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philosophie pythagoricienne - Notes du mont Royal

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<strong>Notes</strong> <strong>du</strong> <strong>mont</strong> <strong>Royal</strong>www.notes<strong>du</strong><strong>mont</strong>royal.comCeci est une œuvre tombéedans le domaine public, ethébergée sur « <strong>Notes</strong> <strong>du</strong> <strong>mont</strong><strong>Royal</strong> » dans le cadre d’un exposégratuit sur la littérature.Source des imagesGoogle Livres


PYTHAGOREPHILOSOPfflEPYTHAGORICIENNE


OUVRAGES DU MEME AUTEUR :Les principes de la science dn Beau. Paris, 1860, 1 Tort vol.in-8 7 fr. 50De la psychologie de Platon. Ouvrage couroonc par l'Académiefrançaise. Paris, 1862, 1 vol. in-8 • 5 fr.Vie de Socrate. Paris, 1868, 1 vol. in-12La vie et les écrits de Platon. Paris, 1871, 1 vol. in-123 fr.4 fr.Typographie Lahure, rue de Fleurus, 9, à Paris.


PYTHAGOREET LAPHILOSOPHIEPYTHAGORICIENNECONTENANTLES FRAGMENTS DE PHILOLAUS ET D'ARCHYTASTra<strong>du</strong>it» pour la première 1ère fois I eu françaisàù A^; ËDfCHAIGNETProfesseur de littérature ancienne à la Faculté des Lettresde PoitiersOUVRAGE COURONNÉ PAR L'INSTITUT[Académie de» science» morale» et politique!}. *>OCA?S»S»J VA,"- N*> AN >> V. V. -.V .XX.sWÏ ...; ^\V^jL ,* a é^* i # s vV: » S^X \ X$X^^i> SX s \PARISIIBBAIBIB AOAD*MIC)UBDIDIER ET C'% LIBRAIRES-ÉDITEURS35, QUAI DES AUGUSTINS, 351873Tous droits réservés


.PRÉFACEL'Académie des sciences morales et politiquesavait, en 1868, proposé pour le prix V. Cousin laquestion suivante : De la <strong>philosophie</strong> <strong>pythagoricienne</strong>.L'ouvrage que je présente au public est la rédactionnouvelle, corrigée et complétée, <strong>du</strong> mémoirequ'ellea bien voulu couronner, malgré l'insuffisancede la partie historique, que son savant et bienveillantrapporteur a dû y signaler 1 . J'ai rempli les lacunesqui m'ont été indiquées, sauf certains points,cependant, où j'ai cru devoir persister dans monsilence, parce que je n'ai pu reconnaître l'influencedes doctrines <strong>pythagoricienne</strong>s dans quelques philosophesqui m'étaient signalés comme l'ayant subie.Si l'Académie m'a pardonné cette insuffisancegrave dans l'Histoire de l'école <strong>pythagoricienne</strong>,c'est sans doute qu'elle s'est rappelé au milieu dequelles circonstances avait dû être poursuivi et1. On trouvera à la fin de ce volume le rapport tout entierde M. Nourrisson.


PRÉFACE. 111tion qu'accompagne, fragment par fragment, uncommentaire critique, aussi court, mais aussi completque j'ai pu.Le second volume contient d'abord l'expositionde la doctrine <strong>pythagoricienne</strong>, qui forme la TroisièmePartie, à la fois la plus éten<strong>du</strong>e et la plus importante;la Quatrième Partie, celle qui a été complètementremaniée, suivant les conseils de mesjuges, raconte les influences de cette école, et exposebrièvement les parties des systèmes philosophiquesqui en ont été plus ou moins profondémenttouchés, et l'ouvrage se termine par une appréciationcritique de la valeur de la doctrine, où jeme suis efforcé de <strong>mont</strong>rer la part de vérités et lapart d'erreurs qu'elle contient. >Ce serait m'exposer et exposer le lecteur à desrépétitions inévitables et inutiles, que de vouloirici résumer le jugement que j'ai porté sur la <strong>philosophie</strong><strong>pythagoricienne</strong>, et ramasser les quelquestraits qui la caractérisent. Mon intention, danscette préface, est d'indiquer seulement dans quelesprit j'ai conçu et exécuté cette histoire de l'école<strong>pythagoricienne</strong>, et dans quel esprit, en général,j'ai conçu l'histoire de la <strong>philosophie</strong>.Il suffira d'ouvrir au hasard un de ces volumespour remarquer l'éten<strong>du</strong>e et le nombre des citationset des notes qui accompagnent le texte. Il ne faudraitpas croire que ce soit là un procédé absolumentinusité. MM. Egger et Edelestand Du Mé-


IVPRÉFACE.ril, dans l'histoire littéraire, et M. Ravaissondans l'histoire philosophique, pour ne citer queces noms considérables, en ont depuis longtempsdonné l'exemple. Mais il faut avouer qu'il a étépeu suivi; cette sévère et utile méthode, qu'ont pratiquéetous nos critiques <strong>du</strong> seizième et <strong>du</strong> dixseptièmesiècle, n'est pas encore rentrée dans leshabitudes <strong>du</strong> lecteur français, et, pour la pouvoirpratiquer moi-même, j'ai été bien heureux de rencontrerun éditeur assez libéral pour consentir à secharger d'un accroissement considérable de frais,sans compensation et sans profit.J'espère qu'on n'attribuera pas ce système auridicule désir d'étaler un luxe inusité d'érudition.Le soin de réunir les textes, de ramasser les documentsoriginaux, de les disposer dans un ordreclair et méthodique, de les discuter brièvement, etde les citer et analyser suivant les nécessités <strong>du</strong> récit,est une obligation étroite de l'historien, et un devoirplus nécessaire que méritoire à remplir ; il nefaut pas, pour cette érudiiion, si on veut l'appelerde ce nom trop flatteur, il ne faut pas des qualitésd'esprit bien hautes et bien rares ; il n'est besoinque de travail, de patience et de temps. Ce sont làdes mérites très-modestes, accessibles à tout lemonde, et il n'y aurait guère lieu de s'enorgueillird'avoir rempli une condition à la fois si simpleet si nécessaire.Car je ne puis m'empêcher d'insister sur ce


PRÉFACE.point: c'est une condition indispensable pour donnerà l'histoire un fondement solide; c'est une méthodedont on ne peut assez louer les modestes ,mais utiles et sérieux résultats.Il ne suffit pas, en effet, comme on le dit quelquefois,que l'auteur se. soit livré personnellementà ces recherches; il ne faut pas croire qu'il doiveensuite faire disparaître des yeux <strong>du</strong> lecteur toutcet appareil étranger à l'œuvre elle-même, commeon fait de ces échafaudages nécessaires- pour laconstruction d'un édifice, mais qu'on enlève quandil est terminé, à la fois pour en faciliter l'accès, etpour le laisser voir dans sa forme et dans sa beauté.C'est confondre les genres que de demander àcertains ouvrages des agréments qyi appartiennentà la poésie ou à l'éloquence, ou des qualités quisont celles des œuvres dont la valeur repose surles idées elles-mêmes et non sur des faits.La science de l'histoire,, et l'histoire de la <strong>philosophie</strong>peut-être plus encore que toutes les autresformes de l'histoire, exige la plus entière exactitudeet la plus parfaite sincérité dans l'exposécomme dans l'interprétation des faits; car les faitssont ici des doctrines. Non-seulement il n'en fautomettre ni dissimuler aucun, <strong>du</strong> moins aucunde ceux qui sont importants ; mais il faut encoreque l'opinion préconçue, le parti pris de l'écrivain, ne le poussent pas, quelquefois malgré lui,à diminuer ou à grossir les choses, à leur ôterV


"VIPRÉFACE.cette vérité de proportion qu'un certain art d'exposition,certaines habiletés de style peuvent sifacilement détruire.Ce danger est grand pour celui qui écrit unehistoire générale ou particulière de la <strong>philosophie</strong>.Les faits qu'il expose sont des idées, ces idées ontpresque toujours besoin d'une interprétation etd'un commentaire : ne doit-il pas toujours craindrede céder, dans cette interprétation, à sa propremanière de concevoir les choses? Ce n'estpas seulement dans la proportion qu'il donneaux diverses parties d'un système, et dans laperspective où il en place, pour ainsi dire, les diversplans, qu'il peut se tromper sans le savoir etsans le vouloir, c'est dans la signification qu'il attacheà chaque détail, à chaque idée, presque àchaque mot. Il ne faut pas trop se défier des hommes, même des philosophes ; il ne faut pas nonplus avoir en eux une- trop grande confiance. Ilest plus facile de recommander l'impartialité quede la pratiquer. Il y a un polémiste dans tout espritphilosophique, et la polémique philosophique,politique, religieuse, littéraire, engendre de tellesardeurs, de tels entraînements, qu'il est toujourssage de se surveiller soi-même et de seprotéger contre sa propre faiblesse. Les plus grandsesprits succombent à ces tentations, et Aristote jugeantPlaton n'y a pas résisté. Que ne doivent pascraindre les esprits médiocres?


PREFACE.Il n'y a qu'un moyen pour eux de se mettre engarde contre eux-mêmes, c'est de citer textuellementles plus importants des écrits qu'ils commententet apprécient; si l'on s'impose cette salutaireet prudente obligation, si l'écrivain se représenteet se dit sans cesse que son lecteur et son, juge aura sous les yeux les pièces <strong>du</strong> procès, pourracontrôler les faits et l'interprétation qu'il leurdonne, que le débat sera jugé non pas dans le silenceet l'ombre <strong>du</strong> huis clos, mais dans la pleinelumière d'une discussion publique, il prendra lecourage et trouvera la force de résister à ce courantde partialité presque involontaire et inconsciente,à laquelle aucun auteur ne se peut vanterd'échapper, comme il n'en est aucun qui puisseavoir l'impertinente prétention d'en être cru surparole.Cette méthode prudente et sévère de citationsmultipliées, éten<strong>du</strong>es, textuelles, met l'écrivain àl'abri d'une autre tentation non moins dangereuse,la tentation de la paresse; elle l'oblige, quoiqu'ilen ait, à recourir toujours lui-même aux sourcesdirectes, aux ouvrages originaux, à les contrôler, àles vérifier. Lorsqu'on n'est pas obligé de fournirsa preuve, de pro<strong>du</strong>ire ses autorités, on se contentesouvent soi-même à peu de frais; on cite de mémoire;on oublie, ou on ajoute, ou on change, nefût-ce qu'un mot au texte pro<strong>du</strong>it; on a recours àà des citations de seconde main, qui, elles-mêmesVU


VIII ' PRÉFACE.ont été peut-être déjà empruntées et altérées, et l'ontombe alors dans des erreurs de fait et d'interprétationqui se propagent et se succèdent parfois indéfiniment.Ajoutons qu'on se prive ainsi de cetteforce de conviction, de cette fraîcheur d'impression,de cette originalité de vues que le commerce directdes sources donne à la pensée comme à l'expression.Ce n'est pas tout : ces pièces , ces documents ,ces références, n'ont pas uniquement pour résultatutile de garantir la sincérité, l'exactitude del'écrivain, ils invitent, et pour ainsi dire obligentle lecteur à prendre une part plus activeau travail de l'auteur, et cette participation mêmeaugmente le profit qu'il peut tirer de sa peine.On ne sait jamais bien que les choses qu'ona refaites soi-même; on ne possède vraiment queles idées qu'on a repensées. Cela est vrai de la<strong>philosophie</strong>, comme l'a dit depuis longtemps Aristote,et cela est vrai de l'histoire de la <strong>philosophie</strong>.Cette histoire n'est jamais faite, elle est toujoursà refaire; chacun de ceux qui travaillent à éleverl'édifice ne peut et ne doit avoir qu'une ambition,qu'une espérance : c'est d'apporter quelques matériauxutiles à ceux qui, plus tard, demain peutêtre,reprendront son œuvre, afin de la compléter,de la corriger , de la contredire, quelquefoisde la détruire. Que de fois il m'est arrivé, en li-


PREFACE.sant soit l'Histoire de la littérature grecque, ou l'Histoirede la littérature romaine, de Bernhardy, soitl'Histoire de la <strong>philosophie</strong> grecque, de Brandis oude Zeller, de me fonder sur les textes mêmes, siéten<strong>du</strong>s et si abondants pro<strong>du</strong>its par eux, sur cesextraits multipliés des sources, réunis avec tant desoin et de conscience, pour contredire l'opinionqu'ils en avaient tirée, et m'en former une toutepersonnelle.Oui, ces documents originaux, s'ils sont choisisavec intelligence, s'ils sont suffisamment complets,s'ils sont éclairés dans leurs points obscurs parquelques notes critiques, excitent l'ardeur intellectuelle<strong>du</strong> lecteur, qui doit, comme l'auteur luimême,se défier de sa paresse, et, en même temps,lui mettent entre les mains des moyens faciles decontrôler les assertions, les interprétations dé l'écrivainet de les rectifier si elles lui semblent malfondées.Je suis convaincu qu'en fait d'histoire, et surtoutd'histoire philosophique, c'est la seule méthodesûre et féconde, car elle provoque et aide àla fois les travaux postérieurs, et on peut dire, aumoins pour les écrivains de second ordre, que lescitations faites avec soin, avec mesure, avec intelligence, sont la partie la meilleure et la plus <strong>du</strong>rablede leur œuvre.On dira sans doute qu'il est bien ennuyeux derompre ainsi à chaque instant le courant des idéesIX


XPRÉFACE.d'un livre pour -se reporter aux notes. Ennuyeux !que veut-on dire par là? Que ce n'est pas amusant?Mais qui a jamais étudié l'histoire de la <strong>philosophie</strong>pour s'amuser, ou cru qu'on pouvait l'étudieren s'amusant? L'opinion publique sembledisposée aujourd'hui à reconnaître, et pour moi ily a longtemps que je suis convaincu, que l'heureest arrivée où il faut que la France sache s'ennuyer,ait le courage de s'ennuyer. Elle s'est amuséeassez longtemps, et quoi qu'on en ait dit cyniquement,cela a <strong>du</strong>ré trop longtemps. Il est tempsde renoncer à cette littérature frivole, qu'on ditlégère parce qu'elle est vide, et dont les procédésgagnaient peu à peu jusqu'aux genres les plus graves.Chaque forme de la littérature a son plaisirpropre : il n'y a pas d'art qui enseigne à appliquerà des sujets sérieux une méthode qui ne soitpas sérieuse. Habituons-nous donc à savoir et àvouloir supporter les premiers dégoûts <strong>du</strong> travailsérieux, de la pensée grave et méditative, de l'austèrediscipline de la science; au fond, ce n'estqu'une manière et non pas la moins belle de supporterle noble et sublime ennui de la vie.Et d'ailleurs, est-ce donc là un ennui ? On connaîtla belle image de Lucrèce : il compare l'humanitéà un enfant malade, la science, la <strong>philosophie</strong>,à un breuvage amer qui doit guérirsa souffrance et sa langueur ; la poésie à unmiel délicieux qui, répan<strong>du</strong> sur les bords de la


PRÉFACE.coupe, trompera par sa douceur les répulsions instinctiveset les dégoûts sans courage <strong>du</strong> malade,et, lui en déguisant l'amertume, l'aidera à boirela liqueur destinée à lui rendre la force, la santé,la vie.« Nam veluti pueris absinthia tetra medentesQuum dare conantur, prius oras pocula circumContingunt mellis <strong>du</strong>lci flavoque liquore,Ut puerorum œtas improvida ludificeturLabrorum tenus ; interea perpotet amarumAbsinthi laticem, deceptaque non capiatur,Sed potius, tali facto recreata, valescat. »Si le rôle de la poésie est de contenir, d'envelopper,sous des formes charmantes, des leçonssalutaires, ce n'est point ainsi que je me représenteraisla science, mais plutôt je renverseraisl'image. 11 faut le dire : la coupe qu'elle présenteà l'homme aies bords en<strong>du</strong>its d'un fiel amer; maiss'il a le courage de vaincre les premiers dégoûts,les premiers ennuis, il trouvera au fond <strong>du</strong> vase,non-seulement un breuvage fortifiant et salutaire,mais un miel pur, une liqueur divine qui lui feragoûter une douceur qu'il ignore. L'activité est leseul vrai plaisir de l'esprit. Le plaisir est la fleurde l'acte. Tout genre d'écrits qui stimule l'activitéintellectuelle contient une source de plaisirsvrais et <strong>du</strong>rables; toute méthode qui diminue lapart de l'activité, qui ré<strong>du</strong>it le lecteur à un rôlepurement passif, aboutit bientôt à ne lui inspirerXI


XIIPREFACE.que la langueur et la paresse, causes certainesd'un incurable et véritable ennui.Après avoir cherché à excuser la forme quej'ai donnée à cette étude d'histoire philosophique,il me reste à dire dans quel esprit je l'ai exécutée,et comment je conçois en général l'esprit de l'histoirede la <strong>philosophie</strong>.On sait que Hegel a sur ce point des théoriesqui dépendent de son système général, et qui méritent,sinon d'être approuvées, <strong>du</strong> moins d'êtreconnues; on peut les résumer comme il suit 1 :Il n'y a d'histoire que de ce qui est passé, etpar conséquent de ce qui passe; mais les faitsque doit raconter l'histoire de la <strong>philosophie</strong>, etmême au fond les' faits que racontent toutes leshistoires, sont des pensées. Les diverses philososophiesne sont autre chose que des pro<strong>du</strong>ctionsde pensées, de systèmes de pensées. Or toute pro<strong>du</strong>ctionsuppose un pro<strong>du</strong>it antérieur que l'espritd'une génération reçoit de la génération qui l'aprécédée, mais qu'il transforme, s'assimile, renouvelleet féconde, avant de la transmettre à lagénération suivante, qui agira de même à sontour. C'est donc une erreur, '— si cette notion <strong>du</strong>pro<strong>du</strong>it est vraie, — c'est donc une erreur de sereprésenter les systèmes de pensées, et les philo-1. Voir Hegel's Werke, XIII" Band, 1" Theil. Vorlesung.ùber d. Gesch. d. Philosophie. Einleilung. P. 7-134.


PREFACE.XIIIsophies que nous rencontrons dans l'histoire,comme des choses passées et mortes.Rien ne passe, rien ne périt, rien ne meurt,et à plus forte raison la Pensée; la Pensée vraie,la Vérité, est l'être véritable, l'être en soi etpour soi, et, par conséquent, elle est éternelle.Tout se transforme et se renouvelle; mais dansce renouvellement, qui constitue sa vie, l'espritne se sépare pas et ne peut pas se séparer de luimême;il reste ce qu'il était; il demeure identiqueà lui-même; son développement ne détruitpas, mais achève, réalise, et par conséquentconserve sa substance, sa nature, son essence,qu'on retrouve à cnaque phase, à chaque moment<strong>du</strong> rhythme nécessaire qui en règle lemouvement. Le passé est présent; ce qu'on croyaitmort est vivant ; bien plus, il est éternel.La pensée, la vérité n'a donc pas, à proprementparler, d'histoire ; elle ne peut être l'objet qued'une s.cience, parce que la science a pour objetl'universel et le nécessaire. L'histoire de la <strong>philosophie</strong>n'est, au fond, que la science de la <strong>philosophie</strong>,c'est-à-dire la <strong>philosophie</strong> elle-même, quise confond ainsi avec son histoire. Quel est le but,l'objet, la fin de cette science? On ne sait une choseque lorsqu'on l'a faite et pour ainsi dire créée; onne comprend un système, une pensée, que lorsqu'onse les est assimilés. Or l'assimilation d'unepensée par la pensée, c'est la pensée même,'et la


XIVPREFACE.pensée est essentiellement activité, création. La<strong>philosophie</strong> est la pensée repensée, et pour ainsidire recréée. Mais cette pensée, qui est la seuleexistence réelle et concrète, se développe; sa nature,son essence est de se développer, et de se développersuivant son essence et sa nature, c'est-àdiresuivant les lois immuables, universelles etnécessaires qui sont constitutives de l'esprit. LaPhilosophie est le système des développements nécessairesde l'Idée, et la connaissance <strong>du</strong> systèmede ces développements.On peut donc, et on doit construire à priori la<strong>philosophie</strong> en la dé<strong>du</strong>isant de sa notion, la considérercomme un tout organique et vivant, dontchaque système particulier, dans ce qu'il a de vraiet d'essentiel, est un degré, une phase, un moment<strong>du</strong> développement total. L'histoire de la <strong>philosophie</strong>ne peut être que le système des dévelop-'pements nécessaires de la <strong>philosophie</strong>, le résultatet la totalité, le lien et l'unité de ces moments isolés,le développement logique entier des déterminationssuccessives et partielles de l'idée. Ce n'est qu'enenvisageant <strong>du</strong> haut de ce point de vue cette histoire,qu'on pourra faire à chaque théorie justice,lui donner sa place, comprendre sa signification,sa valeur, son rôle; car chacune a été un degrépréparatoire, un moment passager mais nécessaire<strong>du</strong> système entier. On ne peut, en effet, appréciersainement, ni même comprendre une doctrine qui


XXPRÉFACE.quelle utilité peut-il y avoir à faire passer sousnos yeux cette longue suite de théories qui se sontdétruites l'une l'autre et qui avaient eu la prétentiond'expliquer le monde de la nature et le mondede i'esprit, de nous faire comprendre leur rapport,de pénétrer dans l'essence des choses et dans l'essencede Dieu, de nous donner enfin l'inappréciabletrésor d'une science fondée sur la raison et laconnaissance de la raison? Quel intérêt, <strong>du</strong> moinsquel intérêt scientifique pouvons-nous retirer <strong>du</strong>tableau de si longs, de si énergiques efforts dontl'histoire ne vient attester que la fragilité et l'impuissance?Ne devons-nous remporter de ce spectacleque les impressions de pitié et presque deterreur qu'on emporte d'une représentation théâtrale?C'est en effet comme un drame vraimenttragique dont les héros, les philosophes, sont frappéspar la loi inexorable <strong>du</strong> Destin, malgré leursefforts sublimes et leur résistance courageuse, pouravoir méconnu l'incurable faiblesse de l'esprit humain,et voulu tenter l'impossible. On ne peut pasnier ce qu'il y a d'émouvant, d'attachant, de pathétiquedans cette tragédie douloureuse et sublimede l'esprit cherchant à escalader le ciel etretombant toujours impuissant sur la terre. Maisje ne crois pas que ce soit là le seul, ni même levéritable intérêt de l'histoire de la <strong>philosophie</strong>,dont l'utilité pratique se ré<strong>du</strong>irait alors à n'êtrequ'une leçon de modestie donnée à l'homme par les


PRÉFACE.XXIchoses, et qui n'apprendrait à la raison humainequ'à se mesurer à sa vraie mesure, qui est petite.Aristote, qu'il faut consulter toujours et qu'onne consulte jamais en vain, nous a dit comment ilcomprenait l'utilité de l'histoire des systèmes, etil nous <strong>mont</strong>re par sa pratique, quel usage on enpeut faire.On sait que c'est son habitude presque constantede mêler au développement de ses idées personnelles,une exposition à la fois historique etcritique <strong>du</strong> sujet qu'il va traiter. Il semble convaincuque l'esprit humain, con<strong>du</strong>it et soutenupar la force des choses, ne se consume pas, encherchant la vérité, dans un travail absolumentstérile et vain, que le but qu'il poursuit sans jamaisse lasser ni se décourager, ne lui échappepas toujours, ni partout, ni tout entier, et enfinque l'examen attentif et consciencieux <strong>du</strong> dépôtdes connaissances acquises et des efforts accomplisfournit des points d'appui solides, d'où chaquepenseur doit partir, pour s'élever à un degrésupérieur de certitude et de précision.C'est pour cela que dans presque tous ses ouvrages,non content d'énumérer les points douteuxet particulièrement difficiles de sa matière, et lasérie détaillée des questions dans lesquelles elle sadivise, il consulte sur chacun de ces points cequ'en ont pensé les philosophes antérieurs.Ce n'est pas de sa part une pratique instinctive,


XXIIPRÉFACE.c'est une méthode raisonnée, réfléchie, systématique: « Dans l'intérêt de la science que nous cherchonsà fonder, dit-il', il faut que nous commencionspar établir les doutes, les difficultés, lesquestions que nous devrons rencontrer; ce sontd'abord les opinions contraires à la nôtre, qu'onteues sur le même sujet d'autres philosophes; ensecond lieu, les points qu'ils ont omis. Celui quiveut s'affranchir de ces doutes, qui pèsent commedes chaînes sur l'intelligence, et ne lui permettentpas plus d'arriver à la vérité, qu'il n'est permisà un homme dont les pieds sont attachés,d'aller là où il se propose, celui-là est tenu deprendre ces informations nécessaires. » Pour bienjuger, il faut entendre les raisons contraires,comme on doit entendre dans un procès les argumentsdes parties adverses ; car, ainsi qu'il le ditexcellemment dans un de ses plus beaux ouvrages,dont on a, bien à tort, voulu lui ravir l'honneur :« Nos théories n'en auront que plus de poids, siavant tout, nous appelons au débat les opinionsdifférentes pour y faire valoir leurs prétentions :de la sorte nous n'aurons pas l'air de condamnerdes absents. Il faut que ceux qui veulent juger dela vérité se posent, non en adversaires, mais enarbitres*. »1. Met., III, 1,995, a. 26.2. De Cœl., i, 10, 279, b. 7. Voir encore Phys.,vr } 10,eti, p. 208, a. 34. Anal. Port., u, 3, 90. A. 37.


PRÉFACE.XXIIIOn voit donc se dessiner le caractère particulierde ces expositions historiques : elles n'ont pas pourbut de dérouler le spectacle varié et confus, intéressantet dramatique, mais triste au fond, desopinions et des erreurs humaines; elles servent ànous <strong>mont</strong>rer de .combien de questions partiellesse compose le problème entier qui nous sollicite;comment, par qui ces questions ont été posées,ou, ce qui revient au même, par qui ont été vues etdécouvertes les faces multiples et diverses d'unmême sujet; de plus elles nous <strong>mont</strong>rent commentles questions se lient, se multiplient, se complètent,s'éclairent, se grossissent pour ainsi dire entout sens, en hauteur comme en profondeur, lesunes les autres; nous assistons à la générationhistorique des problèmes de la science; nous suivonsle cours et le développement progressifs dela <strong>philosophie</strong> dans le temps '.On se convainc par cette étude que l'indivi<strong>du</strong>,quelque puissant que soit son génie, a besoin de1. Dans la Métaphysique (III. b. 1. Init.) Aristote énumèreainsi l'objet de la partie historique de son ouvrage.Elle nous fait :1" bien connaître et concevoir dans son tout le problème2° éviter les erreurs commises , en en voyant la natureet l'origine ;3° profiter des vérités découvertes et dé<strong>mont</strong>rées.Gonf. Met., xm, i. 1076. a. 12; n (a) 993. b. 12. deCal., i, 10. 279. b. 5-12. de Anim., i. 2. S 1-


XXIVPREFACE.s'appuyer sur tout le monde, que le présent a sesracines, c'est-à-dire son point d'appui et son principede vie dans le passé; que les efforts scientifiquesforment une suite et un développementpeut-être quelquefois interrompus, mais plutôt enapparence qu'en réalité; enfin l'histoire de la <strong>philosophie</strong>rend encore au philosophe un servicequ'il ne peut espérer que d'elle, et qu'Aristote aparfaitement reconnu et fait connaître.En effet, c'est en vain que le philosophe veut seposer en juge impartial et en arbitre équitable. Ilest lui-même et nécessairement partie au procèsqu'il juge, et l'opinion particulière qu'il a adoptéesur ces problèmes ne peut manquer de le rendresourd et aveugle à beaucoup d'objections et de raisonsde ses adversaires ; il ne peut plus ni lesécouter ni les entendre.« Nous avons tous, dit Aristote, l'habitude dene pas porter l'investigation sur la chose en question,mais de nous élever contre celui qui soutientla thèse contraire. En effet le philosophe continueses recherches personnelles et directes jusqu'aumoment où il ne trouve plus dans son propre espritd'objections à se faire à lui-même, aura; èvaÛTÛ (iéjrpiTCep'av ou (ATDC^TI êjnj âvriA^yeiv aùvoç aûrw.Mais il faut aller plus loin : il faut connaître toutesles objections qui naissent <strong>du</strong> sujet lui-même, sil'on veut en faire une étude sérieuse et complète :or quand on a épuisé les objections que nous trou-


PREFACE.XXVvons de nous-même en nous-même, il est utile dediriger nos regards et notre attention sur les opinionscontraires, sur les manières de concevoir lesujet opposées à la nôtre : car elles nous présenterontdes considérations qui, de notre point de vue,ne se seraient pas présentées toutes seules '. »Aristote conçoit donc l'histoire de la <strong>philosophie</strong>comme un contradicteur sévère, inexorable, quinous force de parcourir tous les aspects d'unequestion, dont plusieurs auraient échappé certainementà notre perspicacité et à notre réflexionpersonnelles, et qui en outre nous fournit l'occasion,tout en détruisant la thèse qui nous est contraire,et précisément pour la détruire, de creuser,d'approfondir, de consolider, de compléter, et enun mot, comme dit Leibnitz, d'édifier la nôtre.Seulement il faut observer qu'Aristote donnetrop exclusivement un caractère polémique à sesexpositions historiques : cette attitude de combatne peut manquer d'avoir des inconvénients. Enayant toujours dans l'histoire, son propre systèmepour objectif, Aristote sans doute éclaire sa marcheet oriente pour ainsi dire la con<strong>du</strong>ite de sapensée : mais il est entraîné aussi à une certaineinfidélité dans la repro<strong>du</strong>ction de théories qu'iln'expose que pour les réfuter, et qu'il réfuted'autant plus facilement qu'il les présente sous un1. De Cœl., H, 13, 294. b. 7.


