malheureux par lafortune des princes ou des ministres, qui me manque.Il n'y a pour l'homme qu'un vrai malheur, quiest de se trouver en faute et d'avoir quelque chose àse reprocher.î La plupart des hommes, pour arriver à leurs fins,sont plus capables d'un grand effort que d'une longuepersévérance; leur paresse ou leur inconstance leurfait perdre le fruit des meilleurs commencements; ilsse laissent souvent devancer par d'autres qui sontpartis après eux, et qui marchent lentement, maisconstamment.T J'ose presque assurer que les hommes savent encoremieux prendre des mesures que les suivre, résoudrece qu'il faut faire et ce qu'il faut dire que defaire ou de dire ce qu'il faut. On se propose fermement,dans une affaire qu'on négocie, de taire unecertaine chose ; et ensuite, ou par passion, ou par uneintempérance de langue, ou dans la chaleur de l'entretien,,c'est la première qui échappe.1 Les hommes agissent mollement dans les chosesqui sont de leur devoir, pendant qu'ils se font unmérite, ou plutôt une vanité, de s'empresser pourcelles qui leur sont étrangères, et qui ne conviennentni à leur état ni à leur caractère.1 La différence d'un homme qui se revêt d'un caractèreétranger à lui-môme, quand il rentre dans lesien, est celle d'un masque à un,visage.f Télèphe a de l'esprit, mais dix fois moins, decompte fait, qu'il ne présume d'en avoir; il est donc,dans ce qu'il dit, dans ce qu'il fait, dans ce qu'il méditeet ce qu'il projette, dix fois au delà de ce qu'il a


DB L'HOMMR. 273à mourir, et que, dans ce moment où les autres meurent,il commence à vivre ; son âme alors pense, raisonne,infère, conclut, juge, prévoit, fait précisément,tout ce qu'elle ne faisoit point; elle se trouve dégagéed'une masse de chair où elle étoit comme enseveliesans fonction, sans mouvement, sans aucun <strong>du</strong>moins qui fût digne d'elle; je dirois presque qu'ellerougit de son propre corps et des organes bruts etimparfaits auxquels elle s'est vue attachée si longtemps,et dont elle n'a pu faire qu'un sot ou qu'unslupîde; elle va d'égal avec les grandes âmes, aveccelles qui font les bonnes tôles ou les hommes d'esprit.L'âme d'Alain ne se démêle plus d'avec celle <strong>du</strong>grand CONDé, de RICHELIEU, de PASCAL et de LIN-GENDES l .| La fausse délicatesse dans les actions libres, dansles mœurs ou dans la con<strong>du</strong>ite, n'est pas ainsi nomméeparce qu'elle est feinte, mais parce qu'en effetelle s'exerce sur des choses et en des occasions quin'en méritent point. La fausse délicatesse de goût etde complexion n'est telle au contraire que parcequ'elle est feinte ou affectée : c'est Emilie qui crie detoute sa force sur un petit péril qui ne lui fait pas depeur; c'est une autre qui par mignardise pâlit à lavue d'une souris, ou qui veut aimer les violettes ets'évanouir aux tubéreuses.f Qui oseroit se promettre de contenter les hommes?Un prince, quelque bon et quelque puissantqu'il fût, voudroit-il l'entreprendre? Qu'il l'essaye:îm'il se fasse lui-môme une affaire de leurs plaisirs ;1. On connaît au xm* siècle trois personnages de ce nom, tous trois de tatiiême famille tuo poète, Jean de Lingendes.néen 1580,mort en 1616; un prédicateurfort goûté de son temps, Claude de Lingendes,de la compagnie doJésus, né en 1595, mort en 1665; un prélat, Jean de I.ingcndes, évêque deSarlat, puis de Mâcon, prédicateur également distingué, et député <strong>du</strong> cierge*en 1655, né en 1591, mort en J655. C'est probablement à ce dernier que L«Bruyère fait allusion.


274 DE I/HOMMK.qu'il ouvre son palais à ses courtisans ; qu'il les admettejusque dans son domestique; que, dans deslieux dont la vue seule est un spectacle ', il leur fassevoir d'autres spectacles; qu'il leur donne le choix desjeux, des concerts et de tous les rafraîchissements;qu'il y ajoute une chère splendide et une entière! liberté; qu'il entre avec eux en société des mômesamusements; que le grand homme devienne aimable,jIet que le héros soit humain et familier : il n'aura pasassez fait. Les hommes s'ennuient enfin des mômeschoses qui les ont charmés dans leurs commence-1 ments : ils déserteroient la table des dieux, et le nectar,1 avec le temps, leur devient insipide. Ils n'hésitent pasde critiquer des choses qui sont parfaites; il y entre] de la vanité et une mauvaise délicatesse ; leur goût,* • si on les en croit, est encore au delà de toute l'affec-! tation qu'on auroit à les satisfaire et d'une dépense• toute royale que l'on feroit pour y réussir; il s'y môlede la malignité, qui va jusques à vouloir affaiblir dansles autres la joie qu'ils auroient de les rendre contents*. Ces mômes gens, pour l'ordinaire si flatteurset si complaisants, peuvent se démentir : quelquefoison ne les reconrioît plus, et l'on voit l'homme jusquedans le courtisan.| T L'affectation dans le geste, dans le parler et dansles manières, est souvent une suite de l'oisiveté ou de1l'indifférence; et il semble qu'un grand attachementou de sérieuses affaires jettent l'homme dans sori'na-turel.I Les hommes n'ont point de caractère, ou, s'ils enont, c'est celui dé'n'en avoir aucun qui soit suivi, quitîj-tfne se démente point, et où ils soient reconnoissables.Ils souffrent beaucoup à ôlrc toujours les mômes, à; I. Versailles, Marly, Fontainebleau.!•t. Vin, Denoiis rendre contenultM'' 1H» — •


_ ^_Jïft8SB?Sfîj£S3*'~>'K32^r..*iK;" ^n^'^~i jsi,^; V-.T -Vf*. -••"DE l/lfOMMB. 275persévérer dans la règle ou dans le désordre, et, s'ilsse délassent quelquefois d'une vertu par une autrevertu, ils se dégoûtent plus souvent d'un vice par unautre vice l ; ils ont des passions contraires et des faiblesqui se contredisent ; il leur coûte moins de joindreles extrémités que d'avoir une con<strong>du</strong>ite dont unepartie naisse de l'autre; ennemis de la modération,ils outrent toutes choses, les bonnes et les mauvaises,dont ne pomant ensuite supporter l'excès, ils l'adoucissentpar le changement. Adraste éloit si corrompuet si libertin, qu'il lui a été moins difficile de suivrela mode et se faire dévot : il lui eût coûté davantaged'être homme de bien.^ D'où vient que les mômes hommes qui ont unflegme tout prêt pour recevoir indifféremment lesplus grands désastres s'échappent et ont une bile intarissablesur les plus petits inconvénients? Ce n'estpas sagesse en eux qu'une telle con<strong>du</strong>ite, car la vertuest égale et ne se dénient point: c'est donc un vice;et quel autre que la vanité, qui ne se réveille et ne serecherche que dans les événements où il y a de quoifaire parler le monde et beaucoup à gagner pour elle,mais qui se néglige sur tout le reste?^ L'on se repent rarement de parler peu, très-souventde trop parler : maxime usée et triviale, quetout le monde sait, et que tout le monde ne pratiquepas.^ C'est se venger contre soi-même, et donner untrop grand avantage à ses ennemis, que de leur imputerdes choses qui ne sont pas vraies et de mentir pourles décrier.| Si l'homme savoit rougir de soi, quels crimes,1. L'homme est si misérable que l'inconstance avec laquelle il abandonneses desseins est en quelque sorte sa plus grande vertu; parce qu'il témoigne.par là qu'il y a encore en lui quelque reste de grandeur qui le porte àse dégoûter des chose» qui ne méritent pas son amour et son estime. (NI­COLE.)c •


i276 DR l/ilOMMB.non-seulement cachés, mais publics et connus, nei -s'épargneroit-il pas !1 Si certains hommes ne vont pas l dans le bienjusques ou ils pourroient aller, c'est par le vice deleur première instruction.î II y a dans quelques hommes une certaine médiocritéid'esprit qui contribue à les rendre sages.f II faut aux enfants les verges et la férule; il fautaux hommes faits une couronne, un sceptre, un mor- ,ticr, des fourrures, des faisceaux, des timbales, desi.hoquetons. La raison et la justice dénuées de tousleurs ornements ni ne persuadent ni n'intimident.L'homme, qui est esprit, se mène par les yeux et lesaoreilles.y iT limon, ou le misanthrope, peut avoir l'âme aus-1 \ tère et farouche, mais extérieurement il est civil et'!cérémonieux; il ne s'échappe pas, il ne s'apprivoisei '•']• pas avec les hommes; au contraire, il les traite honnêtementet sérieusement; il emploie à leur égar<strong>du</strong>vY>tput ce qui peut éloigner leur familiarité; il ne veut[. pas les mieux connoître ni s'en faire des amis, semblableen ce sens à une femme qui est en visite chezyune autre femme.,-] j La raison tient de la vérité, elle est une ; l'on n'yM


tt&*&52^**^*i^*zi&j:~it . v ç ^ t * ^ c . * • * « ? = t ^ ^ ï J v * & £ • ' « = • 3 ^ . . - c « v ^ * — • " • • - - • ' " • - -v T.„».„.*•.,DE l/llOMME. 27dehors qui plaisent réciproquement, qui sembleicommuns à tous, et qui font croire qu'il n'y A rieailleurs qui ne s'y rapporte. Celui, au contraire, qse jette, dans le peuple ou dans la province y fait bieitôt, s'il a des yeux, d'étranges découvertes, y voit dechoses qui lui sont nouvelles, dont il ne se doutoipas, dont il ne pouvoit avoir le moindre soupçon ; iavance, par des expériences continuelles, dans la connoissance de l'humanité; il calcule presque en combien de manières différentes l'homme peut être insupportable.^ Après avoir mûrement approfondi les hommes econnu le faux de leurs pensées, de leurs sentimentsde leurs goûts et de leurs affections, l'on est ré<strong>du</strong>it 'dire qu'il y a moins à perdre pour eux par l'inconstance que par l'opiniâtreté.î Combien ! d'âmes foibles, molles et indifférentes,sans de grands défauts 2 , et qui puissent fournir à hsatire ! Combien 3 de sortes de ridicules répan<strong>du</strong>sparmi les hommes, mais qui, par leur singularité, netirent point à conséquence et ne sont d'aucune ressourcepour l'instruction et pour la morale ! Ce sontdes vices uniques qui ne sont pas contagieux, etqui sont moins de l'humanité que de la personne.1. Y AU. Combien y a-t-il,2. VAH. San* de grandes vertus, et aussi sans de grands défauts,3. VAR. ])C même combien»24Kjf ** .'f^*--*."-,. *".'jr-i .•rry*i J i* ,, '"" ,ff ''*-*.!••_tliu-^'•+**&•-* l»V*f.*' ï-*l*-*


DES JUGEMENTS.t* - (*• * . * }\IMY 1ï'tMj f"M -Hfii :\h -,Bien ne ressemble plus à la vive persuasion que lemauvais entêtement : de là les partis, les cabales, leshérésies.^ L'on ne pense pas toujours constamment d'un' môme sujet : l'entêtement et le dégoût se suivent deprès.î Les grandes choses étonnent, et les petites rchutent: nous nous apprivoisons avec les unes et lesautres par l'habitude.^ Deux choses toutes contraires nous préviennenty i • ;; , également, l'habitude et la nouveauté.1j ;'.i '.^ Il n'y a rien de plus bas, et qui convienne mieuxau peuple, que de parler en des termes magnifiquesde ceux même dont l'on pensoit très-modestementavant leur élévation.1 La faveur des princes n'exclut pas le mérite, et nele suppose pas aussi,j 11 est étonnant qu'avec tout l'orgueil dont nous rp.,sommes gonflés et la haute opinion que nous avons de |nous-mêmes et de la bonté de notre jugement, nousnégligions de nous en souvenir pour prononcer, sur lemérite des autres. La vogue, la faveur populaire,bc i auté, les bonnes actions, les beaux ouvrages, onjr i*• fitHJ*î \l'yH3«, - *» •*•• ^ ~ * ., „,«, __ ,. _^ L %£ ^


•*!^^^^I5aW-'1iDES Jl'GEMKNTS. 270*un effet plus naturel et plus sûr que l'envie, la jalousieet l'antipathie. Ce n'est pas d'un saint dont un dévot 1sait*dire <strong>du</strong> bien, mais d'un autre dévot. Si une bellefemme approuve la beauté d'une autre femme, onpeut conclure qu'elle a mieux que ce qu'elle approuve;si un poôte loue les vers d'un autre poôte ril y a à parier qu'ils sont mauvais et sans conséquence.T Les hommes ne se goûtent qu'à peine les uns lesautres, n'ont qu'une foible pente h s'approuver réciproquement: action, con<strong>du</strong>ite, pensée, expression,rien ne platt, rien ne contente. Ils substituent à laplace de ce qu'on leur récite, de ce qu'on leur dit oude ce qu'on leur lit, ce qu'ils auroient fait eux-mêmesen pareille conjoncture, ce qu'ils penseroient ou cequ'ils écriroient sur un tel sujet ; et ils sont si pleinsde leurs idées, qu'il n'y a plus de place pour cellesd'autrui*.T Le commun des hommes est si enclin au dérèglementet à la bagatelle, et le monde est si pleind'exemples ou pernicieux ou ridicules, que je croiroisassez que l'esprit de singularité, s'il pouvoitavoir ses bornes et ne pas aller trop loin, approcheroitfort de la droite raison et d'une con<strong>du</strong>iterégulière.Il faut faire comme les autres : maxime suspecte,qui signifie presque toujours : il faut mal faire, dès1. Faux dévot. (Note de La Bruyère*)2, C'est un malheur que les hommes ne puissent d'ordinaire posséder aircun'talentsans avoir quelque envie d'abaisser lés autres. S'ils ont la finesse,ils décrient la force ; s'ils sont géomètres ou physiciens, ils écrivent contrela poésie et PeIoquer.ee ; et les gens <strong>du</strong> monde, qui ne pensent pas que ceuxqui ont excellé dans quelque genre jugent mal d'un autre talent, se laissentprévenir par leurs décisions. Ainsi, quand la métaphysique ou l'algèbre est àla mode, ce sont des métaphysiciens ou des algébristes. qui font ta réputationdes poètes et des musiciens; ou tout au contraire; l'esprit


280 OKS JUGEMENTS.qu'on l'étend au delà de ces choses purement extérieuresqui n'ont point de suite, qui dépendent del'usage, de la mode ou des bienséances.1 Si les hommes sont hommes plutôt qu'ours oupanthères, s'ils sont équitables, s'ils se font justice aeux-mêmes, et qu'ils la rendent aux autres, que deviennentles lois, leur texte et le prodigieux accablementde leurs commentaires? que devient lepêtitoircet le possessoirc, et tout ce qu'on appelle jurisprudence?où. se ré<strong>du</strong>isent môme ceux qui doivent toutleur relief et toute leur enflure à l'autorité où ils sontétablis de faire valoir ces mômes lois? Si ces mômeshommes ont de la droiture et de la sincérité, s'ilsson^ guéris de la prévention, où sont évanouies lesdisputes de l'école, la scolastique et les controverses?S'ils sont tempérants, chastes et. modérés, que leur• sert le mystérieux jargon de la médecine, et qui estune mine d'or pour ceux qui s'avisent de le parler ?Légistes, docteurs, médecins, quelle chute pour voussi nous pouvions tous nous donner le mot de devenirsageslDe combien de grands hommes, dans les différentsexercices de la paix et de la guerre, auroit-on dû sepasser ! A quel point de perfection et de raffinementn'a-t-on pas porté de certains arts et de certainessciences qui ne doivent point ôtre nécessaires, et quisont dans le monde comme des remèdes à tous lesmaux dont notre malice est l'unique source lQue de choses depuis VARRON, que VARRON a ignorées!Ne iiDUS suffiroit-il pas môme de n'être savantque comnee PLATON ou comme SOCRATE?T Tel, k un sermon, à une musique, ou dans unegalerie de peintures, a enten<strong>du</strong> à sa droite et à sagauche, sur une chose précisément la môme, des sentimentsprécisément opposés. Cela me feroit direvolontiers que l'on peut hasarder, dans tout genref ^_ ^t _ j _ ,-. V-^ ^ Ipl IJ' >--^**


^^jSfS^L T&fZZl&ipte rr-**;^s1DES JUGEMENTS,d'ouvrages, d'y mettre le bon et le mauvais : le bonplaît aux uns et le mauvais aux autres. L'on ne risqueguère davantage d'y mettre le pire : il a ses partisans,ï Le phénix de la poésie chantante renaît de sescendres; il a vu mourir et revivre sa réputation en unmême jour. Ce juge môme si infaillible et si fermedans ses jugements, le public, a varié sur son sujet ;ou il se trompe, ou il s'est trompé. Celui qui prononcèrentv îaujourd'hui que Q*** 1 , en un certain genre, estmauvais poêle, parlerait presque aussi mal que s'ileût dit, il y a quelque temps : // est bon poète,ï C. P. éloit riche, et C. N. a ne l'était pas : la Pucelleet Jîodogune méritoient chacune une autre aven­t.•V-H•I ture. Ainsi l'on a toujours demandé pourquoi, danstelle ou telle profession, celui-ci avoit fait sa fortune,et cet autre l'avoit manquée; et en cela les hommescherchent la raison de leurs propres caprices, qui,dans les conjonctures pressantes de leurs affaires, deleurs plaisirs, de leur santé et de leur vie, leur fontsouvent laisser les meilleurs et prendre les pires.?! \ La condition des comédiens étoit infâme chez.•4â les Romains et honorable chez les Grecs : qu'est-ellechez nous? On pense d'eux comme les Romains, onvit avec eux comme les Grecs.;tf II suffisoit à Bathylle d'être pantomime pour êtrecouru des dames romaines ; à Moé, de danser authéâtre ; à Iîoscie et à Nérine, de représenter dans les,.rf.chœurs, pour s'attirer une foule d'amants. La vanitéet l'audace, suites d'une trop grande puissance,riavoient ôté aux Romains le goût <strong>du</strong> secret et <strong>du</strong> mystère;ils se plaisoient à faire <strong>du</strong> théâtre public celuide leurs amours ; ils n'éloient point jaloux de l'amphithéâtre, et partageoient^ avec la multitude lesMï28t-5S. Quinault.i. Chapelain, Corneille.S 4.


282 DES JUREMENTS.charmes de leurs maîtresses. Leur goût n'alloit qu'àlaisser voir qu'ils aimoient non pas une belle personneou une excellente comédienne, mais une comédienne.J Rien ne découvre mieux dans quelle dispositionsont les hommes à l'égard des sciences et des belleslettres1 , et de quelle utilité ils les croient dans la république,que le prix qu'ils y ont mis et l'idée qu'ilsse forment de ceux qui ont pris le parti de les cultiver.Il n'y a point d'art si mécanique ni de si vile conditionoù les avantages ne soient plus sûrs, plusprompts et plus solides. Le comédien, couché dansson carrosse, jette de la boue au visage de CORNEILLE,qui est à pied. Chez plusieurs, savant et pédant sontsynonymes.Souvent, où le riche parle, et parle de doctrine,c'est aux doctes à se taire, à écouter, à applaudir,s'ils veulent <strong>du</strong> moins ne passer que pour doctes.j II y a une sorte de hardiesse à soutenir devantcertains esprits la honte de l'érudition : l'on trouvechez eux une prévention tout établie contre les savants,à qui ils ôtent les manières <strong>du</strong> monde, le savoirvivre,l'esprit de société, et qu'ils renvoient ainsi dépouillésà leur cabinet et à leurs livres. Commel'ignorance est un état paisible, et qui ne coûte aucunepeine, l'on s'y range en foule, et elle forme à lacour et à la ville un nombreux parti qui l'emporte surcelui des savants. S'ils allèguent en leur faveur lesnoms (I'ESTRéES, de HAIILAY, BOSSUET, SéGUIER, MON-TAUSIER, WARDES, CHEVREUSE, NOYION , LAMOIGNON ,SCUDéRY', PELLISSON, et de tant d'autres personnageségalement doctes et polis ; s'ils osent même citer les*&~*f. Vin. Quel goût ont les hommes pour les sciences et pour tes belhshures.S* Mademoiselle Scjdéry. (S'oie de La llruyère,)


•» •* ^DES JUGEMENTS. 233grands noms de CHARTRES, de CONDé, de CONTI, deBOURBON, <strong>du</strong> MAINE, de VENDôME, comme de princesqui ont su joindre aux plus belles et aux plus hautesconnoissances et l'atticisme des Grecs et l'urbanitédes Romains, l'on ne feint point de leur dire que cesont des exemples singuliers; et, s'ils ont recoursà desolides raisons, elles sont foiblcs contre la voix de la. multitude. Il semble néanmoins qu ' in dcvroit décidersur cela avec plus de précauuuii et se donnerseulement la peine de douter si ce même espritqui fait faire de si grands progrès dans les sciences \qui fait bien penser, bien juger, bien parler etbien écrire, ne pourroit point encore servir à ôtrepoli.Il faut très-peu de fonds pour la politesse dansles manières: il en faut beaucoup pour celle del'esprit.1 II est savant, dit un politique, il est donc incapabled'affaires ; je ne lui conflerois l'état de ma garderobe;et il a raison. OSSAT, XIMENèS, RICHELIEU,étoient savants ; étoient-ils habiles? ont-ils passé pourde bons ministres? Il sait le grec, continue l'hommed'État, c'est un grimaud, c'est un philosophe. El, eneffet, une fruitière à Athènes, selon les apparences,parloit grec, et, par celte raison, étoit philosophe.Les DIGKON, les LA MOIGNON, étoient de purs grimauds :qui en peut douter? ils savoient le grec. Quelle vision,quel délire, au grand, au sage, au judicieux ANTONIN,de dire qu'alors les peuples seraient heureux, si l'empereurphi losopkoit, ou si te philosophe^ ou le grimaud,venoit à l'empire !Les langues sont la clef ou l'entrée des sciences, clrien davantage ; le mépris des, unes tombe sur les autres.Il ne s'agit point si les langues sont anciennes oui 1I'l1-'iMi \1» YA» # Dans des sciences rûteonnabtesêi


é284 DES JUGEMENTS.nouvelles, mortes ou vivantes; mais si elles sontgros-» bières ou polies, si les livres qu'elles ont formés sontd'un bon ou d'un mauvais goût. Supposons que notrelangue pût un jour avoir le sort de la grecque et dela latine : seroit-on pédant, quelques siècles aprèsîAqu'on ne la parlero.it plus, pour lire MOLIèRE ou LA1FONTAINE\ Je nomme Euripile, et vous dites : C'est un beli.esprit. Vous dites aussi de celui qui travaille une poutre: Il est charpentier ; et de celui qui refait un mur :Il est maçon. Je vous demande quel est l'atelier oùtravaille cet homme de métier, ce bel esprit, quelle-est son enseigne, à quel habit le reconnoît-on, quels ffsont ses outils : est-ce le coin? sont-ce le marteau oul'enclume? où fend-il, où cogne-t-il son ouvrage? où jffl'exposc-t-il en vente? Un ouvrier se pique d'être ouvrier;Euripile se pique-t-il d'ôtre bel esprit? S'il est. tel, vous me peignez un fat, qui met l'esprit en roture,une âme vile et mécanique, à qui ni ce qui est ii \ibeau ni ce qui est esprit ne sauroient s'appliquer sérieusement;et, s'il est vrai qu'il ne se pique de rien,I•1•'-'£"'ir>-.*'hm"À


p.. K.miDES JUGEMENTS. 285 I•iT Qu'on ne me parle jamais d'encre, de papier, deplume, de style, d'imprimeur, d'imprimerie; qu'onne se hasarde plus de me dire : Vous écrivez si bien,Antisthène* 1 continuez d'écrire. Ne verrons-nous pointde vous un in-folio? Traitez de toutes les vertus- et detous les vices dans un ouvrage suivi, méthodique, quin'ait point de fin; ils devroient ajouter : et nul cours.Je renonce à tout ce qui a été, qui est et qui seralivre. Bérylle tombe en syncope a la vue d'un chat, etmoi à la vue d'un livre. Suis-je mieux nourri et pluslourdement vêtu, suis-je dans ma chambre à l'abri <strong>du</strong>nord, ai-je un lit de plume, après vingt ans entiersqu'on me débite dans la place? J'ai un grand nom,dites-vous, et beaucoup de gloire; dites que j'ai beaucoupde vent qui ne sert à rien. Ai-je un grain de cemétal qui procure toutes choses? Le vil praticien grossitson mémoire, se fait rembourser des frais qu'iln'avance pas, et il a pour gendre un comte ou un magistrat.Un homme rouge ou feuille-morte* devientcommis, et bientôt plus riche que son maître; il lelaisse dans la roture, et, avec de l'argent, il devientnoble. B*** s s'enrichit à <strong>mont</strong>rer dans un cercle desmarionnettes; BB*** 4 à vendre en bouteilles l'eaude la rivière. Un autre charlatan 5 arrive ici de delà les<strong>mont</strong>s avec une malle; il n'est pas déchargé, que lespensions courent; et il est près de retourner d'où il• arrive avec des mulets et des fourgons. Mercure eslMercure, et rien davantage, et l'or ne peut payer sesmédiations et ses intrigues; on y ajoute la faveur et't'~~i.jjjM.|*j. L • :^1. Vin. Démocrite, '•2. r.'cst-à'dirc un laquâtJ portant une IWréc de ces couleurs.3. Benoît, qui <strong>mont</strong>rait des figures de cite.4. Batbercau, qui avait fait fortune en vendant de l'eau de la rivière deSeine pour des caut minérale!.5. L'Italien Carctli, qui vint débiter en Prance un élinlr qui obtint un mertcîllcuxsuccès. Sept gouttes de cet élixir suffisaient, suivant lui, à guérir tousles imui,mais pour plus do sûreté H s'en faisait payer'avant la guérisot». il «siparlé de cet empirique dans les lettres de madame do Scvigué.•t'iFI


286 DES JUGEMENTS.les distinctions. Et, sans parler que des gains licites,on paye au tuilier sa tuile, et à l'ouvrier son temps etson ouvrage Payc*t-on à un auteur ce qu'il pense etce qu'il écrit? et, s'il pense très-bien, le paye-l-on largement?Se meuble-t-il, s'anoblit-il à force de penseret d'écrire juste? Il faut que les hommes soient habillés,qu'ils soient rasés; il faut que, retirés dansleurs maisons, ils aient une porte qui ferme bien; estilnécessaire qu'ils soient instruits? Folie, simplicité,imbécillité, continue Antisthène, de mettre l'enseigned'auteur ou de philosophe! avoir, s'il se peut, unoffice lucratifs qui rende la vie aimable, qui fasseprêter à ses amis, et donner à ceux qui ne peuventrendre; écrire alors par jeu, par oisiveté, et commeTityre siffle ou joue de la flûte ; cela ou rien : j'écrisà ces conditions, et je cède ainsi à la violence de ceuxV:qui me prennent à la gorge, et me disent : Vous'âécrirez. Ils liront pour titre de mon nouveau livre :ï''' :DU BEAU, DU BON, DU VRAI, DES IDéES, DU PREMIERPRINCIPE, par Antisthène, vendeur de marée.î Si les ambassadeurs des princes étrangers éloientdes singes instruits à marcher sur leurs pieds de derrièreet à se faire entendre par interprèle, nous nepourrions pas marquer un plus grand étonnementquccelui que nous donnent la justesse de leurs réponses- •;&et le bon sens qui parott quelquefois dans leurs discours.La prévention <strong>du</strong> pays, jointe a l'orgueil de laVnation, nous fait oublier que la raison est de tous lesf îAï'i -'*r ••=•climats, et que l'on pense juste parlout où il y a deshommes. Nous n'aimerions pas à être traités ainsi de p|ceux que nous appelons barbares; et s'il y a en nousquelque barbarie, clic consiste à ôtre épouvantés devoir d'autres peuples raisonner comme nous '.tt*s•-z1, Cet Article a été'inspiré par la présence & Paris des ambassadeur* <strong>du</strong>roi de Siam» en 1630» Voici ce que dit Voltaire à cette occasion : nous citonsVf ï"fë*t /VUS/»4 l


S £*4„**iv. .-..->. «~.'35*w5À iS3- 4 SDES JUGEMENTS. 2S? M"Tous les étrangers ne sont pas barbares, et tous noscompatriotes ne sont pas civilisés; de môme, toutecampagne n'est pas agreste ' et toute ville n'est paspolie. Il y a dans l'Europe un endroit d'une provincemaritime d'un grand royaume où le villageois est douxcl insinuant, le bourgeois au contraire et le magistratgrossiers, et dont la rusticité est héréditaire 2 .ï Avec un langage si pur, une si grande recherchedans nos habits, des mœurs si cultivées, de si belleslois et un visage blanc, nous sommes barbares pourquelques peuples.ï Si nous entendions dire des Orientaux qu'ils boivenlordinairement d'une liqueur qui leur <strong>mont</strong>e à latête, leur fait perdre la raison et les fait vomir, nousdirions : Cela est bien barbare.] Ce prélat se <strong>mont</strong>re peu à la cour; il n'est de nulcommerce; on ne le voit point avec des femmes; il nejoue ni à grande, ni à petite prime 3 ; il n'assiste niaux fôles ni aux speclacles ; il n'est point homme decabale, et il n'a point l'esprit d'intrigue : toujours dansson évôché, où il fait une résidence continuelle, il neunSE! *»*.3. \* ••i • 4'•siàtextuellement, mais en abrégeant. « Les Français venaient d'établir des comptoirssur les c&tcs <strong>du</strong> Coromaudcl et avaient porté dans ces entremîtes de l*Àsîela réputation de leur roi* Un Grec, fils d'un rabaretierde Céphalonie,nommé Phalk Constance, qui était devenu premier ministre <strong>du</strong> roi de Siam,crut Louis XIV propre à cire flatté par un hommage qui viendrait de si loinsans être atten<strong>du</strong>. Il envoya au nom <strong>du</strong> roî de Sîam, son maître* une solennelleambassade avec de grands présents à Louis XIV pour lui faire entendreque ce roi indien^ charmé de sa gloire, ne voulait faire de traité de commercequ'avec ta France, etqu*il n'était même pas éloigné de se faire chrétien. Lagrandeur <strong>du</strong> roi flattée, et sa religion trompée, l'engagèrent à envoyer auroi de Siam deux ambassadeurs et six jésuites, et depuis on y joignit desofficiers avec huit cents soldats \ mais l'éclat de celte ambassade siamoise futle seul fruit qu'on en relira. (Siècle de Louis XIV p chap. XIV.)li Ce terme l'entend ici métaphoriquement. (Note de La Brmjhre*)2. YARI Dans les trois premières éditions, le mot te bourgeois ne setrouve pas; t'ârllcle se termine ainsi : le magistrat, au contraire, grossier^ti dont la tmticité peut passer en proverbe* (A* DFsnuuuft.)3. Le jeu de prime était un jeu de cartes qui eut une grande vogue aidix*scptième siècle. C'est probablement en'souvenir d** cette vogue que lamot de prfme a été appliqué à certaines opérations de bourse.


\W'V. ." . * v* - \i288 DES JUGEMENTS. jsonge qu'à instruire son peuple par la parole et a |l'édifier par son exemple ; il consume son bien en des |aumônes, et son corps par la pénitence; il n'a quel'esprit de régularité, et il est imitateur <strong>du</strong> zèle et dela piété des apôtres. Les temps sont changés,. et il |est menacé sous ce règne d'un titre plus éminent '.^ Ne pourroit-on point faire comprendre aux personnesd'un certain caractère et d'une profession sérieuse,pour ne rien dire de plus, qu'ils ne sont pointobligés à faire dire d'eux qu'ils jouent, qu'ils chantentet qu'ils badinent comme les autres hommes; etqu'à les voir si plaisants et si agréables, on ne croiroitpoint qu'ils fussent d'ailleurs si ïéguliers et si sévères?Oseroit-on même leur insinuer qu'ils s'éloignent [fpar de telles manières de la politesse dont ils sepiquent; qu'elle assortit au contraire et conforme lesdehors aux conditions, qu'elle évite le contraste, etde <strong>mont</strong>rer le même homme sous des figures différentes,et qui font de lui un composé bizarre ou ungrotesque?f II ne faut pas juger des hommes comme d'un tableauou d'une figure,sur une seule et première vue :il y a un intérieur et un cœur qu'il faut approfondir»Le voile de la modestie couvre le mérite, et le masquede l'hypocrisie cache la malignité. Il n'y a qu'untrès-petit nombre de connoisseurs qui discerne, .et quisoit en droit de prononcer. Ce n'est que peu à peu, etforcés nie me par le temps et les occasions, que lavertu parfaite et le vice consommé viennent enfin à stdéclarer '. " '«3l 48Mt i1 ir •V*t. Ceci a été appliqué a M. de Noailles, archevêque de Paris,î. La plupart des hommes ont, comme les plantes, des propriétés que 1*lusird fait découvrir» (LA HOCUEFOICAVLO.)4ti-* *Ji f-(+., K^ ^ __


Ï^.TSSt^'^.W-tDES JUGEMENTS. 289+ lFRAGMENT.


iir\*Ht iMii *'•••- i:': -M.Ji 1> , *990 DES JUGEMENTS.« laissant à Elvire les jolis discours et les belles-lettres« qu'elle met à tous usages, Artênice n'emploie auprès« de vous que la sincérité, l'ardeur, l'empressement« et la persuasion. Ce qui domine en elle, c'est le« plaisir de la lecture, avec le goût des personnes der« nom et de réputation, moins pour en être connue! ï •« que pour les connoître. On peut la louer d'avance« de toute la sagesse qu'elle aura un jour et de tout« le mérite qu'elle se prépare par les années, puisque« avec une bonne con<strong>du</strong>ite elle a de meilleures inten-« tions, des principes sûrs, utiles à celles qui sontu comme elle exposées aux soins et à la flatterie; et« qu'étant assez particulière sans pourtant être farou-« che, ayant même un peu de penchant pour la rej' « traite, il ne lui sauroit peut-être manquer que lesisF« occasions, ou ce qu'on appelle un grand théâtre,« pour y faire briller toutes ses vertus l , »ï Une belle femme est aimable dans son naturel ;elle ne perd rien à être négligée et sans aulre parureque celle qu'elle tire de sa beauté et de sa jeunesse ;Une grâce naïve éclate sur son visage, anime sesmoindres actions : il y auroit moins de péril à la voiravec tout l'attirail de l'ajustement et de la mode. Demême un homme de bien est respectable par luimême,et indépendamment de tous les dehors dont ilvoudroit s'aider pour rendre sa personne plus graveet sa vertu plus spécieuse. Un air réformé, une modestieouti éc, la singularité de l'habit, une amplecalotte, n'ajoutent rien à la probité, ne relèvent pasle mérite; ils le' fardent, et font peut-être qu'i. estmoins pur et moins ingénu.Une gravité trop étudiée devient comique : ce sontlt Une note de Ctiaulieu, Insérée dans ses couvres, indique, comme l'orîgînaî<strong>du</strong> portrait A m A\ tc'uice, Catherine Turgot^ femmede Gilles d'Alîgre, conseiltertm parlement, mariée en secondes noces k un capitaine aux gardas française*.Halle de CLeWilY* • G'c*l pour elle, dit Cbaulteu, que l*amour m'a dîclé un*J-'*«->-*r^^-...


DES JUGEMENTS. 291'rïïiicomme des extrémités qui se touchent, et dont lemilieu est dignité; cela ne s'appelle pas être grave,mais en jouer le personnage; celui qui songe à le devenirne le sera jamais. Ou la gravité n'est point, ouelle est naturelle, et il est moins difficile d'en descendreque d'y <strong>mont</strong>er.T Un homme de talent et de réputation, s il. estchagrin et austère, il effarouche les jeunes gens, lesfait penser mal de la vertu et la leur rend suspected'une trop grande réforme et d'une pratique trop ennuyeuse;s'il est au contraire d'un bon commerce, illeur est une leçon utile; il leur apprend qu'on peutvivre gaiement et laborieusement, avoir des vuessérieuses sans renoncer aux plaisirs honnêtes ; il leurdevient un exemple qu'on peut suivre.^ La physionomie n'est pas une règle qui nous soitdonnée pour juger des hommes; elle nous peut servirde conjecture.T L'air spirituel est dans les hommes ce que la régularitédes traits est dans les femmes ; c'est le genrede beauté où les plus vains puissent aspirer.T Un homme qui a beaucoup de mérite et d'esprî*-et qui est connu pour tel, n'est pas laid, même avecdes traits qui sont difformes; ou, s'il a de la laideur,elle ne fait pas son impression.T Combien d'art pour rentrer dans la nature I combiende temps, de règles, d'attention et de travail,pour danser avec la même liberté et la môme grâceque l'on sait marcher, pour chanter comme on parle,parler et s'exprimer comme l'on pense; jeter autantde force, de vivacité, de passion et de persuasion dansun discours étudié et que l'on prononce dans le public,qu'on en a quelquefois naturellement et sansInfinité de ter» que j'ai fait*»» M. Destailleur fait remarquer avec raison queça que l'on sait de Catherine Turgot ne 6'accorde guère avec ce qu'en dit LalJnijère*


h£AiLifîFili&.*.292 DES JUGEMENTS*préparation dans les entretiens les plus familiers l| ; ' j Ceux qui, sans nous connoîlre assez, pensent mal• I Vde nous, ne nous font pas de tort : ce n'est pas nous1.1 4 u 'i' s attaquent, c'est le fantôme de leur imagination.• j |'• . • T H y a de petites règles, des devoirs, des bienséances,attachés aux lieux, aux temps, aux personnes,jjt*K\ct.t-i t.r(y*qui ne se devinent point à force d'esprit, et que l'usageapprend sans nulle peine : juger des hommespar les fautes qui leur échappent en ce genre avantqu'ils soient assez instruits, c'est en juger par leursongles ou par la pointe de leurs cheveux; c'est vouloirun jour être détrompé.\ Je ne sais s'il est permis de juger des hommes parune faute qui est unique, et si un besoin extrême, ouune violente passion, ou un premier mouvement,tirent à conséquence.^ Le contraire des bruits qut courent des affaires oudes personnes est souvent la vérité.^ Sans une grande roideuretune continuelle attentionà toutes ses paroles, on est exposé à dire enmoins d'une heure le oui et le non sur une mêmechose ou sur une môme personne, déterminé seulementpar un esprit de société et de commerce, quientraîne naturellement à ne pas contredire celui-ci etcelui-là qui en parlent différemment.î Un homme partial est exposé à de petites mortifications: car, comme il est également impossible queceux qu'il favorise soient toujours heureux ou sageset que ceux contre qui il se déclare soient toujoursen faute ou mrilheureux, il naît de là qu'il lui arrivesouvent de perdre contenance dans le public, ou parle mauvais succès de ses amis, ou par une nouvellegloire qu'acquièrent ceux qu'il n'aime point.5 Un homme sujet à se laisser prévenir, s'il oseremplir une dignité ou séculière ou ecclésiastique,est un aveugle qui veut peindre, un muet qui s'estr "K' 1ti:;li ,i! 1* 4 ** "m v -*


•w»S"t'*£>I3j-3• fIIDES JUGEMENTS. 29chargé d'une harangue, un sourd qui juge d'une symphonie : foibles images, et qui n'expriment qu'imparfaitement la misère de la prévention. Il faut ajoutequ'elle est un mal désespéré, incurable, qui infecttous ceux qui s'approchent <strong>du</strong> malade, qui fait déserter les égaux, les inférieurs, les parents, les amis,jusqu'aux médecins : ils sont bien éloignés de le guérir, s'ils ne peuvent le 'faire convenir de sa maladie,ni des remèdes, qui seroierit d'écouter, de douter, des'informer et de s'éclaircîr. Les flatteurs, les fourbes,les calomniateurs, ceux qui ne délient leur langueque pour le mensonge et l'intérêt, sont les charlatansen qui il se confie, et qui lui font avaler tout ce quileur plaît; ce sont eux aussi qui l'empoisonnent etqui le tuent.j La règle de DESCARTES \ qui ne veut pas qu'ondécide sur les moindres vérités avant qu'elles soientconnues clairement et distinctement, est assez belleet assez juste pour devoir s'étendre au jugement quel'on fait des personnes.f Rien ne nous venge mieux des mauvais jugementsque les hommes font de notre esprit, de nos mœurs etde nos manières, que l'indignité et le mauvais caractèrede ceux qu'ils approuvent.Du môme fonds dont on néglige un homme de mérite,l'on sait encore admirer un sot.T Un sot est celui qui n'a pas môme ce qu'il fautd'esprit pour être fat.1 Un fat est celui que les sots croient un homme demérite.f L'impertinent est un fat outré. Le fat lasse, ennuie,dégoûte, rebute \ l'impertinent rebute, aigrit,irrite, offense; il commence où l'autre finit.t. Cette règle est développée dar.r la icconde partie <strong>du</strong> Discours sur hméthode*15.^;3^** tf^1"


IL-f'; h,?" • Si"ili.ri• v,if-j ft.i'294 DES JUGEMENTS,Le fat est entre l'impertinent et le sot : il est composéde l'un et de l'autre.; ^ Les vices partent d'une dépravation <strong>du</strong> cœur; lesdéfauts, d'un vice de tempérament ; le ridicule, d'undéfaut d'esprit.L'homme ridicule est celui qui, tant qu'il demeuretel, a les apparences <strong>du</strong> sot.Il "i Le sot ne se tire jamais <strong>du</strong> ridicule, c'est son carac- ,tère; l'on y entre quelquefois avec de l'esprit, maisrl'on en sort.Une erreur de fait jette un homme sage dans le ridicule.\ La sottise est dans le sot, la fatuité dans le fat, etl'impertinence dans l'impertinent; ilsemble que le |ridicule réside tantôt dans celui qui en effet est ridi- |jcule, et tantôt dans l'imagination de ceux qui croient£voir le ridicule où il n'est point et ne peut ôtre.T La grossièreté, la rusticité, la brutalité, peuventôtre les vices d'un homme d'esprit.f Le slupide est un sot qui ne parle point, en celaplus supportable que le sot qui parle.f La môme chose souvent est, dans la bouche d'unhomme d'esprit, une naïveté ou un bon mot, et, danscelle d'un sot, une sottise.^ Si le fat pouvoit craindre de mal parler, il sorliroitde son caractère.î L'une des marques de la médiocrité de l'esprit estde toujours, conter \T Le sot est embarrassé de sa personne ; le fat a l'airlibre et assuré ;' l'impertinent passe à l'effronterie; lemérite a de la pudeur.\ Le suffisant est celui en qui la pratique de certainsdétails, que l'on honore <strong>du</strong> nom d'affaires, se trouvejointe à une très-grande médiocrité d'esprit.1. La rcisource de ceux qui n'imaginent pat est de toujours «onlrr* (V*UY*tUAGCtS»^i1vrï. s*'--£>If/• té{"'4:MSt«.-3•%'-mrfr-^^^r *J*— .^""j in- ri* •r- ^ H


jt'iKib,DES JUGEMENTS. 295Un grain d'esprit et une once d'affaires, plus qu'il*n'en entre dans la composition <strong>du</strong> suffisant, fontl'importantPendant qu'on ne fait que rire de l'important, iln'a pas un autre nom ; dès qu'on s'en plaint, c'est"arrogant.1 L'honnête homme tient le milieu entre l'habilehomme et l'homme de bien, quoique dans une distanceinégale de ces deux extrêmes.La distance qu'il y a de l'honnête homme à l'habilehomme s'affoiblit de jour à autre et est sur le point dedisparoître.L'habile homme est celui qui cache ses passions,qui entend ses intérêts, qui y sacrifie beaucoup dechoses, qui a su acquérir <strong>du</strong> bien ou en conserver.L'honnête homme est celui qui ne vole pas sur lesgrands chemins et qui ne tue personne, dont les vicesenfin ne sont pas scandaleux.On connoît assez qu'un homme de bien est honnêtehomme ; mais il est plaisant d'imaginer que tout honnêtehomme n'est pas homme de bien.L'homme de bien est celui qui n'est ni un saintni un dévot 1 , et qui s'est borné h n'avoir que de lavertu.1 Talent, goût, esprit, bon sens, choses différentes,non incompatibles.Entre le bon sens et le bon goût, il y a la différencede la cause à son effet.Entre esprit et talent il y a la proportion <strong>du</strong> tout àsa partie.Àppcllerai-je homme d'esprit celui qui, borné etrenfermé dans quelque art, ou môme dans une certainescience qu'il exerce dans une grande perfection,ne <strong>mont</strong>re hors de là ni jugement, ni mémoire, ni vi«I. Kaui dévot. (KoU de La Bruyère»)


296 DBS JUGEMENTS,vacité, ni mœurs, ni con<strong>du</strong>ite, qui ne m'entend pas,. qui ne pense point, qui s'énonce mal ; un musicien,par exemple, qui, après m'avoir comme enchanté parses accords, semble s'être remis avec son luth dansun même étui, ou n'être plus, sans cet instrument,qu'une machine dé<strong>mont</strong>ée, à qui il manque quelquechose, et dont il n'est pas permis de rien attendre?Que dirai-je encore de l'esprit <strong>du</strong> jeu? pourrait-onme le définir? Ne fatit-il ni prévoyance, ni finesse,nihabileté, pour jouer l'hombre ou les échecs? et, s'ilen faut, pourquoi voit-on des imbéciles qui y excellent,et de très-beaux génies qui n'ont pu même atteindrela médiocrité, à qui une pièce ou une cartedans les mains trouble la vue et fait perdre contenance?Il y a dans le monde quelque chose, s'il se peut, deplus incompréhensible. Un homme* parolt grossier,lourd, stupide; il ne sait pas parler, ni raconter cequ'il vient de voir î s'il se met à écrire, c'est le modèledes bons contes ; il fait parler les animaux, lesarbres, les pierres, tout ce qui ne parle point ; cen'est que légèreté, qu'élégance, que beau naturel etque délicatesse dans ses ouvrages.! Un autre est simple 8 , timide, d'une ennuyeuse conversation; il prend un mot pour un autre, et il nejuge de la bonté de sa pièce que parTargent-qui luien revient ; il ne sait pas la réciter ni lire son écriture.Laissez-le s'élever par la composition : il n'estpas au-dessous, d'AUGUSTE, de POMPéE, de NICOMèDE,d'HÉRACLius; il est roi,, et un grand roi; il est politique,il est philosophe ; il entreprend de faire parlerdes héros, de les faire agir; il peint les Romains : ilsH%. 1. La Fontaine* Il vivoit encore lorsque cet article parut, en 1691. (àDBSTilLLBUn.)î, Pierre Corneille,


OKS JUGEMKNT3. 297sont plus grands et plus Romains dans ses vers quedans leur histoire,Voulez-vous quelque autre prodige? Concevez xmhomme facile, doux, complaisant, trailnblc; et toutd'un coup violent, colère, fougueux, capricieux. Imaginez-vousun homme simple, ingénu, cré<strong>du</strong>le, badin,volage, un enfant en cheveux gris ; mais permettezluide se recueillir, ou plutôt de se livrer à un géniequi agit en lui, j'ose dire, sans qu'il y prenne part, etcomme à son insu : quelle verve l quelle élévation !quelles images ! quelle latinité I Parlez-vous d'unemême personne? me direz-vous. Oui, <strong>du</strong> môme, do»Thêoda$ ', et de lui seul. Il crie, il s'agite, il se roule àterre, il se relève, il tonne, il éclate, et <strong>du</strong> milieu decette tempête il sort une lumière qui brille et qui réjouit: disons-le sans figure, il parle comme un fou etpense comme un homme sage ; il dit ridiculementdes choses vraies, et follement des choses sensées etraisonnables; on est surpris de voir naître et éclorele bon sens <strong>du</strong> sein de la bouffonnerie, parmi les grimaceset les contorsions : qu'ajouterai-je davantage ?il dit et il fait mieux qu'il ne sait ; ce sont en lui commedeux âmes qui ne se connoissent point, qui ne dépendentpoint l'une ' do l'autre, qui ont chacune leur tour,ou leurs fonctions toutes séparées. Il manquerait untrait h cette peinture si surprenante, si j'oubliois dedire qu'il est tout à la fois avide et insatiable de1;•;II. Théodas n'est autre que Jean de Santcul, né à Fans le 12 mai 1630,mort le 5 août 1697. c C'était, dît Saint-Simon, le plus grand pocle latiu quieût paru depuis plusieurs siècles, plein de feu, d'esprit, des caprices les plusplaisants qui le rendaient de la plus excellente compagnie, bon convire surtout...cl qui, avec un esprit aussi peu propre au cloître, était pourtant un excellentreligieux, a La Bruyère l'avait connu particulièrement dans la maison deCondé. Le succès de ses hymnes le transportait de joie, il courait tes églisespour les entendre chanter. La plus complète des éditions de ses œuvres estcelle qui a paru en 1729 sous ce titre : Jo\nmis Baptislx Santolii Vietorinioperum omnium editio terlia f in que reliqua opéra non<strong>du</strong>m conjunctiutédita reperiùntur, 3 vol, in-12; on joint à ce recueil les Hymni sacri fParis, 16!S, in-12.>^S3S&fîi r-Q*rc^ '•"*"- — -.-• » --« *-,-_ t. I „-_,„. ,t„.


2f'6DES JUGEMENTS.louanges, prcl de se jeter aux yeux de ses critiques,et dans le fond assez docile pour profiter de leur censure.Je commence à me persuader moi-môme quej'ai fait le portrait de deux personnages tout différents :il ne seroit pas môme impossible d'en trouver untroisième dans Théodas, car il est bon homme, il estplaisant homme, et il est excellent homme.\ Après l'esprit de discernement, ce qu'il y a aumonde de plus rare, ce sont les diamants et lesperles.ï Tel connu dans le monde par de grands taients,honoré et chéri partout où il se trouve, est petit dansson domestique et aux yeux de ses proches, qu'il n'apu ré<strong>du</strong>ire à l'estimer; tel autre, au contraire, pro- \photo'dans son pays, jouit d'une vogue qu'il a parmiles siens et qui est resserrée dans l'enceinte de samaison, s'applaudit d'un mérite rare et singulier qui |lui est accordé par sa famille, dont il est l'idole, maisqu'il laisse chez soi toutes les fois qu'il sort, et qu'ilF*ne porte nulle part.\ Tout le monde s'élève contre un homme qui entreen réputation ; à peine ceux qu'il croit ses amis |x>lui pardonnent-ils un mérite naissant et une premièrevogue qui semble l'associer à la gloire dont ils sontdéjà en possession. L'on ne se rend qu'à l'extrémité,et après que le prince s'est déclaré par les récompenses; tous alors se rapprochent de lui, et "de cejour-là seulement il prend son rang d'homme demérite.\ Nous affectons souvent de louer avec exagération gdes hommes assez médiocres, et de les élever, s'il sepouvoit, jusqu'à la hauteur de ceux qui excellent 1 , ouparce que nous sommes las d'admirer toujours lesfy•-/:$*


•^iâCtf^i-^^^-^iî^a'ip--^^Tj*=i.,sDES JUGEMENTS. 299mômes personnes, ou parce que leur gloire ainsi partagéeoffense moins notre vue et nous devient plusdouce et plus supportable.TL'on voit des hommes que le vent de la faveurpousse d'abord h pleines voiles; ils perdent en un momentla terre de vue, et font leur route ; tout leur rit,tout leur succède j action, ouvrage, tout est combléd'éloges et de récompenses ; ils ne se <strong>mont</strong>rent quepour être embrassés et félicités. Il y a un rocher immobilequi s'élève sur une côte ; les flots se brisentau pied ; la puissance, les richesses, la violence, laflatterie, l'autorité, la faveur, tous les vents ne l'ébranlentpas : c'est le public, où ces gens échouent.*f II est ordinaire et comme naturel de juger <strong>du</strong>travail d'autrui seulement par rapport à. celui quinous occupe. Ainsi le poôte, rempli de grandes et sublimesidées, estime peu le discours de l'orateur, quine s'exerce souvent que sur de simples faits; et celuiqui écrit l'histoire de son pays ne peut comprendrequ'un esprit raisonnable emploie sa vie à imaginerdes fictionset à trouver une rime; de même le bachelier,plongé dans les quatre premiers siècles, traitetoute autre doctrine de science triste, vaine et inutile,pendant qu'il est peut-être méprisé <strong>du</strong> géomètre.î Tel a assez d'esprit pour exceller dans une certainematière et en faire des leçons, qui en manquepour voir qu'il doit se taire sur quelque autre dont iln'a qu'une foible connoissance ; il sort hardiment deslimites de son génie, mais il s'égare et fait que l'hommeillustre parle comme un sot.j Ilérilhy soit qu'il parle, qu'il harangue ou qu'ilécrive, veut citer ; il fait dire au prince des philosophesque le vin enivre, et à l'orateur romain que l'eaule tempère. S'il se jette dans humorale, ce n'est paslui, c'est le divin Platon qui assure que la vertu estaimable» le vice odieux, ou que l'un et l'autre se tour-


SOODES JUGEMKSTS.nent en habitude, Les choses les plus communes, lesplus triviales, et qu'il est môme capable de penser, il. veut les devoirs aux anciens, aux Latins, aux Grecs;ce n'est ni pour donner plus d'autorité à ce qu'il dit,ni peut-ôlrc pour se faire honneur de ce qu'il sait : ilveut citer.f C'est souvent hasarder un bon mot et vouloir leperdre que de le donner pour sien : il n'est pas relevé,il tombe avec des gens d'esprit, ou qui se croient ,tels, qui ne l'ont pas dit, et qui dévoient le dire, C'estnu contraire le faire valoir que do le rapporter commed'un autre : ce n'est qu'un fait, et qu'on ne se croitpas obligé de savoir; il est dit avec plus d'insinuationet reçu îivec moins" de jalousie ; personne n'en souffre;on rit s'il faut rire, et, s'il fautadmirer, on admire.1 On a dit de SOCRATE qu'il étoit en délire, et quec'étoit un fou tout plein d'esprit; mais ceux desGrecs qui partaient ainsi d'un homme si sage passoientpour fous. Ils disoient : Quels bizarres portraitsnous fait ce philosophe! quelles mœurs étranges etparticulières ne décrit-il point l où a-t-il rôvé, creusé, |rassemblé des idées si extraordinaires? quelles couleurs! quel pinceau l ce sont des chimères. Ils se |IVtrompoient: c'étaient des monstres, c'éloientdes vi- |ces, mais' peints au naturel ; on croyoit les voir ; ils J Ifaisoient peur. Socrate s'éloignoit <strong>du</strong> cynique ; il épar- -, Pgnoit les personnes et blâmoit les mœurs, qui étaient |mauvaises '1 Celui qui est riche par son savoir-foire connoît un |philosophe, s,es préceptes, sa morale et sa con<strong>du</strong>ite, |et, n'imaginant pas dans tous les hommes une autre |fin de toutes leurs actions que celle qu'il s'est proposéelui-môme toute sa vie, dit en son cœur : Je leI. Socrate, ici, n'est pas Socrate; c'est un nom qui en cache un aulret(Lettre de La Bruyère eu réponse à une critique de son ouvrage») Ici Soc raie


s;IIDES JUGEMENTS. 501plains, je le tiens échoué, ce rigide censeur; il s'éganet il est hors de route; ce n'est pas ainsi que l'onprend le vent, et que l'on arrive au délicieux portde la fortune; et, selon ses principes, il raisonnajuslc.Je pardonne, dit Antisthius, à ceux que j'ai louésdans mon ouvrage, s'ils m'oublient : qu'ai-je fait poureux? Ils étoient louables. Je le pardonncrois moins àtous ceux dont j'ai attaqué les vices sans toucher àleurs personnes, s'ils me dévoient un aussi grand bienque celui d'ôlre corrigés ; mais, comme c'est un événementqu'on ne voit point, il suit de là que ni lesuns ni les autres ne sont tenus de me faire <strong>du</strong> bien '.L'on peut, ajoute ce philosophe, envier ou refuserâmes écrits leur récompense; on ne sauroit en diminuerla réputation; et, si on le fait, qui m'empêcherade le mépriser?^11 est bon d'être philosophe, il n'est guère utile depasser pour tel. Il n'est pas permis de traiter quelqu'unde philosophe : ce sera toujours lui dire uneinjure, jusqu'à ce qu'il ait plu aux hommes d'en ordonnerautrement, et, en restituant à un si beau nomson idée propre et convenable, de lui concilier toutel'estime qui lui est <strong>du</strong>e.Vïl y a une philosophie qui nous élève au-dessus del'ambition et de la fortune, qui nous égale, que disje?qui nous place plus haut que les riches, que lesgrands et que les puissants ; qui nous fait négliger lespostes et ceux qui les procurent; qui nous exemptede désirer, de demander, de prier, de solliciter,d'importuner, et nous sauve même l'émotion et l'excès.sive joie d'ôlre exaucés. Il y a une autre philosophiequi nous soumet et nous assujettit à toutes ces chosesl* Ce paragraphe n'ayant paru qu'après le succès <strong>du</strong> livre de La Bruyère,3| prouvé par le débit dos trois premières éditions, il est évident qu'il s^St dési*|f 6 tlé foi-même par le nom d'A&tislhius. (VàLCMXAER,)'M16Y*.s.f2*"I e i&^^^-^^i^BÎ^^^'-i^-î .""^"ss- S^^A-î'^^*-.-^"


\ï• • .- • fts?il302 DES JUGEMENTS. . §en faveur de nos proches ou de nos amis : c'est la %meilleure,• , j C'est abréger et s'épargner mille discussions que j|de penser de certaines gens qu'ils sont incapables de*parler juste, et de condamner ce qu'ils disent, cequ'ils ont dit et ce qu'ils diront,T Nous n'approuvons les autres que par les rapportsque nous sentons qu'ils ont avec nous - mômes,et il semble qu'estimer quelqu'un, c'est l'égaler asoi.tr3^ Les mômes défauts qui dans les autres sont lourds |et insupportables sont chez nous comme dans leurcentre ; ils ne pèsent plus, on ne les sent pas. Telparle d'un autre, et en fait un portrait affreux, qui nevoit pas qu'il se peint lui-môme.Rien ne nous corrigerait plus promptement de nosdéfauts que si nous élions capables de les avouer et deles reconnoître dans les autres : c'est dans celte juste:'distance que, nous paraissant tels qu'ils sont, ils se* ..feraient haïr autant qu'ils le méritent.j te\ La sage con<strong>du</strong>ite roule sur deux pivots, le passélet l'avenir. Celui qui a la mémoire fidèle et une grandeHAt./ prévoyance est hors<strong>du</strong>péril de censurer dans les autres; ce qu'il a peut-ôtre fait lui-môme, ou de condamner grune action dans un pareil cas, et dans toutes les cir- i*constances où elle lui sera un jour inévitable.Èu.| Le guerrier et le politique, non plus que lejoueur habile, ne font pas le hasard, mais ils le pré-?,'parent; ils l'attirent et semblent presque le déterminer;non-seulement ils savent ce que le sot et ler *•£~spoltron ignorent, je YCUX dire se servir <strong>du</strong> hasard3:1quand il arrive; ils savent môme profiler, par leursprécautions et leurs mesures, d'un tel ou d'un tel hasard,^ou de plusieurs tout à la fois : si ce point arrive,ils gagnent ; si c'est cet autre, ils gagnent encore; unjp..VI0.j?«3tf.', i -4•SVAmôme point souvent les fait gagner de plusieurs mai.;G


DES JUvSSMBSTS, 303niôres. Ces hommes sages peuvent être loués de leiubonne fortune comme de leur bonne con<strong>du</strong>ite, et lehasard doit être récompensé en eux comme la vertu.1 Je ne mets au-dessus d'un grand politique quecelui qui néglige de le devenir, et qui se persuade deplus en plus que le monde ne mérite point qu'on s'enoccupe,111 y a dans les meilleurs conseils de quoi déplaire ïils ne viennent d'ailleurs que de notre esprit ; c'estassez pour être rejetés d'abord, par présomption et parhumeur, et suivis seulement par nécessité ou par réflexion,T Quel bonheur surprenant a accompagné ce favoripendant tout, le cours de sa vie ! quelle autre fortunemieux soutenue, sans interruption, sans la moindredisgrâce ! les premiers postes, l'oreille <strong>du</strong> prince,d'immenses trésors, une santé parfaite, et une mortdouce. Mais quel étrange compte à rendre d'une viepassée dans la faveur, des conseils que l'on a donnés,de ceux qu'on a négligé de donner ou de suivre, desbiens que l'on n'a points faits, des maux au contraireque l'on a faits, ou par soi-même ou par les autres ;en un mot, de toute" sa prospérité 11 L'on gagne à mourir d'être loué de ceux qui noussurvivent, souvent sans autre mérite que celui de n'êtreplus ; le même éloge sert alors pour Caton et pourPison,Le bruit court que Pison est mort; c'est une grandeperte : c'étoit un homme de bien, et qui méritoit uneplus longue vie ; il avoit de l'esprit et de l'agrément,de la fermeté et <strong>du</strong> courage; il étoit sûr, généreux,fidèle ; ajoutez : pourvu qu'il soit mort.T La manière dont on se récrie sur quelques-uns *qui se distinguent par la bonne foi, le désintéressementet la probité, n'est pas tant leur éloge que le décrôditement<strong>du</strong> genre humain.*e^ - ^^^^^^^^Z^£^^^^^^--s^^^}


1 ; {'.t.- i !t11t>•^ir 1 «.•••tSr "t..1 1t) *, - V•r30^DF.S JUGEMENTS.1 Tel soulage les misérables, qui néglige sa famille etlaisse son fils dans l'indigence ; un autre élève unnouvel édifice, qui n'a pas encore payé les plombsd'une maison qui est achevée depuis dix années ; untroisième fait des présents et des largesses, et ruineses créanciers. Je demande : la pitié, la libéralité, lamagnificence, sont-cc les vertus d'un homme injuste?ou plutôt si la bizarrerie et la vanité ne sont pas lescauses de l'injustice.^ Une circonstance essentielle à la justice que l'ondoit aux autres, c'est de la faire promptement et sansdifférer : la faire attendre, c'est injustice.Ceux-là font bien, ou font ce qu'ils doivent, quifont ce qu'ils doivent, Celui qui, dans toute sa con<strong>du</strong>ite,laisse longtemps dire de soi qu'il fera bien, faittrès-mal.T L'on dit d'un grand qui tient table deux fois lejour, et qui passe sa vie à faire digestion, qu'il meurtde faim, pour exprimer qu'il n'est pas riche, ou queses affaires sont fort mauvaises : c'est une figure ; onle diroit plus à la lettre de ses créanciers.^ L'honnêteté, les égards et la politesse des personnesavancées en âge, de l'un'et de l'autre sexe, me•donnent bonne opinion de ce qu'on appelle le vieuxtemps 1 .T C'est un excès de confiance dans les parents d'espérertout de la bonne é<strong>du</strong>cation de leurs enfants, etune grande erreur de n'en attendre rien et de la négliger.T Quand il seroit vrai, ce que plusieurs disent, quel'é<strong>du</strong>cation ne donne point à l'homme un autre cœurni une autre complexion, qu'elle ne change rien danst-K'r.ilêr >fi-?»* » - **,l. On a dit la même chose ti&nstous les siècles, ce qui prouve qu'un plusîgrattd usage <strong>du</strong> monde, dans les vîeilfards/est seulement !e fruit des annéeset de l'expérience, et que ce sont eux qui ont acquis, et non pas les autres quioui per<strong>du</strong>. (U IïAR^B,) ' . r -*rt.X58rryi*iir i»mi m»


—x^èn: ^«SS^S^^i^C^^^ *—*'(z*z'%^II'41DES JUGhMEXTS. 305son fond et ne touche qu'aux superficies, je ne laisseraispas de dire qu'elle ne lui est pas inutile,T II n'y a que de l'avantage pour celui qui parlepeu : la présomption est qu'il a de l'esprit, et, s'ilest vrai qu'il n'en manque pas, la présomption estqu'il l'a excellent.j Ne songer qu'à soi et au présent, source d'erreurdans la politique,1 Le plus grand malheur après celui d'être convaincud'un crime, est souvent d'avoir eu h s'en justifier.Tels arrêts nous déchargent et nous renvoientabsous, qui sont infirmés par la voix <strong>du</strong> peuple.^ Un homme est fidèle à de certaines pratiques dereligion, on le voit s'en acquitter avec exactitude :personne ne le loue ni ne le désapprouve, on n'y pensepas. Tel autre y revient après les avoir négligées dixannées entières : on se récrie, on l'exalte; cela estlibre; moi, je le blâme d'un si long oubli de ses devoirs,et je le trouve heureux d'y être rentré.t Le flatteur n'a pas assez bonne opinion de soi nides autres.^ Tels sont oubliés dans la distribution des grâceset font dire d'eux : Pourquoi les oublier? qui, si l'ons'en étoit souvenu, auroient fait dire : Pourquoi s'#isouvenir? D'où vient celte contrariété? Est-ce <strong>du</strong> caractèrede ces personnes, ou de l'incertitude de nosjugements, ou même de tous les deux?«ï L'on dit communément : Après un tel, qui serachancelier? qui sera primat des Gaules? qui serapape? On va plus loin : chacun, selon ses souhaits ouson caprice, fait sa promotion, qui est souvent degens plus vieux et plus ca<strong>du</strong>cs, que celui qui est enplace ; et, comme il n'y a pas de raison qu'une dignitétue celui qui s'en trouve revêtu, qu'elle sert aucontraire à le rajeunir et à donner au corps et à l'espritde nouvelles ressources, ce n'est pas un événe-Î6


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**'^sS£^-îss?*-i5,rA'£. i^Ê=^iL cLiv-rtsœ •*. *-.?,**,...*&•j.1-;Ari'ilDES JUGEMENTS. 307peur que, les hommes venant à y découvrir quelquechose de plus ou de moins, je ne sois raillé de maproposition, Ainsi, dans un autre genre, je dirai àpeine avec toute la France i VAUBAN est infaillible, onn'en appelle point : qui me garantirait que dans peude temps on n'insinuera pas que, môme sur le siège,qui est son fort, et où il décide souverainement, ilerre quelquefois, sujet aux fautes comme Antiphile?1 Si vous en croyez les personnes aigries l'une contrel'autre, et que la passion domine, l'homme docteest un sovantasse t le magistrat un bourgeois ou unpraticien, le financier xmmaltôtier, et le gentilhommeun gentillâtre; mais il est étrange que de si mauvaisnoms, que la colère et la haine ont su inventer, deviennentfamiliers, et que le dédain, tout froid et toutpaisible qu'il est, ose s'en servir,ï Vous vous agitez, vous Vous donnez un grand mouvement,surtout lorsque les ennemis commencent àfuir et que la victoire n'est plus douteuse, ou devantune ville après qu'elle a capitulé ; vous aimez, dansun combat ou pendant un siège, à paroîlre en centendroits pour n'être nulle part, à prévenir les ordres<strong>du</strong> général de peur de les suivre, et à chercher lesoccasions plutôt que de les attendre et les recevoir :votre valeur seroit-elle fausse?^ Faites garder aux hommes quelque poste où ilspuissent être tués, et où, néanmoins, ils ne soient pastués : ils aiment l'honneur et la vie.1i A voir comme les hommes aiment la vie, pouvoitonsoupçonner qu'ils aimassent quelque autre choseplus que la vie, et que la gloire, qu'ils préfèrent à lavie, ne fût souvent qu'une certaine opinion d'eux-*mômes établie dans l'esprit de mille gens ou qu'ils neconnoissent point ou qu'ils n'estiment point * ?i. La douceur de la gloire est si grande qu'à quelque chose qu'on l'ait*»cbe, même àla mort, çn J*«taè* (PASCAL)


! '1,' !T *; \- Ii308 DES JUGEMENTS.I'}•II ,^ Ceux qui, ni guerriers ni courtisans, vont à lat '•îguerre et suivent la cour, qui ne font pas un siégo,it; mais qui y assistent, ont bientôt épuisé leur curiositéissur une place do guerre, quelque surprenante qu'elleIM ( 'soit, sur la tranchée, sur l'effet des bombes et <strong>du</strong> cait-\non, sur les coups de main, comme sur l'ordre et le\l\succès d'une attaque qu'ils entrevoient; la résistancencontinue, les pluies surviennent, les fatigues croissent,si >on plonge dans la fange, on a à combattre les saisons{} f'\ et Tenncmi,'on peut être forcé dans ses lignes et en­S^ t rtri'• i. 'f .'• ••. i'Iit .fermé entre une ville et une armée : quelles extrémités! On perd courage, on murmure. Est-ce un sigrand inconvénient que de lever un siégo? Le salut de'l'Élat dépend-il d'une citadelle de plus ou de moins?Ke faut-il pas, ajoutent-ils, flécihir sous les ordres <strong>du</strong>ciel, qui semble se déclarer contre nous, et remettrela partie à un autre temps ? Alors ils ne comprennentplus la fermeté, et, s'ils osoient dire, l'opiniâtreté <strong>du</strong>général, qui se roidit contre les obstacles, qui s'animepar la difficulté de l'entreprise, qui veille la nuit ets'expose le jour pour la con<strong>du</strong>ire à sa fin. A-t-on capitulé,ces hommes si découragés relèvent l'importancede cette conquête, en prédisent les suites, exagèrentla nécessité qu'il y avoit de la faire, le péril etla honte qui suivoient de s'en désister, prouvent quel'armée qui nous couvroit des ennemis éloit invincible; ils reviennent avec la cour, passent par les villeset les bourgades, fiers d'être regardés par la bourgeoisiequi est>aux fenêtres, comme ceux mêmes quiont pris la place ; ils en triomphent par les.chemins,ils se croient braves. Revenus chez eux, ils vousétourdissent de flancs , de redans, de ravelins , defausse-braie, do courtines et de chemin couvert ; ilsrendent compte des endroits où l'envie de voir.les aportés, et où il ne laissait pas d'y avoir <strong>du</strong> péril deshasards qu'ils ont courus, à leur retour, d'être prl*(•hé»i•s.a-*;t•i,.- f .


®^,^2ià!?S5fc'jfcS-i!.*^t^ rJ> -T. *• * f- *• ^ *"• _- t _ —, —.•&•• II• -à: sVas,DES Jt'GRMKNTS. 30$ou tués par l'ennemi; ils taisent seulement qu'ils onteu peur 1 .1 C'est le plus petit inconvénient <strong>du</strong> monde que dedemeurer court dans un sermon ou dans une harangue; il laisse à l'orateur ce qu'il a d'esprit, de bonsens, d'imagination, de mœurs et de doctrine; il nelui ôte rien, mais on ne laisse pas de s'étonner que leshommes, ayant voulu une fois y attacher une espècede honte et de ridicule, s'exposent, par de longs etsouvent d'inutiles discours, h en courir tout le risque.I Ceux qui emploient mal leur temps sont les premiersà se plaindre de sa brièveté. Comme ils le consumentà s'habiller, à manger, à dormir, a do sotsdiscours, h se résoudre sur ce qu'ils doivent faire, etsouvent à ne rien faire, ils en manquent pour leursaffaires ou pour leurs plaisirs; ceux, au contraire,qui en font un meilleur usage en ont de reste.II n'y a point de ministre si occupé qui ne sacheperdre chaque jour deux heures de temps; cela vafoin à la fin d'une longue vie. Et, si le mal est encoreplus grand dans les autres conditions des hommes,quelle perte infinie ne se fait pas dans le monde d'unechose si précieuse, et dont l'on se plaint qu'on n'apoint assez?î II y a des créatures de Dieu, qu'on appelle deshommes, qui ont une âme qui est esprit, dont toutela vie est occupée et toute l'attention est réunie àscier <strong>du</strong> marbre; cela est bien simple, c'est bien peude chose. Il y en a d'autres qui s'en étonnent, maisqui sont entièrement inutiles et qui passent les joursà ne rien faire; c'est encore moins que de scier <strong>du</strong>marbre.1 La plupart des hommes oublient si fort qu'ils on!*l. Allusion à plusieurs particuliers, gens de robe et de finance, qui allé*retit rotr le siège de Namir, en 1692»


3i0DES JUGEMENTS.une âme, et se répandent en tant d'actions et d'exercicesoù il semble qu'elle est inutile, que l'on croitparler avantageusement de quelqu'un en disant qu'ilpense. Cet éloge môme est devenu vulgaire, qui pourtantne met cet homme qu'au-dessus <strong>du</strong> chien ou <strong>du</strong>cheval.î A quoi vous divertissez-vous? a quoi passez-vousle temps? vous demandent les sots et les gens d'esprit.Si je réplique que c'est à ouvrir les yeux et à voir, àprêter l'oreille et à entendre, à avoir la santé, le repos,la liberté, ce n'est rien dire. Les solides biens,les grands biens, les seuls biens, ne sont pas comptés,ne se font pas sentir. Jouez-vous? masquez-vous? ilfaut répondre.Est-ce un bien pour l'homme que la liberté, si ellepeut être trop grande et trop éten<strong>du</strong>e, telle enfinqu'elle ne serve qu'à lui faire désirer quelque chose,qui est d'avoir moins de liberté?La liberté n'est pas oisiveté; c'est un usage libre<strong>du</strong> temps, c'est le choix <strong>du</strong> travail et de l'exercice;être libre, en un mot, n'est pas ne rien faire, c'estôlre seul arbitre de ce qu'on fait ou de ce qu'on nefait point. Quel bien en ce sens que la liberté tT CéSAR n'étoit point trop vieux pour penser à laconquête de l'univers ' ; il n'avoit point d'autre béatitudeà se faire que le cours d'une belle vie et un grandnom après sa mort. Né fier, ambitieux, et se portantbien comme il faisoil, il ne pouvoil mieux employerson temps qu'à conquérir le monde. ALEXANDRE étoitbien jeune pour un dessein si sérieux; il est étonnantque, dans ce premier âge, les femmes ou le vin n'aientplus tôt * rompu son entreprise.{. Voyez les Pensées de M. Pascal, chap, XXXI > où il dit le contraire,(Note de La llruybre.) Voici la pensée de Pascal : « césar étoit trop vieur,ce me semble, pour aller s'amuser à conquérir le monde. Cet amusement étoitbon à Alexandre : c'ctoil un jeune homme qu'il étoit difficile d'arrêter; mailCcsir devoit être plus mûr, i1. V*R. Pittptus tOt,ïtKI, 'tr?JLl.f.f/ *i- ' *ML"-ifP -.-,THi '.ï Sf 7^[s*7 . *"-•"'i ••$• '-VÂ*, / *iïv


S-*---*.— ,..f ">i| DES JUGEMENTS. 3113S.I-FUN JEUNE PRINCE * D'UNE RACE AUGUSTE, L'AMOUR ETL'ESPéRANCE DES PEUPLES, DONNé DU CIEL TOUR PROLONGERLA FéLICITé DE LA TERRE, PLUS GRAND QUE SES AïEUX, FILSD'UN HéROS QUI EST SON MODèLE, A DéJà MONTRé A L'UNI-VERS, PAR SES DIVINES QUALITéS ET PAR UNE VERTU ANTI­CIPéE, QUE LES ENFANTS DES HéROS SONT PLUS PROCHES DEL'êTRE QUE LES AUTRES HOMMES *.^ Si le monde <strong>du</strong>re seulement cent millions d'années,il est encore dans toute sa fraîcheur et ne faitpresque que commencer; nous-mêmes nous touchonsaux premiers hommes et aux patriarches. Et quipourra ne nous pas confondre avec eux dans des sièclessi reculés? Mais, si l'on juge par le passé de l'avenir,quelles choses nouvelles nous sont inconnuesdans les arts, dans les sciences, dans la nature, etj'ose dire dans l'histoire l quelles découvertes ne ferat-onpoint ! quelles différentes révolutions ne doiventpas arriver sur toute la face de la terre, dans les Étatset dans les empires l Quelle ignorance est la nôtre 1et quelle légère expérience que celle de six ou septmille ans t^ Il n'y a point de chemin trop long à qui marchelentement et sans se presser; il n'y a point d'avantagestrop éloignés à qui s'y prépare par la patience.f Ne faire sa cour à personne, ni attendre de quelqu'unqu'il vous fasse la sienne, douce situation, âged'or, état do l'homme le plus naturel!^ Le monde est pour ceux qui suivent les cours ouqui peuplent les villes i la nature n'est que pour ceuxqui habitent la campagne; eux seuls vivent, eux seuls<strong>du</strong> moins connoissent qu'ils vivent.1 Pourquoi me faire froid et vous plaindre de ce1. Lotis, Dauphin, fils de Louis XIV, qui entra en Allemagne en 168$, à Utèle de 80,000 hommes.2. Contre ta maxime latine cl triviale. {Note de La Bruyère.) Filii hûroumIIOXSL\


••''V.V-* • •• ' s\, ;312 DES JUGEMENTS.V:qui m'est échappé sur quelques jeunes gens qui peuplentles cours ? Ëtes-vous vicieux, ô Thrasille? Je ner.le savois pas, et vous me l'apprenez; ce que jo saisest que vous n'ôtes plus jeune.t.i Et vous qui Voulez ôtre offensé personnellement de1ce que j'ai dit de quelques grands, ne criez-vous pointde la blessure d'un autre? Éle.s-vous dédaigneux, malfaisant,mauvais plaisant, flatteur, hypocrite? JeLl'ignorois, et ne pensois pas à vous : j'ai parlé desgrands..f^ L'esprit de modération et une certaine sagesser-,dans la con<strong>du</strong>ite laissent les hommes dans l'obscurité:il leur faut de grandes vertus pour ôtre connus et admirés,ou peut-ôlre de grands vices.\ Les hommes, sur la con<strong>du</strong>ite des grands et des \petits indifféremment, sont prévenus, charmés, enlevéspar la réussite ; il s'en faut peu que le crime heureuxne soit loué comme la vertu môme, et que lebonheur ne tienne lieu de toutes les vertus, C'est unnoir attentat, c'est une sale et odieuse entreprise quecelle que le succès ne sauroit justifier. |\ Les hommes, sé<strong>du</strong>its par de belles apparences etXi,


f-vaDES JUGEMENTS. 3*13bel appareil pour se retirer sans rien dire; quelquesaffreux périls qu'il commence à prévoir dans la suitede son entreprise, il faut qu'il l'entame : le moindremal pour lui est de la manquer \\ Dans un méchant homme il n'y a pas de quoi faireun grand homme. Louez ses vues et ses projets, admirezsa con<strong>du</strong>ite, exagérez son habileté à se servir desmoyens les plus propres et les plus courts pour parvenirà ses fins; si ses fins sont mauvaises, la prudencen'y a aucune part, et, où manque la prudence,trouvez la grandeur si vous le pouvez.\ Un ennemi est mort ', qui étoit à la tète d'unearmée formidable, destinée à passer le Rhin ; il savoitla guerre, et son expérience pouvoit ôtre secondée dela fortune. Quels feux de joie a-t-on vus? quelle fôtepublique? 11 y a des hommes, au contraire, naturellementodieux â , et dont l'aversion devient populaire;ce n'est point précisément par les progrès qu'ils font,ni par la crainte de ceux qu'ils peuvent faire, que lavoix <strong>du</strong> peuple éclate à leur mort, et que tout tressaille,jusqu'aux enfants, dès que l'on murmure dansles places que la terre enfin en est délivrée.^0 temps! ô mœurs 1 s'écrie Heraclite, ô malheureuxsiècle 1 siècle reuipli de mauvais exemples, où1* Cet article et le précédent fout allusion à l'entreprise tentée par Guillaumede Nassau, prince d'Orange, pour sVmpirer <strong>du</strong> trône d'Angleterre, Xéle ilocl» 1650, Guillaume de Nassau épousa Marie Stuarl, fille de Jacques II,a ui;e époque où ce rot n 1 avait point d'enfant mate ; mais un fils étant ne pluiUni au toi Jacques, Guillaume, qui voyait pnr là sa femme exclue <strong>du</strong> trône,résolut de s'emparer de la couronne d'Angleterre, en profitant <strong>du</strong> méconteu*temeut que les sentiments catholiques de Jacques U avaient excité? chçt leâÀugîais* Le b nov. 1G3S, il débarqua à Torbay avec une armée de qualonemille hommes, marcha sur Loudres et obligea Jacques H, son beau-pere,à se réfugier en France, tl mourut le 16 mars 1702, roi ^Angleterre.2. Charles V, <strong>du</strong>e de Lorraine, beau-frère de l'empereur Léopold, uc tVienne, le 3 avril 1613, morlàWclz près dd Liait, le 18 avril 1690.3. Ces moU Rappliquent à Guillaume de Nassau, et la suite a trait au fau*bruit qui se répandit en France que ce prince avait été tue à la bataille de LaUoyuo.GîUo bataille, livrée le il juillet 1690, enleva la couronne à JacquesU*»7x


s314 DES JUGEMENTS.hla vertu souffre, où le crime domine, où il triomphe!Je veux être un Lycaon t un Êgistke; l'occasion nepeut être meilleure, ni les conjonctures plus favora-» blés, si je désire <strong>du</strong> moins de fleuriret de prospérer.Un homme dit 1 : Je passerai la mer, je dépouilleraimon père de son patrimoine, je le chasserai, lui, safemme, son héritier, de ses terres et de ses États; etcomme il l'a dit il l'a fait. Ce qu'il devoit appréhender,c'étoit le ressentiment de plusieurs rois qu'il outrageen ta personne d'un seul roi. Mais ils tiennent pourlui ; ils lui ont presque dit : Passez la mer, dépouillezvotre père », <strong>mont</strong>rez à tout l'univers qu'on peut chasserun roi de son royaume, ainsi qu'un petit seigneurde son château, ou un fermier de sa métairie. Qu'iln'y ait plus de différence entre de simples particulierset nous; nous sommes las de ces distinctions. Apprenezau monde que ces peuples, que Dieu a mis sousnos pieds, peuvent nous abandonner, nous trahir, nous .livrer, se livrer eux-mêmes à un étranger, et qu'ilsont moins à craindre de nous que nous d'eux et deleur puissance. Qui pourroit voir des choses si tristesavec des yeux secs et une âme tranquille? Il n'y apoint de charges qui n'aient leurs privilèges; il n'y aaucun titulaire qui ne parle, qui ne plaide, qui nes'agite pour les défendre; la dignité royale seule n'aplus de privilèges, les rois eux-mêmes y ont renoncé.Un seul, toujours bon 8 et magnanime, ouvre ses brasà une famille malheureuse; tous les autres se liguentcomme pour se venger de lui et de l'appui qu'il donneà une cause qui leur est commune. L'esprit de piqueet de jalousie prévaut chez eux à l'intérêt de l'hon-l-'t.,\'


fete^^r^^,.-,, ,,,£DES JUGEMENTS. 315neur, de la religion et de leur État; est-ce assez? àleur intérêt personnel et domestique; il y va, je nedis pas de leur élection, mais de leur succession, deleurs droits comme héréditaires. Enfin, dans tous,l'homme remporte sur le souverain. Un prince délivraitl'Kuropc *, se délivrent lui-môme d'un fatal ennemi,alloit jouir de la gloire d'avoir détruit un grandempire 2 : il la néglige pour une guerre douteuse 3 .Ceux qui sont nés * arbitres et médiateurs temporisent;et, lorsqu'ils pourroient avoir déjà employéutilement leur médiation, ils la promettent. 0 patres 1continue Heraclite, ô rustres qui habitez sous le chaumeet dans les cabanes ! si les événements ne vontpoint jusqu'à vous, si vous n'avez point le cœur percépar la malice des hommes, si on ne parle plus d'hommesdans vos contrées, mais seulement de renards etde loups cerviers, recevez-moi parmi vous à mangervotre pain noir et à boire l'eau de vos citernes!T Petits hommes hauts de six pieds, tout au plus desept, qui vous enfermez aux foires comme géants, etcomme des pièces rares dont il faut acheter la vuedès que vous allez jusqu'à huit pieds, qui vous donnezsans pudeur de la hautesse et de Véminence, qui esttout ce que l'on pourroit accorder à ces <strong>mont</strong>agnesvoisines <strong>du</strong> ciel et qui voient les nuages se former audessousd'elles; espèce d'animaux glorieux et superbes,qui méprisez toute autre espèce, qui ne faites pasmôme comparaison avec l'éléphant et la baleine, approchez,hommes, répondez un peu à Dêmocrite* Nedites-vous pas en commun proverbe i des loups ravissantSydes lions furieux, malicieux comme un singe ? Etvous autres, qui ôtes-vous? J'entends corner sans cessel. L'empereur.!• La Turquie»9# Une guerre faite à Louis XIV*4. Allusion tu pape Innocent Xt.


f • V - *. i • i -• -t f» h-i .-•...J *•; i


&SsI$'1,t• -S*' si^c*3%IstIJ»,4DES JUGEMENTS. 317ijr leur propre espèce? ou, après l'avoir conclu, neririez-vous pas de tout votre cœur de l'ingénuité deces pauvres botes? Vous avez déjà, en animaux rai*sonnables, et pour vous distinguer de ceux qui ne seservent que de leurs denjts et de leurs ongles, imaginéles lances, les piques, les dards, les sabres et les cimeterres,et à mon gré fort judicieusement : car, avecvos seules mains, que pouviez-vous vous faire les unsaux autres ( ue vous arracher les cheveux, vous égratignerau »isage, ou tout au plus vous arracher lesyeux de la tôle? au lieu que vous voilà munis d'instrumentscommodes qui vous servent à vous faire réciproquementde larges plaies, d'où peut couler votresang jusqu'à la dernière goutte, sans que vous puissiezcraindre d'en échapper. Mais, comme vous devenezd'année à autre plus raisonnables, vous avez bienenchéri sur cette vieille manière de vous exterminer :vous avez de petits globes * qui vous tuent tout d'uncoup, s'ils peuvent seulement vous atteindre à la tétcou à la poitrine; vous en avez d'autres * plus pesantset plus massifs, qui vous coupent en deux parts ouqui vous éventrent, sans compter ceux 8 qui, tombantsur vos toits, enfoncent les planchers, vont <strong>du</strong> grenierà la cave, en enlèvent les voûtes, et font sauteren l'air, avec vos maisons, vos femmes qui sont encouche, l'enfant et la nourrice. Et c'est là encore oùgît la gloire; elle aime le remue-ménage^ et elle estpersonne d'un grand fracas. Vous avez d'ailleurs desarmes défensives, et, dans les bonnes règles, vousdevez en guerre être habillés de fer, ce qui est, sansmentir, une jolie parure, et qui me fait souvenir deces quatre puces célèbres que <strong>mont</strong>roit autrefois uncharlatan, subtil ouvrier, dans une fiole où il avoit1. Les halles de mousquet»t* Les boulets de canon.3. Les bombe s ••~ ^ " *^- - ṉ ~^ i •- . • * r _, ~t •-. _ j * «» - i,î l- r •* >- n^ ^"""j^


t.;- 1 .318 DES JUGEMENTS*trouvé le secret de les faire vivre : il leur avoit mis à, chacune une salade en tète, leur avoit passé un corpsilde cuirasse, mis des brassards, des genouillères, la1*çlance sur la cuisse; rien ne leur manquoit, et en cetéquipage elles alloient par sauts et par bonds dans>ÎJleur bouteille. Feignez un homme de la taille <strong>du</strong>i| <strong>mont</strong> Athos 1 : pourquoi non? une âme seroit-elle| embarrassée d'animer un tel corps? elle en seroit| plus au large ; si cet homme avoit la vue assez subtile!J&l|pour vous découvrir quelque part sur la terre avecvos armes offensives et défensives, que croyez-vous• f ;-tqu'il penseroit de petits marmousets ainsi équipés*751et de ce que vous appelez guerre, cavalerie, infante-| rie, un mémorable siège, une fameuse journée? N'en- |!tendrai-je donc plus bourdonner d'autre chose parmivous? le monde ne se divise-t-il plus qu'en régimentset en compagnies? tout est-il devenu bataillon ou esf|cadron? // a pris une vilte t il en a pris une seconde,% puis une troisième; il a gagné une bataille^ deux batail- ||| les; il chasse l'ennemi, il vainc sur mer, il vainc surterre : est-ce de quelqu'un de vous autres, est-ce d'un> ••-«-•géant, d'un Àthos, que vous parlez? Vous avez surtout.•VIte%.*w,VIL.un homme pâle et livide, qui n'a pas sur soi dix oncesde chair et que l'on croiroit jeter à terre <strong>du</strong> moindre6ouffle \ Il fait néanmoins plus de bruit que quatreautres, et met tout en combustion ; il vient de pêcheren eau trouble une île tout entière 8 ; ailleurs, à larérité, il est battu et poursuivi, mais il se sauve parles marais et ne veut écouter ni paix ni trêve. Il a<strong>mont</strong>ré de bonne heure ce qu'il savoit faire : il amor<strong>du</strong> le sein de sa nourrice *, elle en est morte, laY- t, C'est sans doute ce passage qui aura donné & Yollatre l'idée d«sotingénîcuK conte de Micromcgas. (A. DEïTAU.UUR.)2. Guillaume de Nassau.3. L'Angleterre.4. La Hollande où Guillaume se con<strong>du</strong>isit en maître absolu» lorsqu'il eutpris possession <strong>du</strong> trône d'Angleterre»i'-t?"&P-4,


• *••*..,'•$•I'•%V»DES JUGEMENTS. 319pauvre femme; je m'entends, il suffit. En un mot, ilétoit né sujet, et il ne l'est plus; au contraire, il est lemaître, et ceux qu'il a domptés et mis sous le joug lvont à la charrue et labourent de bon courage ; ilssemblent môme appréhender, les bonnes g«?ns, depouvoir se délier un jour et de devenir libres, car ilsont éten<strong>du</strong> la courroie et allongé le fouet de celui quiles fait marcher; ils n'oublient rien pour accroîtreleur servitude; ils lui font passer l'eau pour se faired'autres vassaux et s'acquérir de nouveaux domaines;il s'agit, il est vrai, de prendre son père et samère par les épaules et de les jeter hors de leur maison,et ils l'aident dans une si honnête entreprise. Lesgens de delà l'eau et ceux d'en deçà se cotisent etmettent chacun <strong>du</strong> leur pour se le rendre à eux tousde jour en jour plus redoutable; les Pietés et lesSaxons imposent silence aux Batave$> et ceux-ci auxPietés et aux Saxons; tous se peuvent vanter d'êtreses humbles esclaves, et autant qu'ils le souhaitent.Mais qu'entends-je de certains personnages qtfi ontdes couronnes, je ne dis pas des comtes ou des marquis,dont la terre fourmille, mais des princes et dessouverains? ils viennent trouver cet homme dès qu'ila sifflé, ils se découvrent dès son antichambre, et ilsne parlent que quand on les interroge 2 . Sonl-ce làces mômes princes si pointilleux, si formalistes surleurs rangs et sur leurs préséances, et qui consument,pour les régler, les mois entiers dans une diète? Quefera ce nouvel archonte pour payer une si aveugle soumissionet pour répondre à une si haute idée qu'on ade lui? S'il se livre une bataille, il doit la gagner, eten personne ; si l'ennemi fait un siège, il doit le lui' I. Les Anglais. 'î. Le prince d'G-tatigc, à son premier retour d'Angleterre, en 1C90, vintà La Haye, où tes princes ligué* se rendirent, et où le <strong>du</strong>c de Bavière futloug*temps à attendre dans l'autichatubre*


t.:I320 IBS JUGEMENTS.faire lever, et avec honte, à moins que tout l'Océan nesoit entre lui et l'ennemi; il nesauroit moins faire enfaveur de ses courtisans. César l lui-môme ne doit-ilpas venir en grossir le nombre? il en attend <strong>du</strong> moinsd'importants services : car ou l'archonte échoueraavec ses alliés, ce qui est plus difficile qu'impossibleà concevoir, ou, s'il réussit et que rien ne lui résiste,le voilà tout porté, avec ses alliés jaloux de la religionet de la puissance de César, pour fondre sur lui, pourlui enlever Vaigle et le ré<strong>du</strong>ire, lui ou son héritier àla fasce d'argent a et aux pays héréditaires. Enfin c'enest fait, ils se sont tous livrés à lui volontairement, àcelui peut-être de qui ils dévoient se défier davantage.Ésope ne leur diroiMl pas: La gent volatile d'unecertaine contrée prend l'alarme et s'effraie <strong>du</strong> voisinage<strong>du</strong> /ton» dont le seul rugissement lui fait peur; elle seréfugie auprès de la bête qui lui fait parler d'accommo*dément et la prend sous sa protection, qui se termine enfinà les croquer tous l'un après l'autre 8 .ti L'empereur.2. Armes de la maison d'Autriche.3. Le jugement sévère porté par notre auteur sur le roi d'Angleterre.Gui[*laurac III est loin d'être impartial. La Bruyère ne voit dans ce prince qu'utirréconciliable ennemi de Louis XIV, et un gendre ambilîeut qui détrône soqbeau-père, un prince opiniâtre qui fait couler le sang dans uue lutte acharnée.L'histoire, plus calme celte fois que le moraliste, s'est <strong>mont</strong>rée moins sévèreet elle a vu dans Guillaume, non plus seulement i'enneml personnel deLouis XIV, mais le prolestant armé pour défendre la liberté de consciencecontre le prince qui avait révoqué l'édit de Nantes, et le chef d'une de cesgrandes coalitions qui n'ont jamais manqué de se former dans l'Europe modernecontre les États qui semblaient aspirer à ta domination universelle.: f-t-**


~ j £r$ r• ^-i,Ve•tDE LA MODE,'1t-y/VF"Vf£^ic1''}Une chose folle et qui découvre bien notre petitesse,c'est l'assujettissement aux modes, quand onl'étend à ce qui concerne le goût, le vivre, là santéet la conscience. La viande noire est hors de mode,et, par cette raison, insipide; ce scroit pécher contrela mode que de guérir de la fièvre par la saignée. Demôme l'on ne mouroit plus depuis longtemps parThéotime: ses tendres exhortations ne sauvoicnt plusque le peuple, et Théotime a vu son successeur.î La curiosité n'est pas un goût pour ce qui est bonou ce qui est beau, mais pour ce qui est rare, unique,pour ce qu'on a et ce que les autres n'ont point. Cen'est pas un attachement à ce qui est parfait, mais àce qui est couru, à ce qui est à la mode, Ce n'est pasun amusement, mais une passion, et souvent si violente,qu'elle ne cède à l'amour et à l'ambition quepar la petitesse de son objet. Ce n'est pas une passionim'on a généralement pour les choses rares et qui ontcours, mais qu'on a seulement pour une certainechose qui est rare, et pourtant à la mode.Le fleuriste a un jardin dans un faubourg} il y courtau lever <strong>du</strong> soleil, et il en revient à son coucher. Vousle voyez planté et qui a pris racine au milieu de sestulipes et devant la Solitaire; il ouvre de grands yeux,il frotte ses mains, il se baisse, il la voit de plus près,A ne l'a jamais vue si belle, il a le cœur épanoui dejoie; il la quille pour l'Orientale; de là, il va a la Veuve;il passe au Drop d'or; de celle-ci a l'Agathe > d'oùil revient eu lin à la Solitaire t où il se fixe, où il se.^i^-^ijy-' i--


*322 DE 1.À MODE.lasse, où il s'assied, où il oublie de AnctK6.}\ -S- **r v «*. 3ï *r: iniF?'


%"Si• :$•A•*èDE LA MODE. 323nance d'un homme qui seul entre les mortels possèdeune telle prune !Un troisième, que vous allez voir, vous parle descurieux, ses confrères, et surtout de Diognète, JeVadmire, dit-il, et je le comprends moins que jamais.Pensez-vous qu'il cherche à s'instruire par les médailles,et qu'il les regarde comme des preuves parlantesde certains faits et des monuments fixes et in<strong>du</strong>bitablesde l'ancienne histoire? rien moins. Vouscroyez peut-être que toute la peine qu'il se donnepour recouvrer une tête vient <strong>du</strong> plaisir qu'il se fait dene voir pas une suite d'empereurs interrompue? c'estencore moins. Diognète sait d'une médaille le fruste,le flou,et la fleur de coin 1 ; il a une tablette dont toutesles places sont garnies, à l'exception d'une seule ;ce vide lui blesse la vue, et c'est précisément et àla lettre pour le remplir qu'il emploie son bien et savie.Vous voulez, ajoute Démocède, voir mes estampes Vet bientôt il les étale et vous les <strong>mont</strong>re. Vous en rencontrezune qui n'est ni noire, ni nette, ni dessinée,et d'ailleurs moins propre b. être gardée dans uncabinet qu'à tapisser un jour de fôte le Petit-Pont oula rue Neuve. Il convient qu'elle est mal gravée, plusmal dessinée \ mais il assure qu'elle est d'un Italienqui a travaillé peu, qu'elle n'a presque pas été tirée,que c'est la seule qui soit en Franco de ce dessin»qu'il l'a achetée très-cher, et qu'il ne la changeraitpas pour ce qu'il a de meilleur. J'ai, continue-t-n,une sensible affliction, et qui m'obligera à renoncerI. Le fruste se dit de ce qu'il y a d'effacé ou de défectueux dans une iv.Odaillc;te flou fit un 1er nie de peinture transporté à la numismatique; \npeinture, il exprime la délicatesse et le moelleux <strong>du</strong> pinceau, eu numisn.itique,la finesse cl la légèreté <strong>du</strong> burin. Dansées deux arts le flou est le contrairede la sécheresse tt de la <strong>du</strong>reté, La (leur de coin se dit do l'éclat dViomédaille dont la conservation est telle qu'on la dirait frappée tout rérem*meut,


£1324 DE LA MOUE.aux estampes pour le reste do mes jours : j'ai toutCallot ', hormis une seule, qui n'est pas, à la vérité,de ses bons ouvrages; au contraire, c'est un desemoindres, mais qui m'acliôveroit Callot ; je travailledepuis vingt ans à recouvrer cette estampe, et je désespèreenfin d'y réussir ; cela est bien rude !Tel autre fait la satire de ces gens qui s'engagentpar inquiétude ou par curiosité dans de longs voyages,qui ne font ni mémoires ni relations, qui ne portentpoint de tablettes, qui vont pour voir, et qui nevoient pas, ou qui oublient ce qu'ils ont vu ; qui désirentseulement de connoître de nouvelles tours oude nouveaux clochers, et de passer des rivières qu'ont'n'appelle ni la Seine ni la Loire; qui sortent de leur1patrie pour y retourner, qui aiment à être absents,T'qui veulent un jour être revenus de loin. Et ce satiriqueparle juste, et se fait écouter.Mais, quand il ajoute que les livres en apprennentplus que les voyages, et qu'il m'a fait comprendre parses discours qu'il à une bibliothèque, je souhaite delavoir; je vais trouver cet homme, qui me reçoit danst.une maison où, dès l'escalier, je tombe en faiblessei- .i*d'une odeur de maroquin noir dont ses livres sont tous'%couverts. Il a beau me crier aux oreilles, pour me ra-, nimer, qu'ils sont dorés sur tranche, ornés de filetsd'or et de la bonne édition, me nommer les meilleursl'un après l'autre, dire que sa galerie- est rem­1r*€tplie, à quelques endroits près, qui sont peints de manièrequ'on les prend pour de vrais livres arrangés••si."Ssur des tablettes, et que l'œil s'y trompe ; ajouter\%&qu'il ne lit jà'mais, qu'il ne met pas le pied dans celteC 9_fr,*Ï£5galerie, qu'il y viendra pour me faire plaisir ; je le remerciede sa complaisance, et ne veux non plus ||i. Jacques Callot, peintre, graveur et dessinateur, né à Nancy eu 1593,mort en I635t Son «ouvre, fort recherchée, contient environ 1,600 pièces.mmi. •:i.v^^•m "i M ' H'u 't m


3»•"S•S%-5.*?•-i-•f•"JPS$%DR U MOPB. 325que lui visiter sa tannerie, qu'il appelle bibliothèque,Quelques-uns par une intempérance de savoir, etpar ne pouvoir se résoudre à renoncer à aucune sortede connoissance, les embrassent toutes et n'en possèdentaucune, Ils aiment mieux savoir beaucoup quede savoir bien, et être foibleset superficiels dans diversessciences que d'être sûrs et profonds dans uneseule ; ils trouvent en toutes rencontres celui qui estleur maître et qui les redresse; ils sont les <strong>du</strong>pes deleur vaine curiosité, et ne peuvent au plus, par delongs et pénibles efforts, que se tirer d'une ignorancecrasse.D'autres ont la clef des sciences, où ils n'entrentjamais : ils passent leur vie à déchiffrer les languesorientales et les langues <strong>du</strong> Nord, celles des deuxIndes, celles des deux pôles, et celle qui se parledans la lune. Les idiomes les plus inutiles, avec lescaractères les plus bizarres et les plus magiques, sontprécisément ce qui réveille leur passion et qui exciteleur travail; ils plaignent ceux qui se borncet ingénumentà savoir leur langue, ou tout au plus la grecqueet la latine. Ces gens lisent toutes les histoires clignorent l'histoire ; ils parcourent tous les livres et neprofitent d'aucun; c'est en eux une stérilité de faits etde principes qui ne peut être plus grande, mais à lavérité la meilleure récolte et la richesse la plus abondantede mots et de paroles qui puisse s'imaginer; ilsplient sous le Aux ; leur mémoire en est accablée,pendant que leur esprit demeure vide,• Un bourgeois 1 aime les bâtiments; il se fait bâtirun hôtel si beau, si riche et si orné, qu'il est inhabitable;le maître, honteux de s'y loger, ne pouvant1* Amejot de Bisscuil. Sa atson, dans la vieille rue <strong>du</strong> Temple, au coinde la rue des Blaucs-Mantcaui était une des curiosités de Paris,18"ïii-^*.,.,


V. 1jV'( ^1.»'32G DE LA MODE, fypeut-être se résoudre à le louer à un prince ou à un [homme d'affaires, se retire au galetas, où il achève sa I-, vie, pendant que l'enfilade et les planchers de rapportsont en proie aux Anglois et aux Allemands qui :Voyagent, et qui viennent là <strong>du</strong> Palais-<strong>Royal</strong>, <strong>du</strong> palaisL... G.,. 1 et <strong>du</strong> Luxembourg. On heurte sans.fin àcette belle porte; tous demandent à voir la maison, etpersonne à voir Monsieur.On en sait d'autres qui ont des filles devant leurs ,yeux, à qui ils ne peuvent pas donner une dot ; que .dis-je? elles ne sont pas vêtues, à peine nourries, quise refusent un tour de lit et <strong>du</strong> linge blanc, qui sontpauvres ; et la source de leur misère n'est pas fortloin : c'est un garde-meubles chargé et embarrassé debustes rares, déjà poudreux et couverts d'or<strong>du</strong>res,dont la vente les mettroit au large, mais qu'ils nepeuvent se résoudre à mettre en vente.Diphile commence par un oiseau et finit par mille;sa maison n'en est pas égayée, mais empestée : lacour, la salle, l'escalier, le vestibule, les chambres, lecabinet, tout est volière*; ce n'est plus un ramage,c'est un vacarme ; les vents d'automne et les eauxdans leurs plus grande crues ne font pas un bruit si per-. çant et si aigu; on ne s'entend non plus parler lesuns les autres que dans ces chambres où il faut attendre',pour faire le compliment d'entrée, que les petitschiens aient aboyé. Ce n'est plus pour Diphije unagréable amusement, c'est une affaire laborieuse et àlaquelle à peine il peut suffire. Il passe les jo'urs, cesjours qui échappent et qui ne reviennent plus, à verser<strong>du</strong> grain et à nettoyer des or<strong>du</strong>res; il donne pensionà un homme qui n'a point d'autre ministère que desiffler des serins au flageolet et de faire couver des cal,Lesdiguîères.. 4. Ceci paraît élre une allusion au poète Santeul, qui aimait beaucoup kl i'5fcorini, et en avait sa maison toute remplie. V •ÏJr -*wë ~


**t£M-lrt^*± n il *i*-drt= mi-tf,n•#t


1 * 'j'. ' ï .328 W, l-A MODE.n'a pas laissé au poltron la liberté de vivre, il l'aiji ' mené se faire tuer par un plus brave que soi et l'a, confon<strong>du</strong> avec un homme de cœur; il a attaché de- 4' Ii l'honneur et de la gloire à une action folle et extravagante;il a été approuvé parla présence des rois; il%y a eu quelquefois uno espèce de religion à le pratiquer;il a décidé de l'innocence des hommes, des accusationsfausses ou véritables sur des crimes capi- ,•}••taux ; il s'étoit enfin si profondément enraciné dans3\\..~ l'opinion des peuples et s'étoit si fort saisi de leurilcœur et de leur esprit, qu'un des plus beaux endroitsde la vie d'un très-grand roi a été de les guérir de1cette folie \ï Tel a élé à la mode, ou pour le commandementi.des armées et la négociation, ou pour l'éloquence dela chaire, ou pour les vers, qui n'y est plus. Y a-t-ii•}}des hommes qui dégénèrent de ce qu'ils furent autrefois?Est-ce leur mérite qui est usé, ou le goût quel'on avoit pour eux?i-,j Un homme à la mode <strong>du</strong>re peu, car les modes *C 'passent; s'il est par hasard homme de mérite, il n'esti,•1pas anéanti, et il subsiste encore-par quelque en-:i . droit : également estimable, il est seulement moinsfhestimé.La vertu a cela d'heureux qu'elle se suffit à elle-t^?7^l3î•ils*•' v"4'i'I*'4'4I;1. Quoique les <strong>du</strong>els fussent défen<strong>du</strong>s depuis Henri IV, cette funeste cou- ||tume, dit Voltaire, subsistait plus que jamais. Le fameux combat de la F relie, »


.5K'ii3IiiDK LA MODE. 329môme et qu'elle sait se passer d'admirateurs, de partisanset de protecteurs ; le manque d'appui et d'approbationnon-seulement ne lui nuit pas, mais il laconserve, l'épure et la rend parfaite; qu'elle soità la mode, qu'elle n'y soit plus, elle demeure vertu.1 Si vous dites aux hommes, et surtout aux grands,qu'un tel a de la vertu, ils'vous disent; Qu'il la garde;qu'il a bien de l'esprit, de celui surtout qui plaît etqui amuse, ils vous répondent : Tant mieux pour lui ;qu'il a l'esprit fort cultivé, qu'il sait beaucoup, ilsvous demandent quelle heure il est ou quel temps ilfait ; mais, si vous leur apprenez qu'il y a un Tigillinqui souffle ou qui jette en sable un verre d'eau-de-vie 1 ,et, chose merveilleuse l qui y revient à plusieurs foisen un repas, alors ils disent :.Où est-il? amenez-le*moi demain, ce soir : me l'amènerez-vous ? On le leuramène, et cet homme, propre à parer les avenuesd'une foire et à être <strong>mont</strong>ré en chambre pour de l'argent,ils l'admettent dans leur familiarité.ï II n'y a rien qui mette plus subitement un hommeà la mode et qui le soulève davantage que le grandjeu ; cela va <strong>du</strong> pair avec la crapule. Je voudrois bienvoir un homme poli, enjoué, spirituel, fût-il un CA­TULLE ou son disciple, faire quelque comparaisonavec celui qui vient de perdre huit cents pistoles enune séance.1 Une personne à la mode ressemble à une fleurbleue ' qui croît de soi-même dans les sillons où elleétouffe les épis, diminue la moisson et tient la placede quelque chose de meilleur ; qui n'a de prix et debeauté que ce qu'elle emprunte d'un caprice légerqui nait et qui tombe presque dans le même instant :t. Souffler ou jeter en sable, signifie avaler d'un Irait.2. Ces barbeaux, qui croissent parmi les blés et les seigles, fure t, un été,à la mode dans Paris. Les dames en mettotent pour bouquet. (La Clef,)?3.* ' *Jœ&^GSyS*B*SZ>rlLl!#i~ i '*&*•*»«««,


i!330 DE LA MOni:., aujourd'hui elle est courue, les femmes s'en parcdemain elle est négligée et ren<strong>du</strong>e au peuple,i Une personne de mérite, au contraire, est une fleurqu'on ne désigne pas par sa couleur, mais que l'onji; nomme par son nom, que l'on cultive par sa beautéou par son odeur, l'une des grâces de la nature, l'unei -:de ces choses qui embellissent le monde, qui est detous les temps et d'une vogue ancienne et populaire ;3.que nos pères ont estimée et que nous estimons aprèsnos pères; à qui le dégoût ou l'antipathie de quelquesunsne sauroit nuire : un lis, une rose.T L'on voit Emtrate assis dans sa nacelle, où iljouit d'un air pur et d'un ciel serein ; il avance d'un| bon vent et qui a toutes les apparences de devoir<strong>du</strong>rer; mais il tombe tout d'un coup, le ciel se couvre,l'orage se déclare, un tourbillon enveloppe lanacelle, elle est submergée ; on voit Eustrate revenirsur l'eau et faire quelques efforts ; on espère qu'ilpourra <strong>du</strong> moins se sauver et venir à bord ; mais unevague.l'enfonce, on le tient per<strong>du</strong>; il parolt une secondéfois, et les espérances se réveillent, lorsqu'unflot survient et l'abîme; on ne le revoit plus, il estnoyé.î VOITURE et SàRRAZIN * étoient nés pour leur siècle^• *T43;"JLl£ri%•"53Set ils ont paru dans un temps où il semble qu'ilsétoient atten<strong>du</strong>s. S'ils s'étoient moins pressés de venir,ils arrivoient trop tard, et j'ose douter qu'ils fussenttels aujourd'hui qu'ils ont été alors. Les conversationslégères, les cercles, la fine plaisanterie, leslettres enjouées et familières, les petites parties oùl'on étoit admis seulement avec de l'esprit, tout a dis*, paru. Et qu'on ne dise point qu'ils les feroient revi-te-I. Sàrrazin (Jean-François), poète et littérateur, né vers 1603, près de §§Caen, mort & Péicnas en 1654. Moins célèbre que Voilure H mérite peu Ut* ire- S. de lui être préféré. Boileau disait : Il y a dans Sàrrazin {a matière d un |fexcellent esprit* mais ta forme n'y est pis*Klhrs?


** M^J?^^^^.*:Ç$ï!a^^--*?^?ï «t=TJ»*^i:*i-rtJ-a i^*'JH*-_ *«, 1.ESDE LA MOIIB. 331vro : ce que je puis faire en faveur de leur esprit estde convenir que peut-être ils excellcroient dans unautre genre ; mais les fer *nes sont, de nos jours, oudévotes, ou coquettes, ou joueuses, ou ambitieuses',quelques-unes môme tout cela à la fois : le goût de lafaveur* le jeu, les galants, les directeurs, ont pris laplace et la défendent contre les gens d'esprit*1 Un homme fat et ridicule porte un long enapeau,un pourpoint à ailerons, des chausses à aiguillettes etdes bottines ; il rêve la veille par où et comment ilpourra se faire remarquer le jour qui suit. Un philosophese laisse habiller par son tailleur. H y a autantde foiblesse à fuir la mode qu'à l'affecter,1 L'on blâme une mode qui, divisant la taille des hommesen deux parties égales, en prend une tout entièrepour le buste et laisse l'autre pour le reste <strong>du</strong> corps ;l'on condamne celle qui fait de la tête des femmes labase d'un édifice à plusieurs étages, dont l'ordre et lastructure changent selon leurs caprices ; qui éloigneles cheveux <strong>du</strong> visage, bien qu'ils ne croissent quepour l'accompagner; qui les relève et les hérisse à lamanière des Bacchantes, et semble avoir pourvu à ce .que les femmes changent leur physionomie douce etmodeste en une autre qui soit Hère et audacieuse. Onse récrie enfin contre une telle ou une telle mode,qui cependant, toute bizarre qu'elle est, pare et embellitpendant qu'elle <strong>du</strong>re, et dont l'on tire toutl'avantage qu'on en peut espérer, qui est de plaire. Ilme paroît qu'on devroit seulement admirer l'inconstanceet la légèreté des hommes, qui attachent successivementles agréments et la bienséance à des choiestout opposées, qui emploient, pour le comique ett.1. VAB. Mais les femmes sont, de nos jours, ou dévotes ou coquettes;Us galants on les directeurs ont pris la place tt la diftndmt conlrt tesbeaux esprits*


\ :V.VV- \;.'4-t1'.-.'.?•] 1'332 DE LA MODE*pour la mascarade ce qui leur a servi de parure graveet d'ornements les plus sérieux, et que si peu de tempseh fasse la différence.1 N... est riche, elle mange bien, elle dort bien;.liais les coiffures changent, et lorsqu'elle y pense lemoins, et qu'elle se croit heureuse, la sienne est horsde mode.^ Iphis voit à l'église un soulier d'une nouvelle mode,il regarde le sien et en rougit ; il ne se croit plus habillé: il étoit venu à la messe pour s'y <strong>mont</strong>rer, et ilse cache ; le voilà retenu par le pied dans sa chambretout le reste <strong>du</strong> jour. Il a la main douce, et il l'entretientavec une pâte de senteur ; il a soin de rire pour<strong>mont</strong>rer ses dents ; il fait la petite bouche, et il n'y aguère de moments où il ne veuille sourire ; il regardeses jambes, il se voit au miroir; l'on ne peut être pluscontent de personne qu'il l'est de lui-même ; il s'estacquis une voix claire et délicate, et heureusement ilparle gras; il a un mouvement de tôle, et je ne saisquel adoucissement dans les yeux, dont il n'oubliepas de s'embellir ; il a une démarche molle et le plusjoli maintien qu'il est capable de se procurer ; il met<strong>du</strong> rouge, mais rarement, il n'en fait pas habitude :il est vrai aussi qu'il porte des chausses et un chapeau,et qu'il n'a ni boucles d'oreilles ni collier deperles ; aussi ne l'ai-je pas mis dans le chapitre desfemmes.j Ces mômes modes que les hommes suivent sivolontiers pour'leurs personnes, ils affectent de lesnégliger dans leurs portraits, comme s'ils sentoientou qu'ils prévissent l'indécence et le ridicule où ellespeuvent tomber dès qu'elles auront per<strong>du</strong> ce qu'onappelle la fleur ou l'agrément de la nouveauté : ilsleur préfèrent une parure arbitraire, une draperie indifférente,fantaisies <strong>du</strong> peintre qui ne sont prises nisur l'air ni sur le visage, qui ne rappellent ni les mœurs•T*T.*-.'. -1+ -nrF^f fS*'ft' ^i*—i •• • i "* '


DR LA MODE. 333ni la personne; ils aiment des attitudes forcées ouimmodestes, une manière <strong>du</strong>re, sauvage, étrangère,qui font un capitan d'un jeune abbé, et un matamored'un homme de robe ; une Diane d'une femme deville, comme d'une femme simple et timide uneama*zone ou une Pallas; une Laïs d'une honnête fille;un Scythe, un Attila, d'un prince qui est bon et magnanime.Une mode a à peine détruit une autre mode, qu'elleest abolie par une plus nouvelle, qui cède elle-mêmeà celle qui la suit, et qui ne sera pas la dernière ; telleest notre légèreté ; pendant ces révolutions, un siècles'est écoulé qui a mis toutes ces parures au rang deschoses passées et qui ne sont plus. La mode alors laplus curieuse et qui fait plus de plaisir à voir, c'est laplus ancienne. Aidée <strong>du</strong> temps et des années, elle ale môme agrément dans les portraits qu'a la saye pul'habit romain sur les théâtres, qu'ont la mante, le voileet la tiare 1 dans nos tapisseries et dans nos peintures.Nos pères nous ont transmis, avec la connoissancede leurs personnes, celle de leurs habits, de leurscoiffures, de leurs armes 2 et des autres ornementsqu'ils ont aimés pendant leur vie. Nous ne saurionsbien reconnoître cette sorte de bienfait qu'en traitantde môme nos descendants.f Le courtisan autrefois avoit ses cheveux, étoit enchausses et en pourpoint, portoit de larges canons, etil était libertin ; cela ne sied plus : il porte une perruque,l'habit serré, le bas uni, et il est dévot ; tout serègle par la mode.ï Celui qui depuis quelque temps étoit à la cour dévot,et par là contre toute raison peu éloigné <strong>du</strong> ridicule,pouvoit-il espérer de devenir à la mode?1. Habit des Orientaux. {Note de La Bruyère.)2. Offensives et défensives. (W.)


vVitï» »y;\ •f .It334 DE LA MODE,1 De quoi n'est point capable un courtisan dans lavue de sa fortune, si, pour ne la pas manquer, il devientdévot ?I ^ Les couleurs sont préparées et la toile est touteprête; mais comment le fixer, cet homme inquiet,léger, inconstant, qui change de mille et mille figures?Je le peins dévot, et je crois l'avoir attrapé;mais il m'échappe, et déjà il est libertin. Qu'il de- .meure <strong>du</strong> moins dans celte mauvaise situation, et jesaurai le prendre dans un point de dérèglement decœur et d'esprit où il sera reconnoissable ; mais lamode presse, il est dévot.1 Celui qui a pénétré la cour connoît ce que c'estque vertu et ce que c'est que dévotion 1 ; il ne peutplus s'y tromper.T Négliger vêpres comme une chose antique et horsde mode ; garder sa place soi-même pour le salut ;savoir les êtres de la chapelle ; connoître le flanc ; sa- •voir où l'on est vu et où l'on n'est pas vu ; rêver dansl'église à Dieu et à ses affaires, y recevoir des visites.ydonner des ordres et des commissions, y attendre lesréponses; avoir un directeur mieux écouté que l'Évangile;tirer toute sa sainteté et tout son relief de la réputationde son directeur; dédaigner ceux dont ledirecteur a moins de vogue, et convenir à peine deleur salut ; n'aimer de la parole de Dieu que ce quis'en prêche chez soi ou par son directeur ; préférer samesse aux autres messes, et les sacrements donnés desa main à ceux qui ont moins de cette circonstance ;ne se repaître que de livres de spiritualité, commes'il n'y avoit ni Évangiles, ni Épîtres des Apôtres, nimorale des Pères ; lire ou parler un jargon inconnuaux premiers siècles; circonstancier à confesse lesdéfauts d'aulrui, y pallier les siens, s'accuser de ses.\t. fausse dètotion. (Note de La Bruyère.)


DE LA MODE. 335souffrances, de sa patience, dire comme un péchéson peu de progrès dans l'héroïsme ; être en liaisonsecrète avec de certaines gens contre certains autres;n'estimer que soi et sa cabale; avoir pour suspecte lavertu même; goûter, savourer la prospérité et la faveur»n'en vouloir que pour soi ; ne point aider aumérite; faire servir la piété à son ambition; aller &son salut par le chemin de la fortune et des dignités • :c'est <strong>du</strong> moins jusqu'à ce jour le plus bel effort de ladévotion <strong>du</strong> temps.Un dévot * est celui qui, sous un roi athée, seroitathée ô ,j Les dévots 4 ne connoisscntde crimes que l'incontinence,parlons plus précisément, que le bruit ou lesdehors de l'incontinence. Si Phêrêcide passe pourêtre guéri des femmes, ou Phêrènice pour être fidèleà son mari, ce leur est assez ; laissez-les jouer un jeuruineux, faire perdre leurs créanciers, se réjouir <strong>du</strong>malheur d'aulrui et en profiter, idolâtrer les grands,mépriser les petits, s'enivrer de leur propre mérite,sécher d'envie, mentir, médire, cabaler, nuire, c'estleur état ; voulez-vous qu'ils empiètent sur celui desgens de bien, qui, avec les vices cachés, fuient encorel'orgueil et l'injustice ?^ Çuand un courtisan sera humble, guéri <strong>du</strong> fasteet de l'ambition ; qu'il n'établira point sa fortune suila ruine de ses concurrents; qu'il sera équitable, sou*lagera ses vassaux, payera ses créanciers; qu'il ne serani fourbe ni médisant; qu'il renoncera aux grandsrepas et aux amours illégitimes ; qu'il priera autret.Ces gens, dis-je, qu'on voit, d'une ardeur non commune,* ' Far le chemin <strong>du</strong> ciel courir à la fortune.(Tartuffe, acte I, se. vi.)2. Faux dévot. {Note de La Bruyère»)Z. Par ce trait ineffaçable, La Bruyère dénonce à* l'avance les représaillesimpies de la Régence. (SUNTE-BEDVE.)4. Faux dévots. [Note de La Bruyère,)


336 DE LA MODE.ment que des lèvres, et môme hors de la présence <strong>du</strong>prince; quand d'ailleurs il ne sera point d'un abordfarouche et difficile ; qu'il n'aura point le visage austèreet la mine triste ; qu'il ne sera point paresseux et contemplatif;qu'il saura rendre, par une scrupuleuseattention , divers emplois très-compatibles ; qu'ilpourra et qu'il voudra môme tourner son esprit et sessoins aux grandes et laborieuses affaires, à celles surtoutd'une suite la plus éten<strong>du</strong>e pour les peuples etpour tout l'État, quand son caractère me fera craindrede le nommer en cet endroit, et que sa modestiel'empochera, si je ne le nomme pas, de s'y reconnûttre;alors je dirai de ce personnage : Il est dévot, ouplutôt c'est un homme donné à son siècle pour le modèled'une vertu sincère et pour le discernement del'hypocrite '•ï Onuphre n'a pour tout lit qu'une housse de sergegrise, mais il couche sur le coton et sur le <strong>du</strong>vet; demôme il est habillé simplement, mais commodément,je veux dire d'une (Jtoffe fort légère en été, et d'uneautre fort moelleuse pendant l'hiver; il porte deschemises très-déliées, qu'il a un très-grand soin debien cacher. Il ne dit point : Ma haire et ma discipline,au contraire; il passeroit pour ce qu'il est, pour unhypocrite, et il veut passer pour ce qu'il n'est pas,pour un homme dévot; il est vrai qu'il fait en sorteque l'on croit, sans qu'il le dise, qu'il porte une haire1. Le <strong>du</strong>c de Beauvilliers. Après cet article ou lisait dans ta IV e et la V e édition:] Un homme dévot entre dans un lieu saint, perce modestement la fouir,choisit un coin pour se recueiltlr, et oit personne unoH qu'il s'humilie;s'il entend des courtisans qui partent, qui rient, if qui sont à ta chapelleavec moins de silence que dans l'antichambre, quelque comparaisonqu'il fosse de ces personnes avec lui-même, il ne les méprise pas t il ne s'en.plaint pis : il prie pour eux»Ce caraclire a été réimprimé dans la 6" édition, après celui à'Onupltre.qu ui paroissoit pour la première fois. L'auteur t'a supprimé dans la 7* édition,uù Ci il a reporté au faux dévot, eu sens inverse, les mêmes circoastauces quiatoîcut servi à caractériser le vrai dévot, (à. DEITAILLEIB.)Vl


nS:t.-'".^5?DE LA MODE. . 337et qu'il se donne la discipline. Il y.a quelques livresrépan<strong>du</strong>s dans sa chambre indifféremment; ouvrezles: c'est le Combat spirituel, h Chrétien intérieur etVAnnée sainte; d'autres livres sont sous la olcf. S'ilmarche par la ville, et qu'il découvre de loin un hommedevant qui il est nécessaire qu'il soit dévot, les yeuxbaissés, la démarche lente et modeste, l'air recueilli,lui sont familiers, il joue son rôle. S'il entre dans uneéglise, il observe d'abord de qui il peut être vu, et,selon la découverte qu'il vient de faire, il se met àgenoux et prie, ou il ne songe ni à se mettre à genouxni à prier. Arrive-t-il vers lui un homme de bien etd'autorité qui le verra et qui peut l'entendre, nonseulementil prie, mais il médite, il pousse des élanset des soupirs; si l'homme de bien se retire, celui-ci,qui le voit partir, s'apaise et ne souffle pas. Il entreune autre fois dans un lieu saint, perce la foule, choisitun endroit pour se recueillir, et où tout le mondevoit qu'il s'humilie; s'il entend des courtisans quiparlent, qui rient, et qui sont à la chapelle avecmoins de silence que dans l'antichambre, il fait plusde bruit qu'eux pour les faire taire; il reprend sa méditationqui est toujours la comparaison qu'il fait deces personnes avec lui-même, et où il trouve soncompte. Il évite une église déserte et solitaire où ilpourroit entendre deux messes de suite, le sermon,vêpres et compiles, tout cela entre Dieu et lui, etsans que personne lui en sût gré; il aime la paroisse,il fréquente les temples où se fait un grand concours:on n'y manque point son coup, on y est vu. Il choisitdeux ou trois jours dans toute l'année, où a proposde rien il jeûne ou fait abstinence; mais à la fin del'hiver il tousse, il a une mauvaise poitrine, il a desvapeurs, il a eu la fièvre; il se fait prier, presser,quereller, pour rompre le carême dès son commencement,et il envient là par complaisance. SiOnuphre39"tV-.-V 5


M•1 ni'1* s /33SDE LA MODE.est nommé arbitre dans une querelle de parents oudans un procès de famille, il est pour les plus forts,je veux dire pour les plus riches, et il ne se persuadepoint quA celui ou celle qui a beaucoup de bien puisseavoir tort. S'il se trouve bien d'un homme opulent àqui il a su imposer, dont il est Lj parasite, et dont ilpeut tirer de grands secours, il ne cajole point safemme, il ne lui fait <strong>du</strong> moins ni avance ni déclaration;il s'enfuira, il lui laissera son manteau, s'il n'estaussi sûr d'elle que de lui-même ; il est encore pluséloigné d'employer pour la flatter et pour la sé<strong>du</strong>irele jargon de la dévotion 1 ; ce n'est point par habitudequ'il le parle, mais avec dessein, et selon qu'il lui estutile, et jamais quand il ne serviroit qu'à le rendretrès-ridicule. 11 sait ou se trouvent des femmes plussociables et plus dociles que celle de son ami ; il neles abandonne pas pour longtemps, quand ce nes croit que pour faire dire de soi dans le public qu'ilfait des retraites; qui, en effet, pourroit en douter,quand on le revoit parottre avec un visage exténué etd'un homme qui ne se ménage point? Les femmesd'ailleurs qui fleurissentet qui prospèrent à l'ombrede la dévotion 3 lui conviennent, seulement avec cettepetite différence, qu'il néglige celles qui ont vieilli,et qu'il cultive les jeunes, et entre celles-ci les plusbelles et les mieux faites, c'est son attrait : elles vont,et il va; elles reviennent, et il revient; elles demeurent,et il demeure; c'est en tous lieux* et à toutes lesheures qu'il a la consolation do les voir; qui pourroitn'en être pas édifié,? elles sont dévotes, et il est dévot.Il n'oublie pas de tirer avantage de l'aveuglementde son ami et de la prévention où il l'a jeté ensa faveur; tantôt il lui emprunte de l'argent, tantôt ilA.r•ufhv£%îiV;i'{"•V-i» Faimc dévotion» [Note de La Bruyère^Ht Fausse dévotion* [Note de La Bruyère*


1* /^/?-*_VfDE LA MODE. 339fait si bien que cet ami lui en offre; il se fait reprocherde n'avoir pas recours à ses amis dans ses besoins.Quelquefois il ne veut pas recevoir une obolesans donner un billet, qu'il est bien sûr de ne jamaisretirer. Il dit une autre fois, et d'une certaine manière,que rien ne lui manque, et c'est lorsqu'il ne luifaut qu'une petite somme; il vante quelque autre foispubliquement la générosilô de cet homme, pour lepiquer d'honneur et le con<strong>du</strong>ire à lui faire une grandelargesse; il ne pense point à profiter de toute sa succession,ni à s'attirer une donation générale de tousses biens, s'il s'agit surtout de les enlever à un fils,le légitime héritier. Un homme dévot n'est ni avare,ni violent, ni injuste, ni môme intéressé; Onuphren'est pas dévot, mais il veut être cru tel, et, par uneparfaite, quoique fausse imitation de la piété, mena*ger sourdement ses intérêts : aussi ne se joue-t-il pasà la ligne directe, et il ne s'insinue jamais dans unefamille où se trouvent tout à la fois une fille à pour*voir et un fils à établir; il y a là des droits trop forts°t trop inviolables, on ne les traverse point sansfaire de l'éclat, et il l'appréhende, sans qu'une pareilleentreprise vienne aux oreilles <strong>du</strong> prince, à quiil dérobe sa marche, par la crainte qu'il a d'ôtre découvertet de paroître ce qu'il est. Il en veut à la lignecollatérale, on l'attaque plus impunément; il est laterreur des cousins et des cousines, <strong>du</strong> neveu et de lanièce, le flatteur et l'ami déclaré de tous les onclesqui ont fait fortune; il se donne pour l'héritier légitimede tout vieillard qui meurt riche et sans enfants,et il faut que celui-ci le déshérite, s'il veut que sesparents recueillent sa succession; si Onuphre netrouve pas jour à les en frustrera fond, il leur en ôte<strong>du</strong> moins une bonne partie : une pelitc calomnie,moins que cela, une légère médisance lui suffit pource pieux dessein; et c'est le talent qu'il possède à un


4.{/340 DE LA MODE*plus haut degré de perfection ; il se fait môme souventUn point de con<strong>du</strong>ite de ne le pas laisser inutile ;il y a des gens, selon lui, qu'on est obligé en consciencede décrier, et ces. gens sont ceux qu'il n'aimepoint, à qui il veut nuire, et dont il désire la dépouille.Il vient à ses Ans sans se donner môme la peine d'ouvrirla bouche ; on lui parle iïEudoxe % il sourit ou ilsoupire; on l'interroge, on insiste, il ne répond rien;et il a raison : il en a assez dit.T Riez, Zélie, soyez badine et folâtre à votre ordinaire;qu'est devenue votre joie? Je suis riche, ditesvous,me voilà au large, et je commence à respirer.Riez plus haut, Zélie, éclatez : que sert une meilleurefortune, si elle amène avec soi le sérieux et la tristesse? Imitez les grands qui sont nés dans le sein del'opulence : ils rient quelquefois, ils cèdent à leurtempérament, suivez le vôtre ; ne faites pas dire devous qu'une nouvelle place ou que quelques millelivres de rente de plus ou de moins vous font passerd'une extrémité à l'autre. Je tiens, dites-vous, à lafaveur par un endroit. Je m'en doutois, Zélie; mais,croyez-moi, ne laissez pas de rire, et môme de mesourire- en passant, comme autrefois; ne craignezrien, je n'en serai ni plus libre ni plus familier avecvous; je n'aurai pas une moindre opinion de vous etde votre poste; je croirai également que vous êtesriche et en faveur. Je suis dévote, ajoutez-vous. C'estassez, Zélie, et je dois me souvenir que ce n'est plusla sérénité et la joie que le sentiment d'une bonneconscience étale sur le visage; les passions tristes etaustères ont pris le dessus et se répandent sur lesdehors ; elles mènent plus loin, et l'on ne s'étonneplus de voir que la dévotion ' sache encore mieux quela beauté et la jeunesse rendre une femme Hère eldédaigneuse.I. Fausse dévotion. (A'ofr de La Bruytre»)•.->*


* > " s - *v.ï1 L'on a été loin depuis un siècle dans les arts etdans les sciences, qui toutes ont été poussées à ungrand point de raffinement, jusques à celle <strong>du</strong> salut,que l'on a ré<strong>du</strong>ite en règle et en méthode, et augmentéede tout ce que l'esprit des hommes pouvoit inventerde plus beau et de plus sublime. La dévotion ' et.la géométrie ont leurs façons de parler, ou ce qu'onappelle les termes de l'art; celui qui ne les sait pasn'est ni dévot ni géomètre» Les premiers dévots, ceuxmôme qui ont été dirigés par les apôtres, ignoroientces termes : simples gens qui n'avoient que la foi etles œuvres, et qui se ré<strong>du</strong>isoient à croire et à bienvivre IVC'est une chose délicate à un prince religieux deréformer la cour et de la rendre pieuse : instruit jusquesoù le courtisan veut lui plaire, et aux dépens dequoi il feroit sa fortune, il le ménage avec prudence ;il tolère, il dissimule, de peur de le jeter dans l'hypocrisieou le sacrilège ; il attend plus de Dieu et <strong>du</strong>temps que de son zèle et de son in<strong>du</strong>strie.ï C'est une pratique ancienne dans les cours dedonner des pensions et de distribuer des grâces à unmusicien, à un maître de danse, à un farceur, à unjoueur de flûte, à un flatteur, à un complaisant : ilsont un mérite fixe et des talents sûrs et connus quiamusent les grands et qui les délassent de leur grandeur.On sait que Favicr est beau danseur, et queLorenzani fait de beaux motets; qui sait, au contraire,si l'homme dévot a de la vertu? Il n'y a rien pour luisur la cassette ni à l'épargne, et avec raison : c'est unmétier aisé à contrefaire, qui, s'il étoit récompensé,exposeroit le prince à mettre en honneur la dissimulationet la fourberie, et à payer pension à l'hypocrite.FDE LA MODE. 3411. Fausse dévotion. (iVo/c dû La Brvuin»)19.


i342 DE LA MODE.\ L'on espère que la dévotion de la cour ne laisserapas d'inspirer la résidence '.I Je ne doute point que la vraie dévotion ne soit lasource <strong>du</strong> repos; elle fait supporter la vie et rend lamort douce; on n'en tire pas tant de l'hypocrisie.Chaque heure en soi, comme à notre égard, estunique; est-elle écoulée une fois, elle a péri entièrement,les millions, de siècles ne la ramèneront pas»Les jours, les mois, les années, s'enfoncent et se perdentsans retour dans l'abîme des temps. Le tempsmême sera détruit : ce n'est qu'un point dans les es*paces immenses de l'éternité, et il sera effacé. Il y ade légères et frivoles circonstances <strong>du</strong> temps qui nesont point stables, qui passent, et que j'appelle desmodes, la grandeur, la faveur, les richess.es, la puissance,l'autorité, l'indépendance, le plaisir, les joies,la superfluité. Que deviendront ces modes quand letemps môme aura disparu ? La vertu seule, si peu àla mode, va au delà des temps.>I. VA*. Von croit que ta dévotion de la cour inspirera m/in ta rést»dence* — On sait que malgré les prescriptions formelles de l'Église, qui vtutque te pasteur ne quitte point son troupeau, un grand notabre d'évèques, sou»l'ancienne monarchie, n'habitaient point leurs diocèses. La Bruyère, faisant allusionà ce fait, veut dire ici que, la cour étant devenue pieuse, cela Inspireraau* évaques le désir de la quitter, pour te rendre dans leurs résidences cp>s*copales,


ftf.wr f.r.>DE QUELQUES USAGES.tJya des gens qui n'ont pas le moyen d'ôtrcnobles l ,Il y en a de tels, que* s'ils eussent obtenu six moisde délai de leurs créanciers, ils étoient nobles.Quelques autres se couchent roturiers et se lèventnobles 8 .Combien de nobles dont lé père et les atnés sontroturiers 1T Tel abandonne son père qui est connu, et dontl'on cite le greffe ou la boutique, pour se retranchersur son aïeul, qui, mort depuis longtemps, est inconnuet hors de prise. Il <strong>mont</strong>re ensuite un gros revenu,une grande charge, de belles alliances, et, pourêtre noble, il ne lui manque que des titres*j Réhabilitations, mot en usage dans les tribunaux,qui a fait vieillir et ren<strong>du</strong> gothique celui de lettres denoblesse, autrefois si François et si usité» Se faire réhabilitersuppose qu'un homme, devenu riche, originairementest noble, qu'il est d'une nécessité plus quemorale qu'il le soit ; qu'à la vérité, son père a pu dé\roger ou par la charrue, ou par la houe, ou par lamalle, ou par les livrées ; mais qu'il ne s'agit pour luique de rentrer dans les premiers droits de ses an-1» La Druyèrc faît Ici allusion à la vénalité des charge* qui conféraient lanoblesse, atuii qu'au* titres de noblesse ven<strong>du</strong>s par le gouvernement, et il <strong>du</strong>implicitement que cVst par l'argent et non par te mérite que l'on t'anoblit.ï. Yétérans, (Note de Là tiruytre*) Ce mot applique aut conseillers <strong>du</strong>parlement et de la cour des aides, qui, après vingt ans d'cicrcice, obtenaientdes lettres de ttoblc&se.