XXVIPRÉFACE.Ijour moins raisonnable, en exagérant leurs défautset en dissimulant ou quelquefois en dénaturantcertaines de leurs propositions*.Il me semble qu'en envisageant l'histoire de la<strong>philosophie</strong> comme l'a fait Aristote, mais en latraitant pour elle-même et comme un genre à part,et en mettant de côté, non pas toute opinion philosophique,mais le parti pris de faire servirl'histoire à la démonstration d'une doctrine particulière,on peut en tirer, tous les avantages qu'il ysignale, sans tomber dans les défauts qu'on lui reproche.Ainsi l'histoire de la <strong>philosophie</strong> donne à celuiqui l'étudié un ensemble d'idées et ouvre des aperçusplus ou moins vastes et profonds sur chaquequestion de la science, connaissances que nousn'aurions pas pu tirer de notre propre fonds ; ellesert de complément, de correctif, de soutien à laspéculation; nous garde des erreurs déjà commises,en nous <strong>mont</strong>rant leurs origines et leurs conséquences;elle repétrit pour ainsi dire les maté-1. Les critiques l'ont tous remarqué ; je n'en veux citerqu'un seul : Bonitz ad Met. Comment., p. 66. « Nec nosfallere débet quod Aristoteles, quum rescissa suo ex or<strong>du</strong>reet contextu veterum philosophorum placita, in alienumimpingit, et suum in usum convertit, inter<strong>du</strong>m a veritatealiquantum deflectit.... » Id., p. 79. « Aristotelesvero, qua est in judicandis aliorum philosophorum placitislevitate. »


PRÉFACE.XXVIIriaux fournis par la tradition, les éclaire d'un journouveau en les interprétant les uns par les autres;elle ramène sous nos yeux des questions que lescontemporains oublient ou négligent, et dont l'omissioncompromet la vue d'ensemble de la <strong>philosophie</strong>,et ne permet pas de s'en faire une notioncomplète et vraie; elle aiguise, affermit, étend,fortifie le sens et l'esprit philosophiques, en obligeantl'intelligence de pénétrer au cœur de toutesles idées et au fond de tous les systèmes; enfinelle nous <strong>mont</strong>re comment ces systèmes naissent,s'enchaînent, s'engendrent, s'enveloppent et sedéveloppent les uns les autres.Sans doute pour assister à cette génération,pour saisir cet enchaînement, pour suivre le coursde ce développement de la <strong>philosophie</strong> il fautavoir au préalable une notion de la <strong>philosophie</strong>.Mais cette notion, il n'est pas nécessaire, et iln'est pas possible que .nous la possédions complète,parfaite, absolue. Nous savons ce que c'estque la <strong>philosophie</strong>, et nous ne le savons pas : nousen avons un pressentiment puissant mais vague;c'est comme une lueur incertaine et inquiète, maispourtant une lumière, à l'aide de laquelle nousmarchons dans la spéculation et dans l'histoire,éclairés à la fois par son éclat, et trompés par sesombres. Cette histoire elle-même, qui nous faitrepasser sur la trace des philosophes antérieurs etrepenser leurs pensées, nous aide à mieux voir ce


XXVIIIPREFACE.qu'est la <strong>philosophie</strong>, en voyant ce qu'elle a été;car si le présent nous aide à comprendre le passé,le passé nous aide à son tour à mieux comprendrele présent. Elle nous fait pressentir plus nettementce qu'elle doit être, et donne une forme plusprécise et plus pleine à cet idéal qui flotte devantnos yeux et qui nous inspire tour à tour un désespoiréternel et l'éternel espoir de l'atteindre.C'est dans cet esprit qu'a été conçue cette Histoirede la <strong>philosophie</strong> Pythagoricienne, et si l'exécutionn'a pas trahi l'intention qui l'a inspirée, cesont là les résultats qu'on en peut attendre.Poitiers, 16 mars 1873.


PYTHAGOREET LAPHILOSOPHIE PYTHAGORICIENNEPREMIÈRE PARTIECHAPITRE PREMIERCARACTÈRE GÉNÉRAL DE LA DOCTRINE DE PYTHAGORELe trait le plus frappant et le plus admirable de lalittérature grecque, c'est son unité. Les genres diversj sont non-seulement liés enlr'eux, mais ils sont tousliés à la réalité et à la vie. La poésie dramatique naît dela poésie mélique, dont, au fond, elle ne diffère, quecomme le groupe diffère de la statue : celle-ci, de soncôté, pourrait bien n'être que le développement musical,ou le prélude lyrique de l'épopée, et l'on comprendque les Grecs aient pu comparer Homère an fleuve Océan :ils se le représentent comme la source unique d'où coulenttoutes les formes de leur poésie et de leur littérature,soutenant que les genres même de la prosei


2 CARACTÈRE GENERALont, dans ses poèmes, leur origine et leur modèle.L'histoire, telle que l'a connue et exécutée Hérodote, suit.évidemment les traces de l'épopée homérique; on nommaitHomère le père de l'éloquence et de la rhétorique :c'est à lui que les sophistes ramenaient l'origine de leurart dégradé, et Philostrate, jouant sur le sens primitif <strong>du</strong>mot, désormais déshonoré, appelle le grand poète la voixdes sophistes,


DE LA DOCTRINE DE PYTHAGORE. 3Pythagore lui-même, qui donne à la <strong>philosophie</strong>,jusque-là mal définie, le nom qu'elle porte encore aujourd'hui1 , Pythagore n'a pas pu secouer le charme,et le caractère poétique de sa doctrine reste certainet évident, malgré l'antipathie qu'on lui prête contrela poésie et les poètes.L'historien Hiéronyme de Rhodes racontait, dans sesMémoires philosophiques et littéraires*, qu'étant descen<strong>du</strong>dans les enfers, Pythagore y avait vu l'âmed'Hésiode enchaînée à une colonne d'airain, et poussantdes hurlements de douleur, tandis que celle d'Homèreétait suspen<strong>du</strong>e à un arbre et entourée de serpents, enpunition des mensonges sacrilèges qu'ils avaient tousdeux proférés contre les dieux. Cette position hostileprise par la <strong>philosophie</strong> naissante contre la poésieest sans doute une réaction contre l'empire de lafiction mythique sur les âmes, et la protestation d'uneautre forme de la pensée qui réclame une vie indépendante;mais elle atteste en même temps la force<strong>du</strong> lien qui les avait unies et presque confon<strong>du</strong>es.La langue des vers a été longtemps la seule langue queles Grecs aient consenti à parler et à entendre, quand ils'agissait des grandes choses qui intéressent le cœur etla raison de l'homme, la patrie, la gloire, la vertu, lavérité, la vie, le monde, l'âme, Dieu : pour élever l'expressionà la hauteur de ces objets divins, il fallait unelangue divine. Le vers a été longtemps pour la Grècece qu'a été pour l'Orient l'écriture, considérée comme1. Diog. L., Proam., 12. Cic, Tusc, V, 3. .3. Diog.L., VII, 21. Cités sous le titre d'imonvruiata loropixâ, parAthén., 557, c. 604, d.


« CARACTERE GENERALun art sacré, une forme vénérable de ce qu'il y a deplus vénérable et de plus noble dans la pensée. Le versa été comme le vase mystique où l'on conservait en l'exprimantla pensée religieuse confon<strong>du</strong>e avec la poésie.Aussi les premiers pbilosophes grecs sont des poètes*,la première <strong>philosophie</strong> n'est même qu'une poésie,c'est-à-dire un pressentiment inquiet et obscur, maissouvent profond de la vérité. Ce caractère de la <strong>philosophie</strong>,qui cherche son terrain, sa langue propre,et ne les a pas encore trouvés, n'a pas échappé auregard perspicace et pénétrant d'Aristote, qui le signalejusque dans Platon où il ne veut voir, à tortselon moi, que vaines images et poétiques métaphores.Il est impossible <strong>du</strong> moins de le méconnaître et dans laforme et dans le fond de la <strong>philosophie</strong> <strong>pythagoricienne</strong>,et la tradition semble l'avoir voulu marquer en donnantà son fondateur pour maîtres à la fois Phérécyde, peut-1. Aristote les cite lui-même en témuignage, et les appelle des théologiens{Met., 1,3 ctsuiv.). Tout en critiquant leur manière de concevoiret d'exprimer les principes des choses sous la forme de substancesdivines, il discute leur opinion {Met., III, 4). Il oppose les théologienset les physiciens, sinon comme deux Écoles, <strong>du</strong> moins comme deuxtendances contraires de la <strong>philosophie</strong> (Afet., XII, 10). Plutarque (Deanitn. gen., 33) exprime encore plus nettement cette môme pensée :« Les anciens théologiens sont, dit-il, les plus ancieus philosophes. •Mais qui sont ces anciens théologiens? Les poètes (De defecl. orac,48) : il u.iv ffyoîpa ita)»ioi éciXoyixoi 7ioir,rai. Platon [Tlicwt., 791, c.)émet l'opinion que l'hypothèse d'Heraclite se trouve déjà dans Homère.Non-seulement les philosophes, mais les législateurs, sont despoêles. Tous ceux qui entreprennent de gouverner les villes, ou d'yrétahlir ia concorde et la paix, usent de ce grand moyen de dominerles Ames. Epiménide, le poniife inspiré, le prophète doué <strong>du</strong> don desmiracles. Lmpédocle, Thalétas, Terpandre sont des poètes : l'empirede la poésie est aussi <strong>du</strong>rable, aussi profond qu'il est universel dans laGrèce.


DE LA DOCTRINE DE PYTHAGORE. 5être le premier prosaleur grec, et Hennodamas ou Léo.damas, descendants de Créophyle , l'Homéride deSamos*. Aussi savait-il si bien par cœur le vieux poèteIonien, qu'il chantait ses vers en s'accompagnant de lalyre, et s'était si profondément pénétré de certainesparties <strong>du</strong> poëme, que dans ses rêves de métempsycose,il prenait le rôle d'Euphorbe, filsde Panthoùs, vainqueurde Patrocle et tué par Ménélas*. L'auteur, quel qu'ilsoit, de l'ouvrage Sur la vie et la poésie d'Homère*, vabien plus loin et bien trop loin. Suivant lui, c'est àHomère que Pythagore avait emprunté le dogme del'immortalité de l'âme, la théorie de ses migrations successives,la doctrine des nombres, où l'unité est le principe<strong>du</strong> bien et la dyade le principe <strong>du</strong> mal, enfin lascience delà musique, et l'art de l'employer à des influencesmorales et religieuses '. De tout temps aussi, hl'imitation de leur maîire, les pythagoriciens n'ont pashésité à se servir des vers <strong>du</strong> poète pour moraliser lesâmes, et à recommander de purifier le corps parla médecine,l'âme par la musique. La musique s'unit à lapoésie dans le chant, et le chant, pour les pythagoriciens,est un des plus parfaits moyens de purification etd'é<strong>du</strong>cation', une des formes les plus pures de l'expositiondes idées morales 6 : car la musique, suivant eux,1. Iambl., VU. Pyth.; 2. Porphyr., VU. Pyth., l.Suid., v. Apul.,Ftortd.,11, 15.2. Iambl.. V. P., 63. Porph., Y.P., 26.3. Mis ordinairement sous le nom de Plutarque.4. De vit. etpoes. Hom., c. 122, 125, 145, 147.5. Iambl., F. P., 164. Diog., 1. VIII, 24 : tySi'n x?^ai *P*< *vp«v.Cramer,Aneedot. Paris.,], p. 217. Fragm. Aristox , 24. Mûller, Hist.Grxc.,%. H, p. 280.6. Cic, Tuscul., IV, 2 : « Nam quum carminibus soliti illi esse di-


6 CARACTERE GENERALfait pénétrer dans l'âme et dans le corps, sa douceur,son harmonie, ses rhythmcs, c'est-à-dire la santé et lavertu*.Enfin les Vers cYOr, qui ne sont pas de Pyihagore,mais appartiennent certainement à son école, sont untémoignage immédiat et une preuve authentique <strong>du</strong> caractèrepoétique que conserva toujours la <strong>philosophie</strong><strong>pythagoricienne</strong>, et qui se manifeste dans le fond de sesdoctrines comme dans la forme où elles se sont développées.Mais la <strong>philosophie</strong> grecque, à cette période de l'histoire,est unie non-seulement à l'art, à la poésie, parconséquent à la religion, elle est liée encore à la réalitéet à la vie pratique. Pour un Grec, la vie humaine estessentiellement une vie sociale : en dehors d'une sociétéorganisée, régie par des lois, c'est-à-dire par desmaximes rationnelles impératives, c'est-à-dire encore,en dehors de la politique, il n'y a plus de place pourune société humaine, plus de place pour l'homme, etencore moins pour une étude et une science qui touchel'homme de si près. Toute conception des choses se lieà une conception sur l'homme, et celle-ci à une conceptionsur l'homme en société, ou à une conceptionpolitique; et comme la théorie, sous ce rapport commecantur et praecepta quaedam occullius tradere, et mentes suas a cogitationumintentione, cantu fidibusque ad tranquillitatem tra<strong>du</strong>cere.. .quod propnum ejus fuit, de qua loquor, disciplina?. • Conf. Quintil.,IX, 4, 12.I. Martianus Capella, IX. « Membrisquoque latentes interserere numérosnon contempsi. Hoc etiam Aristoienus Pythagorasque testantur.« Porphyr., F. P., 30 : xatexViXei xal fu8uoî; ra! \Wi.tii. xai inqiSaïçTa qVuyixà Ttdtàri xai Ta GwuaTtxâ.


DE LA DOCTRINE DE PYTHAGORE. 7sous tous les autres, ne se laisse pas séparer de la pratique,que la maxime des Grecs * était au contraire deréunir toujours ces deux éléments qui se complètent, selimitent, se corrigent l'un l'autre, nous ne devons pasnous étonner de voir se mêler et presque se confondreune tentative de réforme religieuse, politique, morale,avec le premier essai d'un système spéculatif et d'unedoctrine vraiment scientifique qui se soit pro<strong>du</strong>it chezles Grecs *.La <strong>philosophie</strong> <strong>pythagoricienne</strong> se présente doncà nousavec des caractères multiples et divers qu'il est aussinécessaire que difficile de saisir tous dans leur principeet dans leur unité : elle est poétique par sa forme et sesprocédés d'exposition, religieuse et politique par sonbut, au moins par son but prochain, mais rationnelle,spéculative et scientifique par son principe et ses résultats.Il me semble, et c'est ce que j'essayerai de <strong>mont</strong>rerdans la suite de cette étude, que le trait caractéristiquede l'entreprise de Pythagore est celui-ci :Il a vu qu'une bonne constitution de la vie publiqueet privée, que la saine morale et la vraie politique reposentsur une doctrine religieuse ; et d'un autre côtéil était convaincu qu'une doctrine religieuse, pour n'êtrepas emportée avec le courant des superstitions vaineset des erreurs qu'elle charrie avec la vérité, doit s'appuyersur une conception rationnelle de l'homme, deschoses, de l'univers tout entier, c'est-à-dire sur une phi-1. Aéfeiv TI xai itpâmiv.2. Schleiermach., Einkit. d. Plat. Werke. I, p. 12. « Damais aberwar auch die Philosophie mit politischen Absichten und die Schulemit einer praktischen Verbrûderung verbunden. >.


8 CARACTÈRE GÉNÉRAL, ETC.losophie : vaste dessein, dont la moitié au moins n'aabouti qu'à une déception cruelle, et disons-le, méritée,mais qui n'en atteste pas moins l'originalité, laforce et l'éten<strong>du</strong>e <strong>du</strong> génie qui l'a conçu et osa essayerde le réaliser.Pour accomplir de pareils projets, et seulement pourles tenter, il faut non pas seulement des doctrines, deslivres, des discours : il faut un homme, une volonté, uncaractère dont l'ascendant personnel dépasse souvent,et de beaucoup, la valeur de ses conceptions et de sesidées. De là l'importance, la nécessité d'une biographiede Pythagore, qu'exigerait d'ailleurs à lui seul son rôlede réformateur politique. Avant d'exposer ce que noussavons, ou plutôt ce que nous pouvons conjecturer deses doctrines personnelles, nous devons donc raconterce que les traditions interprétées avec une sage critiquenous rapportent de sa personne et de sa vie.


CHAPITRE DEUXIEMEEXAMEN CRITIQUE DES SOURCES INDIRECTES'Il nous reste trois biographies spéciales de Pythagore.La plus ancienne est celle de Diogène de Lnërte ', quisemble avoir vécu à Athènes dans la fin <strong>du</strong> deuxièmesiècle après Jésus-Christ. Son ouvrage, divisé en dixlivres, et intitulé : Histoire philosophique, ou de la vie, desopinions et des maximes des philosophes illustres, n'estqu'une compilation sans ordre, sans critique et sansstyle; mais il est encore une source précieuse et considérable,parce que, outre son immense lecture, l'auteura le goût dé l'exactitude, et pro<strong>du</strong>it à chaque ligne,pour ainsi dire, les témoins qui autorisent soit les faitsqu'il raconte, soit les doctrines qu'il expose.Les auteurs qu'il pro<strong>du</strong>it dans la Vie de Pythagore, quiforme le premier chapitre et les cinquante premiersparagraphes <strong>du</strong> VIII' livre de son Histoire, sont aunombre de dix-neuf, et nous ne pouvons nous empê-1. Les sources directes seront l'objet <strong>du</strong> chapitre n de la secondepartie, intitulé : le» Écrits pythagoriciens.2. Laërte est une ville de Cilicie, dont on ne sait pas pourquoi il portele nom.


10 EXAMEN CRITIQUE DES SOURCES INDIRECTES.cher de considérer avec quelque respect les témoignagesde plusieurs d'entre eux, par exemple, ceux <strong>du</strong> physicienHeraclite, <strong>du</strong> philosophe Xénophane, presquecontemporains de Pythagore, d'Arislote, d'Aristoxène,de Dicéarque, dont il nous a conservé des fragmentsimportants, mais malheureusement peu nombreux etpeu éten<strong>du</strong>s.Les renseignements d'Heraclite et de Xénophane sebornent à quelques lignes, et ceux d'Aristote, <strong>du</strong> moinsen ce qui concerne la Vie de Pythagore, àpresque rien;des nombreux écrits qu'Aristote avait consacrés au pythagorismeet aux pythagoriciens, il ne nous reste queles titres que nous ferons plus loin connaître; les renseignementscontenus dans la Métaphysique, la Physiqueet ailleurs, ne nous apprennent rien sur Pythagorequ'il ne nomme, pour ainsi dire, jamais. Ceux d'Aristoxènede Tarentc sont heureusement un peu pluséten<strong>du</strong>s. Ce polygraphe célèbre, contemporain d'Alexandre,disciple d'Aristote, philosophe et musicien,était l'auteurd'un recueil des doctrines <strong>pythagoricienne</strong>s,itu8ayopixa\ «htoseiet.tc, et de biographies, entre autrescelles de Pythagore, d'Archytas et de Xénophile. Stobée,Jean Damascène et Suidas ont tort d'en faireun pythagoricien ; mais le titre de ses ouvrages et laprécision de ses informations spéciales sur cette école,dont il a vu les derniers représentants, prouvent qu'ilavait eu avec eux des relations personnelles et directes,et donnent quelques poids à ses assertions. Malheureusementil est séparé par plus de deux siècles des événementsqu'il atteste, ce qui laisse planer sur ses récilsencore bien des incertitudes. II tenait ses documents


EXAMEN CRITIQUE DES SOURCES INDIRECTES. 11de Spinthare, son père, contemporain de Socrate, deXénophile, le pythagoricien, son ami et son maître,qui d'après l'opinion, assurément fausse, d'Aulu-Gelle 'avait vécu presque dans le même temps que Pythagore,de quelques autres personnes âgées qu'Aulu-Gelle suppose aussi faussement avoir vécu à la mêmeépoque, et enfin de Phanton et d'Échécrate, contemporainsde Platon 1 . Les fragments qui concernent Pylhagoreet les pythagoriciens sont au nombre de vingtquatre,la plupart tirés de Diogène, de Porphyre, d'Iamblique*.Dicéarque de Messénie était lé contemporain et l'amid'Aristoxène, disciple comme lui d'Aristote, philosophecomme lui et de plus orateur, géomètre et grammairien.C'était un homme instruit, l'auteur favori d'Atticus,et un écrivain très-fécond comme on en peut encorejuger par le catalogue de ses ouvrages, où noustrouvons une biographie philosophique dont il nousreste sur Pylhagore quatre fragments conservés parPorphyre, Diogène, Aulu-Gelle et Phlégon. Lés élogesque lui donnent les anciens, qui l'appellent, les uns,1. IV, II.2. Conf. Mann, de Aristoxeno. Suid., v. 'ApiorôÇevoç,.3. On les trouve au deuxième volume des Fragm. Hist.Grxc, éditéspar M. Didot. M. Krische attribue encore à Aristoxène le récit d'Iamblique,§ 94-95. Or, Aristoxène n'est cité que § 233, et la phrase èx YIuv AptorôUvo;, etc., ne se rapporte qu'au fait suivant, comme leprouve la frn <strong>du</strong> récit, §237 : xal vaûra [ièv ô 'Apiototevo;. De même,au § 251, après avoir raconté l'exil des pythagoriciens, Iambliqueajoute: vaûra uèv ouv 'Apicr. Sniyelrai ; mais l'autorité <strong>du</strong> témoignaged'Aristoxène ne s'étend qu'à ce fait seul, comme le prouve la suite dela narration, qui présente, d'après Nicomachus, les faits d'une façondifférente. Iamblique cite encore Spinthare, au cb. xxxt, § 197, à proposd'une anecdote sur Archytas.


12 EXAMEN CRITIQUE DES SOURCES INDIRECTES.doctissimus, et ce mot a sa valeur dans la bouche deVarron', les autres, t


EXAMEN CRITIQUE DES SOURCES INDIRECTES. 13sycoses diverses de Pythagore racontées par lui-même'.Mais quel degré de confiance mérite son témoignage?Cicéron, sensible en véritable artiste, aux qualités <strong>du</strong>style, le célèbre comme un « vir doctus in primis '. »Mais il ne faudrait peut-être pas attacher à ce mot lasignification d'érudit, et surtout d'érudit crilique et sévère;car Cicéron lui-même l'accuse d'avoir rempli sesouvrages de fables puériles'. Plutarque, dans la Vie deCamille *, citant son récit de la prise de Rome, appeléepar lui une ville grecque, située sur la grande mer(l'Océan) et qu'aurait prise une armée d'Hyperboréens,le qualifie d'écrivain fabuleux et menteur : U.U8


14 EXAMEN CRITIQUE DES SOURCES INDIRECTES.plus d'autorité, et ont droit à plus de créance. Appartenantà l'école de grammaire et de critique fondéeà Pergame par Gratès de Malles, cet affranchi de Sylla<strong>du</strong>t son honorable surnom à une connaissance éten<strong>du</strong>ede toutes les parties de l'antiquité. De sa Succession desphilosophes, où il donnait une exposition de la doctrine<strong>pythagoricienne</strong>, qui n'est pas toujours exacte l , nousn'avons conservé, en ce qui concerne notre sujet, quedeux fragments dont l'un, très-long, est cité par Diogène';l'autre, court, est le résumé de l'opinion de quelques pythagoricienssur le mouvement et la position des corpscélestes et se trouve dans le commentaire de Chalcidiussur le Timée de Platon *. Il faut y joindre un courtextrait de son ouvrage Sur les symboles pythagoriciens,tiré de Clément d'Alexandrie ', lequel ne donnepas une haute idée de l'esprit critique qu'il apportedans l'histoire. C'est encore un témoin bien éloigné, etassez suspect'. Les faits attestés par les autres témoins'appelle : • Homo, et ad mentien<strong>du</strong>m paratissimus, et in odorandisfraudibus hebetissimus. •1. Il faut pourtant ajouter qu'il cite comme source de son expositionles Ouvrages pythagoriciens, n-jfiaynptxà , T«ou.vr,iiaTa, où il prétendavoir trouvé tout ce qu'il repro<strong>du</strong>it. Diogène, 1. VIII, 24, et VIII, 36,affirme que les renseignements d'Aristote étaient conformes à ceuxd'Alexandre.2. VIII, 22.3. Les deux sont réunis dans les Fragm- Uisl. Grxc, de Didof, t. III,p. 241.4. Clem. Al., Str., I,xv, p. 131.5. M. Zeller (die Phil. d. Griech., t. V, p. 74) croit que toute l'expositionde la doctrine <strong>pythagoricienne</strong> qu'on trouve dans Diogène esttirée d'Alexandre, et a rapport à la doctrine néo-<strong>pythagoricienne</strong>,c'est-à-dire à la renaissance <strong>du</strong> pytbagorisme au commencement <strong>du</strong>1" siècle avant J. C.


EXAMEN CRITIQUE DES SOURCES INDIRECTES. 15de Diogène, n'ont pas une assez grande importancepour exiger des recherches spéciales et critiques surleurs auteurs.Porphyre, né à Tyr en 233 après Jésus-Christ, mort àRome en 303, est l'auteur de la seconde biographie dePythagore : élève de Longin à Athènes, de Plotin àRome, il ne s'était pas renfermé dans la <strong>philosophie</strong>pure, et il avait appliqué son esprit, avide de savoir etde clarté, à la grammaire, à la rhétorique, à la géométrie,et à l'histoire. De ses nombreux ouvrages la plupartet les plus considérables sont per<strong>du</strong>s : parmi ceuxdont il nous est resté des fragments se trouvait une histoirede la <strong>philosophie</strong> en cinq livres, dont le premierrenfermait la vie de Pythagore qui nous est parvenuepresque complète '. D'après une citation d'Eusèbe ', cet1. Ce sont Ion de Chio (voyez sur cet auteur, ma Vie de Sacralep. 8); Aristippe de Cyrène (voy. ma Vie de Platon, p. 540); Timée deTauroménium (voy. Fragm. H. Grave, p. 211; Bayle, vol. IX, p. 576),historien peu digne de confiance; Aristophon, poète de la Comédiemoyenne, auteur <strong>du</strong> IluéayopCoir]; {Fragm. Com. Grasc, vol. I, p. 410);Cratinus, auteur des Tapavxivoi et de la nv6orropC(ou


16 EXAMEN CRITIQUE DES SOURCES INDIRECTES.ouvrage visait à une-sévère exactitude chronologique, etmériterait une grande confiance, s'il fallait y étendre, —el ce ne serait que justice, — le jugement que le docteet judicieux M. Le trou ne portait sur un ouvrage spécialde chronologie, comprenant au moins douze livres, etqui était dû à sa plume. « Le fragment de cet auteur, ditdit M. Letronne ', que nous a conservé Eusèbe, donne,comme on sait, de la dynastie des Lagides, un tableauchronologique d'une exactitude qui n'a été bien reconnueet sentie que depuis la découverte de certains papyrusgrecs-égyptiens. Tous les détails de ce fragment...concordent merveilleusement avec les dates de ces papyrus;et l'on ne peut douter que l'auteur de ce tableaun'ait eu sous les yeux, en les composant, une suite dedocuments originaux et contemporains. >Nous n'avons pas malheureusement la môme certitudeen ce qui concerne la Vie de Pylhagore, et ne pouvonsguère croire que Porphyre l'ait composée sur « unesuite de documents originaux et contemporains. » Néanmoins,il est évident qu'un historien qui a donné, surun point quelconque de ses travaux, de pareilles preuvesd'exactitude, de sincérité, de critique, mérite unelarge mesure de confiance qu'on ne saurait sans injusticelui refuser. D'ailleurs, si les auteurs sur lesquelsil s'appuie ne sont pas contemporains des faits, <strong>du</strong>moins il les emprunte à des sources anciennes, tellesque Aristoxène et Dioéarque : cependant quelques-unsd'entre eux, entre autres Diogène qui avait écrit unlivre Sur les faits merveilleux, Nicomaque de Gérase1. Imcript. de l'Egypte, p. 72.