^ •• " • t344 1 DE QUELQUES «SAGES.cotres et de continuer les armes de sa maison, lesmômes pourtant qu'il a fabriquées, et tout autres quecelles de sa vaisselle d'étain; qu'en un mot, les lettresde noblesse ne lui conviennent plus, qu'ellesn'honorent que le roturier, c'est-à-dire celui qui chercheencore le secret de devenir riche.^ Un homme <strong>du</strong> peuple, à force d'assurer qu'il a vuun prodige, se persuade faussement qu'il a vu un prodige.Celui qui continue de cacher son âge pense enfinlui-môme être aussi jeune qu'il veut le faire croire auxautres. De môme, le roturier qui dit par habitude qu'iltire son origine de quelque ancien baron ou dcquel-1 que châtelain, dont il est vrai qu'il ne descend pas, ale plaisir de croire qu'il en descend.t Quelle est la roture un peu heureuse et établie àqui il manque des armes, et dans ces armes une piècehonorable, des suppôts, un cimier-; une devise, etpcut-ôlre le cri de guerre 1 ? Qu'est devenue la distinctiondes casques et des heaumes? Le nom et l'usageen sont abolis ; ilnc s'agit plus de les porter de frontou de côté ', ouverts ou fermés,, et ceux-ci de tant oude tant de grilles ; on n'aime pas les minuties, on1. Ces termes de blason étant peu connus, même de ceux qui se piquentd'avoir désarme!, nous croyons devoir en donner quelques ctplîcalîons* lessuppôts ou supports sont des figures d'hommes ou d'animaux placées à droitecl à gauche de l'écu et qui soutiennent le timbre } eVst-à-dire les casques, lescimiers et les couronnes, lesquels se placent au-dessus de L'ccu* Le cimier estla tigure que l'on pose au sommet de la couronne ou <strong>du</strong> casque, et par conséquentla figure qui domine tous tes ornements extérieurs de t'écu* La devises'écrit au bas de l'écu; c'est, disent teshéraldistes» la remembrance d'un nom,d'une ou de plusieurs actions mémorables, et nous ajouterons que ce ti*eitsouvent qu'une espèce de jeu de mots passablement ridicule*Si Le îiombrc des grilUSp c'e*Uà*dtre des tringles de fer qui formaient lavisière <strong>du</strong> casque, et la position <strong>du</strong> casque de face ou de profil se réglaient surla dignité des personnes. C'est à quoi La Bruyère fait allusion dans ce passage»Le casque des empereurs et des rois est d'or, posé de front, ouvert et sansgrilles; celui des princes <strong>du</strong> saug> ouvert et avec onze grilles ; tes <strong>du</strong>cs l'ontd'argent, de ftout et h onze grilles j tes marquis, d'argent et & sept grilles, etc.Les gentilshommes non titrés, d'&cicr poli posé en profil avec visière, ouvertÀ trois grilles t Us écuyers, d'acier poil, de profit cl sans grilles) tes anoblil,d'acier poil, de profil; sans grilles et visière presque basse*


• ' i_ \DE QUELQUES USAGES» 345passe droit aux couronnes; cela est plus simple : ons'en croit digne, on se les adjuge. Il reste encore auxmeilleurs bourgeois une certaine pudeur qui les empêchede se parer d'une couronne de marquis, tropsatisfaits de la comtale 1 ; quelques-uns môme ne vontpas la chercher fort loin ', et la font passer de leur enseigneà leur carrosse.\ Il suffit de n'être point né dans une ville, maissous une chaumière répan<strong>du</strong>e dans la campagne, ousous une ruine qui trempe dans un marécage, etqu'on appelle château, pour être cru noble sur saparole.1 Un bon gentilhomme veut passer pour un petitseigneur, et il y parvient. Un grand seigneur affecte laprincipauté, et il use de tant de précautions, qu'àforce de beaux noms, de disputes sur le rang et lespréséances, de nouvelles armes,' et d'une généalogieque D'HOZîER ne lui a pas faite, il devient enfin un petitprince.ILes grands, en toutes choses, se forment et semoulent sur de plus grands, qui, de leur part, pourn'avoir rien de commun avec leurs inférieurs, renoncentvolontiers à toutes les rubriques d'honneurs et dedistinctions dont leur condition se trouve chargée, etpréfèrent à cette servitude une vie plus libre et pluscommode. Ceux qui suivent leur pisle observent déjàpar émulation cette simplicité et cette modestie ; tous .ainsi se ré<strong>du</strong>iront par hauteur à vivre naturellementet comme le peuple. Horrible inconvénient t\ Certaines gens portent trois noms, de peur d'enmanquer; ils en ont pour la campagne et pour la ville.t. La couronne de marquis est un cercle d'or h quatre fleurons, alternéschacun de trots pertes en tonne de t relie. La couronne de comte est un cercled'or, avec des pierres précieuse* cl rehaussé de dU-liuît perles, dont neuf icu*tentent soin sont au apparentes»S. Vin. Utl'cmprunttnt de pertonne,^'t:-a*5-


-*-* '1 /346 DE QUELQUES USAGES.pour les lieux de leur service ou de leur emploi. D'autresont un seul nom dissyllabe, qu'ils anoblissentpar des particules, dès que leur fortune devient meilleure.Celui-ci, par la suppression d'un6 syllabe, faitde son nom obscur un nom illustre ; celui-là, par lechangement d'une lettre en une autre, se travestit, etde Synts devient Cyrûs. Plusieurs suppriment leursnoms qu'ils ppurroicnt conserver sans honte, pouren adopter de plus beaux, oà ils n'ont qu\\ perdrepar la comparaison que l'on fait toujours d'eux, quiles portent, avec les grands hommes qui les ont portés.Il s'en trouve enfin qui, nés à l'ombre des clochersde Paris, veulent être Flamands ou Italiens,comme si la roture n'étoit pïis de tout pays ; allongent .leurs noms françois d'une terminaison étrangère, et; croient que venir de bon lieu, c'est venir de loin.! • ILe besoin d'argent a réconcilié la noblesse avecjla roture et a fait évanouir la preuve des quatre quar-'»'. tiers 1 .5 À combien d'enfants seroit utile la loi qui décidèrentque c'est le ventre qui anoblit. I mais à combiend'autres scroit-ellc contraire l ,111 y a peu de familles dans le monde qui ne touchentaux plus grands princes par une extrémité, etpar l'autre au simple peuple.\ Il n'y a rien à perdre à être noble i franchises,immunités, exemptions, privilèges, que manque-t-il* à ceux qui ont un titre ? Croyez-vous que ce soit pourla noblesse que des solitaires 3 se sont faits nobles? Ilsne sont pas si vains : c'est pour le profit qu'ils en reçoivent.Cela ne leur sied-il pas mieux que d'entrerI. Alors le noble «.hier, preisé de l'indigence,Humblement <strong>du</strong> faquin rechercha l'alliance.î. Maison religieuse, secrétaire <strong>du</strong> roi. {Nùle dé laîiruyke.) Peur biensaisir le sens de cette note, il faut te rappeler que quelques couvents et ah»bayes avaient acheté des charges de secrétaire <strong>du</strong> roi pour s'assurer les privilègesqui étaient attachés à ce» chargés.•-'•-•»'


DE QUELQUES USAGES. 347dans les gabelles ? je ne dis pas à chacun en particulier,leurs vœux s'y opposent, je dis môme à la communauté.f Je le déclare nettement, afin que l'on s'y prépare,€t que personne un jour n'en soit surpris : s'il arrivejamais que quelque grand me trouve digne deses soins, si je fais enfin une belle fortune, il y a unGeoffroy de La Bruyère que toutes les chroniquesrangent au nombre des plus grands seigneurs deFrance qui suivirent GODEFUOY DE BOUILLON à la conquêtede la Terre-Sainte î voilà alors de qui je descendsen ligne directe.ï Si la noblesse est vertu, elle se perd par tout cequi n'est pas vertueux, et, si elle n'est pas vertu, c'estpeu de chose.f 11 y a des choses qui, ramenées à leurs principeset, à leur première institution, sont étonnantes et incompréhensibles.Qui peut concevoir, en effet, quecertains abbés, à qui il ne manque rien de rajustement,de la mollesse et de la vanité des sexes et desconditions, qui entrent auprès des femmes en concurrenceavec le marquis et le financier, et qui l'emportentsur tous les deux, qu'eux-mêmes soient originai-• , c«u»ot» et dans l'étymologie de leur nom, les pères etles chefs de saints moines cl d'humbles solitaires, etqu'ils en devroient être l'exemple? Quelle force, quelempire, quelle tyrannie de l'usage 1 Et, sans parler deplus grands désordres, ne doit-on pas craindre devoir un jour un simple abbé 1 , en velours gris et a ramagescomme une éminence, ou avec des mouches et


i:iif348 DE QUELQUES USAGES.seurs des apôtres ', le palais Farnèse en est lapreuve.\ Les belles choses le sont moins hors de leurplàcç; les bienséances mettent la perfection, et laraison met les bienséances. Ainsi l'on n'entend poiçtune gigue à là chapelle, ni dans un sermon, destons de théâtre ; l'on ne voit point d'images profanes*dans les temples, un CHRIST, par exemple, et lejugement de Paris dans le même sanctuaire ni à despersonnes consacrées à l'Église le train et l'équipaged'un cavalier.î Déclarcrai-je donc ce que je pense de ce qu'onappelle dans le monde un beau salut, la décorationsouvent profane, les places retenues et payées, des livress distribués comme au théâtre, les entrevues etles rendez-vous fréquents, le murmure et les causeriesétourdissantes, quelqu'un <strong>mont</strong>é sur une tribune etqui y parle familièrement, sèchement, et sans autrezèle que de rassembler le peuple, l'amuser, jusqu'à cequ'un orchestre, le dirai-je ? et des voix qui concertentdepuis longtemps, se fassent entendre? Est-ce àmoi de m'écrier que le zèle de la maison <strong>du</strong> Seigneurme consume et à tirer le voile léger qui couvre lesmystères , témoins d'une telle indécence ? Quoi tparce qu'on ne danse pas encore aux TT** *, meforcera-t-on d'appeler tout ce spectacle office d'église?î L'on ne voit point faire de vœux ni de pèlerinagespour obtenir d'un saint d'avoir l'esprit plus doux,l'âme plus reconnaissante^ d'être plus équitable et/i* VA*, Pour les princes de VÊgUseet tes successeuts <strong>du</strong>apôttihî* Tapisseries* (Note de La Bruyère»)3» Le motet tra<strong>du</strong>it en vert français par t* L m * [Noté de l'auteur*) Ce»Initiales détiguent Loreoianl.4. Allusion aut saluts de§ PP. tfaé&tins» composé! par Lorontanl, Italien*qui * cto depuis maître de la musique <strong>du</strong> pape Innocent XII* (La Clef*)


•taDE QUELQUES USAGES. 340moins malfaisant, d'être guéri de la vanité, de l'inquiétude' et de la mauvaise raillerie. kj Quelle idée plus bizarre que de se représenterune foule de chrétiens de l'un et de l'autre sexe quise rassemblent à certains jours dans une salle pour yapplaudir à une foule d'excommuniés, qui ne le sontque par le plaisir qu'ils leur donnent, et qui est déjàpayé d'avance? Il me semble qu'il faudroit ou fermerles théâtres, ou prononcer moins sévèrement sur l'état,des comédiens.J Dans ces jours qu'on appelle saints, le moine confessependant que le curé tonne en chaire contre lemoine et ses adhérents*; telle femme pieuse sort del'autel, qui entend au prône qu'elle vient de faire uusacrilège* N'y a-t-il point dans l'église une puissanceà qui il appartienne ou de faire taire le pasteur, oude suspendre pour un temps le pouvoir <strong>du</strong> barnabite?t II y a plus de rétribution dans les paroisses pourun mariage que pour un baptême, et plus pour unbaptême que pour la confession. L'on diroit que cesoit un taux sur les sacrements, qui semblent par làêtre appréciés. Ce n'est rien au fond que cet usage, etceux qui reçoivent pour les choses saintes ue croientpoint les vendre, comme ceux qui donnent ne pensentpoint à les acheter; ce sont peut-être des apparencesqu'on pourrait épargner aux simples et aux indévots*.i1. VA*. De Vinquiétud* i'espriUSi Ceci fait allusiouau* débats qui ont existé sans cesse, sous l'ancienne mo*narchte» entre les cures et prêtres des paroisses» et les ordres religieux qui peu*datit le carême et QUI fêtes solennelles venaient prêcher et confesser dans cesmimes paroisses. Les curés déclaraient que les moines n'avaient pas ce droit ;donc, les femmes qui s'étaient confessées aux moines notaient point canoîdqueutentabsoutes, ce qui explique te mot faire un $acritêge % appliqué aui personne*pieuses qui communiaient après s'être confessées au barnabite* Lacongrégation des bunabites, fondée à Milan eu 1530» avait pour but de fairedes missions.3. VA». Ce sont peut-être de mauvaises apparences^ et qui choquent qud*que* esprits*30'3*


fs350 DE QUELQUES USAGES.\ Un pasteur frais et en parfaite santé, en linge finet en point de Venise, a sa place dans l'œuvre auprèsles pourpres et les fourrures; il y achève sa digestionpendanjt que le Feuillant ' ou le Récollet* quitte sacellule et son désert, ou il est lié par ses vœux et parla bienséance, pour venir le prêcher, lui et ses ouailles,et en recevoir le salaire comme d'une pièce d'é«toffe. Yous m'interrompez et vous dites : Quelle censurel et combien elle est nouvelle et peu atten<strong>du</strong>e 1Ne voudricz-YOUs point interdire à ce pasteur et à sontroupeau la parole divine et le pain de l'Évangile? Aucontraire je voudrois qu'il le distribuât lui-môme lemalin, le soir, dans les temples, dans les maisons,dans les places, sur les toits, et que nul ne prétendît àun emploi si grand, si laborieux, qu'avec des intentions,des talents et des poumons capables de lui mériterles belles offrandes et les riches rétributions quiy sont attachées. Je suis forcé, il est vrai, d'excuser uncuré sur cette con<strong>du</strong>ite par un usage reçu , qu'iltrouve établi, et qu'il laissera à son successeur ; maisc'est cet usage bizarre et dénué de fondement etd'apparence, que je ne puis approuver et que je goûteencore moins que celui de se faire payer quatre foisdn mômes obsèques, pour soi, pour ses droits, poursa prés'enec, pour son assistance.\ Tite> pur vingt années de service dans une secondeplace, n'est pas encore digne de la première, qui estvacante; ni ses talents, ni sa doctrine, ni une vieexemplaire, ni les vœux des paroissiens, nesauroientl'y faire asseoir. Il natt de dessous terre un autreclore * pour la remplir. Tite est reculé ou congédié;il ne se plaint pas : c'est l'usage»I * Feuillants, ticni d'une congrégation religieuse de l'ordre de ttteaut, ré*foimce eu 1577 à l'abbaye de Feuillant, dans le diocèse de Rieut»2. liccollcts* Religieux de l'étroite observance de SalnUFr&tiçoie. lis l'ctavljlirvaten France en 1502 et y fondèrent un grand nombre de couvents.a» Ecctl«idstiquci {Note de La Bruyère*)\ïr&• tfi'•i.-••-ifc,*&•


DE QimUJUES USAGES. 351^ Moi, dit le cheffccicr, je suis maître <strong>du</strong> chœur:qui me forcera d'aller a matines? mon prédécesseurn'y alloit point: suîs-je de pire condition? dois-jolaisser avilir ma dignité entre mes mains, ou la laissertelle que je l'ai reçue? Ce n'est point, dit l'écolàtrc,mon intérêt qui me mène, mais celui de la prébendel î il seroit bien <strong>du</strong>r qu'un grand chanoine fûtsujet au chœur, pendant que le trésorier, l'archidiacre', le pénitencier 3 et le grand vicaire s'en croientexempts. Je suis bien fondé, dit le prévôt, à demanderla rétribution sans me trouver à l'office : il y a* vingt années entières que je suis en possession dedormir les nuits, je veux finircomme j'ai commencé»et l'on ne me verra point déroger à mon titre. Queme serviroit d'être à la tète d'un chapitre? Mon exemplene tire point à conséquence. Enfin c'est entre euxtous a qui ne louera point Dieu 4 , h qui fera voir, parun long usage, qu'il n'est point obligé de le faire il'émulation de ne se point rendre aux offices divinsne sauroit être plus vive ni plus ardente. Les etochessonnent dans une nuit tranquille, et leur mélodie,qui réveille les chantres et les enfants de chœur, endortles chanoines, les plonge dans un sommeil douxet facile, et qui ne leur procure que de beaux songes;ils se lèvent lard, et vont a l'église se faire payerd'avoir dormi.\ Qui pourrait s'imaginer, si l'expérience ne nousle mettoit devant les yeux, quelle peine ont les hom-71. La prébende est un revenu ecclésiastique attaché à un canonicat,2. L'.archldtacre était un dignitaire ayant juridiction sur les curés de campagne»3. Piètre délégué par uoévêque pour absoudre les cas résines»4. Sans Sortir de leurs tifs, plus don* que leurs hermines,(les pleut fainéants faisoient chanter matines,Veilloicnt a bien dîner, et taissoietit en leur lieuA des chantres gagés le loin de louer Dieu.(IhXLtut!»)pt^»twn» (s .. »..-.«;• • . v -;..„•.


352 OB QUELQUES USAGES.mes à se résoudre d'eux-mêmes à leur propre félicité!et qu'on ait besoin de gens d'un certain habit, qui,par un discours préparé, tendre et pathétique, par decertaines inflexions de voix, par des larmes, par desmouvements qui les mettent en sueur et qui les jettentdans l'épuisement, fassent enfln consentir unhomme chrétien et raisonnable, dont la maladie estsans ressource» à ne se point perdre et a faire sonsalut?t La fille à'Aristipe est malade et en péril ; elleenvoie vers son pore, veut se réconcilier avec lui etmourir dans ses bonnes grâces. Cet Homme si sage,le conseil de toute une ville, fera-t-il de lui-mêmecette démarche si raisonnable? y entraînera-t-il safemme? ne faudra-t-il point pour les remuer tousdeux la machine <strong>du</strong> directeur?î Une mère, je ne dis pas qui cède et qui se rend àla vocation de 6a fille, mais qui la fait religieuse, secharge d'une âme avec la sienne, en répond à Dieumôme, en est la caution. Afin qu'une telle mère ne seperde pas, il faut que sa fllle se sauve.î Un homme joue et se ruine; il marie néanmoinsl'alnéc de ses deux filles de ce qu'il a pu sauver desmains d'un Ambreville. La cadette est sur le point defaire ses vœux, qui n'a point d'autre vocation que lejeu de son père.f II s'est trouvé des fillesqui avoient de la, vertu, dela santé, de la ferveur et une bonne vocation, maisqui n'étoient pas assez riches pour faire dans une riche•abbaye vœu de pauvreté '.\ Celle qui délibère sur le choix d'une abbaye oud'un simple monastère pour s'y renfermer agite l'anciennequestion de l'état populaire et <strong>du</strong> despotique.1. Àttuiton à la donation connue BOUS le nom do dot» que Ici femme», enprenant lo voite, devaient apporter à leur communauté. Cette dot dam quelques{ranges abbayes était asset importante.


i*!•s.IîIDE QUELQUES USAGES. 3531 Faire une folie et se marier par amourette t c'estépouser Mêlite> qui est jeune, belle, sage, économe,qui plaît, qui vous aime, qui a moins de bien qu'Êginequ'on vous propose, et qui, avec une riche dot, apportede riches dispositions à la consumer, et toutvotre fonds avec sa dot.î II étoit délicat autrefois de se marier; c'étoit unlong établissement, une affaire sérieuse, et qui m(îritoitqu'on y pensât; l'on étoit pendant toute sa vie lemari de sa femme, bonne ou mauvaise : môme table,môme demeure, môme lit; l'on n'en étoit point quittepour une pension; avec des enfants et un ménagecomplet, l'on n'avoit pas les apparences et les délices<strong>du</strong> célibat.1 Qu'on évite d'ôlre vu seul avec une femme quin'est point la sienne, voilà une pudeur qui est bienplacée; qu'on sente quelque peine à se trouver dan»le monde avec des personnes dont la réputation estattaquée, cela n'est pas incompréhensible, Mais quellemauvaise honte fait rougir un homme de sa proprefemme, et l'cmpôchc de paroltre dans le public aveccelle qu'il s'est choisie pour sa compagne inséparable,qui doit faire sa joie, ses délices et toute sa société ;avec celle qu'il aime et qu'il estime, qui est son orne-*ment, dont l'esprit, le mérite, la vertu, l'alliance, luifont honneur? Que ne commence-t-il par rougir deson mariage?Je connois la force de la coutume, et ju3qu'où eWmaîtrise les esprits et contraint les mœurs, dans leschoses môme les plus dénuées de raison et de fondement;je sens néanmoins que j'aurois l'impudence deme promener au cours et d'y passer en revue avecune personne qui seroit ma femme.1 Ce n'est pas une honte ni une faute à un jeunehomme que d'épouser une femme avancée en Age jc'est quelquefois prudence, c'est précaution. L'infa-.30.* * * * * * • f r . f f - . i ï V t ' " * ' K . * " * . J > T . * - * - * • ' • _ - ^ n-•ta %fc^4»' *Tw^_^,'.J £ "k ' & v - O i . 'ii- -H - f-


354 DE QUELQUES USAGES.mic est de se jouer de sa bienfaitrice par des traite*ments indignes, et qui lui découvrent qu'elle est la<strong>du</strong>pe d'un hypocrite et d'un ingrat. Si la fiction estexcusable, c'est où il faut feindre de l'amitié; s'il estpermis de tromper, c'est dans une occasion où il yauroit de la <strong>du</strong>reté à être sincère. Mais elle vit longtemps!Aviez-vous stipulé qu'elle mourût après avoirsigné votre fortune et l'acquit de toutes vos dettes?N'a-t-cllc plusi après ce grand ouvrage, qu'à retenirson haleine, qu'à prendre de l'opium ou de la ciguë?À-t-clle tort de vivre? Si môme vous mourez avantcelle dont vous aviez déjà réglé les funérailles, à quivous destiniez la grosse sonnerie et les beaux ornements,en est-elle responsable?ï II y a depuis longtemps dans le monde une manièrede faire valoir son bien •, qui continue toujoursd'être pratiquée par d'honnêtes gens et d'être condamnéepar d'habiles docteurs K1 On a toujours vu dans la république de certainescharges qui semblent n'avoir été imaginées la premièrefois que pour enrichir un seul aux dépens de plusieurs ;les fonds ou l'argent des particuliers y coule sans finet sans interruption 8 , Dirai-je qu'il n'en revient plus,ou qu'il n'en revient que tard? C'est un gouffre, c'estune mer qui reçoit tes eaux des fleuves, et qui ne lesrend pas; ou, si eltc les rend, c'est par des con<strong>du</strong>itssecrets et souterrains, sans qu'il y paroisse, ou qu'elleen soit moins grosse et moins enflée ; ce n'est qu'aprèsen avoir joui longtemps, et qu'elle ne peut plus tes!retenir.ï Le fonds per<strong>du</strong>, autrefois si sûr, si religieux et siinviolable, est devenu avec te temps, et par les soins§1, Allusion au prêt I intérêt que l'Eglise regardait comme usuraire, «I mtacôque Mt l'intérêt.«. Billets et obligations. {Note ds La îlruyère*)9. Greffe, eoutiguation. [Note de Zii liruyire^' W "V 4 ** f* ' +*t*TM, l*--J .1 TJ«^


DR QUELQUES USAGES. 355de ceux qui en étoicnt chargés, un bien per<strong>du</strong> *. Quelautre secret de doubler mes revenus et de thésauriser?lîntrcrai-je dans le huitième denier ou dans les aides 2 ?Serai-jc avare, partisan, ou administrateur?T Vous avez une pièce d'argent ou môme une pièced'or; ce n'est pas assez, p'cstlc nombre qui opère :faites-en, si vous pouvez, un amas considérable et quis'élève en pyramide, et je me charge <strong>du</strong> reste. Vousn'avez ni naissance, ni esprit, ni talents, ni expérience,qu'importe? ne diminuez rien de votre monceau,et je vous placerai si haut que vous vous couvrirezdevant votre maître, si vous en avez; il seramôme fort éminent, si, avec votre métal, qui de jourà autre se multiplie, je ne fais en sorte qu'il se découvredevant vous,T Orante plaide depuis dix ans entiers en règlementdéjuges, pour une affaire juste, capitale, et où il yva de toute sa fortune; elle saura peut-ôtre, dans cinq{innées, quels seront ses juges, et dans quel tribunalelle doit plaider le reste de sa vie,1 L'on applaudit à la coutume qui s'est intro<strong>du</strong>itedans les tribunaux d'interrompre les avocats au milieude leur action, de les empocher d'ôtre éloquentset d'avoir de l'esprit, de les ramener au fait et auxpreuves toutes sèches qui établissent leurs causes etle droit de leurs parties; et cette pratique si sévère,qui laisse aux orateurs le regret de n'avoir pas prononcéles plus beaux traits de leurs discours, quibannit l'éloquence <strong>du</strong> seul endroit où elle est en saplace et va faire <strong>du</strong> parlement une muette juridiction,on l'autorise par une raison solide et sans réplique,l. Allusion à ta banqueroute des Ii6pi(aux ,de Paris et des Incurables,ca 1689; elle fit perdre aux particuliers qui avoient des deniers à fondsper<strong>du</strong> sur ces établissements la plus grande partie de leurs biens. {La Clef.)i» On désignait suus te nom d'aides les Impôts qui se levaient sur les \\utet les autres boissons.X^^^^r^î^-r *- ï ^ ' **.>-- -î *


356 DE QUELQUES USAGES.qui est celle de l'expédition; il est seulement à désircrqu'ellefût moins oubliée en toute autre rencontre,qu'elle réglât au contraire les bureaux comme lesaudiences, et qu'on cherchât une fin aux écritures ',comme on a fait aux plaidoyers.1 Le devoir des juges est de rendre la justice; feurmétier, de la différer. Quelques-uns savent leur devoiret font leur métier.T Celui qui sollicite son juge ne lui fait pas honneur: car ou il se défie de ses lumières et môme dosa probité, ou il cherche à le prévenir, ou il lui demandeune injustice.î II se trouve des juges auprès de qui la faveur,l'autorité, les droits de l'amitié et de l'alliance, nuisentà une bonne cause, et qu'une trop grande affectationde passer pour incorruptibles expose à être injustes.ï Le magistrat coquet ou galant est pire dans lesconséquences que le dissolu : celui-ci cache son commerceet ses liaisons, et l'on ne sait souvent par oùaller jusqu'à lui; celui-là est ouvert par mille foiblcsqui sont connus, et l'on y arrive par toutes les femmesà qui il veut plaire.111 s'en faut peu que la religion et la justice n'aillentde pair dans la république, et que la magistraturene consacre les hommes comme la prêtrise»L'homme de robe ne sauroit guère danser au bal,paroltre aux théâtres, renoncer aux habits simples etmodestes, sans consentira son propre avilissement;et il est étrange qu'il ait fallu une loi pour régler sonextérieur et le contraindre ainsi à être grave et plusrespecté a .? Il n'y a aucun métier qui n'ait son apprentissage;t. Procès par écrit (Note de l'auteur.)2. Un arrêt <strong>du</strong> couseil obligea Ici conseillers à être en rabat. Avant c«tcmps*làili étotent presque toujours eu cravate. [La Clef.)kj *v+ •**•**-


IhDE QUELQUES USAGES. 357et, en <strong>mont</strong>ant des moindres conditions jus que s auxplus grandes, on remarque dans toutes un temps depratique et d'exercice qui prépare aux emplois, oùles fautes sont sans conséquence, et mènent au contraireà la perfection. La guerre môme, qui ne semblenattro et <strong>du</strong>rer que par la, confusion et le désordre, ases préceptes î on ne se massacre pas par pelotons etpar troupes en rase campagne sans l'avoir appris, etl'on s'y lue méthodiquement. Il y a l'école de laguerre ; où est l'école <strong>du</strong> magistrat? Il y a un usage,des lois, des coutumes; où est le temps, et le tempsassez long que l'on emploie à les digérer et à s'eninstruire? L'essai et l'apprentissage d'un jeune adolescentqui passe de la férule à la pourpre, et dont laconsignation a fait un juge, est de décider souverainementdes vies et des fortunes des hommes.f La principale partie de l'orateur, c'est la probité :sans elle, il dégénère en déclamateur, il déguise ou ilexagère les faits, il cite faux, il calomnie, il épouse lapassion et les haines de ceux pour qui il parle ; et ilest do la classe de ces avocats dont le proverbe ditqu'ils sont payés pour dire des injures.^ Il est vrai, dit-on, cette somme lui est <strong>du</strong>e, et cedroit lui est acquis ; mais je l'attends à celte petiteformalité; s'il l'oublie, il n'y revient plus, et conséquemmentil perd sa somme, ou il est incontestablementdéchu de son droit : or, il oubliera cette formalité.Voilà ce que j'appelle une conscience de praticien.Une belle maxime pour le palais, utile au public,remplie de raison, de sagesse et d'équité, ce setaitprécisément la contradictoire de celte qui dit que laforme emporte le fond.\ La question est une invention merveilleuse et toutà fait sûre pour perdre un innocent qui a la complcxionfoible, et sauver un coupable qui est né robuste.


358 DR QUELQUES USAGES.^ Un coupable puni est un exemple pour la canaWc;un innocent condamné est l'affaire de tous leshonnêtes gens.Je dirai presque de moi : Je ne serai pas voleur oumeurtrier; je ne serai pas un jour puni comme tel,c'est parler bien hardiment.Une condition lamentable est celle d'un hommeinnocent à qui la précipitation et la procé<strong>du</strong>re onttrouvé un crime; celle même de son juge peut-ellel'être davantage?ï Si l'on me racontoit qu'il s'est trouvé autrefois unprévôt, ou l'un de ces magistrats créés pour poursuivreles voleurs et les, exterminer, qui les connoissoittous depuis longtemps de nom et de visage, savoitleurs vols, j'entends l'espèce, le nombre et laquantité, pénétroit si avant dans toutes ces profondeurs,et étoit si initié dans tous ces affreux mystères,IiM-1B•SïrÎT*->£•-'>y'qu'il sut rendre à un homme de crédit un bijou qu'on \tui avoit pris dans la foule au sortir d'une assemblée,et dont il étoit sur le point de faire de l'éclat, que teparlement intervint dans cette affaire et fit procès acet officier 1 , je regarderois cet événement commel'une de ces choses dont l'histoire se charge, et a quile temps ôtc la croyance î comment donc pourrois-jccroire qu'on doive présumer, par des faits récents,connus et circonstanciés, qu'une connivence si pernicieuse<strong>du</strong>re encore, qu'elle ait môme tourné en jeu etpassé en coutume?1 Combien d'hommes qui sont forts contre les foibles,fermes et inflexibles aux sollicitations <strong>du</strong> simplepeuple, sans nuls égards pour les petits, rigides etsévères dans les minuties, qui refusent les petits pret.M. de Crand-Maison, prévôt de la connétahlic, fit rendre à M. de Saint*ï'ouange utie boucte de diamants qui tui avoit été dérobée i l'Opéra. (LaClef.), -t


4I3sEDE QUELQUES USAGES. 350*sents, qui n'écoutent ni leurs parents, ni leurs amis,et que les femmes seules peuvent corrompre !T II n'est pas absolument impossible qu'une personnequi se trouve dans une grande faveur perde un| procès.1 Les mourants qui parlent dans leurs testamentspeuvent s'attendre à être écoutés comme des oracles: chacun les tire de son côté et les interprète àsa manière, je veux dire selon ses désirs ou ses intérêts.t II est vrai qu'il y a des hommes dont on peut direque la mort fixe moins la dernière volonté qu'elle neleur ôte avec la vie l'irrésolution et l'inquiétude. Undépit, pendant qu'ils vivent, les fait tester; ils s'apaisentet déchirent leur minute, la voilà en cendre. Ilsn'ont pas moins de testaments dans leur cassette qued'almanachs sur leur table; ils les comptent par lesannées ; un second se trouve détruit par un troisième,qui est anéanti lui-même par un autre mieux digéré,et celui-ci encore par un cinquième olographe, Mais,si le moment, ou la malice, ou l'autorité, manque àcelui qui a intérêt de le supprimer, il faut qu'il enessuie les clauses cl les conditions : cmvappert-W mieuxdes dispositions des hommes les plus inconstant bque par un dernier acte, signé de leur main, et aprèslequel ils n'ont pas <strong>du</strong> moins eu le loisir de vouloirtout le contraire ?\ S'il n'y avoit point de testaments pour régler ledroit des héritiers, je ne sais si l'on auroit besoin detribunaux pour régler les différends des hommes ; lesjuges seroient presque ré<strong>du</strong>its à fa triste fonctiond'envoyer au gibet les voleurs et les incendiaires. QuivoiUon dans les lanternes des chambres, au parquet,à la porte ou dans la salle <strong>du</strong> magistrat? des héritiersab intestat? Ncn, les lois ont pourvu à leurs partages.€n y voit les testamentaires qui plaident en cxpli-


Jt>^360 DE QUELQUES USAGES.cation d'une clause ou d'un article ; les personnesexhérédécs; ceux qui se plaignent d'un testamentfait avec loisir, avec maturité, par un homme grave,habile, consciencieux, et qui a été aidé d'un bon conseil; d'un acte où le praticien n'a rien obmis de sonjargon et de ses finesses ordinaires : il est signé <strong>du</strong>testateur et des témoins publics, il est paraphé; etc'est en cet état qu'il est cassé et déclaré nul.\ Titim assiste à la lecture d'un testament avec desyeux rouges et humides, et le cœur séné de la pertede celui dont il espère recueillir la succession. Un articlelui donne la charge, un autre les rentes de laville, un troisième le rend maître d'une terre à lacampagne; il y a une clause qui, bien enten<strong>du</strong>e, luiaccorde une maison située au milieu de Paris, commeelle se trouve, et avec les meubles : son afflictionaugmente ; les larmes lui coulent des yeux ; le moyende les contenir? il se voit officier, logé aux champs et ala ville, meublé de même ; il se voit une bonne table et uncarrosse. Yavoit-il un plus honnête homme que le défunt,un meilleur homme? Il y a un codicille, il faut le lire ; itfait Mœvius légataire universel, et il renvoie Titius dansson faubourg, sans rentes, sans titre, et le met à pied.Il essuie ses larmes : c'est à Mœvius à s'affliger.f La loi qui défend de tuer un homme n'embrasset-ellepas dans cette défense le fer, le poison, le feu,l'eau, les embûches, la force ouverte, tous les moyensenfin qui peuvent servir à l'homicide? La loi qui Oleaux maris et aux femmes le pouvoir de se donner réciproquementn'a-t-elle connu que les voies directeset immédiates de donner? A-t-elle manqué de prévoirles indirectes? A-t-elle intro<strong>du</strong>it les fldéiconimis, ousi môme elle les tolère? Avec une femme qui nous estchère et qui nous survit, lègue-t-on son bien à un amifidèle par un sentiment de reconnoissance pour lui,ou plutôt par une extrême confiance, et par la certi-


4 ' / *r- -. •* •DE QUELQUES USAr.ES.3G1tude qu'on a <strong>du</strong> bon usage qu'il saura faire de coqu'on lui lègue? Donne-t-on à celui que l'on peutsoupçonner de ne devoir pas rendre à la personneh qui en effet l'on veut donner? Faut-if se parler,faut-il s'écrire, est-il besoin de pacte ou de sermentspour former cette collusion? Les hommes ne sententilspas en celte rencontre ce qu'ils peuvent espérerles uns des autres? Et si, au contraire, la propriétéd'un tel bien est dévolue au fldéicommissaire,pourquoiperd-il sa réputation à le retenir ? Sur quoifonde-t-on la satire et les vaudevilles? Voudroit-on lecomparer au dépositaire qui trahit le dépôt, à un domestiquequi vole l'argent que son maître lui envoie porter1 ? On auroit tort i y a-t-il de l'infamie a ne pas faireune libéralité, et à conserver pour soi ce qui est àsoi? Étrange embarras, horrible poids que le fidéicommis1 Si par la révérence des lois on se l'approprieil ne faut plus passer pour un homme de bien; si parle respect d'un ami mort l'on suit ses intentions en lerendant à sa veuve, on est confidentiairc, on blesse laloi. Elle cadre donc bien mal avec l'opinion des hommes1 Cela peut être, et il ne me convient pas dedire ici : La loi pèche, ni : Les hommes se trompent.^ J'entends dire de quelques particuliers ou de quelquescompagnies : Tel et tel corps se contestent l'unà l'autre la préséance ; le mortier et la pairie se disputentle pas. 11 me parott que celui des deux qui évitede se rencontrer aux assemblées est celui qui cède, etqui, sentant son foible, juge lui-môme en faveur deson concurrent.\ Typhon fournit un grand de chiens et.de chevaux;que ne lui fournit-il point ? Sa protection le rend audacieux; il est impunément dans sa province tout ceI. Y.M!. Lui fuwic porter à un crfanua.31


ufSs.362 DE QUELQUKS USAGES.qu'il lui platt d'être, assassin, parjure; il brûle sesvoisins, et il n'a pas besoin d'asile; il faut enfin quele prince se môle lui-môme de sa punition.^ Ragoûts, liqueurs, entrées, entremets, tous motsqui devroient ôtre barbares et inintelligibles en notrelangue; et, s'il est vrai qu'ils ne devroient pas ôtred'usage en pleine paix, où ils ne servent qu'à entretenirle luxe et la gourmandise, comment peuvent-ilsôtre enten<strong>du</strong>s dans le temps de la guerre et d'une misèrepublique, à la vue de l'ennemi, à la veille d'uncombat, pendant un siège? Où est-il parlé de la tablede Scipion ou de celle de Marius? Ai-je lu quelquepart que Miitiade , qu'Êpaminondas , qu'Agésilas,aient fait une chère délicate? Je voudrois qu'on nefit mention de la délicatesse» de la propreté et de lasomptuosité des généraux qu'après n'avoir plus rienà dire sur leur sujet, et s'être épuisé sur les circonstancesd'une bataille gagnée et d'une ville prise;j'aimerois môme qu'ils voulussent se priver de cetéloge.ï Ifermippe est l'esclave de ce qu'il appelle ses petitescommodités ; il leur sacrifie l'usage reçu, la coutume,les modes, la bienséance; il les cherche.entoutes choses, il quitte une moindre pour une plusgrande, il ne néglige aucune de celles qui sont praticables,il s'en fait une élude, et il ne se passe aucunjour qu'il ne fasse en ce genre une découverte» Illaisse aux autres hommes le dîner et le souper, àpeine en admet-il les termes; il mange quand il afaim, et les mets seulement où son appétit le porte.Il voit faire son lit : quelle main assez adroite ou assezheureuse pourroit le faire dormir comme il veutdormir? Il sort rarement de chez soi ; il aime la chambre,où il n'est ni oisif ni laborieux, où il n'agit point,où il tracasse, et dans l'équipage d'un homme qui apris médecine. On dépend servilement d'un serrurierK


' • . - {'•h>£y.%•DR QUELQUES USAGES.3G5et d'un menuisier, selon ses besoins; pour lui, s'ilfaut limer, il a une lime ; une scie, s'il faut scier, etdes tenailles, s'il faut arracher. Imaginez, s'il est possible,quelques outils qu'il n'ait pas, et meilleurs etplus commodes à son gré que ceux mômes dont lesouvriers se servent ; il en a de nouveaux et d'inconnus,qui n'ont point de nom, pro<strong>du</strong>ctions de son esprit,et dont il a presque oublié l'usage. Nul ne sepeut comparer à lui pour faire en peu de temps etsans peine un travail fort inutile; il faisoit dix paspour aller de son lit dans sa garde-robe, il n'en fuitplus que neuf par la manière dont il a su tourner sachambre : combien de pas épargnés dans le coursd'une viel Ailleurs l'on tourne la clef, l'on poussecontre, ou l'on tire à soi, et une porte s'ouvre : quellefatigue I voilà un mouvement de trop qu'il sait s'épargner; et comment? c'est un mystère qu'il ne révèlepoint. Il est, à la vérité, un grand maître pour le ressortet la mécanique, pour celle <strong>du</strong> moins dont loutle monde se passe. Hermippe tire le jour de son appartementd'ailleurs que de la fenêtre ; il a trouvé lesecret de <strong>mont</strong>er et de descendre autrement que parl'escalier, et il cherche celui d'entrer et de sortir pluscommodément que par la porte.511 y a déjà longtemps que l'on improuve les médecinsetque l'on s'en sert ; le théâtre et la satire ne louchentpoint à leurs pensions; ils dotent leurs filles,placentleurs filsaux parlements et dans la prélatine, et lesrailleurs eux-mêmes fournissent l'argent. Ceux qui seportent bien deviennent malades; il leur faut des gensdont le métier soit de les assurer qu'ils ne mourrontpoint. Tant que les hommes pourront mourir, et qu'ilsaimeront à vivre, le médecin sera raillé et bien payé.5 Un bon médecin est celui qui a des remèdes spécifiques,ou, s'il en manque, qui permet à ceux qui lesont de guérir son malade.


364 DE QUP.LQUBS USAGES,T La témérité des charlatans et leurs tristes succès,qui en sont les suites, font valoir la médecine etles médecins : si ceux-ci laissent mourir, les autrestuent.' f Carro Carri x débarque avec une recette qu'il appelleun prompt remède, et qui quelquefois est unpoison lent ; c'est un bien de famille, mais amélioréen ses mains ; de spécifique qu'il étoit contre la colique,il guérit de la fièvre quarte, de la pleurésie, del'hydropisie, de l'apoplexie, de l'épilepsie. Forcez unpeu votre mémoire, nommez une maladie, la premièrequi vous viendra en l'esprit : l'hémorragie, ditesvous?il la guérit. 11 ne ressuscite personne, il estvrai ; il ne rend pas la vie aux hommes, mais il lescon<strong>du</strong>it nécessairement jusqu'à la décrépitude; et cen'est que par hasard que son père et son aïeul, quiavoient ce secret, sont morts fort jeunes. Les médecinsreçoivent pour leurs visites ce qu'on leur donne;quelques-uns se contentent d'un remerciement. CarroCarri est si sûr de son remède et de l'effet qui en doitsuivre, qu'il n'hésite pas de s'en faire payer d'avance etde recevoir avant que de donner. Si le mal est incurable,tant mieux : il n'en est que plus digne de son applicationet de son remède. Commencez par lui livrer quelquessacs de mille francs, passez-lui un contrat de constitution,donnez-lui une de vos terres, la plus petite,et ne soyez pas ensuite plus inquiet que lui de votreguérison. L'émulation de cet homme a peuplé lemonde de noms en o et en i, noms vénérables, quiimposent aux malades et aux maladies. Yos médecins,Fagon *, et de toutes les facultés, avouez-le, neguérissent pas toujours, ni sûrement; ceux, au con-.traire, qui ont hérité de leurs pères la médecine prat\1. Le charlatan Caretti.2. Premier médecin <strong>du</strong> roi.^JT


Dlï QUELQUES USAGES.3G5%tique, et h qui l'expérience est eV.huc par succession,promettent toujours, et avec serments qu'on guérira,Qu'il est doux aux hommes de tout espérer d'une ma»ladie mortelle, et de se porter encore passablementbien à l'agonie I La mort surprend agréablement etsans s'être fait craindre; on la sent plutôt qu'on n'asongé à s'y préparer et à s'y résoudre. 0 FAGON ESCU-LAPE ! Faites régner sur toute la terre le quinquina etl'émétique; con<strong>du</strong>isez à sa perfection la science dessimples, qui sont donnés aux hommes pour prolongerleur vie ; observez dans les cures, avec plus deprécision et de sagesse que personne n'a encore fait,le climat, les temps, les symptômes et les complexions;guérissez de la manière seule qu'il convient à chacund'être guéri; chassez des corps, où rien ne vous estcaché de leur économie, les maladies les plus obscureset les plus invétérées; n'attentez pas sur cellesde l'esprit, elles sont incurables ; laissez à Corinne, hLesbie> à Canidie, a Trimalcion et à Corpus la passionou la fureur des charlatans.T L'on souffre dans la république les chiromancienset les devins, ceux qui font l'horoscope et qui tirentla figure, ceux qui connoissent le passé par le mouvement<strong>du</strong> sas, ceux qui font voir dans un miroir oudans un vase d'eau la claire vérité; et ces gens sont eneffet de quelque usage : ils prédisent aux hommesqu'ils feront fortune, aux fdles qu'elles épouserontleurs amants, consolent les enfants dont les pères nemeurent point, et charment l'inquiétude des jeunesfemmes qui ont de vieux maris ; ils trompent enfin àtrès-vil prix ceux qui cherchent à être trompés,Que penser de la magie et <strong>du</strong> sortilège? La théorieen est obscure, les principes vagues, incertains, etqui approchent <strong>du</strong> visionnaire. Mais il y a des faitsembarrassants, affirmés par des hommes graves quiles ont vus, ou qui les ont appris de personnes qui31.3k^^^^mt^^^^^^i-^^m .* ^ *«_•>.


^, r\ i,f3G0DE QUELQUES USAGES.leur ressemblent. Les admettre tous ou les nier tousparoîtun égal inconvénient, et j'ose dire qu'en cela,comme dans toutes les choses extraordinaires et qui, sortent des communes règles, il y a un parti à trouverentre les âmes cré<strong>du</strong>les et les esprits forts.ï L'on ne peut guère charger l'enfance de la connoissancede trop de langues, et il me semble quel'on devroit mettre toute son application à l'en instruire;elles sont utiles à toutes les conditions deshommes, et elles leur ouvrent également l'entrée ouà une profonde ou à une facile et agréable érudition.Si l'on remet cette étude si pénible à un âge un peuplus avancé, et qu'on appelle la jeunesse, ou l'on n'apas la force de l'embrasser par choix, ou l'on n'a pascelle d'y persévérer; et, si l'on y persévère, c'est consumerà la recherche des langues le même temps quiest consacré à l'usage que l'on en doit faire; c'estborner à la science des mots un âge qui veut déjà allerplus loin, et qui demande des choses; c'est au moinsavoir per<strong>du</strong> les premières et les plus belles années desa vie. Un si grand fonds ne se peut bien faire quelorsque tout s'imprime dans l'âme naturellement etprofondément; que la mémoire est neuve, prompteet fidèle; que l'esprit et le cœur sont encore vides depassions, de soins et de désirs, et que l'on est déterminerade longs travaux par ceux de qui l'on dépend.Je suis persuadé que le petit nombre d'habiles, oule grand nombre de gens superficiels, vient do l'oublide celte pratique.J L'étude des textes ne peut jamais être assez re-f} commandée; c'est le chemin le plus court, le plussûr et le plus agréable pour tout genre d'érudition.I\yez les choses de la première main, puisez à la\ source ', maniez, remaniez le texte, apprenez-le des...tjlI. C'est le propre des grands esprits de pressentir l'avenir, et d'indiquer


4r.71PB QUELQUES USAGES, 307«•mémoire, citez-le dans les occasions, songez surtoutà en pénétrer le sens dans toute son éten<strong>du</strong>e et dansses cïiconstances; conciliez un auteur original, ajustezses principes, tirez vous-même les conclusions.Les premiers commentateurs se sont trouvés dans lecas où je désire que vous soyez; n'empruntez leurslumières et ne suivez leurs vues qu'où les vôtres seroienttrop courtes; leurs explications ne sont pas àvous, et peuvent aisément vous échapper; vos observations,au contraire, naissent de votre esprit, et ydemeurent; vous les retrouvez plus ordinairement dansla conversation, dans la consultation et dans la dispute;ayez 16 plaisir de voir que vous n'êtes arrêtédans la lecture que par les difficultés qui sont invincibles,où les commentateurs et les scholiastes euxmêmesdemeurent *\iurts, si fertiles d'ailleurs, siabondants et si chargés d'une vaine et fastueuse éruditiondans les endroits clairs, et qui ne font de peineni à eux ni aux autres; achevez ainsi de vous convaincre,par celte méthode d'étudier, que c'est la paressqdes hommes qui a encouragé le pédantisme à grossirplutôt qu'à enrichir les bibliothèques, à faire périr letexte sous le poids des commentaires * ; et qu'elle aen cela agi contre soi-même et contre ses plus chersintérêts, en multipliant les lectures, les recherches etle travail qu'elle cherchoit à éviter,1 Qui règle les hommes dans leur manière de vivreet d'user des aliments? la santé et le régime? Cela estdouteux. Une nation entière mange les viandes aprèsfouvent plusieurs siècles à l'avance les méthodes qui doivent con<strong>du</strong>ire au progrèsdes sciences, ou tes reformes qui doivent améliorer l'état des sociétés.Sur cesdeui points \A Bruyère n'est jamais en défaut; par ces mots, puisez ùla source, il <strong>mont</strong>re aux érudits le chemin de la vérité.t. Il y a plus affaire à interpréter les interprétations qu'à interpréter lesshoses, et plus de livres sur les livres que sur aultre subject; nous ne faisouttjue nous entregloser. Tout formiile de commentaires : d'aucteurs il en estgta.dcherté.(.MosT4ic>E.-•** î^>"i^,T?1i'ï ÎT^^» * 5~-î- ";*, ~ Jm;.- ; , : , , ,


368 DE QUELQUES USAGES.les fruits ; une autre fait tout le contraire, Quelquesunscommencent leurs repas par de certains fruits etles finissentpar d'autres; est-ce raison?est-ce usage?Est-ce par un soin de leur santé que les hommes s'habillentjusqu'au menton, portent des fraises et descollets, eux qui ont eu si longtemps la poitrine découverte?Est-ce par bienséance, surtout dans untemps où ils avoient trouvé le secret de parollre nustout habillés? Et d'ailleurs, les femmes, qui <strong>mont</strong>rentleur gorge et leurs épaules, sont-elles d'une complexionmoins délicate que les hommes, ou moinssujettes qu'eux aux bienséances? Quelle est la pudeurqui engage celles-ci à couvrir leurs jambes etpresque leurs pieds, et qui leur permet d'avoir lesbras nus au-dessus <strong>du</strong> coude? Qui avoit mis autrefoisdans l'esprit des hommes qu'on étoit à la guerreou pour se défendre ou pour attaquer, et qui leuravoit insinué l'usage des armes offensives et des défensives?Qui les oblige aujourd'hui de renoncer àcelles-ci, et, pendant qu'ils se boitent pour aller aubal, de soutenir, sans armes et en pourpoint, des travailleursexposés à tout le feu d'une contrescarpe?Nos pères, qui ne jugeoient pas une telle con<strong>du</strong>iteutile au prince et à la patrie, étoient-ils sages ou insensés?Et nous-mêmes, quels héros célébrons-nousdans notre histoire?Un Guesclin, un Glisson, un Foix,un Boucicaut, qui tous ont porté l'armet et endosséune cuirasse. Qui pourroit rendre raison de la forlunede certains mots et de la proscription de quelquesautres? ,,Ains a péri ; la voyelle qui le commence, et si proprepour l'élision, n'a pu le sauver; il a cédé à unautre monosyllabe l , et qui n'est au plus que son anagramme.Certes est beau dans, sa vieillesse, et a en-Aî v-• T-'•> .iïtFÎ -,T ,! ."'.t» *I. Mais- (Note de La Bruyère.)- Y"


®UDE QUELQUES USAGES. 360•core de la force sur son déclin; la poésie le réclame,et notre langue doit beaucoup aux écrivains qui ledisent en prose, et qui se commettent pour lui dansleurs ouvrages, Maint est un mot qu'on ne devoitjamais abandonner, et par la facilité qu'il y a voit a lecouler dans le style, et par son origine, qui est françoise.Moult, quoique latin, étoit dans son temps d'unmôme mérite, et je ne vois pas par où beaucoup l'emsporte sur lui. Quelle persécution le car n'a-t-il paessuyéel et, s'il n'eût trouvé de la protection parmiles gens polis, n'étoit-il pas banni honteusement d'unelangue à qui il a ren<strong>du</strong> de si longs services, sans qu'onsût quel mot lui substituer? Cil a été dans ses beauxjours le plus joli mot delà langue françoise; il estdouloureux pour les poètes qu'il ait vieilli. Douloureuxne vient pas plus naturellement de douleur, quede chaleur vient chaleureux ou chaloureux; celui-ci sopasse, bien que ce fût une richesse pour la langue, etqu'il se dise fort juste où chaud ne s'emploie qu'improprement.Valeur devoit aussi nous conserver valeureux;haine, haineux\ peine, peineux; fruit, fructueux;pitié, piteux; joie, jovial; foi, féal; cour, courtois; gîte,gisant; haleine, halené; vanterie, vantard; mensonge,mensonger; coutume, coûtumicr; comme part maintientpartial; point, pointu et pointilleux; ton, tonnant ; son ysonore; frein, effréné; front, effronté; ris, ridicule; loi,loyal; cœur, cordial; bien, bénin; mal, malicieux* Heurse plaçoitoù bonheur ne sauroit entrer; il a Ml heureux,qui est si françois, et il a cessé de l'ôlre; siquelques poètes s'en sont servis,*c'est moins par choixque par la contrainte de la mesure. Issue prospère, etvient d*issir, qui est aboli. Fin subsiste sans conséquencepour finer, qui vient de lui, pendant que cesseet cesser régnent également. Verd.ne fait plus verdoyer;ni fête, fêtoyer: ni larme, larmoyer; ni deuil, se douloit\se condouloir; ni joie, s'éjouir, bien qu'il fasse•V-r^T?:-^^ .?-*v_„._


.-^s»•'i/1ÀS70DE QlTKî.Qlir.S USAGES,toujours se réjouir, se conjouir, ainsi ([u'orgueil, s'enorgueillir.On a dit gent, le corps gent; ce moisi facileuùn»scu!cmonl csl tombé, l'on voit môme qu'il a entraînégentil dans sa chute, On dit diffamé, qui dérivede famé, qui ne s'entend plus. On dit curieux, dérivéde cure, qui est hors d'usage. Il y avoit a gagner dedire */ que pour de sorte que, ou de manière que; demoi, au lieu do pour moi ou de quant à moi; de direje sais que c'est qu'un mal, plutôt- quo/e sais ce que c'estqu'un mal, soit par l'analogie latine, soit par l'avantagequ'il y a souvent à avoir un mot de moins a placerdans l'oraison, l/usagc a préféré jw»' conséquent h parconséquence, cl en conséquence a en conséquent; façonsde faire a manières de faire, et manières d'agir h façonsd'agir...; dans lesverbes, travailler houvrer, être accoutuméà souloir, convenir h <strong>du</strong>ire, faire <strong>du</strong> bruit à bruire,injurier h vilainer, piquer h poindre, faire ressouvenir hramentevoir...', et dans les noms, pensées a pensers, unsi beau mot, et dont le vers se trouvoit si bien; gran»des actions a prouesses, louanges à loz, méchanceté à mauvaistié,porte à huis, navire à nef, armée à ost, monas'tère à monstier,prairies à prées...; tous mots qui pouvoient<strong>du</strong>rer ensemble d'une égale beauté, et rendreune langue plus abondante. L'usage a, par l'addition,la suppression, le changement ou le dérangement dequelques lettres, fait frelater de fralaier, prouver depreuver, profit de proufit, froment de froument, profil,de pour fil, provision depourveoir, promener de pourmener,et promenade de pourmeno.de. Le môme usage fait,selon l'occasion, d'habile, d'utile, de facile, de docile ',t -l^* /i « On voit p^r la dissertation philologique ci-dessus combien La Bruyère avait; E t étptît curieux et éveillé sur toutes choses ; <strong>du</strong> reste, au di**seplicme sic ?e,atosi qic dans ta seconde moitié <strong>du</strong> siècle précédent, les questions de grammairetavaient le privilège d'occuper Irès-viveaient l'attention publique, maïs citesIportaient surtout sur l'orthographe el la prononciation, et notre auteur estlTua des premiers qui ateot tenté de les étudier au point de vue historique.I .Ici encore H a indiqué la voie aux philologues modernes, et il leur a pouri _v •.1-


v-3"4"DK QJRI.QCKS USAGES, 371de mobile et de fertile, sans y rien changer, des genresdifférents; au contraire de vil, vilc> subtil y subtile,selon leur terminaison, masculins ou féminins. Il aaltéré les terminaisons anciennes : de scel il a faitsceau; de mantel, manteau; de capel, chapeau ; do, coutel,couteau; de hamel, hameau; dvdamoisel, damoiseau;de jouvenedy jouvenceau; et cela sans que l'onvoie guère ce que la langue Françoise gagne à ces différenceset a ces changements. Est-ce donc fairepour le progrès d'une langue que de déférer à l'usage?Seroit-il mieux de secouer le joug de son empire sidespotique? Faurdoit-il, dans une langue vivante,écouter la seule raison, qui prévient les équivoques,suit la racine des mots et le rapport qu'ils ont avecles langues originaires dont ils sont sortis, si la raison,d'ailleurs,.veut qu'on suive l'usage?Si nos ancêtres ont mieux écrit que nous, ou sinous l'emportons sur eux par ic choix des mots, 'parle tour et l'expression, par la clarté et la brièveté <strong>du</strong>discours, c'est une question souvent agitée, toujoursindécise; on ne la terminera point en comparant,comme l'on fait quelquefois, un froid écrivain de l'autresiècle aux plus célèbres de celui-ci, ou les vers deLaurent, payé pour ne plus écrire, à ceux de MAROTet de DEsrouTES. Il faudroit, pour prononcer juste surcette matière, opposer siècle à siècle et excellentouvrage à excellent ouvrage, par exemple les meilleursrondeaux de BEXSERADE OU de VOITURE à cesdeux-ci, qu'une tradition nous a conservés, sans nousen marquer le temps ni l'auteur.ainsi dire trace le programme de leurs Iravaut. Qujlques-unes des demsadoque se faît ici La Rruyère ont reçu de notre temps dîi &satisfaisantes: roir, ait?* autres: F. Gêmu f Des toriations <strong>du</strong> langage frau*çaîs depuis te Xtl* siècle; — Frat;ci$ Wey, Histoire des r


* '-f >«r.£4k( •.*4f"\ -i\î 'ti1\it«L i«1£,Çt.i/**_ï*r•t•s*•T*mi**b72DE QUELQUES USAGES.Bien à propos s'en vint Ogier * en FrancePour le païs de mescreans monder;Jà n'est besoin de conter sa vaillance,Puisque ennemis n'osoient le regarde.**Or f quand il eut tout mis en assurance,De voyager il voulut s'enhardei ;En Paradis trouva l'eau de Jouvanco,Dont il se sceut de vieillesse engardcrBien à propos*Puis par celte eau son corps tout décrépiteTransmué fut par manière subiteEn jeune gars, frais, gracieux et droit.1f~1tà-î'i -iti.ji* -toIf"1w*î'Cl*' : 'rftit*.i.*ï*•'éit**ffifî•ftirt*i'"li-r±j. f>1" *ff.*-'8,"^î•i»*.# /M*Vfc*r-^ -*r~ï>.ï-,'f :r .""•"!• t •;VJ"r*•••' *•*• *„l : >s* mî.ï' ' '.-h '* --Grand dommage est qui ceci soit sornettes;Filles connoys que ne sont pas jeunettes,A qui celte eau de Jouvance viendroitBien h propos.De cettuy preux maints grands clercs ont tvrltQu'oncques dangier n'étonna son courage;Abusé fut par le malin esprit,Qu'il épousa sous féminin visage.Si piteux cas à la fin découvrit,Sans un seul brin de peur ny de dommage,Dont grand renom par tout le monde acquit,SI qu'on tenait très honneste langageDe cettuy preux,t. Ogier, que l'on trouve aussi appelé Otgîer ou Aulcaire, et que les rt/-manclers qui se sont chargés d'embellir les hauts faits de Charlemague ontsurnommé Ogier le Danois, figura parmi les plus braves paladins de ces tempschevaleresques. Il fut l'émule de Roland, de Renaud deMontauban, etc. Ogierperdit les bonnes grâces de Charlemagae en protégeant contre lui l'élévation<strong>du</strong> Ris de Carloman ; il obtint ensuite son pardon, et fatigué <strong>du</strong> métier desArmes, il se Gt religieux dans l'abbaye de Saint-F&ron de Meaux où il mourutdans la dernière moitié <strong>du</strong> neuvième siècle* Ogier le Danois est le héros d'unochanson de Geste dont on trouve l'analyse dans le vingt-deuxième volume dol'Histoire littéraire de ta France, pages 643-659^- V*•'• *.t" V; -*..' Î-",T_*"^_,Vm.P:. -r,m-t


DE QUELQUES USAGES, 373Bien-tos* après fllle de roy s'épritDe son amour, qui voutenliers s'offritAu bon Richard en second mariago.Donc s'il vaut mieux de diable ou femme avoir,Et qui des deux bruït plus en ménage,CeuU qui voudront, si le pourront sçavoirDo cettuy preux.f-*J--32•y.


DE LA CHAIRE.) ,Le discours chrétien est 'J


-.*"' î\.yi• %.1)-1tyh• t11 *t.i.t'r ,tt *i '? ti 1\ * ,DE tA CHAIRE. 375livre <strong>du</strong> philosophe, et il ne devient ni chrétien niraisonnable.S Jusqu'à ce qu'il revienne un homme qui, avec unstyle nourri des saintes Écritures, explique au peuplela parole divine uniment et familièrement, les orateurset les déclamateurs seront suivis,\ Les citations profanes, les froides allusions, lemauvais pathétique, les antithèses, les figures outrées,ont fini ; les portraits finiront et feront place àune simple explication de l'Évangile, jointe aux mouvementsqui inspirent la conversion.T Cet homme que je souhaitois impatiemment, etque je ne daignois pas espérer de notre siècle, est enfinvenu. Les courtisans, à force de goût et de connoîtreles bienséances, lui ont applaudi; ils ont,chose incroyable ! abandonné la chapelle <strong>du</strong> roi pourvenir entendre avec le peuple la parole de Dieu annoncéepar cet homme apostolique x . La ville n'apas été de l'avis de la cour : où il a prêché, les paroissiensont déserté; jusqu'aux marg*.-Miiers ont disparu;les pasteurs ont tenu ferme, mais les ouailles se sontdispersées, et les orateurs voisins en ont grossi leurauditoire. Je devois le prévoir et ne pas dire qu'un telhomme n'avoit qu'à se <strong>mont</strong>rer pour être suivi, etqu'à parler pour être écouté : ne savois-jc pas quelleest dans les hommes, et en toutes choses, la force indomptablede l'habitude? Depuis trente années onprête l'oreille aux rhéteurs, aux déclamateurs, aux énumérateurs;on court ceux qui peignent en grand ou enminiature. II n'y a pas longtemps qu'ils avoient deschutes ou des transitions ingénieuses, quelquefois mêi.Le P. Séraphin, capucin. (Note de La bruyère.) Ce célèbre capuctadéploya son talent dans tes principales églises de Parts, et prêcha devant le roi1rs caièraesde I69G et 1693. H mourut quelque temps après. Le P. Séraphina laissé un grand nombre d'homélies sur les évangiles et épttres publiéesk Paris, de t694 à 1703, et formant douze volumes.


lx*•• fi 3 7 6 DE L \ C H A I R E ,tme si vives et si aiguôs qu'elles pouvoient passer pourépigrammes; ils les ont adoucies, je l'avoue, et ce nesont plus que des madrigaux. Ils ont toujours, d'unenécessité indispensable et géométrique, trois sujetsadmirables de vos attentions ; ils prouveront une tellechose dans la première partie de leur discours, cette)M,autre dans la seconde partie, et cette autre encoredans la troisième. Ainsi vous serez convaincu d'abordrjd'une certaine vérité, et c'est leur premier point;\ lj d'une autre vérité et c'est leur second point; et puisd'une troisième vérité, et c'est leur troisième point.il\: ^De sorte que la première réflexion vous instruira d'untprincipe des plus fondamentaux de votre religion ; laseconde d'un autre principe qui ne l'est pas moins;et la dernière réflexion, d'un troisième et dernier\ uprincipe, le plus important de tous, qui est remispourtant, faute de loisir, à une autre fois. Enfin, pourreprendre et abréger cette, division et former unplan.,., Encore! dites-vous, et quelles préparationspour un discours de trois quarts d'heure qui leurreste à faire ! Plus ils cherchent à le digérer et à l'éclaircir,plus ils m'embrouillent. Je vous crois sanspeine, et c'est l'efTet le plus naturel de tout cet amas*d'idées qui reviennent a la même, dont ils chargentisans pitié ta mémoire de leurs auditeurs. Il semble, àles voir s'opiniâtrer à cet usage, que la grâce "île lacon\ersion soit attachée à ces énormes partitions.Comment, néanmoins, 'seroit-on converti par de telsapôtres, si l'on ne peut qu'à peine les entendre articuler,les suivre et ne les pas perdre de vue? Je leurdcmanderois volontiers qu'au milieu de leur courseimpétueuse, ils voulussent plusieurs fois reprendrehaleine, souffler un peu et laisser souffler leurs auditeurs.Vains discours, paroles per<strong>du</strong>es I Le temps deshomélies n'est plus ; les Basile, les Chrysostôme, nele ramèneroient pas ; on passeroit en d'autres diocèses\Sts ss~> •'•m


P **,'7DE LA CHAIRR. 377pour être hors de là portée de leur voix et de leurs familièresinstructions. Le commun des hommes aimeles phrases et les périodes, admire ce qu'il n'entendpas, se suppose instruit, content de décider entre unpremier et un second point, ou entre le dernier sermonet le pénultième.ï II y a moins d'un siècle qu'un livre françois étoitun certain nombre de pages latines, où Ton découvroitquelques, lignes ou quelques mots en notre langue.Les passages, les traits et les citations n'en étoient pasdemeurés là : Ovide et Catulle achevoient de déciderdes mariages et des testaments, et venoient a\eclesPandectes au secours de la veuve et des pupilles. Lesacré et le profane ne ne quittoient point; ils s'étoientglissés ensemble jusque dans la chaire ; saint Cyrille,Horace, saint Cyprien, Lucrèce, ' partaient alternativement; les poètes étoient de l'avis de saint Augustinet de tous les Pères ; on partait latin, et longtemps,devant des femmes et des màrguilliers; on a parlégrec : il falloit sîivoir prodigieusement pour prêchersi mal. Autre temps, autre usage : le texte est encorelatin, tout le discours est françois, et d'un beau françois; l'Évangile môme n'est pas cité ; il faut savoiraujourd'hui très-peu de chose pour bien prêcher.T L'on a enfin banni la scolastique de toutes leschaires des grandes villes, et on l'a reléguée dans lesbourgs et dans les villages pour l'instruction et pour tasalut <strong>du</strong> laboureur et <strong>du</strong> vigneron.ï C'est avoir de l'esprit que de plaire au peupledans un sermon par un style fleuri, une morale enjouée,des figures réitérées, des traits brillants et devives descriptions; mais ce n'est point en avoir assez.Un meilleur esprit néglige ' ces ornements étrangers,î' i*Sts•1w' I11iii :0:M*;• i ••hfiui. '-m. Un meilleur esprit condamne dans les autres, et négligepwr 01.32.! : • •j


erir*373 DE LA CHAIRE.indignes de servir à l'Évangile; il proche simplement,» fortement, chrétiennement.' \ L'orateur fait de si belles images de certains désordres,y fait entrer des circonstances si délicates,met tant d'esprit, de tour et de raffinement dans celuiqui pèche, que, si je n'ai pas de pente à vouloirressembler à ses portraits, j'ai besoin <strong>du</strong> moins quequelque apôtre, avec un style plus chrétien, me dégoûtedes vices dont l'on m'avoit fait une peinture siagréable.f Un beau sermon est un discours oratoire qui estidans toutes ses règles, purgé de tous ses défauts, conformeaux préceptes de l'éloquence humaine, et paréde tous les ornements de la rhétorique. Ceux qui entendentfinement n'en perdent point le moindre traitni une seule pensée ; ils suivent sans peine l'orateurdans toutes les énuméralions où il se promène,comme dans toutes les élévations où il se jette ; cen'est une énigme que pour le peuple.ï Le solide et l'admirable discours que celui qu'onvient d'entendre l Les points de religion les plus essentiels,comme les plus pressants motifs de conversion,y ont été traités ; quel grand effet n'a-t-il pasdû faire sur l'esprit et dans l'âme de tous les auditeurst Les voilà ren<strong>du</strong>s ; ils en sont émus et touchésau point de résoudre dans leur cœur, sur ce sermonde Théodore, qu'il est encore plus beau que le dernier| qu'il a prêché.


*3=&V^- -sS:3ri*.**- vri• ï4DR LA CHAIRE. 2/9ment, celui de l'écouler avidement avec goût, avecAdmiration, avec éloges, et de n'en faire cependant nipis, ni mieux.L'on peut faire ce reproche à l'héroïque vertu desgrands hommes, qu'elle a corrompu l'éloquence, ou<strong>du</strong> moins amolli le style de la plupart des prédicateurs.Au lieu de s'unir seulement avec les peuplespour hénir le Ciel de si rares présents qui en sontvenus, ils ont entré en société avec les auteurs et tespoètes; et, devenus comme eux panégyristes, ils ontenchéri sur les épîtres dédicatoires, sur les stances etsur les prologues ; ils ont changé la parole sainte enun tissu de louanges, justes à la vérité, mais matplacées, intéressées, que personne n'exige d'eux, clqui ne conviennent point à leur caractère. On est heureuxsi, à l'occasion <strong>du</strong> héros qu'ils célèbrent jusquedans le sanctuaire, ils disent un mot de Dieu et <strong>du</strong>mystère qu'ils devoientprécher ; il s'en est trouvé quelques-unsqui, ayant assujetti le saint Évangile, quidoit être commun a tous, à la présence d'un seul auditeur! , se sont vus déconcertés par des hasards quile rctenoîent ailleurs, n'ont pu prononcer devant deschrétiens un discours chrétien qui n'étoit pas faitpour eux, et ont été suppléés par d'autres orateursqui n'ont eu le temps que de louer Dieu dans un sermonprécipité.1 Théo<strong>du</strong>le a moins réussi que quelques-uns de sesauditeurs ne l'appréhendoicnl; ils sont contents delui et de son discours ; il a mieux fait a leur'gré quede charmer l'esprit et les oreilles, qui est de ilalterleur jalousie.5 Le métier de la parole ressemble en une chose àli L'abbé A


fvrt;i»380 DE lA CHAIRE.celui de la guerre : il y a plus de risques qu'ailleurs,mais la fortune y est plus rapide.T Si vous êtes d'une certaine qualité, et que vous ne' vous sentiez point d'autre talent que celui de faire defroids discours, prêchez, faites de froids discours : iln'y a rien de pire pour sa fortune que d'être entièrementignoré. Théodat a été payé de ses mauvaisesphrases et de son ennuyeuse monotonie.T L'on a eu de grands évêchés par un mérite dechaire qui présentement ne vaudroit pas à son hommeune simple prébende.1 Le nom de ce panégyriste semble gémir sous lepoids des titres dont il est accablé; leur grand nombreremplit de vastes affiches qui sont distribuéesdans les maisons, ou que l'on lit par les rues en caractèresmonstrueux, et qu'on ne peut non plus ignorerque la place publique. Quand, sur une si belle <strong>mont</strong>re,l'on a seulement essayé <strong>du</strong> personnage, et qu'onl'a un pou écouté, l'on reconnoît qu'il manque au dénombrementde ses qualités celle de mauvais prédicateur.T L'oisiveté des femmes, et l'habitude qu'ont leshommes de les courir partout où elles s'assemblent,donnent <strong>du</strong> nom à de froids orateurs et soutiennentquelque temps ceux qui ont décliné.1) evroit -il suffire d'avoir été grand et puissantdans le monde pour être louable ou non, et devant lesaint autel et dans la chaire de la vérité, loué et célébréà ses funérailles? N'y a-t-il point d'autre grandeur quecelle qui vient de l'autorité et de la naissance? Pourquoin'est-il pas établi de faire publiquement le panégyriqued'un homme qui a excellé pendant sa vie dansla bonté, dans l'équité, dans la douceur, dans lafidélité, dans la piété ? Ce qu'on appelle une oraisonfunèbre n'est aujourd'hui bien reçue <strong>du</strong> plus grandnombre des auditeurs qu'à mesure qu'elle s'éloigne": *4, \•a" y,•


' • V F * *1*• 'M•M•SrDE LA CHAIRE. 38!davantage <strong>du</strong> discours chrétien, ou, si vous l'aimezmieux ainsi, qu'elle approche de plus près d'un élogeprofane.\ L'orateur cherche par ses discours un évôché ;l'apôtre fait des conversions; il mérite de trouver ceque l'autre cherche.1 L'on voit des clercs l revenir de quelques provincesoù ils n'ont pas fait un long séjour, vains des conversionsqu'ils ont trouvées toutes faites, comme decellesqu'ils n'ont pu faire, se comparer déjà aux VINCENT 2 etaux XAVIER 8 , et se croire des hommes apostoliques ;de si grands travaux et de si heureuses missions neseroientpas, à leur gré, payées d'une abbaye.T Tel, tout d'un coup, et sans y avoir pensé la veille,prend <strong>du</strong> papier, une plume, dit en soi-mômc : Jevais faire un livre, sans autre talent pour écrire quele besoin qu'il a de cinquante pistoles. Je lui cric inutilement: Prenez une scie, Dioscore^ sciez, ou bientournez, ou faites une jante de roue ; vous aurez votresalaire 4 . Il n'a point fait l'apprentissage de tous cesmétiers. Copiez donc, transcrivez, soyez au plus correcteurd'imprimerie, n'écrivez point. Il veut écrire1. Des ecclésiastiques. (Note âe La Bruyère.)2. Saînt-Yincent df Paul, né le 24 avril 1576, dam le diocèse d'Acqs,ob*tint par son sont mérite la place d'aumônier général des galère*,


\i 382 DE LA CHAIRE.4 ; et faire imprimer, et parce qu'on n'envoie pas à 1\ primeur un cahier blanc, il le barbouille de ce qui/ • plaît : il écriront volontiers que la Seine coulParis, qu'il y a sept jours dans la semaine, ou qutemps esta la pluie; et comme ce discours n'est(\i\} .\j;contre la religion ni contre l'État, et qu'il ne fera pod'autre désordre dans le public que de lui gâtergoût, et l'accoutumer aux choses fades et insipides»passe à l'examen, il est imprimé, et, à la hontesiècle, comme pour l'humiliation des bons auteuréimprimé. De même, un homme dit en son cœuJe prêcherai, et il prêche; le voilà en chaire, saautre talent ni vocation que le besoin d'un bénéfice.} Un clerc mondain et irréligieux,. s'il <strong>mont</strong>e echaire, est deelamateur.il y a au contraire des hommes saints, et dont 1seul caractère est efficace pour la persuasion ; ils paroissent, et tout un peuple qui doit les écouter esdéjà ému et comme persuadé par leur présence; 1discours qu'ils vont prononcer fera le reste.1 L\ de Mcaux 1 et le P. Bourdalouc me rappellentDémosthônes.ct Cicéron. Tous deux, maîtres dansl'éloquence de la chaire, ont eu le destin des grandsmodèles : l'un a fait de mauvais censeurs, l'autre demauvais copistes.^ L'éloquence de la chaire, en ce qui y entre d'humainet <strong>du</strong> talent de l'orateur, est cachée, connue depeu de personnes, et d'une difficile exécution. Quelart en ce genre pour plaire en persuadant 1 11 fautmarcher par, des chemins battus, dire ce qui a étédit, et ce que l'on prévoit que vous allez dire. Les1. L'. de M-mu^c'cst-a-dirc l'évèque de Meaui, Bossuet. — J'altte Desprcauid'avoir dit que Pascal était cgalemeut au-dessus des anciens et dclmodernes. J'ai pensé quelquefois, sans oser le dire, qu'il n'avait pas moinld'éloquence que Demoslhèncs. S'il m'appartenait de' juger de si grands hotniii-'f,je dirais encore que Bossuet est plus tnajeslueut et plus sublime qu'au»tu:» dis Homaii.scl des Grecs. (VACvrîoftccrsO


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i384 DE LA CHAIRE.génie, d'imagination, d'érudition et de mémoire, neleur sert souvent qu'à s'en éloigner.La fonction de l'avocat est pénible, laborieuse, cl: suppose, dans celui qui l'exerce, un riche fonds et degrandes ressources. 11 n'est pas seulement chargé,comme le prédicateur, d'un certain nombre d'oraisonscomposées avec loisir, récitées de mémoire, avecautorité, sans contradicteurs, et qui, avec de médiocreschangements, lui font honneur plus d'une fois; ilprononce de graves plaidoyers devant des juges quipeuvent lui imposer silence, et contre des adversairesqui l'interrompent; il doit être prêt sur la réplique;il parle en un môme jour, dans divers tribunaux, dedifférentes affaires. Sa maison n'est pas pour lui unlieu de repos et de retraite, ni un asile contre les plaideurs,elle est ouverte à tous ceux qui viennent, l'accablerde leurs questions et de leurs doutes ; il ne semet pas au lit, on ne l'essuie point, on ne lui préparcpoint des rafraîchissements ; il ne se fait point danssa chambre un concours de monde de tous les étalset de tous les sexes pour le féliciter sur l'agrément etsur la politesse de son langage, lui remettre l'espritsur un endroit où il a couru risque de demeurer court,ou sur un scrupule qu'il a sur le chevet d'avoir plaidémoins vivement qu'à l'ordinaire. Il se délasse d'unlong discours par de plus longs écrits, il ne fait quechanger de travaux et de fatigues ; j'ose dire qu'il estdans son genre ce qu'étoient dans le leur les premiershommes apostoliques.Quand on a ainsi distingué l'éloquence <strong>du</strong> barreaude la fonction de l'avocat, et l'éloquence de la chaire<strong>du</strong> ministère <strong>du</strong> prédicateur, on croit voir qu'il estplus aisé de prêcher que de plaider, et plus difficilede bien prêcher que de bien plaider 1 .mT,,( -\\•*• ,V -t» ." vS -V'r V ' k\ * -_^< r'm •- 'V.VS17:4V- *ï , -Ai'.: "£•' -'S1. Montaigne a fait la thème comparaison, Essad, H». I, cb. t» — !,aOtuyère i'c»t évidemment Inipirédt» patsage que noui Indiquons ici.


'•*•- **•£* J.^ •*- • *&***' * ^.^*CM*.


" > •'lf.;f..386 DE LA CHAIRE.^ S'il arrive que les méchants vous haïssent et vouspersécutent, les gens de bien vous conseillent de voushumilier devant Dieu, pour vous mettre en gardecontre la vanité qui pourroit vous venir de déplaire àdes gens de ce caractère : de môme, si certains hommes,sujets à ?e récrier sur le médiocre, désapprouventun ouvrage que vous aurez écrit, ou un discoursque vous venez de prononcer en public, soit au barreau,soit dans la chaire, ou ailleurs, humiliez-vous;on ne peut guère être exposé à une tentation d'orgueilplus délicate et plus prochaine.T II me semble qu'un prédicateur devroit faire choixdans chaque discours d'une vérité unique, mais capitale,terrible ou instructive, la manier à fond, etl'épuiser; abandonner toutes ces divisions si recherchées,si retournées, si remaniées et si différenciées ;ne point supposer ce aui est faux, je veux dire que legrand ou le beau monde sait sa religion et ses devoirs;et ne pas appréhender de faire, ou à ces bonnes têtes,ou à ces esprits si raffinés, des catéchismes 1 ; ce tempssi long que l'on use à composer un long ouvrage,l'employer à se rendre si maître de sa matière, quele tour et les expressions naissent dans l'action, etcoulent de source ; se livrer, après une certaine préparation,à son génie et aux mouvements qu'un grandsujet peut inspirer; qu'il pourroit enfin s'épargner cesprodigieux efforts de la mémoire, qui ressemblentmieux à une gageure qu'à une affaire sérieuse, quicorrompent le geste et défigurent le visage ; jeter aucontraire, par un bel enthousiasme, la persuasiondans les esprits et l'alarme dans le cœur, cl toucherses auditeurs d'une toute autre crainte que de celle dele voir demeurer court.*•' •*>• ' A:I< Fcueton dit eiactemeut la même chose dans te dialogue Ut sur Vilo*


'!• •r* '•ma• * J ' *5t'"-V"DE LA CHAIRE. 387^r:^3M•îî^ Que celui qui n'est pas encore assez parfait pours'oublier soi-môme dans le ministère de la parolesainte ne se décourage point par les règles austèresqu'on lui prescrit, comme si elles lui ôtoient lesmoyens de faire <strong>mont</strong>re de son esprit, et de <strong>mont</strong>eraux dignités où il aspire : quel plus beau talent quecelui de prêcher apostoliquement? et quel autre méritemieux un évôché? FéNKLON en étoil-i! indigne? auroit-ilpu échapper au choix <strong>du</strong> prince que par unautre choix ?•**t1 > *'_ -*:a•


ï\JKIDES ESPRITS FORTS.Les esprits forts savent-ils qu'on les appelle ainsipar ironie '? Quelle plus grande foiblesse que d'ôtréincertain quel est le principe de son être, de sa vie,de ses sens, de ses connoissances, et quelle en doitÊtre la fin? Quel découragement plus grand que dedouter si son âme n'est point matière comme la pierreet le reptile, et si elle n'est point corruptible commeces viles créatures? N'y a-t-il pas plus de force et degrandeur à recevoir dans notre esprit l'idée d'un ôlresupérieur à tous les ôtrse. qui les a tous faits, et à quitous se doivent rapporter; d'un ôtre souverainementparfait, qui est pur, qui n'a point commencé et quine peut finir, dont notre âme est l'image, et, si j'osedire, une portion, comme esprit et comme immortelle?î Le docile et le foible sont susceptibles d'impressions: l'un en reçoit de bonnes, l'autre do mauvaises;c'est-à-dire que le premier est persuadé et fidèle, etque le second est entôté et corrompu. Ainsi l'espritdocile admet la vraie religion, et l'esprit foible oun'en admet aucune, ou en admet une fausse ; or l'espritfort ou n'a point de religion, ou se lait une religion: donc l'esprit fort, c'est l'esprit foible.1 J'appelle mondains, terrestres ou grossiers, ceuxf .-.I ~r; ^> ii 1v-yh+ .-\-î .-•* t . •.*,IL-*- ïi • • :tï *-Z\i.-.•-5,*' '-'^'< u. -


,"5•i>-•r tDES ESPRITS FORTS. 389dont l'esprit et le cœur sont attachés à une petite portionde ce monde qu'ils habitent, qui est la terre; quin'estiment rien, qui n'aiment rien au delà : gens aussilimités que ce qu'ils appellent leurs possessions ouleur domaine, que l'on mesure, dont on compte lesarpents, et dont on <strong>mont</strong>re les bornes. Je ne m'étonnepas que des hommes qui s'appuient sur un atomechancellent dans les moindres efforts qu'ils font pour*J sonder la vérité, si avec des vues si courtes ils nepercent point, à travers le ciel et les astres, jusques àDieu môme; si, ne s'apercevant point ou de l'excellencede ce qui est esprit, ou de la dignité de l'âme,ils ressentent encore moins combien elle est difficileà assouvir, combien la terre entière est au-dessous.Vç.•îd'elle, de quelle nécessité lui devient un être souverainementparfait, qui est Dieu, et quel besoin indispensableelle a d'une religion qui le lui indique, etqui lui en est une caution sûre. Je comprends au contrairefort aisément qu'il est naturel à de tels espritsde tomber dans l'incré<strong>du</strong>lité ou l'indifférence, et defaire servir Dieu et la religion à la politique, c'est-àdireà l'ordre et à la décoration de ce monde, la seulechose, selon eux, qui mérite qu'on y pense.ï Quelques-uns achèvent de se corrompre par delongs voyages, et perdent le'peu de religion qui leurrestait; ils voient de jour à autre un nouveau culte,diverses mœurs, diverses cérémonies; ils ressemblentà ceux qui entrent dans les magasins, indéterminéssur le choix des étoffes qu'ils veulent acheter : legrand nombre de celles qu'on leur <strong>mont</strong>re les rendplus indifférents ; elles ont chacune leur agrément etleur bienséance; ils ne se fixentpoint, ils sortent sansemplette.11 y a des hommes qui attendent à être dévots etreligieux que tout le monde se déclare impie et libertin: ce sera alors le parti <strong>du</strong> vulgaire; ils sauront s'en33.


\6 ••rrzmHt390 lïES KSPIUTS FUIVTS.h , dégager. La singularité leur plaît dans une matièresi sérieuse et si profonde ; ils ne suivent la mode et le; train commun que dans les choses de rien et de nulle| suite; qui sait môme s'ils n'ont pas déjà mis une.orte de-bravoure et d'intrépidité à courir tout le risquede l'avenir? Il ne faut pas d'ailleurs que, dans unecertaine condition, avec une certaine éten<strong>du</strong>e d'espritet de certaines vues, l'on songe à croire comme lessavants et le peuple.T L'on doute de Dieu dans une pleine santé, commel'on doute que ce soit pécher que d'avoir un commerceavec une personne libre * ; quand l'on devient'.[malade, et que lîiydropisie est formée, l'on quitte sa, i concubine, et l'on croit en Dieu.1 11 faudrait s'éprouver et s'examiner très-sérieusementavant que de se déclarer esprit fort ou libertin %| afin, au moins, et selon ses principes, de finircommeFïÏl'on a vécu ; ou, si l'on ne se sent pas la force d'allersi loin, se résoudre de vivre comme l'on veut mourir,ï Toute plaisanterie dans un homme mourant estt hors de sa place 3 ; si elle rouie sur de certains cha- j-i pitres, elle est funeste. C'est une extrême misère que fide donner à ses dépens, à ceux que l'on laisse, le |*>plaisir d'un bon mot. \ 1Dans quelque prévention que l'on puisse être sur cequi doit suivre la mort, c'est une chose bien sérieuseque de mourir; ce n'est point alors le badinage quisied bien, mfiis la constance.;•-•*t";.'9•;t- •-*GV. t. Une fille» (Note de La Druyère.)|. î. On appelait libertin au dii-huiticme siècle ce qu'on appelle aujourd'hui\ un libre penseur> en prenant te mot en mauvaise part*\3* De ces viles âmes de bouffons, (I s*cn est trouvé qui n'ont voulu aban*do mer leur raillerie en la mort racsme. (MONTAIOKB.) ~ L'inlréptdilé d'unho i.tnc Incré<strong>du</strong>le, mais mourant» ne peut te garantir de quelque trouble, s'il[ rat son ne ainsi s je nie suis trompé mille fois sur mes plus palpables intérêts,iet j'ai pu me tromper encore sur la religion* Or, je n'ai plus te temps de t'ap*tprofotidir et je i.ieurs,*, (ViuvfiXAftCiEf.}


*s. r"DES ESPMTS F0UTS. 391S'y.• Si•S"£#«Ir*i1 II y a eu de tout temps de ces gens d'un bel espritet d'une agréable littérature, eclaves des grands dontils ont épousé le libertinage et porté le joug touteleur vie contre leurs propres lumières et contre leurconscience. Ces hommes n'ont jamais vécu que pourd'autres hommes, et ils semblent les avoir regardéscomme leur dernière fin 1 . Ils ont eu honte de se sauverà leurs yeux, de paroîtrc tels qu'ils étoient peutêtredans le cœur, et ils se sont per<strong>du</strong>s par déférenceou par foi blesse. Y a-t-il donc sur la terre des grandsassez grands, et des puissants assez puissants, pourmériter de nous que nous croyions et que nous vivionsà leur gré, selon leur goût et leurs caprices, et quenous poussions la complaisance plus loin, en mourantnon de la manière qui est la plus sûre pour nous,mais de celle qui leur plaît davantage ?f J'exigerois de ceux qui vont contre le train communet les grandes règles qu'ils sussent plus que lesautres, qu'ils eussent des raisons claires, et de ces argumentsqui emportent conviction.1 Je voudrois voir un homme sobre, modéré, chaste,équitable, prononcer qu'il n'y a point de Dieu : ilparleroit <strong>du</strong> moins sans intérêt; mais cet homme nese trouve point.T J'aurois une extrême curiosité de voir celui quiseroit persuadé que Dieu n'est point : il me diroit<strong>du</strong> moins la raison invincible qui a su le convaincre.5 L'impossibilité où je suis de prouver que Dieun'est pas me découvre son existence.IDieu condamne et punit ceux qui l'offensent, seuljuge en sa propre cause ; ce qui répugne , s'il n'estlui-même la justice et la vérité, c'est-à-dire s'il n'estDieu.1 Je sens qu'il y a un Dieu, et je ne sens pas qu'ilt. Vin. Çcmme leur Dieu cl leur dwiiire (ou


i • r,'.f «si f t.392 DES ESPRITS FORTS.n'y en ait point; cela me suffit, tout le raisonnement<strong>du</strong> monde m'est inutile 1 : je conclus que Dieu existe.Cette conclusion est dans ma nature ; j'en ai reçu les> principes trop aisément dans mon enfance, etjc les aiconservés depuis trop naturellement dans un Âge plusavancé, pour les soupçonner de fausseté ; mais il y ades esprits qui se défont de ces principes. C'est unegrande question s'il s'en trouve de tels; et, quand ilseroit ainsi, cela prouve seulement qu'il y a desmonstres.ï L'athéisme n'est point. Les grands, qui en sont leplus soupçonnés, sont trop paresseux pour décider enleur esprit que Dieu n'est pas ; leur indolence va jusqu'àles rendre froids et indifférents sur cet article sicapital, comme sur la nature de leur âme, et sur lesconséquences d'une vraie religion ; ils ne nient* -?vi|ii' ces choses ni ne les accordent ; ils n'y pensent point.\ Nous n'avons pas trop de toute notre santé, detoutes nos forces et de tout notre esprit, pour penseraux hommes ou au plus petit intérêt; il semble aucontraire que la bienséance et la coutume exigent denous que nous ne pensions à Dieu que dans un état oùil ne reste en nous qu'autant de raison qu'il faut pourne pas dire qu'il n'y en a plus.^ Un grand croit s'évanouir, et il meurt ; un autregrand périt insensiblement., et perd ' chaque jourquelque chose de soi-même avant qu'il soit éteint :formidables leçons, mais inutiles ! Des circonstancessi marquées et si sensiblement opposées ne se relèventpoint et rie touchent personne. Les hommes n'yont pas plus d'attention qu'à une fleur qui se fane>ou à une feuille qui tombe ; ils envient les places quidemeurent vacantes, ou ils s'informent si elles sontremplies, et par qui.i. Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pai... C'est le cœur qtittout Dieu, et non la raison» (PASCAL.)ïïïte!• ^t-^T-"let' ** ''X* •?.:• --=4'sÏÏS;'i .*:?.•••"


mV5"••5L '4-.-•S•s ^DES ESPRITS FORTS. 303\ Les hommes sont-ils assez bons, assez fidèles,assez équitables, pour mériter toute notre confiance,cl ne nous pas faire désirer <strong>du</strong> moins que Dieu exis*tât, à qui nous pussions appeler de leurs jugementset avoir recours quand nous en sommes persécutés outrahis ?\ Si c f est le grand et le sublime de la religion quiéblouit ou qui confond les esprits forts, ils ne sontplus des esprits forts, mais de foiblcs génies el depetits esprits; et si c'est au contraire ce qu'il y a d'humbleet de simple qui les rebute, ils sont à la véritédes esprits forts, et plus forts que tant de grandshommes si éclairés, si élevés, et néanmoins si fidèles,que les LéON, les BASILE, les JéRôME, les AU­GUSTIN,S Un Père de l'Église, un docteur de l'église, quelsnoms l quelle tristesse dans leurs écrits I quelle sécheresse,quelle froide dévotion, et peut-être quelle scolastiquel disent ceux qui ne les ont jamais lus. Maisplutôt quel étonnement pour tous ceux qui se sontfait une idée des Pères si éloignée de la vérité, s'ilsvoyoient dans leurs ouvrages plus de tour et de délicatesse,plus de politesse et d'esprit, plus de richessed'expression et plus de force de raisonnement, destraits plus vils et des grâces plus naturelles, que l'onn'en remarque dans la plupart des livres de ce temps,qui sont lus avec goût, qui donnent <strong>du</strong> nom et de lavanité à leurs auteurs î Quel plaisir d'aimer la religion^et de la voir crue, soutenue, expliquée par de si beauxgénies et pir de si solides esprits, surtout lorsquel'on vient à connoître que, pour l'éten<strong>du</strong>e do connoissances,pour la profondeur et la pénétration, pour lesprincipes de la pure philosophie, pour leui* applicationet leur développement, pour la justesse des conclusions,pour la dignité <strong>du</strong> discours, pour la beautéde la morale et des sentiments, il n'y a rien, par^fr&&».^^


394 DES ESPRITS FORTS.texemple, que l'on puisse comparer à saint AUGUSTIN,que PLATON et que CICéIION.1 L'homme est né menteur, La vérité est simple etingénue, et il veut <strong>du</strong> spécieux et de l'ornement ; ellen'est pas à lui, elle vient <strong>du</strong> ciel toute faite, pourainsi dire, et dans toute sa perfection, et l'hommen'aime que son propre ouvrage, la fiction cl la fable.Voyez le peuple: il conlrouve, il augmente, il charge,par grossièreté et par sottise; demandez môme auplus honnête homme s'il est toujours vrai dans sesdiscours, s'il ne se surprend pas quelquefois dans desdéguisements où engagent nécessairement la vanitéet Ta légèreté ; si, pour faire un meilleur conte, il nelui échappe pas souvent d'ajouter à un fuit qu'il réciteune circonstance qui y manque. Une chose arrive aujourd'hui,et presque sous nos yeux, cent personnesqui l'ont vue la racontent en cent façons différentes ;celui-ci, s'il est encore écouté, la dira d'une manièrequi n'a pas été dite : quelle créance donc pourrois-jedonnera des faits qui sont ancienset éloignés de nousparplusieurs siècles? quel fondement dois-je faire surles plus graves historiens? que devient l'histoire? Césara-t-il été massacré au milieu <strong>du</strong> sénat? y a-t-il euun César? Quelle conséquence ! me dites-vous ; quelsdoutes ! quelle demande I Vous riez, vous ne méjugezpas digne d'aucune réponse ; et je crois même quevous avez raison. Je suppose néanmoins que le livrequi fait mention de César ne soitpas un livre profane,écrit de la main des hommes, qui sont menteurs;trouvé par hasard dans les bibliothèques parmi d'autresmanuscrits qui contiennent des histoires vraiesou apocryphes ; qu'au contraire il soit inspiré, saint,divin; qu'il porce en soi ces caractères ; qu'il se trouvedepuis près de deux mille ans dans une société nombreusequi n'a pas permis qu'on y ait fait pendanttout ce temps la moindre altération, et qui s'est faiti'rI:»t -[•;*,t *Kït-.ïx.|jjjjjj||S••czp


miSi•g-42DES ESPRITS FORTS. 395une religion de le conserver dans toute son intégrité;qu'il y ait môme un engagement religieux et indispensable.d'avoir de la foi pour tous les faits contenusdans ce volume où il est parlé de César et de sa dictature: avouez-le, Luette, vous douterez alors qu'il yait eu un César,\ Toute musique n'est pas propre à louer Dieu et àêtre enten<strong>du</strong>e dans le sanctuaire; toute philosophie neparle pas dignement de Dieu, de sa puissance, <strong>du</strong>principe de ses opérations et de ses mystères ; plus (celte philosophie est subtile et idéale, plus elle est \vaine et inutile pour expliquer des choses qui ne demandentdes hommes qu'un sens droit pour être connuesjusques à un certain point, et qui au delà sontinexplicables. Vouloir rendre raison de Dieu, de sesperfections, et, si j'ose ainsi parler, de ses actions,c'est aller plus loin que les anciens philosophes, queles apôtres, que les premiers docteurs ; mais ce n'estpas rencontrer si juste, c'est creuser longtemps etprofondément, sans trouver les sources de la vérité.Dès qu'on a abandonné les termes de bonté, demiséricorde, de justice et de toute-puissance, quidonnent de Dieu de si hautes et de si aimables idées,quelque grand effort d'imagination qu'on puisse faire,il faut recevoir les expressions sèches, stériles, videsde sens ; admettre les pensées creuses, écartées desnotions communes, ou tout au plus les subtiles et tesingénieuses ; et, à mesure que l'on acquiert d'ouverturedans une nouvelle métaphysique, perdre un peude sa religion 1 .1 Jusques où les hommes ne se portent-ils point parl'intérêt de la religion, dont ils sont si peu persuadés,et qu'ils pratiquent si mal 1t.


if1? t396 DES ESPRITS FORTS.5 Cette môme religion que les hommes défendentavec chaleur et avec zèle contre ceux qui en ont unetoute contraire, ils l'altèrent eux-mêmes dans leuresprit par des sentiments particuliers, ils y ajoutentet ils en retranchent mille choses souvent essentielles,• selon ce qui leur convient, et ils demeurent fermes etinébranlables dans cette forme qu'ils lui ont donnée.Ainsi, à parler populairement, on peut dire d'uneseule nation qu'elle vit sous un môme culte, et qu'ellen'a qu'une seule religion ; mais, à parler exactement,il est vrai qu'elle en a plusieurs, et que chacun presquey a la sienne.T Deux sortes de gens fleurissentdans les cours, ety dominent dans divers temps, les libertins et les hy-, pocrites : ceux-là gaiement, ouvertement, sans art etsans dissimulation; ceux-ci finement, par des artifices,par la cabale. Cent fois plus épris de la fortuneque les ptemiers, ils en sont jaloux jusqu'à l'excès;! ils veulent la gouverner, la posséder seuls, la partagerentre eux et en exclure tout autre ; dignités, charges,postes, bénéfices, pensions, honneurs, tout leur convientet ne convient qu'à eux, le reste des hommes enest indigne ; ils ne comprennent point que sans leurattache on ait l'impudence de les espérer. Une troupede masques entre dans un bal : ont-ils la main, ilsdansent, ils se font danser les uns les autres, ils dan-'sent encore, ils dansent toujours ; ils ne rendent lamain à personne de l'assemblée, quelque digne qu'ellesoit de leur altention. On languit, on sécha de les voirdanser et de ne danser point ; quelques-un^, murmurent; les plus sages prennent leur parti et s'en vont,ï II y a deux espèces de libertins : les libertins,ceux <strong>du</strong> moins qui croient l'ôtre, et les hypocritesou faux dévots, c'est-à-dire ceux qui ne veulent pasêtre crus libertins; les derniers, dans ce genre-là,sont les meilleurs,t,ïrVvl*-f,'h?**L"vv .-pifif* £ '•*^•^•*î- ,•m


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if1t \i s l !lifiMiii I[ 'M!:.]•!i ;! !1 !; it, != .i•iJ>JO£>KS ESPIUTS KOIITS.sionnairc ou en catéchise la parole sainte; mais quin'a pas quelquefois sous sa main un libertin à ré<strong>du</strong>ireet à ramener, par de douces et insinuantes conversations,à la docilité? Quand on ne scroit pendant sa1 vie que l'apôtre d'un seul homme, ce ne seroitpas êtreen vain sur la terre, ni lui être un fardeau inutile.1 II y à deux mondes : l'un où l'on séjourne peu, etdont l'on doit sortir pour n'y plus rentrer; l'autre oùl'on doit bientôt entrer pour n'en jamais sortir. Lafaveur, l'autorité, les amis, la haute réputation, lesgrands biens, servent pour le premier monde ; le méprisde toutes ces choses sert pour le second. Il s'agitde choisir.^Qui a vécu un seul jour a vécu un siècle : mômesoleil, môme terre, môme monde, mômes sensations;rien ne ressemble mieux à aujourd'hui que demain»Il y auroit quelque curiosité à mourir, c'est-à-dire àn'ôtre plus un corps, mais à ôlre seulement esprit.L'homme cependant, impatient de la nouveauié, n'estpoint curieux sur ce seul article ; né inquiet et quis'ennuie de tout, il ne s'ennuie point de vivre ; il consentirentpeul-ôtre à vivre toujours. Ce qu'il voit de lamort le frappe plus violemment que ce qu'il en sait ;la maladie, la douleur, le cadavre, le dégoûtent de laconnoissanec d'un autre monde ; il faut tout le sérieuxde la religion pour le ré<strong>du</strong>ire.^ Si Dieu avoit donné le choix, ou de mourir ou datoujours vivre, après avoir médité profondément ceque c'est que de ne voir nulle fin à la pauvreté, à ladépendance, à l'ennui, à la maladie, ou de n'essayerdes richesses, de la grandeur, des plaisirs et de lasanté que pour les voir changer inviolablement, etpar là révolution des temps, en leurs contraires, etêtre ainsi le jouet des biens et des maux, l'on ne sauroitguère à quoi se résoudre. La nature nous fixe etnous ôte l'embarras de choisir, et la mort, qu'elleS:tSï'-.léKh.:ïï.-' -.


f Li religion est vraie ou elle est fausse : si elle n'estqu'une vaine fiction, voilà, si l'on veut, soixante annéesper<strong>du</strong>es pour l'homme de bien, pour le chartreuxou le solitaire, ih ne courent pas un autre risque;mais, si elle est fondée sur la vérité môme,c'est alors un épouvantable malheur pour l'hommevicieux ; l'idée seule des maux qu'il se prépare metrouble l'imagination ; la pensée est trop foible pourles concevoir, et les parles trop vaines pour les exs^sëfewi^ftat»*-,^DES ESPRITS F01VTS, 300nous rend nécessaire, est encore adoucie par la religion.f Si ma religion étoit fausse, je l'avoue, voilà lepiège le mieux dressé qu'il soit possible d'imaginer ;il étoit inévitable de ne pas donner tout au travers etde n'y être pas pris ; quelle majesté, quel éclat demystères ! quelle suite et quel enchaînement de toutela doctrine l quelle raison éminente ! quelle candeur,quelle innocence de vertu 1 quelle force invincible etaccablante des témoignages ren<strong>du</strong>s successivement etpendant trois siècles entiers par des millions de personnesles plus sages, les plus modérées qui fussentalors sur la terre, cl que le sentiment d'une mômevérité soutient dans l'exil, dans les fers, contre la vuede la mort et <strong>du</strong> dernier supplice ! Prenez l'histoire,ouvrez , re<strong>mont</strong>ez «jusques au commencement <strong>du</strong>monde, jusques à la veille de sa naissance : y a-t-il eurien de semblable dans tous les temps? Dieu mômepouvoit-il jamais mieux rencontrer pour me sé<strong>du</strong>ire îPar où échapper ? où aller, où me jeter, je ne dis paspour trouver rien de meilleur, mais quelque chosequi en approche? S'il faut périr, c'est'par là que jeveux périr; il m'est plus doux de nier Dieu que del'accorder avec une tromperie si spécieuse et si entière; mais je l'ai approfondi, je ne puis ôlrcathée; jesuis donc ramené et entraîné dans ma religion; c'enest fait.


:Yï 1Nil. ïh-t-.l16t Stït •t. i11f! iI ii11i! *îlllJi !•••:l4 *'I400 DES ESPRITS FORTS.yï£:'-'S3mt-yr**S"i• u*primer. Certes, en supposant môme dans le mondemoins de certitude qu'il ne s'en trouve en effet sur lavérité de la religion, il n'y a point pour l'homme unmeilleur parti que la vertu.AT Je ne sais si ceux qui osent nier Dieu méritentqu'on s'efforce de le leur prouver et qu'on les traiteplus sérieusement que l'on n'a fait dans ce chapitre;L'ignorance, qui est leur caractère, les rend incapablesdes principes les plus clairs et des raisonnementsles mieux suivis ; jo consens néanmoins qu'ils lisentcelui que je vais faire, pourvu qu'ils ne se persuadentpas que c'est tout ce que l'on pouvoit dire sur unevérité si éclatante.Il y a quarante ans que je n'étois point, et qu'iln'étoit pas en moi de pouvoir jamais être, comme ilne dépend pas de moi, qui suis une fois, de n'êtreplus. J'ai commencé, et je continue d'être par quelquechose qui est hors de moi, qui <strong>du</strong>rera après moi,qui est meilleur et plus puissant que moi. Si ce quelquechose n'est pas Dieu, qu'on me dise ce quec'est.Peut-être que moi qui existe n'existe ainsi que parla force d'une nature universelle qui a toujours étételle que nous la voyons, en re<strong>mont</strong>ant jusqu'à l'infinitédes temps 1 . Mais cette nature, ou elle est seulementesprit, et c'est Dieu ; ou elle est matière, et nepeut par conséquent avoir créé mon esprit ; ou elleest un composé de matière et d'esprit, et alors ce quiest esprit dans la nature je l'appelle Dieu.Peut-être aussi que ce que j'appelle mon esprit n'estqu'une portion de matière qui existe par la forced'une nature universelle, qui est aussi matière, qui atoujours été, et qui sera toujours telle que nous lavoyons, ei qui n'est point Dieu 1 ; mais <strong>du</strong> moins faut-KÉm—i*-lo£ •" •£&.*: ".-^1. Objection ou système des libertins. (A Trt '" de La Bruyère,)2. Instance des libertins, (/cf.)' ''£%- fr-^p££*•


*'3§fm• cftl• *••»•:nta*iIDES ESPRITS FORTS,40til m'acco.rder que ce que j'appelle mon esprit, quel»que chose que ce puisse être, est une chose qui pense,et que, s'il est matière, il est nécessairement unematière qui penid : car l'on ne me persuadera pointqu'il n'y ait pas en moi quelque chose qui pense pendantque je fais ce raisonnement, Or ce quelquechose qui est en moi et qui pense, s'il doit son être| et sa conservation à une nature universelle, qui a toujoursété et qui sera toujours, laquelle il reconnoissecomme sa cause, il faut indispensablement que cesoit à une nature universelle, ou qui pense, ou quisoit plus noble et plus parfaite que ce qui pense ; et,si cette nature ainsi faite est matière, l'on doit encoreconclure que c'est une matière universelle qui pense,ou qui est plus noble et plus parfaite que ce quipense.Je continue, et je dis : Celte matière telle qu'ellevient d'être supposée, si elle n'est pas un être chimérique,mais réel, n'est pas aussi imperceptible à tousles sens ; et, si elle ne se découvre pas nar elle-même,on la connolt <strong>du</strong> moins dans le divers arrangementde ses parties, qui constitue les corps, et qui en faitla différence : elle est donc elle-même dans cesdifférents corps; et, comme elle est une matière quipense selon la supposition, ou qui vaut mieux que cequi pense, il s'ensuit qu'elle est telle <strong>du</strong> moins selonquelques-uns de ces corps, et, par une suite nécessaire,selon tous ces corps, c'est-à-dire qu'elle pensedans les pierres, dans les métaux, dans les mers, dansla terre, dans moi-même, qui ne suis qu'un corps,comme dans toutes les autres parties qui la composent.C'est donc à l'assemblage dp ces parties si terrestres,si grossières, si corporelles, qui toutes» ensemblesont la matière universelle ou ce monde visible,que je dois ce quelque chose qui est en moi, quipense, et que j'appelle mon esprit; ce qui est absurde*34.li.V^VJMi ' i ï V . j . t , . ,


2u.t -X\ii,I •f1à402 DES ESPRITS FOUTS.Si, au contraire, celte nature universelle, quelquechose que ce puisse être, ne peut pas être tous cescorps, ni aucun de ces corps, il suit de là qu'elle n'estpoint matière, ni perceptible par aucun des sens; sicependant elle pense, ou si elle est plus parfaite quece qui pense, je conclus encore qu'elle est esprit, ouun être meilleur et plus accompli que ce qui est esprit;si d'ailleurs il ne reste plus à ce qui pense en moi, etque j'appelle mon esprit, que cette nature universelleà laquelle il puisse re<strong>mont</strong>er pour rencontrer sa premièrecause et son unique origine, parce qu'il netrouve point son principe en soi, et qu'il le trouveencore moins dans la matière, ainsi qu'il a été dé<strong>mont</strong>ré,alors je ne dispute point des noms ; mais cettesource originaire de tout esprit, qui est esprit ellemême,et qui est plus excellente que tout esprit, jel'appelle Dieu.En un mot, je pense : donc Dieu existe; car ce quipense en moi, je ne le dois point à moi-même, parcequ'il n'a pas plus dépen<strong>du</strong> de moi de me le donnerune première fois qu'il dépend encore de moi de mele conserver un seul instant; je ne le dois point à unêtre qui soit au-dessus de moi, et qui soit matière,puisqu'il est impoiiible que la matière soit au-dessusde ce qui pense. je le dois donc à un être qui estau-dessus de moi et qui n'est point matière; et c'estDieu'.T De ce qu'une nature universelle qui pense exclutde soi généralement tout ce qui est matière, il suitnécessairement qu'un être particulier qui pense nepeut pas aussi admettre en soi la moindre matière :car bien qu'un être universel qui pense renferme dansson idée infiniment plus de grandeur, de puissance,i4ï


['*£*£ *._—,*DES KSMUÎS FOUT*. 403d'indépendance et de capacité, qu'un être particulierqui pense, il ne renferme pas néanmoins une plusgrande exclusion de matière, puisque cette exclusiondans l'un ci l'a jlrc de ces deux êtres est aussi grandequ'elle peui ulre et comme infinie, et qu'il est autantimpossible que ce qui pense en moi soit matière qu'ilest inconcevable que Dieu soit matière ; ainsi, commeDieu est esprit, mon àme aussi est esprit '.f Je ne sais point si le chien choisit, s'il se ressouvient,s'il affectionne, s'il craint» s'il imagine, s'ilpense; quand donc l'on me dit que toutes ces chosesne sont en lui ni passions, ni sentiment, mais l'effetnaturel et nécessaire de la disposition de sa machinepréparée par le divers arrangement des parties de lamatière, je puis au moins acquiescer à cette doctrine.Mais je pense, et je suis certain que je pense; or,quelle proportion y a-t-il de tel ou de tel arrangementdes parties de la matière, c'est-à-dire d'une éten<strong>du</strong>eselon toutes ses dimensions, qui est longue, large etprofonde, et qui est divisible dans tous ses sens, avecce qui pense ?T Si tout est matière, et si la pensée en moi, commedans tous les autres hommes, n'est qu'un effet del'arrangement des parties de la matière, qui a misdans le monde toute autre idée que celle des chosesmatérielles? La matière a-t-clle dans son fond uneidée aussi pure, aussi simple, aussi immatérielle,qu'est celle de l'esprit? Comment peut-elle être leprincipe de ce qui la nie et l'exclut de son propreêtre? Comment est-elle dans l'homme ce qui pense,c'est-à-dire ce qui est à l'homme môme une convie*iioqu'il n'est point matière 2 ?1. Àilu«*on évidente à la théorie cartésiens ds^animaui-machincs, théorieacceptée par Malebranche, par messieurs de Port-<strong>Royal</strong>, etc. Sur l'automatismedes betes, voyez Descartes, Discours delà méthode t edit. de M. Cousin,tome I, p. 193. (EMILE SAISSET.)2. Cf. Fcnelon, Traité de Vexislence de Dieu, I e part., ch. si ; H* part.,chap. in.


F.im­404 DES ESPRITS FORTS., f II y n des êtres qui <strong>du</strong>rent peu, parce qu'ils sontcomposés de choses très différentes, et qui se nuisent(sIréciproquement. Il y en a d'autres qui <strong>du</strong>rent davantage,parce qu'ils sont plus simples; mais ils périssent,parce qu'ils ne laissent pas d'avoir des partiesselon lesquelles ils peuvent être divisés. Ce qui penseen moi doit <strong>du</strong>rer beaucoup, parce que c'est un êtrepur, exempt de tout mélange et de toute composition;et il n'y a pas de raison qu'il doive périr : car quipeut corrompre ou séparer un être simple et qui n'apoint de parties?1 L'âme voit la couleur par l'organe de l'œil, et entendles sons par l'organe de l'oreille; mais elle peutt 'cesser de voir ou d'entendre, quand ces sens ou cesobjets lui manquent, sans que pour cela elle cessed'être, parce que l'ôme n'est point précisément cequi voit la couleur, ou ce qui entend les sons; ellen'est que ce qui pense. Or comment peut-elle cesserd'être telle? Ce n'est point par le défaut d'organe %/. ' puisqu'il est prouvé qu'elle n'est point matière, ni parrle défaut d'objet, tant qu'il y aura un Dieu et d'éler-/ nelles ' vérités : elle est donc incorruptible.] } Je ne conçois point qu'une âme que Dieu a voulu) remplir de l'idée de son être infini et souverainementparfait doive être anéantie s .I. VIE. De l'organe*î. VA*. Et des éternelles*3. Les trois articles ct-dessussont tous pénétrés de l'influence cartésienne*La démonstration de l'immortalité naturelle de l'âme, fondée sur ce que f âme| est S'.uple eî sans parties, c'est la démonstration de Descartes (Méditations^édît. Cousin, tome I, p. 230, 231); la preuve tirée de ce que Pâme, en tantIque substance pensante, est indépendante des sens et <strong>du</strong> corps, c'est encorele plus pur <strong>du</strong> cartésianisme (voyet Médit^ édit. Cousin, tome l, p. 331,599). Enfin la pensée courte et grande qui remplit le petit article XL1I rappelleles Méditations (édit. Cousin, tome I, p. 290), notamment ces grandsf ,f- traits de la fin de la Médit. III :« Et de vrai, on ne doit pas trouver étrange que Dieu, en me créant, aitmis en moi cette idée (l'idée de l'être infini et souverainement parfait) pourhêtre comme la marque de l'ouvrier empreint sur son ouvrage...»Et plus bas : c 11 me semble très à propos de m'arrêter quelque temps à l*contemplation de ce Dieu tout parfait, etc. » (ÉMJL* SAISSST.)&.Çs


34DES ESPRITS FORTS. 40ï>î Voyez, Lucile, ce morceau de terre, plus propreet plus orné que les autres terres qui lui sont c on ligues: ici ce sont des compartiments mêlés d'eauxplates et d'eaux jaillissantes, là des allées en palissa*des qui n'ont pas de finet qui vous couvrent des vents<strong>du</strong> nord l : d'un côté c'est un bois épais qui défendde tous les soleils, et d'un autre un beau point de vue;plus bas, une Yvette, ou un Lignon, qui couloit obscurémententre les saules et les peupliers, est devenuun canal qui est revôtu; ailleurs, de longues et fraîchesavenues se perdent dans la campagne et annoncentla maison, qui est entourée d'eau. Vous récrierezvous: Quel jeu <strong>du</strong> hasard ! combien de belles chosesse sont rencontrées ensemble inopinément l Non, sansdoute ; vous direz au contraire : Cela est bien imaginéet bien ordonné, il règne ici un bon goût et beaucoupd'intelligence. Je parlerai comme vous, et j'ajouteraique ce doit être la demeure de quelqu'un de ces genschez qui un NAUTRE * va tracer et prendre des alignementsdès le jour môme qu'ils sont en place. Qu'estcepourtant que cette pièce de terre ainsi disposée, etoù tout l'art d'un ouvrier habile a été employé pourl'embellir, si môme toute la terre n'est qu'un atomesuspen<strong>du</strong> en l'air, et si vous écoutez ce que je vaisdire?Vous êtes placé, ô Lucile, quelque part sur cetatome; il faut donc que vous soyez bien pelit, carvous n'y occupez pas une grande place. Cependantvous avez des yeux, qui sont deux points imperceptibles; ne laissez pas de les ouvrir vers le ciel : qu'yapercevez-vous quelquefois? La lune dans son plein?1. Chantilly.2. André Len&tre, architecte et dessinateur des jardins <strong>du</strong> roi, né à F&nVen 1613, mort en 1700. Ce fut lui qui fut chargé'de1% distribution des jardinset <strong>du</strong> parc.de Versailles; qui embellit ou créa ccui de Clagny, de Chantilly,de Meudon, de Satnt-Cloud, d« Sceaux, des Tuileries et l'admirable terrassede Saint-Germain.


1 •-• 4 0 0 D E S E S P R I T S F O R T S .Elle est belle alors et fort lumineuse, quoique sa Iumtèrene soit que la réflexion de celle <strong>du</strong> soleil ; elleparoît grande comme le soleil, plus grande que lesautres planètes, et qu'aucune des étoiles. Mais ne•vous laissez pas tromper par les dehors; il n'y a rienau ciel de si petit que la lune : sa superficie est treizefois plus petite que celle de la terre, sa solidité quarante-huitfois, et son diamètre de sept cent cinquantelieues, n'est que le quart de celui de la terre; aussi•est-il vrai qu'il n'y a que son voisinage qui lui donneune si grande apparence, puisqu'elle n'est guère pluséloignée de nous que de trente fois le diamètre de laterre, ou que sa distance n'est que de cent millelieues» Elle n'a presque pas même de chemin à faireen comparaison <strong>du</strong> vaste tour que le soleil fait dansles espaces <strong>du</strong> ciel : car il est certain qu'elle n'achèvepar jour que cinq cent quarante mille lieues ; ce n'estpar heure que vingt-deux mille cinq cents lieues, ettrois cent soixante et quinze lieues dans une minute.11 faut néanmoins, pour accomplir cette course, qu'elleaille cinq mille six cents fois plus vite qu'un chevalde posté qui feroit quatre lieues par heure, qu'ellevole quatre-vingts fois plus légèrement que le son, quele bruit, par exemple, <strong>du</strong> canon et <strong>du</strong> tonnerre, quiparcourt en une heure deux cent soixante et dix-septlieues.Mais quelle comparaison de la lune au soleil pourla grandeur, pour l'éloignement, pour la course 1 vousverrez qu'il n'y en a aucune. Souvenez-vous seulement<strong>du</strong> diamètre de la terre, il est de trois mille lieues;celui <strong>du</strong> soleil est cent fois plus grand, il est donc detrois cent mille lieues. Si c'est là sa largeur en toursens,quelle peut être toute sa superficiel quelle estsa solidité l Comprenez-vous bien celte éten<strong>du</strong>e, etqu'un million de terres comme la nôtre no seroienttoutes ensemble pas plus grosses que le soleil? Quel-*


DES ESPRITS FORTS. 407est donc, direz-vous, son éloignement, si l'on en jugepar son apparence? Vous avez raison, il est prodigieux; il est dé<strong>mont</strong>ré qu'il ne peut pas y avoir de laterre au soleil moins de dix mille diamètres de laterre, autrement moins de trente millions de lieues;peut-être y a-t-il quatre fois, six fois, dix fois plusloin ; on n'a aucune méthode pour déterminer cettedislance.Pour aider seulement votre imagination à se la représenter,supposons une meule de moulin qui tomba<strong>du</strong> soleil sur la terre; donnons-lui la plus grandevitesse qu'elle soit capable d'avoir, celle môme quen'ont pas les corps tombant de fort haut; supposonsencore qu'elle conserve toujours cette môme vitesse,sans en acquérir et sans en perdre; qu'elle parcourtquinze toises par chaque seconde de temps, c'est-àdirela moitié de l'élévation des plus hautes tours, etainsi neuf cents toises en une minute; passons-luimille toises en une minute, pour une plus grande facilité;mille toises font une demi-lieue commune ; ainsien deux minutes la meule fera une lieue, et en uneheure elle en fera trente, et en un jour elle fera septcent vingt lieues; or elle a trente millions à traverseravant que d'arriver à terre : il lui faudra donc quarante-unmille six cent soixante-six jours ', qui sontplus de cent quatorze années 2 pour faire ce voyage.Ne vous effrayez pas, Luciîe, écoutez-moi ; la distancede la terre à Saturne est au moins décuple de celle dela terre au soleil; c'est vous dire qu'elle ne peut êtremoindre que de trois cents millions de lieues, et queceltepierre emploieroit plus de onze cent quaranteans * pour tomber de Saturne en terre.1. YAR. Quatre mille cent soixante et «te jours, dans Us 7' et 6* édi»rs.2. VAR. Plus d'onze années, 7 e cl 8* édition.3. YIR. Plus de cent dix ans, 7* «18* édition.