EXAMEN CRITIQUE DES SOURCES INDIRECTES. 17Modératus de Gadès, Apollonius de Tyane, sont à la foisdes témoins bien récents par rapport à la date des événements, et bien suspects si l'on considère le caractèremerveilleux de plusieurs de leurs récits.Apollonius de Tyane qui vivait à l'époque de Vespasienet de Domitien, dans le dernier tiers <strong>du</strong> premiersiècle de l'ère chrétienne, et qui avait, à la <strong>philosophie</strong><strong>pythagoricienne</strong>, mêlé beaucoup d'idées néo-platoniqueset la pratique de la magie orientale, était l'auteur d'uneVie de Pythagore dont se sont servis Porphyre et Iamblique,et que cite Suidas. Le caractère de cet écrivain,amoureux <strong>du</strong> merveilleux, enivré des visions théurgiques,aussi bien que le tour particulier de ses récils incroyables,doit nous tenir en garde contre ses assertions ;il est pourtant,quelques parties de sa narration pourlesquelles M. Rriscbe réclame plus de confiance et auxquellesil accorde même une vraie autorité. Après avoirraconté, d'après Apollonius, et contrairement à la traditionsuivie par Aristoxèrie et Nicomaque, la ruine et ladispersion des confréries <strong>pythagoricienne</strong>s de la GrandeGrèce, Iamblique ajoute un détail singulier sur la tentativede réconciliation faite par des arbitres choisis dansles cités voisines : il affirme que ces arbitres se laissèrentgagner par les adversaires des pythagoriciens, et,pour prononcer contre eux, reçurent de l'argent : « cefait est attesté, dit Iamblique ', dans les registres desactes publics des Crotoniates, èv TOîC. tûv Kporoviâriov &ito-|wi*!iaai àwjéYpaTrrai ; M. Krischc voudrait en conclure1. Fil. i>.§ 262.Diog., 1. VIII, 24 et 36, cite également des 'rnou-vin-[to/ra irudorfopixi.l2


18 EXAMEN CRITIQUE DES SOURCES INDIRECTES.qu'Apollonius travaillait sur des documents officiels, originaux,contemporains même : ce qui donnerait le poidsd'un témoignage considérable à ceux de ses récits quine se détruisent pas eux-mêmes par leur invraisemblanceou leur impossibilité. C'est peut-être aller bien loin : etje suis disposé à plus de défiance envers un esprit sienthousiaste, et si porté au merveilleux.Modératus de Gadès, pythagoricien de l'époque de Néron,avait exposé les principes de l'école dans onze livresintitulés Sj^oXoi nuôavoptxaî, mis à profit par Porphyre, etdont quelques fragments nous ont été conservés parStobée. Ces fragments ne contiennent rien qui aitrapport à la personne de Pythagore, et peut-être l'ouvrageentier ne contenait-il rien de tel : ce n'est qu'uneexposition et une interprétation libre de la doctrine, quine semble pas avoir une yaleur vraiment historique.C'est le pylhagorisme tel que le concevaient les pythagoriciensde ce temps, et il ne faudrait pas y voir l'imagesincère et l'expression fidèle de la pensée <strong>du</strong> maître nide ses disciples immédiats.Enfin le dernier des auteurs importants et connus quepro<strong>du</strong>it Porphyre est Nicomaque de Gérase, dont tousles ouvrages philosophiques sont per<strong>du</strong>s, et dont il nereste qu'un manuel sur la musique, publié par Meibaum,une Intro<strong>du</strong>ction à l'arithmétique, publiée par Ast, etun extrait fait par Photius de ses Theologoumena arithmetica,qui contient quelques lignes sur la vie de Pythagore*.1. S'il est vrai toutefois qu'il faille lui attribuer l'ouvrage dont Photius,sans en nommer l'auteur, a extrait cette exposition très-infidèledelà doctrine Conf. Photius,Biblioth. Cod. 259. L'arithmétique de Ni-


EXAMEN CRITIQUE DES SOURCES INDIRECTES. 19A en juger par ce court extrait, l'auteur ne paraitguère instruit ni <strong>du</strong> fond des idées <strong>pythagoricienne</strong>s, nides faits historiques de la vie de Pythagore, et ce n'estpas l'autorité de son nom qui garantira l'exactitude desfaits allégués par Porphyre et Iamblique.Quant à Iamblique, disciple de Porphyre, et qui avécu sous Constantin, <strong>du</strong> dernier tiers <strong>du</strong> troisième siècleau premier tiers <strong>du</strong> quatrième, il semble copier, enl'étendant et en la grossissant par des fables, la biographiede Porphyre. Sauf Apollonius, qu'il suit sans doutepartout ', il pro<strong>du</strong>it rarement un témoin, ne nomme pasmême Porphyre, dont presque partout il se borne à repro<strong>du</strong>irela narration. Cette Vie de Pythagore était contenuedans un grand ouvrage intitulé : luvayurn TCôVmjôorfopixwv SOYIUCTCOV 1 , dont le premier livre traitait de laVie pythagorique, irspi iruôayopixoTi Bîou. On y remarquetous les défauts de son esprit : un développement stérilementabondant, des répétitions incessantes, nulle perspicacité,nulle profondeur, nulle critique dans l'érudition; à, côté de la pauvreté des idées, l'enflure de l'expression; son goût pour les traditions anciennes etorientales le pousse à puiser aux sources les plus troubleset les moins sûres. Son ouvrage, qui a peu de vaoomaqueavait été tra<strong>du</strong>ite en latin par Apulée, comme nous l'apprennentCassiodore (De malhem. diseipl., cap. de arithm.) et Isidore deSéville (Orig., III, 2). Si c'est Apulée de Madaure, ce fait fixe la datede l'époque de Nicomaque vers la moitié <strong>du</strong> deuxième siècle de notreère.1. licite une fois (§251) Aristoxène et Nicomaque; Androcyde,dans son livre sur les Symboles pythagoriciens (§ 145) ; enfin un motde Spinthare, cité § 197, semble emprunté à Aristoxène, son fils.2. Cité par Syrian, tn Metaphys., 57, b, 83, b, 90. Cinq livres nousen sont parvenus.


20 EXAMEN CRITIQUE DES SOURCES INDIRECTES.leur au point de vue philosophique, n'en a aucune, pourainsi dire, considéré comme document historique, sur lapersonne et les doctrines de Pythagore e\ des premierspythagoriciens*.Sur la doctrine elle-même, outre les renseignementsépars dans tous les auteurs anciens, dont il serait fastidieuxet inutile de faire l'énumération complète, nousavons à consulter les extraits de Stobée', les citations deSextus Empiricus*, les résumés de Plutarque, contenusprincipalement dans ses Placita Philosophorum', maissurtout l'exposition sobre, pleine et profonde <strong>du</strong> pythagorisme,contenue dans le premier et le treizième livrede la Métaphysique d'Aristote.Aristote avait consacré à cette école des recherchesspéciales : Diogène de Laerte * et l'ADonyme de Ménage,1. Meiners, dans son Histoire des sciences, 1.1,1. III, p. 191, a analyséavec soin les divers auteurs auxquels Porphyre et Iamblique ontemprunté leur récit, et apprécié par comparaison le degré de confiancequ'ils méritent. C'est un excellent morceau de critique historique,dont Kiessling, dans les notes de son édition de Iamblique, a donnéquelques extraits. M. Grote, à qui j'emprunte cette note, reprocheseulement à Meiners d'ajouter trop de foi à Aristoxène, qui vivait, ainsique Dicéarque, deux siècles après la mort de Pythagore ; ils ne paraissentpas, dit-il, ni l'un ni l'autre, avoir eu à consulter d'anciensmémoires ni des sources d'informations meilleures que les pythagoriciens,leurs contemporains, derniers représentants d'une secte expirante,et probablement au nombre des moins éminents par l'intelligence,puisque les philosophes de l'école socratique attiraient à euxles esprits fins et ardents. (Grote, Hi'st. de la Grèce, t. VI, p. 258,n. 3.)2. C'est principalement à lui que nous devons les fragments de Philolatlset d'Archytas.3. Purrh. flop., III, 152. Adv. Math., VII, 94; X, 249.4. S'il en est véritablement l'auteur5. Diog., 1. V, 25.


EXAMEN CRITIQUE DES SOURCES INDIRECTES. 21Alexandre d'Aphrodise *, Simplicius*, Théon de Smyrnenous apprennent les litres de ces ouvrages :C'étaient : 1° trois livres sur la <strong>philosophie</strong> d'Archytas;,2° Un livre sur les doctrines de Timée et celles d'Archytas;3* Un livre sur les pythagoriciens ;4° Un livre contre Alcméon'.Quand bien même ces trois derniers ouvrages ne seraientque les trois parties <strong>du</strong> premier, et se confondraientavec lui, il n'en est pas moins certain qu'ilsattestent l'importance attachée par Aristote au pythagorisme,dans lequel il a vu, avec raison, l'un des précurseurs<strong>du</strong> platonisme. Il ne nous reste rien de ces travauxspéciaux, sans doute à la fois historiques etcritiques, et nous ne pouvons plus consulter sur les pythagoriciensque la Métaphysique, et les renseignementsdispersés dans les autres ouvrages d'Aristote et particulièrementdans la Physique, la Météorologie et le traité<strong>du</strong> Ciel. Je n'ai pas besoin d'insister sur l'autorité de cetémoignage; mais il est regret table qu'on ne puissed'aucune manière distinguer dans l'exposition d'Aristoteles parties de la doctrine qu'on doit attribuer à Pythagorelui-même, de celles qui ne furent que plus tardformulées et développées par Philolaûs et les autres disciples4 .1. Ad Met.,],'o, 8, p. 31.J. in Aristot. de Cal., p. 492, a, 1. 26; J, 41.3. Theon. Smyrn., Arithm., p. 30.4. Casiri cite encore le titre étrange : De arte poetica secun<strong>du</strong>m Pythagoram(jusque sectatoret libri II. {Bibliotheca arnbio-hispana Escurial.Mien. Casiri, t. I. p. 307, col. a.)


22 EXAMEN CRITIQUE DES SOURCES INDIRECTES.Quant à Platon, il nous laisse dans le même embarras,et ne nous donne pas, à beaucoup près, les mêmes compensations.Malgré ses relations personnelles avec lespythagoriciens, malgré les rapports exagérés mais certainsde ses doctrines avec les leurs, il ne nous parle quebien rarement de Pythagore et des pythagoriciens, etplus rarement encore il en parle à un point de vuevraiment philosophique'.On voit par ce qui précède que les sources où nousdevons puiser une histoire de la personne et des doctrinesde Pythagore* sont loin d'avoir les conditions quela science exige. Nous n'avons que des fragments mutilés;les témoins sont tous très-postérieurs aux faitsqu'ils attestent, et quelques-uns, par leur cré<strong>du</strong>lité et lefanatisme de leurs opinions, ôleraient toute confiance àleurs assertions, si déjà les faits qu'ils racontent ne sedétruisaient pas par leur incohérence, leurs contradictions,leur invraisemblance et quelquefois leur impossibilité.Il nous faudra donc non-seulement mesurer sévèrementla part de confiance que mérite chacun de cestémoins suspects, mais encore contrôler, en elles-mêmeset en les comparant entre elles, leurs narrations si souventdivergentes et parfois contraires. De cette critiquenécessaire et des témoins et des faits, nous ne pourronsguère tirer plus qu'un récit vraisemblable, et dont bienpeu de points auront la certitude et la clarté de la véritablehistoire1. Phxd., 61, 62.; Gorg.,493, a encore ce passage; il est rapportéà Philolaûs par Théodoret, Grxc. Affect. Therap., IV, p. 821. Hep.,530, d;X, 600.2. Démocrite avait, dit-on, écrit un livre sur Pythagore. intitulé: riutayopa;,>1 n£pi rïj; TOJ oopoù 6ta6toco;. Diog., 1. IX, 46.


CHAPITRE TROISIEMEVIE DE PYTHAGORELa Grèce, qui <strong>du</strong>t à l'Ionie son grand poète, lui doitaussi ses premiers philosophes : cola n'est pas contestéde ces penseurs qu'on classe ordinairement dans l'écoleionienne; mais on semble souvent oublier que Xénophane,le fondateur de l'école d'Êlée, ville d'origineionienne, est un Ionien de Colophon, et que Pythagore,le fondateur de l'école italique, est né, a,été élevé, avécu et probablement enseigné dans l'ionienne Samos,qu'il ne quitta qu'à l'âge de quarante ans, et, suivantune. autre tradition, à l'âge de cinquante-cinq ans. S'ilne faut pas conclure que le pylhagorisme, né en Ionie,et chez un Ionien, devait s'inspirer nécessairement desprincipes de l'école ionienne, dont il s'éloigne cependantmoins que ne fait l'école d'Élée, il ne faut pas nonplus s'empresser de conclure que la <strong>philosophie</strong> de Pythagoredevait être une <strong>philosophie</strong> dorienne, parceque les Achéens <strong>du</strong> Péloponnèse, qui avaient coloniséCrotone, ou plutôt formé le noyau de la colonie trèsmélangéede cet État, avaient dû y apporter quelquesunesdes institutions doriennes. L'identité d'originen'implique ni n'exclut la diversité des pensées, surtout


24 VIE DE PYTHAGORE.*chez les grands esprits, dont la grandeur consiste précisémentdans la puissance d'un développement libre,original, spontané, indivi<strong>du</strong>el, qui les affranchit, plusque les autres, de l'action fatale des causes extérieureset des faits <strong>du</strong> monde physique.Nous venons de dire que Pythagore était né dans l'îlede Samos : c'est <strong>du</strong> moins la tradition la plus généralementadoptée et qui s'appuie sur les témoignages d'Hermippe1 et d'Hippobotus*. Mais nous devons ajouterqu'Aristoxène, Théopompe et Arislarque le faisaientnaître à Lemnos, d'une famille d'origine tyrrhénienne,1. Diog., 1. VIII, 1. Cet écrivain, appelé par Athénée (H, 58, f.) KaX-Xip.âx£to; — disciple de Callimaque, mort vers 01. 136=240 av. J. C.—a dû fleurir sous les Ptolémée III et IV, et prolonger sa vie au delà dela mort de Chrysippe (207 av. J. C), mentionnée dans un de ses fragments.Il était de Smyrne, s'il faut le confondre avec l'Hermippe deSmyrne cité par Athénée (VII, 327, c). Son grand ouvrage, intituléBt'oi, semble avoir été divisé en trois parties : les Législateurs, — lessept Sages, — les Philosophes, ou plus précisément TûV èv itaiîeta:îioXap.i)/àvT«v. C'est à cette dernière partie qu'appartenait la biographiede Pythagore, qui comprenait au moins deux livres, dont nous avonsencore huit fragments, insérés au troisième volume des F/agm.Hisl. Grsec, éd. Didot, p. 41. L'autorité d'Hermippe a dû être grande,car nous le voyons pro<strong>du</strong>it en témoignage à chaque instant par Plutarque,Athénée, Diogêne et les auteurs de Diogène. Josèphe (c. Apion.,I, 22) l'appelle très-illustre, et vante son exactitude historique, irtpiitôaav itrropiav émpéXr.ç, et saint Jérôme, dans la préface de son Histoireecclésiastique, s'autorise de son exemple : • Fecerunt quidemhoc apud Graecos Hermippus peripateticus. »2. Hippobotus, cité par Clément d'Alexandrie (Slrotn., 1,129 ; Fragm.Hist. Gr-rc, t. II, p. 272), par Diogène de Laêrte, V, 90, lamhlique etPorphyre, avait écrit une histoire des écoles de <strong>philosophie</strong>, citée parDiogène (Proœm., 19) sous le titre ; flEpi alprio-tcov. Suidas, qui seborne à relever ce fat, ne donne aucun dctail ni sur ses ouvrages, nisur l'époque où il a vécu, ni sur son mérite et sa valeur comme historien.Il est si obscur que M. K. Mûller l'a omis dans ses Historiensgrecs, et n'a pas recueilli ses maigres fragments.


VIE DE PYTHAGORE. 25comme l'était toute la population de cette lie, jusqu'aumoment où elle fut occupée par les Athéniens. Obligée,comme tous les habitants de Lemnos, de chercher unautre asile, sa famille serait venue se fixer à Samos, quidevint alors la patrie adoptive de Pythagore 1 . Cette opinionn'avait pas trouvé grande créance dans l'antiquité, etle grammairien Théon disait qu'il n'était pas facile deprouver que Pythagore était unTyrrhénien*. L'historienLycus, cité par Porphyre*, ajoute, sans citer ses auteurs etsans se prononcer lui-même sur une question qui lui paraitindifférente, que si les uns faisaient de Pythagore unSamien, d'autres en faisaient un Phliasien, et d'autres encorevoulaient qu'il fût né à Métapontc. Celte dernièretradition, aussi bien que celle qui lui donne l'Élruriepour pays natal*, semble une méprise évidente : l'autrea pour elle <strong>du</strong> moins quelque autorité, et peut en outrese concilier avec la première. Pausanias raconte que,d'après les Phliasiens, la famille de Pythagore était de1. Clément d'Alexandrie (Strom. I, p. 129). Théodoret (Thérap., I,p. 468) répètent le fait, mais au lieu d'Aristarque et de Théopompe,ils nomment, sans doute par erreur, Aristote et Théophraste. i dogène(1. VIII, 1) n'allègue comme garants de cette tradition qu'Aristoxène etCléanthe, mis sans doute pour Néanthès. Porphyre (V, P., 15) fait probablementallusion a ces autorités, quand il dit que certains, évtoi, fontde Pythagore un de ces tjrrhéniens qui avaient colonisé Lemnos. Aristarqueest le célèbre grammairien d'Alexandrie, qui s'était occupé detous les anciens, et n'avait pas dû oublier Pythagore. Théopompe estl'historien, disciple d'Isocrate, auquel on reproche avec raison d'avoirsouvent intro<strong>du</strong>it la fable dans l'histoire, mais dont Diodore de Sicileet TTogue Pompée ont fréquemment emprunté les recherches.2. Plut., Symp.,VII1.8, 2.3. V. p. 5. Ce Lycus, qu'il faut distinguer de Lycus de Rhégium, estcité eu outre par Athénée, X, 48», r .,418. Je ne sais absolument riende lui.4. Plut., Symp., VIII, 7.


26 VIE DE PYTHAGORE.leur cité. A l'époque où l'arrivée des Héraclides jeta letrouble dans tout le Péloponnèse, les Doriens d'Argos,commandés par Rhegnidas, prêts à se jeter sur Phliunte,consentirent à y laisser la population primitive, de racetyrrhénienne pélasgique,à la condition d'un partage desterres. Cette condition, acceptée parles uns,fut repousséepar les autres, qui aimèrent mieux s'expatrier, et émigrèrentdans les îles de la mer Egée, Lemnos, Imbros,Scyros, où les Pélasges tyrrhéniens chassés de l'Attiques'étaient déjà réfugiés, et d'où ils furent ensuite expulséspar les Athéniens'. Parmi ces exilés se trouvait, au diredePausanias, Hippase, arrière-grand-père dcPythagore,au dire des auteurs anonymes de Diogène, Cléonyme,grand-père de ce même Hippase. On voit comment latradition qui fait de Pythagore un Phliasien*, peut seconcilier avec celle qui le reconnaît pour Tyrrhénien.Krische veut même l'accorder avec celle qui lui donnepour véritable patrie Samos. A une époque contemporainede l'expulsion des Pélasges de l'Attique, des Samienschassés de leur lie par Androclès et des Éphésiens,avaient cherché un asile dans ces mêmes lies où s'étaientréfugiés les Tyrihéniens de Phliunte, et les deux racess'étaient confon<strong>du</strong>es dans ces colonies. H suppose que lafamille de 1 ythagore, Samienne d'origine,exilée etémigréedans l'Ile de Lemnos, se confondit avec les famillestyrrhénrennes qui l'habitaient également : c'est ainsiqu'il explique l'opinion des historiens qui l'appellentTyrrhénien. Mais puisqu'il fuit, comme tout le monde,1. Aristoiène. Diog., 1. VIII, 1.2. Cicéron (Tutcul, V, 3), et Diogane (1. I, 12) le mettent en rapportavec Léon, tyran de Sicyone ou de Phliunte.


VIE DE* PYTHAGORE. £7revenir à Sam os la famille de Pythagore,'je ne vois pasla nécessité de supposer qu'elle en était partie. En effet,de Lemnos, où ses ancêtres avaient jusqu'à lui vécu,Mamarcus ou Mnésarchus, son père, alla se fixer à Samos,où l'appelaient son commerce et son in<strong>du</strong>strie, etoù il reçut le droit de cité '.De tous ces récits, divergents dans les détails seulement,on a le droit de conclure que Pythagore était certainementun habitant de Samos, et qu'il appartenaitpeut-être par sa race aux Ioniens 2 qui l'occupaient, ouaux Pélasges Tyrrhéniens qui avaient colonisé Lemnos.Son père, Mamarcus ou Mnésarchus, qui avait deuxautres fils, Eunostus et Tyrrhénus', était, suivant lesuns, un graveur *, suivant les autres un riche marchand ',1. C'est par un changement de résidence, fondé sur les mêmes raisons,que Néanthès, qui fait naître Pythagore à Tyr et le croit derace syrienne, explique la présence de son père àSaraos. Ce Néanthèsde Cyzique était l'auteur d'une biographie des hommes illustres, citéepar Etienne de Byzance, et d'une biographie spéciale des pythagoriciens,à laquelle sont empruntés les quatre fragments conservés parClément d'Alexandrie. Théodoret, Porphyre {V. P.,où il faut lire, 1,Néanthès au lieu de Cléanthe) et lamblique (Hitt. Grxc, t. 111, p. 2).Quoique Pline (Hisr. nat., VIII, 34) l'appelle un écrivain recommandable< inter auctores Graeciœ non spretus, > — compliment quipourrait bien être ironique, — il n'y a pas grand fond à faire surses récits. Ses nombreuses erreurs et sa cré<strong>du</strong>lité, remarquées déjà parPlutarque (Symp., I, 10), avaient suscité une réfutation expresse dePolémon, èv vaï; ncox NeavOrrv àiroypafxïc.2. Rathgeber en veut faire néanmoins un- Êolien de race, commela population primitive de Phliunte et de Samos, où il avoue cependantque dominèrent bientôt les colons de race ionienne.3. Porph., Y. P. 10. Porphyre, copié par lamblique, 4, est le seulqui nous fasse connaître le nom de sa mère, qui se serait appeléePylhaïs,et serait descen<strong>du</strong>e d'Ancée, fondateur de la ville de Samos.4. Diog., 1. VIII, I, ôa/.T\i).ioY>upo;.'•>. iamb. V. P. ô. Porph. Y. P. 1. M. Rathgeber (p. 136) imagine


28 VIE DE PYTHAGORE.C'est probablement la même chose que les traditionsexpriment par des mots différents. L'in<strong>du</strong>strie <strong>du</strong> graveurd'anneaux, qui touche à l'art, surtout chez les anciens,où il en forme une branche intéressante à plusd'un titre, se lie naturellement aussi et presque nécessairementavec le commerce des pierres et des métauxprécieux. Mamarcus pouvait donc être à la fois un fabricant,presque un artiste, et en même temps un richenégociant. Je. veux tout de suite faire remarquer à cepropos que la nécessité de se procurer l'or, les pierres,les métaux précieux, matières premières de son in<strong>du</strong>strie,portait déjà le graveur vers l'Orient; mais n'oublionspas que c'est dans l'Orient aussi que se trouvaient lespremiers modèles et les meilleurs ouvriers de son art.Dans le travail des pierres <strong>du</strong>res qui servaient aux anneaux-cachets,oçpaYïîsî, dont l'usage était si répan<strong>du</strong>dans l'anliquité, ce fut sur les modèles et à l'imitationdes artistes phéniciens-babyloniens, qu'au lieu de cylindresgrossièrement entaillés, les Grecs commencèrent àpratiquer la gravure en creux de figuresentières 4 . Il n'ya donc, à priori, rien d'impossible, rien d'invraisemblabledans les récits qui nous <strong>mont</strong>rent Pythagore entreprenantdans sa jeunesse, peut-être pour les besoinsdelà maison de commerce de son père, ce qui n'exclutque Mnésarque était allé fonder en Étrurie un atelier de gravure surpierre et sur métaux, qu'il y resta douze ans et que c'est ce fait quiexplique l'origine tyrrhénienne qu'Aristoxène donne à Pythagore.C'est pendant ces douze années qu'il aurait gravé sur un scarabée lescinq héros éoliens. H. Rathgeber renvoie à deux de ses ouvrages queje n'ai pu me procurer, Archxolog. Schrifl., Th., I, p. 348; Gotlhtitender Aioler, p. 460 et 461, 651, 656, 658.1. Ottf. Mûller, Arch. de l'art, § 98, 340 et 243.


VIE DE PYTHAGORE. 29pas la curiosité scientifique, de longs voyages, et lui fontvisiter non-seulement l'Egypte, mais l'Orient, jusqu'à laBabylonie et aux Indes 1 .La date de la naissance de Pythagore, comme cellesde ses voyages, de son arrivée en Italie, de sa mort, nepeut être fixée que d'une façon approximative.Dodwell 1 la fait descendre jusqu'à l'Ol. 52. 3 = 570av. J. G. : il fonde son calcul sur le fait, plus que douteux,de la captivité de Pylhagore à Babylone,où il auraitété emmené par Cambyse*, et sur la part qu'il auraitprise à la guerre contre Syracuse et Agrigénte*. Bentleya dé<strong>mont</strong>ré l'erreur de ces calculs, et a proposé uneautre date, fondée sur les témoignages d'Ératosthène etde Phavorin 5 , qui rapportent que dans la l r « année del'Ol. 48 = 588 av. J. C., Pylhagore ayant combattuaux jeux olympiques, remporta tous les prix : il confondaitainsi, comme lui répliqua Dodwell, Pylhagorel'athlète et Pythagore le philosophe, confusion que n'autorisemême pas le texte de Diogène.La Nauze ' plaçait la naissance de Pythagore en 640,ses voyages vers 622, son retour à Samos vers 600, d'où1. Suivant Néanthcs, Hnésarque lui-même s'était retiré en Phénicie,à Sidon ou à Tyr, et c'est là que serait né le philosophe. Clem.,(Strom., I, p. 352.)2. Dissert. III, de Veter GTXC. et Rom. Cycl., p. 137-148. Conf.Krische, de Societ a Ptjth. condiUc scopo, p. 1 et 2. Brandis, Getch.,1.1, p. 422.3. lambl., § 19. Je ne vois rien, pas même le § 264, qui autoriseM. Krische à admettre que ce récit a pour lui le témoignage d'ailleurssuspect d'Apollonius.4. Diog., I. VIII, 40, d'après Hermippe.5. Cités par Diog., 1. VIII, 47.6. Mém. del'Acad. deslnscr., t. XIV, p. 395.


30 VIE DE PYTHAGORE.il le faisait repartir presque immédiatement pour serendre en Italie : établi d'abord à Crotone, puisa Métaponte,enfin en Sicile à Agrigente, il y meurt en 550. Fréretattaqua ces conclusions avec la rigueur et la précisionde son savoir et de son esprit critique, et <strong>mont</strong>ra qu'ellesreposaient sur des faits absolument erronés, comme lesrapports de Zamolxis et de Zaleucus avec Pythagore :l'illustre critique prend pour point de départ la mort,qui est nécessairement postérieure à la ruine de Sybaris,c'est-à-dire à l'année 510. L'époque de la naissance dépendramaintenant de la <strong>du</strong>rée qu'on donnera à la vie.D'après Fréret, on peut ramener au plus vers 582 lecommencement de cette période de la vie que les Grecsappelaient JjXixta. Cette période est fixée pour notre philosopheentre les années 576 et 532 par Cicéron, Denysd'Halicarnasse, T. Live, qui, d'un commun accord, fontPythagore contemporain de Polycrate, de Cambyse, deServiusTullus,et deTarquin le Superbe.On peut reculerenfin sa naissance jusqu'à l'an 608.Nous avons adopté une chronologie quelque peu différente,suivant ici les calculs de Krische et d'E. Zeller, etnous plaçons la naissance de Pythagore vers 1*01. 50, c'està-direde 580 à 576 av. J C. Cette date ne peut prétendreà une certitude mathématique, et, comme la plupartdes faits de cette Vie, de bonne heure défigurés parle merveilleux des légendes, n'a guère qu'un peu plusde vraisemblance que les autres. Aristoxène, le plus ancienet le plus autorisé de nos témoins, nous dit quePythagore avait 40 ans lorsqu'il aborda à Crotone*.1. Fragm. 4. Hist. Orxc, t. II, p. ÏÎ2.


VIE DE PYTHAGORE. 31Cicéron 1 et Aulu Gelle 1 , plaçant son arrivée en Italiedans la première année <strong>du</strong> règne deTarquin le Superbe,01. 62 = 532 av. J. C, font descendre par conséquentsa naissance à l'Ol. 52 = 572. Clément d'Alexandrie*, etd'autres auteurs qui le suivent', parmi lesquels Eusèbe,qui travaillait sur la Chronologie d'Apollodore 5 , mettentà cette même date de l'Ol. 62 = 532 l'époque de sa célébrité,fjXtxfcx, que Diodore de Sicile' fait re<strong>mont</strong>er àTOI. 61. 4 = 531, et Diogène de Laerte' à l'Ol. 60=540,confondant sans doute cette époque avec la dale de sonarrivée en Italie, qui a dû la suivre d'au moins dix ans.Eusèbe fixe la mort de Pythagore à l'Ol. 70. 4= 497.S'il est mort à 80 ans, comme le prétend Héraclide Lembus8 , la naissance descendra à l'Ol. 50. 4 = 577; s'il avécu 90 ans, comme le soutiennent le plus grand nombredes auteurs *, elle re<strong>mont</strong>era à l'Ol. 48. 3 = 587, etelle re<strong>mont</strong>erait bien plus haut encore si nous devionsajouter foi aux chiffres invraisemblables d'Iamblique ",.1. Rep., II, 15. «Olympias enim 2' et 60* eadem Superbi regniinitium, et Pythagorae déclarât adventum. •2. N. A»., XVII, 21.3. Strom., I, 302, b et 332, a.4. Talien, Or. c. Greec, c. 64. Cyrill., adv. Jul., I, p. 13.5. Chronic., t. II, p. 201 ; Prarp. Ev., X, p. 496.6. Fragm. <strong>du</strong> 1. X.7. VUI, 45.8. Diog., 1. VI11, 44. Cet Héraclide Lembus avait, outre un grandouvrage original d'histoire, abrégé les Généalogies des philosophesde Sotion, et les Biographies de Satyrus. Si c'est de lui que parleDenys d'Halicarnasse (de Comp. verb., c. 4), c'était un écrivain négligéet sans art, dont on ne pouvait supporter la lecture. Nous ne savonsrien de sa véracité ni de son exactitude historiques.9. Diog., 1. VIII, 44, oi *X«ïou{.10. V. Pyth., S 265.