••a408 DES ESPRITS FORTS.Par cette élévation de Saturne, élevez vous-même,si vous le pouvez, votre imagination, à concevoirquelle doit être l'immensité <strong>du</strong> chemin qu'il parcourtchaque jour au-dessus de nos têtes; le cercle queSaturne décrit a plus de six cents millions de lieues *.de diamètre, et par conséquent plus de dix-huit cents |millions de lieues de circonférence; un cheval angloisqui feroit dix lieues par heure n'auroit à courir que-vingt mille cinq cent quarante-huit ans pour faire cetour.YrJe n'ai pas tout dit, ô Lucile, sur le miracle de cemonde visible, ou, comme vous parlez quelquefois,sur les merveilles <strong>du</strong> hasard, que vous admettez seulpour la cause première de toutes choses. Il est encoreun ouvrier plus admirable que vous ne pensez; connoissezle hasard, laissez-vous instruire de toute lapuissance de votre Dieu. Savcz-vous que cette distance•de trente millions de lieues qu'il y a de la terre ausoleil, et celle de trois cents millions de lieues de laterre à Saturne, sont si peu de chose, comparées àl'éloigncment qu'il y a de la terre aux étoiles, que cen'est pas môme s'énoncer assez juste que de se servir,sur le sujet de ces distances, <strong>du</strong> terme de comparaison?Quelle proportion, à la vérité, de ce qui se mesure,quelque grand qu'il puisse être, avec ce qui nese mesure pas? On ne connolt point la hauteur d'uneétoile; elle est, si j'ose ainsi parler, ùnmensumble;il n'y a plus ni angles, ni sinus, ni parallaxes, dont onpuisse s'aider; si un homme observoit à Paris uneétoile fixe, et qu'un autre la regardât <strong>du</strong> Japon, lesdeux lignes qui parliroicnt de leurs yeux pour aboutirjusqu'à cet astre ne feroient pas un angle, et se confondroient en une seule et même ligne, tant la terreentière n'est pas espace par rapport à cet éloignement.Mais les étoiles ont cela de commun avec Saturneet avec le soleil; il faut dire quelque chose del•^i


T*?£ .«s!,-a.'5JfliDES ESPRITS FORTS. 409plus. Si deux observateurs, l'un sur terre et l'autredans le soleil, observoient en même temps une étoile,les deux rayons visuels de ces deux observateurs neformeroient point d'angle sensible. Pour concevoir lachose autrement, si un homme étoit situé dans uneétoile, notre soleil, notre terre, et les trente millionsde lieues qui les séparent, lui paroîtroient un mômepoint: cela est dé<strong>mont</strong>ré.On ne sait pas aussi la distance d'une étoile d'avecune autre étoile, quelque voisines qu'elles nous paroissent.Les Pléiades se louchent presque, à en jugerpar nos yeux; une étoile paroît assise sur l'une decelles qui forment la queue de la grande Ourse ; àpeine la vue peut-elle atteindre à discerner la partie<strong>du</strong> ciel qui les sépare, c'est comme une étoile quiparoît double; si cependant tout l'art des astronomesest inutile pour en marquer la distance, que doit-onpenser de l'éloiguement de deux étoiles qui en effetparaissent éloignées Tune de l'autre, et à plus forteraison des deux polaires? Quelle est donc l'immensitéde la ligne qui passe d'une polaire à l'autre? et quesera-ce que le cercle dont cette ligne est le diamètre?Mais n'est-ce pas quelque chose de plus que de sonderles abîmes, que de vouloir imaginer la solidité <strong>du</strong>globe, dont ce cercle n'est qu'une section? Seronsnousencore surpris que ces mômes étoiles, si démesuréesdans leur grandeur, ne nous paraissent néanmoinsque comme des étincelles? N'admircrons-nouspas plutôt que d'une hauteur fi prodigieuse ellespuissenf conserver une certaine apparence, et qu'onne les perde pas toutes de vue? Il n'est pas aussi imaginablecombien il nous en échappe. On fixe 'e nombredes étoiles : oui, de celles qui sent appurentes;le moyen de compter celles qu'on" n'aperçoit point,celles, pur exemple, qui composent la voie de lait,celle trace lumineuse qu'on remarque au ciel, dans3o


410 DES ESPRITS FONTS.une nuit sereine, <strong>du</strong> nord au midi, et qui, par leurextraordinaire élévation, ne pouvant percer jusqu'ànos yeux pour être vues chacune en particulier, nefont au plus que blanchir celte route des cieux oùelles sont placées?Me voilà donc sur la terre comme sur un grain desable qui ne tient à rien, et qui est suspen<strong>du</strong> au milieudes airs; un nombre presque infini de globes defeu d'une grandeur inexprimable et qui confond l'imagination,d'une hauteur qui surpasse nos conceptions,tournent, roulent autour de ce grain de sable, et ira*versent chaque jour, depuis plus de six mille ans, lesvastes et immenses espaces des cieux. Voulez-vous unautre système, et qui ne diminue rien <strong>du</strong> merveilleux?La terre elle-même est emportée avec une rapiditéinconcevable autour <strong>du</strong> soleil, le centre de l'univers.Je me les représente, tous ces globes, ces corpseffroyables qui sont en marche : ils ne s'embarrassentpoint l'un l'autre, ils ne se choquent point, ils ne sedérangent point; si le plus petit d'eux tous venoit àse démentir et à rencontrer la terre, que devîendroitla terre? Tous au contraire sont en leur place, demeurentdans l'ordre qui leur est prescrit, suivent la routequi leur est marquée, et si paisiblement à notreégard, que personne n'a l'oreille assez fine pour lesentendre marcher, et que le vulgaire ne sait pas s'ilssont au monde. 0 économie merveilleuse <strong>du</strong> hasard tl'intelligence même pourroit-elle mieux réussir? Uneseule chose, Lucile, me fait de la peine : ces grandscorps sont si précis et si constants dans leur marche,dans leurs révolutions, et dans tous leurs rapports,qu'un petit animal relégué en un coin de cet espaceimmense qu'on appelle le monde, après les avoir observés,s'est fait une méthode infaillible de prédire àquel point de leur course tous ces astres se trouverontd'aujourd'hui en deux, en quatre, en vingt millef*


. t^J*^. I-TJ~ ; 1%:.. «•"J$1 u?"-S- ?"DES ESPRITS FORTS.4ilans. Voilà mon scrupule, Lucile; si c'est par hasardqu'ils observent des règles si invariables, qu'est-ceque l'ordre? qu'est-ce que la règle ! ? 0Je vous demanderai môme ce que c'est que le hasard: est-il corps? est-il esprit? est-ce un être distinguédes autres ôtres, qui ait son existence particulière,qui soit quelque part? ou plutôt n'est-ce pas un mode,ou une façon d'être ? Quand une boule rencontre unepierre, l'on dit : c'est un hasard ; mais est-ce autrechose que ces deux corps qui se choquent fortuitement?Si par ce hasard ou cette rencontre la boulene va plus droit, mais obliquement; si son mouvementn'est plus direct, mais réfléchi; si elle ne rouleplus sur son axe, mais qu'elle tournoie et qu'ellepirouette ; conclurai-je que c'est par ce môme hasardqu'en général la boule est en mouvement? ne soup*çonnerai-je pas plus volontiers qu'elle se meut ou desoi-même, ou par l'impulsion <strong>du</strong> bras qui l'a jetée? Etparce que les roues d'une pen<strong>du</strong>le sont déterminéesl'une par l'autre à un mouvement circulaire d'une telleou telle vitesse, examinerai-je moins curieusementquelle peut être la cause de tous ces mouvements,s'ils se font d'eux-mêmes ou par la force mouvanted'un poids qui les emporte? Mais ni ces roues, nicelte boule, n'ont pu se donner le mouvement d'eux*mêmes, ou ne l'ont point par leur nature, s'ils peuventle perdre sans changer de nature î il y a donc apparencequ'ils sont mus d'ailleurs, et par une puissancequi leur est étrangère. El les corps célestes, s'ils vendentà perdre leur mouvement, changeroient-ils denature? seroicnt-ils moins des corps? Je ne me l'imaginë.pasainsi ; ils se meuvent cependant, et ce n'estpoint d'eux-mêmes et par leur nature. Il faudroiti. Toute la partie scientifique de cci admirable chapitre est traiïce avec uneétonnante précision, et il semble que Pou y trouve le programme dj beau livrede M» de Humboldt, Connos*


412 DES ESPRITS FORTS.donc chercher, ô Lucile, s'il n'y a point hors d'eux unprincipe qui les fait mouvoir ; qui que vous trouviez,je l'appelle Dieu.Si nous supposions que ces grands corps sont sansmouvement, on ne demanderoit plus, à la vérité, quiles met en mouvement, mais on seroit toujours reçuà demander qui a fait ces corps, comme on peut s'informerqui a fait ces roues ou cette boule ; et, quandchacun de ces grands corps seroit supposé un amasfortuit d'atomes qui se sont liés et enchaînés ensemblepar la figure et la conformation de leurs parties, jeprendrois un de ces atomes ', et je dirois : Qui a créécet atome? Est-il matière? est-il intelligence? A-t-ileu quelque idée de soi-môme avant que de se fairesoi-même? Il étoit donc un moment avant que d'être ;il étoit el il n'étoit pas tout à la fois ; et, s'il est auteurde son être et de sa manière d'être, pourquoi s'est-il |fait corps plutôt qu'esprit? Bien plus, cet atome n'at-ilpoint commencé? est-il éternel? est-il infini?Ferez-vous un Dieu de cet atome?^ Le ciron a des yeux, il se détourne à la rencontredes objets qui lui pourraient nuire ; quand on le metsur de l'ébène pour le mieux remarquer, si, dans letemps qu'il marche vers un côté, on lui présente lemoindre fétu, il change de route : est-ce un jeu <strong>du</strong>hasard que son cristallin , sa rétine et son nerfoptique?L'on voit, dans une goutte d'eau que le poivre qu'ony a mis trempera altérée, un nombre presque innombrablede petits animaux, dont le microscope nousfait apercevoir la figfurc,et qui se meuvent avec unerapidité incroyable, comme autant de monstres dansune vaste mer ; chacun de ces animaux est plus petitt. Allusionftu système d'Êpîcurc : voir sur tfpicure et sa théorie atomis*tique i Manuel de l'histoire de la phitosopkic, tra<strong>du</strong>it de l'allemand de Tonne*manu, par Y. Cousin. Pari», Lad range, 1832. iti-S'Tuinel", p. 10? et s'ii*.&m0I ïi'i *^tIIiv."m.


*DES ESPMTS FOtVTS. 413mille fois qu'un ciron, et néanmoins c'est un corpsqui vit, qui se nourrit, qui croît, qui doit avoir desmuscles, des vaisseaux équivalents aux veines, auxnerfs, aux artères, et un cerveau pour distribuer lesesprits animaux.Une tache de moisissure de la grandeur d'un grainde sable paroît dans le microscope comme un amasde plusieurs plantes très-distinctes, dont les unes ontdes fleurs, les autres des fruits ; il y en a qui n'ontque des boutons à demi ouverts ; il y en a quelquesunesqui sont fanées : de quelle étrange petitessedoivent être les racines et les filtres qui séparent lesaliments de ces petites plantes ! Et si l'on vient à considérerque ces plantes ont leurs graines, ainsi que leschênes et les pins, et que ces petits animaux dont jeviens de parler se multiplient par voie de génération,comme les éléphants et les baleines, où cela ne mônet-ilpoint? Qui a su travailler a des ouvrages si délicats,si fins, qui échappent à la vue des hommes, etqui tiennent de l'infini comme les cieux, bien quedpns l'autre extrémité? Ne scroit-ce point celui qui afait les cieux, les astres, ces masses énormes, épouvantablespar leur grandeur, par leur élévation, parla rapidité et l'éten<strong>du</strong>e de leur course, et qui se jouede les faire mouvoir?î II est de fait que l'homme jouit <strong>du</strong> soleil, des astres,des cieux et de leurs influences, comme il jouitde l'air qu'il respire et de la terre sur laquelle il marcheet qui le soutient; et, s'il falloit ajouter à la certituded'un fait la convenance ou la vraisemblance,elle y est tout entière, puisque les cieux et. tout cequ'ils contiennent na peuvent pas entrer en comparaison,pour la noblesse et la dignité, avec le moindredes hommes qui sont sur la terre, et que la proportionqui se trouve entre eux et lui est celle de la matièreincapable de sentiment, qui est seulement une éten<strong>du</strong>eas.


')%!'s.s414 DES ESPRITS FORTS.selon trois dimensions, à ce qui est esprit, raison, ouintelligence. Si l'on dit que l'homme auroit pu sepasser à moins pour sa conservation, je réponds queDieu ne pouvoit moins faire pour étaler son pouvoir,sa bonté et sa magnificence, puisque quelque choseque nous voyions qu'il ait faite, il pouvoit faire infinimentdavantage.Le monde entier, s'il est fait pour l'homme, estlittéralement la moindre chose que Dieu ait faite pourl'homme; la preuve s'en tire <strong>du</strong> fond de la religion :ce n'est donc ni vanité ni présomption à l'homme dese rendre sur ses avantages à la force de la vérité ; ce §seroit en lui stupidité et aveuglement de ne pas selaisser convaincre par l'enchaînement des preuvesdont la religion se sert pour lui faire connoître sesprivilèges, ses ressources, ses espérances, pour luiapprendre ce qu'il est et ce qu'il peut devenir. Maisla lune est habitée, il n'est pas <strong>du</strong> moins impossiblequ'elle le soitt Que parlez-vous, Lucile, de la lune, età quel propos ? En supposant Dieu, quelle est en effetla chose impossible? Vous demandez peut-être si noussommes les seuls dans l'univers que Dieu ait si bientraités ; s'il n'y a point dans la lune d'autres hommes,ou d'autres créatures que Dieu ait aussi favorisées?Vaine curiosité l frivole demande l La terre, Lucile, esthabitée; nous l'habitons, et nous savons que nousl'habitons ; nous avons nos preuves, notre évidence,nos convictions, sur tout ce que nous devons penserde Dieu et de nous-mêmes ; que ceux qui peuplent lesglobes célestes, quels qu'ils puissent être, s'inquiètentpour eux-mêmes : ils ont leurs soins, et nous les nôtres.Vous avez, Lucile, observé la lune, vous avez rc«connu ses taches, ses abîmes, ses inégalités, sahauteur, son éten<strong>du</strong>e, son cours, ses éclipses; tous lesastronomes n'ont pas été plus loin ; imaginez de nouveauxinstruments, observez-la avec plus d'exactitude;*ç3K va..*- aHmmm


DKS ESPMTS FORTS. 415voyez-vous qu'elle soit peuplée, et de quels animaux ?ressemblent-ils aux hommes? sont*ce des hommes?Laissez-moi voir après vous ; et, si nous sommes convaincusl'un et l'autre que des hommes habitent lalune, examinons alors s'ils sont chrétiens, et si Dieua partagé ses faveurs entre eux et nous.î Tout est grand et admirable dans la nature ; il nes'y voit rien qui ne soit marqué au coin de l'ouvrier;ce qui s'y voit quelquefois d'irrégulier et d'imparfaitsuppose règle et perfection. Homme vain et présomptueux!faites un vermisseau que vous foulez aux pieds,que vous méprisez; vous avez horreur <strong>du</strong> crapaud :faites un crapaud, s'il est possible. Quel excellentmaître que celui qui fait des ouvrages, je ne dis pasque les hommes admirent, mais qu'ils craignent ! Jene vous demande pas de vous mettre à voire atelierpour faire un homme d'esprit, un homme bien fait,une belle femme : l'entreprise est forte et au-dessusde vous; essayez seulement de faire un bossu, un fou,un monstre, je suis conlent.Rois, monarques, potentats, sacrées majestés, vousai-je nommés par tous vos superbes noms? grands dela terre, très-hauts, très-puissants, et peul-ôlrc bientôttout-puissants seigneurs, nous autres hommes nousavons besoin pour nos moissons d'un peu de pluie,de quelque chose de moins, d'un peu de rosée : faitesde la rosée î envoyez sur la terre une goutte d'eau.L'ordre, la décoration, les effets de la nature, sontpopulaires; les causes, les principes, ne le sont point:demandez a une femme comment un bel œil n'a qu'às'ouvrir pourvoir; demandez-le à un homme jocte.1 Plusieurs millions d'années, plusieurs centainesde millions d'années, en un mot tous les temps, nesont qu'un instant, comparés à la <strong>du</strong>rée de Dieu, quiest éternelle; tous les espaces <strong>du</strong> monde entier nesont qu'un point, qu'un léger atome, comparés à son


». -* -416 DES ESPRITS FORTS.immensité. S'il est ainsi, comme je l'avance, car quelleproportion <strong>du</strong> fini à l'infini? je demande: Qu'est-ceque le cours de la vie d'un homme? qu'est-ce qu'ungrain de poussière qu'on appelle la terre? qu'est-cequ'une petite portion de cette terre que l'homme possèdeet qu'il habite? Les méchants prospèrent pendantqu'ils vivent. Quelques méchants, je l'avoue. La vertuest opprimée et le crime impuni sur la terre. Quelquefois,j'en conviens. C'est une injustice. Point <strong>du</strong>tout: il faudrait, pour tirer cette conclusion, avoirprouvé qu'absolument les méchants sont heureux,que la vertu ne l'est pas, et que le crime demeureimpuni ; il faudroit <strong>du</strong> moins que ce peu de temps oùles bons souffrent et où les méchants prospèrent eûtune <strong>du</strong>rée, et que ce que nous appelons prospérité etfortune ne fût pas une apparence faurc- «y. une ombrevainc qui s'évanouit; que celte terre, cet atome, oùil paroit que la vertu et le crime rencontrent si rarementce qui leur est dû, fût le seul endroit de lascène où se doivent passer la punition et les récompenses.De ce que je pense je n'infère pas plus clairementque je suis esprit, que je conclus de ce que je fais oune fais point, selon qu'il me platt, que je suis libre :or liberté, c'est choix, autrement une déterminationvolontaire au bien ou au mal, c; ainsi une action bonneou mauvaise, etee qu'on appelle vertu ou crime. Que lecrime absolumcntsoitimpuni,il est vrai, c'est injustice;qu'il le soit sur la terre, c'est un mystère. Supposonspourtant, avec l'athée, que c'est injustice : toute injusticeest une négation où une privation de justice;donc toute injustice suppose justice. Toute justice estune conformité à une souveraine raison : je demande,en effet, quand il n'a pas été raisonnable que le crimesoit puni, à moins qu'on ne dise que c'est quand letriangle avoit moins de trois angles; or toute confor-4*>H3


-> - v ^ : > * ^ •'•>': . ^ •-r ' -_--•••.- r •-. .-_. -* .- — — -c - - r * j '-,;-~ >-'> *.•*"*•.**«* V r> r-4DES ESPRITS FORTS. -4\7+mité à la raison est une vérité; celte conformité,comme il vient d'être dit, a toujours été: elle est doncde celles que l'on appelle des éternelles vérités. Cettevérité, d'ailleurs, ou n'est point et ne peut être, ouelle est l'objet d'une connaissance: elle est donc éternelle,celte connaissance, et c'est Dieu.Les dénoûments qui découvrent les crimes les pluscachés, et où la précaution des coupables pour lesdérober aux yeux des hommes a été plus grande, paroissentsi simples et si faciles, qu'il semble qu'il n'yait que Dieu seul qui puisse en être l'auteur ; et lesfaits d'ailleurs que l'on en rapporte sont en si grandnombre que, s'il plaît à quelques-uns de les attribuerà de purs hasards, il faut donc qu'ils soutiennent quele hasard, de tout temps, a passé en coutume.î Si vous faites cette supposition, que tous les hommesqui peuplent la terre, sans exception, soientchacun dans l'abondance, et que rien ne leur manque,j'infère de là que nul homme qui est sur la terren'est dans l'abondance et que tout lui manque. Il n'ya que deux sortes de richesses, et auxquelles les autres* se ré<strong>du</strong>isent, l'argent et les terres; si tous sontriches, qui cultivera les terres, et qui fouillera lesmines? Ceux qui sont éloignés des mines ne les fouillerontpas, ni ceux qui habitent des terres incultes etminérales ne pourront pas en tirer des fruits; on aurarecours au commerce, et on le suppose. Mnis, si leshommes abondent de biens, et que nul ne soit dansle cas de vivre par son travail, qui transportera d'unerégion à une autre les lingots ou les choses échangées?qui mettra des vaisseaux en mer? qui se chargera deles con<strong>du</strong>ire? qui entreprendra des caravanes? Onmanquera alors <strong>du</strong> nécessaire et des choses utiles.I. Vin. Les deux autres, dans toute* tes éditions originales. c\st évi*déminent une faute d'impression. (A. DESTiiiiKuii.} Celte remarque uous paraittic$-justc ( et uout adoptons la correction.* ts ••M;11i. i


v., ,* mVf \-> "> ~ ~\ *»--•.C- *rt ,/• i*V418 DES ESPRITS FORTS.S'il n'y a plus de besoins, il n'y a plus d'arts, plus desciences, plus d'invention, plus de mécanique. D'ailleurscette égalité de possessions et de richesses enétablit une autre dans les conditions, bannit toute subordination,ré<strong>du</strong>it les hommes & se servir eux-mêmeset. à ne pouvoir être secourus les uns des autres, rendles lois frivoles et inutiles, entraîne une anarchie universelle,attire la violence, les injures, les massacres,l'impunité*Si vous supposez, au contraire, que tous les hommessont pauvres, en vain le soleil se lève pour euxsur l'horizon, en vain il échauffe la terre et la rend féconde,en vain le ciel verse sur elle ses influences, les/leuvcs en vain l'arrosent et répandent dans les diversescontrées la fertilité et l'abondance ; inutilementaussi la mer laisse sonder ses abîmes profonds, lesrochers et les <strong>mont</strong>agnes s'ouvrent pour laisser fouillerdans leur sein et en tirer tous les trésors qu'ils yrenferment. Mais, si vous établissez que, de tous leshommes répan<strong>du</strong>s dans le monde, les uns soient richeset les autres pauvres et indigents, vous faitesalors que le besoin rapproche mutuellement les hommes,les lie, les réconcilie : ceux-ci servent, obéissent,inventent, travaillent, cultivent, perfectionnent;ceux-là jouissent, nourrissent, secourent, protègent,gouvernent; tout ordre est rétabli, et Dieu se découvre.1 Mettez l'autorité, les plaisirs et l'oisiveté d'uncôté, la dépendance, les soins et la misère de l'autre :ou ces choses sont déplacées par la malice des hommes,ou Dieu n'est pas Dieu.Une certaine inégalité dans les conditions, qui entretientl'ordre et la subordination, est l'ouvrage deDieu, ou suppose une loi divine ; une trop grandedisproportion, et telle qu'elle se remarque parmi leshommes, est leur ouvrage, ou la loi des plus forts.st.Sit *•>èl]


DES ESPJUTS FOUTS. 419Les extrémités sont vicieuses et parlent de l'homme ;toute compensation est juste et vient de Dieu.i-Si on ne goûte point ces Caractères ', je m'enétonne, et si on les goûte, je m'en étonne de môme.I. Vin. Si l'on m Qîile point cttremarçutt qu: j'ai écrites*tiVn*7,mw


' ' " ' • ' ^ ^ ' * * " * * * * • * * ^ > " * - » I I • • m n » i i ^ « ^DISCOURSPRONONCÉDANS L'ACADEMIE FRANÇOISELE LUNDI, QUINZIÈME JUIN 1693.a.IPRÉFACE.Ceux qui, interrogés sur le discours que je fis à l'Académiefrançoise le jour que j'eus l'honneur d'y être reçu,ont dit sèchement que j'avais fait des caractères, croyantle blâmer, en ont donné l'idée la plus avantageuse que jepouvois moi-même désirer : car, le public ayant approuvéce genre d'écrire où je me suis appliqué depuis quelquesannées, c'étoit le prévenir en ma iaveur que de faire unetelle réponse '. 11 ne r es toit plus que de savoir si je n'auroispas dû renoncer aux caractères dans le discours dontil s'agissoit; et cette question s'évanouit dès qu'on sait quel'usage a prévalu qu'un nouvel académicien compose celuiqu'il doit prononcer le jour de sa réception de l'éloge <strong>du</strong>roi, de ceux <strong>du</strong> cardinal de Richelieu, <strong>du</strong> chancelier Séguier,de la personne à qui il succède, et de l'Académiefrançoise. De ces cinq éloges il y en a quatre de personnels;or je demande à mes censeurs qu'ils me posent si bien ladifférence qu'il y a des éloges personnels aux caractèresqui louent, que je la puisse sentir et avouer ma faute. Si,Pî"*•Kzgi • La Bruyère eut de la peine h être admis à l'Académie française aprèsavoir publié ses Caractère** 11 eut besoin de crédit pour vaincre l'opposition 'de quelques gens de lettrés qu'il avait offensés, et les clameurs de cette fouled'hommes malbeureux qui, dans tous les temps, sont importunés des grandi 'Çtalents et des grands succès; mais La Bruyère avait pour lui Bossuet, Racine,Despréaux, et le cri public : il fut reçu* Son dW:ours est un des plus logé- ,.-nieux qui aient été prononcés dans cette Académie. H est le premier qui ait |-louédes académiciens vivants. On se rappelle encore les traits heureux dont §it caractérisa Bossuet, La Fontaine et Despréaux. Les ennemis de l'auteur af*fédèrent de regarder ce discours comme une satire* Ils intriguèrent pour eu lfZyfaire défendre l'impression ; et, n'ayant pu y réussir, ils le firent déchirerdans tes journaux, qui! dès lors, étaient déjà, pour la plupart, des inslru-I~I" i i ii ri ii _ . . . .


PRÉFACE. 421chargé de faire quelque autre harangue, je retombe encoredans des peintures» c'est alors qu'on pourra écouter leurments de la malignité et de l'envie entre tes mains de la bassesse et de la sot*lise. On vit éclore une foule d*épigrammes et de chansons, où la rage estégale à la platitude, et qui sont tombées dans le profond oubli qu'elles méri*tont, On aura peut-être peine à croire que ce soit pour l'auteur des Caractères-qu'on a fait ce couplet ;Quand La Bruyère se présente,Pourquoi faut-il crier harolrPour faire un nombre de quarante,Ne fallait-il pas un zéro ?L'admission de la Bruyère à l'Académie avait excité une grande auirao*r -site entre les partis qui divisaient alors les gens de lettres, la colère de ceuxI


In4$2 PRÉFACE,critique, et peuMUe me condamner; je dis peut-ôlre,puisque les caractères, ou <strong>du</strong> moins les images des chosesdémit, est absolument pareil à celui que La Bruyère a donné dans son livre,et qu'il ne présente pas une seule variante importante,Seconde chanson sur la réception de La Bruyère k l'Académie, le 15 juin1693 (tome VII, page 437 <strong>du</strong> Recueil manuscrit des chansons histotlquts $ibid t ) iScr Talr de : Lampon*Les quarante beaux esprits: Sont tombés dans te mépris :Us n'avaieut plus Furetière,lis ont pris La Bruyère»Lampon, lampon, La Bruyère, lampon»Par des portraits ressemblantsIls seront en beaux draps blancs,Chacun aurk son affaire :On ne les respecte guère.Lampon, lampon, La Bruyère} lampon.Pour Racine et DespréauxLeurs portraits sont des plus beaux ; .Us sont flattés à merveille,Aux dépens <strong>du</strong> grand Corneille*Lampon, lampon, La Bruyère, lampoinLa Bruyère l'a promis, *vF;II mordra ses ennemis.^liais chacun lui fait la guerre :^Mordra-t-il toute la terre?^Lampon, lampon, La Bruyère, lampon*Jir t-. '•F.t sur ce dernier couplet il y a cette note : • • m« Personne n'aime La Bruyère, et chacun trouve à redire aux portraits de |fesort livre, ou une infinité de geus sont tournés eu ridicule, et reconnus, quoi*Ique sous de faux noms, tLe mot lampon, qui sert de refrain à tant de couplets de cette époque^ ||lient, je crois, <strong>du</strong> mot anglais lampoon, et est ici synonyme de ridicule*feÉpigramme tirée <strong>du</strong> même Recueil lL'Académie a reçu La Bruyète,Elle pourra s'en repentir. •'JI-'Toutefois, H est bon que, pour nous divertir;Elle ait toujours un Furetière.-forSur celte épigramme on trouve cette note dans le recueil.i Cet homme était fort caustique, et son livre des Caractères ou des mœuride ce siècle n'était que des portraits satiriques de tout ce qu'il y a de consi- |||dêrable à la cour et à la ville, de l'un et l'autre sexe. Cela avait donné un sigrand débit à ce livre, qu'on l'avait imprimé pour la septième fois en 169^*ï•r—•( S. .1*4f*? a T£?-h ,-*•"V•Hil*• •j?'$k*LÏtTTt . •!*\i ir>-\"v*«'• •**!


si"Ttï•G.!PRÉFAC.E. 423et des personnes, sont inévitables dans Voraison, que toutécrivain est peintre, et tout excellent écrivain excellentpeintre.J'avoue que j'ai ajouté ù ces tableaux, qui étoient docommande, les louanges do chacun des hommes illustresqui composent l'Académie françoise; et ils ont <strong>du</strong> me lepardonner, s'ils ont fait attention qu'autant pour ménagerleur pudeur que pour éviter les caractères, je me suisabstenu de toucher & leurs personnes, pour ne parler quede leurs ouvrages, dont j'ai fait des éloges publics plusou moins éten<strong>du</strong>s, selon que les sujets qu'ils y ont traitéspouvoient l'exiger. J'ai loué des académiciens encore vivants,disent quelques-uns. Il est vrai; mais je les ai louéstous : qui d'entre eux auroit une raison de se plaindre?C'est une coutume 1 toute nouvelle, ajoutent-ils, etqui n'avoit point encore eu d'exemple. Je veux en convenir,et que j'ai pris soin de m'écarter des lieux communset des phrases proverbiales usées depuis si longtemps,pour avoir servi à un nombre infini de pareilsdiscours depuis la naissance de l'Académie françoise.M'étoit-il donc si difficile défaire entrer Rome et Athènes,le Lycée et le Portique, dans l'éloge de cette savante compagnie?Être au comble de ses vœux de se voir académicien ;protester que ce jour oh Von jouit pour la première fois d'unsi rare bonheur est le jour le plus beau de sa vie; douter si cethonneur qu'on vient de recevoir est une chose vraie ou qu'onait songée; espérer de puiser désormais à la source les pluspures eaux de Vêloquence françoise; n'avoir accepté, n'avoirdésiré une telle place que pour profiter des lumières de tantde personnes si éclairées; promettre que, tout indigne de leurchoix qu'on se reconnoît, on s'efforcera de s'en rendre digne;cent autres formules de pareils compliments sont-elles sirares et si peu connues que je n'eusse pu les trouver, lesplacer,* et en mériter des applaudissements?Parce donc que j'ai cru que, quoi que l'envie et l'injusticepublient de l'Académie françoise, quoi qu'elles veuillentdire de son âge d'or et de sa décadence, elle n'ajamais, depuis son établissement, rassemblé un si grandt. VA*. Con<strong>du</strong>itefr"i.~+!r ***."-


i424 NIÈFACE.nombre do personnages illustres pour toutes sortes de ta-lents et en tout genre d'érudition qu'il est facile aujour-' d'Iiui d'y en remarquer, et que, dans cette prévention oùje suis, je n'ai pas espéré que cette compagnie pût êtreune autre fois plus belle à peindre, ni prise dans un jourplus favorable, et que je me suis servi de l'occasion, ai-jerien fait qui doive m'attirer les moindres reproches? Cicérona pu louer impunément Brutus, César, Pompée, Marcellus,qui étoient vivants, qui étoient présents; il les aloués plusieurs fois; il les a loués seuls, dans le sénat, souventen présence de leurs ennemis, toujours devant unecompagniejalouse de leurmérite, et qui avoit bien d'autresdélicatesses de politique sur la vertu des grands hommes gque n'en sauroit avqir l'Académie françoise. J'ai loué lesacadémiciens, je les ai loués tous, et ce n'a pas été impunément: que me seroit-il arrivé si je les avois blûméstous?Je viens d'entendre, a dit Théobalde, une grande vilaineharangue qui m'a fait bâiller vingt fois, et qui m'a ennuyéà la mort. Voilà ce qu'il a dit, et voilà ensuite ce qu'il afait, lui et peu d'autres qui ont cru devoir entrer dans lesmêmes intérêts : Ils partirent pour la cour le lendemain f§de la prononciation de ma harangue; ils allèrent de mai*sons en maisons; ils dirent aux personnes auprès de quiils ont accès que je leur avois balbutié la veille un discours |où il n'y avoit ni style ni sens commun, qui étoit remplid'extravagances, et une vraie satire. Revenus à Paris, ils ?rse cantonnèrent en divers quartiers, où ils répandirenttantde venin contre moi, s'acharnèrent si fort à diffamerii( -i Icette harangue, soit dans leurs conversations, soit dans lesillettrésqu'ils écrivirent à leurs amis dans les provinces, en |Sdirent tant de mal, et le persuadèrent si fortement à qui r f*cËne l'avoit pas enten<strong>du</strong>e, qu'ils crurent pouvoir insinuerE-'"-»Cau public, ou que les Caractères faits de la même mainétoient mauvais, ou que, s'ils étoient bons, je n'en etoVpas l'auteur, mais qu'une femme de mes amies m'avoitfourni ce qu'il y avoit de plus supportable ; ils prononcèrentaussi que je n'étois pas capable de faire rien de suivi, pasmôme la moindre préface; tant ils cslimoicnt impraticablei...s v


J .* /t-^i-». '• ~—ff^PïV^*.is*" 1 - J~"*J»'» J .PREFACB. 425à jn homme, même qui est dans l'habitude de penser» etd'écrire ce qu'il pense, l'art de lier ses pensées et de fairedes transitions.Us firentplus : violant les lois de l'Académie Françoise,qui défend aux académiciens d'écrire ou de faire écrirecontre leurs confrères, ils lâchèrent sur moi deux auteur?associés à une même gazette J ; ils les animèrent, non parà publier contre moi une satire fine et ingénieuse, ouvragetrop au-dessus des uns et des autres, facile à manier,et dont les moindres esprits se trouvent capables, mais à medire de ces injures grossières et personnelles, si difficilesà rencontrer, si pénibles à prononcer ou à écrire, surtouta des gens à qui je veux croire qu'il reste encore quelquepudeur et quelque soin de leur réputation.Et en vérité, je ne doute point que le public ne soit enfinétourdi et fatigué d'entendre, depuis quelques années, devieux corbeaux croasser autour de ceux qui, d'un vol libreet d'une plume légère, se sont élevés à quelque gloire parleurs écrits. Ces oiseaux lugubres semblent, par leurs criscontinuels, leur vouloir imputer le décri universel oùtombe nécessairement tout ce qu'ils exposent au grandjour de l'impression; comme si on étoit cause qu'ils manquentde force et d'haleine, ou qu'on dût être responsablede cette médiocrité répan<strong>du</strong>e sur leurs ouvrages. S'il s'imprimeun livre de mœurs assez mal digéré pour tomberde soi-même et ne pas exciter leur jalousie, ils le louentvolontiers, et plus volontiers encore ils n'en parlent point;mais, s'il est tel que le monde en parle, ils l'attaquent avecfurie. Prose, vers, tout est sujet à leur censure, tout esten proie à une haine implacable, qu'ils ont conçue controce qui ose paroltre dans quelque perfection, et avec lessignes d'une approbation publique. On ne sait plus quellemorale leur fournir qui leur agrée; il faudra leur rendrecelle de la Serre ou de Desmarets, et, s'ils en sont crus,revenir au Pédagogue chrétien et à la Cour sainte, 11 paroîtune nouvelle satire écrite contre les vices en général, qui,d'un vers fort et d'un style d'airain, enfonce ses traits con-I. Mer. gai, (Note de La Bruyère.) C'est-à-dire le Mercure galant*ac.


'••YfVJ >t•...V:ri•Iu< h)niM' ï; ti i' si)• }f —t4-26 PHÉFACE.Ire l'avarice, l'excès <strong>du</strong> jeu, la chicane, la mollesse* Tor*<strong>du</strong>re et l'hypocrisie; où personne n'est nommé nulésigné,* où nulle femme vertueuse ne peut ni ne doit se reconnôîlre \un BOURDALOUE en chaire ne fait point de peintures dûcrime ni plus vives ni plus innocentes 1 : il n'importe, c'est'médisance, c'est calomnie. Voilà, depuis quelque temps, leurunique ton, celui qu'ils emploient contre les ouvrages domœurs qui réussissent; ils y prennent tout littéralement,ils les lisent comme une histoire, ils n'y entendent ni lapoésie pi la figure;ainsi ils les condamnent; ils y trouventdes endroits foibles; il y en a dans Homère, dans Pindare,dans Virgile et dans Horace; où n'y en a-t-il point? si con'est peut-être dans leurs écrits. BERNIN n'a pas manié lemarbre, ni traité toutes ses figuresd'une égale force; maison ne laisse pas de voir, dans ce qu'il a moins heureusementrencontré, de certains traits si achevés, tout prochesde quelques autres qui le sont moins, qu'ils découvrentaisément l'excellence de l'ouvrier : si c'est un cheval, lescrins sont tournés d'une main hardie, ils voltigent çt semblentêtre le jouet <strong>du</strong> vent; l'œil est ardent, les naseauxsoufflent le feu et la vie; un ciseau de maître s'y retrouveen mille endroits; il n'est pas donné à ses copistes ni à sesenvieux d'arriver à de telles fautes par leurs chefs-d'œuvre ;l'on voit bien que c'est quelque chose de manqué par unhabile homme, et une faute de PRAXITÈLE *,. Majs qui sont ceux qui, si tendres et si scrupuleux, nepeuvent même supporter que, sans blesser et sans nommerles vicieux, on se déclare contre le vice? sont-ce deschartreux et des solitaires? sont-ce les jésuites, hommespieux et éclairés? sont-ce ces hommes religieux qui habitenten France les cloîtres et les abbayes? Tous, au contraire,lisent ces soytes d'ouvrages, et en particulier, et enpublic, à leurs récréations; ils en inspirent la lecture à"•>»*5m•"23*^


_ _4Së£ë8ëÈÈ^Stfâi!ïs«^^.r«


ilh47j —428 PRÊFACB,dr'o le parti de toute la littérature contre leurs plus irréconciliablesennemis, gens pécunieux, que l'excès d'argentou qu'une fortune faite par de certaines voies, jointe à lafaveur des grands, qu'elle leur attire nécessairement, mènejusqu'à une froide insolence, je leur fais à la vérité à tousune vive apostrophe, mais qu'il n'est pas permis de détournerde dessus eux pour la rejeter sur un seul et surtout autre.Ainsi en usent à mon égard, excités peut-6Ire par lesThéobaldes, ceux qui, se persuadant qu'un auteur écritseulement pour les amuser par la satire, et point <strong>du</strong> toutpour les instruire par une saine morale, au lieu de prendrepour eux et de faire servir à la correction de leursmœurs les divers traits' qui sont semés dans un ouvrage,s'appliquent à découvrir, s'ils le peuvent, quels de leursamis ou de leurs ennemis ces traits peuvent regarder, né*gligent dans un livre tout ce qui n'est que remarques solidesou sérieuses réflexions, quoiqu'on si grand nombrequ'elles le composent presque tout entier, pour ne s'arrêterqu'aux peintures ou aux caractères, et, après lesavoir expliqués à leur manière et en avoir cru trouver lesoriginaux, donnent au public de longues listes, ou, commeils les appellent, des clefs; fausses clefs, et qui leur sontaussi inutiles qu'elles sont injurieuses aux personnes dontles noms s'y voient déchiffrés, et à l'écrivain qui en est lacausé, quoique innocente.J'avois pris la précaution de protester dans une préfacecontre toutes ces interprétations, que quelque connoissanceque j'ai des hommes m'avoit fait prévoir, jusqu'à hésiterquelque temps si je devois rendre mon livre public, et àbalancer entre le désir d'être utile à ma patrie par mesécrits et la crainte'de fournir à quelques-uns de quoi exercerleur malignité. Mais, puisque j'ai eu la foiblesse depublier ces Caractères, quelle digue élèverai-je contre cedéluge d'explications qui inonde la ville, et qui bientôt vagagner la cour? Dirai-je sérieusement, et protesterai-jeavec d'horribles serments, que je ne suis ni auteur nicomplice de ces clefs qui courent; que je n'en ai donnéaucune; que mes plus familiers amis savent que je les leur•yJ••'3,\&mi.te$uklnF**--ETs?tï??*J-—*s^e*w*»-f **-


Sfi,a.f•SU£«stfPREFACE. 429ai toutes refusées> que les personnes les plus accréditéesde la cour ont désespéré d'avoir mon secret? N'est-ce pasla môme chose que si je me tourméntois beaucoup à soutenirque je ne suis pas un malhonnête homme, un hommesans pudeur, sans mœurs, sans conscience, tel enfin queles gazetiers dont je viens de parler ont voulu me représenterdans leur libelle diffamatoire?Mais, d'ailleurs, comment aurois-jc donné ces sortes declefs, si je n'ai pu moi-môme les forger telles qu'elles sontet que je les ai vues? Étant presque toutes différentes entreelles, quel moyen de les faire servir à une môme entrée*je veux dire à l'intelligence de mes remarques? Nommantdes personnes de la cour et de la ville à qui je n'ai jamaisparlé, que je ne connois point, peuvent-elles partir demoi et ôtre distribuées de ma main? Aurois-je donnécelles qui se fabriquent à Homorantin, à Mortagne et àBellesme, dont les différentes applications sont à la baillive,à la femme de l'assesseur, au président de réfaction,au prévôt de la maréchaussée et au prévôt de la collégiale?Les noms y sont fort bien marqués, mais ils ne m'aidentpas davantage à connoîlre les personnes* Qu'on me permetteici une vanité sur mon ouvrage : je suis presquedisposé à croire qu'il faut que mes peintures exprimentbien l'homme en général, puisqu'elles ressemblent à tantde particuliers, et que chacun y croit voir ceux de sa villeou de sa province. J'ai peint à la vérité d'après nature,mais je n'ai pas toujours songé à peindre celui-ci ou cellelàdans mon livre des mœurs. Je ne me suis point loué aupublic pour faire des portraits qui ne fussent que vrais etressemblants, de peur que quelquefois ils ne fussent pascroyables et ne parussent feints ou imaginés ; me rendantplus difficile, je suis allé plus loin; j'ai pris un trait d'uncôté et un trait d'un autre, et, de ces divers traits qui pouvoientconvenir à une môme personne, j'en ai fait despeintures vraisemblables, cherchant moins à réjouir leslecteurs par le caractère, ou, comme le disent les mécontents,par la satire de quelqu'un, qu'à leur proposer desdéfauts à éviter et des modèles à suivre.Il me semble donc que je dois ôtre moins blâmé quo-S&: **3>eîK i ï-a».va>-- •(*»*«^


7£il1HilVIi¥plaint de ceux qui, par hasard, verraient leurs noms écrits'dans ces insolentes listes, que je désavoue et que je con-, damne autant qu'elles le méritent. J'ose mémo attendredîcux celte justice, que, sans s'arrêter à un auteur moralqui n'a eu nulle intention de les offenser par son ouvrage,ils passeront jusqu'aux interprètes, dont la noirceur estinexcusable. Je dis en effet ce que je dis, et nullement cequ'on assure que j'ai voulu direj et je réponds encoremoins de ce qu'on me fait dire, et que je ne dis point. Jenomme nettement les personnes que je veux nommer,toujours dans la vue de louer leur vertu ou leur mérite;j'écris leurs noms en lettres capitales, afin qu'on les voiede loin et que le lecteur ne coure pas risque de les manquer.Si j'avois voulu mettre des noms véritables aux peinturesmoins obligeantes, je me serais épargné le travaild'emprunter des noms de l'ancienne histoire, d'employerdes lettres initiales, qui n'ont qu'une signification vaineet incertaine, de trouver enfin mille tours et mille fauxfuyantspour dépayser ceux qui me lisent et les dégoûterdes applications. Voilà la con<strong>du</strong>ite que j'ai tenue dans lacomposition des Caractères,Sur ce qui concerne la harangue, qui a paru longue etennuyeuse au chef des mécontents, je ne sais en effetpourquoi j'ai tenté de faire de ce remercîment à l'Académiefrançoise un discours oratoire qui eût quelque forceet quelque éten<strong>du</strong>e. De zélés académiciens m'avoîent déjàfrayé ce chemin; mais ils se sont trouvés en petit nombre,et leur zèle pour l'honneur et pour la réputation de l'Académien'a eu que peu d'imitateurs. Je pouvois-suiviol'exemple de ceux qui, postulant une place dans celte compagniesans avoir jamais rien écrit, quoiqu'ils sachentécrire, annoncent dédaigneusement, la veille de leur réception,qu'ils nMnt que deux mots à dire et qu'un momentà parler, quoique capables de parler longtemps etde parler bien.J'ai pensé, au contraire, qu'ainsi que nul artisan n'estagrégé à aucune société ni n'a ses lettres de maîtrise sansfaire son chef-d'œuvre, de même, et avec encore plus debienséance, un homme associé à un corps qui ne s'est sou***'130 N\êFàCE.:**.F;;t •--tet: 'wriIkifi•"•£•1•gF?iv.M*'i*H -V s.1î>->.: %: -- ^ , * h.H1i— -%. t*r*w*i »* >• I ifl I I n«- M#i ~** « H * ^ *^^* — "*'> ^ * *^ **^^- '


'S*•\!-**PRÉFACE, 431tenu et ne peut jamais se soutenir quo par l'éloquencese trouvoit engagé à faire, en y entrant, un effort en c€genre, qui le fit aux yeux do tous parollre digne <strong>du</strong> choixdont il venoit do l'honorer. Il me sembloît encore que,puisque l'éloquence profane ne paroissoit plus régner aubarreau, d'où elle a été bannie par la nécessité de l'expédition,et qu'elle ne devoit plus être admise dans la chaire,où elle n'a été que trop soufferte, le seul asile qui pouvoitlui rester étoit l'Académie françoise, et qu'il n'y avoit riende plus naturel, ni qui pût rendre cette compagnie pluscélèbre, que, si, au sujet des réceptions de nouveaux académiciens,elle savoit quelquefois attirer la cour et la villeà ses assemblées, par la curiosité d'y entendre des piècesd'éloquence d'une juste éten<strong>du</strong>e, faites de main de maître,et dont la profession est d'exceller dans la science de la 'parole.Si je n'ai pas atteint mon but, qui étoit do prononcerun discours éloquent, il me parott <strong>du</strong> moins que je mesuis disculpé de l'avoir fait trop long de quelques minutes :car, si d'ailleurs Paris, à qui on l'avoit promis mauvais,satirique et insensé, s'est plaint qu'on lui avoit manqué deparole; si Marly, où la curiosité de l'entendre s'étoit répan<strong>du</strong>e,n'a point retenti d'applaudissements que la courait donnés à la critique qu'on en avoit faite; s'il a su franchirChantilly, écueil des mauvais ouvrages; si l'Académiefrançoise, à qui j'avois appelé comme au juge souverainde ces sortes de pièces, étant assemblée extraordinairement,a adopté celle-ci, l'a fait imprimer par son libraire,l'a mise dans ses archives; si elle n'étoit pas en cfTet composéed'un style affecté, <strong>du</strong>r et interrompu, ni chargée delouanges fades et outrées, telles qu'on les lit dans les prologuesd'opéras, et dans tant d'épitrés dédicatoires, il né fau'plus s'étonner qu'elle ait ennuyé Théobalde. Je vois Icitemps, le public me permettra de le dire, où ce ne serapas assez de l'approbation qu'il aura donnée à un ouvragepour en faire la réputation, et que, pour y mettre le derniersceau, il sera nécessaire que de. certaines gens ledésapprouvent, qu'ils \ aient bâillé.Car voudroient-ils, présentement qu'ils ont reconnu queFSâ


• -*L-ri • .,ï^: ••*•432 pnÉKACB. Icette harangue a moins mal réussi dans le public qu'ils ne \. l'avoient espéré, qu'ils savent que deux libraires ont plaidé 1 :à qui l'imprimeroif, voudroient-ils désavouer leur goût etle jugement qu'ils en ont porté dans les premiers jours' qu'elle fut prononcée? Me permettraient-ils de publier, ouseulement de soupçonner, une toute autre raison de l'Aprecensure qu'ils en firent, que la persuasion où ils étoienfqu'elle la méritoit? On sait que cet homme, d'un nom cld'un mérite si distingué 1 , avec qui j'eus l'honneur d'êtrereçu à l'Académie françoîse, prié, sollicité, persécuté de 'consentir à l'impression de sa harangue, par ceux mêmesqui vouloient supprimer la mienne et en éteindre la mémoire,leur résista toujours avec fermeté. 11 leur dit qu'ilne pouvoit ni ne devoit approuver une distinction si odieusequ'ils vouloient faire entre lui et moi ; que la préférence qu'ils. donnoient à son discours avec cette affectation et cet empreS' |sèment qu'ils lui marquoient, bien loin de l'obliger, commeils powoient le croire, lui faisoit au contraire une véritablepeine} que deux discours également innocents, prononcés dansle même jour, dévoient être imprimés dans le même temps.Il s'expliqua ensuite obligeamment, en public et en particulier,sur le violent chagrin qu'il ressentoit de ce que les, deux auteurs de la gazette que j'ai cités avoient fait servirles louanges qu'il leur avoit plu de lui donner à un desseinformé de médire de moi, de mon discours et de mes Ca-F ;ractères; et il me fit sur cette satire injurieuse des explif.-;cations et des excuses qu'il ne me devoit point. Si donc onf. if. vouloit inférer de cette con<strong>du</strong>ite des Théobaldes qu'ils ont- cru faussement avoir besoin de comparaisons et d'une?.•"•:."harangue folle et décriée pour relever celle deînon col-- ; lègue,.ils doivent répondre, pour se laver de ce-soupçon,> ;ui les déshonore, qu'ils ne sont ni courtisans, ni dévouésHa faveur, ni ;| intéressés, ni a<strong>du</strong>lateurs; qu'au contraireils sont sincères, et qu'ils ont dit naïvement ce qu'ils pensoient<strong>du</strong> plan, <strong>du</strong> style et des expressions de mon remer-Çv>ciment à l'Académie françoise. Maison ne manquera pasp.\-% -VteN'!>;•S%"S.Ifet&••t. -1L'.M V,1. L'instance étoit aux requêtes de i'HMel» [Noie de La Bruyire.)Si L'abbé Bigqoa,&?


*j3fiIIHPREFACE, •133d'insister cl do leur dire quo le jugement do la cour etdo la ville, des grands et <strong>du</strong> peuple, lui a été favorable.Qu'importe? Ils répliqueront avec confiance quo le publica son goût, et qu'ils ont le leur, réponse qui Terme la bou«cho et qui termine tout différend. Il est vrai qu'elle m*é«loigne de plus en plus do vouloir leur plaire par aucunde mes écrits : car, si j'ai un peu de aanté, avec quelquesannées do vie, jo n'aurai plus d'autre ambition que cellede rendre, par des soins assi<strong>du</strong>s et par de bons conseils,mes ouvrages tels qu'ils puissent toujours partager le»Théobaldes et le public*• i^t,".t!••3tka.ï Vb'ï! £tv'*s;*iîK Ait-Mi*• > & £^ ". - , " a agfe- -*5g®ag


J,^*'/"-». 4r ••' -"" "Ly-Ï>DISCOURSPRONONCÉDANS L'ACADÉMIEFRANÇOISELE LUNDI, QUINZIÈME JUIN 16*3.«'$y**t..v-:cMESSIEURS,Il seroit difficile d'avoir l'honneur de se trouver aumilieu de vous, d'avoir devant ses yeux l'AcadémieFrançoise, d'avoir lu l'histoire de son établissement,sans penser d'abord a celui à qui elle en est redevable»et sans se persuader qu'il n'y a rien de plus naturel,et qui doive moins vous déplaire» que d'entamer cetissu de louanges qu'exigent le devoir et la coutumepar quelques traits où ce grand cardinal soit reconnoissable,et qui en renouvellent la mémoire.Ce n'est point un personnage qu'il soit facile derendre ni d'exprimer par de belles paroles ou par deriches figures, par ces discours moins faits pour releverle mérite de celui que l'on veut peindre quepour <strong>mont</strong>rer tout le feu et toute la vivacité de l'orateur.Suivez le règne de Louis le Juste : c'est la vie<strong>du</strong> cardinal de Richelieu, c'est son éloge et celui <strong>du</strong>prince qui l'a mis en œuvre. Que pourrois-je ajouterà des faits encore récents et si mémorables? Ouvrezson Testament politique, digérez cet ouvrage : c'est lapeinture de son esprit ; son àme tout entière s'y dé-*veloppe; l'on y découvre le secret de sa con<strong>du</strong>ite etde ses actions; l'on y trouve la source et la vraisemblancede tant et de si grands événements qui onti.I tIÊs- 2*m%'• '-'.-rsm*¥ht Jimir,"- «'t.; t, ^


* *mil- ^ 3I%tDISCOURS A L'ACADÉMIE FRANÇOISE. 410paru sous son administration; l'on y voit sans peinequ'un homme qui pense si virilement et si juste a puagir sûrement et avec succès, et que celui qui a achevéde si grandes choses ou n'a jamais écrit, ou a-dû écrirecomme il a fait.Génie fort et supérieur, il a su tout le fond et toutle mystère <strong>du</strong> gouvernement; il a connu le beau et lesublime <strong>du</strong> ministère; il a respecté l'étranger, ménagéles couronnes, connu le poids de leur alliance; il aopposé des alliés à des ennemis; il a veillé aux intérêts<strong>du</strong> dehors, à ceux <strong>du</strong> dedans; il n'a oublié queles siens : une vie laborieuse et languissante, souventexposée, a été le prix d'une si haute vertu; dépositairedes trésors de son maître, comblé de ses bienfaits,ordonnateur, dispensateur de ses finances, onne sauroit dire qu'il est mort riche.Le croiroit-on, messieurs? cette âme sérieuse eiaustère, formidable aux ennemis de l'État, inexorableaux factieux, plongée dans la négociation, occupéetantôt à affoiblir le parti de l'hérésie, tantôt à déconcerterune ligue, et tantôt à méditer une conquête,a trouvé le loisir d'être savante, a goûté les belles*lettres et ceux qui en faisoient profession. Comparez*vous, si YOUS l'osez, au grand Richelieu, hommes dé«voués à la fortune, qui, par le succès de vos affairesparticulières, vous jugez dignes que l'on vous confieles affaires publiques; qui vous donnez pour des géniesheureux et pour de bonnes têtes; qui dites quevous ne savez rien, que vous n'avez jamais lu, que vousne lirez point, ou pour marquer l'inutilité des sciences,ou pour paroltre ne devoir rien aux autres, mais puisertout de votre fonds. Apprenez que le cardinal deHichclicu a su, qu'il a lu; je ne dis pas qu'il n'a pointeu d'éloignement pour les gens de lettres, mais qu'il\lcs à aimés, earessés, favorisés; qu'il leuia ménagédes privilèges, qu'il leur destînoit des pensions, qu'il^ - ï ï ^ ^ T T - f e S ' " : - ^ - < • , • : . H ~ . . , *


\v•. >s ,436 DISCOURSles a réunis en une compagnie célèbre, qu'il en a faitl'Académie françoise. Oui, hommes riches et ambitieux,contempteurs de la vertu.et de toute associationqui -ne roule pas sur les établissements et surl'intérêt, celle-ci est une des pensées de ce grand ministre,né homme d'État, dévoué à l'État; esprit solide,éminent, capable dans ce qu'il faisoit des motifsles plus relevés et qui tendoient au bien public commeà la gloire de la monarchie; incapable de concevoirjamais rien qui ne fût digne de lui, <strong>du</strong> prince qu'ilservoit» de la France, à qui il avoit consacré ses méditationset ses veilles.Il savoit quelle est laforce et l'utilité de l'éloquence,la puissance de la parole qui aide la raison et la faitvaloir, qui insinue aux hommes la justice et la pro«bité, qui porte dans le cœur <strong>du</strong> soldat l'intrépidité etl'audace, qui calme les émotions populaires, qui exciteà leurs devoirs les compagnies entières ou la multitude;il n'ignoroit pas quels sont les fruits de l'histoire etde la poésie, quelle est la nécessité de la grammaire,ta base et le fondement des autres sciences, et que,pour con<strong>du</strong>ire ces choses à un degré de perfectionqui les rendit avantageuses à la république, il fallpitdresser le plan d'une compagnie où la vertu seule fûtadmise, le mérite placé, l'esprit et le savoir rassembléspar des suffrages. N'allons pas plus loin : voilà,messieurs, vos principes et votre règle, dont je ne suisqu'une exception.Rappelez en votre mémoire, la comparaison ne voussera pas injurieuse, rappelez ce grand et premier concileoù les Pères qui le composoient étoient remarquableschacun par quelques membres mutilés, oupar les cicatrices qui leur étoient restées des fureursde la persécution; ils sembloient tenir de leurs plaieste droit de s'asseoir dans celte assemblée générale detoute l'Église : il n'y avoit aucun de vos illustres pré dé-J ,:—'^^fc*-IÉ V-


* JS.' . ' i•' • ' . . » i . - J . * • • * •/ • , " - ,• . • • • • •«•- - »**A L'ACADÉMIE FRANÇOISE. 437cesseurs qu'on ne s'empressât de voir, qu'on ne <strong>mont</strong>râtdans les places, qu'on ne désignât par quelqueouvrage fameux qui lut avoit fait un grand nom, et'qui lui donnoit rang dans cette Académie naissantequ'ils avoient comme fondée. Tels étoient ces grand»artisans de la parole, ces premiers maîtres de l'éloquencefrançoise; tels vous êtes, messieurs, qui necédez ni en savoir ni en mérite à nul de ceux qui vousont précédés.L'un 1 , aussi correct dans sa langue que s'il l'avoitapprise par règles et par principes, aussi élégant dansles langues étrangères que si elles lui étoient naturelles,en quelque idiome qu'il compose, semble toujoursparler celui de son pays; il a entrepris, il a finiune pénible tra<strong>du</strong>ction que le plus bel esprit pourroitavouer, et que le plus pieux personnage devroit désirerd'avoir faite.L'autre 1 fait revivre Virgile parmi nous, transmetdans notre langue les grâces et les richesses de la latine,fait des romans qui ont une fin, en bannit le prolixeet l'incroyable, poury substituer le vraisemblableet le naturel.Un autre 9 , plus égal que Marot et plus poète queVoiture, a le jeu, te tour, et la naïveté de tous lesdeux; il instruit en badinant, persuade aux hommesla vertu par l'organe des botes, élève les petits sujetsjusqu'au sublime : homme unique dans son genred'écrire; toujours original, soit qu'il invente, soit qu'iltra<strong>du</strong>ise; quia été au delà do ses modèles, modèlelui-môme difficile à imiter.Celui-ci 4 passe Juvénal, atteint Horace, semble créerles pensées d'autrui et se rendre propre tout ce qu'ilI. IMfeé de Choisy. ta tra<strong>du</strong>ction & laquelle tl eit fait Ici OIIUîÎOû ttlcelte de limitation de Jésus-Christ*î. Segrai», tra<strong>du</strong>cteur dei Qéorgîqum3. LaFotitaittc,4. Boileau,37»


L'•438 Discoimsmanie; il a, dansée qu'il emprunte des autres, toutesles grâces de la nouveauté et tout le mérite de l'invention.Ses vers, forts et harmonieux, faits de génie,quoique travaillés avec art, pleins de traits et depoésie, seront lus encore quand la langue aura vieilli»en seront les derniers débris ; on y remarque une critiquesûre, judicieuse et innocente, s'il est permis<strong>du</strong> moins de dire de ce qui est mauvais qu'il est mail*vais. .Cet autre' vient après un homme loué, applaudi,admiré, dont les vers volent en tous lieux et passenten proverbe, qui prime, qui règne sur la scène, quis'est emparé de tout le théâtre ; il ne l'en dépossèdepas, il est vrai, mais il s'y établit avec lui; le mondes'accoutume à en voir faire la comparaison; quelquesunsne souffrent pas que Corneille, le grand Corneille,lui soit préféré ; quelques autres, qu'il lui soit égalé ;ils en appellent à l'autre siècle, ils attendent la fin dequelques vieillards qui, touchés.indiffércmmentdetoutce qui rappelle leurs premières années, n'aimentpeut-être dans Œdipe que le souvenir de leur jeunesse.Que dirai-je de.ee personnage* qui a fait parler silongtemps une envieuse critique et qui l'a fait taire ;qu'on admire malgré soi, qui accable par le grandnombre et par l'éminencc de ses talents? Orateur,historien, théologien; philosophe, d'une rare érudition,d'une plus rare éloquence, soit dans ses entre*tiens, soit dans ses écrits, soit dans la chaire; un défenseurdelareïigion, une lumière de l'Église» parlonsd'avance le langage de la postérité, un Père del'Église I Que n'cst-il point? Nommez, messieurs, unovertu qui ne soit pas la sienne.! -i£SÏÎ&li Racine.1» Uoi$ficU*M j-v, .**•m:&££&£^'


' • Z T S & ' . I - C - X . " ' .^ *-- » >«-*V.tfiÀ* L'ACADéMIE FRANÇOISE. 439Toucherai-je aussi votre dernier choix, si digne devous 1 ? Quelles choses vous furent dites dans la placeoù je «ne trouve I Je m'en souviens, et, après ce quevous avez enten<strong>du</strong>, comment osé-je parler? commentdaignez-vous m'entendre? Àvouons-lo,on sent la forceet l'ascendant de ce rare esprit, soit qu'il prêche degénie et sans préparation, soit qu'il prononce un discoursétudié et oratoire, soit qu'il explique ses penséesdans la conversation ; toujours matlre de l'oreilleet <strong>du</strong> cœur de ceux qui l'écoutent, il ne leur permetpas d'envier ni tant d'élévation, ni tant de facilité, dedélicatesse, de politesse. On est assez heureux de l'entendre,de sentir ce qu'il dit, et comme il le dit.On doit être content de soi si l'on emporte ses réflexionset si l'on en profite. Quelle grande acquisitionavez-vous faite en cet homme illustre t A qui m'associez-vous1Je voudrois, messieurs, moins pressé par le tempset par les bienséances qui mettent des bornes à cediscours, pouvoir louer chacun de ceux qui composentcette Académie par des endroits encore plus marquéset par de plus vives expressions. Toutes les sortesde talents que l'on voit répan<strong>du</strong>s parmi les hommesse trouvent partagées entre vous. Veut-on de disertsorateurs, qui aient semé dans la chaire toutes les fleursde l'éloquence, qui, avec une saine morale, aient employétous les tours et toutes les finesses de la langue,qui plaisent par un beau choix de paroles, qui fassentaimer les solennités) les temples, qui y fassent courir;qu'on ne les cherche pas ailleurs; ils sont parmi vous.Admire-t-on une vaste et profonde littérature qui aillefouiller dans les archives de l'antiquité pour en retirerdes choses ensevelies dans l'oubli, échappées aux espritsles plus curieux, ignorées des autres hommes»\-s%iîi nr -i > i si >i.\!• Fcnclon,reçu o l'Académie ta tntme année que U Druyrre.!I -*-


• .1^ ' 440 DISCOURSune mémoire, une méthode, une précision à ne pou-« voir, dans ses recherches, s'égarer d'une seule année,, quelquefois d'un seul jour sur tant de siècles ; cettei doctrine admirable, vous la possédez : elle est <strong>du</strong>moins en quelques-uns de ceux qui forment cette sa*vante assemblée. Si l'on est curieux <strong>du</strong> don des langues,joint au double talent de savoir avec exactitudeles choses anciennes, et de narrer celles qui sont nouvellesavec autant de simplicité que de vérité, des1 »qualités si rares ne vous manquent pas et sont réuniesen un même sujet. Si l'on cherche des hommes habiles,pleins d'esprit et d'expérience, qui, par le privilègede leurs emplois, fassent parler le prince avecdignité et avec justesse; d'autres qui placent heureusementet avec succès, dans les négociations les plusdélicates, les talents qu'ils ont de bien parler et debien écrire ; d'autres encore qui prêtent leurs soinset leur vigilance aux affaires publiques, après les avoiremployés aux judiciaires, toujours avec une égale réputation,tous se trouvent au milieu de vous, et jesouffre à ne les pas nommer.| Si vous aimez le savoir joint a l'éloquence, vousn'attendrez pas longtemps ; réservez seulement toutevotre attention pour celui qui parlera après moi \Que vous manque-t-il enfin? Vous avez des écrivainshabiles en l'une et en l'autre oraison; des poètes entout genre de poésies, soit morales, soit chrétiennes»soit héroïques, soit galantes et enjouées ; des imitateursdes anciens; des critiques austères; des espritsOns, délicats, subtils, ingénieux, propres à brillerdans les conversations et dans les cercles. Encore unefois, à quels hommes, à quels grands sujets, m'associez-vous1Mais avec qui daignez-vous aujourd'hui me reco»i-Xisa3f,#^•Vt• *^ 1l. Charpentier, olor» directeur de l'Académie.