32 VIE DE PYTHAGORE.de Tzetzès', de l'Anonyme de Photius*, de l'auteur d'unécrit pythagorique cité par Galien', qui le font vivre 99,100, 104 et 117 ans.Antiloque, cité par Clément d'Alexandrie *, avec uneprécision singulière, flxe l'^Xix(« de Pythagore 312 ansavant la mort d'Épicure, c'est-à-dire à l'OI. 49. 2 =583. Comme on ne peut pas donner moins de 25 ans àl'homme qui a atteint ce degré de célébrité et de renommée,il faut placer la naissance vers l'OI. 43 = 608. C'estla date adoptée par Fréret 6 . Bien plus haut encore nousramènerait une leçon de Pline, si elle était certaine :parlant de certaines découvertes astronomiques, l'auteurde l'Histoire Naturelle arrive à l'étoile appelée Lucifer,et dit : « quam naluram ejus (Lucifer) PythagorasSamius primus deprehendit, 01. circiter XL1I, qui fuiturbisRoma; 142. > Mais ces deux chiffres sont fort contestableset je lis dans mon édition, «01. LXII= 222 abUrbe condita. »1. Chil, XI, 93: 100 ans.2. Cod., 259. Col., 1313 : 104 ans.3. De remed. parai»., t. XIV, p. 567.4. Strom., I, c. xvi, p. 133. C'est le seul fragment conservé de cetécrivain dont on ne sait, ou <strong>du</strong> moins dont je ne sais rien de plus.C'est peut être de lui que parle Denys d'Halicarnasse (De comp. vetb.,c. 4), et qu'il signale comme un écrivain incorrect.5. K. Fr. Hermann, dans ses Staatsalterthûmer, p. 238, fait dépendrel'époque de la vie de Pythagore de celle de la tyrannie de Polycrate,qui l'aurait forcé de quitter Samos, sa patrie. C'est aussi lepoint de départ des calculs de Fil. Laparelli (Dissert.sopra la nazionee la patria di Pittagora, dans les Dissert, dell' Acad. di Cortona, VI,p. 82), et de Ottf. Mùller (die Etrusker, 11, p. 345). Mais que devientce point d'appui, si Pythagore n'est pas de Samos, ou si le fait qu'ils'est exilé de sa patrie pour fuir la tyrannie de Polycrate n'est pascertain : or il n' a guère pour lui que l'autorité de la Théologie arithmétique,c. vi, p. 41.


VIE DE PYTHAGORE. 33La tradition qui faisait de Numa un contemporain etun disciple de Pythagore ne nous est connue que parles auteurs qui l'ont réfutée 1 . Le passage le plus catégoriqueest celui de Cicéron ' dans la République, où ildit que cette opinion, toute répan<strong>du</strong>e qu'elle est, est uneerreur, et une erreur absurde ; car, ajoute-t-il, ce n'estque sous le règne de Tarquin le Superbe, et dans la4* année de ce règne que nous voyons Pythagore se<strong>mont</strong>rer à Sybaris, à Oolone et dans toute cette partiede l'Italie. L'arrivée de Pythagore, qui coïncide avec l'avénementde Tarquin, est de la 62* 01. = 522, av.J. G. Il est facile de s'assurer, en comptant la <strong>du</strong>rée desrègnes, que Pythagore n'aborda guère en Italie moins de140 ans après la mort de Numa : c'est là aine chose quine présente pas le moindre doute aux écrivains versésdans le calcul des temps 9 . Or, il est à. peu près certainque pour toutes les questions chronologiques, Cicérons'en référait, soit directement soit indirectement à Apollodore*, et, par conséquent, son récit a pour lui l'au-1. Cicéron (deOrat., II, 37; Tuseul., IV, I ; de Hep., II, 15), T. Live(1, 18 ; XL, 29), qui ont l'air d'imputer cette erreur à Pison ou à Valériûsd'Antium, Pline (H. A'., XIII, 27), Denys d'Halicamasse (Ant.Rom., 11, 59), Plutarque (Afum., c. i),qui imagine vivant A cette époque,01.16=716, un Pythagore de Laconie.2. De Rep., II, 15.3. « Qui diligentissime persecuti sunt temporum annales. >4. Cicéron, en effet, écrit a Atticus (XII, 23) : «Sous quels consulsCarnéade est-il venu à Rome en ambassade? tu trouveras cette datedans ton livre d'Annales, • scriptum est in'Annali tuo. > Qui était donc àce moment à la tête de l'École? quels étaient les hommes politiquescélèbres d'Athènes? tu pourras, Je crois, trouver tous ces faits égalementdans Apollodore : • quae te etiam in Apollodori put posse invenire.> De ce mot etiam, M. Krische, p. 9, conclut ingénieusementque VAnnalis d'Atticus était un autre ouvrage que la Chronologied'Apollodore.3


34 VIE DE PYTHAGORE.torité grave et considérable dans l'antiquité, de ce savantchronologiste *.Comme tous les Grecs, Pythagore, dès son enfance,fut nourri de musique et de poésie et alla demander auxexercices <strong>du</strong> gymnase le développement de la grâce etde la force corporelles, qu'ils ne séparaient pas d'unebonne é<strong>du</strong>cation libérale '. L'un des maîtres de sajeunesse fut Hermodamas ou Léodamas, surnomméCréophyle, rejeton de ce Créophyle de Samos, qui avaiteu pour hâte, suivant la tradition, le grand Homère, etqu'on considère comme le chef ou l'ancêtre mythiqued'une des corporations de Rhapsodes et d'Homérides.C'est ce vieillard, qui habitait Samos sans doute, qui inspiraà son jeune élève cet amour particulier <strong>du</strong> vieuxpoète ionien 3 , dont il se plaisait à chanter les vers auson de la lyre *. Nous n'en savons pas davantage sur1. Apollodore d'Athènes est le grammairien célèbre, fils d'Asclépiade,et disciple de Panattius de Rhodes et d'Arislarque d'Alexandrie.Outre la Bibliothèque, dont nous avons conservé trois , mais dontPhotius connaît vingt-quatre livres, il avait écrit un ouvrage de chronologie,que Scymnius de Chio appelle une chronographie, V, 24, etqui était en vers ïambiques, uirpcfi Se TXûTTIV ixtittcvai npoetieto,TCJ>xwpuxû ai, -tri; o-açnveiac, X*P lv > 1 ue Suidas, v. 'AxoXX., qualifie, on nesait trop pourquoi, de TpayC«p6ot. On en cite quatre livres (dont59 fragm. conservés, Fragm. Bist. Grxc, t. I, p. 435), qui semblentêtre l'abrégé d'un ouvrage beaucoup plus éten<strong>du</strong>, si tel est bien le sens<strong>du</strong> vers de Scymnius : Hdvtuv èxitouriv TûV xvônv elpr,uiv


VIE DE PYTHAGORE. 35l'é<strong>du</strong>cation de son enfance : quant à ses maîtres dans lascience, quant à son é<strong>du</strong>cation philosophique, on peutdire que nous eD savons trop, pour ne pas inspirer delégitimes soupçons : en effet, il n'est pas un seul desphilosophes célèbres de son temps avec lequel on ne lemette en rapport. A Samos même, et, plus tard à Syros,ou suivant d'autres à Lesbos, il avait enten<strong>du</strong> Phérécvde,de Syros, que plus tard il serait allé soigner dantsa vieillesse et dans une maladie, et auquel il aurait étérendre les derniers devoirs à Délos 1 .Phérécyde, contemporain de Thaïes, parait avoir étéle premier prosateur grec ', ou plutôt le premier philosophequi, dans l'exposition de ses opinions, se soit affranchi<strong>du</strong> joug <strong>du</strong> mètre et <strong>du</strong> rhythme, sans renoncercependant ni aux ornements ni au style de la poésie.Dans un ouvrage obscur, et à l'aide <strong>du</strong> procédé de l'interprétationallégorique, il avait enseigné une espèce dethéorie théologique, c'est-à-dire exposé une cosmogonie,où l'on aperçoit un effort pour distinguer entre euxles différents principes matériels qui ont contribué àformer le monde, et pour les distinguer tous delà puissanceintelligente et divine qui les ramène à l'ordre'.1. Diog. L., VIII, qui cite (I, 118), comme ses auteurs Aristoxène,et (VIII, 40) Héraclide, l'abréviateur des Vies de Satyrus. Porphyrepro<strong>du</strong>it le témoignage de Dicéarque (56), et de Néanthès (55), sur lemême lait que se borne à répéter Iamblique (11)). Cicéron (Tutc, I,16), dit également : « Pherecydes Syrius.... Hanc opinionem discipulusejus Pythagoras maxime confîrmavit. > Suid. v. $ep. StSax&fjva'8e On' aùroû Iluôayôpav Xôyo;.2. Suid. v. *sp. Plin., Bist. nal., VII, 56. Strab., I, p. 18, a, b.Aristot., Jfet., XIV, c. iv. Il mêla la <strong>philosophie</strong> à la poésie, dit Anstote.3. l'hcrecyd, fiagm. Sturz. Leips., 1824.


36 VIE DE PYTHAGORE.Plusieurs écrivains le considèrent comme le premier quiait enseigné l'immortalité de l'âme * et, <strong>du</strong> moins, c'estlui qui, en soutenant le premier la thèse de la migrationde l'âme 2 , faisait de l'immortalité une conséquencelogique et un principe métaphysique nécessairesde sa doctrine. Il est probable que cette pensée, qui naitsi naturellement de l'horreur de l'être pour le néant, etqu'on attribue également à Pythagore, est une de cesvieilles opinions qui n'ont pas d'origine historique, nid'auteur indivi<strong>du</strong>el, tant elles semblent jaillir <strong>du</strong> fondmême de la nature humaine*, et qu'elle se trouvait déjà,enveloppée de symboles, dans les traditions mythiquesdes mystères. S'il n'est pas certain ni vraisemblable quePhérécyde en soit l'auteur, il paraît probable qu'il l'avaitadoptée, et il est possible qu'il en ait transmis legerme à Pythagore *.Non content des maîtres qu'il put trouver dans sa patrie,on veut qu'il ait été à Milet entendre Anaximandrequi lui aurait enseigné les mathématiques, et a pului faire goûter ce principe des Ioniens, que la matièredes choses est l'infini 5 . De là il se serait ren<strong>du</strong> en Crète,pour y voir Épiménide avec lequel, après avoir été initiéaux mystères des Dactyles, il serait descen<strong>du</strong> dansl'an Ire de Ju pi ter Idéen e , et pour y étudier la législation de1. Cic, Tusc, 1,1G : • Pherecydcs Syrius primum dixitanimos hominumesse sempiternos : antiquus sane. >2. suid. y. *ep.3 Plat., Phadon, "Oc. : TlaXati; piv oiv loyi TIç >.6fO{.4. De même qu'A Pythagore, on attribue à Phérécyde une puissancemiraculeuse et une science surnaturelle. Kuseb., Prxp. ev., XIV, 12.Apollonius Dyscole, Hist. Comment., c'. vl.5. Apul., Florid , II, 15. Porphyr., 2,qui cite Apollonius : Iamblique11, ajoute Thaïes à Anaximandre.6. Apul., 1. 1. Diog. L., VIII, 3.


VIE DE PYTHAGORE. 37Minos, comme à Sparte pour y connaître les institutionsde Lycurgue*. Délos se trouvait sur sa route, il alla yadorer Apollon Génitor, et lui offrir un sacrifice, sur celuide ses autels qui n'était consacré qu'aux offrandes nonsanglantes'. On peut douter de la réalité de ces voyages,parce qu'on semble y découvrir l'intention d'expliquerpar des faits historiques et des relations personnelles,certains traits des doctrines de Pythagore et des pythagoriciens,par exemple :1e principe de l'infini maintenuecôté <strong>du</strong> fini ; le caractère sévère et dorien de ses conceptionssociales et politiques; la défense de faire auxdieux des sacrifices sanglants. Mais s'il est impossible dedé<strong>mont</strong>rer historiquement la réalité de ces voyages, iln'est pas plus facile d'en prouver la fausseté : car ilsn'ont rien en soi que de vraisemblable, et il en est unau moins dont je ne puis croire que Pythagore se soitabstenu, c'est le voyage de la Grèce propre. Aussi j'encroirais volontiers Aristoxène' qui nous le <strong>mont</strong>re à Del-1. lambl., 2p. M. Krische donne pour autorité au récit d'Iambliqoele témoignage d'Apollonius. Je-ne sais sur quoi il se fonde; le textedit d'une manière générale Aérerai, et ne nomme personne. Justin,XX, 4.2. Diog. L. I, 118. Porphyre, 16, place ce voyage plus tard, à sondépart définitif de Samos. Diodore de Sicile [Excerpt. de Virt. et Vit.,forte e libro X, éd. Tauchnitz, t. VI, p. 31), qui le fait rester un assezlongtemps à Délos, veut qu'il s'y soit ren<strong>du</strong> d'Italie. Porphyre (55)constate en effet que plusieurs historiens plaçaient le voyage de Délospendanl le soulèvement populaire de Crotone. Mais Dicéarque etd'autresauteurs, que Porphyre (56) qualifie de plus exacts (àxpiêéo-tcpoi),soutenaient qu'à cette époque Phérécyde était mort. Phérécyde estmort en effet, d'après les calculs de Sturz, p. 7, 01. 59 = 544: ce quiplace le voyage de Délos avant l'arrivée en Italie. Iamblique (184 et252),d'après Satyrus, et Héraclide, le placent quelque temps seulementavant la mort de Pythagore.3. Diog. L., VIII, 8 et 21.


38 VIE DE PYTHAGORE.phes en rapport avec la prêtresse Thémistoclie, quePorphyre * appelle Aristoclie, et Cicéron, qui lui fait visite'Phliunte, berceau de sa famille, où il aurait eu, d'aprè;Héraclide <strong>du</strong> Pont, la conversation fameuse avec le tyranLéon 1 . La Grèce avait déjà un élément philosophique enveloppé,confus, mais actif, dans les enseignements desmystères et des associations orphiques : une telle sourced'informations ne pouvait être négligée par un espritaussi curieux. Mais l'époque de la formation scientifiquede la théologie orphique est trop incertaine pour qu'onpuisse affirmer qu'elle a exercé une influence réelle etprécise sur Pythagore. D'ailleurs ses mythes symboliques,ses représentations fantastiques contiennent unassez petit nombre d'idées philosophiques, et n'en contiennentpour ainsi dire aucune qui ait rapport à la conception originale de Pythagore.Ce qu'il demandait aux voyages était sans doute autrechose qu'une doctrine toute faite, et un ensemble arrêtéet fermé de croyances et de pensées.Je trouve, en général, qu'on oppose à priori aux voyagesdes anciens philosophes une incré<strong>du</strong>lité trop systématiqueet que je ne crois pas légitime. Les Grecs étaientet sont encore des commerçants intelligents et entreprenants,de hardis et intrépides marins. De bonne heure,h urs navires, qui n'étaient pas d'un tonnage inférieur àceux <strong>du</strong> petit cabotage actuel de l'Archipel, battaient lamer Méditerranée depuis les côtes de Syrie jusqu'aux ri-1. Porph.,41.2. Cicéron (Tusc, V, 4 ; Valère Max., Vltl, 7) le fait assister aux jeuxolympiques à son retour de Lacédémone, et c'est là qu'il se seraitdonné le nom rie philosophe.


VIE DE PYTHAGORE. 39vages orientaux de l'Espagne. Ils avaient le génie dûcommerce, et aussi le goût des aventures : ils étaientavides de voir et de savoir. Le commerce exige desvoyages ; mais de plus à cette époque les voyages étaientpresque la seule source d'informations et un des meilleursprocédés d'observations et d'expériences philosophiques'. Voyager, pour un homme d'esprit, c'est voirnon-seulement les lieux et les choses ; c'est aussi etsurtout voir l'homme, et l'étudier sous les aspects multiplesde sa riche, ondoyante et mobile nature.Ulysse, le représentant sinon le plus héroïque et leplus aimable, <strong>du</strong> moins le plus vrai, le plus complet dela race grecque, n'est le plus sage des hommes queparce qu'il a beaucoup voyagé :IIoAXtôv 8' dcvSptditbiv ïoev dVrea, xai vdov tyvw ' •Dans un temps oùil n'y avait guère délivres, la meilleuremanière de s'instruire et de connaître le cœur et l'esprit del'homme, était de l'étudier dans le grand livre de la vieet <strong>du</strong> monde. Les pythagoriciens recommandaient expressémentcette méthode d'instruction philosophique :« Il y a deux voies pour arriver à la sagesse, dit Archytas: l'une est de posséder la science mathématique etspéculative ; l'autre de voir le monde, de se mêler auxaffaires, et de les voir, et de s'y mêler de sa personnemême 2 , pour en recueillir l'impression vive et fraîche.L'étude abstraite, sans la pratique de la vie et l'expériencedes hommes*, comme l'expérience sans la médi-1. Hom., Od., I, 3.2. Stob., Florid., I, 72-81 : ta uèv BùTOV iîavTot.3. Id., Id. : àxpoa[u4t«0(Ti ai itoXXoîç xai itpaY|i


40 VIE DE PYTHAGORE.talion spéculative, ne donnent ni une vraie connaissanceni une vraie sagesse. On a l'esprit également aveuglé,tantôt quand il s'agit de juger les faits particuliers,tantôt quand il s'agit de s'élever aux idées générales. »Il n'est donc pas étonnant que, comme tous les espritsavides de savoir, Pythagore ait entrepris ces grands etnombreux voyages dont on s'étonne et dont on doutetrop volontiers. Il faudrait s'étonner plutôt qu'iln'eût pas obéi à l'impulsion naturelle qui entraînait,à cette époque, les intelligences curieuses, etqui faisait des voyages comme une préparation universelleet nécessaire à l'étude et à la science*. On constataiten effet, comme une chose bizarre, et comme unesingularité de plus dans sa vie extraordinaire, que Socrateétait le premier philosophe qui n'eût pas demandéau commerce des hommes et au spectacle des mœurs,des coutumes et des opinions étrangères, un complémentet peut-être un correctif à l'observation interne età la méditation solitaire.Mais en admettant que Pylhagore ait dû,comme tousles philosophes de son temps, chercher dans l'expériencede la vie et <strong>du</strong> monde, dans ces observations qui naissent,pour ainsi dire, toutes seules de la vue des choseset de la pratique des hommes, un riche fonds de faitspsychologiques, une maturité plus rapide 1 , ou un déve-1. Iambl., 28 : irôvr»; ol npô'tepov çiXoaoyriaavii; lui tévouçTov 8{ovotrnXeaav.2. Heraclite le Physicien, qui avait eu pour maîtres, suivant Diogènede L., IX, 5, Xénophane, contemporain de Pythagore, et Hippasus,son disciple immédiat, disait, pour prouver que la profondeuret l'éten<strong>du</strong>e des connaissances ne constituent pas une science saine :.ôy;llu9adn MvndSpxov tirropînv rjoxïioe àvBpâmwv (lâXiaxa nâvrav


VIE DE PYTHAGORE. 41loppenient plus éten<strong>du</strong> et plus complet, de l'esprit, jesuis bien éloigné de vouloir dire qu'il ait emprunté auxnations qu'il visita les idées qui sont caractéristiques dela doctrine connue sous son nom. Rien n'autorise cetteopinion si répan<strong>du</strong>e même parmi les anciens, que la<strong>philosophie</strong>, la religion et les arts en Grèce ont une origineétrangère "mais tout en reconnaissant le caractèreoriginal de la <strong>philosophie</strong> grecque et de la <strong>philosophie</strong>de Pythagore en particulier, ce n'est pas non plus uneraison pour nier absolument des voyages qu'une traditionconstante lui attribue. Pourquoi Pythagore n'auraitilpas visité la Phénicie et la Judée comme le disaientHermippe et Alexandre Polyhistor, cités par Origène 1 ,Aristobule 1 , Josèphe, Clément d'Alexandrie', Cyrille*?Sans doute bien des fables se sont mêlées à ces récits,et l'imagination d'un côté, de fausses in<strong>du</strong>ctions de l'au-Ainsi voilà attestée par un contemporain une connaissance pratiqueprofonde des hommes, c'est-à-dire la realité des nombreux voyages dePythagore. Ion de Chios, dans une épigramme conservée par DiogèneLaerte, I, 120, dit de lui : Etirip nueaTOf.ni; èxûu*>« i oopo; itepi itivrawàv&pùrtuiv Yvcifia; cîSe xai Ètcfiattcv.1. Josèphe, c Apioti., I, 22 : « On ne connaît, dit-il, aucun écrit authentiquede Pythagore, dont cependant beaucoup ont raconté l'histoire,entre autres l'illustre et exact Hermippe. Or, dans le premierde ses livres sur Pythagore, il nous apprend.... (suit un récit sur lesmigrations de l'àme) ... Ces croyances et ces opinions n'étaient, suivantHermippe, continue Josèphe, qu'une repro<strong>du</strong>ction des croyancesdes Thraces et des Juifs, qu'il avait admises. »EH Josèphe ajoute : «Ilest très réel qu'on dit que ce phdosophe avait transporté dans sa <strong>philosophie</strong>les idées religieuses des Juifs. • Orig. c. Cels., I, p. 13, éd.Spencer. AtYCvai 3c xai *Eo|i.tir7to; èv tû repartut nepi voioOevéôv tervopTixivainuûayopav rfiv iauvoù çùoaoçtav àno louîaiuv cl; "E).).»iva;àyaycïv.2. Arislob., Euseb., Prxp. ev., IX, 6, 8; Xllt, 12, 1.3. Sfrom., V, 560, a.à. Cyrill., adv. Jul.,1,29.


42 VIE DE PYTIIAGORE.tre.ont multiplié au delà de toute vraisemblance le nombrede ses voyages. C'est ainsi que Cicéron * et ValèreMaxime 2 le <strong>mont</strong>rent en Egypte et en Perse; Slrabon' etJustin * en Egypte et à Babylone; Antiphon.dans sa Biographiedes hommes illustres citée par Diogène 5 , et Néanthèscité par Porphyre 8 , en Egypte, en Chaldée, enPerse ; Alexandre Polyhistor dans son ouvrage sur lesSymboles pythagoriciens cité par Clément' en fait ledisciple de l'Assyrien Nazaratus, et veut, comme Apollonius\ qu'il ait en outre enten<strong>du</strong> les druides de la Gauleet les brahmanes de l'Inde.Il est bien probable qu'il n'est pas allé si loin, et ilest difficile de démêler l'erreur de la vérité, dans cestraditions embellies. A défaut de preuves historiques, ilserait périlleux de substituer la preuve par in<strong>du</strong>ction, àl'aide de laquelle Gladisch * ramène la <strong>philosophie</strong> <strong>pythagoricienne</strong>à la morale des Chinois, comme la <strong>philosophie</strong>éléatique au panthéisme des Indous". La réalitéde toutes ces analogies forcées, pour la plupart,toutes très-vagues 11 , très-indéterminées et très-isolées,1. De Fin., V, 29.2. VIII, 8.3. XIV, 16.4. XX, 4.5. VIII, 3.6 F. P. 1 et 7.7. Clem. Alex., Strom., I, 15. Alex. Pol., fragm. 138.8. Philost., Fit. Apollon., VIII, 347.9. Die Religion u. die Philosophie, 1852.10. Rôth [Geschichte der unserer abendlôndisehen Philosophie, I,74, 241) soutient que c'est à la religion de l'Egypte que Pythagore ettous les philosophes grecs ont emprunté leurs systèmes, en y mêlantlesdoctrines.de Zoroastre.11.11 est cependant curieux d'en noter quelques-unes : Les Chinois


VIE DE PYTHAGORE. 43ne résiste pas à un examen sévère; et, par exemple,l'opposition des contraires, dont on veut voir le .principedans le <strong>du</strong>alisme de la Perse, est théologique chezles sectateurs de Zoroastre et purement métaphysiquechez les pythagoriciens, pour lesquels le mal, sans vertu,n*a qu'une existence négative.Mais quelque doute que l'on conserve sur la réalitéde ces voyages, quelque impossibilité que la critiqueéprouve de discerner les faits historiques des traditionsfabuleuses et des embellissements légendaires, il enest un <strong>du</strong> moins qu'il est bien difficile de contester.C'est le voyage d'Egypte, sur lequel presque tous lesauteurs s'accordent, comme ou a pu le remarquer plushaut : il est attesté non-seulement par eux, mais encorepar Isocrate, Diodore et Plutarque : et, si l'on n'a pasle droit d'ajouter à ces témoignages celui d'Hérodote,on peut dire <strong>du</strong> moins que le passage de l'historienauquel 'je vais tout à l'heure revenir semble sous-entendrele voyage qu'il ne rapporte pas. Il est vrai quetous ces écrivains joignent au récit des rapports de Pythagoreavec l'Egypte, des in<strong>du</strong>ctions sur l'origine deses doctrines philosophiques, qui ont compromis l'autoritéde leur narration. Isocrate, en effet, après avoir ditque Pythagore alla en Egypte, ajoute qu'il se fit le disciplede leurs prêtres, et rapporta de là chez les Grecsramènent l'ordre <strong>du</strong> monde à des rapports de nombres, voient dansl'impair la perfection, et dans le pair l'imparfait; fondent la théoriearithmétique sir le système décimal, mesurent les intervalles desnotes musicales par les nombres 2 et 3 et leurs puissances. Celaprouve seulement combien ces conceptions répondent à la nature deschoses et à la nature de l'esprit, qui ne changent pas avec les temps etles lieuj.


44 VIE DE PYTIIAGORE.toute la <strong>philosophie</strong> 1 ; Diodore rappelle que Lycurgue,Solon, Platon ont fait entrer dans leurs législations leslois des Egyptiens, et que c'est également aux Égyptiensque Pythagore emprunta sa doctrine sacrée, Upôv Xéyov,la géométrie, l'arithmétique, la migration de l'âme danstoutes les espèces animales '. Plutarque ramène égalementà une origine égyptienne tous les symholes pythagoriques,et répète avec Diodore que tous les sages dela Grèce, Solon, Thaïes, Eudoxe, Lycurgue et Pylhagoreont visité l'Egypte et se sont mis en rapport avec sesprêtres 9 . Plutarque connaît le nom <strong>du</strong> maître persande Pythagore qui, suivant lui, s'appelait Zaratas* et iln'ignore pas les noms des prêtres qui ont initié chacunde ces sages à leurs mystères religieux : Solon a eu pourmaître Sonchis de Sais, et Pythagore OEnouphis d'Héliopolis.Voilà comment Plutarque explique le caractèremystique et la forme symbolique que le pythagorismeaffecte, et qui donne à ses préceptes de- morale commel'aspect d'une inscription hiéroglyphique 5 . Hérodote,sans mentionner expressément le voyage d'Egypte, seborne à signaler les rapports préten<strong>du</strong>s des doctrines.1. Butir., c. ii.2. Diod. Sic, I, 98. D'après Diodore, la statuaire grecque n'estqu'une imitation de la statuaire égyptienne.3. Plut., Symp. Qu., VIII, 2. de hi. c. 10.4. De anim. procréât., I, 2. Malgré la ressemblance dos noms, on nepeut guère admettre que Plutarque ait voulu parler de Zoroastre. qu'ilfait vivre (de M', c. 46) cinq mille ans avant la guerrede Troie. AlexandrePolyhistor, nous l'avons vu, racontait aussi que Pythagore avait été ledisciple de l'Assyrien Zaratas.ce que repro<strong>du</strong>it un certain Diogéne, citepar Porphyre, 12, qui l'appelle Zabratus, et donne pour lieu de cesrapports, Babylone.ô. Plut., Symp. Qu., VIII, 8, 2 : Teiv yàp xaXoup.évuv UpovXufixûvypappàviuv oùOév ànoXttnei va noXXà TWV IIuDayopisùv itapayy(Xp.âT(i)v.


VIE DE PYTHAGORE. 45à propos des vêtements de laine, il observe qu'il étaitinterdit aux Égyptiens de les porter dans les cérémoniesreligieuses, et de les employer comme linceuls, et ilajoute que, sur ce point, ils se rencontrent avec ce qu'onappelle les Orphiques et les Bachiques, qui ne sont autres,dit-il, que des Égyptiens et des pythagoriciens 1 ,c'est-à-dire qui en ont admis les coutumes, les rites etles croyances. On peut même considérer comme certainque c'est à Pythagore qu'il fait allusion, quand, sansvouloir expressément nommer personne, il dit en parlantde la métempsycose, que cette doctrine avait étéadmise chez les Grecs, par les uns il y a longtemps,par les autres tout récemment *. Certes on a bien raisonde contester et les rapprochements hasardés et les in<strong>du</strong>ctionsplus téméraires qu'on voudrait tirer de ces analogiesdouteuses. Le caractère symbolique et allégoriquede l'exposition et de l'enseignement, certains usages,certaines pratiques en ce qui concerne les vêtements etles aliments, enfin la doctrine de la métempsycose 9 ,n'ont rien d'exclusivement égyptien. Ces nsages et cescroyances paraissent avoir appartenu à tous les mystères,et <strong>du</strong> moins aux mystères orphiques. Alors mêmeque la Grèce et les pythagoriciens les auraient empruntésà l'Egypte, et que l'organisation des castes sacerdotales1. Herod., 11,81.2. Herod., II, 123.3. Dicéarque.ap. Porphyre, 19, s'exprime avec une certaine réserveau sujet de l'origine égyptienne de ce dogme : « Pythagore paraît (couverai)le premier qui ait apporté en Grèce cette doctrine. » Je ne saispas d'ailleurs jusqu'à quel point on a le droit d'attribuer à Dicéarquc,qui est nommé seulement au§ 18, la phrase incidente que je viens deciter.


46 VIE DE PYTHÀGORE.ne suffit pas pour rendre invraisemblable la communicationà un étranger des dogmes religieux et secrets, cesrapports n'ôleraient pas au pythagorisme son caractèreoriginal et vraiment grec. Car ces rites et ces idées neconstituent pas l'essence caractéristique de la doctrine,qu'il faut aller chercher précisément là où nulle analogieavec la théologie égyptienne ne se laisse apercevoir:je veux parler de la doctrine <strong>du</strong> nombre, <strong>du</strong> Cosmos, et<strong>du</strong> caractère scientifique et rationnel de l'exposition etdes idées '.Mais M. Ed. Zeller ne va-t-il pas trop loin lorsqu'ilprend pour certain précisément le contre-pied de cettehypothèse, et lorsqu'il soutient que toutes ces traditionsau sujet des voyages de Pythagore en Egypte et ailleurssont sans aucun fondement historique,et sont toutes néesde l'hypothèse, fausse d'ailleurs, de l'origine orientale etétrangère de ses principes philosophiques? Il est presquedé<strong>mont</strong>ré que les anciens ne s'expliquaient la ressemblancedes opinions et l'analogie des doctrines quepar des rapports réels et personnels ; là où on supposaitles unes, en était con<strong>du</strong>it à imaginer les autres. J'accordeque ce point de vue a pu intro<strong>du</strong>ire dans l'histoirede Pythagore bien des fables, qu'il est difficile deséparer de la réalité ; mais je crois que c'est aussi unexcès, et un excès de même nature, c'est-à-dire, de raisonnement,de prétendre que l'histoire des voyages dePythagore n'est qu'une fable, et que Dicéarque, Aristo-1. A plus forte raison n'y a-t-il pas lieu d'admettre celte origineégyptienne pour la <strong>philosophie</strong> de Plilon, quoi qu'en dise Plutarquede h., c. 48.


VIE DE PYTHAGORE. 47xène, Antiphon ' n'avaient aucun document historique,et se fondent sur uoe pure in<strong>du</strong>ction, quand ilsenvoient Pythagore l'un en É gypte, et l'autre à Delphes.Car on ne le remarque pas assez : c'est en vertud'une in<strong>du</strong>ction, qu'on Ole toute autorité à ces témoignagesde faits qu'on accuse de n'être fondés que sur.anein<strong>du</strong>ction. J'observe, enfin, que si les anciens ont touscherché à expliquer le rapprochement des idées par desrelations personnelles, c'est qu'il était clair et certainpour eux que le grand mode de la communication desidées,était la communication personnelle et orale; c'estqu'eux-mêmes sentaient, pour se mettre au courantdes doctrines, la nécessité de ces voyages qu'on peutcontester dans le détail, mais dont on a tort de nierà priori la réalité historique. Ils étaient, suivant moi,une nécessité <strong>du</strong> temps, et les Grecs allaient aussi naturellementen Egypte* que les Romains allaient àAthènes, et que nos peintres, nos architectes, nos sculpteurs,nos chanteurs et nos musiciens vont à Romeet en Italie.Je ne refuse donc pas toute autorité aux témoins sinombreux, qui nous racontent avec un accord unanimeque Pythagore a visité l'Egypte. Samos, ville maritime,commerçante, in<strong>du</strong>strielle, avait avec ce paysdes relations commerciales qu'avait entretenues letyran Polycrate ; celui-ci donna , même , dit-on ,1. Diog. L., VIII, 3.2. Nous voyons en Egypte, vers ce même temps, Charaxos, frère deSappho (Hérodote, II, 134), et Alcée, son contemporain. (Alcaei fragm.103. Bergk. Stiab., I, p. 63). Alcée Dorissait vers l'Ol. 42 (612 av.J. C). Sappbo, plus jeune, vivait entre les 01. 38 et 53 (628-568).


48 ' VIE DE PYTHAGORE.à Pythagore une lettre de recommandation pour leroi Amasis 1 , qui ouvrait à ce moment même l'Egypteaux aventuriers, aux mercenaires et aux négociantsgrecs 2 . Dans le grand comptoir qu'il permit aux neufvilles grecques de l'Asie Mineure de fonder et d'habiterà Naucratis, et qui s'appelait l'Hellénion, Samos, commeMilet et Egine, avait un-temple séparé et probablementun comptoir particulier 2 , comme dans l'Inde les factoreriesfrançaises se distinguent des factoreries anglaiseset autres : ce qui annonce des relations commerciales importanteset suivies. Enfin, c'est un marchand de Samos,Xanthès, qui con<strong>du</strong>it à Naucratis la belle courtisanethrace nommée Rhodopis, qui, plus tard affranchie parCharaxos, venu lui-même à Naucratis pour y faire lecommerce de vins, tira parti pour son propre compte desa beauté, et devint si riche que les Grecs d'Egyptelui attribuaient la construction de l'une des Pyramides*.Rien ne me parait plus vraisemblable que d'admettrele voyage en Egypte de Pythagore, philosophe, peutêtreen outre marchand de métaux précieux,d'anneauxcachets,et de pierres gravées, comme nous sommesobligés d'admettre, sur l'autorité d'Hérodote, celui de la1. Porphyr., 7, et Diog. L., VIII, 3. Sur l'autorité d'Antiphon, Iamblique,19, le fait rester vingt-deux ans en Egypte. Fait prisonnier parCambyse et emmené par lui à Babylone, où il s'instruit de la religiondes Mages, après un séjour de douze ans, il revient à Samos à l'âge decinquante-six ans.2. Hérod., II, 178 et 179.3. Hérod., II, 78.4. Herod.,II, 134. Athénée (XIII, 596) l'appelle Atopixv;, et mentionneune offrande faite par elle au dieu de Delphes. Cf. Suid., v. 'Poîuir.àvâânua. V. M. Grote, tiitt. delà Grèce,t. V, p. 55.


VIE DE PYTHAGORE. 49courtisane Rhodopis, <strong>du</strong> marchand de vins Charaxos,et <strong>du</strong> poëte Alcée.C'est au retour de ces courses, entreprises pour lesnécessités de son in<strong>du</strong>strie ou pour satisfaire le besoinplus noble de voir et d'apprendre *, raison qui d'ailleursn'exclut pas l'autre, que Pythagore ouvrit dans sonpays une école, dans un lieu qu'on appela l'Hémicycle,et qui servit plus tard de salle de séances aux assembléespolitiques de Samos'. Outre cet enseignement public',1. 4>iXo|ia8tac x«P' v , comme dit Strabon, XIV, c. i. Qu'y avait-il appris?qui peut le savoir? Iamblique seul, qui soutient qu'il en avaitrapporté la science des choses célestes, probablement l'astronomie, etde plus la géométrie. 11 est certain, <strong>du</strong> moins, que ces voyages ne purentque hâter la maturité de son esprit, développer, étendre, fortifierson génie.2. Antiphon ap. Porphyr., 9. Iambl., 26.3. Hérodote, IV. 93, raconte que Zamolxis avait été l'esclave de Pythagore,fils de Mnésarque, un des plus grands sages, où vcji àafleve-


50 VIE DE PYTHAGORE.il avait déjà, s'il faut en croire le même auteur, en dehorsde la ville une retraite mystérieuse et cachéequ'Anliphon ou Porphyre appelle un antre. C'est là qu'ilpassait une grande partie de sa vie, dans une méditationsolitaire, ou bien avec quelques disciples choisisqu'il initiait à ses pensées les plus intimes ou peut-êtreà ses secrets desseins.On ignore combien de temps il resta dans sa patrie,comme aussi pour quels motifs il se détermina à la quitter1 : les uns prétendant qu'il avait été dégoûté par l'indifférencedes Samiens, entraînés par le plaisir et la passionde la richesse loiiî des éludes et des sciences 2 , lesautres soutenant qu'il a fui le joug de plus en plustyrannique que Polycrate faisait peser sur ses concitoyens*.Des relations de commerce déjà longues etfit présent à Pythagore, vint porter témoignage de la nature miraculeusede son hôte, qui lui avait <strong>mont</strong>ré sa cuisse d'or. Hérodote (IV,36), qui nous rapporte en en riant les fables concernant Abaris, nenous parle pas de ses rapports avec Pythagore. Pausanias (III, 13, 2),e borne à dire qu'il vint à Sparte de chez les Hypvrborécns.1. M. Zeller'suppose qu'il cherchait pour ses plans de réforme unterrain plus propice que l'ionienne Samos, et que la dorienne Crotouele lui offrit. Cette hypothèse repose sur le caractère dorien de la constitutioncrotoniate, qui est très-contestable.2. Iambl., 28, que M. Krische affirme s'appuyer sur Apollonius, cequi n'est qu'une conjecture. La difficulté pour les professeurs des courspublics d'avoir des auditeurs était déjà si grande, que Pythagore, pouren avoir un, fut obligé de le payer. 11 est vrai que le procédé liai réussitet que cet auditeur devint si assi<strong>du</strong> qu'il ne voulut plus quitter unmaître si éloquent, et l'accompagna, seul de tous les Samiens, euItalie. — Cependant cet abandon ne s'accorde guère avec la suite <strong>du</strong>récit d'Iamblique, qui raconte que Pythagore fut chargé par ses concitoyensde nombreuses magistratures et particulièrement d'ambassades,et que c'est pour se dérober à ces fonctions politiques qu'ilquitta sa patrie.3. Aristox. ap. Porphyr., 9. Slrab., XIV, 638, c. 1. C'est a ce moment


VIE DE PYTHAGORE. 51intimes, qui s'étaient établies entre Samos et les coloniesgrecques de l'Italie méridionale 1 , le portèrent de ce côté<strong>du</strong> monde grec : ce qui prouve que ce courant étaitdéjà suivi, c'est qu'au moment où Pythagore se fixait àCrotone, Xénophane, son compatriote, c'est-à-dire Ioniencomme lui *, s'exilant comme lui, venait chercher unasile tour à tour à Zancle, à Catane, et enfin s'établissaitsur la côte occidentale de la Lucanie, à Êlée, oùbientôt se forma, probablement à l'exemple et commeau souffle <strong>du</strong> pythagorisme, un beau et puissant foyer despéculation philosophique.De toutes les colonies grecques qui allèrent porter lecommerce et la civilisation, les arts et les sciences parmiles sauvages populations de l'Italie, les plus prospèresétaient Sybaris et Crotone, toutes deux sur legolfe deTarente, toutes deux riches, puissantes, d'abordrivales jalouses, bientôt ennemies implacables, quoiqu'ellesfussent également d'origine achéenne. La lutteterrible qui s'éleva entre ces deux états et qui se terminapar le désastre et l'anéantissement complet deSybaris, n'était pas encore engagée, lorsque, l'an 536avant Jésus-Christ, Crotone vit aborder dans ses mursque Strabon place le voyage en Egypte et à Babylone. Après une absencedont la <strong>du</strong>rée est indéterminée, Pythagore revient à Samos, ouil ne trouve aucune amélioration dans l'état des affaires, et se décidealors à faire voile peur l'Italie. Plutarque (Placit. Phil., I, 3, 23)se borne à dire qu'il quitta sa pairie, TTJ IloXvxpiiou; vupawiSSusaptarrjaa;.1. Porphyre dit qu'il avait déjà accompagné son père dans unvoyage à Crotone; Apulée (Florid., II, 15), que ce fut un Crotoniatenommé Gillus qui le racheta de sa captivité en Perse.2. Xénophane était de Colophon.


52 VIE DE PYTHAGORE.le Samn Pythagore alors âgé de quarante ans 1 , et suivantd'autres calculs, de 56 ans'.Crotone avait été fondée" à l'extrémité occidentale <strong>du</strong>golfe de Tarente,, et près <strong>du</strong> pro<strong>mont</strong>oire Lacinien.dansun lieu célèbre alors par la salubrité de son climat', parune colonie d'Achéens de la cité maritime de Puiypœ,chassés par les Doriens <strong>du</strong> Péloponnèse. La colonie con<strong>du</strong>itepar Miscellus 8 , peut être un Héraclide', était envoyéepar Polydore, roi de Lacédémone et successeurd'Alcamène 7 . Ce fait qui <strong>mont</strong>re un élément doriendans la population émigrante, joint au culte particulierque reçurent dans la nouvelle ville Apollon le dieu, etHercule le héros dorien", permet de croire que lesDoriens avaient conservé quelques droits de suprématiesur la colonie italienne et qu'il pouvait en être résultéun tour particulier, et assez aristocratique, dans le.s institutionsqu'elle se donna. Mais pour ne pas s'exagérercette influence, il faut se rappeler que cette population1. Arislox., fragm.,4, Uitt. Grxc, t. II, p. 272.2. Iambl. V. P. 19.3. 01. 5.4 = 755, suivant Strabon et Pausanias; 01. 17.3=710,suivant Denys Hal. (H, 59), et suivant Euseb., Cad. Ann., 01., 18.1.4. Plin., Uitt. S., segm. 98. Strabon, VI, p. 262. Liban., Epist.,p. 386 et 1239. Grote (Hist. de la Grèce, t. V, p. 123) faitobserver qu'ila bien changé depuis.5. Strab., VIII, p. 387, c. vu : 11% Se iûv 'Purrûv rjv 4 MOoxeXXo; 6Kpovtuvo; oixifftTK. '6. Ovid,. Met., XV, 15.7. Pausan., III, 3, 1 : 'Airoixtxv ve èc 'Iva<strong>du</strong>av AaxtSaipovioi T/)V i;Kpôvwva éoTEiXav.8. Ottfr. Mûiler, TTie Dorians., 1.1, p. 140. Grot., Uitt. de Grèce,t. V, p. 100. C'était dans le temple d'Apollon, à Crotone, que Pbiloctèieavait déposé les flèches d'Hercule. Aristot., Mirab. Auscult.,§115.


VIE DE PYTHAGORE- * 53d'Achéens et de Laconiens', accrue probablement d'autresaventuriers grecs, se mêla rapidement aux habitantsindigènes, et reçut ainsi une infusion considérabled'habitudes, de mœurs et de sang étrangers 2 .Située à l'embouchure <strong>du</strong> fleuve jEsaros et près <strong>du</strong>pro<strong>mont</strong>oire Lacinien, et s'adonnant avec intelligenceet passion au commerce et à la navigation', Crotonedevint bientôt l'une des plus florissantes et des pluspopuleuses cités de la Grèce '. Sa vaste enceinte était protégéepar des murailles dont le développement était dedouze milles, et son empire s'étendit bientôt dans toutela largeur de la péninsule de la Calabrc, d'une mer àl'autre. La salubrité proverbiale <strong>du</strong> climat, la richessedes habitants, le goût des exercices physiques et la disciplineintelligente qui y était appliquée, avaient fait deCrotune une ville renommée dans les fastes olympiques,et à une seule olympiade sept des vainqueurs se trouvèrentappartenir à l'heureuse et Mère cité 5 . Elle n'étaitpas inoins célèbre par la sévérité de ses mœurs, et unpenchant marqué pour les sciences physiques et médicales: il s'y forma bientôt, en effet, un groupe deméde-1. Voir ce qui se passa à la fondation de Locres Epizéphyriennc dansAristote.2. NiebO.hr., ]]ist. Rom., t. I, p. IG5, en AU. Ottfr. Mûller.3. Herodot., VIII, 47. T. Liv., XXIV, 3.4 Les chiffres donnés par les auteurs a sa population sont si considérablesqu'ils ne méritent guère créance. ,h. Iamb., 44. On ne peut pas attribuer ces victoires à l'influence dePythagore; car on les voit se pro<strong>du</strong>ire dès la 49 e 01., c'est-à-dire avantla naissance <strong>du</strong> philosophe. Voir, sur les triomphes olympiques des Croloniates,la force ei la beauté de leurs jeunes gens, Cicéron, de Invent.,II, ij Hérodote, V, 7; Diodore de Sicile, XII, 9; Pausanias,VI, c. XIV.


54 'VIE DE PYTHAGORE.cins dont la gloire balança la renommée des écoles desAsclépiades de Cos et de Cnide'.Quel était le gouvernement de cet Étal, sa forme précise,et ses tendances, c'est ce qu'il est difficile de découvrirdans les récits des biographes et des historiens. On veutabsolument que l'origine en partie dorienne de la colonieait fait pencher la constitution vers un gouvernementaristocratique : tout ce que nous savons, c'est qu'ily avait un conseil de mille personnes'; mais que cetteassemblée fut exclusivement prise parmi les nobles etles riches propriétaires', c'est ce qu'on n'obtient quepar les analogies hasardées qu'on tirede l'organisationde ce même sénat des 1000, dans les cités voisines deLocres et de Rhégium'. Il est propable que le pouvoirexécutif, quel qu'il fût, était soumis au contrôle et à lasurveillance de ce conseil, qui, à ses attributions, joignaitune autorité judiciaire 5 . Mais il ne parait pas exact dedire qu'il décidait souverainement de toutes les affaires,sans la participation <strong>du</strong> peuple : on ne conçoit guèreune constitution grecque qui ne fasse sa part, si petitequ'elle soit, à la démocratie, et par conséquent à lapuissance des assemblées <strong>du</strong> peuple. Les Achéens, quiformaient le fond de la population émigrante, avaientinstitué, dans toutes leurs cités de la Grèce propre, un1. Menand., de Encom., p. 96 : Mrjvaiou; èVi âyalixaToitoit^ TE xaiI ÇuYpaçtxï;, xal KpoTtoviâtx; fat txTpixfj us'YaçpovrjiTat.2. F'orphyr., 18, où je lis àpxeîov et non àpYxîov, comme Krische.Iamblique (45 et 260) l'appelle o-uvéàpiov ; Diod. Sic, XII, 9, POUXTJ et«OYXXTITOC.3. 01 3É).Tt(TTOt.4. Ottfr. Millier, The Dnrians.. t. II, p. 185.5. Ceci semble prouvé par le fait rapporté par Iambl., 126.


VIE DE PYTHAGORE. 55gouvernement dont Polybe atteste la modération et lasagesse, mais dont il constate en même temps, commeStrabon, le caractère démocratique, qui se manifeste &deux traits distinctifs, l'égalité des droits et la liberté depenser et de parler 1 . Il est difficile de croire qu'en s'expatriant,ils n'aient pas emporté ces traditions de lapatrie, qui leur en rappelaient l'image morale et le vivantsouvenir, d'autant plus que c'est à celte forme degouvernement démocratique, sage et tempéré, que nousvoyons lesCrotoniates revenir après le renversement del'oligarchie aristocratique instituée par Pythagore *.Il est vrai que pour rendre Pythagore plus intéressant,sa fin tragique plus sympathique, et ses ennemis plusodieux, on veut qu'il ait trouvé la constitution deCrotonedéjà aristocratique, et qu'il n'ait fait que la maintenir etfaire cesser les discordes civiles qui l'ébranlaient. Onse fonde sur deux choses : le respect des lois existantesque recommandaient expressément les pythagoriciens',et en second lieu une réponse des principaux de l'Ordreà une demande de révision de la constitution établie.Lorsque le parti populaire demandait : 1° la faculté pourtous les citoyens d'arriver aux magistratures et emploispublics ; 2° la responsabilité réelle et effective des magistratsdevant les comices <strong>du</strong> peuple; 3° le droit pour1. Polyb., II, 38 : iri; loriyoplar. xoti itxêfrieFÎatc xal xafloXou Ô7)u.oxpa-•rio;. Slrab., VIII, c. vn, p. 219. Tauchn. : «De Tisamène jusqueOgygès ils eurent un gouvernement monarchique, eha ÔTigoxpavr]-8éVTE;, TOCOôTOV T,ù3oxtu.r,


56 VIE DE PYTHAGORE.tous les citoyens de faire partie de l'assemblée, ^ Uxfc\


VIE DE PYTHAGORE. 57grande action sur la politique intérieure et étrangère desa ville adoptive ' : il avait donc dû changer beaucoupde choses, et ces changements qu'on avait d'abord supportéset qui commençaient à déplaire, avaient un caractèretout à fait aristocratique'. Ne voit-on pas que ceserait singulièrement diminuer son rôle, que de contestercette influence, d'ailleurs unanimement attestée ?Pour soutenir sa politique, les pythagoriciens prétendentque c'est l'ancienne constitution de l'État : maisleur argument ne persuade personne; et j'incline àcroire que c'est par la raison qu'il n'était pas exact.Quant à cette autre objection qu'on tire de sa recommandationde ne pas changer les lois, elle me touchepeu. Les réformateurs ne se piquent pas d'être conséquents.Ceux qui ont commencé par violer la loi, parcequ'elle les empêchait d'arriver au pouvoir, quand ils ontréussi à le prendre, sont les plus ardents à recommanderle respect de la loi actuelle, parce qu'elle doit leleur conserver, et l'obéissance au gouvernement établi,depuis que ce sont eux qui se sont établis dans 1 le gouvernement.Le soulèvement populaire, dont nous auronsà raconter l'histoire, est dirigé contre Pythagore; c'estcontre lui, contre le régime politique qu'il représente,que se portent les violences et les colères. C'est donc luiqu'on considérait comme l'auteur de cet état de choses,et nous avons tout lieu de conjecturer que, antérieurementà lui, une autre tendance avait régné dans le1. Cic., Tuseul., V, 4 : « Eiornavit eam Grœciam, et privatim etpubliée, praestautissimis et institutis et arlibus. »2. Diog. h., VIII, 3 : ...."QiTïîav.


58 VIE DE PYTHAGORE.gouvernement de Crotone, et qu'une démocratie modéréeen était la loi, comme dans les autres cités achéennes,quand il y aborda 1 .C'était alors, nous l'avons déjà dit, un homme d'unequarantaine d'années, d'une grande taille, plein de grâceet de distinction dans la voix, dans la physionomie, danstoute sa personne 1 , unissant à une beauté de visage quile fit d'abord comparer, puis confondre avec Apollon",une gravité austère qui ne se permettait jamais le rire,ni la conversation enjouée, ni la plaisanterie *. Doué d'unerare éloquence, d'un beau génie, rempli d'une scienceprofonde, éten<strong>du</strong>e, sévère, qu'il avait puisée dans leslivres et les entretiens des sages et dans le commercedes hommes ", Pythagore essaya de réaliser dans Cro-1. C'est également l'opinion de M. Grote; mais j'ai contre moi tousles Allemands, K. Hermann, Krische, Zeller, Prantl, Bernhardy.2. Dicearch. ap. Porphyr., 18 : 'Avôpo; xoluxiàvou vs xai luepirroùsoi xotvà vr|v iôiav cûcuv ÛJtè tri; Tuy.r); si xexopnYngÉvov (TTJV TE qràp'iGÉav EîVCU (AEUBéOIOV, xai (iéyav, yipiv TE TtÀeiirrr.v, xai xooqiov, ixlTE TTJ; çtoirj; xat TOô é.8ovc, xat ira TûV â).)wv àxàvTtov éVEIV.)3. Diog. L., VIII, 11 : oEp.voTtpExÉOTaToç. Apul., Florid-, II, 15 ;• Pulchritudine apprimo insignis. » Apulée décrit une statue d'unebeauté merveilleuse, qu'on admirait à Samos, et qu'on croyait, mais àtort suivant lui, être celle de Pythagore. M. Rathgeber (Grossgriechenl.u. Pythag., p. 603) prétend avoir trouvé au musée do Maples une têtede bronze, qu'il affirme être le portrait authentique de Pythagore;œuvre de Lysippe, cette tête repro<strong>du</strong>isait un modèle qu'avait dil laisserde son fils le peintre et graveur Mnésarchos, comme le père de M. Rathgeber,artiste aussi, a voulu laisser à la postérité l'image de son fils.Ce rapprochement est de M. Rathgeber, et il peint sur le vif la modestieparticulière à la race germanique.4. Diog. L., VIII, 20.5. Heraclite (Diog. L. IX. 5) dit de lui, dans un esprit critique,qui relève la valeur de l'éloge : 'loTopir.v rjaxrio's àvopûnuv |Aa>.i


VIE DE PYTHAGORE. 59tone un plan systématique, un idéal de vie, une réformemorale, religieuse et politique qu'il avait sans douteconçue antérieurement. Sa tentative fut d'abord couronnéed'un plein succès. Quel qu'ait été postérieurementle caraclère de l'enseignement pythagoricien, on ne peutadmettre que la prédication, grâce à laquelle Pythagoreacquit à Crotoue une si puissante influence, ait été secrèteet n'ait agi que sur un petit cercle d'intimes etd'élus. S'il faut en croire ses plus anciens biographes,il ébranle la foule, et opère sur ses sentiments et sesmoeurs une révolution magique : il a le don de charmerlésâmes'. C'est un apôtre éloquent et persuasif de lasagesse et de la vertu 2 . Son premier discours, j'allaisdire son premier sermon, convertit deux mille citoyens*.Déjà le sénat des mille était tout à lui. Bientôtet <strong>du</strong> consentement, sur l'invitation même des magistrats,il s'adresse à la jeunesse, qu'il ramène à la modérationet qu'il détourne des faux et funestes plaisirs. Ilréforme avec non moins de succès l'é<strong>du</strong>cation de l'enfance,et, chose nouvelle dans l'histoire de la sociétégrecque, et on peut dire, de la société, il ne dédaignepas de comprendre, dans son plan de réforme universelle,les femmes, auxquelles il fait des conférences puporain,1* ses nombreux voyages ; 2* ses études dans les livres (


60 VIE DE PYTHAGORE.bliques *. Les légendes merveilleuses qui de bonne heureentourent sa vie et sa mémoire et qui le transformenten un être divin et môme'en un dieu 1 , attestent combienson influence a été puissante et de quelle autorité,de quel ascendant il a joui*. Le misanthrope Timon reconnaîtcette magique puissance de transformation, deréformation morale opérée par sa vertu, sa science etson éloquence :Iluôaydpriv TS YOTJTO; txTtoxXîvavx' in\ èô;oiç0V)prj x' tV «vfipujTKov, 3tp.vr i yopir l ç d«pic/TT)v 4 .Il n'enseigne pas : il guérit les âmes 5 .Il est évident que son mode d'action a dû être populaire,puisqu'elle s'est éten<strong>du</strong>e à toutes les couches dela population. 11 ne s'est pas borné à une réforme de lamorale sociale et privée: il entreprend également, cequi était presque une conséquence nécessaire, une réformepolitique. Nous pourrions le conjecturer aveccertitude de l'examen des principes de l'institut qu'ilfonda, et où la science politique' occupe une place im-1. Dicearch. ap. Porph., 19 : Yuvaixiâv OOXXOYOS aùxcà xaxeenuuâoth].2. Le fleuve <strong>du</strong> Caucase ou de Cosa lui adresse la parole ; il esttantot*Apollon Hyperboréen, lanlôt le fils de Mercure. Il a le don del'omniprésence, et on le voit à la même heure à Métaponte et à Tauroménium.Ap. Porphyr., 27 et 28. Diog. L., VIII, 11. JEI. Hist. V.,11, 26.3. Alcidamas. dans Arist. (Unit., II, 23) : 'lTo>iûx«iIIu6ayépav ètt-HTloav. D'après Plutarquc (.Vum., c. vin), et d'après Pline [Hist. nat.,XXXIV, 6), on lui aurait élevé une statue a Rome, comme au plus sagedes Grecs.4. • Pythagoramque ad praestigiatorlsfamam inclinantem alliciendishominibus, magniloquum so<strong>du</strong>lem. » On trouve plusieurs leçons de cesdeux vers. Conf. Diog. L., VIII, 36.ô. £1., Hist. V., îv, 17 : où SiSitcov, ôXX' iaiptûmov.


VIE DE PYTHÀGORE. 61portante; mais nous n'en sommes pas ré<strong>du</strong>its à desconjectures. Les faits attestent que l'entreprise qu'iltenta avait un caractère et un but politiques, en mêmetemps que moraux ; car les anciens ne séparaient pasces deux points de vue, qu'on est peut-être aujourd'huitrop porté à isoler.En effet, on lui offre la présidence <strong>du</strong> conseil, et bienqu'il la refuse, le fait seul qu'on la lui propose prouvedéjà l'influence politique de Pytbagore. Il donne des loisaux cités de l'Italie '. Par lui-même et ses adhérents, ilmet en pratique la plus parfaite politique et organisel'aristocratie, c'est-à-dire le meilleur gouvernement ouplutôt le gouvernement des meilleurs 5 , en prenant lesmots dans le sens de leur étymologie, qui ne répondpas toujours à la réalité et à la vérité des choses. Maiscette aristocratie, ce gouvernement des bons, n'est pasune tyrannie pure : ce n'est même qu'un à peu près del'aristocratie, comme s'exprime Diogène,


62 VIE DE PYTHAGOHE.sans Tordre '. Mais là même nous voyons percer ce rêve<strong>du</strong> prince parfait, <strong>du</strong> tyran juste, sage et modéré, dont nes'affranchira pas l'esprit de Platon, de ce prince, qui estle pasteur et non le boucher de son troupeau *. C'est làune idée et une métaphore que ne goûtaient pas lesGrecs. Ils n'ont jamais cru que leurs magistrats fussentd'une autre espèce qu'eux-mêmes et qu'ils se trouvassentré<strong>du</strong>its vis-à-vis d'eux à la condition d'un troupeauqu'on mène patlre et qui n'a qu'à remercier si onle con<strong>du</strong>it dans un gras pâturage. Je ne pense pas quePythagore ait jamais eu ces outrecuidants desseins, etcette comparaison même <strong>du</strong> prince et <strong>du</strong> berger, quiétablit entre le magistrat et les citoyens la distance infiniequi sépare l'homme de la brute, a un air si orientalet répond si parfaitement aux principes de la monarchieasiatique, qu'elle suffit à M. Gruppe pour rejeterl'authenticité des fragments attribués à Archytas, et pouren faire descendre l'origine plusieurs siècles après Tèrechrétienne.Mais sans aller jusqu'à concevoir et à proposer, commela meilleure forme politique, le gouvernement absolud'un seul, Pythagore, qui avait vu l'Orient et avait habitéTÊgypte, avait pu être, comme le furent beaucoupde ses compatriotes, sé<strong>du</strong>it par cet ordre matériel, garantipar une obéissance passive, silencieuse, sanslimite, et dont le calme et l'immobilité étaient si opposésaux orages des libres délibérations populaires et auxagitations tumultueuses des républiques alors naissantes.1. Fragm. Archyt. : 'Et TOû ntpî vôgou. Stob., Floril., XUII, 129,132, 133, 134, et Id., XLVI, 61.2. Stob., Floril., XLVI, 61 : noigÉva (iiooitioêatov.