'*."+•W&M^^m^^^^^^-^.,-3*3*=-•£+saa'f.j^aw.r-:A L'ACADÉMIE. FRANÇOISE. 441voir * ? Après qui vous fais-je ce public remercîment?Il ne doit pas néanmoins, cet homme si louable et simodeste, appréhender que je le loue. Si proche demoi, il auroit autant de facilité que de disposition àm'interrompre. Je vous demanderai plus volontiers :À qui me faites-vous succéder? A un homme QUI AVOITDE LA VERTU 1Quelquefois, messieurs, il arrive que ceux qui vousdoivent les louanges des illustres morts dont ils remplissentla place hésitent, partagés entre plusieurschoses qui méritent également qu'on les relève. Vousaviez choisi en M. l'abbé de La Chambre un hommesi pieux, si tendre, si charitable, si louable par lecœur, qui avoit des mœurs si sages et si chrétiennes,qui étoit si touché de religion, si attaché à ses devoirs,qu'une de ses moindres qualités étoit de bien écrire.De solides vertus, qu'on voudroit célébrer, font passerlégèrement sur son érudition ou sur son éloqu ucc ;on estime encore plus sa vie et sa con<strong>du</strong>ite que sesouvrages. Je préférerois en effet de prononcer le discoursfunèbre de celui à qui je succède, plutôt que deme borner à un simple éloge de son esprit. Le mériteen lui n'étoit pas une chose acquise, mais un patrimoine,un bien héréditaire, si <strong>du</strong> moins il en fautjuger par le choix de celui qui avoit livré son cœur,sa confiance, toute sa personne, à cette famille, quil'avoit ren<strong>du</strong>e comme votre alliée, puisqu'on peutdire qu'il l'avoit adoptée, et qu'il l'avoit r iso avecl'Académie française sous sa protection.Je parle <strong>du</strong> chancelier Séguier. On s'en souvientcomme de l'un des plus grands magistrats que laFrance ait nourris depuis ses commencements, il alaissé à douter en quoi il exeelloit davantage, ou damles belles-lettres, ou dans les affaires! il est vrai <strong>du</strong>tt î/olbé Blgtiodi reçu te même jour que La tkuycrci


• 1* '•'u.il..1 v- ••!» ':C..-> >t *•442 DISCOUBS.moins, et on en convient, qu'il surpassoit en l'un eton l'autre tous ceux de son temps. Homme grave etfamilier, profond dans les délibérations, quoiquedoux et facile dans le commerce, il a eu naturellementce que tant d'autres veulent avoir et ne se donnentpas, ce qu'on n'a point par l'étude et par l'affectation,par les mots graves ou sentencieux, ce qui est plusrare, que la science, et peut-être que la probité, je .veux dire de la dignité. U ne la devoit point à l'éminencede son poste; au contraire, il l'a anobli; il a étégrand et accrédité sans ministère, et on ne voit pasque ceux qui ont su tout réunir en leurs personnesl'aient effacé.Vous le perdîtes il y a quelques années, ce grandprotecteur; vous jetâtes la vue autour de vous, vouspromenâtes vos yeux sur tous ceux qui s'offroient etqui se trouvoient honorés de vous recevoir; mais lesentiment de votre perte fut tel, que, dans les effortsque vous fîtes pour la réparer, vous osâtes penser àcelui qui seul pouvoit vous*la faire oublier et la tournerà votre gloire \ Avec quelle bonté, avec quellehumanité ce magnanime prince vous a-Ml reçus I N'ensoyons pas surpris: c'est son caractère, le même,messieurs, que l'on voit éclater dans toutes les actionsde sa belle vie, mais que les surprenantes révolutionsarrivées dans un royaume voisin et allié de la Franceont mis dans le plus beau jour qu'il pouvoit jamaisrecevoir.Quelle facilité est la nôtre pour perdre tout d'uncoup le sentiment et la mémoire des choses dont nousnous sommes vus le plus fortement imprimés! Souvenons-nousde ces jours tristes que nous avons passésdans l'agitation et dans le trouble; curieux, incertainsnfeES$k.mm«a•M1 • Le chancelier Séguter avott le titre de protecteur de l'Académie françalie.~*


^ $S S)? 9^?^^-^^* _* .,* ^__A L'ACADEMIE FRANÇOISE. 443quelle fortune auroient courue un grand roi, unegrande reine, le prince leur fils, famille auguste, mais,malheureuse, que la piété et la religion avoient pousséejusqu'aux dernières épreuves de l'adversité. Hélas!avoient-ils péri sur la mer ou par les mains de leursennemis? Nous ne le savions pas; on s'interrogeoit,on se promettoit réciproquement les premières nouvellesqui viendroient sur un événement si lamentable;ce n'étoit plus une affaire publique, mais domestique;on n'en dormoit plus, on s'éveilloit les uns les autrespour s'annoncer ce qu'on en avoit appris. Et, quandces personnes royales, à qui l'on prenoit tant d'intérêt,eussent pu échapper a la mer ou à leur patrie, étoitceassez? Ne falloit-il pas une terre étrangère où ilspussent aborder, un roi également bon et puissantqui pût et qui voulût les recevoir? Je l'ai vue, cetieréception, spectacle tendre s'il en fut jamais 1 On yvers oit des larmes d'admiration et de joie. Ce princen'a pas plus de grâce lorsqu'à la tète de ses camps etde ses armées, il foudroie une ville qui lui résiste, ouqu'il dissipe les troupes ennemies <strong>du</strong> seul bruit deson approche.S'il soutient cette longue guerre, n'en doutons pas,c'est pour nous donner une paix heureuse, c'est pourl'avoir à des conditions qui soient justes et qui fassenthonneur à la nation, qui ôtent pour toujours à l'ennemil'espérance de nous troubler par de nouvelleshostilités. Que d'autres publient, exaltent, ce que cegrand roi a exécuté» ou par lui-môme, ou par ses capitaines,<strong>du</strong>rant le cours de ces mouvements donttoute l'Europe est ébranlée : ils ont un sujet vaste etqui les exercera longtemps, tiuc d'autres augurent,s'ils le peuvent, ce qu'il veut achever dans cette canvpagne, je ne parle que de son cœur, que de la puretéet de la droiture do ses intentions; elles sont connues,elles lui échappent. On le félicite sur des titres d'hon


444 DISCOURS.neur dont il vient de gratifier quelques grands de son•5* -5: -| p< ' État ; que dit-il? qu'il ne peut être content quand tous{ î f ;*• , ne le sont pas, et qu'il lui est impossible que tous lesoient comme il le voùdroit. Il sait, messieurs, que la!fiftilil!:tf.a?~ ' j fortune d'un roi est de prendre des villes, de gagnerdès batailles,' de reculer ses frontières, d'être craintde ses ennemis; niais que la gloire <strong>du</strong> souverain consisteà être aimé de ses peuples, en avoir le cœur, etpar le cceur tout ce qu'ils possèdent. Province^ êloi- ,|| ^ gnées, provinces voisines, ce prince humain et bienfaisant,que les peintres et les statuaires nous défigurent,vous tend les bras, vous regarde avec des yeuxtendres et pleins de douceur; c'est là son attitude; il•\-tveut voir vos habitants, vos bergers, danser au son"&•*d'une flûte champêtre sous les saules et les peupliers,y mêler leurs voix rustiques, et chanter les louangesde celui qui, avec la paix et les fruits de la paix, leuraura ren<strong>du</strong> la joie et la sérénité.C'est pour arriver à ce comble de ses souhaits, la% félicité commune, qu'il se livre aux travaux et aux•


T r * T * • • * * * * • . * . * - •*t^ • • — f ; eV«4Iç.?A L'ACADÉMIE FRANÇOISE. 445- nues de son palais, les astres brillent au ciel et fontleur course; toute la nature repose, privée <strong>du</strong> jour,ensevelie dans les ombres; nous reposons aussi, tandisque ce roi, retiré dans son balustrc, veille seul suinous et sur tout l'État. Tel est, messieurs, le protecteur que vous vous êtes procuré, celui de ses peuples.Vous m'avez admis dans une compagnie illustréepar une si haute protection : je ne le dissimule pas,j'ai assez estimé cette distinction pour désirer del'avoir dans toute sa fleur et dans toute son intégrité,je veux dire de la devoir à votre seul choix; et j'aimis votre choix à tel prix que je n'ai pas osé en blesser,pas môme en effleurer la liberté, par une inopportunesollicitation. J'avois d'ailleurs une juste défiancede moi-môme, je sentois de la répugnance àdemander d'être préféré à d'autres qui pouvoient êtrechoisis. J'avois cru entrevoir, messieurs, une choseque je ne devois avoir aucune peine à croire, que vosinclinations se tournoient ailleurs, sur un sujet digne,sur un homme rempli de vertus, d'esprit et de connoissanecs,qui étoit tel avant le poste de confiancequ'il occupe, et qui seroit tel encore s'il ne l'occupoitplus '. Je me sens touché, non de sa déférence, jesais celle que je lui dois, mais de l'amitié qu'il m'atémoignée, jusques à s'oublier en ma faveur. Un pèremono son (Ils à un spectacle; la foule y est gaande, lajporte est assiégée ; il est haut et robuste, il fend laIpresse; et, comme il est prés d'entrer, il pousse son |fils devant lui, qui, sans cette précaution, ou n'entreloit point, ou entreroit tard, Cette démarche, d'avoirsupplié quelques-uns de vous, comme il a fait, de dé*tourner vers moi leurs suffrages, qui pouvoient si justementaller a lui, elle est rare, puisque dans ces circonstanceselle est unique, et elle ne diminue rien deM*':*,It. SIPJOII do La Loubère.3$• ip.!\I^SSiS* ^>" ïwp-ï -«p wtf *• wr*-


446 DISCOURS A L ACADÉMIE FRANÇOISEt \t K.•if* •&?,h-


mILETTRESS'*»AU COMTE DE BUSSY.fParis, ce 9 décembre i 6 01.•4« Si vous ne vous, cachiez pas de vos bienfaits,< monsieur» vous auriez plus tôt mon remerciaient.< Je vous le dis sans compliment, la manière dont( vous venez de m'obliger m'engage pour tonte ma( vie à la plus vive reconnoissanec dont je puisse être( capable. Vous aurez bien de la peine à me fermer la< bouche; je ne puis me taire sur cette circonstance,( qui me dédommage de n'avoir pas été reçu dans un< corps à qui vous faites tant d'honneur. Les Altesses< à qui je suis seront informées de tout ce que vous< avez fait pour moi» monsieur» Les sept voix qui ontt été pour moi) je ne les ai pas mendiées, elles sont< gratuites ; mais il y a quelque chose à la vôtre quinie flatte plus sensiblement que les autres. — Jevous envoie» monsieur» un de mes livres de Caractères,fort augmenté » et je suis avec toute sorte de« respect et de gratitude» etc. l »DE LA BAUYèHë.I» Cette lettre fut écrite à L'ottaiton de la première candidature de LaBiuyère à l'Académie française, en 1691 • Notre auteur Tenait & celte époquede publier la ititême édition de ion livré. L'Académie lui préféra Pavillon,M M ^ W t***&*•Wé^Sfà^^^^ty^^^•*t>r -t


448 LETTRES.A SANTKUL.« Voulez-vous que je vous dise la vérité, mon cher« monsieur? Je vous ai fort bien défini la première fois.« Vous êtes le plus beau génie <strong>du</strong> monde et la plus« fertile imagination qu'il soit possible de concevoir;a mais, pour les mœurs et les manières, vous êtes un« enfant de douze ans. A quoi pensez-vous, de fonder« sur une méprise ou sur un oubli, ou peut-être encore« sur un malenten<strong>du</strong>, des soupçons injustes et qui ne« convenoient point aux personnes de qui vous les avez« contés? Que Monsieur le Prince et Madame la Princecesse sont très contents de vous; qu'ils sont très in-« capables d'écouter les moindres rapports; qu'on ne« leur eh a point fait, qu'on n'a pas dû leur en faire« sur votre sujet, puisque vous n'en avez point fourni*t de prétexte; que la première chose qu'ils auraient« faiteauroit été de condamner les rapporteurs. Voilà« leur con<strong>du</strong>ite : que tout le monde est fort content«de vous, vous loue, vous estime, vous admire; et« vous reconnoîtrez que je vous dis vrai. La circons-« tance <strong>du</strong> pâté est foiblc contre les assurances que je« vous donne avec plaisir, et avec une estime infinie,« monsieur, votre très humble et très obéissant servi-« teur,DE LA BRUYèRE, »*•;. La lettre ci-jointe, qui ne porte point de date, et qui parait alto roc enerl&ius passages, s'explique par le caractère de Santcul, qui n'était, commeè dit La Bruyère, qu'un grand enfant qu'on plaisantait sans cesse dans les sa*Ciélés qu'il fréquentait. Les plaisanteries dont H était l'objet lavaient ren<strong>du</strong>très ombrageux ; il s'était imaginé que quelques personnes lui avaient nui dan*l'esprit des princes et de la princesse de Condé, et c'est pour k rass**" Ji t h ce/égard quo La Bruyère lui a écrit la lettre ci-dessus».— I —!>•^*4-^*= »•-E^fl^ T" m' ^>^


$•LETTUES. 449^it*-**.,| ^Ïg3§LETTRE A M. *** *,8É4i*.'^;#I*¥M•«'Sifl-1>•.':•*=•Ces trois chapitres des caractères de Theophrasle paroissentd'abord rentrer les uns dans les autres, et nelaissent pas au fond d'être très différons. J'ay tra<strong>du</strong>itle premier titre Du diseur de rien ; le second Bu grandparieur ou Du babil; et le troisième Du débit des nouvelles»11 est vray Monsieur que dans la tra<strong>du</strong>ction quej'ay faite <strong>du</strong> second de ces trois chapitres intitulé Dubabil je n'ay fait aucune mention des dyonisiaquesparce qu'il n'en est pas dit un seul mot dans le texte;j'en parle dans celui <strong>du</strong> Diseur de rien f en grec ïiept«folteyjxt ou ma tra<strong>du</strong>ction si vous prenez la peinede la lire doit vous paroître conforme à l'original, carétant certain que les grandes bacchanales ou les dyonisiaquesse célébroient au commencement <strong>du</strong> printempsqui est le temps propre pour se mettre en mer,il me semble que j'ay pu tra<strong>du</strong>ire, // dit qu'au printemps,oh commencent les bacchanales la mer devient «


ï\tI:\, i- \450 LKTTRES.; { <strong>du</strong> grand parleur et que vous avcs pris pour ccluy TitptU ' &Mt9%tKç a fait toute la méprise.À • . Pour ce qui regarde Socrale je n'ay trouvé nulle1part qu'on ait dit de luy en propres termes que c'eloitun fou tout plein d'esprit ; façon de parler à mon avisimpertinente fit pourtant en usage que j'ay essayé dedecredilcr en la faisant servir .pour Socratc, commel'on s'en serf, aujourd'huy pour diffamer les personnesles plus sages, mais qui s'elcvant au dessus d'une moralebasse et servile qui règne depuis si long-temps sedistinguent dans leurs ouvrages par la hardiesse et lavivacité de leurs traits et par la beauté de leur imagi-^ }nation. Ainsi Socràte ici n'est pas Socrate c'est un nomqui en cache un autre; il est vray néanmoins, qu'ayantlu l'endroit de Diogene que vous cités et l'ayant enten<strong>du</strong>de la manière que vous dites vous-môme quevous l'avez expliqué d'abord, et ayant encor dans lavie de Socrale <strong>du</strong> même Diogene Laercc observé cesmots noMâ/tç ai pcctoTCfov lv tatç ÇvK^fftfft £(oe).gycifUV9v£. It*^ovoti^evov, et ayant joint ces deux endroits avec cetautre» *Hv


«*tLETTRES. 451que, dont je vous remercie comme d'un honneur sin«gulier que vous avds fait a mon ouvrage des caractères :M. l'abbé Reynier à qui je dois l'avantage d'ôtre connude vous a bien voulu se charger de vous dire la raisonqui m'a empêché de vous faire plutost cette reponce ;il vous aura dit aussi combien j'ay ete sensible auxtermes civils et obligeans dont vous avés accompagnévos observations comme au plaisir de connoître quej'ay sceû par mon livre me concilier Peslime d'unepersonne de votre réputation, je tacherai de plus enplus de m'en rendre digne et de la conserver chèrementet j'attend avec impatience l'occasion de monretour à Paris, pour aller chez vous Monsieur, vouscontinuer mes très humbles respects.DE LA BRUYèRE.ViLâridy tu soir & Versailles (1690 ou LC31 >•tt


i' ';|il&DISCOURSSUR TI1ÉOPHRASTE.Je n'estime pas que l'homme soit capable de formtdans son esprit un projet plus vain et plus chimériqueque de prétendre, en écrivant de quelque art ou dequelque science que ce soit, échapper à toute sortede critique, et enlever les suffrages de tous ses lecteurs.Car, sans m'étendre sur la différence des espritsdes hommes, aussi prodigieuse en eux que celle deleurs visages, qui fait goûter aux uns les choses despéculation, et aux autres celtes de pratique; qui faitque quelques-uns cherchent dans les livres à exercerleur imagination, quelques autres à former leur jugement;qu'entre ceux qui lisent, ceux-ci aimentà êtreforcés par la démonstration • et ceux-là veulent entendredélicatement, ou iormer des raisonnements etdes conjectures, je me renferme seulement dans cettescience qui décrit les mœurs, qui examine leshommeset qui développe leurs caractères, et j'ose dire que surles ouvrages qui traitent de choses qui les touchentde si près, et où il ne s'agit que d'eux-mêmes, ilssont encore extrêmement difficiles à contenter.Quelques savants ne goûtent que les apophthegmesdes anciens, et les exemples tirés des Romains, desGrecs, des Perses, des Égyptiens; l'histoire <strong>du</strong> mondeprésent leur est insipide ; ils ne sont point touchésdes hommes qui les environnent et avec qui ils vivent»*.&&MJT-i^V-':'^r.5*5^.!


*.-."&DISCOURS SOIl TI1KOPIIRASTK. 453et ne font nulle attention à leurs mœurs. Les femmes,au contraire, les gens de la cour, et tous ceux quin'ont que beaucoup d'esprit sans érudition, indifférentspour toutes les choses qui les ont précédés,sont avides de celles qui se passent à leurs yeux,cl qui sont comme sous leur main : ils les examinent',ils les discernent ; ils ne perdent pas devue les personnes qui les entourent, si charmés desdescriptions et des peintures que l'on fait de leurscontemporains, de leurs concitoyens, de ceux enfinqui leur ressemblent, et à qui ils ne croient pas ressembler,que jusque dans la chaire l'on se croit obligésouvent de suspendre l'Évangile pour les prendre parleur foible, et les ramener à leurs devoirs par deschoses qui soient de leur goût et de leur portée.La cour, ou ne connaît pas la ville, ou, par lemépris qu'elle a pour elle, néglige d'en relever leridicule, et n'est point frappée des images qu'il peutfournir ; et si, au contraire, Ton peint la cour, commec'est toujours avec les ménagements qui lui sont <strong>du</strong>s,la ville ne lire pas de cette ébauche de quoi remplirsa curiosité, et se faire une juste idée d'un pays où ilfaut môme avoir vécu pour le connoître.D'autre part, il est naturel aux hommes de ne pointconvenir de la beauté ou de la délicatesse d'un traitde morale qui les peint, qui les désigne, et où ils sereconnoissenteux-mômes : ils se tirent d'embarras enle condamnant; et tels n'approuvent la satire quelorsque, commençant à lâcher prise et à s'éloigner doleurs personnes, elle va mordre quelque autre.*Enfin, quelle apparence de pouvoir remplir tous lesgoûts si différents des hommes par un seul ouvragede morale? L^s uns cherchent des définitions, desdivisions, des tables, et de la méthode; ils veulentqu'on leur explique ce que c'est que la vertu en général, et celte vertu en particulier; quelle différence se— -* c*H>v 4 » 4 t *-*, m? +-&JÏP


Et *& !i 454 DISCOURSj 'f;'' :trouve entre la valeur, la force, et la magnanimité ; lesvices extrêmes par le défaut ou par l'excès entre lesquelschaque vertu se trouve placée, et <strong>du</strong>quel de cesdeux extrêmes elle emprunte davantage : toute aulredoctrine ne leur platt pas. Les autres, contents queTon ré<strong>du</strong>ise les mœurs aux passions, et que Tonexplique celles-ci par le mouvement <strong>du</strong> sang, parcelui des fibres et des artères, quittent un auteur detout le reste.II s'en trouve d'un troisième ordre, qui, persuadésque toute doctrine des mœurs doit tendre à les réformer,à discerner les bonnes d'avec les mauvaises, età démêler dans les hommes ce qu'il y a de vain, defoible et de ridicule, d'avec ce qu'ils peuvent avoir debon, de sain et de louable, se plaisent infiniment dansl \


SUR TIIÉOPIMASTE. 455*remarquerez dans sa préface, étoitde traiter de toutesles vertus et de tous les vices. Et comme il assure luimômedans cet endroit qu'il commence un si granddessein à l'âge de quatre-vingt-dix-neuf ans, il y aapparence qu'une prompte mort l'empêcha de le con<strong>du</strong>ireà sa perfection. J'avoue que l'opinion communea toujours été qu'ilavoit poussé sa vie au delà décentans; et saint Jérôme, dans une lettre qu'il écrit àNépotien, assure qu'il est mort h cent sept ans accomplisî de sorte que je ne doute point qu'il n'y ait euune ancienne erreur, ou dans les chiffres grecs quiont servi de règle à Diogène Laôrce qui ne le fait vivreque quatre-vingt-quinze années ', ou dans les premiersmanuscrits qui ont été faits de cet historien,s'il est vrai d'ailleurs que les quatre-vingt-dix-neuf ansque cet auteur se donne dans cette préface se lisentégalement dans quatre manuscrits de la bibliothèquepalatine, où l'on a aussi trouvé ' les cinq dernierschapitres des Caractères de Théophraste qui manquoientaux anciennes impressions, et où l'on a vudeux titres, l'un î DU goût qu'on a pour les vicieux, etl'autre : Du gain sordide, qui sont seuls et dénués deleurs chapitres.Ainsi cet ouvrage n'est peut* être môme qu'unsimple fragment, mais cependant un reste précieuxde l'antiquité, et un monument de la vivacité de l'espritet <strong>du</strong> jugement ferme et solide de ce philosophedans un âge si avancé. En effet, il a toujours été lucomme un chef-d'œuvre dans son genre ; il ne se voitrien où le goût attique se fasse mieux remarquer, etoù l'élégance grecque éclate davantage : on l'a appeléun livre d'or. Les savants, faisant attention à la diversitédes mœurs qui y sont traitées, et à la maniera1» Qualre-vîngt-eînq dam Diogène Laè'rce.?.. Députa, ces chapitres ont clé découverts dans »•» wauiiwrit de laMf>M«vU.è


\ \f ;if; thi •.1-1 .t »SCOURSnaïve dont tous les caractères y sont exprimés, et lacomparant d'ailleurs avec celle <strong>du</strong> poète Mônandrc,disciple de Théophrasle, et qui servit ensuite demodèle à Tércnce, qu'on a dans nos jours si heureusementimité, ne peuvent s'empocher de recounoîtredans ce petit ouvrage la première source de tout lecomique; je dis de celui qui est épuré'des pointes,des obscénités, des équivoques, qui est pris dans lanature, qui fait rire les sages et les vertueux.Mais peut-être que pour relever le mérite de cetraité des Caractères, et en inspirer la lecture, il nesera pas inutile de dire quelque chose de celui deleur auteur. Il étoit d'Érèse, ville de Lesbos, fils d'unfoulon ; il eut pour premier maître dans son pays uncertain Lcucippe 1 , qui étoit de la même ville que lui*de là il passa à l'école de Platon, et s'arrêta ensuite àcelle d'Aristole, où il se distingua entre tous ses disciples.Ce nouveau maître, charmé de la facilité deson esprit et de la douceur de son éloculion, lui changeason nom, qui étoit Tyrtame, en celui d'Euphrasle,qui signifie celui qui parle bien; et, ce nom ne répon*dant point assez à la haute estime qu'il a voit de labeauté de son génie et de ses expressions, il l'appelaThéophrasle, c'est-à*dire un homme dont le langageest divin. Et il semble que Cicéron ait entré dans lessentiments de ce philosophe lorsque, dans le livrequ'il intitule Brutus, ou Des orateurs illustres, il parleainsi : « Qui est plus fécond et plus abondant que•Platon, plus solide et plus ferme qu'Aristote, plusagréable et plus doux que Théophrasle?» Et dansquelques-unesjde ses épllres à Atlicus, on voit que,parlant <strong>du</strong> môme Théophrasle, il l'appelle son ami,que la lecture de ses livres lui étoit familière, cl qu'ilen faisoil ses délices.I. tjii autre que Lcuctppe, philosophe célèbre, et disciple de Zenon, (A'o/fleJ/.i bruyère,).#wY.à*•s**t*•H?9- g*mil'"*t *-• "*\ - -:^-•*»-—tv


SUR THÉ0PH1USTE. 457Aristote disoit de lui et de Callisthènc, un autre deses disciples, ce que Platon avoit dit la première foisd'Arislote môme et de Xénocrale, que Callislhôneéloit lent à concevoir et avoit l'esprit tardif, et queThéophraste, au contraire, Favoit si vif, si perçant, sipénétrant, qu'il comprenoit d'abord d'une chose toutce qui en pouvoit être connu ; que l'un avoit besoind'éperon pour être excité, et qu'il falloit à l'autre unfrein pour le retenir.Il eslimoit en celui-ci, sur toutes choses, un caracrtère de douceur qui régnoit également dans sesmœurs et dans son style. L'on raconte que les disciplesd'Aristote, voyant leur maître avancé.en âge etd'une santé fort affaiblie, le prièrent de leur nommerson successeur; que, comme il avoit deux hommesdans son école sur qui seuls ce choix pouvoit tomber,Ménédôme * le Hhodien, et Théophraste d'Érèse, parun esprit de ménagement pour celui qu'il vouloitexclure, il se déclara de cette manière : il feignit,peu de temps après que ses disciples lui eurent faitcette prière , et en leur présence, que le vin dont ilfaisoit un usage ordinaire lui étoit nuisible ; il s( fitapporter des vins de Rhodes et de Lesbos : il goûta detous les deux, dit qu'ils ne démentoient point leurterroir, et que chacun dans son genre étoit excellent;que le premier avoit de la force, mais que celui deLesbos avoit plus de douceur, et qu'il lui donnoit lapréférence. Quoi qu'il en soit de ce fait, qu'on lit dansAulu-Gclle, il est certain que lorsque Aristote, accusépar Eurymédon, prêtre de Gérés, d'avoir mal parlédes dieux, craignant le destin de Socratc, voulut sortird'Athènes, et se retirer à Chalcis, ville d'Eubée, ilabandonna son écolo auLesbien, lui confia ses écrits,1* Il y en a eu deux autres de même nom, Pua philosophe cynique, l'autre


458 DISCOURSh condition de les tenir sccrels, et c'est par Théo*phrastc que sont venus jusqu'à nous les ouvrages dece grand homme.Son nom devint si célèbre par toute la Grèce, que,successeur d'Aristote, il put compter bientôt dansl'école qu'il lui avoit laissée jusqu'à deux mille disciples.11 excita l'envie de Sophocle 1 , fils d'Amphiclide,et qui pour lors étoit préteur : celui-ci, en effetson ennemi, mais sous prétexte d'une exacte police,et d'empôcher les assemblées, fit une loi qui défendoit,sur peine de la vie, à aucun philosophe, d'enseignerdans les écoles. Ils obéirent ; mais l'année suivante,Philon ayant succédé à Sophocle, qui étoitsorti de charge, le peuple d'Athènes abrogea celteloi odieuse que ce dernier avoit faite, le condamna àune amende de cinq talents, rétablit Théophraslc etle reste des philosophes.Plus heureux qu'Aristote, qui avoit été contraintde céder à Eurymédon, il fut sur le point de voir uncertain Agnonide puni comme impie par les Athéniens,seulement à cause qu'il avoit osé l'accuserd'impiété : tant étoit grande l'affection que ce peupleavoit pour lui, et qu'il méritoit par sa vertu.En effet, on lui rend ce témoignage, qu'il avoit unesingulière prudence, qu'il étoit zélé pour le bienpublic, laborieux, officieux, affable, bienfaisant.Ainsi, au rapport de Plutarque, lorsque Érèse futaccablée de tyrans qui avoienl usurpé la dominationde leur pays, il se joignit à Phydias *, son compa- ,triote, contribua avec lui de ses biens pour armerles bannis, qui rentrèrent dans leur ville, en chassèrentles traîtres, et rendirent à toute l'Ile de Lesbossa liberté.Tant de rares qualités ne lui acquirent pas seule**1. Un autre que le poëte tragique. (Note de La Bruyère.)I. Un outre que le fameut sculpteur. (Note de ta Bruyère*)Iâ-V•SEtete£#Ê .-à \&\. £••»»-'-ïfM^rf 1


W^^S^^^^^^/SP^^fS^^sy^^f*r=°Êtr? -1-. f uiSUa TNKOPIWASTE. 450ment la bienveillance <strong>du</strong> peuple, mais encore l'estimecl la familiarité des rois. 11 fut ami de Cassandre, quiavoit succédé à Àridée, frère d'Alexandre le Grand ;au royaume de Macédoine; etPtolomée, fils de Laguset premier roi d'Egypte, entretint toujours un commerec étroit avec ce philosophe. Il mourut enfin accabléd'années et de fatigues, et il cessa tout à la fois detravailler et de vivre. Toute la Grèce le pleura, et toutle peuple athénien assista à ses funérailles.L'on raconte de lui que, dans son extrême vieillesse,ne pouvant plus marchera pied, il se faisoitporteren litière par la ville, où il étoit vu <strong>du</strong> peuple, à quiil éloit si cher. L'on dit aussi que ses disciples, quientouroientson lit lorsqu'il mourut, lui ayant demandés'il n'avoit rien à leur recommander, il leur tint cediscours : « La vie nous sé<strong>du</strong>it, elle nous promet do« grands plaisirs dans la possession de la gloire; mais« à peine commence-t-on à vivre, qu'il faut mourir. Il« n'y a souvent rien de plus stérile que l'amour de la«réputation. Cependant, mes disciples, contentezevous.Si vous négligez l'estime des hommes, vous« vous épargnez à vous-mêmes de grands travaux;« s'ils ne rebutent point votre courage, il peut arriver« que la gloire sera votre récompense. Souvenez-vous« seulement qu'il y a dans la vie beaucoup de choses« inutiles, et qu'il y en a peu qui mènent à une fin« solide. Ce n'est point à moi à délibérer sur le parti« que je dois prendre, il n'est plus temps. Pour vous*« qui avez à me survivre, vous ne sauriez peser trop« mûrement ce que vous devez faire. » Et ce furent luses dernières paroles.Gicéron, dans le troisième livre des Tusculanes, ditque Théophrasle mourant se plaignit de la nature, dece qu'elle avoit accordé aux cerfs et aux corneilles unevie si longue et qui leur est si inutile, lorsqu'ellen'avoit donné aux hommes qu'une vie tros-courlc, bien


fT 4C0 Discounsqu'il leur importe si fort de vivre longtemps ; que si*'-•l'âge des hommes eût pu s'étendre à un plus grandÀnombre d'années, il seroit arrivé que leur vie auroit| été cultivée par une doctrine universelle, et qu'il n'y1auroit eu dans le monde ni art ni science qui n'eûtatteint sa perfeclion. Et saint Jérôme, dans l'endroitdéjà cité, assure que Théophrastc, à l'âge de cent septans, frappé de la maladie dont il mourut, regretta dosortir de la vie dans un temps où il ne faisoit que conïjmencer à être sage.Il a voit coutume do dire qu'il ne faut pas aimer sesamis pour les éprouver, mais les éprouver pour lesaimer; que les amis doivent être communs entre lesV'Vfrères, comme tout est commun entre les amis; que\ l'on devoit plutôt se fier à un cheval sans frein qu'à)celui qui parle sans jugement; que la plus forle dépenseque l'on puisse faire est celle <strong>du</strong> temps. Il ditun jour à un homme qui se taisoit à table dans unfestin : « Si lu es un habile homme, tu as tort de ne«pas parler; mais s'il n'est pas ainsi, tu en sais beaui« coup. » Voilà quelques-unes de ses maximes.Mais si nous parlons de ses ouvrages, ils sont infinis,et nous n'apprenons pas que nul ancien ait plus écritque Théophrastc. Diogène Laércc fait rémunérationde plus de deux cents traités différents, cl sur toutessortes de sujets, qu'il a composés. La plus grandepartie s'est per<strong>du</strong>e par le malheur des temps, et l'autrese ré<strong>du</strong>it à vingt traités, qui sont recueillis dans levolume de ses œuvres. L'on y voit neuf livres de l'histoiredes plantes, six livres de leurs causes. Il a écritdes vents, <strong>du</strong> feu, des pierres, <strong>du</strong> miel, des signes <strong>du</strong>beau temps, des signes de la pluie, des signes de latempête, des odeurs, de la sueur, <strong>du</strong> vertige, de lalassitude, <strong>du</strong> relâchement des nerfs, de la défaillance,des poissons qui vivent hors de l'eau, des animauxqui changent de couleur, des animaux qui naissent*#m-S£


SUR THÉOPHIUSTK.4G1subitement, des animaux sujets à l'envie, des caractères,des mœurs. Voilà ce qui nous reste de ses écrits,entre lesquels ce dernier seul, dont on donne la tra<strong>du</strong>ction,peut répondre non-seulement de la beautéde ceux que l'on vient de dé<strong>du</strong>ire, mais encore <strong>du</strong>mérite d'un nombre infini,d'autres qui ne sont pointvenus jusqu'à nous.Que si quelques-uns se refroidissoient pour cet ouvragemoral par les choses qu'ils y voient, qui sont <strong>du</strong>temps auquel il a été écrit, et qui ne sont point selonleurs mœurs, que peuvent-ils faire de plus utile et deplus agréable pour eux que de se défaire de cette préventionpour leurs coutumes et leurs manières, qui,sans autre discussion, non •seulement les leur faittrouver les meilleures de toutes, mais leur fait presquedécider que tout ce qui n'y est pas conforme estméprisable, et qui les prive, dans la lecture des livresanciens, <strong>du</strong> plaisir et de l'instruction qu'ils en doiventattendre.Nous, qui sommes si modernes, serons anciens dansquelques siècles. Alors Phistoirc <strong>du</strong> nôtre fera goûterà la postérité la vénalité d.es charges, c'est-à-dire lepouvoir de protéger l'innocence, de punir le crime, etde faire justice à tout le monde, acheté à denierscomptant comme une métairie; la splendeur des partisans,gens si méprisés chez les Hébreux et chez lesGrecs. L'on entendra parler d'une capitale d'un grandroyaume où il n'y a voit ni places publiques, ni bains,ni fontaines, ni amphithéâtres, ni galeries, ni portiques,ni promenoirs, quiétoit pourtant une ville merveilleuse.L'on dira que tout le cours de la vie s'ypassoit presque à sortir de sa maison pour aller se renfermerdans celle d'un autre; quc.d'honnôtcs femmes,qui n'étoient ni marchandes, ni hôtelières, avoientleurs maisons ouvertes à ceux qui payoient pour jentrer; que l'on avoit à choisir des dés, des cartes, clJ9»^^ki^^.i.


, .£j41)2 DISCOURS1/ , (le tous les jeux ; que l'on mangeoit dans ces maisons,t •s*-t-Iet qu'elles étoicnt commodes à tout commerce. L'on, saura que le peuple ne paroissoit dans la ville quepour y passer avec précipitation : nul entretien, nullefamiliarité; que tout y étoit farouche et comme alarmépar le bruit des chars qu'il falloit éviter, et qui s'abandonnoientau milieu des rues, comme on fait dansune lice pour remporter le prix de la course. L'on apprendrasans étonnement qu'en pleine paix, et dansune tranquillité publique, des citoyens enlroient dans•3iles temples, alloient voir des femmes, ou visitoientvleurs amis, avec des armes offensives, et qu'il n'y avoitpresque personne qui n'eût à son côté de quoi pouvoird'un seul coup en tuer un autre. Ou si ceux quiviendront après nous, rebutés par des mœurs si étrangeset si différentes des leurs, se dégoûtent par là denos mémoires, de nos poésies, de notre comique etde nos satires, pouvons-nous ne les pas plaindre paravance de se priver eux-mêmes, par cette fausse délicatesse,de la lecture de si beaux ouvrages, si travaillés,si réguliers, et de la connoissance <strong>du</strong> plus beau£ï*£règne dont jamais l'histoire ait été embellie.i.->jyAyons donc pour les livres des anciens celte mêmein<strong>du</strong>lgence que nous espérons nous-mêmes de la postérité,persuadés que les hommes n'ont point d'usagesni de coutumes qui soient de tous les siècles; qu'elleschangent avec les temps; que nous sommes trop éloignésde celles qui ont passé, et trop proches de cellesqui régnent encore, pour être dans la distance qu'ilfaut pour faire des unes et des autres un juste discernement.Alors, ni ce que nous appelons la politessede nos mœurs, ni la bienséance de nos coutumes, ni | y~-notre faste, ni notre magnificence, ne nous prévien- ffdront pas davantage contre la vie simple des Athé- |niens, que contre celle des premiers hommes, grandspar eux-mêmes, et indépendamment de mille choses Pm*ET*


-i••S•vrJ 1 v*Sï-1SLR TnÊOPHRASTE,'iG3| extérieures qui onl été depuis inventées pour supplcerpeut-être à cette véritable grandeur qui n'est plus.La nature se <strong>mont</strong>roit en eux dans toute sa puretéet sa dignité, et n'étoit point encore souillée par lavanité, par le luxe et par la sotte ambition. Un homme| n'étoit honoré sur la terre qu'à cause de sa force ouIde sa vertu; il n'étoit point riche par des chargesou des pensions, mais par son champ, par ses troupeaux,par ses enfants et ses serviteurs; sa nourritureéloit saine et naturelle, les fruits de la terre, le laitde ses animaux et de ses brebis; ses vêtements simplesf et uniformes, leurs laines, leurs toisons; ses plaisirsI innocents, une grande récolte, le mariage de ses en-| fants, l'union avec ses voisins, la paix dans sa famille.S Hien n'est plus opposé à nos mœurs que toutes ceschoses; mais l'éloignement des temps nous les faitgoûter, ainsi que la distance des lieux nous fait recevoirtout ce que les diverses relations ou les livres devoyages nous apprennent des pays lointains et desnations étrangères.Ils racontent une religion, une police, une manièrede se nourrir, de s'habiller, de bâtir et de faire laguerre, qu'on ne savoit point, des mœurs que l'onignoroit. Celles qui approchent des nôtres nous louchent,celles qui s'en éloignent nous étonnent; maistoutes nous amusent. Moins rebutés par la barbariedes manières et des coutumes de peuples si éloignés,qu'instruits et môme réjouis par leur nouveauté, ilnous suffit que ceux dont il s'agit soient Siamois, Chinois,Nègres ou AbyssinsOr ceux dont Théophraste nous peint les mœursdans ses Caractères étoient Athéniens, et nou sommesFrançois; et si nous joignons à Ja diversité des lieuxet <strong>du</strong> climat le long intervalle des temps, et que nousconsidérions que ce livre a pu être écrit la dernièreannée de la cent quinzième olympiade, trois cent


V,tl'émulation d'une cour ne les faisoit point sortir d'unevie commune ; ils réservoient leurs esclaves pour lesbains, pour les repas, pour le service intérieur desmaisons, pour les voyages ; ils passoient une partie de I*leur vie dans les places, dans les temples, aux amphithéâtres,sur un port, sous des portiques, et au milieud'une ville dont ils étoient également les maîtres. Làle peuple s'asscmbloil pour délibérer des affaires publiques;ici, il s'entretenoit avec les étrangers; ail- ||•Sileurs, les philosophes tantôt enseignoient leur doctrine,tantôt conféroient avec leurs disciples : ces p§lieux étoient tout à la fois la scène des plaisirs et desaffaires. Il y avoil dans ces mœurs quelque chose desimple et de populaire, et qui ressemble peu aux nôtres,je l'avoue; mais cependant quels hommes, engénéral, que les Athéniens, et quelle ville qu'Athènes lquelles lois! quelle police! quelle valeur! quelle discipline!quelle perfection dans toutes les sciences*•%•-


BÉ SUR THÊOPHRASTE. 4C5'M et dans tous les arts l mais quelle politesse dans lecommerce ordinaire et dans le langage l Théophrasle,8 le mém n Théophraste dont l'on vient de dire de siM i ^m grandes choses, ce parleur agréable, cet homme qui| s'exprimoit divinement, fut reconnu étranger et appeléde ce nom par une simple femme de qui il achetoitdes herbes au marché, et qui reconnut, par je nesais quoi d'allique qui lui manquoit, et que les Romainsont depuis appelé urbanité, qu'il n'étoit pasAthénien; et Cicéron rapporte que ce grand personnagedemeura étonné de voir qu'ayant vieilli dansAthènes, possédant si parfaitement le langage atlique,et en ayant acquis l'accent par une habitude de tantd'années, il ne s'étoit pu donner ce que le simplepeuple avoit naturellement et sans nulle peine. Que sil'on ne laisse pas de lire quelquefois, dans ce traitédes Caractères, de certaines mœurs qu'on ne peut excuser,et qui nous paraissent ridicules, il faut se souvenirqu'elles ont paru telles à Théophrasle, qu'il lesa regardées comme des vices, dont il a fait une peinturenaïve qui fit honte aux Athéniens, et qui servità'les corriger.Enfin, dans l'esprit de contenter ceux qui reçoiventfroidement tout ce qui appartient aux étrangers etaux anciens, et qui n'estiment que leurs mœurs, onles ajoute à cet ouvrage. L'on a cru pouvoir se dispenserde suivre le projet de ce philosophe, soit parcequ'il est toujours pernicieux de poursuivre le travaild'autrui, surtout si c'est d'un ancien ou d'un auteurd'une grande réputation; soit encore parce que cetteunique figure qu'on appelle description ou énumération,employée avec tant de succès dans ces vingt-huitjchapitres des Caractères, pourroit en avoir un beaucoupmoindre si elle étoit traitée par un génie fortinférieur à celui de Théophraste.Au contraire, se ressouvenant que, parmi le grandn


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SUI\ THÉOPHRASTE. 467ble, mais par des voies simples et communes, et enl'examinant indifféremment, sans beaucoup de méthode,et selon que les divers chapitres y con<strong>du</strong>isent,par les âges, les sexes et les conditions, et par lesvices, les foibles et le ridicule qui y sont attachés.L'on s'est plus appliqué aux vices de l'esprit» auxreplis <strong>du</strong> cœur, et h tout l'intérieur de l'homme, quen'a fait Théophraste; et l'on peut dire que, commeses caractères, par mille choses extérieures qu'ils fontremarquer dans l'homme, par ses actions, ses paroleset ses démarches, apprennent quel est son fond, etfont re<strong>mont</strong>er jusqu'à la source de son dérèglement»tout au contraire, les nouveaux Caractères, déployantd'abord les pensées, les sentiments et les mouvementsdes hommes, découvrent le principe de leur maliceet de leurs foiblesses, font que l'on prévoit aisémenttout ce qu'ils sont capables de dire ou de faire, etqu'on ne s'étonne plu? de mille actions vicieuses oufrivoles dont leur vie est toute remplie.Il faut avouer que sur les titres de ces deux ouvragesl'embarras s'est trouvé presque égal. Pour ceux quipartagent le dernier, s'ils ne plaisent point assez, l'onpermet d'en suppléer d'autres; mais h l'égard destitres des Caractères de Théophraste, la môme libertén'est pas accordée, parce qu'on n'est point maître <strong>du</strong>bien d'aulrui. Il a fallu suivre l'esprit de l'auteur, etles tra<strong>du</strong>ire selon le sens le plus proche de la dictiongrecque, et en môme temps selon la plus exacte conformitéavec leurs chapitres; ce qui n'est pas unechose facile, parce que souvent la signification d'unterme grec, tra<strong>du</strong>it en françois mot pour mot, n'estplus la mômo dans notre langue : par exemple, ironieest chez nous une raillerie dans la conversation, ouune figure de rhétorique; et chez Théophraste, c'estquelque chose entre la fourberie et la dissimulation,qui n'est pourtant ni l'une ni l'autre, mais précisé-


y £l*i IiIr4G8 . DISCOURSment qe qui est décrit dans le premier chapitre,Et d'ailleurs les Grecs ont quelquefois deux ou troistermes assez différents pour exprimer des choses qui; le sont aussi, et que nous ne saurions guère rendreque par un seul mot : cette pauvreté embarrasse. Eneffet, l'on remarque dans cet ouvrage grec trois espècesd'avarice, deux sortes d'importuns, des flatteursde deux manières, et autant de grands parleurs; desorte que les caractères de ces personnes semblent[ rentrer les uns dans les autres, au désavantage <strong>du</strong>i ititre; ils no sont pas aussi toujours suivis et parfailcfjment conformes parce que Théophraste, emporté[. f quelquefois par le dessein qu'il a de faire des portraits,[ | v se trouve déterminé à ces changements par le carac-[ ' j \ tère et les mœurs <strong>du</strong> personnage qu'il peint, ou dont"• j/il fait la satire.! Les définitions qui sont au commencement de chaquechapitre ont eu leurs difficultés. Elles sont cour«tes et concises dans Théophraste, selon la force <strong>du</strong>! ' grec et le style d'Aristote, qui lui en a fourni les pre­fmières idées; on les a éten<strong>du</strong>es dans la tra<strong>du</strong>ction,: ipour les rendre intelligibles. Il se lit aussi dans cetraité des phrases qui ne sont pas achevées, et quirforment un sens imparfait, auquel il a été facile de[ suppléer le véritable; il s'y trouve de différentes lefçons, quelques endroits tout à fait interrompus, et quipouvoient recevoir diverses explications; et pour nepoint s'égarer dans ces doutes, on a suivi les meil-'ieurs interprèles.Enfin, comme cet ouvrage n'est qu'une siraplc instructionsur les mœurs des hommes, et qu'il via*; moins à les rendre savants qu'à les rendre sages, l'ons'est trouvé exempt de le charger de longues et curieusesobservations, ou de doclcs commentaires quirendissent un compte exact de l'antiquité. L'on s'esl |contenté de mettre de petites notes à côté de certain*s%5--A'iE**t


V*ISUR THfcOPHRASTE. 409| endroits que l'on a cru le mériter, afin que nuls deceux qui ont de la justesse, de la vivacité, et à qui il&ne manque que d'avoir lu beaucoup, ne se reprochent*pas môme ce petit défaut, ne puissent être arrêtésdans la lecture des Caractères, et douter un moment<strong>du</strong> sens de Théophraste,ï40


iîi?i*, iIsLES CARACTÈRESDEkTI1É0PIIRÀSTE| TRADUITS DU GREC.-,• 1."* (!}•}*>I: i: tï "M ,ltJ'ai admiré souvent, et j'avoue que je no puis encore comprendre,quelque sérieuse réflexion que je fasse, pourquoi, toule laGrèce étant placée sous un môme ciel, et les Grecs nourris et élevésde la même manière ', il se trouve néanmoins si peu do ressemblancedans leurs mœurs. Puis donc, mon cher Polyclès, qu'àl'âge de quatre-vingt-dix-neuf ans où je me trouve, j f ai assez vécupour connoîlre les hommes; que j'ai vu, d'ailleurs, pendant lecours de ma vie, toutes sortes de personnes et de divers tempéraments,et que je me suis toujours attaché à étudier les hommesvertueux, comme ceux qui n'étoient connus que par leurs Yices, ilsemble que j'ai dû marquer les caractères des uns et des autres 2 ,et ne me pas contenter de peindre les Grecs en général, mais mêmede toucher ce qui est personnel, et ce que plusieurs d'entre euxparoissent avoir de plus familier. J'espère, mon cher Polyclès,que cet ouvrage sera utile à ceux qui viendront après nous : il leurtracera des modèles qu'ils pourront suivre; il leur apprendra àfaire le discernement de ceux avec qui ils doivent lier quelquecommerce, et dont l'émulation les portera à imiter leur sagesse etleurs vertus. Ainsi je Yais entrer en matière : c'est à vous de pénétrerdans mon sens, et d'examiner avec attention si la vérité se•rouve dans mes paroles. Et, sans faire une plus longue préface^jO parlerai d'abord de la dissimulation; je définirai ce vice; jedirai ce que c'est qu'un homme dissimulé, je décrirai ses mœurs;U je traiterai ensuite des autres passions, suivant le projet que/en ai fait.- 1 .&£•yfi*^^t* Par rapport aux barbares, dont les mœurs étoieut très-différentes detelles des Grecs. {Note de La Bruyère*)2« Théophraste avoit dessein à* traiter de toutes Iei Tertus et de tout lesTiecs, (Noie do La Bruyère)f%'*3£


M-S CAUACTÈflES DE THÉOPHRASTE. 471mLA DISSIMULATION,La dissimulation 1 n'est pas aisée à bien définir; si Tonse contente d'en faire une simple description, Ton peutdire que c'est un certain art décomposer ses paroles et sesactions pour une mauvaise fin. Un homme dissimulé secomporte de cette manière : il aborde ses ennemis, leurparle, et leur fait croire, par cette démarche, qu'il ne leshait point; il loue ouvertement et en leur présence ceux àqui il dresse de secrètes embûches, et il s'afflige avec euxs'il leur est arrivé quelque disgrâce; il semble pardonnerles discours offensants que l'on lui tient; il récite froidementles plus horribles choses que l'on aura dites contresa réputation, et il emploie les paroles les plus flatteusespour adoucir ceux qui se plaignent de lui et qui sont aigrispar les injures qu'ils en ont reçues. S'il arrive que quelqu'unl'aborde avec empressement, il feint des affaires, etlui dit de revenir une autre fois. Il cache soigneusementtout ce qu'il fait, et, à l'entendre parler, on croiroit toujoursqu'il délibère. Une parle point indifféremment; ila ses raisons pour dire tantôt qu'il ne fait que revenir dela campagne, tantôt qu'il est arrivé à la ville fort tard, etquelquefois qu'il est languissant, ou qu'il a une mauvaisesanté. 11 dit à celui qui lui emprunte de l'argent à intérêt,ou qui le prie de contribuer * de sa part à une sommeque ses amis consentent de lui prêter, qu'il ne vend rien,qu'il ne s'est jamais vu si dénué d'argent, pendant qu'ildit aux autres que le commerce va le mieux <strong>du</strong> monde,quoiqu'en effet il ne vende rien. Souvent, après avoir écoutéce qu'on lui a dit, il veut faire croire qu'il n'y a pas eula moindre attention ; il feint de n'avoir pas aperçu leschoses où il vient de jeter les yeux, ou, s'il est convenud'un fait, de ne s'en plus souvenir. Il n'a pour ceux qui1. L'auteur parle d« celle qui ne tient pas de la prudence, et que les Grecsappeloieut ironie. (Note de La Bruyère»)2. Celle sorîc de contribution était fréquente à Athènes, et autorisée par ictlois. {Note de La bruyère,)


aIr*•£-•>siV*J»/•»t472 LES CARACTERESlui parlent d'affaires que cette seule réponse : J'y penseraitIl sait de certaines choses, il en ignore d'autres; il estsaisi d'admiration; d'autres fois il aura pense commevous sur cet événement, et cela selon ses différents intérêts.Son langage le plus ordinaire est celui-ci : Je n'encrois rien, Je ne comprends pas que cela puisse être, Je ne6aîs où j'en suis; ou bien : Il me semble que je ne suispas moi-môme; et ensuite : Ce n'est pas ainsi qu'il me l'afait entendre; Voilà une chose merveilleuse et qui passe,toute créance; Contez cela à d'autres; Dois-jevous croire?ou me persuaderai-je qu'il m'ait dit la vérité? Parolesdoubles et artificieuses, dont il faut se défier comme de cequ'il y a au monde de plus pernicieux. Ces manières d'agirne partent point d'une âme simple et droite, mais d'unemauvaise volonté ou d'un homme qui veut nuire : le venindes aspics est moins à craindre.DE LA FLATTERIE.La flatterie est un commerce honteux qui n'est utilequ'au flatteur.Si un flatteur se promène avec quelqu'undans la place : Remarquez-vous, lui dit-il, comme tout lemonde a les yeux sur vous? cela n'arrive qu'à vous seul.Hier il fut bien parlé de vous, et l'on ne tarissoit point survos louanges. Nous nous trouvâmes plus de trente personnesdans un endroit <strong>du</strong> Portique *; et comme par lasuite <strong>du</strong> discours l'on vint à tomber sur celui que l'on devoitestimer le plus homme de bien de la ville, tous d'u.iecommune voix vous nommèrent; et il n'y en eut pas unseul qui vous refusât ses suffrages. Il lui dit mille chosesde cette nature. Il affecte d'apercevoir le moindre <strong>du</strong>vetqui se sera attaché à votre habit, de le prendre et de lesouffler à terre; si par hasard le vent a fait voler quelquespetites pailles sur votre barbe ou sur vos cheveux,ri prend soin de vous les ôter, et vous souriant : Il est mer-I. Édifice public qui servît depuis à Zenon et à ses diciples de rendez»TOUS pour leurs disputes : ils en furent appelés stoïciens, car tloa t mot grec,sigoiGe portique. (A'o/e de la Bruyère.)


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i * •! fL V.- • -." , i 'fii(1r474 LES CA1UCTÊIIES . ,*! ment et sans le regarder, n'ayant des yeux que pour unf - «seul» Il ne faut pas croire qu'au IhéAlrc il oublie d'arrafjcher des carreaux des mains <strong>du</strong> valet qui les distribue, pourï* les porter h sa place, et Ty faire asseoir phu mollement,'J'ai dft dire ,/issi qu'avant qu'il sorte de sa maison, il en| I loue l'architecture, se récrie sur toutes choses, dit que lesjardins sont bien plantés; et s'il aperçoit quelque part leportrait <strong>du</strong> maître, où il soit extrêmement flatté, il est louchéde voir combien il lui ressemble, et il l'admire comme un (Ifchef-d'œuvre. En un mot, le flatteur ne dit rien et nofait rien au hasard; mais il rapporte toutes ses paroles ettoutes ses actions au dessein qu'il a de plaire à quelqu'unet d'acquérir ses bonnes grâces.r i •II/..ii; •i • ïlit- *! ' •{'-. t • *DE L IMPERTINENT, OU DU DISEUR DE RIENSLa solte envie de discourir vient d'une habitude qu'on acontractée de parler beaucoup et sans réflexion. Un hommequi veut parler, se trouvant assis proche d'une personnequ'il n'a jamais vue et qu'il ne connoît point, entre d'aborden matière, l'entretient de sa femme et lui fait son' |. j éloge, lui conte son songe, lui fait un long détail d'un reij j pas où il s'est trouvé, sans oublier le moindre mets ni unseul service. Il s'échauffe ensuite dans la conversation, déclamecontre le temps présent, et soutient que les hommesqui vivent présentement ne valent point leurs porcs.i 4t !\ Do là il se jette sur ce qui se débite au marché, sur la| ; cherté <strong>du</strong> blé, sur le grand nombre d'étrangers qui sont[ I dans la ville; il dit qu'au printemps où commencent lesI I Bacchanales f , la mer devient navigable ; qu'un peu) de pluie seroit utile aux biens de la terre, et feroilîespérer une bonne récolte; qu'il cultivera son champTannée prochaine, et qu'il lo mettra en valeur; que ledôcle est <strong>du</strong>r, et qu'on a bien de la peine à vivre. Il apprendà cet inconnu que c'est Damippe qui a fait brûlerla plus belle torche devant l'autel de Cérès à la fête desi\i.t:i* Premières Bacchanales, qui se célébroîent dans la \iHc. (A T o/e Je LaBruyère*)v


• *t^KDE TIUIOHIUASTK. 'Ï7, r >Mystères 1 ; il lui demande combien de colonnes soutiennentle théâtre de la musique*, quel est le quantième <strong>du</strong>mois; il lui dit qu'il a eu la veille une indigestion. Kt sicet homme à qui il parle a la patience de l'écouter, il nepartira pas d'auprès de lui; il lui annoncera comme unechose nouvelle que les Mystères 8 se célèbrent dans le moisd'août, Ic& Àpaturics* au mois d'octobre; et a. la campagne,dans le mois de décembre, les Bacchanales 8 , Il n'y a, avecde si grands causeurs, qu'un parti à prendre, qui est defuir, si l'on veut <strong>du</strong> moins éviter la fièvre : carquel moyende pouvoir tenir contre des gens qui ne savent pas discernerni votre loisir ni le temps de vos affaires?DE LA KUSTJCLTK.Il semble que la rusticité n'est autre chose qu'uneignorance grossière des bienséances. L'on voit en effet desgens rustiques et sans réflexion sortir un jour de médecine6 , et se trouver, en cet état, dans un lieu publicparmi le monde; ne pas faire la différence de l'odeur forte<strong>du</strong> thym ou de la marjolaine d'avec les parfums les plusdélicieux; être chaussés large et grossièrement; parlerhaut et ne pouvoir se ré<strong>du</strong>ire à un ton de voix modéré;ne se pas fier à leurs amis sur les moindres affaires, pendantqu'ils s'en entretiennent avec leurs domestiques,jusqu'à rendre compte à leurs moindres valets de ce quiaura été dit dans une assemblée publique. On les voitassis leur robe relevée jusqu'aux genoux et d'une manièreindécente. U ne leur arrive pas en toute leur vie de1. Les mystères de Cérès se célébroient la nuit, et il y arotl une émulationentre les Athéniens à qui y apporteroit uue plus grande torche. {Note de LaBruyère.)2. L'Odéon.3. Fête de Cérès. Y. ci-dessus. (A T ofe de La Bruyère.)4. En françois, la fête des tromperies. Elle se faisoit en l'honneur de Bac*chus. Son origine ne fait rien aux moeurs de ce chapitre. (iVo/ô de La Bruyère.)5. Secondes Bacchanales, qui se célébrotent eu hiver à la ^ampague.(Note de La Bruyère.)6. Le texte grec nomme une certaine drogue qui rendoit l'haleine fort mautaisele jour qu'où l'avott prise. {Note de La Bruyère.) — Le cycéon, uneboisson mélangée de miel, de vin, de lait, de farine d'orge.


il-tt»*•t' ti• iittit476 .' LES CÀÏIACTÈÎIES.rien admirer, ni de paroitre surpris des choses les plusextraordinaires que l'on rencontre sur lès chemins; maist.si c'est un bœuf, un âne, ou un vieux bouc, alors ils s'ar-; rotent et ne se lassent point de les contempler. Si quelquefoisils entrent dans leur cuisine, ils mangent avidement ]itout ce qu'ils y trouvent, boivent tout d'une haleine unegrande tasse de vin-pur; ils se cachent pour cela de leurservante, avec qui d'ailleurs ils vont au moulin ', et entrentdans les plus petits détails <strong>du</strong> domestique. Ils interrompentleur souper, et se lèvent pour donner une poignéed'herbes aux bûtes de charrue 8 qu'ils ont dans leursétables. Heurlc-t-on à leur porte pendant qu'ils dînent, ilssont attentifs et curieux. Vous remarquez toujours prochede leur table un gros chien de cour qu'ils appellent à eux,qu'ils empoignent par la gueule en disant : Voilà celui quigarde la place, qui prend soin de la maison et de ceux quisont dedans. Ces gens, épineux dans les payements qu'onleur fait, rebutent un grand nombre de pièces qu'ilscroient légères ou qui ne brillent pas assez à leurs yeux,et qu'on est obligé de leur changer. Us sont occupés pendantla nuit d'une charrue, d'un sac, d'une faux, d'unecorbeille, et ils rêvent à qui ils ont prêté ces ustensiles ;et lorsqu'ils marchent par la ville : Combien vaut, demandent-ilsaux premiers qu'ils rencontrent, le poisson salé ?Les fourrures se vendent-elles bien? N'est-ce pas aujourd'huique les jeux nous ramènent une nouvelle lune 3 ?D'autres fois, ne cachant que dire, ils vous apprennentqu'ils vont se faire raser, et qu'ils ne sortent que pourcela. Ce sont ces mômes personnes que l'on entend chanterdans le bain, qui mettent des clous à leurs souliers, et quit. Le grec dit seulement : t à laquelle ils aident à moudre Ici provienspour leurs gens cl p >ur eut-meroes. t L'expression de La Bruyère, « ils vonttu moulin, t est ou anachronisme. Du temps de Théophraste, on n'avait pasencore de moulins communs; mais on faisait broyer ou moudre le bloque l'onconsommait dans chaque maison, par un esclave, au moyen d'un pilon oud'une espèce de moulin à bras. Les moulins à eau n'ont clé inventés que <strong>du</strong>temps d'Auguste, et l'usage <strong>du</strong> pilon était encore général <strong>du</strong> temps de Pline.(SWItOUOEUSSR.)2. Des bœufs. (Noie de LaBruylre.)3. Cela est dit rosliqucmcnt ; un autre diroit que la nouvelle lune ramène %Ics jeux; et d'ailleurs c'est comme si, le jour de Pâques, quelqu'un disoit • $N'est-ce pas aujourd'hui Piquei? (Note de La Bruyère.)i


•P.* *•DE THÊOPHRASTE. * 47?se trouvant tout portés devant la boutique d'Archias',achètent eux-mêmes des viandes salées, et les apportent àla main en pleine rue.* •DU COMPLAISANT 2 .*Pour faire une définition un peu exacte de cette affectationque quelques-uns ont de plaire à tout le monde, il•faut dire que c'est une manière de vivre où l'on cherchebeaucoup moins ce qui est vertueux et honnête que ce quiest agréable. Celui qui a cette passion, d'aussi loin qu'ilaperçoit un homme dans la place, le salue en s'écriant :Voilà ce qu'on appelle un homme de bien ; l'aborde, l'admiresur les moindres choses, le retient avec ses deuxmains de peur qu'il ne lui échappe; et après avoir fait' quelques pas avec lui, il lui demande avec empressementquel jour on pourra le voir, et enfin ne s'en séparequ'en lui donnant mille éloges. Si quelqu'un le choisitpour arbitre dans un procès, il ne doit pas attendre de luiqu'il lui soit plus favorable qu'à son adversaire : commeil veut plaire à tous deux, il les ménagera également.C'est dans celte vue que, pour se concilier tous les étrangersqui sont dans la ville, il leur dit quelquefois qu'il leurtrouve plus de raison et d'équité que dans ses concitoyens.S'il est prié d'un repas, il demande en entrant à celui quil'a convié où sont ses enfants; et dès qu'ils paroissent, ilse récric sur la ressemblance qu'ils ont avec leur père, etque deux figures ne se ressemblent pas mieux; il les faitapprocher de lui, il les baise, et, les ayant fait asseoir àses deux côtés, il badine avec eux. À qui est, dit-il, la petitebouteille? À qui est la jolie cognée 8 ? Il les prend ensuitesur lui, et les laisse dormir sur son estomac, quoiqu'ilen soit incommodé. Celui enfin qui veut plaire sefait raser souvent, a un fort grand soin doses dents, change1. Fameux m a ici ta ud de chairs salées t nourriture ordinaire <strong>du</strong> peuplé.(Ao/c de La Ilrttytre.)2. Ou De l'envie de ptaire, {Note de La liruytrc.)3. l'clits juiuU q.to les Grecs peudoient au cuu de leur» en fa ni». [S'oh dtLa Uvuyèrc.)


478 LES CARACTÈREStous les jours d'habits, et les quitte presque tout neufs;il ne sort point en public qu'il ne soit parfumé ; on no levoit guère dans les salles publiques qu'auprès des comptoirsdes, Banquiers 1 ; et dans les écoles, qu'aux endroitsseulement où s'exercent les jeunes gens 8 ; et au théâtres,les jours d spectacle, que dans les meilleures places ettout près des préteurs. Ces gens encore n'achètent jamaisrien pour eux ; mais ils envoient à Byzance toute sorte debijoux précieux, des chiens de Sparte* à Cyzique, et àRhodes l'excellent miel <strong>du</strong> <strong>mont</strong> Hymettej et ils prennent 'soin que toute la ville soit informée qu'ils font ces emplettes.Leur maison est toujours remplie de mille chosescurieuses qui font plaisir à voir, ou que l'on peutdonner, comme des singes et des satyres* qu'ils saventnourrir; des pigeon? de Sicile, des dés qu'ils font faire d'osde chèvres, des fioles pour des parfums, des cannes torsesque Ton fait à Sparte, et des tapis de Perse à personnages.Ils ont chez eux jusqu'à un jeu de paume et une arènepropre .à s'exercer à la lutte; et s'ils se promènent par laville, et qu'ils rencontrent en leur chemin des philosophes,des sophistes 8 , des escrimeurs ou des musiciens, ilsleur offrent leur maison pour s'y exercer chacun dans sonart indifféremment; ils se trouvent présents à ces exercices,et se mêlant avec ceux qui viennent là pour regarder: A qui croyez-vous qu'appartienne une si belle maisonet cette arène si commode? Vous voyez, ajoutent-ilsen leur <strong>mont</strong>rant quelque homme puissant de la ville,celui qui en est le maître, et qui en peut disposer.DE LIMAGE D'UN COQUIN.Un coquin est celui à qui les choses les plus honteusesne coûtent rien à dire ou à faire; qui jure volontiers et fait1. C'ctoil l'endroit où s'assemblolent tes plus honnêtes gens de ta vilte.(Note de La Btuyère.)î, l'our eue connu d'eui cl en être regardé, alnti que de tous ceux qui VjIro'ivoieni. (Sole de La Bru\j'cre>)3. V*n. Ainsi qu'au théâtre, dans tes sept premières éditions.4. Une espèce de singes. (Noie de I/x //ruj/siv.yb. Uuc sorte de philosophes vains et intéressés. (Noie de La Bruyère.)