VIE DE PYTHAGORE. 63Il était tout .naturel qu'il cherchât à faire entrer, dansla constitution de Grotone qu dans la pratique des loisexistantes, s'il ne crut pas devoir ou pouvoir les changer,ces principes de stabilité, d'autorité, de discipline,de force, que l'on confond encore si souvent avec l'idéede l'ordre; or, on sait quelle importance eut pour luicette idée qui fait, comme nous le verrons, le caractèreoriginal et le mérite éminent de sa conception philosophique.Si on transporte, comme on est légitimementet naturellement poussé par l'in<strong>du</strong>ction à le faire, si ontransporte à sa conception politique les idées qui présidentà l'organisation de l'institut qu'il fonda et auxmaximes comme aux pratiques qui y règnent/nous yreconnaîtrons, avec l'influence de l'idée philosophiquede l'ordre, les principes des institutions doriennes quile confondent avec la discipline extérieure. Commeelles, Pythagore se propose, dans la constitution, d'établirentre tous les membres de l'État une communion,une union intime, comme celle d'une-famille.L'esprit aristocratique domine également ses institutions.On en aperçoit le signe manifeste dans les repascommuns, dans une vie qui doit être, en partie au moins,consacrée aux affaires publiques ; dans la sévérité de ladiscipline morale, le règlement minutieux de l'emploide chaque heure <strong>du</strong> jour, l'influence des pratiques extérieures,dans l'éloge de la beauté et de l'utilité moralede l'obéissance, dans la suppression de l'initiative et dela liberté indivi<strong>du</strong>elles ; car toute la vie <strong>du</strong> pythagoricienest soumise, dans le plus grand détail, à la raison supérieureet à la volonté souveraine <strong>du</strong> maître ou magistrat,dont la parole fait loi et même fait la loi : «hôc fy*.


64 VIE DE PYTHAGORE.La communauté des biens, si elle a été, ce dont je doute,une mesure politique, même en la supposant exclusivementappliquée aux Frères de l'Ordre, aurait encoreson modèle dans le système dorien d'égaliser les lots deterre. Il ne faut pas se faire illusion : il y a une idéecommuniste et socialiste dans l'organisation de l'Étatdorien, et cette idée je la retrouve dans la conceptionpolitique et sociale, dans l'organisation de la cité et dela société telle que l'a rêvée Pythagore. Mais ce qui élèvela pensée <strong>pythagoricienne</strong> au-dessus de ce communismegrossier et qui la sépare <strong>du</strong> système dorien fondé uniquementsur la discipline de la force et la force de ladiscipline, c'est d'avoir cherché à rattacher l'idée politiqueà une idée scientifique, et d'avoir voulu faire de lasociété, humaine comme une image affaiblie, comme unpendant en petit <strong>du</strong> monde et de fiunivers, dont il fallutalors donner une explication rationnelle et scientifique.Pour Pythagore, nous le verrons, tout est ordre etharmonie ; Apollon, le dieu de la lyre, de la beauté, dela lumière, et aussi le dieu de l'harmonie, est le dieupythagoricien 4 . La vie, et non-seulement la vie morale,mais la vie dans son principe et sa substance, l'âme est uneharmonie; l'intelligence n'est qu'une harmonie <strong>du</strong> sujetet de l'objet ; le monde entier n'existe que par l'harmonie,nest qu'une harmonie, et Dieu lui-même, à la foiscause et substance, l'Un Premier, n'est encore quel'harmonie suprême, l'harmonie <strong>du</strong> pair et de l'impair,de l'unité et de la pluralité, en un mot, l'accorddans l'unité des dissonances, des différences, des1. Iambl., 8.


VIE DE PYTUAGORE. 65contraires. En un mot l'ordre n'est pas pour Pythagoreuniquement un rapport : il est l'essence des choses, etde toutes choses. Il est donc l'essence de l'État. Où il n'ya pas d'ordre, il n'y a rien, rien qu'une matière informe,le chaos. La cité où il n'y a pas d'ordre ne présentedonc qu'un chaos social informe, un tourbillon aveugleemporté par la violence, et qui, avec l'ordre, fait disparaîtrela liberté 4 .On comprend qu'en appliquant ces idées générales àla politique pratique, Pythagore put considérer commeune servitude cette orageuse liberté démocratique, cesdébats passionnés de la place publique qui dégénéraientsouvent en violences, et qui t transformant les partis enfactions, ensanglantaient les cités libres. Ce n'est que decette façon qu'on peut interpréter ce que dit Porphyre 'littéralement repro<strong>du</strong>it par Iambiique* : Pythagore, suivanteux, parvint à supprimer dans toutes les villes deSicile et d'Italie où pénétra son influence, l'esprit de factionet de discorde * : il rétablit partout l'autorité deslois, l'union et l'harmonie, en quoi consiste la perfectionde l'état politique*. Il décide un tyran sicilien à abdiquerson pouvoir usurpé, et à renoncer à ses richesses1. C'est encore ainsi que Platon entendra la liberté (De Ugg., III,701,d, et 693, b). Aristote critique vivement cette notion. Voir PatrizziPerip. Ditcuts., p. 350.2. Porphyr., 22.3. Iambl., 33 et 34.4. Iambl., 34 : 'Avsïie Si ipSviv o-râoiv xai Styoçuviav, et 214 : T^vnapavoutav itaOuv Ogpiv « xorraVjwv.5. Id., id. : Uoliiteîa Si BeVrEaTii xai ipoSimla.... Id., 130, 175,205. Stob., Floril., t. II, p. 110. Heer. Il n'y a pas de plus grand malpour un État que l'anarchie : tel est le principe de la politique <strong>pythagoricienne</strong>.6


66 VIE DE PYTHAGORE.mal acquises : il souffle à toutes les villes un esprit généreuxd'indépendance et de liberté, soit par lui-mêmesoit par ses adhérents, et de sujettes qu'elles étaient lesunes des autres, .les rend toutes indépendantes et libres 1 .Ce n'est pas seulement par une prédication éloquente,et l'ascendant personnel de son caractère, de sa scienceet de sa vertu que Pythagore cherche à opérer ces réformespolitiques et sociales : c'est par une organisationlégale 1 . C'est par l'État, et par la constitution politique,que doit être réalisé ce rêve d'une société parfaite, cetteunion intime de la cité, qui fera de tous ses membres autantde frères. L'État parfait repose sur trois choses :La morale, la vertu, dont la première est l'amitié, quiveut que tout soit commun entre amis, quel que soitd'ailleurs le sens qu'il faille attacher à cette maxime. Lareligion est la seconde, et la science la troisième et laplus haute de ces conditions *.1. Porphyr., 22: "A; xotTÉXa6e TIôXEIç 8sôouXu>p.sva; bit'à/XrjXaivraÛTxc, ?pov7J|xaTo; È£eXeu6ipiou it)T,ia:, 5ià xwv eV ixiotTi; àxouimùvaù-coû, àvxà^ûaaTo xaî èXeu&Épa; ènoiriai. On voit ici : 1" qu'il ne s'agitpas de libertés intérieures, mais d'indépendance, d'autonomie nationale;2" que lesSynedria pythagoriciens exerçaient une influence politique; 3" qu'ils s'étaient propagés rapidement et répan<strong>du</strong>s fort loin.Maislambiique,214, donne un autre tour aux faits attribuésà Pythagore,qui, suivant lui, « détruit les tyrannies, rétablit l'ordre dans les Etats,troublés, et la liberté dans les villes tombées en esclavage, iXcuOEpfavTE &iro SovXeia; taî; TCôXSOT napaSiSoûc. >2. Porphyr., 21 : AT; xal vôgov; EôETO. Il est évident que cela n'exclutpas l'influence personnelle. Aussi Porphyre raconte que deuxmille citoyens rie Crotone renoncèrent à leur vie habituelle, convertispar son éloquence, et se réunirent pour vivre ensemble,avec leurs femmes et leurs enfants, après avoir mis tous leurs biensen commun. Il est clair que l"Ouatxotov pythagoricien n'est pas sansanalogie avec le Phalanstère de Fourier, ou un couvent des FrèresMoraves.3. Iambl., 32.


VIE DE PYTHAGORE. 67Pythagore voulant agir à la fois personnellement surles imaginations et les esprits, et aussi par des dispositionslégislatives d'une manière plus générale, <strong>du</strong>t chercherdes moyens d'accroître son influence, et d'ajouterà l'autorité de sa parole et de son caractère. Quelquesunsne sont pas à l'abri de tout reproche.Sur le témoignage d'Hermippe, Diogène raconte quePythagore ayant fait répandre le bruit de sa mort, se retiradans un endroit secret connu de sa mère seule', etoù elle lui faisait parvenir les nouvelles exactes des événementsqui s'e passaient à Crotone. Puis un jour, ilapparut au milieu de ses disciples, maigre et pâle, leurdisant qu'il revenait des enfers, et, pour leur en donnerune preuve, il leur fit très-exactement le récit des faitsque lui avait fait connaître sa mère. A cette résurrectionmiraculeuse d'un maître bien aimé, les disciples fondirenten larmes, le proclamèrent un dieu et, l'adorantcomme tel, voulurent que leurs femmes elles-mêmes reçussentses divins enseignements *. Ce sont elles qu'onnomme les femmes <strong>pythagoricienne</strong>s'. Il y a bien, dansce récit, une couleur chrétienne qui en rend l'authenticitésuspecte : le rôle des femmes <strong>pythagoricienne</strong>s, ressembletrop à celui des Saintes Femmes <strong>du</strong> NouveauTestament : et le récit de l'apparition de Pythagoreparait calqué sur celui de la résurrection <strong>du</strong> Christ ;mais deux choses, suivant moi, parlent en faveur dede l'authenticité : la première, c'est que Diogène cite1. Il était donc venu de Sam os avec sa famille.2. Josèphe (c. Apion., 1, 22) rapporte, d'après Hermippe, qu'il avaitcommerce nuit et jour avec l'âme d'un de ses disciples, et que ce futce disciple qui lui prescrivit oertaines règles de vie.3. Diog. L., VIII, 41.


68 VIE DE PYTHAGORE.son auteur, Hermippe, qui vivait 200 ans avant notre ère ;la seconde, c'est que cet historien révèle lui-même lasupercherie et l'imposture <strong>du</strong> héros de l'aventure, etn'hésite pas à nous le <strong>mont</strong>rer comme un charlatan.Le récit fait par lui-même de ses incarnations successives,dont il avait conservé le souvenir 4 , celui de la descenteaux enfers, où il vit les ombres d'Homère et d'Hésiode',punies de cruels supplices pour avoir profané, pardes fictions mensongères, la majesté sacrée des dieux, leslégendes* qui lui attribuaient une naissance divine, unecuisse d'or, la faculté surnaturelle de guérir, à l'aided'incantations magiques, les corps et les âmes malades,de converser avec les animaux, et même avec les fleuves,de dompter par la parole les bêtes féroces*, d'êtreprésent à la fois en plusieurs lieux, d'entendre l'harmoniedes sphères qui se dérobe aux oreilles grossièresdes simples mortels ', le don de prophétie qu'ilexerce plusieurs fois, l'épilhète de Y


VIE DE PYTHAGORE. 69mon *j tout prouve qu'il n'a pas négligé ce mode d'action,d'autant plus nécessaire à son entreprise qu'il nepouvait l'accomplir qu'en entraînant et la foule et lesfemmes, sur lesquelles le merveilleux exerce une influenceet un prestige également puissants, parce queseul il répond au caractère indéfini de leurs sentimentset de leurs désirs vagues, obscurs, irréfléchis, maisgénéreux, passionnés, profonds.Mais il ne se contenta pas de ces moyens équivoques,TepartôSni; puiyava'î, comme les appelle Plutarque', qui,grâce à la faiblesse de l'esprit humain, lui furent peutêtreplus utiles que sa vertu et son éloquence, il usad'un moyen plus avouable et non moins efficace.A côté des pouvoirs légaux, il organisa un pouvoirnouveau qui les dirigea et les domina: ce fut une sociétéd'un peu plus de 300 membres', choisis on nesait de quelle manière, qui formèrent une espèce d'Ordrepolitique, religieux, scientifique dont il fut le chef1. Il prédit des tremblements de terre, des tempêtes, des inondations.Porphyr:, 29. Il a aussi-sa pêche miraculeuse. Id.,25:« Cen'est plus un homme, c'est un être intermédiaire entre l'homme et ladivinité, et pour quelques-uns c'est même un dieu, Apollon Pythienou Hyperboréen. • Empédocle célèbre son génie en des termes qui sententaussi l'enthousiasme et presque l'idolâtrie. (Fragm. v. 427.)• C'était un homme d'une science profonde et <strong>du</strong> plus vaste et <strong>du</strong>plus puissant génie, versé dans tous les arts et toutes les sciences.Lorsqu'il tendait les forces de son esprit, son regard pénétrait et voyaitchacune des choses innombrables qui se manifestent dans une suitede dix, de vingt générations. » Ces vers sont cités par Porphyr., 30;Iambl , 67.Les deux derniers seulement,par Diogène (VIII, 54),qui ditque quelques auteurs les rapportent à Parménide, ce qui ne nous permetpas de les interpréter dans le sens d'une science miraculeuse etsurnaturelle qui n'a pas été prêtée au philosophe d'Êlée.2. PluL, iVum., 8.3. Polyb., II, 38: Xuveopia. Iambl.,254 : étacpeiav.


70 VIE DE PYTIIAGORE.avoué ou secret. Ces sociétés appelées en grec 2uvtSo(a,'Etaipei'at, se répandirent de Crotone, où était la sociétémère, dans presque toutes les villes de la GrandeGrèce, où elles exercèrent une puissante action politique'. Les membres de chacun de ces clubs ou couventsaffiliés, appartenant surtout à la classe noble etriche', liés par une communauté de principes moraux,de pratiques religieuses et de sacrifices, soumis à unmôme genre de vie', et peut-être à un môme costume,s'engageaient, envers le Maître et envers l'Ordre, parun serment solennel et terrible, à un secret absolu *,comme on le pratiquait dans l'initiation des mystères'.Déjà séparés <strong>du</strong> reste de leurs concitoyens par la sévéritéde leur vie minutieusement réglée, et peut-êtrepar l'habit, - - ce qui ne s'accorde guère avec l'idéed'une société secrète, — ils avaient cependant des signesde reconnaissance, des formes particulières des'aborder et de se saluer, des espèces de jetons oùétaient dessinées des figures symboliques de géométrie,par exemple, le pentagramme ou pentalpha 0 , lesquelsne pouvaient leur être utiles qu'au cas où on les sup-1. Iambl., 254 : Koivîj T9|V no).iv otxovopEïv.2. Iambl., 254 : 'Ex Tua


VIE DE PYTHAGORE. 71•pose confon<strong>du</strong>s extérieurement avec les citoyens, etcachant avec soin le lien qui les unissait '.Ces sociétés politiques, soumises à la discipline <strong>du</strong>serment, qui les engageait sans doute à autre chosequ'au secret, et par exemple, à l'obéissance envers lesupérieur, et à l'amour envers tous les frères, nesont.pas un fait accidentel, étonnant ou même rare dansles États grecs. Thucydide les mentionne commepuissantes et nombreuses à Athènes *, et Platon y faitallusion*. Ce qui distingue l'organisation de l'Ordrepythagoricien, c'est son triple caractère : politique,comme les premières, il a en outre pour objet un idéaldévie religieuse et morale, d'une part, spéculativeet intellectuelle de l'autre. Au lieu d'être une entente,et comme un comité de citoyens qui se réunissent pours'aider mutuellement de leur argent, de leur influence,de leur talent dans la poursuite d'un but politique, parexemple : la brigue des magistratures, l'attaque et ladéfense dans ces grands procès si fréquents chez lesanciens, Pythagore, sans négliger ce but, en a poursuiviun plus noble, plus généreux et plus magnanime.L'Ordre est voué à la pratique de la vertu et à la recherchede la science. C'est à la fois une société politiquecomme le seraient les Jacobins; un couvent demoines aspirant à la perfection religieuse et morale ;une académie de musique, une académie des scienceset une école de <strong>philosophie</strong>. C'est là qu'on surprend lar. On peut cependant en admettre encore l'usage utile, quand ilsvoyageaient. C'était des signes franc-maçonniques.2. Thucyd., VIII, 54 : luvoniootai èiti ôr/.cû; -MI àeyaî; oîaai.3. Plat., The.rl , 173, d : SnovSoti oè Itaipticav in' àpyàç. Conf. HOllmann,de Alheniensium owci>|i.oaîa(;.


72 VIE DE PYTHAGORE.grandeur de l'effort et de la conception de l'œuvre dePythagore : il tente une réforme de l'État et de l'indivi<strong>du</strong>,et une réforme complète de l'un et de l'autre ;c'est par ce caractère haut et grand, par cette espérancechimérique et héroïque de réaliser dans la vie privée etla vie publique, un idéal de perfection scientifiquementdéterminé, que le pythagorisme enleva les âmes, particulièrementles jeunes gens et les femmes 1 , qui s'éprennentavec passion quand on fait briller à leursyeux la vision enchanteresse de l'infinie perfection. Ilest surtout un fait sur lequel on ne saurait trop insister :nous voyons dans cette tentative'de réorganisation socialesystématique, les femmes appelées à une vie et àune activité religieuses ; ce n'est pas ce qui nous doitfrapper le plus : car nous savons qu'elles jouaient unrôle important dans les sacerdoces des cultes antiques,et surtout dans les mystères. Mais nous voyons Pythagoreétablir, instituer des réunions de femmes :oûp6o>.o< Yuvautûv xetTicxtuâaOi) 1 . Il ne s'agit plus ici de cettevie en commun, que s'entendirent à mener plus de deuxmille citoyens avec leurs femmes et leurs enfants 1 : ils'agit d'une œuvre de conversion et d'é<strong>du</strong>cation spéciales,où le Maître donne séparément à des femmes les1. On voit à chaque instant, dans Iamblique et Porphyre, la preuvede ce soin particulier d'agir sur les entants, les jeunes gens et lesfemmes, par ex. : Porphyre, 19: 'E+OX«Y«*T>1« 8iaXix*iic voir, veoi;....-|uvà Si Taûta tôt; rcaioïv, ttva talc yuvatttv.2. Porphyr., 19.3. Porphyr., 20 : 'Ojiaxotov. Iambl., 30, répète le mot sous la formeôpaxouov, qu'il interprète par le mot bien moderne de xoivo&ou; (29),cénobites. Je douterais fort de la réalité historique <strong>du</strong> fait, s'il n'avaitpour garant Dicéarque, très-antérieur au christianisme. Y a-t-il là uneinfluence juive, une imitation de la vie essénienneî


VIE DE PYTHAGORE. 73enseignements nécessaires à la pratique des vertus etdes devoirs* de leur sexe. Le fait que les femmes pythagoriquesse sont occupées des questions philosophiquesest prouvé par les ouvrages mêmes qui leur sont, à tortou à raison, attribués, et prouve à son tour que la<strong>philosophie</strong> et les sciences étaient comprises dans lecercle d'études imposées par le fondateur à ces Bénédictinesde l'antiquité païenne. Les femmes sont pourla première fois appelées à une vie politique et intellectuelle,et elles ont leur place et leur rôle dans le premieressai d'une <strong>philosophie</strong> scientifique, et dans lapremière tentative de réorganisation sociale qui eut lieuchez les Grecs.L'Ordre pythagorique fit-il partie <strong>du</strong> gouvernementofficiel? fut-il un rouage <strong>du</strong> nouvel organisme politiqueadopté sous l'influence de Pythagore ? Il semble à peuprès certain que non ; car les membres en sont accusésplus tard d'affecter de se séparer de leurs concitoyens ,et de former, pour ainsi dire, une société secrète ', enconspiration permanente contre la démocratie*.Les détails donnés par Iamblique semblent prouverque leur action sur le sénat n'était pas ouverte, constitutionnelle, officielle, publique, mais n'était qu'uneinfluence personnelle, extra-officielle et pour ainsi direlatente.L'Ordre n'est pas sans analogie avec l'institut des Je-1. Justin, X, 4 : « Matronarum quoque separatam a viris et pueroruma parentibtis doctrinam fréquenter babuit. »2. Justin, XX, 4 : • Quum.... separatam a ceteris civibus vitam exercèrent,quasi coetum clandestinae conjurationis haberent. •3. Iambl., 260 : Tiiv eiXoaoetav.... rruvaipooiav xarà TûV rtoVXûv.


74 VIE DE PYTHAGORE.suites, comme l'a justement remarqué M. Grote, et ila eu comme lui ses adhérents extérieurs, ot ï\u> : il estune organisation des influences destinées à faire entrerdans l'ordre pratique et dans la réalité, une conceptionsociale, politique, obtenue à priori par la spéculation ,et dont il est lui-même l'image visible et la réalisationla plus parfaite.A plus forte raison devons-nous croire que Pythagorelui-même n'exerça pas des magistratures politiques.Valère Maxime raconte que les Crotoniates le prièrentavec instance de donner ses conseils à leur sénat :« ut senatumipsorum consiliis suis uti pateretur'.» Maiscela veut-il dire qu'ils lui offrirent la présidence, f) irpû-Tavi;, <strong>du</strong> sénat ou de la cité, dignité entourée, dans cesrépubliques, d'un grand prestige et d'un grand pouvoir.Dans les rapports internationaux qui précèdent la lutteentre Sybaris et Crolone, on ne voit Pythagore user quede son autorité inorale et non des droits d'une magistraturerégulière. Cicéron, qui le réunit et le compare àDémocrite et Anaxagore, prétend qu'il renonça commeeux au gouvernement et aux magistratures pour seconsacrer tout entier à la <strong>philosophie</strong> *. Ailleurs il rapporteun récit d'Héraclide sur un entretien de Pythagoreavec Léon, tyran de Phliunte, dans lequel il comparaitla vie humaine aux fêtes Olympiques, où les uns viennentpour acheter ou vendre, les autres pour disputerle prix de la force, de l'adresse et de la beauté, les autresenfin, simplement comme spectateurs désintéressés1. Val. Max., VIII, 15.2. Cic, de Oral., III, 15 : • A regendis magistratibus lotos se advognitionem rerum translulerunt. »


VIE DE PYTHAGORE. 75et curieux ; il terminait en disant que ceux qui se proposentseulement d'étudier les hommes et les choses,de regarder en curieux désintéressés le grand spectacle<strong>du</strong> monde et les luttes olympiques de la vie, uniquementpour le plaisir de les voir et de les connaître, ceux-làsont les philosophes, et que c'est l'occupation la plusgénéreuse et la plus belle de toutes '.Il ne faudrait pas prendre à la lettre ces maximes : la<strong>philosophie</strong> <strong>pythagoricienne</strong> n'est pas exclusivementthéorique et spéculative : elle est, au contraire, essentiellementpratique. La politique indissolublement unieà la morale * a sa place dans le système, comme nousla verrons avoir son rang et ses heures même dans leplan des études et des travaux imposés aux membresde l'Ordre, qui devaient s'occuper tour à tour de la politiqueétrangère et de la poljtique intérieure '. Lephilosophe, dit Plutarque, peut servir son pays dansles affaires publiques, comme le fit Pythagore '.Les témoignages abondent pour prouver que si l'Ordrepythagorique ne fut pas une institution politique ; siPythagore n'occupa pas une magistrature dans l'État,leur influence politique n'en fut pas moins puissante nimoins générale. Par son action personnelle, par l'actionde cette société riche, enthousiaste, intelligente, disciplinée,Pythagore apporta à la constitution légale deGrotone des modifications qui paraissent avoir été prorondes,et en avoir altéré le caractère modéré et démo-1. Cic, Tusc, V, 3.2. Sur cette union des deux sciences, voir de Gecr, de Princip. polilic.Plat., p. 126; Heeren, Idées sur la pol, t. III, p. 235.3. Iambi., 97 : Ta; itiimxoc; xai TA; tevixà;.•'i. Plut., an philosnphand. cum princip., c. i.


76 VIE DE PYTHAGORE.cratique' . On n'a aucun renseignement précis sur cetteréforme aristocratique de l'État : je ne puis croire quePythagore se soit borné à apaiser par son éloquence lesdissensions intestines, à relever les courages abattus parla défaite qu'avaient infligée à ses concitoyens les Locriens;à rétablir les mœurs, la prospérité, la conliance,l'autorité des pouvoirs légaux et des institutions établies* : il changea la loi même, ou <strong>du</strong> moins il en changeal'esprit. Il semble que, dans la mesure où une telleconception pouvait être admise et réalisée dans ce tempset chez un peuple grec, il ait voulu établir une sorte degouvernement théocratique *, à la tête, mais en dehors<strong>du</strong>quel se serait placé l'Ordre pythagorique * dont lerèglement intérieur nous révèle clairement les tendances.Cette tentative eut un commencement de succès. C'estl'effet ordinaire de ces gouvernements de compressionvertueuse et de tyrannie morale. Les âmes, éprises de l'i-1. Porphyr., 54 : OûTO>; ÈBaviuâÇiTO auto; Te xai ol OVVOVTE; XùTûeTotïpoi, ûtfie xal Ta; noXiTeia; TOï; Arc' avWoù ixiTpéiieiv Ta; Tcol.ei;.Diog. L., VIII, 3 : Nopou; 6ei; TOI; 'iTaXuitai; tooÇâadri crùv TOï;uaGrjTaï; o"i xpo; T.Où; Tp;axoaIou; 6vTe; «Jixovôieouv âpioTa Ta xoXmxà,ûXJTI ayeSov àptmoxpaxiav eivat TJ)V itoXixctav. laaibl., 33 : Six TûVàxovoTûv. Porphyre et lamblique (129) nous nomment les hommesd'Etat illustres sortant de son École. Diog. L., (VIII, 14) lui attribuel'institution des poids et mesures, ce qui veut dire sans doute qu'il fitadopter le système dorien ou éginétique, le plus usité et le plus complet.2. Justin, XX, 2 et 4. Dion Chrysost., Or., XLIX, nous peint la concordeet la paix régnant dans toute l'Italie méridionale sous l'influence<strong>du</strong> pythagorisme.3. On peut attribuer à la politique de Pythagore cette maxime politiquede Platon : 4>aùXo; xpiir,; itavté; xaioû itpàVru.aTo; o/Xoç.4. Val. Max., VIII, 15 : • Crotoniatae ab eo petierunt ut senatumipsorum consiliis suis uti pateretur. >


VIE DE PYTHAGORE. 77déal magniûque qu'on fait briller à leurs yeux, transportéespar la beauté même <strong>du</strong> sacrifice qu'on leurdemande, renoncent à la liberté <strong>du</strong> mal, pour se soumettreà l'heureuse servitude <strong>du</strong> bien, oubliant que legrand principe <strong>du</strong> perfectionnement moral est un principeinterne et dont la libre détermination fait toute laforce et toute la dignité. Les esprits les plus ûers s'abaissentà recevoir la moralité <strong>du</strong> dehors, ôupewev. Ceuxque le Maître appelle les Bons sont rassurés; ceuxqu'il lui plaît d'appeler les méchants tremblent 1 , et toutle monde obéit.Le succès des réformes politiques et sociales ne futpas borné à Grotone : des ramifications de l'Ordre semultipliant dans toute la Grande Grèce, en répandirentles doctrines et les principes à Tarente, à Héraclée, àMétaponte , à Tauroméniutn, à Bhégium, à Himère, àGatane, à Agrigente, à Sybaris , soufflant partout lapassion de la liberté et le renversement des tyrans. *Partout elles furent accueillies avec le même enthousiasme, et adoptées avec la même ardeur. 'Elles rayonnèrent même plus loin encore, s'il faut encroire Aristoxène. ' Les Lucaniens \ les Messapicns, lesPeucéliens, les Étrusques, les Romains eux-mêmes n'échappèrentpas à leur bienfaisante influence*. L'Italie1. Le mot appartient à Harat, et il est tout à fait digne de lui.2. Porphyr., 56 et 21. Diog. L., VIII, 40. Polyb., II, 39.3. Cic, Tusc, I, 16 : • Teouit màgnam illam Graeciam tum honoredisciplina; tum auctoritate. • Id., V,-4 : • Exornavit eam Graeciam etprivatim et publiée, praestantissimis et institutis et artibus. >4. Ap. Porphyr., 22. Iambl., 241. Diog. L., VIII, 14.5. Cic., Tuscul., IV, 1 : « Quis est enim qui putet, quum floreret inItalia Graeciaque potentissimis et maximis urbibus ea, quae magna


78 VIE DE PYTHAGORE.tout entière la ressentit profondément >, et c'est de làsans doute qu'est née la tradition, fausse d'ailleurs, quifaisait de Numa un disciple de Pythagore. Cicéron, quirelève plusieurs fois cette erreur, est le premier à reconnaîtreque l'esprit <strong>du</strong> pythagorisine a pénétré jusquedans Rome, et que les principes en ont inspiré plusieursdes institutions de sa patrie 1 . Si le caractèreromain se distingue en effet par la passion <strong>du</strong> commandementunie à l'instinct de la règle et de la discidictaest;in bisque primum ipsius Pythagora:, deinde postea Pythagoreorumtantum nomen esset, nostrorum hominum adeorum doctissimasvoces clausas fuisse? Quin eliam arbitrer, propler Pythagoreorumadmirationem,Numam quoque regem Pylhagoreum aposterioribusexistimatum.... • Id., Cic, de Oral., II, 37 : • Referta quondam ItaliaPylhagoreorum fuit. > Plutarque [ffum., VI, c. vin) raconte, d'aprèsËpicharme le Comique, auteur fort ancien, observe-t-il lui-même,et initié à la doctrine <strong>pythagoricienne</strong>, que Pythagore avait reçu desRomains le droit de cité. "Wecker (Klein. Schrift., I, 350).l.Diog. L. (VIIIJO) lui attribue d'avoir formé par ses enseignementsles grands législateurs Charondas de Catane, et Zaleucus de Locres.Porphyre (21) nous transmet ce même renseignement, peut-être sousla foi de Nicomaque, et nous le trouvons répété dans Sénèque, fp.90.Diodore de Sicile,XII, 20. lambl., 38, 104. 130, 172. Il est évident quec'est une erreur semblable à celle qui fait de Numa un de ses disciples; car ils sont tous deux antérieurs à Pythagore. Nous avons vupies haut que les traditions faisaient de Pythagore un disciple desDruides gaulois; d'autres faisaient de lui leur maître. Diodore de Sicile(V, 28), et Ammien Harcellin (XV, 9, 8) rapportent que. c'est dePythagore qu'ils avaient emprunté leur doctrine sur la migration desâmes, que leur collège de prêtres n'était qu'une imitation de l'écolepythagorique ; à quoi Origène ajoute (Phiïosoph., p. 30) que c'est parZamolxis le Scythe qu'ils en auraient eu connaissance.2. Tuscul., IV, 1 : « Pythagora; autem doctrina, quum longe latequepaterct, permanavisse mihi videtur in hanc civitatem. » Et lemême ajoute plus loin (IV, 2) : « Multa etiam sunt in nostris institutis<strong>du</strong>cta.ah illis. > Cf. plus haut, p. 33. La statue élevée à Pythagore,par ordre d'Apollon Pytbien pendant la guerre des Samnites (vers 320av. J. C.) comme au plus sage des Grecs, était placée à l'un des anglesde la place des Comices, faisant pendant à celle d'Alcibiade, élevée


VIE DE PYTHAGORE. 79pline, on peut dire que ces éléments caractéristiquesse retrouvent dans l'organisation de l'Institut pythagoricien,où l'on apprend à obéir pour pouvoir dominer.Toutefois, si le sort de ces réformes sociales et politiques,entreprises sous l'influence d'une puissante convictionreligieuse et morale, et exécutées avec énergie etintelligence, est d'avoir un succès rapide et brillant, ilest également dans la nature des choses que ce succèssoit peu <strong>du</strong>rable. La nature humaine, qui, dans l'ivressed'un beau sentiment de perfection, s'est crue capable detant de sacrifices et d'un si sublime effort, retombe bienvite dans la prosaïque et vulgaire réalité. Certains sentiments,comprimés un instant, reprennent leur empire,aussi bien dans l'indivi<strong>du</strong> que dans l'État, et la réactioncommence.Elle commença, pour le pythagorisme, à une époqueque nous ne pouvons fixer, mais qui, suivant les plusgrandes probabilités, peut être placée vers la fin de lavie de Pythagore: c'est-à-dire après l'année 510. L'empirequ'il exerça sur les esprits,*les mœurs et le régimepolitique des cités grecques de l'Italie, n'aura pas <strong>du</strong>rémoins de trente ans, et peut-être de quarante : cela expliquecomment le mouvement des idées qu'il imprima,put être à la fois si profond et si éten<strong>du</strong>.L'étincelle de l'incendie partit de Sybaris. Vers l'année510, un soulèvement populaire, probablement, cardans les mêmes circonstances, comme au plus brave. Ces deux monumentssubsistèrent jusqu'à ce que Sylla les détruisit ou les déplaça,pour construire la Curie. Plin., H. nal., XXXIV, 12, 26: « Invenioet Pvthagoraeot Alcibiadi in cornibus Comitii positas esse statuas, etc.