DE THÊOPHRASTE. 4/9des serments en justice autant que l'on lui en demande;qui est per<strong>du</strong> de réputation; que l'on outrage impunément; qui est un chicaneur de profession, un effronté, etqui se môle de toutes sortes d'affaires. Un homme de cecaractère entre sans masque dans une danse comique *, etmême sans être ivre; mais de sang-froid il se distinguedans la danse la plus obscène 1 par les postures les plusindécentes. C'est lui qui, dans ces lieux où Po\t voit desprestiges 9 , s'ingère de recueillir l'argent de chacun desspectateurs, et qui fait querelle à ceux qui, étant entréspar billets, croient ne devoir rien payer. Il est d'ailleursde tous métiers; tantôt il tient une taverne, tantôt il estsuppôt de quelque lieu infâme, une autre fois partisan :il n'y a point de sale commerce où il ne soit capable d'entrer.Vous le verrez aujourd'hui crieur public, demaincuisinier ou brelandier : tout lui est propre. S'il a unemère, il la laisse mourir de faim. 11 est sujet au larcin età se voir traîner par la ville dans une prison, sa demeureordinaire, et où il passe une partie de sa vie. Ce sont cessortes de gens que l'on voit se faire entourer <strong>du</strong> peuple,appeler ceux qui passent et se plaindre à eux avec unevoix forte et enrouée, insulter ceux qui les contredisent.Les uns feudent la presse pour les voir, pendant que lesautres, contents de les avoir vus, se dégagent et poursuiventleur chemin sans vouloir les écouter; mais ces effrontéscontinuent de parler; ils disent à celui-ci le commencementd'un fait, quelque mot à cet autre; à peine peutontirer d'eux la moindre partie de ce dont il s'agit; etvous remarguerez qu'ils choisissent pour cela des joursd'assemblée publique, où il y a un grand concours demonde, qui se trouve le témoin de leur insolence. Toujoursaccablés de procès, que l'on intente contre eux ouqu'ils ont intentés à d'autres, de ceux dont ils se délivrentpar de faux serments, comme de ceux qui les obligent de1. Sur le théâtre avec des farceurs. (Note de La Bruyère*)2. Celle danse, la ptus déréglée de toutes, s'appelle eu grec coTifrir, parceque l*on s'y serve-il d'une corde pour faire des postures. (Note de La//ruj/ère.)3. Chose» fort eitraordiuaîres, telles ou'oti en voit dans nos foires. (iSotiaie La îiruyère*)


•/r*î«4S0LES CARACTÈREScomparoitrrt, ils n'oublient jamais de porter leur boite 'dans leur sein, et une liasse de papiers entre leurs mains.Vous les voyez dominer parmi de vils praticiens, à qui ilsprélent à usure, retirant chaque jour une obole et demiei de chaque drachme * j fréquenter les tavernes, parcourirles lieux où l'on débite le poisson frais ou salé, et consumerainsi en bonne chère tout le profit qu'ils tirent decette espèce de trafic. En un mot, ils sont querelleurs etdifficiles, ont sans cesse la bouche ouverte à la calomnie,ont une voix étourdissante et qu'ils font retentir dans les,marchés et dans les boutiques.DU GRAND PARLEUR 8 .4Ce que quelques-uns appellent babil est proprementune intempérance de langue qui ne permet pas à unhomme de se taire. Vous ne contez pas la chose commeelle est, dira quelqu'un de ces grands parleurs à quiconqueveut l'entretenir de quelque affaire que ce soit; j'aitout su, et* si vous vous donnez la patience de m'écouter,je vous apprendrai tout. Et si cet autre continue de parler:Vous avez déjà dit cela; songez, poursuit-il, à ne rien oublier.Fort bien; cela est ainsi, car vous m'avez heureusementremis dans le fait : voyez ce que c'est que de s'en-. tendre les uns les « iti'cs. Et ensuite : Mais que veux-jedire? Ah I j'oubliois une chose : oui, c'est cela môme, etje vouloU voir si vous tomberiez juste dans tout ce que j'enai appris. C'est par de telles ou semblables interruptionsqu'il ne donne pas le loisir à celui qui lui parle de respirer.Et lorsqu'il a comme assassiné de son babil chacun doceux qui ont voulu lier avec lui quelque entretien, il vase jeter dans un cercle de personnes graves qui traitentensemble do enoses sérieuses, et les met en fuite. Do làJ entre dans les écoles publiques et dans les lieux dest • Une petite botte de cuivre fort légère, où les plaideur» tncttoieut leur»'lires et tes pièce» de teur» procèi. (Note dt La Bruyère.)I, Une obole ctoit ta tiiième partie d'une drtettue. {Note de La Bruyère,*3. Ou Va Babil. {Note de La Bruyère )


^sDE TIIÉOPIIRA'STB4SIexercices 1 , où il amuse les maîtres par de vains discours,et empoche la jeunesse de profiter de leurs leçons. S'iléchappe à quelqu'un de dire : Je m'en vais, celui-ci se metà le suivre, et il ne l'abandonne point qu'il ne t'ait remisjusque dans sa maison. Si, par hasard, il a appris ce quiaura été dit dans une assemblée de ville, il court dans lemôme temps le divulguer. Il s'étend merveilleusementsur la fameuse bataille qui s'est donnée sous le gouvernementde l'orateur Aristophon *, comme sur le combat célèbreque ceux de Lacédémone ont livré aux Athéniens,sous la con<strong>du</strong>ite de Lysandre 8 . Il raconte une autre foisquels applaudissements a eus un discours qu'il a fait dansle public, en répète une grande partie, môle dans ce récitennuyeux des invectives contre le peuple, pendant que, deceux qui l'écoutent, les uns s'endorment, les autres lequittent, et que nul ne se ressouvient d'un seul mot qu'ilaura dit. Un grand causeur, en un mot, s'il est sur les tribunaux,ne laisse pas la liberté déjuger; il ne permet pasque l'on mange à table; et s'il se trouve au théâtre, il empochenon-seulement d'entendre, mais môme de voir lesacteurs. On lui fait avouer ingénument qu'il ne lui estpas possible de se taire, qu'il faut que sa langue se remuedans son palais comme le poisson dans l'eau, et que,quand on l'accuscroit d'être plus babillard qu'une hirondelle,il faut qu'il parle : aussi écoutc-t-il froidement toutesles railleries que l'on fait de lui sur ce sujet; et jusqu'àses propres enfants, s'ils commencent à s'abandonnerau sommeil î Faites-nous, lui disent-ils, un conte quiachève de nous endormir.DU DÉBIT DES NOUVELLES.Un nouvelliste ou un conteur de fables est un homme quiarrange, selon son caprice, des discours et des faits remplis1. C'étoK un crime puni de mort à Athènes par une toi de Soton, à laque liaon avait un peu dérogé au temps de Théophrasle. (Note de La Bruyère»)I» C'est* à-dire sur ta balai Ile d'Arbèlei et la victoire d'Alciandre, suiviesde ta mort de Darius, dont les nouvelles tinrent à Athènes lorsque Atisto*phon, célèbre orateur, étoit premier magistrat. {Note de La Bruyère.)3. Il étoit plus arclen que la bataille d'Arbèles, mais trivial et iti de toutle peuple, (Note de La Bruyèrt*)41


•!*V'***•'*T *•" ^ ""•**'» * ..».iirft..V 1 *4S"'I•• .Jt -t>iI4s| : 482 LES CARACTÈRESdo fausseté; qui, lorsqu'il rencontre l'un de ses amis, composeson visage, et lui souriant : D'où venez-vous ainsi? luidit-il j que nous direz-vous de bon? n'y a-t-il rien de nouveau?Et continuant de l'interroger : Quoi donc! n'y a-t-ilaucune nouvelle? Cependant il y a des choses étonnantesà raconter. Et sans lui donner le loisir de fui répondre :Que dites-vous donc? poursuit il i n'avez-vous rien enten<strong>du</strong>par la vjlle? Je vois bien que vous ne savez rien, et que jevais vous régaler de grandes nouveautés. Alors, ou c'est unsoldat, ou le fils d'Àstée le joueur de flûte 1 , ou Lycon l'ingénieur,tous gens qui arrivent fraîchement de l'armée,de qui il sait toutes choses : car il allègue pour témoins dece qu'il avance des hommes obscure qu'on ne peut trouverpour le convaincre de fausseté j il assure donc que ces personneslui ont dit que le roi 4 et Polysperchon 3 ont gagnéla bataille, et que Cassandre, leur ennemi, est tombé vifentre leurs mains 4 . Et lorsque quelqu'un lui dit : Mais, en•|ivérité, cela est-il croyable?il lui réplique que cette nou- :•vellc se cric et se répand par toute la ville, que tous s'ac- *.cordent à dire la même chose, que c'est tout ce qui se ra- ,v| conte <strong>du</strong> combat, et qu'il y a eu un grand carnage. Il ?ajoute qu'il a lu cet événement sur le visage de ceux qui ?gouvernent ; qu'il y a un homme caché chez l'un de cesmagistrats depuis cinq jours entiers, qui revient de la Macédoine,qui a tout vu et qui lui a tout dit. Ensuite, in ter- ,rompant le fil de sa narration : Que pensez-vous de ce suc*ces? demandc-Ml à ceux qui Técoulent. Pauvre Cassandre l; i m malheureux prince I s'écric-Hl d'une manière louchante :voyez ce que c'est que la fortune! car enfin Cassandre |[\ étoit puissant, et il avoit avec lui de grandes forces. Ce que $:je vous dis, poursuit-il, est un secret qu'il faut garder pourvous seul, pendant qu'il court par toute la ville le débiterà qui le veut entendre. Je vous avoue que ces diseurs deVouvelles me donnent de l'admiration, et que je ne con*?ti1¥U•Fs:t. L*usa


. ^„ •*—• "-w-« + r ^-. V, -^ *"* "* • ' ' j" " *' - * ,v • - r*~ -f '- • *'• ,*i>" %'i/'DE THÊOPHRASTB. 483çois pas quelle est la fin qu'ils se proposent r car. pour nerien dire de la bassesse qu'il y a à toujours mentir, je nevois pas qu'ils puissent recueillir le moindre fruit de celtepratique. Au contraire, il est arrivé à quelques-uns de selaisser voler leurs habits dans un bain public, pendantqu'il.: ne songeoicnt qu'à rassembler autour d'eux* unefoule dfc peuple, et à lui conter des nouvelles. Quelquesautres, après avoir vaincu sûr mer et sur terre dans le Portique1 , ont payé l'amende pour n'avoir pas comparu a unecause appelée. Enfin, il s'en est trouvé qui, le jour mômequ'ils ont pris une ville, <strong>du</strong> moins par leurs beaux discours,ont manqué de dîner. Je ne crois pas qu'il y ait riende si misérable que la condition de ces personnes : carquelle est la boutique, quel est le portique, quel est l'endroitd'un marché public, où ils ne passent tout le jour àrendre sourds ceux qui les éc utent, ou à les fatiguer parleurs mensonges?DE i/EFFRONTERlE CAUSÉE PAU L'AVARICE.Pour faire connoître ce vice, il faut dire que c'est unmépris de l'honneur dans la vue d'un vil intérêt. Unhomme que l'avarice rend effronté ose emprunter unesomme d'argent à celui à qui il en doit déjà, et qu'il lui retientavec injustice. Le jour même qu'il aura sacrifié auxdieux, au lieu de manger religieusement chez soi unepartie des viandes consacrées*, il les fait saler pour lutservir dans plusieurs repas, et va souper chez l'un de sesamis; et là, à table, à la vue de tout le monde, il appelleson valet, qu'il veut encore nourrir aux dépens de sonhôte t et lui coupant un morceau de viande qu'il met surun quartier de pain: Tenez, mon ami, lui dit-il, faites* bonne chère. Il va lui-mûmo au marché acheter des viandescuites 8 , et, avant que de convenir <strong>du</strong> prix, pour avoir| i. V. îccliap. de la Ftattme* [Note dû La tintyère*)f 2, (Vélott lacoulumc dos Grec*. V. le chapitre <strong>du</strong> Contve-ï( ::->:. [ItOt: S*La bruyère.)3. Comme le menu peuple, qui aclicloit son souper cticx les charcutiers..(S'otede La Itrinjlre*)


ftt:If,'*-!,,»•>• V" /•• t ut1DE l/ÉPARGNE SORDIDE. .f.i!iiiti{!%Celte espèce d'avarice est dans les hommes une passionde vouloir ménager les plus petites choses sans aucune finhonnûle. C'est dans cet esprit que quelques-uns, recevanttous les mois le loyer de leur maison, ne négligent pasd'aller cux-môrnes demander la moitié d'une obole quimanquent au dernier payement qu'on leur a -fait; qued'autres, faisant l'effort do donner à manger chez eux, nesont occupés pendant le repas qu'à compter le nombre defois que chacun des conviés demande à boire. Ce sont eux1. Y*n. Sa pari franche, dans les sopt premières éditions,î. Le* plus pauvre* ts lavoicot aiuti pour payer moins. {Noie de Lallruycrc.)*'£•5-f••&*•S"484 LES CARACTÈRESune meilleure composition <strong>du</strong> marchand, il le fait ressou-% • venir qu'il lui a autrefois ren<strong>du</strong> service. Il fait ensuite?| peser «es viandes, et il en entasse le plus qu'il peut; s'il' \~f ,en est empoché par celui qui les lui vend, il jette <strong>du</strong> moinsquelques os dans la Balance; si elle peut tout contenir ilest satisfait, sinon il ramasse sur la table des morceaux derebut, comme pour se dédommager, sourit, et s'en va.Une autre fois, sur l'argent qu'il aura reçu de quelques[•{ jétrangers pour leur louer des places au théâtre, il trouvele secret d'avoir sa place franche * <strong>du</strong> spectacle, et d'y envoyerle lendemain ses enfants et leur précepteur. Tout;' \lui fait envie; il veut profiter des bons marchés, et demandehardiment au premier venu une chose qu'il ne• '.


TfcO» ^N»^*^ **?' ***"' ib à V ^*** ay -*Sf*V *î**f "t *^-P *—• ' f-'-to»lr*i.- T*** -^T ' "**"V i .•* *" - -' *.*DE TÏÎÉOHIRASTE. 485encore dont la portion des prémices * des viandes quel'on envoie sur l'autel de Diane est toujours la plus petite.Ils apprécient les choses au-dessous de ce qu'elles valent;et de quelque bon marché qu'un autre en leur rendantcompte veuille se prévaloir, ils lui soutiennent toujoursqu'il a acheté trop cher. Implacables à l'égard d'un valetqui aura laissé tomber un pot de terre ou cassé par malheurquelque vase d'argile, ils lui dé<strong>du</strong>isent celte pertesur sa nourriture; mais si leurs femmes ont per<strong>du</strong> seulementun denier, il faut alors renverser toute une maison,déranger les lits, transporter des coffres, et chercher dansles recoins les plus cachés. Lorsqu'ils vendent, ils n'ontque cette unique chose en vue, qu'il n'y ait qu'A perdrepour celui qui achète. 11 n'est permis a personne de cueillirune figue dans leur jardin, de passer au travers de leurchamp, de ramasser une petite branche de palmier, ouquelques olives qui seront tombées de l'arbre. Ils vonttous les jours se promener sur leurs terres, en remarquentles bornes, voient si l'on n'y arien changé et si elles sonttoujours les mômes. Ils tirent intérêt de l'intérêt, et cen'est qu'à cette condition qu'ils donnent <strong>du</strong> temps à leurscréanciers. S'ils ont invité à dîner quelques-uns de leursamis, et qui ne sont que des personnes <strong>du</strong> peuple, ils nefeignent point de leur faire servir un simple hachis \ et onlésa vus souvent aller eux-mêmes au marché pour cesrepas, y trouver fout trop cher, et en revenir sans i ienacheter. Ne prenez pas l'habitude, disent-ils à leurs femmes,de prêter votre sel, votre orge, votre farine, ni même<strong>du</strong> cumin 5 , de la marjolaine 8 , des gâteaux pour l'autel*,<strong>du</strong> coton, de la laine î car ces petits détails ne laissent pasdé<strong>mont</strong>er, à la fin d'une année, à une grosse somme. Cesavares, en un mot, ont des trousseaux de clefs rouillécsdont ils ne se servent point, des cassettes où leur argent1. Les Grecicommeneoient par ces offrandes leurs repas publics, (NotedtLa Bruyère.)8. Une sorte d'herbe* (Noie de La Bruyère*)3. Ella empêche fes viandes de se corrompre, ainsi que te thym et le lau*rier (Sole de La Bruyère.)4. Faits de farine et de miel» et qui servoicat tut sacrifices. (Note de LitBruyitti)41,


486 LES CARACTÈRESest en dépôt, qu'ils n'ouvrent jamais et qu'ils laissent moisfvdans un coin de leur cabinet ; ils portent des habits quiletfj sont trop courts et trop étroits ; les plus petites fiolescontiennent plus d'huile qu'il n'en faut pour leè aindro;ils ont la tête rasée jusqu'au cuir} se déchaussent vers lemilieu <strong>du</strong> jour ' pour épargner leurs souliers ; vont trouverles foulons pour obtenir d'eux de ne pas épargner lacraie dans la laine qu'ils leur ont donnée à préparer, afin,disent-ils, que leur étoffe se tache moins ».DE L'IMPUDENT, OU DE CELUI QUI NE ROUGIT DE BIEN.L'impudence 8 est facile à définir : il suffit de dire quec'est une profession ouverte d'une plaisanterie outrée,comme ce qu'il y a de plus honteux et de plus contraireà la bienséance. Celui-là, par exemple, est impudent, qui,voyant venir vers lui une femme de condition, feint dans cemoment quelque besoin pour avoir occasion de se <strong>mont</strong>rerà elle d'une manière déshonnôte; qui se platt à battre desmains au théâtre lorsque tout le monde se tait, ou y sifflerles acteurs que les autres voient et écoutent avec plaisir;qui, couché sur le dos, pendant que l'assemblée garde unprofond silence, fait entendre de sales hoquets qui obligentles spectateurs de tourner la tôle et d'interrompreleur attention. Un homme de ce caractère achète en pleinmarché des noix, des pommes, toute sorte de fruits, lesmange, cause debout avec la fruitière, appelle par leursnoms ceux qui passent sans presque les connoître, en arrêted'autres qui courent par la place et qui ont leursaffaires; et & il voit venir quelque plaideur, il l'aborde,le raille et le félicite * sur une cause importante qu'ilvient de perdre •. Il va lui-mémo choisir de la viande, et1. Parce que dans celfc partie <strong>du</strong> jour te froid, eu toute saison, était supportable.(Note de La Bruyère.)2. C'était aussi parce que cet apprêt at?e de ta craie, comme le pire detous, et qui rendort. les étoffes <strong>du</strong>re» et grossières, était celui qui Coûtait lemoins. {Note de La Bruyère.)3. VAR,' J/impudentéA. VAII. Ut te congraluUb. VAR. De plaider*


?-/'.DR THEOPHRASTE.4S7Jouer pour un souper des femmes qui jouent de la flûte ;et, <strong>mont</strong>rant à ceux qu'il rencontre ce qu'il vient d'acheter,il les convie en riant d'en venir manger. On le voits'arrêter devant la boutique d'un barbier ou d'un parfumeur,et U l annoncer qu'il va faire un grand repas ets'enivrer 2 . Si quelquefois il vend <strong>du</strong> vin, il le fait mêlerpour ses amis comme pour les autres sans distinction, ilne permet pas à ses enfants d'aller à l'amphithéâtre avantque les jeux soient commencés, et lorsque Ton paye pourêtre placé, mais seulement sur la fin <strong>du</strong> spectacle, etquand l'architecte 3 néglige les places et les donne pourrien. Étant envoyé avec quelques autres citoyens en ambassade,il laisse chez soi la somme que le public lui adonnée pour faire les frais de son voyage, et emprunte del'argent doses collègues; sa coutume alors est de chargerson valet de fardeaux au delà de ce qu'il en peut porter,et do lui retrancher cependant de son ordinaire, et,comme il arrive souvent que l'on fait dans les villes desprésents aux ambassadeurs, il demande sa part pour lavendre. Vous m'achetez toujours, dit-il au jeune esclavequi sert dans le bain, une mauvaise huile, et qu'on nepeut supporter l 11 se sert ensuite de l'huile d'un autre, etépargne la sienne. Il envie à ses propres valets, qui lesuivsnt, la plus petite pièce de monnaie qu'ils auront ramasséedans les rues, et il ne manque point d'en retenirsa part, avec ce mot : Mercure est commun K 11 fait pis : ildistribue ft ses domestiques leurs provisions dans une certainemesure dont le fond, creux par-dessous, s'enfonce endedans et s'élève comme en pyramide; et quand elle estpleine, il la rase lui-môme avec le rouleau, le plus prèsim'il peut.,. 5 De même, s'il paye à quelqu'un trentett tt y a voit des gens fainéants etdésoccupcs qui s'assenibloient dans leursboutiques, (Note de La Bruyère»)2. Les traits suivants, jusqu'à la lia <strong>du</strong> chapitre, ne sont que des fragmentsépirs <strong>du</strong> Caractère xxx, <strong>du</strong> Gain sordide/ transposés ici mal à propos, et foraAltérés3. L'architecte qui avoit bâti ramphUliéàtrc, et à qui ta république don*uoîl le louage des ptaecs en payement. (Xote de La Bruyère»)4. Proverbe grec, qui revient à notre : Je retiens part, [Note de LaBruyère»)6» Quelque chose manque ici dans le texte. [Note de La Dniyère t )


y ••* . ." ' • - v .--v . •" .. ^«t•fI\j* 's488 LES CARACTÈRESmines » qu'il lui doit, il fait si bien qu'il y manque quatredrachmes * dont il profite. Mais, dans ces grands repas oùil fatit traiter toute une tribu', il fait recueillir par ceuxde ses domestiques qui ont soin de la table le reste desviandes qui ont été servies, pour lui en rendre compte :il seroit fâché de leur laisser une rave à demi mangée.DU CONTRE-TEMPS./\Cette ignorance <strong>du</strong> temps et de l'occasion est une manièred'aborder les gens, ou d'agir avec eux, toujours incommodeet embarrassante. Un importun est celui quichoisit le moment que son ami est accablé de ses propresaffaires pour lui parler des siennes ; qui va souper chezsa maîtresse le soir môme qu'elle a la fièvre; qui, voyantque quelqu'un vient d'ûtre condamné en justice de payerpour un autre, pour qui il s'est obligé, le prie néanmoinsde répondre pour lui; qui comparait pour servir de témoindans un procès que l'on vient de juger; qui prendle temps des noces où il est invité pour se déchaîner contreles femmes; qui entraîne à la promenade des gens àpeine arrivés d'un long voyage, et qui n'aspirent qu'à sereposer s fort capable d'amener des marchands pour offrird'une chose plus qu'elle ne vaut, après qu'elle est ven<strong>du</strong>e?de se, lever au milieu d'une assemblée pour reprendre unfait dès ses commencements, et en instruire à fond ceuxqui en ont les oreilles rebattues et qui le savent mieu\que lui; souvent empressé pour engager dans une affairedes personnes qui, ne l'affectionnant point, n'osent pourtantrefuser d'y entrer. S'il arrive que quelqu'un dans laville doive faire un festin après avoir sacrifié 4 , il va lui1 •1. Mine se doit prendre ici pour une pièce de monnoie. (Note de LaBruyère.)2. Drachmes, petites pièces de monnoie, dont il en falloit cent à Athènespour faire une mine. [Note de La Bruyère*)3. Alhènetétoit partagée eti plusieurs tribus. Voyez te chapitre de la ife*ditanec. (Noie de La Bruyère.'»4. i.ci Grecs, te jour même qu'ils avoient sacrifié, ou toupoient atec leursauiis, ou leur envoyoient à chacun une portion de la victime. C'était donc uncontre*temps de demander sa part prématurément cl lorsque le festin ctoîtrésolu, auquel on pouvoit même être invité* (Nots de ta Bruyère.)


f •?fl / - - ;*K^ **• *"DE THÉOPHRÀSTE. 489*demander une portion des viandes gu*il a préparées. Uneautre fois, s'il voit qu'un maître châtie devant lui sonesclave : J'ai per<strong>du</strong>, dit-il, un des miens dans une pareilleoccasion ; je le fis fouetter, il se désespéra et s'alla pendre.Enfin, il n'est propre qu'à commettre de nouveau deuxpersonnes qui veulent s'accommoder, s'ils l'ont fait arbitrede leur différend< C'est encore une action qui lui convientfort, que d'aller prendre au milieu <strong>du</strong> repas, pour danser', un Jiomme qui est de sang-froid et qui n'a bu quemodérément.DE L'AIR EMPRESSÉ.Il semble que le trop grand empressement est une rechercheimportune, ou une vaine affectation de marqueraux autres de la bienveillance par ses paroles et par toutesa con<strong>du</strong>ite. Les manières d'un homme empressé sont deprendre sur soi l'événement d'une affaire qui est au-dessusde ses forces, et dont il ne sauroit sortir avec honneur}et, dans une chose que toute une assemblée juge raisonnable,et où il ne se trouve pas la moindre difficulté,d'insister longtemps sur une légère circonstance, pourêtre ensuite de l'avis des autres; de faire beaucoup plusapporter de vin dans un repas qu'on n'en peut boire ; d'entrerdans une querelle où il se trouve présent, d'une manièreà l'échauffer davantage. Iticn n'est aussi plus ordinaireque de le voir s'offrir à servir de guide dans un chemindétourné qu'il ne connoît pas, et dont il no peutensuite trouver l'issue; venir vers son général, et luidemander quand il doit ranger son armée en bataille,quel jour il faudra combattre, et s'il n'a point d'ordres àlui donner pour le lendemain ; une autre fois s'approcherde son père : Ma mère, lui dit-il mystérieusement, vientde se coucher, et ne commence qu'à s'endormir; s'ilentre enfin dans la chambre d'un malade à qui son médecina défen<strong>du</strong> le vin, dire qu'on peut essayer s'il ne luifera point de mal, et le soutenir doucement pour Jui en1. Cela ne se faisoil chc* les Grecs qu'après te repas, et lorsque tes hblei4 loi fat cnlcvcc», (Note de la Btuylrt.)+


t400 LES CARACTÈRESfaire prendre. S'il apprend qu'une femme soit morte dansla ville, il s'ingère de faire son épilaphe; il y fait graverson nom, celui de son mari, de son père, de sa mère, sonpajs, son origine, avec cet éloge : Ils avoient tous de lavertu '. S'il est quelquefois obligé de jurni devant desjuges qui exigent son serment : Ce n'est pas, dil-il en per»çanl la foule pour paroîtrc à l'audience, la première foisque cela m'est arrivé.DE LA STUPIDITÉ.La stupidité est en nous une pesanteur d'esprit qui accompagnenos actions et nos discours. Un homme stupide,ayant lui-même calculé avec des jetons une certainesomme, demande à ceux qui le regardent faire à quoi ellese <strong>mont</strong>e. S'il est obligé de paroître dans un jour prescritdevant ses juges pour se défendre dans un procès que l'onlui fait, il l'oublie entièrement, et part pour la campagne.Il s'endort à un spectacle, et il ne se réveille quelongtemps après qu'il est fini, et que le peuple s'est retiré.Après s'être rempli de viandes le soir, il se lève la nuitpour une indigestion, va dans la rue se soulager, où il estnior<strong>du</strong> d'un chien <strong>du</strong> voisinage. Il cherche ce qu'on vientde lui donner, et qu'il a mis lui-même dans quelque endroitoù souvent il ne peut le retrouver. Lorsqu'on l'avertit'de la mort de l'un de ses amis, afin qu'il assiste à sesfunérailles, il s'attriste, il pleure, il se désespère, et prenantune façon de parler pour une autre : A la bonneheure, ajoute-t-il, ou une pareille sottise. Cette-précautionqu'ont les personnes sages de ne pas donner sanstémoins * de l'argent à leurs créanciers, il l'a pour enrecevoir de ses .débiteurs. On le voit quereller son valetdans le plus grand froid de l'hiver, pour ne lui avoir pasacheté des concombres. S'il s'avise un jour de faire exercerses enfants à la lutte ou à la course, il ne leur permetpas de se retirer qu'ils ne soient tout en sueur et horsJl* i{. Formule d'épitaphe. [Noie de La Bruyère.)2 Les témoins êtoieut fort en usage chez les Grecs, dans les payement» etdans tous les actes. {Noie de La Bruyère.)


DE THÉOPHRASTE. 491d'haleine. Il Ya cueillir lui-même des lentilles, les faitcuire, et, oubliant qu'il y a mis <strong>du</strong> sel, il les sale uneseconde fois, de sorte que personne n'en peut goûter.Dans le temps d'une pluie incommode, et dont tout lemonde se plaint, il lui échappera de dire que l'eau <strong>du</strong>ciel est une chose délicieuse ; et si on lui demande parhasard combien il a vu emporter de morts par la portesacrée * : Autant, répond-il, pensant peut-être à de l'argentou à des grains, que je voudrois que vous et moi enpussions avoir.DE LA BRUTALITÉ. .mLa brutalité est une certaine <strong>du</strong>reté, et j'ose dire uneférocité qui se rencontre dans nos manières d'agir, cl quipasse môme jusqu'à nos .paroles. Si vous demandez a unhomme brutal : Qu'est devenu un tel? il vous répond<strong>du</strong>rement : Ne me rompez point la tête. Si vous le saluez,il ne vous fait pas l'honneur de vous rendre le salut; siquelquefois il met en vente une'chose qui lui appartient,il est inutile de lui en demander le prix, il ne vous écoutepas; mais il dit fièrement à celui qui la marchande ; Qu'ytrouvez-Yous à dire? il se moque de la piété de ceux quienvoient leurs offrandes dans les temples aux jours d'unegrande célébrité : Si leurs prières, dit-il, vont jusqu'auxdieux, et s'ils en obtiennent les biens qu'ils souhaitent,l'on peut dire qu'ils les ont bien payés, et que ce n'estpas un présent <strong>du</strong> ciel *. 11 est inexorable à celui qui, sausdessein, l'aura poussé légèrement, ou lui aura marché surle pied ; c'est une faute qu'il ne pardonne pas. La premièrechose qu'il dit à un ami qui lui emprunte quelqueargent, c'est qu'il ne lui en prêtera point. Il va le trouverensuite, et le lui donne de mauvaise grâce, ajoutant qu'ille compte per<strong>du</strong>, il ne lui arrive jamais de se heurter àune pierre qu'il rencontre en son chemin sans lui donnerde grandes malédictions. Il ne daigne pas attendre per-1. Tour êlre enterrés hors de la ville, suivant la loi de Solon, (A r ofc de LaBruyère.)2. YAH. Et qu'ils ne leur sont pas donnés nour rien.


• V *• ••-•.'tI!- t402 LES CARACTÈtlKSsonne; et, si Ton diffère un moment a se rendre au Houdont Ton est convenu avec lui, il so retire. Il so distinguetoujours par une grande singularité; il ne veut ni chanterà son tour, ni nîciter dans un repas, ni môme danser avec' les autres l . En un mot, on no le voit guère dans les templesimportuner les dieux, et leur faire des vœux ou dessacrifices.DE LA SUPERSTITION.La superstition semble n*être autre chose qu'une craintemal réglée de la divinité. Un homme superstitieux, aprèsavoir lavé ses mains et s'être purifié avec de l'eau lustrale*,sort <strong>du</strong> temple, et se promène une grande partie <strong>du</strong> jouravec une feuille de laurier dans la bouche. S'il voit unebelette, il s'arrête tout court, et il ne continue pas de marcherque quelqu'un n'ait passé avant lui par le même endroitque cet animal a traversé, ou qu'il n'ait jeté luimômetrois petites pierres dans le chemin, comme pouréloigner de lui ce mauvais présage. En quelque endroitde sa maison qu'il ait aperçu un serpent, il ne diffère pasd*y élever un autel, et dès qu'il remarque dans les carrefoursde ces pierres que la dévotion <strong>du</strong> peuple y a consacrées,il s'en approche, verse dessus toute l'huile de saViole, plie les genoux devant elles et les adore. Si un ratlui a rongé un sac de farine, il court au devin, qui nemanque pas de lui enjoindre d'y faire mettre une pièce;mais, bien loin d'être satisfait de sa réponse, effrayé d'uneaventure si extraordinaire, il n'ose plus se servir de sonsac et s'en défait. Son foible encore est de purifier sans finla maison qu'il habile, d'éviter de s'asseoir sur un tombeau,comme d'assister à des funérailles, ou d'entrer dansla chambre d'une femme qui est en couche ; et lorsqu'il1. Les Grecs récitaient à table quelques beaux endroits de leurs poètes, etdansoient ensemble après le repas, Y. le chapitre <strong>du</strong> Contre-temps. (NotedeLa Bruyère.)2. Une eau où l'on avoit éteint un tison ardent pris sur l'autel où l'onbrâloitla victime; elle éloit dans une chaudière à la porte <strong>du</strong> temple; l'on s'enlaroit soi-même, oa l'on s'en faisoit larer par les prêtres. (Note de La.Bruyère»)


?i~.DE THEOPHIUSTE, 40£lui arrive d'avoir, pendant son sommeil, quelque vision,il va trouver les interprèles des songes, les devins et lesaugures, pour savoir d'eux à quel dieu ou à quelle déesseH doit sacrifier. 11 est fort exact à visiter, sur la fin de chaquemois, ks prêtres d'Orphée, pour se faire initier dansles mystères 1 ; il y mène sa femme, ou, si elle s'en excusepar d'autres soins, il y fait con<strong>du</strong>ire ses enfants par unenourrice. Lorsqu'il marche par la ville, il ne manqueguère de se laver toute la tète avec l'eau des fontainesqui sont dans les places ; quelquefois il a recours à desprétresses, qui le purifient d'une autre manière, en liantet étendant autour de son corps un petit chien ou de lasquille*. Enfin, s'il voit un homme frappé d'épilepsie, saisid'horreur, il crache dans son propre sein, comme pourrejeter le malheur de celte rencontre.DE L'ESPRIT CHAGRIN.L'esprit chagrin fait que l'on n'est jamais content dopersonne, et que l'on fait aux autres mille plaintes sansfondement. Si quelqu'un fait un festin, et qu'il se sou*vienne d'envoyer un plat 8 à un homme de celle humeur,il ne reçoit de lui pour tout remerclmenl que le reproched'avoir été oublié. Jen'élois pas digne, dit cet esprit querelleux,de boire de^onvin, ni démanger à sa table. Toutlui est suspect, jusqu'aux caresses que lui fait sa maîtresse: Je doute fort, lui dit-il, que vous soyez sincère, etque toutes ces démonstrations d'amitié partent <strong>du</strong> cœur.Après une grande sécheresse, venant à pleuvoir, commeil ne peut se plaindre de la pluie, il s'en prend au cielde ce qu'elle n'a pas commencé plus tôt. Si le hasard luifait voir une bourse dans son chemin, il s'incline : Il y ades gens, ajoute-t-il, qui ont <strong>du</strong> bonheur; pour moi, je*n'ai jamais eu celui de trouver un trésor. Une autre fois»ayant envie d'un esclave, il prie instamment celui à qui ilI, Instruire de «es mystères. (Note de La Bruyère.)1» Espèce d'oignons marins. (Noie de La BruybreA3, C'a été la coutume des Juifs et d'autres peuples or'culaux, des Grecs etdes Romains. (Noie de La Bruyère.)4S


ii.Ï• i ,S Fi \'•I//!tJ>M, \%.491 LES CARACTèHESappartient d'y mettre le prix ; et des que celui-ci, vaincu *par ses imporlunités, le lui a ven<strong>du</strong>, il se repent de l'avoiracheté : Ne suis-jc pas trompé? demande-l-il, et exigeroit-,on si peu d'une chose qui seroit sans défaut? A ceux quilui font les compliments ordinaires sur la naissance d'unfils et sur l'augmentation de sa famille ». Ajoutez, leurdit il, pour ne rien oublier, sur ce que mon bien est diminuédelà moitié. Un homme chagrin, après avoir eu deses juges ce qu'il demandoil, et l'avoir emporté fout d'unevoix sur son adversaire, se plaint encore de celui qui aécrit ou parlé pour lui de ce qu'il n'a pas touché les meilleursmoyens de sa cause; ou lorsque ses amis ont faitensemble une certaine somme pour le secourir dans un j?besoin pressant, si quelqu'un l'en félicite et le convie àmieux espérer de la fortune î Comment, lui répond-il,puis-jc être sensible à la moindre joie, quand je penseque je dois» rendre cet argent à chacun de ceux qui mel'ont prêté, et n'être pas encore quitte envers eux de lareconnoissance de leur bienfait?DE LA DÉFIANCE.E1; v L'esprit de défiance nous fait croire que tout le monde|;fest capable de nous tromper. Un homme défiant, par7 iexemple, s'il envoie au marché l'un de ses domestiquesYpour y acheter des provisions, il le fait suivre par un auf•)trp, qui doit lui rapporter fidèlement combien elles onticoûté. Si quelquefois il porte de l'argent sur soi dans un^*voyage, il le calcule à chaque stade * qu'il fait, pour voir s'il1/ .a son compte. Une autre fois, étantcouché avec sa femme, ilIiluidemsnde si elle a remarqué que son coffre-forl fût bienfermé, si sa cassette est toujours scellée, et n on a eu soin doiiibien fermer la porte <strong>du</strong> vestibule ; et, bien qu'elle assureique tout est en b'on état, l'inquiétude le prend, il se love <strong>du</strong>;lit, va en chemise et les pieds nus, avec la lampe qui brûle4'lans sa chambre, visiter lui-môme tous les endroits de samaison, et ce n'est qu'avec beaucoup de peine qu'il s'eni'5 1. SU cents pas. (Note de La Btuylre>)S*F*--23*(-^


UE THKOPnîUSTE.


I ?s496 LES CAÎUCTEHESson abord ne se peut souiïrir, Ce n*est pas tout : il cracheou il se mouche en mangeant; il parle la bouche pleine;fait, en buvant, des choses contre la bienséance 1 ; il ne sesei't jamais au baîn que d'une huile qui sent mp'wais, etno paroll guère dans une assemblée publique qu'avec unevieille robe, et toute tachée. S'il est obligé d'accompagner«a merc chez les devins, il n'ouvre la bouche que pourdire des choses de mauvaise augure*. Une autre f ois, dansle temple et en faisant des libations*, il lui échappera desmains une coupe ou quelque autre vase, et il rira ensuitedo celte aventure, comme s'il avoit fait quelque chose de |\ merveilleux. Un homme si extraordinaire ne sait point I1 écouter un concert ou d'excellents joueurs de flûte; il bat |jdes mains avec violence comme peur leur applaudir, ou,| bien il suit d'une voix désagréable le môme air qu'ils: jouent; il s'ennuie de la symphonie, et demande si elle1 ne doit pas bientôt finir. Enfin si, étant assis à fable, il veutfcracher, c'est justement sur celui qui est derrière lui pourdonner • à boire.*utiri(t1D'UN HOMME INCOMMODE.Ce qu'on appelle un fâcheux est celui qui, sans faire àquelqu'un un fort grand tort, ne laisse pas de l'embarrasserbeaucoup; qui, entrant dans la chambre de son am|qui'commence à s'endormir, le réveille pour l'entretenirdo vains discours; qui, se trouvant sur le bord de la mer,sur le point qu'un homme est prôt de partir et de <strong>mont</strong>erdans son vaisseau, l'arrête sans nul besoin, l'engage insensiblementà se promener avec lui sur le rivage; qui, arrachantun petit enfant <strong>du</strong> sein de sa nourrice pendant qu'iltôte, lui fait avaler quelque chose qu'il a mâché, bat desmr T\ï/- It. Ajouter d après le manuscrit <strong>du</strong> Vatican : c à table, il se couche sous laroeme couverture que sa femme et il prend avec elle d'inconvenantes libertés* »2. Les anciens avoient un grand égard pour les paroles qui étaient proférées,même par hasard, par ceux qui venoîent consulter les devins et les augures,prier ou sacrifier dans les temples. (Note de La Bruyère*)i ;. 3. Cérémonies où l'on répandoit <strong>du</strong> vin ou <strong>du</strong> lait, dans les sacrifices. (NotaI ,de La Bruyère.)4* VAH. Lui donner % neuvième édition seule.Jt^ji


m TIlfiOPHRASTB. 497mains devant lui, le caresse, et lui parle d'une voix contrefaite;qui choisit le temps <strong>du</strong> repas et que le potageest sur la table pour dire qu'ayant pris médecine depuisdeux jouiv, il est allé par haut et par bas,


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v xDR THKOPHIUSTE. 499et se retire. Lorsqu'il marie sa fille, cl qu'il sacrifie selonla coutume, il n'abandonne de la victime que les partiesseules qui doivent être brûlées sur l'autel 1 ; il réserve lesautres pour les vendre, et comme il manqi\ de domestiquespour servir à table et ôlro chargés <strong>du</strong> soin des noces,il loue des gens pour tout le temps de la^féte, qui senourrissent à leurs dépens, et à qui il donne une certainesomme. S'il est capitaine de galère, voulant ménager sonlit, il se contente de coucher indifféremment avec les autressur de la natte qu'il emprunte de son pilote*. Vousverrez une autre fois cet homme sordide acheter en pleinmarché des viandes cuites, toutes sortes d'herbes, et lesporter hardiment dans son sein et sous sa robe; s'il l'a unjour envoyée chez le teinturier pour la détacher, commeil n'en a pas une seconde pour sortir, il est obligé degarder la chambre. Il sait éviter dans la place la rencontred'un ami pauvre qui pourroit lui demander, comme auxautres, quelque secours 8 ; il se détourne de lui, et reprendle chemin de sa maison. Il ne donne point de servantes àsa femme*, content de lui en louer quelques-unes pourl'accompagner à la ville toutes les fois qu'elle sort. Enfin,ne pensez pas que ce soit un autre qui balie 5 le matin sachambre, qui fasse son lit et le nettoie. Il faut ajouter qu'ilporte un manteau usé, sale cl tout couvert détaches; qu'enayant honte lui-môme, il le retourne quand il est obligéd'aller tenir sa place dans quelque assemblée.DE L'OSTENTATION.Je n'estime pas que.l'on puisse donner une idée plusjuste de l'ostentation qu'en disant que c'est dans l'hommeune passion de faire <strong>mont</strong>re d'un bien ou des avantages1. C'étaient les cuisses et les intestins. (Note de La Bruyère,)2. Le manuscrit <strong>du</strong> Yatican ajoute : « Il est capable de ne pas euvoyer sesentants à l'école vers le temps où il est d'usage de faire des présents au maître,et de dire qu'ils sont malades, afin de s'épaegner celte dépense. *3. Par forme de contribution. V. les chap. de h Dissimulation et de VEsprttchagrin. (Noie de La Bruyère,) — Le manuscrit <strong>du</strong> Vatican ajoute :« s'il est prévenu que cet ami fait une collecte, t4. Le manuscrit <strong>du</strong> Vatican ajoute : • oui lutq porté une dot considérable.»5. Pour balaie t c'est la vielle forme.-*5i^2*£-S


SOOLES CAIUCTÈUESî|u'il n'a pas. Celui en qui elle domine s'arrête dans Tenroit<strong>du</strong> Pirée 1 où les marchands étalent, et où se trouveun grand nombre d'étrangers; il entre en matière aveceukj il leur dit qu'il a beaucoup d'argent sur la mer; ildiscourt avec eux des avantages de ce commerce, des gainsimmenses qu'il y a à espérer pour ceux qui y entrent, etde ceux surtout que lui qui leur parle y a faits *• Il abordedans un voyage le premier qu'il trouve sur son chemin,lui fait compagnie, et lui dit bientôt qu'il a servi sousAlexandre 8 , quels beaux vases et tout enrichis de pierreriesil a rapportés de l'Asie, quels excellents ouvriers s'yrencontrent, et combien ceux de l'Europe leur sont inférieurs4 . Il se vante, dans une autre occasion, d'une lettrequ'il a reçue d'Antipater 5 , qui apprend que lui troisièmeest entré dans la Macédoine, Il dit une autre fois que, bienque les magistrats lui aient permis tels transports de bois 6qu'il lui plairoit sans payer de tribut, pour éviter néanmoinsl'envie <strong>du</strong> peuple, il n'a point voulu user décopri-/ vilége. Il ajoute que, pendant une grande cherté de vivres,il a distribué aux pauvres citoyens d'Athènes jusqu'à lasomme de cinq talents 7 ; et s'il parle à des gens qu'il neconnoît point et dont il n'est pas mieux connu, il leur faitprendre des jetons, compter le nombre de ceux à qui il afait ces largesses, et, quoiqu'il <strong>mont</strong>e à plus de six centspersonnes, il leur donne à tous des noms convenables; etaprès avoir supputé les sommes particulières qu'il a donnéesà chacun d'eux, il se trouve qu'il en résulte le doublef. Port à Athènes fort célèbre» {Note de La Bruyère.)\ 2. Le manuscrit <strong>du</strong> Vatican ajoute : « ainsi que des pertes, et, en se vantantde la sorte, il envoie son esclave à un comptoir où il n'a qu'une drachmeà toucher, •3. Le manuscrit <strong>du</strong> Vatican ajoute : t et comment il éloït avec lut. »4. C'étoit contre Popînion commune de toute la Grèce. [Note de LaBruyère-)5. L'un des capitaines d'Alexandre le Grand, et dont la famille régnaquelque temps dans la Macédoine. [Note de La Bruyère.)G* Parce que les pins, les sapins, les cyprès et tout autre bois propre à construiredes vaisseaux, étoient rares dans le pays attique, l'on n'en permettait/ ic transport en d'autres pays qu'en payant un fort gros tribut. [Note de La; - Bruyère*)\ 7. Un talent attique* dont il s'agit, valoit soixante mines altu/jes; une minecent drachmes, une drachme six oboles. Le talent attique valoit quelque sixcents écus de notre monnoïe. (Note de La Bruyère*) *y»" *•••_ m "• *•**"•^^H*~^>*- m ^ PL m


¥i«^DE THÉOPHRASTE. 501de ce qu'il pensoit, et que dix talents y sont employés,sans compter, poursuit-il, les galôres que j'ai armées âmesdépens et les charges publiques que j'ai exercées à mesfrais et sans récompense. Cet homme fastueux fa chez unfameux marchand de chevaux, fait sortir de l'écurie lesplus beaux et les meilleurs, fait ses offres, comme s'il vouloitles acheter; de même il visite les foires les plus célèbres,entre sous les tentes des marchands, se fait déployerune riche robe, et qui vaut jusqu'à deux talents, et il sorten querellant son valet de ce qu'il ose le suivre sans porterde l'or sur lui * pour les besoins où l'on se trouve. Enfin,s'il habite une maison dont il paye-le loyer, il dit hardimentà quelqu'un qui l'ignore que c'est une maison defamille, et qu'il a héritée de son père, mais qu'il veut s'endéfaire, seulement parce qu'elle est trop petite pour legrand nombre d'étrangers qu'il retire chez lui 1 .DE L'ORGUEIL.Il faut définir l'orgueil une passion qui fait que, de toutce qui est au monde, l'on n'cslime que soi. Un homme fierOt superbe n'écoute pas celui qui l'aborde dans la placepour lui parler de quelque affaire; mais sans s'arrêter, etse faisant suivre quelque temps, il lui dit enfin qu'on peutle voir après son souper. Si l'on a reçu de lui le moindrebienfait, il ne veut pas qu'on en perde jamais le souvenir;il le reprochera en pleine rue, à la vue de tout le monde 3 .N'attendez pas de lui qu'en quelque endroit qu'il vousrencontre il s'approche de vous, et qu'il vous parle le premier;de môme, au lieu d'expédier sur-le-champ des marchandsou des ouvriers, il ne feint point de les renvoyerau lendemain matin et à l'heure de son lever. Vous le'voyez marcher dans les rues de la ville la tôle baissée,1. Coutume des anciens. (Note de La Bruyère,)S. Par droit


502 LES CARACTÈRESsans daigner parler à personne de ceux qui vont et viennent.S'il se familiarise quelquefois jusqu'à inviter ses amisà urç repas, il prétexte des raisons pour ne pas se mettreà table et manger avec eux, et il charge sei principauxdomestiques <strong>du</strong> soin de ; lcs régaler. Il ne lui arrive pointde rendre, visite à personne sans prendre la précautiond'envoyer quelqu'un dés siens pour avertir qu'il va venir '.On ne le voit point chez lui lorsqu'il mange ou qu'il separfume '. Il ne se donne pas la peine de régler lui-mômedes parties; mais il dit négligemment à un valet de lescalculer, de les arrêter, et les passer à compte. Il ne saitpoint écrire dans une'lettre s Je vous prie de me faire ceplaisir ou de me rendre ce service, mais : J'entends quecela soit ainsi; J'envoie un homme vers vous pour recevoirune telle chose; Je ne veux pas que l'affaire se passeautrement; Faites ce que je vous dis promptement et sansdifférer. Voilà son style.DE LA PEUR OU DU DEFAUT DE COURAGE,Cette crainte est un mouvement de l'Ame qui s'ébranle, ouqui cède en vue d'un péril vrai ou imaginaire; et l'hommetimide est celui dont je vais faire la peinture. S'il lui arrived'être sur la mer, et s'il aperçoit de loin des <strong>du</strong>nes .ou des pro<strong>mont</strong>oires, la peur lui fait croire que c'est ledébris de quelques vaisseaux qui ont fait naufrage sur celtecôte; aussi tremble-t-il au moindre flot qui s'élève, et il•'informe avec soin si tous ceux qui tiavigent 8 avec luilont initiés 1 . S'il vient à remarquer que le pilote fait unenouvelle manœuvre ou semble se détourner comme pouréviter un écucil, il l'interroge, il lui demande avec inquiétudes'il ne croit pas s'être écarté de sa route, s'il1, V. te chapitre de ta Flatterie, (Note de La Bniyhre»)2, Avec des huiles do Ecnttuc {Note de La llruyère,)3, Navtgcnt pour naviguent} c'est h \L?illc forme.4« Les anciens navigeoicnl raremenl avec ceux qui passaient pour impies,et ils se f lisaient initier avant de partir, c'est-à-dire instruire


•\w-«. ••'.-ïDR THEOPHRASTË.Ô03tient toujours la haute mer, et si les dieux sont propices '.Après cela il se met à raconter une vision qu'il a eue pendantla nuit, dont il est encore tout épouvanté, et qu'ilprend pour un mauvais présage. Ensuite, ses frayeurs venantà croître, il se déshabille et ôle jusqu'à sa chemise,pour pouvoir mieux se sauver à la nage; et après cette précaution,il ne laisse pas de prier les nautoniers de lemettre à terre. Que si cet homme foible, dans une expéditionmilitaire où il s'est engagé, entend dire que les ennemissont proches, il appelle ses compagnons de guerre,observe leur contenance sur ce bruit qui court, leur ditqu'il est sans fondement, et que les coureurs n'ont pu discernersi ce qu'ils ont découvert à la campagne sont amisou ennemis; mais si l'on n'en peut plus douter par lesclameurs que l'on entend, et s'il a vu lui-même de loin lecommencement <strong>du</strong> combat, et que quelques hommesaient paru tomber à ses pieds 8 , alors, feignant que la précipitationet le tumulte lui ont fait oublier ses armes, ilcourt les quérir dans sa tente, où il cache son épéc sousle chevet do son lit, et emploie beaucoup de temps à lachercher, pendant que, d'un autre côté, son valet va, parses ordres, savoir des nouvelles des ennemis, observerquelle route ils ont prise, et où en sont les affaires; et dèsqu'il voit apporter au camp quelqu'un tout sanglant d'uneblessure qu'il a reçue, il accourt vers lui, le console etl'encourage, étanchc le sang qui coule de sa plaie, chasseles mouches qui l'importunent, ne lui refuse aucun secours,et se mélo de tout, excepté de combattre. Si, pendantle temps qu'il est dans la chambre <strong>du</strong> malade, qu'ilne perd pas de vue, il entend la trompette qui sonne lacharge î Ah l dit-il avec imprécation, puisses-lit iHre pen<strong>du</strong>,maudit sonneur, qui cornes incessamment, cl fnts un bruitenragé qui empêche ce pauvre homme de dormir t 11 arrivemémo que, tout plein d'un sang qui n'est pas le sien*mais qui a rejailli sur lui de la plaie <strong>du</strong> blessé, il faitaccroire à ceux qui reviennent <strong>du</strong> combat qu'il a couru1. Ils consultaient te» dieux par les sacrifices ou par les augures, c'est-àdirepar io vol, le chant et le manger des oiseauc, et encore par les entrait*Je» des bêtes» {Note de La Bruyère.)a . Vin. A ie& yeuji


p • .- -p. 'f- .504 LES CARACTÈRESun grand risque de sa vie pour sauver celle de son ami;il con<strong>du</strong>it vers lui ceux qui y prennent intérêt, ou commeses parents, ou parce qu'ils sont d'un môme pays; et là ilne rougit pas de leur raconter quand et de quelle manièreil a tiré cet homme des ennemis, et Ta apporté dans satente.DES GRANDS D'UNE RÉPUBLIQUE.La plus grande passion de ceux qui ont les premièresplaces dans un État populaire n'est pas le désir <strong>du</strong> gainou de l'accroissement de leurs revenus, mais une impatiencede s'agrandir et de se fonder, s'il se pouvoit, unesouveraine puissance sur.celle <strong>du</strong> peuple. S'il s'est assemblépour délibérer à qui des citoyens il donnera la commissiond'aider de ses soins le premier magistrat dans lacon<strong>du</strong>ite d'une fôte ou d'un spectacle, cet homme ambitieux,et tel que je viens de le définir, se lève, demandecet emploi, et proteste que nul autre ne peut si bien s'enacquitter. Il n'approuve point la domination do plusieurs;et de tous les vers d'Homère il n'a retenu que celui-ci :Les peuples sont heureux quand un seul tes gouverne '.Son langage le plus ordinaire est tel : Retirons-nous decette multitude qui nous environne; tenons ensemble unconseil particulier où le peuple ne soit point admis; essayonsmême de lui fermer le chemin à la magistrature.Et s'il se laisse prévenir contre une personne d'une conditionprivée, de qui il croie avoir reçu quelque injure :Cela, dit-il, ne se peut souffrir, et il faut que lui ou moiabandonnions la ville. Vous le voyez se promener dans laptacc, sur le milieu <strong>du</strong> jour, avec les ongles propres, labarbe et les cheveux en bon ordre; repousser fièrementceux qui se trouvent sur ses pas; dire avec chagrin auxpremiers qu'il rencontre que la ville est un lieu où il n'yà plus moyen de vivre»; qu'il no peut plus tenir contre», Uom.t Iliade, II, 204, SOS.t. Le manuscrit <strong>du</strong> Vatican ajoute : i à cauie des délateurs. »


f * " I - . * -• ' >\P. * r3B THÊOPHnASTE. 503l'horrible foule des plaideurs, ni supporter plus longtempsles longueurs, les crieries et les mensonges des avocats,qu'il commence à avoir honte de se trouver assis, dans uneassemblée publique ou sur les tribunaux, auprès d'unhomme mal habillé, sale, et qui dégoûte; et qu'il n'y a pasun seul de ces orateurs dévoués au peuple qui ne lui soitinsupporlable. II ajoute que c'est Thésée 1 qu'on peut appelerle premier auteur de tous ces maux 8 , et il fait de pareilsdiscours aux étrangers qui arrivent dans la ville, comme àceux avec qui il sympathise de mœurs et de sentiments.D UNE TARMVE INSTRUCTION.II s'agit de décrire quelques inconvénients où tombentceux qui, ayant méprisé dans leur jeunesse les sciences etles exercices, veulent réparer cette négligence dans unâge avancé, par un travail souvent inutile. Ainsi un vieillardde soixante ans s'avise d'apprendre des vers par cœur,et de les réciter à table dans un festin 8 , où, la mémoirevenant à lui manquer, il a la confusion de demeurer court.Une autre fois il apprend de son propre fils les évolutionsqu'il faut faire dans les rangs à droite ou à gauche, lemaniement des armes, et quel est l'usage, à la guerre, deta lance et <strong>du</strong> bouclier*. S'il <strong>mont</strong>e un cheval que l'onlui a prêté, il le presse de l'éperon, veut le manier, et, luifaisant faire des voiles ou des caracoles, il tombe lourde-1 * Thésée avoit jeté les fondements de la république d'Athènes en établissantl'égalité entre les citoyens. [Note de LaBraycre*)2* Le manuscrit <strong>du</strong> Vatican ajoute t t car c'est lui qui a réuni les doute\Nles, et qui a aboli la royauté; mais aussi, par une juste punition t II en futla première victime. Quand cesserons-nous d'être ruines par des charges onéreusesqu'il feut supporter! et des galères qu'il faut équiper? •3. Y. le chap. de la Brulalitê. (Note de La Itruyère*)4# Le manuscrit <strong>du</strong> Vatican ajoute : t U se joint à des jeunes gens pourfaire une courbe avec des (lambeaux en l'honneur de quelque héros* S'il estinvité à un sarrificc fait à Hercule, il jette son manteau» et saisit le taureaupour le terrasser; et puis il entre dans U palestre pour a* y livrer encore àd'autres exercices. Dans ces petits théâtres des places publiques, où l'on ré*pète plusieurs fois de suite le même spectacle! il assiste à trois ou quatre représentationsconsécutives pour apprendre !*s airs par cœur* Dans les mystèresde Sabasius (do l^cchus), il cherche à être distingué particulièrement par leprêtre. Il aime des courtisanes, enfonce lc»:rs portes, et plaide pour avoir étébattu par UTJ rival, »43


Jft*506 > LES CARACTÈRESment et se casse la tête. On le voit tantôt, pour s'exercerau javelot, le lancer tout un jour contre l'homme de bois ',tantôt tirer de l'arc et disputer avec son valet lequel desdeux donnera mieux dans un blanc avec des flèches; vou-1 loir d'abord apprendre de lui, se mettre ensuite a l'instruireet à le corriger comme s'il étoit le plus habile.Enfin, se voyant tout nu au sortir d'un bain, il imite lespostures d'un lutteur} et, par le défaut d'habitude, il lesfait de mauvaise grâce, et il s'agite d'une manière ridicule8 .rDE LA MÉDISANCE.- f -YJe définis ainsi la médisance : une pente secrète de l'âmeà penser mal de tous les hommes, laquelle se manifeste >;par les paroles. Et pour ce qui concerne le médisant, voici >ses mœurs : Si on l'interroge sur quelque autre, et qu'onlui demande quel est cet homme, il fait d'abord sa généalogie.Son père, dit-il, s'appeloit Sosie 3 , que l'on a connudans le service, et parmi les troupes, sous le nom de Sosistrate;il a été affranchi depuis ce temps, et reçu dansTune des tribus de là ville*. Pour sa mère, c'étoit unenoble Thracienne : car les femmes de T h race, ajoute-t-il,se piquent la plupart d'une ancienne noblesse*. Celui-ci,né de si honnêtes gens, est un scélérat et qui ne mériteque le gibet. Et retournant à la mère de cet homme, qu'ilpoint avec do si belles couleurs : Elle est, poursuit-il, do tces femmes qui épient sur les grands chemins 6 le? jeunes1. 'Une grande statue de bois qui étoit dans le Heu des etercices pour ap*prendre à darder. (Note de La Bruyère,) " |2, VAR. Et $*exerce d'une manière ridicute $ dans la première édition*— |Le manuscrit <strong>du</strong> Vatican ajoute : « afin de paroitre Instruit. Quand il se trouve %avec des femmes, H se met & danser en chantant entre les dents pour marquer >la cadence, i3» C'étoit, chez les Grecs, un nom de valet ou d'esclave {Note de LaBruyère*)4, Le peuple d*Athènes étoit partagé en diverses tribus. (Note de LaBruyère*)5» Cela est dit par dérision des Thracicnnes, qui venoient dans la Grèce ^0pour être servantes et quelque chose de pU. (Note de La Bruyère.)6. Elles tenotent hôtellerie sur les chemins publics, où elles se niilolent dïu*Urnes commerces* [Note de La Bruyère*)ïVfi'"*bip*r^•/•m*


^ f c ^ i ; ^FIE THÊOPHRASTE. 507gens au passage, et qui, pour ainsi dire, les enlèvent etles ravissent. Dans une compagnie où il se trouve quelqu'unqui parle mal d'une personne absente, il relève laconversation : Je suis, lui dit-il, de votre sentiment ï cethomme m'est odieux, et je ne le puis souffrir. Qu'il estinsupportable par sa physionomie 1 Y a-t-il un plus grandfripon et des manières plus extravagantes? Savez-vous combienii donne à sa femme l pour la dépense de chaque repas?Trois oboles 1 , et rien davantage; et croiriez-vous que,dans les rigueurs de l'hiver et au mois de décembre, ill'oblige de se laver avec de l'eau froide? Si alors quelqu'unde ceux qui l'écoutent se lève et se retire, il parle de luipresque dans les mômes termes. Nul de ses plus familiers 8n'est épargné; les morls même dans le tombeau ne trouventpas un asile contre sa mauvaise langue*.DU GOUT QU'ON A POUR LES VICIEUX 5 .Le goût que l'on a pour les vicieux décèle un penchantau vice. Celui que ce penchant domine fréquente les condamnéspolitiques. Il espère par là se rendre plus habileet plus formidable. Cite-t-on devant lui quelques hommesrecommandables par leurs vertus : Baht dit-il, ils sontcomme les autres; tous les hommes se ressemblent : cesvertueux sont des hypocrites. Il parle sans cesse contre lesgens de bien. Aitaque-t-on un citoyen pervers, il déclarequ'on le calomnie, parce qu'il est libéral et indépendant.1. Le manuscrit <strong>du</strong> Vatican ajoute : • qui lui a apporté plusieurs talents endot, et qui lut a donné un enfant. •2. Il y avoit au-dessous de cette monnoie d'autres encore de moindre prit.[Note de La Bruyhe,)3. VAR. Familiers amis, dans les cinq premières éditions,4. Il ctoit défen<strong>du</strong> chez les Athéniens de parler mal des morts, par une loide Solon, leur législateur. (Noie de La Bruyère.)—Lu manuscrit <strong>du</strong> Vaticanajoute i i Et ce vice, it l'appelle franchise, esprit démocratique, liberté, ettnfait la plus douce occupation de sa vie. >5. C'est ainsi que La Bruyère tra<strong>du</strong>it le mot grec 4iW.6vr t ftac, le seul qu'ilait connu de ce chapitre. C'est en 1742 que Prospcr Pet roui a découvert àla bibliothèque <strong>du</strong> Vatican ce chapitre, ainsi que le suivant. Tous deux furentpubliés à Parme par M. Atna<strong>du</strong>îzi en 1780» et depuis ajoutés à toutes les éditionset tra<strong>du</strong>ctions de Tiiéophrastc. {Wit.CKixàtn.) — La tra<strong>du</strong>ction desdeut derniers chapitres que r.ous repro<strong>du</strong>isous Ici, est celle qui se trouve


tS. V508 LES CÀBAGTÊRESIl concède cependant en partie ce que l'on en dit, et prétendignorer le reste; puis il ajoute : C'est un homme d'esprit,un cœur excellent, d'une capacité rare, jouissant d'ungrand crédit. Toujours favorable à l'accusé tra<strong>du</strong>it devantle peuple ou devant un. tribunal, il s'assied près de lui, ets'écrie : Jugez donc l'homme, et non le fait. Celui qu'onaccuse est le défenseur <strong>du</strong> peuple, c'est son chien vigilant;il le garde contre les oppresseurs, et les éloigne. Qui voudrase mêler des affaires publiques, si on abandonne à leurspersécuteurs de tels citoyens? Ainsi tout malfaiteur estson client; et, patron zélé, il le protège môme contre lesjuges. S'il est juge lui-même, il interprétera les plaidoiriesd'une manière perfide. L'affection pour les scélérats'est la sœur de la scélératesse, et le proverbe dit vrai : Quise ressemble, s'assemble.DU GAIN SORDIDE lL'homme bassement intéressé accumule avec fureur desgains sordides. Il épargne le pain dans les repas, il empruntede l'argent à l'étranger devenu son hôte par droitd'hospitalité. S'il sert à table : Il est juste, dit-il, que ledistributeur ait une portion double; et il se l'adjuge.> è l M M M ( ( , , t ,S'il donne son manteau à nettoyer, il en emprunte un dequelqu'un de sa connoissauce, et s'en sert jusqu'à ce qu'onle redemande,.. 11 achète secrètement l'objet que convoiteun ami, pour le lui revendre bien cher. II diminue le salaire<strong>du</strong> maître de ses enfants, si leur maladie l'empêchede les envoyer à l'école. Au mois anthestérion*, il ne lest, C'est ainsi que La Bruyère tra<strong>du</strong>it le mot grée AW^xE^uoc< r qui est letitre de ce chapitre : une partie en a été connue de lui, et il l'd tra<strong>du</strong>ite dans lechapitre de VImpudent, ou de celui qut ne rougit de Tien; elle paraît avoirété transportée par les copistes. (WALKKXàEIW)î* C'est ici que se place le fragment que La Bruyère a tra<strong>du</strong>it dans lechapitre de VImpudent f depuis tes mots î Si quelque fois U vend <strong>du</strong> vin, jusqu'àceux-ci t irfe leur laisser une rave à demi mangée,* qui terminent lechapitre.3. Le second jour de ce mots. Il étoît d'usage de payer les honorairesde* maîtres, et de leur envoyer dei présents» Ce second jour répondoit au 1ou 8 janvier»&rlùtii î9M-i'VA- 1 :


^•iiÂi^Kr^ -,.•,•*-' -,-*iDE THÉOPHRASTB. 509enverra pas <strong>du</strong> tout. Il y a alors tant de fêtes, qu'il luiparoît inutile de payer un mois de leçons. S'il reçoit unerétribution pour un esclave dont il a loué le travail, ilexige un droit de change *. 11 en use de même envers l'économequi lui rend ses comptes. ST voyage avec sesamis, il se sert de leurs esclaves et loue le sien, sans leurdonner part au profit qu'il en retire. S'il se fait chez luiun pique-nique, il met en réserve une petite partie de toutce qu'on lui a apporté, bois, lentilles, vinaigre, sel, huilede lampe. Si un de ses amis se marie, ou marie sa fille, ila eu soin de projeter d'avance un voyage, et son absence ledispense <strong>du</strong> présent de noces. Enfin, il emprunte à sesamis de ces choses qu'on ne redemande pas, et qu'on nevoudroit pas reprendre.i. Pour la perte que cette monnoie doit éprouver relativement à l'argent*III*• «I••**:


* i:t_ 4 ,te


«53- r =pSf>»-..'É 1-•V -INDEXCet index est, autant que possible, rédigtf avec les expressions de LaBruyère; nous y avons cependant intro<strong>du</strong>it quelques mots tout à fait modernesqui ne sont point dans notre auteur, parce qu'ils se rapportent à desidées qui n'étaient pas formulées dans la langue de son temps. On nouspardonnera f nous l'espérons, ces anachronismes, qui servent à rendre notreindex plus complet.AÀBB4YE; comparée h un monastère,351.ABBéS mondains, 347*ACADéMIE française; son éloge, m*— Réunit tous les genres de talents,(40*ACTION noble n'empêche pas certainspersonnag de tomber dans les petitesses,* S 8.Acrross, le motif seul en fait le mérite,47*— Les meilleures actions s'altèrentpar la manière dont on les fait, 196.— On no doit pas annoncer ses bonnesactions, 196.AbVEBstîÉ; fait voir les ridiculesque Ton no soupçonnait pas* Ht*ÀPFÀtHfi; il faut avoir l'air affairé,13».AFFECTATION\ suite de l'oisiveté,m.AFFICBES des prédicateurs, 380*AFFLICTIONS profondes; comment onen guérît, 77*AGE d'or, en quoi il consiste, 811.AIMER{ quelques-uns s'en défendentcomme d'un faible <strong>du</strong> cœur, 8 4.(loy. Amitié, amour, femmes.)Ata spirituel, beauté des hommes,881*ÀltUNDRE LB GflàXD, 41,310*AM\TEIB de prunes; son caractère,881./AftUTEUBde médailles, sis.~- D'estampes, 383*— De livres, 824.— De voyages, 384 t— De constructions, 386»— D'oiseaux, 386.— De coquillages, 3 S 7.— D'insectes, 387. [Voy, Caractère.)AMBASSADEURS, sse, (Voy. Congrès.)AMBITIEUX; est pauvre, 186»— A plusieurs maîtres, 174.AMBITION, as.— L'ambition suspend les autrespassions, 186.AME. Les Ames grandes souffrent dela compassion, S83i— Ames bien nées, 853.— Ames des sots égales après lamort aux plus grandes Ames, 878.— Ames faibles n'ont point de grandsdéfauts, 877.— Ld plupart des hommes oublientqu'ils ont une Ame, 310.*— L'âme ne peut être anéantie, 404,— De l'âme considérée dans ses rapportsavec les organes corporels,404.AMIS. Réflexions sur la manière donton se con<strong>du</strong>it avec eux, 79.— On ne se réjouît pis toujours <strong>du</strong>bien qui leur arrive, 79.— Les meilleurs amis peuvent parintérêt se changer en ennemis, 183»


• r f - * * * r • * * * H V..-*£ii -^=- • -512 INDEX,AMITIé ; analyse de ce sentiment!73 % 74, 75,—r L'amitié comparée avec l'amour,Tf,!74,78.— I/amitié se brise souvent au déclinde la vie, 90.— L'amitié exige que l'on pardonneles petits défauts, 10S.AMOUR, comparé arec l'amitié, 75,7*»âTUéISMR; ï'athéîsme n'existe pas,391* (Toy. Dieu.)ATOMES; ne se sont point faits euxmêmes,419.ATTELAGE; un bel attelage pro<strong>du</strong>itun grand effet sur tes femmes, 147,ATTENTION ; il faut faire attention àtoutes ses paroles, rtf.AUJOURD'HUI ressemble k demain,398.AUTEUR; ce qu'il faut pour être au*teur, 6»— Un auteur doit être modeste, 9*— Des* auteurs qui écrivent par hu-- Comment il natt, se développe et âIGUSTIX (Saint), m.s'affaiblit, 78, 74, 7*,76* (l'oy.en*core page 83.)AMYOTi 19.ANCIENS comptés aux modernes; cequ'on leur doit, 8, 9.ANIMAUX; sont les confrères del'homme et lui donnent des leçonsde sagesse, 3te.ANOBLISSEMENT; comment il s'obtient,»4S. (Voy* Argent, Grands,Noblesse.)ANTITHèSE; ce qrue c'est, s7,APPARENCES; sé<strong>du</strong>isent les hommes,st*.ARCHITECTURE gothique; intro<strong>du</strong>itepar la barbarie. S.ARGENT; con<strong>du</strong>it h la noblesse, s s s.*- Réconcilie la noblesse et la roture,346,— Celui qui a beaucoup d'argentpeut se couvrir devant son maître,338.ARMOIRIES; sur la manie des armot*ries, 344.ARRIVER h ses fins, m.ARfiOGAKCK, 239.ART;sa perfection, 7»i- militaire, *06«tueur, 10.— Les auteurs écoutent froidementles ouvrages des autres, 10.— Les auteurs sont jaloux, 10.— Un auteur n'est point tenu desupprimer les passages de son livredont on fait de fausses applications,13-14.— Auteur qui no s'occupe que delui-même, 13»—- Auteur né copiste ; quels sont ceuxqu'il doit imiter? 30.— Les auteurs cherchent vainementà se faire admirer, 16*— Des auteurs qui écrivent pourgagner cinquante pi s tôles, 381.AVARE; est pauvre, lié»— Les avares vont à leur perle parte chemin le plus pénible, 363.AVARICE; pourquoi les vieillards sontavares, 961.AVENIR; doit révéler une foule dechoses nouvelles, 311.AVOCATS; prennent l'air affairé, 139.*— mécanique; procure plus d'à- — Reflétions sur la manière de ptaivantagesque les belles-tettres, 963, der des avocats, 365.tsTRfcs; sont dirigés dans l'infini par —Avocats comparés aux prédicaune iutclligence divine, 410. leurs, 864.BIALEAC; jugement sur ses lettres,16.— A <strong>du</strong> bon et <strong>du</strong> mauvais, 13.— Mentionné^ 19.BâTIMENTS (Voy. Amateurs.)BEAU*PfcftE, 100.BEAUTé; ne dépend pas <strong>du</strong> goût, 81.BEAUX ESPRITS attachés au servicedes grands, 391. (Voy. Gel esprit.)BEL ESPRIT ; sa définitiou, 984.BELLE-MèRE, too*BELLES-LKTTUES; les hommes uyattachent aucun prit, 181»BELLEAU (Hémy), 18.


y t -~BENSEBADE, 371,BEBNIN, sculpteur, 416»BERGER; comparé au souverain, m.BIENFAISANCE envers les malheureux!78.BIENFAITS (des), 77-78,BIENS; diverses façons dont les hommess'y prennent pour obtenir lesbiens qu'ils souhaitent, 80.— Il y a des biens que l'on désireavec emportement, s 41 • (Voy. Fortune»)BIENSéANCE; réflexions sur la bienséance,«48.— Les bienséances s'apprennent parl'usage, 191.*— Fautes contre les bienséances,191.— Les bienséances donnent auxchoses leur perfection, 848,BOILBAU DESPRÉAUÏ, SI.*— Les satires de Boileau jugées parLa Bruyère, 425*416.— Éloge de Boileau, 437.BOX SENS, 19 6.BONHEUR j nous le cherchons horsde nous-mêmes, 15 KINDEX. 513BONS MOTS; comment on les faitvaloir, 800.BONTÉ; a différents degrés, 48.— La bonté <strong>du</strong> naturel est la sourcedes grandes actions» 88.BOSSUET (tous le nom de Trophis*we), 89*— cité, 881.— Eloge de Bossuet, 488.BoutiOUBS (le père), 15.BûURDALOUB (le père), 881.BOURGEOIS qui suivent les arméespour assister aux événements militaires,308. {Voy. Roturiers.)— De Paris, vivent mollement, l 49,180.BOURGEOISIE, comment elle s'est


~**J-\ y. f'vfi514 INDEX,CARACTèRE de Drance } ou le courti- CARACTèRE de Cimon et de Clitan*san familier, 81* drc } ou les gens empressés, 156.— -WAciS) ou le parleur préten- \ïFleumte } su.— Des Sanmoni) ou des marchands — De Diognète, ou l'amateur dequi ont pris des armoiries, 141. médailles, 515*— De Noreitse^ ou l'homme inutile — De Dimoeède f ou l'amateur d'estampes,915*et méthodique, 148»— De l'homme oitif qu'on rencontre ~ De Vamalcur de tivre$ f 814.partout, 144, 145.— De Diphite t ou l'amateur d'oi*— De Thiramène % ou l'homme recherchépar les femmes, 148* — De Vamalcur de coquiUaget $scauxt 816.117.