80 VIE DE PYTUAGORE.nous sommes ré<strong>du</strong>its à des conjectures, eut lieu danscette dernière cité, rivale riche, in<strong>du</strong>strieuse, puissante,de Crotone, et, comme il arrivait généralement dans lesvilles grecques, le parti vaincu fut obligé de quitter momentanémentla place. Cinq cents des exilés vinrent demanderasile et protection aux Crotoniates; c'étaientpeut-être, la suite <strong>du</strong> récit autorise cette hypothèse, desaffiliés ou partisans de l'Ordre pythagorique. Le magistratde Sybaris, les voyant reçus avec faveur dans la citévoisine, demanda l'extradition des réfugiés, dont la présenceà une si faible distance de la frontière pouvait êtremenaçante pour la sécurité de son gouvernement et dela ville. On était disposé à reconnaître la justice de saréclamation, et prêt à y faire droit, lorsque, sur les instancespersonnelles de Pylhagore ' et malgré la supérioritédes forces militaires de Sybaris *, le Conseil desmille, qu'il dominait, se décida à refuser et à ne pas livrerà leurs ennemis les malheureux suppliants. N'y eutil,de la part de Pythagore, qu'un noble sentiment depitié, ou sa sympathie était-elle excitée ou échaufféepar la communauté des idées, le respect des liens sacrésqui unissaient entre eux tous les membres del'Institut, c'est ce qu'on ne saurait dire avec certitude;toutefois, Iamblique nous ouvre la voie d'uneréponse probable, en nous rapportant que des adhérentsde l'Ordre avaient été victimes <strong>du</strong> parti triomphant àSybaris s .1. Diod. Sic, XII, 9.2. On leur donne une armée de 300 000 hommes, contre lesquelsles Crotoniates ne purent en réunir que 100000. Ces chiffres paraissentsuspects.3. lambl., 177. Diod. Sic, XI, 90; XII, 10. Strab., VI, p. 263.


VIE DE PYHTAGORE. 81Quoi qu'il en soit, la victoire favorisa cette résolutiongénéreuse ou intéressée : malgré le nombre, les Sybaritesfurent vaincus et écrasés ; leur défaite fut undésastre. La ville prise, saccagée, détruite de fond encomble, devint un désert jusqu'à ce que, soixante-dixans plus tard, une colonie athénienne vint s'établir àquelque distance, à Thurii. Le succès de ses conseils <strong>du</strong>taugmenter l'ascendant de Pyihagore, dont un disciple 1 ,Milon, avait commandé l'armée triomphante de Crotone.Peut-être en abusa-t-il, peut-être aussi l'organisationnouvelle avait-elle déjà trop <strong>du</strong>ré. A ces causes généralesde mécontentement, s'en ajoutèrent d'autres par­ticulières.-Les membres de l'Ordre affectaient de se séparer deleurs concitoyens : separatam vitam eocercerent a exteriscivibus 1 . Pyihagore, qui avait commencé par une propagandepopulaire et avait dû se mêler à tous ses concitoyens,se retirait dans le sanctuaire de son école, cln'admettait plus à l'honneur de ses entretiens que sesseuls disciples '. Ceux-ci en étaient arrivés à gouvernerl'État et à vouloir y faire prédominer des mœurs, desidées nouvelles qui n'étaient pas dans le goût ni dansles habitudes des Crotoniates.Tout cela déplaisait, mécontentait,, irritait. L'ascendantde Pythagore, cependant, maintenait l'état de chosesqui s'était intro<strong>du</strong>it depuis son arrivée à Crotone et quit. Strab., VI, c. 1. p. 263: 'OJUXïIT^; Si rjuBaYOpou.2. Justin, XX, 4. Iambl., 255 : Tàpev JtoXXà autoùp iXûnct....If' 6oov IStaapov t\/t itepi toùp âXXoup.3. Iambl., 254 : Môvotp itûyxave T0 '- palht'caî;.4. Id. : I1oXcw« IT)C oûx iv toi; ijOeaiv oui' imti|8(ûpaaiv ixtivoi;X0XlT«U0|UV7K.6


82 VIE DE PYTHAGORE.avait déjà pour lui la sanction <strong>du</strong> succès et <strong>du</strong> temps * ;mais il ne fallait qu'une circonstance favorable pourfaire éclater le mécontentement qui couvait dans les esprits*. Cette occasion se présenta bientôt.Comme il l'avait déjà fait à la suite de l'annexion <strong>du</strong>territoire de Siris, le peuple, après la prise de Sybaris,demanda le partage des terres conquises, àvâSowjxoç '; uneréaction démocratique, assez modérée d'abord,fut con<strong>du</strong>itepar Hippasus, Diodore et Théagès : on demandaitune réforme de la Constitution, où s'étaient intro<strong>du</strong>itsdes principes et des pratiques trop aristocratiques. Appuyéspar les pythagoriciens, les grands résistèrent 4 ;mais malgré leur opposition, le projet de céforme futadopté s , un nouveau conseil fut institué par l'élection,qui eut pouvoir de faire rendre compte aux magistratsde la manière dont ils auraient rempli leur charge ; lesmagistrats descendirent ainsi <strong>du</strong> rôle de tuteurs et demaîtres, au rôle plus humble d'exécuteurs des volontés1. Id., td. : Auattpe


VIE DE PYTHAGOHE. 83<strong>du</strong> peuple, qui se réservait le droit de surveiller leur fidélitédans l'accomplissement de leur mandat. Tous lescitoyens furent désormais aptes à faire partie de l'Assembléeet à exercer les magistratures '.Ces premiers changements * n'étaient pas de nature à1. Iambl., 257 : Tlàvra; xoivuviTv T5); àpyô; xai Tijr, fxxlT)oiar.2. Il semble <strong>du</strong> reste que le mouvement fut général et profond. Lescirconstances qui avaient favorisé les premiers succès de Pythagoraétaient changées. Il était arrivé à Crotone vers le temps où la pro<strong>du</strong>ctiondes mythes, qui composent la légende religieuse, et constituentcomme les faits de l'Histoire sainte des Grecs, était terminée, et oùl'esprit, cet infatigable ouvrier, se tournait vers l'élaboration des idées,le développement et l'explication des sentiments moraux et des principesrationnels déposés dans ces mythes par une imagination créatriceet inconsciente. L'époque mythologique est épuisée; l'époquethéologique commence. Elle se caractérise par deux tendances : d'unepart, un effort spéculatif et rationnel ; et de l'autre, une préoccupationreligieuse, une disposition presque mystique des esprits prêts àtout croire, et à croire surtout l'incroyable. Les âmes étaient ouvertesi l'enthousiasme, au dévouement, à la foi naïve et confiante. Le goûtet le besoin <strong>du</strong> merveilleux étaient partout. Nous retrouvons ce caractèredans Epiménide que Solon appelle à Athènes pour y établir laconcorde, et chez lequel il est bien difficile de méconnaître, à côté <strong>du</strong>sage, un imposteur bien intentionné, qui abuse de la cré<strong>du</strong>lité desfoules, croyant par là les servir. Empédocle passera aussi pour avoirle secret de dominer les forces de la nature; tels aussi paraîtrontAbaris, Zamolxis, Aristéas, Phérécyde. (Conf. Jambl., 135-141. Porpbyr.,28).Hais ce mouvement des esprits inclinant vers des doctrines quichoquaient le fond et l'essence de l'esprit, grec, amoureux de liberté,et surtout de la liberté de penser et de parler, n'eut pas une longue<strong>du</strong>rée. L'époque où la tentative de Pythagore succombe est celle oùles fils de Pisistrate sont chassés d'Athènes, et où s'établit dans cettecité un gouvernement démocratique libre. La plupart des États grecsreçoivent le contre-coup de l'étincelle: et les cités grecques de l'Italieméridionale y échappèrent d'autant moins, que la population y étaitplus nombreuse et plus mélangée. Aussi Polybe, H, 39, nous dit-il,qu'au moment de la chute des Synedrla pythagoriques, ce mouvementdémocratique se répandit partout, et remplit an instant de discordes,de trouble et de sang les villes grecques de cette partie <strong>du</strong> monde.


84 VIE DE PVTHAGORE.plaire à Pythagore, dont ils compromettaient l'utopie :des inimitiés privées, des haines personnelles, qui envenimenttoujours les divisions d'opinions, vinrent ajouterà cet élément de dissensions leurs fureurs et leurs passions.Un des plus riches et des plus considérables citoyensde Crotone, Cylon, avait désiré être admis dansl'Ordre. Pythagore, qui le recrutait avec soin et étudiait,dit-on, jusqu'à la physionomie de ceux qui sollicitaientcet honneur, le repoussa à cause de son caractère violent,indiscipliné,impérieux*. Ce candidat évincé devintimmédiatement un ennemi implacable et un adversairedangereux. Aidé d'un nommé Ninon, il organisa un clubopposé à celui des pythagoriciens, une grande sociétépopulaire*, et chercha à soulever contre le parti aristocratiqueles colères et les ressentiments de la foule. Lesdispositions hostiles de cette faction nombreuse et dejour en jour plus puissante, étaient de nature à avertiret à inquiéter Pythagore : aussi quelques historiens racontentqu'il crut prudent de céder devant l'orage quis'amoncelait ', et qu'il se décida à se retirer à Métaponte,suivant les uns *, à Délos' suivant les autres, au-1. Diod. Sic, fragm. <strong>du</strong> liv. X.2. Id., t'a. ; "Evaipetav IIEYOUTIV.3. Ap. Porphyr., 55 : Ot (tév, probablement Néanthès. Ap. Diog. L.,VIII, 40, Satyrus et Héraclide ; ap. Iambl., 2S1, Nicomachus.4. Aristox., Iambl., 248. fragm. 11. C'est à Délos qu'il rencontrePhérécyde expirant, auquel il rend les devoirs de la sépulture. Uneinscription, rapportée par Douris.et qu'on avait gravée sur le tombeaude Phérécyde, célébrait la grandeur <strong>du</strong> génie de Pythagore :....vùp.ûIluoayôpe Xiyt votOS', ,5vt npàVroc dtcâvvuvl


VIE DE PYTHAGORE. 85près de Phérécide, malade et mourant. Dicéarque 1 prétend,au contraire, qu'il voulut faire face au péril, et restaà Grotone. En tout cas, ni les premiers succès qu'ilsavaient obtenus, ni l'exil volontaire de leur ennemi, s'ileut lieu, ne satisfirent les rancunes et les vengeances deCjlon et de ses partisans. Avant ou après son départ *,les deux chefs <strong>du</strong> parti démocratique * convoquentune assemblée <strong>du</strong> peuple, et là accusent formellementPythagore, en lisant des extraits de son livre intitulé :'hpè-ç XO'YOC. Ils n'ont pas de peine à dé<strong>mont</strong>rer que lesprincipes de ce catéchisme religieux et politique étaientattentatoires à la liberté, et que l'association elle-même,par son organisation, sa discipline, ses tendances, sesC'est à son retour de Délos que, trouvant ses amis morts, il se retire Aatétaponte où il se laisse périr de faim.1. D'après Apollonius (Iambl., 254) ce n'est pas après la mort de Pythagore,comme le croit H. Zeller, mais après son départ de Crotone :'Eitti Se Sùêapiv ixeipweenrrox&xiîvo; dirigée. Il est vrai que ce derniermot a quelquefois le sens de decessit; mais il s'oppose dans la mêmepbrase a fae£n,u.ct,qui fixe son sens d'une manière certaine. Quoi qu'ilen soit, d'après le récit d'Apollonius, pour mettre fin aux dissensionsentre les cyloniens et les pythagoriciens, à la suite desquelles plu.sieurs de ceux-ci, Démocédès entre autres, avaient été forcés de s exiler,des arbitres tirés des cités voisines, Tarante, Caulonia, Hétapnnte,furent appelés à juger le différend. Gagnés par l'argent, comme celaest prouve par les registres publics des Crotoniates, ils donnèrent gainde cause aux démocrates, et les pythagoriciens restèrent dans l'exil.On abolit les dettes,'et on fit un partage des terres (sans doute desterres conquises), TTIV yti v àvâSao-rov iicoinqav. Plus tard, ICOAAûV(TûV, après de grands désastres militaires, qui leur firent regretterleurs habiles généraux pythagoriciens, après la mort d'un des principauxchefs <strong>du</strong> parti populaire, on demanda le rappel des proscrits, etc'est alors qu'intervinrent les Acbéens pour procurer la paix et rétablirla concorde.I. Parents et alliés, dit Iamblique (255), des pythagoriciens.3. Fragm.,31.


86 VIE DE PYTIIAGORE.idées, était une conspiration permanente contre lesdroits populaires *. La vénération qu'ils avaient pourleur maître, qu'ils adoraient presque comme un dieu,et leur obéissance absolue à ses commandements, leuraffectation de se séparer en tout de leurs concitoyens,l'amitié indissoluble qu'ils se vouaient les uns aux autreset qui ne reculait devant aucun sacrifice, le mépris et ledédain qu'ils témoignaient à tous ceux qui ne faisaientpas partie de leur association, tout fut relevé avec amertumecontre eux. On rappela au peuple, qui avait étéprivé par eux <strong>du</strong> droit de juger et de décider, qu'il neleur devait pas la faveur de les entendre avant de lesfrapper. Le mot d'Homère qu'ils avaient sans cesse à labouche, et qui représente le prince comme un bergerde ses peuples, mi'pEva Xaôiv, <strong>mont</strong>re que dans leur penséeles peuples n'étaient que de vils troupeaux, 6oaxr^ataTOùç iXXouî ivtaç. On l'invita à renverser cette préten<strong>du</strong>e<strong>philosophie</strong>, qui n'était qu'une conspiraliou contrele peuple et une provocation incessante à la tyrannie 2 , etqui proclamait que, pour un homme, il valait mieuxn'être qu'un jour un taureau plutôt qu'un bœuf toute savie. Avant que ce procès pût avoir son issue légale, lesesprits, enflammés par ces récriminations ardentes, précipitèrentla crise.Quarante membres de l'Ordre J se réunirent dans lelieu habituel de leurs séances, situé près <strong>du</strong> templed'Apollon, ou, suivant d'autres témoignages, dans la mat-1. Justin, XX, 4.2. Iambl., 258-261 : Tup£vviSocopÉYea6ai itopax«).oûvToç....Triv çi).&-aopiotv otÙTÛv vup.o


VIE DE PYTHAGORE. 87son de l'un d'entre eux, <strong>du</strong> célèbre athlète et glorieuxgénéral, Milon. Il n'est guère probable qu'ils s'y occupassentde musique ou de mathématiques pures ; Aristoxènedit positivement qu'ils s'entretenaient d'affairespolitiques 1 , c'est-à-dire, ce qui est bien naturel, qu'ilscherchaient sans doute à s'entendre pour repousser ledanger qui les menaçait, et pour résister à leurs ennemis.Mais ils se trouvèrent bientôt cernés par une Couleirritée qui, ne pouvant enfoncer les portes, mit le feuau bâtiment*. Tous les affiliés réunis en ce moment périrentdans les flammes, ou furent massacrés par lapopulace. Deux seulement, dit-on, échappèrent à ses fureurs: Archippe et Lysis', tous deux de Tarente, dontle premier se réfugia dans sa patrie, le second en Achaïcet de là à Thèbes, où il eut pour disciple Épaminondas.Les autres membres de l'Ordre et tous les citoyens compromisdans le parti aristocratique se dispersèrent dansla Grèce, emportant avec eux, gravées dans leur mémoire,s'il est vrai qu'il leur fut interdit de les conserverpar écrit, les doctrines de leur maître.1. Diog. L., VIII, 40. Iamb.,249. Dans un passage corrompu, ontrouve le mot navSaieïav, d'où l'on peut conclure qu'ils célébraient unrepas commun.2. U semble qu'Aristophane ait tiré parti de ce fait ou de cette traditiondans la dernière scène des Nuées ; elle n'en est que plus significative.3. Origène (Phil., p. 8) y ajoute Zamoltis. Au lieu d'Archippe, Plutarque{De genio Socr., 13) nomme Philolaûs ; mais ni Philolaûs, contemporainde Socrate (469-399), ni Lysis, contemporain d'Êpaminondas(412-363) ne peuvent avoir été les disciples immédiats de Pythagore,mort vers 500 avant J. C. Il faut donc ou admettre que les noms dePhilolaûs et de Lysis ont été à tort intro<strong>du</strong>its dans ces récits, ouqu'ils se rapportent à d'autres personnages que ceux que nous connaissons,ou que les faits où ils sont mêlés sont postérieurs à Pythagore.


88 VIE DE PYTHAGOBE.Quant à lui, la légende qui se forma de bonne heureautour de son nom, et qui entoure d'un voile épais lesévénements de sa vie, laisse dans une même obscuritéles circonstances et le lieu même de sa mort. D'aprèsAristoxène 1 , Pythagore se voyant l'objet d'une animositéparticulière de Gylon, s'était retiré à Métaponte, où ilfinit tranquillement ses jours. Mais en ébranlant le créditdes pythagoriciens, ce départ et ces luttes ne l'avaientpas supprimé : ils étaient encore puissants, et les citoyensde Grolone voulaient les conserver aux affaires. C'est alorsque Cylon provoque une sorte d'insurrection populaire,où la maison de Milon est incendiée et où sont massacrésles pythagoriciens.On voit que, d'après ce récit, Pythagore était absent,et le temps qui s'est écoulé entre son départ et le massacrede ses partisans n'est pas déterminé. M. Zellerpense qu'il fut considérable, et que les mouvements révolutionnaires,qui agitèrent la ville de Crotone et lesautres cités, ses voisines, <strong>du</strong>rèrent jusqu'au milieu <strong>du</strong>cinquième siècle, et, en tout cas, sont postérieurs à lamort de Pythagore 1 .1. Fragm. 11. Iambl., 248. Nicomaque allait même jusqu'à croire(lambl.,251) que ces dispositions hostiles ne se manifestèrent qu'aprèsle départ de Pythagore.2. Le savant historien en donne des'preuves qui ne manquent pas deforce, quoiqu'elles n'en aient pas eu assez pour me convaincre. Tousles témoins sont unanimes sur le fait que les deux Tarentins ont seulséchappé au massacre de leurs amis : il est donc naturel de croire quePythagore n'était pas avec eux. De plus, l'un d'eux est I.ysis, dont ondit qu'il fut le maître d'Épaminondas. Si cela est exact, et s'il n'y a pasconfusion de noms, nous ne pourrions nous empêcher de placer l'événementau plus haut vers TOI. 85 = 440. Car Épaminondas étant né01. 92 = 412, son maître ne pouvait guère être né plus haut quel'OI. 80 =460; et encore il n'aurait eu que vingt ans lors de l'incendie


VIE DE PYTHAGORE. 89Dicéarque ' croit, au contraire, comme nous l'ayonsdéjà dit, que le maître assistait à la réunion qui eut lieudans la maison de Milon*. Mais il aurait échappé, commeArchippe et Lysis, aux meurtriers. Sauvé par le dévouementde ses amis, qui lui firent un pont de leur corps,il réussit à gagner le port de Gaulonia et de là Locres.Mais' les magistrats de cette ville, sans contester ni songénie ni sa vertu, s'empressèrent de lui faire savoirqu'ils trouvaient leurs lois bonnes, et n'éprouvaientde la maison de Milon. Mais que devient dans ce calcul Milon, contemporainde Pytbagore, et dans la maison <strong>du</strong>quel eut lieu l'événement?Que devient Cylon, son adversaire et son ennemi? N'est-ce pas bienhardi de supposer que la maison de Milon continua à porter le nom deson propriétaire cinquante ans après sa mort; et que le terme de otKuXwveîoi, qui se rencontre seul dans le récit d'Aristoxèhe, désigneun parti comme celui des pythagoriciens, qui gardait le nom deson chef, après l'avoir per<strong>du</strong>. Un passage de Polybe, cité par M. Zeller,ne parait pas contenir tout ce qu'il veut y voir. Au liv. II, ch. XXXII,l'historien dit que les cités grecques de l'Italie méridionale, réconciliéespar les Achéens, adoptèrent leurs mœurs, leurs lois, leursgouvernements, auxquels ils ne renoncèrent que contraints par lesattaques de Denys de Syracuse. Voici le texte : *ETK6(IXOVTO xpv)o6aixai ôtotxtïv xaxi TOUTOU; rè.* noXvtetav.... Cité Si rî); Atovuotov Suvaaveta;....4|iito8tii9svTe;.... xax' àvâY'lv aùttôv àitta-rr)cav. M. Zeller.l'interprète ainsi: ils commencèrent(éne6iXov, ine6âXovTo) à pratiquerce gouvernement démocratique des Achéens ; mais les attaques deDenys le tyran les en empêchèrent, et ils furent obligés d'y renoncer.En sorte qu'il n'y eut qu'un commencement, un essai, que les circonstancesne permirent pas de réaliser. Mais c'est presser bien rigoureusementle sens d'éne6âXovro, qui peut signifier aussi : ils semirent à pratiquer et le pratiquèrent en effet jusqu'au moment où leshostilités et l'état de guerre les forcèrent d'y renoncer, sans qu'on puissesoupçonner dans les expressions de Polybe quelque allusion a une<strong>du</strong>rée plus ou moins longue de ces nouvelles institutions.1. Porph., 56 et 57.2. Et il en donne la raison : c'est que le voyage à Délos auprès dePhérécyde n'a pas pu avoir lieu pendant le séjour de Pythagore à Crotone; car Phérécyde était mort avant le départ de Samos.


90 VIE DE PYTHAGORE.aucun désir de les changer. C'était suffisamment clair:mais dans la crainte de ne pas être compris, il lui 'signifièrentnettement d'avoir à quitter Locres, tout en luioffrant les secours dont il pourrait avoir besoin. L'infortunéréformateur essuya le même affront à Tarentequi repoussa sa dangereuse sagesse, et ne fut sans doutepas mieux reçu & Métaponte où il se laissa mourir defaim dans le temple des Muses '.D'autres auteurs, pro<strong>du</strong>its mais non nommés parPorphyre, prétendaient qu'il avait été poussé à cet actede désespoir, bien peu conforme aux principes de samorale qui interdisaient expressément le suicide 1 , parla douleur d'avoir vu périr tous ses amis. Les biographesde Diogène intro<strong>du</strong>isent encore des variantesdans le récit. Échappé aux mains de la populace deCrotone, il avait rencontré dans sa fuite un champ defèves : pour éviter de fouler aux pieds cette plante sacrée,il fait un détour qui donne le temps aux meurtriersd'arriver et de le tuer, ainsi que quarante de ses amis*.Hermippe a encore une autre version : suivant lui, c'esten Sicile, à Agrigente, qu'est mort Pythagore qui y avaittrouvé un asile. Cette ville était alors en guerre avecSyracuse, et les réfugiés prirent naturellement le partide la ville qui leur avait donné l'hospitalité. Dans unebataille où les Syracusains furent victorieux, Pythagoreet ceux de ses amis qui combattaient à ses côtés, furenttués au moment où ils tournaient, en fuyant, un1. Dicsearch., fragm., 31 et 32 ap. Porphyr., 56, 57. Themist., Orof.,XXIII, p. 285.2. Plat., Phxdon.3. Diog. L., VIII, 39.


VIE DE PYTHAGORE.champ de fèves dont ils n'avaient pas voulu violer lasainteté 1 .Plutarque a aussi sa relation propre ; suivant lui,Pythagore a été brûlé vivant par la populace», non pasà Crotone, mais à Métaponte où les collèges pythagoriciens,chassés des autres villes, s'étaient réfugiés. C'est làque les partisans de Cylon l'attaquèrent dans une maisonoù étaient réunis avec lui tous ses amis, incendièrentla maison et les tuèrent tous, sauf Philolaus et Lysisqui échappèrent grâce à leur agilité et à leur vigueur.Philolaus se réfugia chez les Lucaniens, et Lysis àTbèbesoù le rencontra Gorgias ». On voit que Plutarque,qui d'ailleurs ne pro<strong>du</strong>it aucune autorité, brouille et confondles faits, les lieux et les temps. Ainsi il metl'incendie à Métaponte, fait de Cylon un Métapontinet de Philolaus, qui a vécu au temps de Socrate, un contemporainde Pythagore ».De tous ces renseignements, divergents sur plusieurspoints, concordants sur quelques autres, on peut admettrecomme le fait le plus probable que Pythagoreest mort à Métaponte, où l'on <strong>mont</strong>rait encore à Cicéron lamaison où il avait ren<strong>du</strong> le dernier soupir, et le siège9T1. Diog. L., VIII, 40.2. Plut., de Stoicor. repugn., c. xxivn, p. 1051. Ce renseignementest repro<strong>du</strong>it par Athenag. Leg. p. Christ., c. xxxi; Orig., Philos.,p. 8; Schol. Plat., ad Remp., p. 600, br.3. Plut., De gen. Socr., c. xni, p. 583, a, b, c. Il faut dire que Plutarqueparle ici de mouvements contre les sociétés <strong>pythagoricienne</strong>sen général, inil yàp èÇsitscov al xatà 7to)ei; itatptai TXôV nuOavopixwvarâati xpaSsvruv, et non <strong>du</strong> fait particulier où Pythagore aurait succombé.4. Pythagore est mort vers la 70* 01. = 500. Socrate est né01. 77.3 = 469.