CARAClifiB de Vamateur d'intecles,HT.— DVpftti, ou de l'homme à la mo*tic, 33**— D'OnuphrCt ou le faux dérot,386 elsuiv.•— De Zélie f ou la dévote, 340.— De TUiu$, ou l'héritier déshéritépar un codicille, 8 60. '— D7/ermippe, ou l'homme esclavede ses commodités, 86S«— De Carro carrt, ou le charlatan,36*.CARACTèRES qu'il ne convient pas demettre au théâtre, 18.— (le livre des); dans quel but LaBruyère l*a composé, 1 et SUIY.— Peint les hommes en général, *.— Additions successives que l'auteury a faites, 4,— Allusion aux critiques dont il a étél'objet, il.— Los Caractères de La Bruyère jus*tifiés par Fauteur dos critiques in*justes auxquelles ils ont donné lieu,457, 4*8.— Les clefs qui en ont été faites nesont point exactes, 419.— Caractères de La Bruyère comparéspar l'auteur à ceux de Théophraslc,4*6*467.— Caractères de Théophresle jugés. par La Bruyère, 454 et suiv.CARESSES { on les prodigue en particulierà ceux qu'on évite en public,I6K^— Caresses étudiées, n'en imposentpas, 197*CAUSES } sont inconnues dans la na*turc, 418.CéLIBATAIRE; peut s'élever au-dessusde 1.1 fortune, 39.CéSAR; cité, 4i.— César n'était pas trop vieux pourpenser à la conquête de l'univers,310.CHANOINES; se font payer pour avoirdormi, 851.CHAPELAIN; S SI»CHARLATAN ; il n'y a qu'eux pourfaire fortune. 488.~~ Les charlatans sont habiles k pré*venir tes gens en leur faveur, 193*— Portrait d'uu charlatan, 86 4*INDEX. 515CHARLATAN; en quoi les charlatansdiffèrent <strong>du</strong> médecin, 86 4*CHARPENTIER, directeur de l'Académie,440»CHASSE; portrait d'un juge amateurde chasse, 142*CHâTEAU; il suffit d'en habiter unpour être réputé noble, 345.CBEF-D'OEIYRE D'ESPRIT; est toujoursl'ouvrage d'un seul, 7.CHIROMANCIENS, 368.CHOISY (l'abbéde); son éloge, 437.CHRéTIENS; ce qu'il faut penser doceux qui vont au spectacle, 3 49»— Les chrétiens ont bien de la peînoà se résoudre d'eux-mêmes à leurpropre félicité, 351*ClCÉRON,39 4.CID (la tragédie <strong>du</strong>); son éloge, 14,18.CIRON: n'est point pro<strong>du</strong>it par lehasard, 41*.CITATIONS; de l'abus des citations,Î39.COEFFETEAU, 19*COEUR; concilie les choses contraires,33.— est plus sociable que l'esprit, 83*COMéDIE; commeuton peut la tendreutile, 14. {Voy. Ihéulre.)COMéDIENS; réflexions qui les oon*cernent, S8l ; 349*COMéDIENNES; étaient aimées des Romaines,181.COMMANDEMENTMILITAIRE; donne<strong>du</strong> courage t 19 8*COMMENTATEUR; 367*COMPARAISONS désobligeantes, 9 s.COMPILATEURS; ne pensent pas, 30tCONDITIONS; sont changement dieproportionnées, 180»— Offrent entre elles des compensations,188.— Onv chacnr •; leur charme particulier,183»— Comment elles sont formées, S69,CONDUITE ; il y a un.jeu dans la con<strong>du</strong>ite,Î60.— Une sage con<strong>du</strong>ite roule sur douxpivots, 303*CONFESSEURS des femmes; $8.CONGRES; no.CONNAISSEUR; comment on se faitpasser pour un connaisseur, 177»^


\11516 INDEX,CONNAîTRE les hommes, 976, Coun (la); la jeunesse y plaisante gros**CONSCIENCE de praticien, iSf, sicreraent, îos.CONSEILLERS des rois, i87#— Paraît ad rai rail e à la province,CONSEILS; donner des conseils, chose **!«inutile, 104»~ Les grands y sont petits, !$*•— Les meilleurs ont de quoi déplaire, ~ Ne peut être définie, i st.90 s* —Il est honorable de ne point la con*CONSIDéRATION; s'obtient quelque- naître, 15t.fois par l'impertinence, ua, iu« — La cour ne rend pas content, m.CONSOLATIONS donnas aux gens mal* ~ H faut qu'un honnête homme tâteheureux, 103. de la cour, 183.CONTENTER tous les hommes, chose —Pourquoi certaines gens vont à laimpossible, 373, cour, 183»CONTREFAIRE les gens, chose dange* — La cour serait déserte sans la va*reuse, 6 4. nité et l'intérêt, 153.COSTUME des hommes; n'est pas réglé •— Les aventuriers se pro<strong>du</strong>isentpar le soin de ta santé, 368, d'eux-mêmes k la cour, 154*COTERIES de société; iss*— L'air de la cour est contagieux,CONVERSATIONS; la plupart des con- 154.vexations sont vaines et inutiles, — Les gens sans conséquence saventS 8» y se fendre indispensables à la cour,— Ridicule de certaines conversations, 155, 156,86» —- Il faut k la cour être gentilhomme,— Comment on doit s'y comporter, 15S#S?.— On n'agit à la cour que par intérêt— Conversation desgensqui secroient 138*de l'esprit, 89»—La faveur fait changer les senti-— Conversation des puristes, 93. ments à la cour, 159.— En quoi consiste l'esprit de con* —* On blâme à la cour ceux qui sontversation, 9 3, en faveur, 159*— Conversation des gens qui content — On ne méprise pas toujours leleurs affaires à des inconnus, 9*. mérite h la cour, j 60»— Il ne faut pas porter trop d'imagi- — On refuse son crédita la cour d'unenation dans ta conversation, 93, manière douce, 160*— La conversation demarde <strong>du</strong> bon — Ce qu'on dit à la cour des gens ensecs et de l'expression, 9 4. place, 161.— Les conversations ont été affadies — Comment on y congédie son monde,par lesromansj 105. 16£.— Conversations inspirées par la va- — Pourquoi on y dit <strong>du</strong> bien desnité ou par l'humeur, 105» gens, 162.— On dit dans la conversation des — Comment on s'y perd, 163.choses froides, 106.—Comment on y obtient des places,COQUETTERIE; en quoi elle diffère de 164.la galanterie, 53. ;— Il y a àes gens à la cour qui neCOQUILLAGES. (l*oy. Açrjfeur.) font rien que recevoir, tes.COQUIN ; esi privé de wu% sentiment, — Il faut qu'il y ait des fripons h la87, * cour, 167.CORNEILLE; jugement sur ses oeuvres, — La vie de cour est un jeu mélau-14, 15, 94, colique, 17t.— Comparé à Racine, 95, — À la cour les joies sont fausses et— Son portrait, t96* " les chagrins réels, 179.— Cité, 89, 981, 589. — On trouve à la-cour des gens quiCOUR (la) est un théâtre de cabales,' n'ont point deua pouces de profond:35.deur, 177*


COUR (la) ; les gens d'esprit peuventy être <strong>du</strong>pés par les sots, i 79.— On y abuso<strong>du</strong> prisent, 130»— La courconiparécauxpetites villes,100, lût*— On n'y donne point de pensionseux dévots, 8 41.— Il est difficile au prince de rendrehcour pieuse, 3(1.— Les libertins et les hypocritesfleurissent à la cour, 39 6,— Les gens de cour ne s'intéressentqu'aui choses contemporaines, 4 53,— La cour ne connaît point la ville,458.COURTISAN. Les courtisans sont onéreuxà la république» 9 5.— Les courtisans ont le pas sur lesbourgeois dans les ruelles, 6 4.— Ils sont impénétrables» 151.— Ils sont enlaidis par la présence<strong>du</strong> prince, 153.— Ils doivent prendre de beauxnoms, 157,— Us cherchent toujours des impossibilitésd'obliger leurs amis, 160.— Us dérobent leur ambition par desartifices grossiers. 16 3.— Ce qu'ils disent quand ils obtiennentune place, 16 4*«— Caractère <strong>du</strong> courtisan, 17t.— Les courtisans flattent, après unretour de faveur, ceux qu'ils avaientdélaissés, 168.INDEX. 517COURTISAN comparé k une <strong>mont</strong>re,il».— Le courtisan est un esclave, 174*— Courtisans des grands, motifs quiles font agir, 174.~- Le courtisan est dévot pour être àta mode, 333.•— Le courtisan est capable de tout|même d'être dévot, 33 4.*— Le courtisan change si vile quel'on ne peut faire son portrait, 35 4.— À quels signes on peut recon*naître que lo courtisan est sincèrementdévot,336,CîUSPINS (les), 140.COUTUME, maîtrise les esprits, 3 53.CRAPULE, met les hommes à la mode,329.CRéANCIERS des grands meurent defaim, 304.Cm ME, C'est un grand malheur d'à*voir à s'en justifier! 305.— Crime heureux, loué comme lavertu, 31t.— Les crimes sont découverts par lavolonté de Dieu, 417*CRITIQUE. La critique n'est pas unescience, 30.— Critiques littéraires, ne sont jamaisd'accord entre eux, 13.— Critiques auxquelks sont exposésles bons ouvrages, 415*416.CURIOSITé, est une passion mesquine,311.DcyDÉCLAMATEUR, en quoi il diffère del'orateur, 357,DéDAIN; quel en est souvent le motif,16 8.DéFAUTS. On n'avoue que les petitsdéfauts qui supposent de grandesqualités, 149— Se corriger d'un seul défout, choseimpossible à certains hommes, 158,~ Source des défauts, 10 4,— On ne sent pas ses propres défauts,801,— Comment on pourrait se corrigerpromptement de ses défauts, 30l«[Yoy. l'etils défauts.)DéLICATESSE. DO la fausse délicatesse,173.DéPENSE n'est pas réglée d'après lebien, 135.DESCAHTES, 117, 193.DÉSIR, 139.DESPORTES, 371.DESPOTISME, laisse le peuple s'endormirdans les fêles, 103.DEVINS, 365,DEVOIR; commeni les gens de cœurle remplissent, 3*.— Il n'y a que le devoir qui coûte, 160,DÉVOT ; ne dit pas de bien d'un saint.179.44i


,1i ^518 INDEXDÉVOT; le dévot est différent deL'homme de bien, 19 S»— Les dévots ne connaissent dé cri*mes que les dehors de l'inconti*uence, as s.-i Portrait <strong>du</strong> faux dévot, 336 etsuiv.~-Le dévot fait un métier aisé àcontrefaire, SU*rUcot pas qu'on ïe leur prouve,400.— Dieu est un esprit, *ot, 403.— Démonstration de l'existence deDieu par les merveilles do la création,408 et suiv.DIGNITÉS; on y arrive par les cheminsde traverse, 16 5*DIPLOMATES. [Voy. plénipotentiaires.)Il y a des gens qui attendent pour DIPLOMATIE, SIo-sH.être dévots que tout le monde soit DIBE le oui et le non sur une mêmeimpiet S80. chose, 191,— tes faux dévots se moquent de DIRECTEURS des femmes, 5 s» 59,Dieu, 3*7. 60, 61.DéVOTIOX; vient après la fortune,115.— Caractère de la fausse dévotion,ast.— Fausse dévotion, 336-337,— La dévotion est une science commela géométrie, 3 41,— Source de repos quand elle est DISTRAIT; son portrait, sissincère, 3 4t.— Delà cour, 341.DIEU est méconnu par les espritsgrossiers, S89.— Bien des gens ne croient en Dieuque quand ils sont malades, 390.— Il n'y a personne qui puisse direque Dieu n'est pas, 391*— Preuves de l'existence de Dieu,391.— On ne pense & Dieu que lorsqu'onest dans le pire état, 39S.— C'est à Dieu que nous en appelonsdes jugements des hommes, 393.DISCOURS; ont de grands avantagessur les livres, s8S.DISEURS de bons mots, 177.Disc H ACE, rend traitable, 180.— Eteint les haines, 306.— Un homme en disgrâce ne fait riende bien, S06.DOCTEUR: quel est l'homme qu'onappelle de ce nom, 40, 41.— En quoi il diffère de l'hommedocte, 41.DONXER de mauvaise grâce est ruslï-Cité, 164-165.DOT maagée en frais de noces, 14 7.DOUCEUR; sert de piège aux âmesmalignes, 136.DOULEUR* Les douleurs muettes sonthors d'usage chez les femmes, 69.—- Grandes douleurs adoucies pardes bagatelles, 141.Du BARTAS, 18.— Il ne faut pas vouloir rendre rat- DUEL, mode extravagante et barb&t«yson de Dieu, 39S. 3S8.— Ceux qui osent nier Dieu nemé* DUELLISTE, sas.ëÉDUCATION; il ne faut ni la négliger»ni tout en espérer, 304.— L'é<strong>du</strong>cation est toujours utile,304-305. (Voy. enfants.)ECRIVAINS. Les écrivains doivent avoirpour but l'instruction, 1.— Un écrivain ne doit foire entendreque de belles choses, 28.— Ce qu'il doit faire pour écrirenettement, s s.ECRIVAINS; un écrivain doit tendre àla perfection, 31.— Les écrivains sont méprisés parles riches, 117.— Ecrivains <strong>du</strong> dit-septième sitclecomparés a ceux des siècles précédents,371*EFFRONTé ; il faut l'être pour réussir.165.


ECILITE sociale commence à paraîtresous Louis XIV, UT»EGLISE, {Voy. offices d'église,)EGOïSTE, Son portrait, te4,ELOGE des gens de bien est la cnti*que <strong>du</strong> genre humain, 303,— Eloges eiagérés et intempestifs!95.ELOQUENCE; ce que c'est d'après lepeuple, te.— Définie par La Bruyère, se.— Eloquence judiciaire, 855, 874.— L'éloquence de la chaire est détenueun spectacle, 57 4,— L'éloquence de la chaire ne con*vertitplus, 571.— Quelles sont les véritables règlesde l'éloquence de la chaire, S 81.— Eloquence <strong>du</strong> barreau, {Voy* Avocats.)EMPHASE, gâte les grandes choses,110.EMPLOIS PUBLICS, as.— Les gens inutiles croient y avoirdes droits, 84»— Il faut en France beaucoup deforce d'esprit pour savoir s'en passer,38»— Il faut s'en rendre digne avant deles demander, 164,— Les mériter est un motif pour nepas les obtenir, t84.*— Les emplois grandissent les grandshommes, 167.— Les emplois graves s'obtiennentquelquefois par l'enjouement, 157.— Il y en a qui enrichissent un seulaux dépens de tous, 854,EMULATION, ce qui la distingue de lajalousie, 15 4.ENFANCE; il ne faut point trop l'occuperde l'étude des langues, 866.ENFANTS; sont déjà des hommes,144.— N'ont ni passé ni avenir, 144*— Leur caractère, 145.— Ont la mémoire et l'imagination,145.— Ont une grande sagacité pourdécouvrir les défauts, 145-146,— Commencent entre eux par l'étatpopulaire, 146.— Sont très-appliqués dans leursjeux, i40tINDEX. 510ENFANTS ; tout leur paraît grand, 146.~ ïl ne faut point les punir desfautes qu'ils n'ont point commises,147.— Raisonnent conséquemment,147.— Il leur faut les verges, s"6.ENNEMIS; comment on doit se con«<strong>du</strong>ire avec eux, 79.— Comment on les hait sans se venger,81.ENNUI ; entré dans le monde par laparesse, 15».ENTêTEMENT, 177.ENVIE, ce oui la distingue de la jalousie,155.— Ote le bonheur, 139.EPARGNE sordide, iso.EPITBèTES; sont de mauvaises louan*ges, 8.EPOUSER une veuve, H9,EQUIPAGES (manie des), tio.EBUDITION ; il y a de la hardiesse àsoutenir sa cause, s 81.— Doit procéder par l'élude destextes, 866.ESPRIT, En quoi consiste l'esprit d'unauteur, 8.— Ce que les esprits vifs aiment enlittérature, 14.«—Sien n'est nouveau aux gensd'esprit, 16»— Esprits médiocres croient toutcomprendre, 16.— Des esprits médiocres, 17.— Esprits justes, 17.— Esprits vifs, 17.— Les esprits vastes pénètrent fortloin dans les sciences et tes arts, 19.— Les esprits justes et doux exceUlent dans le médiocre, 19.— Les esprits subalternes ne sontque des magasins, 80.— Bien des gens ne se servent pas del'esprit qu'ils ont, 3 4*— Le bon esprit découvre le devoir,88*— Esprits bornés, 45.— La nécessité fait trouver de l'esprit,84.— Esprits délicats, 85*— Esprits faux, 104.— Les gens d'esprit méprisent lesgrands j 184*


t f520 INDEX.Espnil, esprit droit con<strong>du</strong>it h h ESPRIT; esprits forts; ainsi nomméever H, 397»par ironie. 388,— Défaut d'esprit père des crimes, — Discussion sur la matière et l'es*t987*prit, 400, toi*— f/esprît de parti abaisse les grands — Esprits des hommes, tous très*hommes* S4T#différents entre eux» 459*— Il y a peu d'esprits entièrement — Esprit départi dénature la véritéstupides, et très-peu de transcendants,dans les livres,,!8,155» ' — Esprit de politesse, 97, os,-~ De quelle jalousie un homme d'es* — Voy. Auteur, Bel esprit, Justesse,prit peut être susceptible, a 5S. Médiocrité,— L'esprit s'use comme toutes cho- ESTAMPES, {Voy, Amateur.)ses, tse.ESTIME; on l'accorde au beau linge,


« * w . »i-FEMMES: gâtent un bon naturel parîeur affectation, 49.— Pourquoi elles se fardent, 80.— Comment il faut les juger, 50.— Ne se jugent pas entre elles commeles hommes les jugent, 49»— Ont une vraie et une fausse grandeur,49.— Femme coquette, meurt parte, Si,— Comment les femmes reçoiventles visites de leurs amants, Si.•— Femme qui n'a qu'un galant, 59,— Qui a plusieurs galants, 51,r— Les femmes s'attachent par le*faveurs qu'elles accordent, 51,— Belle femme qui a les goûts d'unhonnête homme, 1 est ce qu'il y a deplus parfait, Si*— Les femmes persuadent par lespetites choses, 69»— Femme galante comparée h la coquette,sa.— Femme coquette comparée à lafemme galante, st.— Femme faible, a».— Femme inconstante, 64*— Quelques femmes ont un doubleengagement, 14»— Femme qui se laisse charmer parun petit monstre, 8 4,— Femmes flétries sont la ressourcedes jeunes gens sans bien, 5 4.— Les femmes aiment les hommesreins et indiscrets, 65.~ Pourquoi quelques femmes aimentdes valets ou des moines, 66,— Femmes qui vivent dans la retraite»6 t.— Femmes <strong>du</strong> inonde, 67.— Femme qui a un directeur, 67,


h:522 INDEX.FILLES & marier qui cherchent unépouseijr, 146,FINANCIER. Ce qu'on dit de lui quandil réussit, 113*— \A financierne pleure personne,fil.FINESSE, définie et jugée, 178.FLATTERIE; ce qu'elle fait après lamort des gens, ta*.— Sur la flatterie, sei,FORTUNE ; que! est le froit d'unegrande fortune, m*— On fait fortune quand on estrieui, il*.— La fortune se lit sur les visages,\ 116.— On blâme les gens qui font fortune,159. .— Obstacles qui s'opposent à ce quel'on fasse fortune» ico.FLATTEUR; n'a pas bonne opinion de — On perd sa fortune par lesdétrot*soi et des autres, 30 5/ * qui l'ont fait obtenir, les,FLEURISTE} son caractère, 31 i, —Comment on fait fortune, 137.FOLIE; seit h certains hommes au* —Comment on fait sa fortune, outant que la sagesse, s 37, comment on la manque, tai*FONDS per<strong>du</strong>} est un bien .per<strong>du</strong>, —Pour faire fortune, il vaut mieux311. être m&tiocre qu'ignoré, 3 a 0.FORTUNE. Il est triste d'aimer sans FOURRERIR, 139,140.fortune, 75. FOURCRO?» avocat, 37».— On a moins d'ardeur pour sa for- FOURNISSEURS des grands; peuvent(une que pour les choses frivoles,— La fortune fait remarquer le mérite,m.— Quelle sorte d'esprit il faut pourfaire fortune, lit.— Faire fortune, phrase d'un usageuniversel, m.— Comment on fait fortune, us*tout se permettre, 361»FRANCE; satire allégorique des mœursde ses habitants, 174*FRANçAIS; veulent <strong>du</strong> sérieux dans lesouverain, il5.— Passent pour barbares aux yeuxd'autres peuples, 187.FRIPONS; il faut qu'il y eu ait à lacour, te7,GtUGALANTERIE,; En quoi la galanterie GLOIRE militaire, critiquée por ?Adiffère de la coquetterie, 33. Bruyère, 317»— La galanterie des femmes ajoute à GLORIEUX (le), est un courtisan emleurcoquetterie, 33* pressé, 36.GALANTS; comment ils sont traités GRâCES. Réflexions sur les gens ou*par les femmes, 33.bliés dans la distribution des grâces,GASTRONOME; son porùait, ses. 305*GéNIE, manque souvent d'occasions, GRANDEUR, n'existe pas sans* la pru-3t, dence, 313.GÉNÉRAUX} l'histoire ne doit * point G RAID homme, est différent <strong>du</strong> hés'occnperde leur table, ses, ros, 41,GESS de bien} il,faut faire mieux GRANDS. Caractère des grands, 35.qu'eux, s».— On ne prime pas avec eux, toi.GENTILHOMME, veut passer pour set* —Comment ils assistent aux mystèresgneur, 3(3, dé la religion, 175.GENTJLLATR*! 307,— Ceux dont ils ont besoin ne per-GKORGES D*àMEOISB; son éloge, 117. dent point leur faveur, iso.GLOIRE. Fausse gloire, écueil de la i.— Le peuple est prévenu en leurvanité, 143. faveur, 181.GLOIRE; ce


FtINDEX. 523GBINDS; les grands ne s'inquiètent GsiflDS; pièges qui sont ten<strong>du</strong>s auxpoint de rendre les cœurs contents, grands parleurs gens d'affaires, fis»189* — On aime à être va arec les grands,— Les grands sont dispensés de tenir t S1,leurs promesses, 18 4. ^ —Grands dont on dit qu'ils meu*— Le bonheur ;*od les grands in- rent de faim, 30%*sensibles, I84 f—Les grands tiennent peu de cas— Les grands dédaignent les gens de la vertu et de l'esprit, sis*d'esprit, 184,— Recherchent les charlatans, |t».— Quelles sont les personnes que —> Se moulent sur de plus grands,l'on voit dans la familiarité des S * 5,grands, 188»— Affectent la modestie par hauteur t— Voir de *plns grands qae soi, pra- S (S.tiaue difficile, 185.— Les grands ne pensent ni k leur— Le mépris des grands pour le âme nia Dieu, S9t*peuple tempère leur vanité, i se. —Les grands comparés, quand ils— Les grands se croient seuls par- meurent, à une feuille qui tombe,faits, 186, 39».— Les grands négligent de rien con* — Grands hommes; il en est beau*naître, 18a,coup dont on aurait dft se passer,— Les grands comparés avec le peu* s 80.pie, 18».—Grands seigneurs comparés aux— Les grands ne peuvent cacher petits courtisans, 176.leur malignité, 190.GRAVITé étudiée devient comique,— Les grands s'enivrent de meilleur s 90.vin que le peuple, seule différence GROSSIèRETé, peut être le vice d'undans la crapule, 190, homme d'esprit, 994.— Les grands ne doivent point né- GOûT littéraire, T, 8, 998.gliger de faire plaisir aux autres, GOUTTE d'eau ; ce qu'on y voit, 419,191, GOUVERNEMENT ; sur la meilleure— Il ne faut pas être le complice des forme de gouvernement, îOS, fis.grands, 198.— Le gouvernement n'a point de— Ce qu'on fait pour <strong>mont</strong>rer que règles certaines, 991*l'on est bien avec eux, 193. GOUVERNER les hommes (dans le sens— Les grands donnent plus que les de les diriger dans leur con<strong>du</strong>ite); cesimples particuliers quand ils ex* qu'il faut faire pour cela, Si.posent leur vie, 194. GUERRE; ce que c'est, 105.— Nous sommes jaloux des grands, — La guerre amuse le peuple, toi.199* — Critique ingénieuse que La Bruyère— Du culte qu'on rend aux grands, fait de la guerre, aie*100* GUERRIERS; préparent le hasard, S09.— Les grands se gouvernent par sen- GUILLAUME DE NASSAU;, ut, sis,tiweut. toi,114, Sis.HHABILE homme; ce que c'est, m. HlBLàt DE CeANULOU} portrait oùHABITUDE: sa force est indomptable, il est peint, sis.m. HASARD; fait les succès merreilleai— Sur l'habitude, m. de certaines gens, 33.Hilîiej n'empêche pas l'estime, *lî. — Qû ne le fait pas, mail on le pr#-*-La haine est mace, 161. pare, toi.


t> ;524 INDEX.•HASARD ; n'est pour rien dans Pordon* HOMMES ; les hommes n'aiment pointuance de la nature, 411» que les femmes se fardent, 50.. HéRITIERS, 100, —-Les hommes guérissent des fem*— Traits divers qui les concernent, mes par leurs faveurs, 39 tm-no.— Persuadent moins que les fem-— Ce sont eux qui assiègent les tri- mes, 5t..bunaux, 359, — Homme coquet, 53,— Caractère d'un héritier désappoin- ~- Comment les hommes peuventté, 3S0, connaître qu'ils vieillissent, 6S*HéROS, Un héros est redevable &Vhis- «—Comment les hommes se con<strong>du</strong>itoîre,8.sent en amour par rapport aux fem-— Ne fait que le métier de la guerre, mes, ee t41, f —* Les hommes ne peuvent quelque*— En quoi il diffère <strong>du</strong> grand ho m- fois réussir à aimer y 7*»me, 4i«— Comment on peut gouverner lesHEURE, Chaque heure est unique en hommes, 81-82.soi, au. —Les hommes rougissent moins d*HISTOIRE delà langue française, 368leurs crimes que de leurs faiblesses,etsuiv, 83.HISTOIRE <strong>du</strong> dix-septième siècle; al- — Les hommes finissent par Tambllusionsqu'y fait La Bruyère, 318» tron, 83.HISTOIRE; estracontéedecent façons —Ils se regardent comme les hérïdifférentes,194.tiers les uns des autres, 1 dO.HISTORIEN; n'estime pas le poStc, — Ils veulent être esclaves, 133*199» — Les hommes cachent les vuesHOMME de tien; réflexions qui le qu'ils ont sur leur fortune, tes.concernent, s si,—Composent une même famille,HOMèRE, 117, 197*HOMME do robe, 41.—Gardent toujours leurs mauvaisesHOMME de lettres; ne veut pas être mœurs, 396,important, 115,—Une faut point s'emporter contretHOPJKêTE homme; fait son devoir par les hommes, «te,plaisir, 37.— Un homme inégal n'est pas nnI —Ce que c'estqu'un honnête homme, seul homme, «7,l *9«» — Homme'colère, 936.: ' ' HOMMES. L'homme doit être couvain- — Les hommes vont de la colère &eu de son inutilité, 33» l'injure, 936.— Les hommes ne pénètrent pas le — Pourquoi les hommes ne compo-!Knu-rite des autres, st. sent pas une seule nation, 937*998.— L'homme ne doit se faire valoir — Manquent les occasions de faireSque par lui-même, 35. plaisir, 936*937» ;— Homme de mérite; comment il se — Leurs mœurs sont changées par' comporte quand il est en place, 86. les circonstances, 938,.\ — Ne fait point sa cour, as. —Il est ordinaire aux hommes de— Les hommes contrefont la modes* n'être pas heureux, 939,'• tie,37. —Les hommes sont épineux sur— L'homme de cceur fait son devoir leurs intérêts, 939.V I simplement, 97. — Les hommes sont nés pour la• — Les hommes vertueux composent douleur, 135.l{* - 1 iseuls toute leur race, 98.—Il faut connaître la portée des— Homme docte, en quoi il diffère <strong>du</strong> hommes pour excuser leurs torts,docteur, 41. 940 (— L'homme d'esprit peut tomber —Ce que feraient les hommes s'ilsdans quelque piège, 49» étaient éternels. 941»


fîojiHES; il n'y a pour l'homme quetrois événements, 9*4.— Les hommes veulent être estimés,948.~- Comment les hommes parlent dece qui les regarde, 9 46-9 49*— L'homme parle superbement delui-même! 960,— Les hommes décident toujours enfaveur d'eux-mêmes quand ils secomparent, sso*— Les hommes sont pleins de caprices»9 si.~ Aiment à être vus, s si.— Ont le goût de railler, tfft.•—Connaissent leurs moindres avantages,9 5 3.— Comptent presque pour rien lesvertus <strong>du</strong> coeur, 9 53*•-- Mesure ordinaire de leur esprit,Î5S #— Les hommes se familiarisent avecleur grandeur, 986.— Hommes que leur fortune aveugle.9S7.— Les hommes sont différents d'euxmêmesdans le cours de leur vie,958-939.— Tout le mal des hommes vient dene pouvoir être seuls, 959*— Les hommes rendent leur vie misérable,9 59**— Ils semblent quelquefois ne passe suffire à eux-mêmes, 9 59»— Comment on s'insinue près d'eur,961.— Quelques hommes passent leur vieà nuire aux autres, 963.— Comment les hommes se con<strong>du</strong>isentà l'égard les uns des autres,*69 #— Les hommes ont le même jour depetites joies et de petits chagrins,970.— Ils agissent mollement pour leurdevoir, 971.— Us ne suivent pas les mesuresqu'ils prennent, 971.— L'homme est inégal même avec unexcellent esprit, 979*— Les hommes n'ont point de caractèresuivi, 97*»INDEX. 525HOMMES; ils s'ennuient de ce qui lesa charmés, 974.— Ils ont une bile intarissable surles petits inconvénients, 17 5,— L'homme ne sait point rougir desoi, 976.— Les hommes ne se goûtent pas lesuns les antres, 9?9.— L'homme se mène par les yeui etles oreilles, 9 76.» Il ne faut pas juger les hommesà première vue, 9s8.— Ni par une seule faute, 9 99.— Il y a des hommes qui sont grandsdans le monde et petits chez eux,998.— Il y en a qui ne sont prophètesque dans leur famille, 99S.*— Les hommes aiment l'honneur etla vie, S07.— Aiment la gloire plus que la vie,307 f«—La plupart des hommes oublientqu'ils ont une urne, s 10.— Les hommes sont plus sols que lesanimaux quand ils se font la guerre,315-316-317.— Il y a des hommes qui font untestament chaque année, S 69.— L'homme est né menteur ,39 4.— Il s'ennuie de tout excepté devivre, 898.— L'homme ne saurait à quoi se résoudres'il avait le choix de mourirou de toujours vivre, 698.— L'homme n'est point curieux de cequi concerne la mort, 39s.—- L'homme existe par quelque chosequi est hors de lui, 400.— L'homme est supérieur h toutesles créations de la nature, 413,— Il faut que parmi les hommes lesuns soient riches et les autres pauvres,418.— Les hommes condamnent les livres!où ils sont peints, 483»HORACE, si-39.HOTEL de Rambouillet, 104»HUMEUR; trop négligée parmi leshommes, 936.HYDROPISIE; fait croire à Dieu,990»


i526 INDEX.IIGNORANCE; inspire te ton dogmati- INCONSTANCE; 977»que, 109,INDIFFéRENT; son portrait, tes»i >— État paisible où Von se range en INDULGENCE pour autrui, 78»foule, 181.INéGALITé des conditions, rentre dansIMAGINATION; il n'en faut pas trop les vues de la Providence, H7.dans la conversation, 98*(Voy* encore U9-U8.); •IMBéCILES; peuvent occuper de INGRATITUDE envers ceux qui nousbeaux postes, its, ont enrichis, 191.IMITATION littéraire, s0-3ï.INNOCENT condamné injustement,' ; IMMORTALITé prouvée par Finégalité 858.4 1des conditions, ! 19.INSECTES, (Voy. Amateur.)IMPERTINENCE; son principe, 93, INSTRUCTION première; son impor-IMPERTINEXTJ est un fat outré, 198* tance, 976.IMPUDENCE; utile dans les cours, INTéBéT; réconcilie les familles, i 7*.i«s.INCIVILITé; effet de plusieurs vices,INTRIGUE ; est nécessaire à ceux quien ont vécu, m«sss. < IRRéSOLUTION; M7»t\*lritV\v •ti;\l\JJACQUES II, roi d'Angleterre; allu- JUGEMENTS; comment nous sommessions à son histoire, 814.yengés des mauvais jugements queJALOUSIE d'auteur, to. ^ l'on fait sur nous, 998.JALOUSIE; analyse de ce sentiment! —Jugement sur les personnes doit78, se faire d'après la règle de Descartes,,— Ce qui la distingue de l'émulation, 998»9 64. JUGES; leur devoir et leur métier,— Est distincte de l'envie, 986. 886.JEU; traits divers qui le concernent, — Réflexions qui les concernent,191, 886,— Il y a des imbéciles qui y excel- — Le métier de juge se fait sans aplent,996. prentissage, 886-867*— Met les hommes à la mode, 899. ««Il y a peu de juges que les femmesJEUNESSE de prince j source de belles ne puissent corrompre, 888.fortunes, 168»—• Besogne des juges serait simpleJEUNESSE; le souvenir en est tendre s'il n'y avait point de testaments,chez les vieillards, 968. 889.— Peu de gens se souviennent avoir JUSTESSE d'esprit, to.Hè jeunes, 969.JUSTICE. On ne doit pas la faire aU— Ce qui manque à la jeupesse, 176« fendre aux autres, 804.JODELLE, 18. ' —La justice est une conformité kJOUEURS) 181*189. une souveraine raison, 416.LLIBRUTEREJ détails qu'il donne sur livre des Caractères, 800-801»la composition de son livre, 8» — N'a voulu offenser personne dans— Allusions diverses qu'il fait à son ses Caractères, su.


.Xrfy.LA BROTÈRB; loue les académiciensvivants, il a.— Ce qu'il dit des critiques auxquellesa donné lieu sou discours h l'Académiefrançaise, 49 4.—Cabales auxquelles il a été en butte,493,— Proies te contre les fausses in ter*prestations auxquelles son livre adonné lieu, 418*— Défend son discours à l'Académiefrançaise contre les critiques auxquellesil a donné Heu, 430 etsuivt— Se fabrique, par moquerie, unegénéalogie illustre, 347.— Ses lettres, 447 et suiv.— Ce qu'il dit de la tra<strong>du</strong>ction deThéophraste, 449 et suiv»LA CHAMBRE (l'abbé de); son éloge,441.LA FONTAINE; son éloge, 487.--Son portrait, «96.— Cité, 184.LANGUE française au dix-septièmesiècle, 19.— Remarques diverse: sur son histoire,8 68 et sutv.LANGUES. Il y a des gens qui saventplusieurs langues et dont l'espritreste vide, 315.— Comment et pourquoi il faut lesétudier, 36e.— Sont la clef des sciences, 38s.LA ROCHEFOUCAULD; grand moraliste,468.fins; cité devant des gens qui nel'entendent pas, 106.— Fut longtemps la langue des Français,377.LE MAîTRE, avocat, 374.LETTRES de noblesse, 343.LEVER <strong>du</strong> prince, 17 4.LIBéRALITé; en quoi elle consiste, 78.•— Est souvent mal appliquée, 304.LIBERTé. En quoi consiste la traieliberté, 310.LIBEKTCSS; il y en a de deux espèces,396*— Fleurissent dans les cours, 39 6.LIBRE arbitre} en quoi il consiste,416.INDEX. 527LIEUX; exerça sur les hommes unegrande influence, 84*LINGE; le beau linge fait estimer lesgens, isi.LITTéRATURE française au seizièmet dans la première moitié <strong>du</strong> dixseptième siècle jugée par La Bruyère17-18-19.— Littérature française au dix-septièmesiècle. 19.LIVRES; ce qu'ils doivent être pourplaire au public, s,— Livres froids et ennuyeux, 4.— Commçnt ils sont appréciés parlesdivers esprits, 16.— Réussissent quelquefois par lesfadaises, 10.— Livres composés par des geos departi, ts,— Ceux qui font les livres n'en tirentaucun profit, «85*— Les livres sont plus sévèrementjugés que les discours, 38 3.— Livres français; ont été longtempscomposés de pages latines, 3 7 7,— Livre médiocre; réussit et se réimprime!381,— Voy* Amateur.LOUANGES; ne doivent pas être rejetéesindifféremment, 93.LOUER. Quels sont les gens qui nepeuvent louer, 103.— On loue ce qui est loué Lien plus* que ce qui est louable, 9 7 7.— II en coûte de louer ce qui est leplus digne de louange, 97 7LOGIQUE; sa définition, 96,Lors; peuvent être renJure inutilespar l'équité des hommes, 910.— Sont féroces, 96 8,— Ne cadrent pas toujours arec Fopi*nion des hommes, 361.LOUIS, dauphin de France; son éloge,311.Louis XIV J son éloge, si 4, 44t etsutv.LOREXZANI, musicien, 341.LULLI, 39.LUNE; décrite par La Bruyère, 406*LUXE; inutile dans un souverain,911.1 s.?


528 INDEX.MAGIE; ce qu'il faut en penser, 961.MAGISTRATS; qui imitent les petitsmaîtres, UO.— Magistrat galant, pire que le dis*solu, 556,MAGISTEUTURE; copsacre presque leshommes comme la prêtrise, 356»MMSO>Sï gens ruinés pour en avoirfait construire, 134.MALADIE; fait que la mojt est unsoutènement, lis»MALEBHA\CIIE; sa métaphysique cri*tiquée par La Bruyère, 39 5»MALUERIJE, poète, 17, 13.MUTOTIEK, 307.MANGER salement, 36 4.MAME. Voy* Amateur*MANIEUR d'argent, lis.MARATHE, IOO,MARCUA:\DS; sont habiles à tromper,m.MARCUER lentement, 311,MARIAGE; est quelquefois un lourdfardeau, 1*9*— Mariage par amourette, 353.— Mariage avec une vieille femmeest quelquefois prudence, 353., — Etait autrefois une affaire sérieuse,333.MARIéES ; nouvelles mariées exposéessur un lit, lis.MARIS; sont souvent cause que leursfemmes les trompent, 68,— Il y en a qui sont anéantis parleurs femmes, 6 8-69»— Maris qui rougissent de leurfemme, 8 s 3.— Comment un jeune mari doit secomporter avec une vieille femme,314.MAROT, poMe, 18, 371.MATIèKE; ne peut contenir la notiondel'cspttt, 403.. — Discussion sur la matière comparéea ver l'esprit, 4 01.MAUVAIS plaisants, 14, 85.MAUVAIS r iiaeteres; il faut les supporter.93.MAUVAIS tiens les ouvrages d'esprit,plait b et rlaines gens, «31.MMAUX; on se roidit centre eux, tti»MÉCtlAYT homme, ne peut jamaiifaire un grand homme, 313.MéCEHNTS; ne sont point heureux,U6,MéDAILLES, Voy* Amateur.MéDECINE, mine d'or pour ceux quiparlent son jargon, 380.MéDECINS, sont raillés et bien payes,313.— Quel est le bon médecin, 363.— En quoi les médecins diffèrentdes charlatans, 36 4.MéDIOCRITé; on la loue avec exagération,39 6.— Dans les arts est insupportable, 7*— D'esprit, s9 4.MENTIR pour décrier ses ennemis,«75,MÉPRIS <strong>du</strong> monde, 181.MEKCCRE GiL4NT (le), 19-10.MèRE; prend avec grand risque charged'âme en faisant sa GUe religieuse,MèRES qui veulent marier leurs filles»146*MéRITE; n'est pas une recommandationsuffisante pour parvenir, 33.— Est méconnu par les hommes, 3 4*— S'allie à une grande modestie! 36*— Donne plus d'éclat que les titres,3?.— Mérite des femmes caractérisé, 49.— Le mérite se devine réciproquement,jos,— N'est pas toujows méprisé dansles cours, 16 0.— Fait dire <strong>du</strong> mal des gens, 161.— La sottise olt ; enl ce qu'on/refuseau mérite, 169.


\**•:*'yMéTIERS; le métier d'auteur est leftiredetous, 886.IGXiBD, 39,MINISTRE* Le nouveau ministre voitsurgir en une nuit des amis et desparents, 16 8.— Comment les ministres doivent secon<strong>du</strong>ire, tte, î 17 #— Quels sont les bons ministres!us.— Le ministre le plus occupé perdchaque jour deux heures de sontemps, 309,MisiSTBROPE, son caractère, 17 6»MISèBE ; inspire la compassion pourles autres, 153,— Rendhonteux d'être heureux, 153,— Il y a des misères qui saisissent lecœur, m.MlSSKmiIRES qui se croient à tortdes hommes apostoliques, 381,MISSIONS des InJesct<strong>du</strong> Japon, 39 7»MODÉBiTlOX» laisse les hommes dansl'obscurité, 313»MODES; notre assujettissement auxmodes découvre notre petitesse,SI!»— Homme à la mode <strong>du</strong>re peu,3*8.— Hommes célèbres victimes descaprices de la mode, 328.— Le grand jeu met les hommes à lamode, 319*— Gens à la mode comparés à unefleur, 319.— Critique des modes <strong>du</strong> dix-septièmesiècle, 331.— Il y a autant de faiblesse à fuir lamode qu'à l'affecter, 331.— Les hommes négligent la modedans leurs portraits, 332,— Les modos sont extrêmement variables,333.MODESTIE simulée, 37,


10*••0*'*' '*>**-* "•" / ,*ff'*' • ' î ' v .- *. t530 INDEX.MOURIR; on y gagne k être loué, MUSICIEN ; n'est pas toujours un103» > homme d'esprit, 396.— Mourir est une chose bien se* MUSIQUE; toute musique n'est pasrieuse, 890» propre à louer Dieu, 335,îNAISSANCE; il est heureux d'en avoir,as.— La naissance fait remarquer lemérite, lit»NATURE; tout y est grand, 4t s.— Universelle, 400-401*NATUREL* Il faut beaucoup d'art pourêtre naturel^ 191.NETTETé dans le style, s s.IVEYEU déshérité par son oncle, 361.NOBLE ; le noble est esclave à la cour,173.— Les châteaux des nobles sont possédéspar leurs métayers, t ta.— Les nobles de province ne sontbons a rien, 265»— Réflexions diverses qui concernentles nobles, 3 43**— Il n'y a rien a perdre h être noble,3 46» lot/* Armoiries! CUteau,Gentilhomme,Seigneur»• «NNOBLESSE; a tort de mépriser hrobe, 19 4.— Jugements divers sur la noblesse»343.— La noblesse est peu de cbose sansla vertu, 347.NOCESj 147. Vby. Mariage.NOM ; fait la seule valeur de certainesgens, 33.— Remarques sur les noms adoptespar les grands, 188.— Noms insultants inventés par lapassion, 30T.— Il y a des gens qui portent plu*sieurs noms, 348*346.— Comment on change son nom,343*346.NOUVELLES. Du plaisir d'apprendredes nouvelles, 107.NOUVELLISTE (le)» is.— Son caractère» a 07.o* - *vOFtffCES d'église î on y manque souventde gravita, 3 48*— Les dignitaires d'une église sedisputent h qui sera dispensé desofiices, 361»OISEAUX. Yoy. Amateur*OISIF; portrait de l'homme oisifqu'on voit partout, 14 4*146*OISIVETé <strong>du</strong> sage, 3 6.— Tasser ses jours à ne rien faire estencore moins que scier <strong>du</strong> marbre,309*Oititi; en quoi il consiste, «0.OPIMATIILTé, ïîï»OPIMONS (les) des hommes changenttous les vingt ans, 306»ORAISON funèbre ; ne devrait passeulement cire appliquée aux grandsde la terre, 3 30.ORATEUR ; qui reste court, 309»— La principale partie de l'orateurest la probité, 367.ORGUEIL; quel est le propre de cevice, 117* 118»OUBLI en amour» 77»OUVRAGES parfaits et médiocres, 6»— Satiriques, 6»— De morale, 6 »— A qui les auteurs doivent les lire, 9,— Comment on les juge, lt*lft*— Ouvrage parfait est différent d'unbet ouvrage» 14.—- Un ouvrage est bon quand il élevél'esprit» 16.— Ouvrages qui sont des jeux d'esprit,160*360.— On peut mettre dans les ouvragesd'esprit le bon elle mauvais* 181ttef&- '•EltéM•SBy&


_ . . . , ; t - - * f . . " L • i . , ' * , v * * *tww^sMS^^afessyes^^f.


' * Procès.que les bons écrivains, 388.•—Comment tes prédicateurs doiventpréparer leur* sermon*. 386»'PLAIDOIRIE* ; réflexions h leur sujet, PRéPACE <strong>du</strong> discours a l'Académie938.française, 490.'•}MM',• 1-1I'M•>2


-Â..,*r. i~^*r '*• ^'«S»"'! J»*P •#*!*, V :.. -v ;. ,;,INDEX* 533PnÉLVr qui remplit tous les devoirsde sa charge, 5 87» *PRENDRE un mauvais parti, m*PBéSéIXCE. »ei.PBêSEMS de noces, 147*PRêT h intérêt, as».PaÊYËNTION ; danger qu'il y a a nepoint se défendre de la prévention,*9î-m*PRINCE ; voir son visage fait toute lajoie <strong>du</strong> courtisan, lis»— Les princes ont de ta joie de restepour rire de rien, tftO*— Plaisirs des princes, 19 K— Quelles leçons on doit leur donnerquand Ils sont jeunes, 106,—• Les princes ont <strong>du</strong> goût littéraire,îai.— Bonheur et malheur des princes,— Le meilleur prince ne peut contentertous tes nommes, I7ft»— Princes qui ont joint Patticisme kla science, tsi»— Le prince a <strong>du</strong> mal & réformer lacour, au»— Prince image de Dieu, sft7»— Princes de l'Église ; on a fait poureux des objets d'art 1res*m décents,147,PROCèS causés par le manqué d'équité,Î40.— Durent pendant toute la vie, 315,— On peut en perdre tout en étanten faveur, 559*PltODlGILITE, 110»PROFESSIONS sérieuses t & quoi ellesobligent, î83 tPROFITER de ses fautes, 147.PROJETS. Il y en h d'un si grandéclat, qu'il faut, quand on les a conçus»les exécuter, SIS»—*Ondésapprouvequand ils échouentceux qu'où approuvait avant l'exécution,a 19*PROMENADES publiques; ee qu'on yva faire, 157.PROVINCïAUX (les), 101.PRUDERIE de langage, 101.— Des femmes, définie, et.PRISES. Yoy. Amateur*PUBLIC; veut des livres qut l'amusent,s*— Lo public est un écueit contrelequel bien des gens viennentéchouer, m*PlCELLB, avocat, S7 4.PUISSANTS; pourquoi il faut se taireiur les gens puissatits, toi*PURISTES; comment ils causent. 9>.QQuiïttULT, tftl»QUERELLES des anciens et des modernes,s.QUERELLES; comment les jugent lespersonnes qui en sont les témoins,9 6QUESTION Koy*Torture*RV•fRABELAIS, lt-11.RABUTIN (Bussy), il.Rieur, 18!RACINE, comparé k Corneille, il.— Son éloge, lit»RAILLfcBIB, III.ftitiiBaftS amers, leur portrait, il.RifSO.l ; plia la première dans la to*cîété, n t— Son dè>elipement et aa ca<strong>du</strong>cité*,tu.— Est nue comme la vérité, lie.RilSOX ; est de tout les climats, lie.RÉCONCt NATION, signe do niort, 161.— Réconciliation k l'article do lamort, lit»RECOMNAISSANCB, IS.RfcFOtiHBS politiques, 101-104.RéGI MB 4 , ne règle pas les hommesdans leur manière de vivre» m»RtUABiLlTATlON; lignification de comot au dit»septième siècle, III.RELATIONS sociales, ne.RiLtûlOK chrétienne; crue et soutc-45.


*


:••INDEX. 535SSACREMENTS ; sont taies dans les paroisses,849»SAGE, ce que c'est que son oisiveté,— Le sage ne tient qu'à la gloire quinait de la vertu, 47*~- Le sage veut que la raison seulegouverne, 61*— Lessages sont menés par les fous,— Le sage évite le monde, lit»— Ce nom ne convient pas aux stoïciens,S17.~ Les disgrâces rendent sage, 160.SàNSIOXS lies), no.SANTé, inspire la <strong>du</strong>reté, tst.SAMTëIL, son portrait sous le nomde îhéodas ,107. Yo\j> encore(ta*SARRàZIN ; son mérite littéraire jugé,810.SATIRE; s'acharne après les morts,101.SAVANTS; sont l'objet de beaucoup depréventions, 181»» M Doivent se taire quand les richesparlent, 181*— Passent auprès des politiques pourêtre incapables d'affaires, US»— Quelques-uns ne goûtent que lesanciens, 48f*SlVAN TASSE, 107.SAVOIII le grec, ISS,SCIENCE superficielle* aiB,— Des langues, inutile h une foulede gens, ai s.— Héfle&ions h leur sujet, 180,— Les hommes n'y attachent aucunprit, '18!*— Critique des gens qui veulent tesembrasser toutes et ne savent rien,118,SctfeURS de marbre comparas oui genioisifs, 801.SCOLASTIQUE; bannie des sermons,877 #SECRET dans l'amitié et dan* l'amour,78.— Ce qui eu rend capable, 1 to*SECntr, On révèle les secrets à soninsu, 110*SEGRAIS, son éloge, 487.SéGUIBB (le chancelier), son éloge,44t.SEtosEua; affecte la principauté,SIS.SéRAPHIN (te père), modèle <strong>du</strong> véritableprédicateur, 876.SEftMEyrs; sont malséants dans laconversation, 14»SERMONS ; critique de la division dessermons en trois points, 576,~ Les sermons ne comportent pasdes traits brillants, 877»— Co qu'on appelle un beau sermonest une énigme pour le peuple,s78. Voy> Eloquence, Prédicateur.SINGULARITé» L'esprit de singularitépeut à cause <strong>du</strong> déréQlement deshommes approcher de la droite rai*son, 17 9,SOCIéTéS diverses qui partagent uneville, ISS*SOCRATE, 180, 800,SOLDAT; meurt inconnu, toi.SOLEIL, décrit par La Bruyère, 406.SOLLICITER pour les autres, 170*SONGER k soi t c'est te premier soinque l'on a après sa fortune faite,160. Voy* encore s os.SORTILèGE ; ce qu'il faut en penser,les.SOTS} comment ils lisent, te»— Le sot ne fait rien comme unhomme d'esprit, II»— Le rôle <strong>du</strong> sot est d'être importun,85.— Les sots croient que l'on se moqued'eut, 101 •— Le privilège des sots est de riredes gens d'esprSt, 101*— Le sot n'est qu'une machine, 17t.*— Le sot a tout h gagner h mourir,171.— DéGnilion <strong>du</strong> sot, 103*1»!*Voy* Fautes, Riches»SOTTISE ; éviter une sottise rafraîchitlesing, 117»


536 INDEX.• • Li " SOLVEBâIX j ses devoirs envers ses STYLE ; s'est perfectionné comme'-> /Th.*'$f*£> sujets, «0. l'architecture, s.&l . K — Souverain comparé à un berger, — Style concis ne plaît point à cer*|f&; | m. tains esprits, t4.£pV v ..— Le souverain n'a pas besoin de — Style puéril, si.|fjî / luxé, lit. StBLtMBj en quoi il consiste, 16*glr~- —Les souverains s'humilient devant ~ Le sublime peint la vérité,ÏV un usurpateur Sifr. Voy. Royauté» 17^" SOUVERAINETé; ses avantages et ses SUCCèS; charme les hommes, dit»dangers, tfti» • SUFFISANT (le), sa définition, m*SOVECOUBT (le marquis et le cheva- SUJETS. Leurs devoirs envers le soulierde) % S05.verain, MO.STOïCISME ; n'est qu'un jeu d'esprit, SUPPLICES; il en faut, tes.Me. Stippoam les torts des autres,STUPIDE; est un sot qui ne parle sio.point, s9 4. SïNONTMES; ce que c'est, S7.


. fINDEX. 537\7VALETS; se jugent eux-mêmes d'aprèsla fortune des gens qu'ils servent,191.VALEUR fausse, 307.VANITé ; est une cause de ruine pourles parvenus, 148.'— Réflexions diverses qui la concernent,94B*VARROX, ISOVAUBiK, SOT»VENGEANCE de ceux qui aiment! *?5.YéîLTÉ ; est quelquefois le meilleurmanège <strong>du</strong> monde» 179*~ La vérité est souvent le contrairedes bruits qui courent, 191.— La vérité vient <strong>du</strong> ciel toute faîte,384.VERS pompeux et inintelligibles, 7.VERTU ; no touche pas les hommes!sa*~ On doit avant tout la chercherdans ses amis, se.-—Quelles sont les vertus que leshommes admirent le plu;, m.— Les vertus sont inutiles eut petits,156.— Vertus d'un homme injuste, 30*.— La vertu ne dépend pas de la mode»316-319*— La vertu est différente h la courde la dévotion, 831*— La vertu seule va au delà destemps, sit.— La vertu fait la noblesse, 347*— Vertus incompatibles, 100*— Vertus militaires, 41.Yoy* Richesses.VICES de l'Ame, HT**— Il y a des vices naturels et d'au*très que Ton contracte! 137.— On se dégoûte d'uu vice par unautre vice, 176*—^Source des vices, 19 4*-T- De grands vices servent quelquefoisk être ad mires, 311**— Certains prédicateurs font <strong>du</strong> viceune peinture agréable, 378*VICTOIRE?; do quelle monnaie on lespaye, no.VIE humaine est courte, pourquoi?80»— La vie se passe h désirer, a 3 s *— Vie heureuse, 141* ^*— Vie misérable, s 41.— La vie est un sommeil, 144.YlEiLURD; travaille à s'enrichir,1*0.— Vieillard qui ne laisse rien à lafemme qui Va soigné, S60.*— Vieillard amoureui, 1S1.— Pourquoi les vieillards sont avares,161*— Les vieillards sont d'un commercedifficile» 4 63.— Les vieillards ne s'accommodentpas de la solitude, 163*— Les vieillards sont attachés aupassé, 16 3*— Les vieillards multiplient leurs; rides par la parure ou la négligence,163*•— Un vieillard est un trésor quandils vécu h h cour, 163. *— Vieillard qui se donne toutes sesaises, 16 4.~ Les vieillards plantent et bâtissentquand ils ont un pied dans la tombe,167.— La politesse des vieillards donneune bonne idée <strong>du</strong> vient temps304.VIEILLESSE*, réÛexîons diverses qui laconcernent, 143*VILLE (la), partagée en diverses sociales,138*—«On vit à la ville dans l'ignorancede la nature, 148, 140*»-~ Les petites villes comparées k tacour, 200»— La ville ne connaît point !a cour,458* l'oy. Petite ville.VISAGE; un beau visage est le plusbeau des spectacles, Si*— On Kt la fortune des gens sur leurvisage, 116*VEUVE* loy* Epouser*Vocvriox religieuse; h quoi elletient souvent, 3 81*


L" 1 "", fi./ **'538 INDEX.VOEU de pauvreté dans un© riche — Son mérite littéraire jugé, 389*abbaye» S5f» ( Foy. tfncwe 19, $71.VOISINS de campagne, se brouillent VOYAGES; font perdre b certainespour rien, too*iot,gens le peu de religion qu'ils avaient»YoitUBB; jugement sur ses let" • * rt * : ^ ^ ,_; .».- ^ rL r J-I v "*rfl " '•*\ f ."*'," ï '."'•. -.'A * »-*!-=•. i 1 ,» * - 'm* » ^. I . •


• ' . " "-' r i-r **/tTABLE.LES CARACTÈRES DE LA BRUYÈRE.AVERTISSEMENT SUR CETTE éDITION. . . . . . vJEAN DE LA BRUTERCLES CARACTèRES OU LES MOEURS DE CE SIèCLE. . . tDes ouvrages de l'esprit. . . 0Du mérite personnel. 33Des femmes. , . * , 49Du cœur 73De la société et de la conversation. . . . . . . . 85Des biens de fortune . 112Delà ville 137De la cour. . . . . . • 152Des grands.. . . . . . . . . . . . 182Du souverain ou de la république. . . . . . . . 203De l'homme* . . . . . . . . . . . . 228Des jugements 278De la mode 321De quelques usages 343De la chaire 374Des esprits forts. 388DISCOURS prononcé dans l'Académie françoise, le lundi,16 juin 1693 j préface . . . 434LETTRES.Au «"omte de Bussy.. . . . 447ÀSanleul. .44frA M*** , n . . 449vitLES CARACTÈRES DE THÊOPllRASTE.i - *DISCOURS de La Bruyère sur Théophraste. . . . . . 452 *' i>AVANT-PROPOSH à.s *V •Aï*Jf&f*.7-t. . *


"* V '.. . ' V""_ï IS* . - l ' * ~ • t ^ *A - -.- •-r, *,S* "*•ôil)TABLE.Pagcj»De la 'dissimulation., . . _ ,. . . • . . . 471De la flatterie. . . . . . . . . . . . . 472De l'impertinent ou <strong>du</strong> diseur de riens . . . . . . 474-De la rusticité. • . . ' . ' . -4Ï5Du complaisant ou de l'envie de plaire. . • . . . 47 TDe l'image d'un coquin* . ;. . * • • • * « 478Du grand parleur. . * . ' . . 480Du débit des nouvelles.. . . . . . * . . 4.81De Teffronleria causée par l'avarice 483De l'épargne sordide. . . « . 484De l'impudent ou de celui qui ne rougit de rien. . . . 480Du contre-temps # . . 488De l'air empressé. . . . . . . . . . . 489De la stupidité. . . . . . ' . . . . . ' » . . 400De la brutalité. . . . . . . . . . . * . 491De la superstition. . . • . . 492De l'esprit chagrin. . 498De la défiance . . . . . . . . . 494D'un vilain homme 495D'un homme incommode. 490De la sotte vanité 497De l'avarice • • • • • • • 498De l'ostentation. f • • 499De l'orgueil. 601De la peur ou <strong>du</strong> défaut de courage. . . . . . . 502Des grands d'une république. . . . . . . . . 604D'une tardive instruction. • . . . . • . . * 605De la médisance. . . . . . . * • • • . 506Du goût qu'on a pour les curieux. . . . . . . . 507Du gain sordide» * » . . » . . # » » • • 608INDEX. . . » >< f • >. v, k:'£.-.-

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