92 VIE DE PYTHAGORE.où il avait l'habitude de s'asseoir 1 . C'est Ut qu'était sontombeau, et les cendres de cet étranger, qui y étaientrenfermées, attirèrent à cette ville plus de renommée quecelle de ses plus illustres enfants*.La date de l'événement, qui varie suivant celle qu'onadopte pour la naissance, peut être approximativementplacée vers la 70' 01. = 500-496 ans av. J. C, puisquenous avons admis la naissance à 1*01. 50 = 580 576 av.J.-C, et que Sotion, Satyrus et Héraclide lui donnentune carrière de quatre-vingts ans.La mort de Pythagore n'apaisa pas les haines qu'avaientsuscitées ses tentatives ' de réforme politique etmorale. A Crotone, comme dans toutes les cités oùs'étaient formés des collèges pythagoriciens, des réactionsviolentes et cruelles, des guerres intestines et sanglantess'élevèrent A Crotone, Démocédès, l'un de ceuxqui s'étaient compromis en repoussant les propositions<strong>du</strong> parti populaire, fut accusé; on mit sa tête à prix, etil fut égorgé par un misérable qui réclama son salaire.Cet état de désordres intérieurs, qui se compliquait deguerres et de rivalités entre les cités voisines, et quicompromettait leur prospérité et leur puissance, <strong>du</strong>ra1. Val. Max., V'.II, 7, 2. Justin, XX, 4. Themist., Oral., IV, p. 100.Clem. Alex., Strom., I, p.301. Cic, de Fin., V,2 : « lllum locum ubivitam ediderat, sedemque viderim; • ce que M. Grote a tort de tra<strong>du</strong>ire: • où j'ai vu son siège et son tombeau. • (Hist. de la Grèce,t. VI, p. 267.)2. Val. Max., VIII, 7 2 : « Oppi<strong>du</strong>m Pythagorae quant suoruni cinerumnobilius clariusve monumento. • Suivant le même auteur, quiest le seul à nous donner ce renseignement (VIII, 15), après sa mort,la ville de Crotone, pour honorer sa mémoire, fit de sa maison untemple consacré à Cérès : • Quantumque illa ur*bs viguit, et Dea innominismemoria, et homo in De32 religione cultus est. •


VIE DE PYTHAGORE. 93un temps que nous ne pouvons apprécier, faute de renseignements.Nous avons vu plus haut que par des in<strong>du</strong>ctionsingénieuses mais hardies, M. Zeller le prolongeaitjusqu'au milieu <strong>du</strong> v* siècle, et même jusque versle commencement de la guerre <strong>du</strong> Péloponnèse, 01. 87.2=431.Quoi qu'il en soit, il est certain que les Achéens, affligésde la ruine prochaine de leurs colonies, naguèresi brillantes, s'entremirent pour rétablir la concordeentre les divers partis qui se déchiraient dans chaquecité, et la paix entre les diverses villes. Ils y réussirent ;et toutes s'entendirent pour adopter les institutions etles lois, le gouvernement tout entier de la mère patrie,fondé sur la liberté et l'égalité 1 , auquel ils ne renoncèrentque contraints par les attaques de Denys l'Ancien,tyran de Syracuse. Une des conditions de cet accord futle retour des exilés et des émigrés. Les pythagoriciensrentrèrent doncdans l'ItalieL-L'Ordre pythagorique, entant que société politique, fut à jamais détruit, nonseulementà Crotone, mais dans toutes les villes oùs'étaient constituées des sociétés affiliées. Mais ils eurentle droit, en tant qu'indivi<strong>du</strong>s, de se mêler au gouvernementet aux affaires publiques, de commander lesarmées, et de prendre part aux grandes' magistraturesde l'État : ce qu'ils firent souvent avec bonheur commeon le voit par l'exemple d'Archytns. De plus, -ils purentreconstituer leur société, mais en en changeant ou en enmodifiant la constitution et le but. Le rôle <strong>du</strong> pythagorismepolitique, dominant peut-être dans la première1. llafrfniaUn xal turiYoplav.i. Polyb., II, 39.


94 VIE DE PYTHAGORE.période de son histoire, fut terminé : il se relève commesociété religieuse et comme école de <strong>philosophie</strong>, quiconserve son centre et retrouve sa splendeur dansl'Italie', à laquelle l'école est considérée toujourscomme appartenant si bien qu'elle en porte le nom 1 .La persécution dont les membres de l'Ordre avaientété victimes, en les dispersant dans toute la Grèce,favorisa non-seulement la diffusion", mais le développementet le progrès de leurs idées; car les idéesne sont jamais plus fécondes que par le contact etmême par la lutte avec d'autres idées. Nous voyonsau temps de Socrate des pythagoriciens exposer leursystème dans des leçons, peut-être publiques, maisdont l'écho, fussent-elles privées, ne put manquerd'être enten<strong>du</strong> à Athènes. Les liens de la disciplineétant nécessairement rompus par l'isolement, chaquepythagoricien retrouva son indépendance d'esprit etson indivi<strong>du</strong>alité philosophique; chacun put suivre savoie propre, et développer plus librement la doctrine<strong>du</strong> Maître, tout en restant fidèle à ses principes. Philolaitsfut, dit-on, le premier qui osa, malgré les règlementsde l'Institut, écrire et publier les doctrines del'école ; j'ai peine à croire qu'il n'ait eu à se reprocherque cette seule infraction.1. Arist., de Ccel, II, 13 : 01 iripî ItaXiav, xaXoûuevoi ic nuBoYopiToi.Cic, de Senect., C.XII : • Italiei philosophi quondamnominati. •Diog. L., Proocm., 13 : 'Axo nviBayopou 8ti ta trUïata xatà tr,v "Ita-Xlav Siétpupe. lîuseb., Pracp. ev., X, 4, 471, b : 'H xXxiOtïov 'ltaXixrictXoaoela tri; tir.b>vup.(a; èx TT,ç /.axa Tï|V 'ItxXiav Statpi6YJ( atiu>t>el


VIE DE PYTHAGORE. 95En rentrant dans leur patrie, avertis par l'exemple <strong>du</strong>passé, contraints peut-être par la loi, les pythagoriciens,<strong>du</strong>rent renoncer à une action politique collective et organisée: ils purent alors se livrer avec plus d'ardeur etplus complètement aux questions vraiment scientifiqueset philosophiques. L'école se maintint assez longtempsà l'état de secte distincte et indépendante 1 . On lisait autrefoisdans le texte de Diogène de Laërte* qu'elle avait<strong>du</strong>ré dix-neuf générations. Ménage, en rétablissant uneleçon d'un manuscrit, a ré<strong>du</strong>it cet espace considérableà neuf ou dix générations ; l'erreur, atténuée par cettecorrection ingénieuse, n'en subsiste pas moins. Arisloxènedit avoir vu les derniers représentants de cettegrande école qui disparut de son temps. Or Aristoxène,disciple d'Aristote et de Platon, est le centemporaind'Alexandre, mort en 323, et de Denys de Syracuse leJeune, détrôné en 343. Comment l'école <strong>pythagoricienne</strong>,dont le fondateur est mort en 500 avant J. C, auraitelle<strong>du</strong>ré 300 ans? Il faudrait donc ré<strong>du</strong>ire l'espace dela génération de 30 à 25 ans, et prendre pour point dedépart la naissance de Pylhagore; nous arriverions parces données très-arbitraires à compter dix générations,soit 250 ans, pour la <strong>du</strong>rée <strong>du</strong> développement historiquede la <strong>philosophie</strong> <strong>pythagoricienne</strong>.Aristoxène nous a donné les noms de ceux en quielle s'éteignit : c'étaient Xénophile de la Chalcidique de1. Porphyre (53) attribuait la 1 disparition de la secte i trois causes :1* & l'obscurité de ses dogmes ; 2° au dialecte dorique dans lequel ilsétaient écrits; 3" au pillage audacieux de Platon, de Speusippe, deXénocrate, qui lui avaient dérobé ce qu'elle avait de plus vrai et de plusbeau.2. Diog. L., VIII, 45et46.


96 VIE DE PYTHAGORE.Tbrace, son ami et son maître *, Phanton, Échécrate,Polymnaste, Diodes, tous quatre de Phliunte, et disciplesdes Tarentins Philolaùs et Eurytus *.La vie privée de Pylhagore nous est absolument inconnue: suivant Porphyre, il se serait marié en Crèteavec Théano, fille de Pylhanax ; mais cette femme, célèbreparmi les femmes <strong>pythagoricienne</strong>s, est, suivantd'autres, ou la fille ou la femme de Brontinus, de Métaponte,d'après Iambique', de Crotone, d'après Diogène*.De son mariage il aurait eu trois ou quatre enfants: un fils nommé Télaugès, maître d'Empédocle,suivant les uns, Arimnestus, suivant Douris, dans lesecond livre de ses Annales 5 , qui fait en outre de cetArimnestus le maître de Démocrite, et deux filles, l'uneappelée Damo, l'autre Myia, épouse de Milon '.1. Aul.-Gell., IV, c. ix. Suid., v. 'Aptarôt.2. Diog. L., Vin, 45 et 46. Iambl., 248. Fragm. Aristox., 11 et 12.3. Iambl., 267.4. Diog. L., Vin, 42. Conf. VIU, 83.5. Diog. L'., VIII, 3 et 4. .6. Nous retrouverons parmi les auteurs des Fragments pythagoriciens,qui nous sont parvenus, ou des ouvrages per<strong>du</strong>s, dont nous auronsi discuter l'authenticité, encore deux femmes : Métissa, qu'Iambliqueoublie dans son catalogue, et dont nous avons cependant unelettre assurément apocryphe, et Périctyoné, également oubliée par lui,quoique Stobée nous ait conservé d'elle quelques fragments d'un livresur la Sagesse, icepl copia;.


CHAPITRE QUATRIEMEL'ORDREPYTHAGORICIENSON ORGANISATION, SA CONSTITUTION, SES RÈGLEMENTSSON CARACTÈRENous avons vu In société <strong>pythagoricienne</strong> se pro<strong>du</strong>iresur le théâtre de la politique, et nous savons maintenantdéjà quels principes elle avait voulu intro<strong>du</strong>iredans la vie privée et publique : elle se proposait évidemmentun but politique, et en même temps moral,puisque la politique et la morale ne se séparaient paschez les anciens. Mais c'est une erreur de croire que cefût le seul objet qu'elle ait poursuivi'. Pythagore a voulu,et c'est ce qui fait à la fois l'originalité, la grandeur etle péril de sa tentative, Pythagore a voulu réformernon-seulement la vie morale, privée et publique, mais1. Krische, p. 101 : • Societatis scopus fuit mère politicus. » Ritter(Hitt. de la phil., t. I, p. 297) est d'un autre sentiment : « Il ne fautpas croire que les mystères des pythagoriciens fussent exclusivementpolitiques. Les traditions les plus vraisemblables nous autorisent, aucontraire, à chercher le centre de vie de la communauté <strong>pythagoricienne</strong>dans une doctrine religieuse secrète. > On verra que ce pointde vue agrandi n'embrasse pas encore tout l'objet de l'Institut de Pythagore.7


98 L'ORDRE PYTHAGORICIEN.aussi la vie religieuse ; et non content de ce projet déjàbien vaste, il a voulu fonder sa conception religieuse,sur une doctrine rationnelle, scientifique, systématique,en un mot sur une <strong>philosophie</strong>.Cette <strong>philosophie</strong>, tout le monde le sait, se ramène àun principe qui s'applique à tout : l'homme et l'Étatdoivent être ce qu'est le monde lui-même : une harmonie,c'est-à-dire un reflet visible de l'harmonie suprême, qui ne se manifeste que dans l'unité parfaite, enDieu *. Cette harmonie des choses, doit se retrouver etse retrouve en effet dans la conception qui cherche àles expliquer, et le lien qui les unit les unes aux autres,comme les divers rapports qui constituent cette harmonie,doit se retrouver entre les diverses connaissancesqui constituent la connaissance <strong>du</strong> tout. Naturellementd.onc et pour ainsi dire nécessairement, tout setient dans la vaste conception de Pylhagore : la politiqueet la morale s'unissent à la pratique et à la foi religieuses,qui se lient elles-mêmes à la pratique des artssupérieurs de l'esprit, et à la connaissance scientifiquede la vérité.Nous allons <strong>mont</strong>rer comment l'Ordre pythagoricien,dans sa constitution et son organisation répondait à cestrois buts, qui se coordonnaient et s'harmonisaiententre eux, comme les diverses parties d'un même système.D'abord que l'Ordre fût une institution politique, c'estce qui résulte déjà clairement <strong>du</strong> récit qu'on vient délire.Sa chute, les accusations contre ses membres, les haines1, Diog. L., VIII, 33 : Ka6' 4p|iov{av cuvitndvai ta SXa.


L'ORDRE PYTHAGORICIEN. 99populaires soulevées contre eux, les dissensions intestineset les guerres civiles provoquées par la lutte des partis,l'influence lointaine et profonde que l'Ordre exerça, ouestcensé avoir exercée sur les institutions et les législationsdes cités italiennes où il avait pu établir des ramifications', le fait certain qu'à Crotone particulièrement, ildominait directement ou indirectement le Conseil desmille * , prouvent que l'institution avait un but, unobjet et un caractère politiques. A Crotone le mot < lespythagoriciens > ne désigne pas une école, il désigne unparti * qu'on oppose au parti contraire : les cyloniens,et les haines qui les animent sont si profondes et sivivaces, qu'elles <strong>du</strong>rent jusqu'aux derniers temps <strong>du</strong>pythagorisme *. Leur passion politique est si ardente,qu'ils s'en mêlent même à l'étranger. Les pythagoricienséchappés au désastre de leur parti à Agrigente, etréfugiés à Tarente, ne peuvent s'abstenir de politique:1. Les traditions erronées qui faisaient de Chàrondas, de Zateucus,de Numa, des disciples de Pythagore, prouvent au moins l'opinionqu'on se faisait de la tendance générale de ses idées, et l'importanceque prenait la science <strong>du</strong> gouvernement dans la conception qu'on luiprêtait. Sénèque (ep. 90, sur l'autorité de Posidonius) nous dit de cesgrands législateurs : • Hi non in foro, nec in consultorum atrio, sedin Pythagorœ tacito illo sanctoque secessu didicerunt ;'uro, quae florentltune Siciliae et per Italiam Gracia? ponerent. • Iamblique cite encorecomme disciples de Pythagore Théétète, Hélicaon, Aristocrate e-Phytius, qui donnèrent des lois à Rhégium. Plutarque (An cum prt'n"cip. philos.,1, p. 777) compare l'influence d'Anaxagore sur Périclès,de Platon sur Dion, à celle de Pythagore sur vote icpuvsûoucrtv 'IraXtutûv.2. Val. Max., VIII, 15 : « Enixo Crotoniatae studio ab eo petierunt usenatum ipsorum consiliis suis uti pateretur. »3. Porphyr., 57 : iluvayopiiot il iyXifinoon h o-vovetaie airao-a éowaxoXoufrr|0-a


100 L ORDRE PYTHAGORICIEN.ils organisent un complot contre le gouvernement, qu'ilstentent de renverser, échouent dans leurs desseins, sontarrêtés, condamnés et périssent par le feu 1 . Nousvoyons par leur histoire dans quel sens s'est déterminéeleur politique. L'idéal de cet ordre politique et à la foisreligieux, se rapproche, par certains côtés, <strong>du</strong> systèmede gouvernement propre aux Doriens ; mais je ne croispas qu'il s'inspire de ce modèle, car il part de tout autresprincipes, quoique aboutissant à une certaine analogiedans les conséquences pratiques. La pensée dominante,qui préside à la constitution de l'État dorien ou aristocratique,c'est bien le sentiment de l'ordre : l'État doitêtre considéré comme un être vivant ; l'unité est sa vie,et par conséquent, la nécessité de maintenir l'unité estla première loi de sa force et de sa»<strong>du</strong>rée. De là cettediscipline extérieure, minutieuse, sévère, armée d'unepuissance capable de dompter les révoltes de l'indivi<strong>du</strong>alisme,et de maintenir l'unité de la vie, des mœurs, dessentiments, des idées, <strong>du</strong> corps et de l'âme en un mot,entre tous les citoyens. L'obéissance envers le magistratet envers la loi est la première des vertus. C'est bien aussile précepte de Pythagore : mais il faut à ce dernier, quiest un philosophe, un élément dont ne s'est pas inquiétéLucurgue : l'obéissance qu'il demande n'est ni passive,ni mécanique; c'eat une soumission sincère de l'esprit,une obéissance provenant d'une conviction éclairée,raisonnable, volontaire, et non contrainte et forcée *.Pythagore, comme Platon, est d'avis que l'homme a1. Diog. L., VIII, 40 : ©£XovTa;àvTtitoXiTcûnjflai TOïç itpotirtûat.1. lambl., 175 : M*; nXeunû(&XXà iceiceia|icvu«.


L'ORDRE PYTHAGORICIEN. 101besoin d'un mattre, ou <strong>du</strong> moins d'un guide* : il ne peutsuffire à la con<strong>du</strong>ite et au gouvernement de luimêmeJ . Le plus grand des maux pour lui, et dansla vie privée et dans la vie publique, c'est l'anarchie *,car il est naturellement porté à l'excès ', à Pinconstance,à la mobilité : c'est un être qui change et variesans cesse au souffle de ses passions et de ses désirs.Non-seulement il faut obéir aux lois, il faut encore lesrespecter, les maintenir, ne pas les changer '. Ce n'estpas l'opinion <strong>du</strong> grand nombre qu'il faut suivre, maiscelle des hommes sages et expérimentés '. La foule estmauvais juge de ce qui est beau et bon T .1. Heraclite avait déjà dit : « La loi consiste à obéir à la volontéd'un seul. » Fr. 34 (38).2. Iambl., id.3. Iambl., 1.1. et 171.4. Id., 1. I. : To ûëpioTixAv ; ce qui dépasse la mesure de ses droitset de sa puissance, les limites de sa nature. C'est par conséquent unattentat contre Dieu, dont il usurpe le domaine.5. Iambl. 1. 1. : uivetv èv TOI; Ttaxpioi; ISiai xal vouiuoic. Diog. L.,23 : Nojiip 8OT)9EïV, àvopia XOLEUSîV. — On trouvera, dans les Fragm.d'Ârchytas, un admirable morceau sur la loi: • La loi, sans laquellele roi n'est plus qu'un tyran, le magistrat un usurpateur, le sujet unesclave, la société un troupeau de misérables. Il faut que la loi soitutile à tous, efficace, conforme à la nature des choses, en harmonie avecles hommes qu'elle doit gouverner. Elle a une puissance efficace,si elleest bien appropriée aux citoyens ; elle est conforme à la nature deschoses, si elle est l'image <strong>du</strong> droit naturel ; enfin utile à tous, si elle n'estpas monarchique et ne constitue pas de privilèges. La constitution la.meilleure est une constitution mixte, comme celle de Lacédémone. oùles trois principes de gouvernement, monarchique, aristocratique, démocratique,étaient irais dans un rapport harmonieux. Celui quiaspire à commander les hommes doit avoir la science, la puissance,et surtout la bonté : il est contradictoire qu'un berger haïsse son troupeau.>6. Porph., X, p. 42.7. V. plus haut, p. 76, n. 3. Stob., XLVI, 42, p. 220, t. II : . Fais ce


102 L ORDRE PYTHAGORICIEN.De quelque manière qu'on les envisage, on ne peutconsidérer comme absolument étrangères à la politique,ni l'institution des repas communs, ni la règle moraleque tout est commun entre amis.L'histoire de Damon et de Phinthias, qu'Aristoxèneaffirme tenir de Denys lui-même', prouve évidemmentque l'on pouvait adhérer aux principes moraux et philosophiquesde l'Ordre, en être même un membre, <strong>du</strong>moins un membre extérieur, sans renoncer à la propriétéindivi<strong>du</strong>elle, L'Ordre pythagoricien n'a pas, mêmeà Crotone, absorbé l'État : il était seulement commeune image idéale, le modèle de l'État parfait; et lapreuve, c'est que l'opinion publique se plaignait précisémentde l'isolement où ses membres affectaient de semaintenir, de cette hauteur d'attitude, de cette vertuorgueilleuse par où ils prétendaient se distinguer et seséparer de leurs concitoyens. Pythagore réunit, dit-on,beaucoup de partisans ' ; mais ce mot vague ne doit pasfaire illusion; car Iamblique, qui l'emploie, le déterminepar le nombre de 600, chiffre assurément bien modestedans une ville si populeuse. C'est même une des causesqui excitaient le mécontentement, de voir une minoritési faible exercer une influence politique si considérable,et aspirer à changer et les institutions et les mœurs.Sans doute, la vie commune, le cénobitisme s'est intro<strong>du</strong>itdans la vie pythagorique*; mais cette règle neque tu crois être bien, quand bien même il semblerait aui autres quetu fais mal: çXùAO? yàp xpt-nu tcavto; xaàoû itpâYiiaToc, 6x A °( '•si tu saismépriser ses louanges, tu sauras mépriser son blâme. •1. Porphyr., 59.2. lambl., 29.3. Iambl., 81 : aiv ; 167,168 : xoivo6£ot. Diog. L., X. II.


LORDRE PYTHAGORICIEN. 103s'est éten<strong>du</strong>e ni à tous les temps ni à tous les membres ;* entre pythagoriciens tels que Damon el Phinthias, il n'ya pas communauté de biens; ce n'est donc pas unerègle absolue de l'Institut; à plus forte raison ne peutonadmettre qu'ils l'aient imposée à tous les citoyenset qu'ils en aient fait une loi de l'État. Dans les règlementsque nous transmet Iamblique sur la vie intimedes pythagoriciens, nous voyons, après le repas<strong>du</strong> soir, chaque frère regagner sa maison et sa famille 1 .Ceux-là seulement, à qui convenait cette communautéd'existence*, abandonnaient à l'Ordre leur fortune personnelleet vivaient des ressources de la communauté.Mais même ainsi restreinte, la règle qui se proposaitcomme un idéal, ne pouvait manquer d'avoir une influencepolitique, et si elle était si parfaite dans les rapportsd'une société particulière, on devait être tentéde la considérer comme applicable aux rapports de lasociété politique.Les repas des pythagoriciens ne sont pas proprementcommuns; ils ne mangent pas tous ensemble : au contraire,il leur est défen<strong>du</strong> d'être plus de dix à la mêmetable*. Ce nombre, sacré pour eux, est.assez restreint;et par cette limite, déjà ces Syssities pythagoriques seÉpicure ne voulait pas que ses disciples missent leurs biens en commun,comme Pytbagore Conf. Diog. L, VIII, 10 et 23; Apul..I, 9; Porphyr.. Y. P., 33; Schol. Platon.. Phœdr , p. 279, c, lequelcite Aristote {Elhic. Nie, IX, 8). Celui-ci ne considère la maxime quecomme un précepte de morale, et Cicéron la commente, en disant quePytbagore veut que l'amitié fasse un de plusieurs, ut unut fiât expiuribiiï (de Legg., I, 2 et de OIT-, I, 17).1. Iambl., 100 : 'Asttvou exoercov et« oîxov.2. Iambl., 167, 168 : El |ùv fipisxevo rg xoivwvta.3. Iambl., 98. Strab., VI, c. i, p. 263.


104 L'ORDRE PYTHAGORICIEN.rapprochent des "AvSpsta des Cretois et des «hetoma ou«PiXÎTia des Lacédémoniens, espèces de conseils secrets,limités à quinze membres choisis parmi les grands, etque Plutarque compare aux repas communs des Prytaneset des Thesmothètes, à Athènes '.Les uns et les autres avaient un caractère et une tendancepolitiques. Comme les Anglais, les anciens nedédaignaient pas de causer à table ou après le repas, delittérature, de poésie, d'art, de sciences, de <strong>philosophie</strong>et surtout de politique. Les heures qui suivaient le repas<strong>du</strong> jour,


L'ORDRE PYTHAGORICIEN. 105nétration intime de la vie religieuse et de la vie moraleque la <strong>philosophie</strong> tendait plutôt à séparer.Il importe donc d'insister sur le caractère profondémentreligieux des règles et des pratiques <strong>du</strong> pythagorisme.L'époque où a vécu Pythagore, c'est-à-dire le vr* siècle,a vu se pro<strong>du</strong>ire, avec une grande intensité, un mouvementd'idées et de sentiments religieux, et mêmeune espèce de besoin théologique. Les poètes épiquesqui ont créé, formulé,- enrichi la tradition sacrée desmythes et le riche fonds des légendes divines ou héroïques1 , ont terminé leur œuvre ; la veine créatrice desmythes est épuisée ; la source des récits légendaires esttarie. La poésie gnomique qui a succédé à l'épopée,n'est pas en état de fonder la vie sur des principes suffisammentlarges et élevés. Sa morale, toute humaineet toute pratique, n'a pas d'assez hautes visées ; les aspirationssupérieures, sublimes, de l'âme éprise de la perfectionet de l'amour de la vérité, le noble et nouveautourment de voir, de savoir, de croire, ne trouvent pasen elle leur satisfaction et la réclament. La dispositiongénérale des esprits, éten<strong>du</strong>e autant que forte, est unedisposition religieuse, qui se manifeste et par un goûtde vie intérieure, de perfection morale, et par une tendancesuperstitieuse au merveilleux et au surnaturel,au mysticisme dans les idées, à l'ascétisme dans la pratique.Le sentiment religieux est à la fois un sentiment deterreur et presque d'horreur, et un sentiment délicieux1. Il faut distinguer les mythes théologiques, dont l'épopée d'Hésiodeest l'exposition, des mythes héroïques d'Homère.


106 L'ORDRE PYTHAGORICIEN.d'amour et de joie ineffable, qui tous deux naissent dela conscience de la vraie nature de l'homme, subordonnée,inférieure et, à la fois, semblable à la puissancesuprême et invisible ; c'est la conviction profondémentsentie de notre faiblesse et de notre grandeur. Ce sentimentcherche à se manifester-, cette conviction aspire &se préciser et à se formuler. En face de ces puissancessuprêmes qu'elle ne peut s'empêcher de reconnaître,l'âme, saisie <strong>du</strong> sentiment de sa faiblesse, conçoit l'espéranceet bientôt s'attribue la puissance, par des pratiquesextérieures ou intérieures, de conjurer la colère,d'attendrir la justice, de provoquer la faveur, la bonté,la grâce de ces dieux tout-puissants. La pensée que lesdieux implorés et sollicités par l'homme voudront etpourront changer en sa faveur le cours implacable etinflexible des lois naturelles, constitue la foi au surnaturel.Mais ce besoin d'espérer et de croire n'étouffe pasdans l'espritdes besoins d'un autre ordre et non pas moinsexigeants. Une religion, et surtout la religion grecque,qui ne s'est jamais laissé emprisonner dans des symbolesécrits et des formules fixées, une religion laissetoujours ouverte la voie d'une explication rationnelle,d'une libre interprétation de ces mythes, où l'esprithumain a comme personnifié sa pensée par un travailcollectif et presque inconscient. Ces mythes ne lui suffisentpas toujours ; il vient un moment où non-seulementil veut se rendre compte <strong>du</strong> sens caché que contiennentces faits merveilleux, mais où il conçoit le projetde ré<strong>du</strong>ire en un système complet, qui satisfasse laraison, toutes ces notions qui lui apparaissent flottanteset vagues dans les visions <strong>du</strong>. mythe, et de les coor-


L'ORDRE PYTHAGORICIEN. 107donner dans un tout dont les parties se lient, se soutiennent,s'expliquent les unes les autres. C'est ce quej'appelle la tendance théologique.Ainsi, d'une part, un sentiment religieux, une préoccupation<strong>du</strong> surnaturel ; de l'autre un effort spéculatifpour coordonner les croyances en un tout systématique,et pour donner une explication rationnelle des mythessacrés; voilà la double préoccupation dont nous apercevonsdes indices certains à l'époque de Pythagore.Nous les voyons apparaître dans les philosophes, leslégislateurs, les réformateurs qui précèdent Pythagore,comme dans les orphiques qui lui succèdent et relèventde lui.Épiménide avait déjà essayé de ramener à une sortede système les croyances mythologiques, formulées parHomère et par Hésiode, développées lentement, accrueset modifiées par le temps, mais dont le fond essentiels'était emparé des esprits. Il admettait deux principes,l'Air et la Nuit, qui en pro<strong>du</strong>isaient un troisième, le Tartare'.Engendrés par eux, deux autres êtres pro<strong>du</strong>isaienten s'unissant l'œuf <strong>du</strong> monde, d'où sortent tous les êtreset toutes les choses de la nature. Je ne veux pas insistersur le fond assez insignifiant de ces idées. Ce qui importeà notre sujet est de mettre en relief le caractèresous lequel se présente le personnage et le rôle qu'iljoue. Né à Phœstus en Crète, et vivant à Cnosse, ce sage,appartenant à un ordre de prêtres qui s'entourent <strong>du</strong>plus profond mystère, serait resté oublié dans cette lie,alors presque inconnue <strong>du</strong> monde grec, si Solon ne1. Damascius, de Principiit, 383.


108 L'ORDRE PYTHAGORICIEN.l'avait pas tiré de l'obscurité et de sa retraite, consacréeà la méditation, pour utiliser son expérience morale,son art divinatoire et sa connaissance pratique des ritesexpiatoires 1 . Il se présente comme un homme douéd'une puissance surnaturelle : après avoir dormi unsommeil de cinquante-cinq ans, il parcourt, sans jamaisprendre de nourriture, une vie de cent cinquante à deuxcents ans, suivant les diverses traditions : il purifie parson art de x«6oîpT7i«, Délos et Athènes, dans la 46* Olympiade;il prédit aux Spartiates une défaite qu'ils éprouverontdes Arcadiens; il feintd'avoir succombée la mortet d'être ressuscité. Comme il est le premier des Grecs quiait connu et pratiqué la science de purifier les villes,les maisons et les champs, les falsificateurs des tempspostérieurs lui attribuèrent des ouvrages en prose et envers, d'un contenu épique, théologique et mystique, desXpr,( et des xetOappLot *. On voit par le récit de Plutarque,que pour imposer des règles morales et une réforme politique,il s'est cru obligé d'avoir recours à des pratiquesreligieuses et superstitieuses. L'histoire caractérise ences termes le personnage : ISùMI Si -n? eïvat OtoauX^ xalaôçoçittpi vi ôsïaT'Xv e'v6ouut


L'ORDRE PYTHAGORICIEN. 109juste et l'amour de la concorde*. Mais pour que cesmoyens fussent essayés, et pour qu'ils aient pu réussir,il fallait un certain état des esprits ; il fallait que déjàles âmes fussent disposées à s'enthousiasmer comme àcroire, et que l'imagination sollicitée par un tourmentnouveau provoquât cet appel d'Épiménide au merveilleux,au prodige, au surnaturel.Nous avons vu qu'Épiménide avait été, par une tradition,il est vrai, suspecte, mis en rapport avec Pythagore: il y a moins lieu de douter des relations personnellesde notre philosophe avec Phérécyde, de l'île deSyros, personnage qui se présente avec le même caractère.Auteur d'une théologie, la première, dit-on, quifut écrite en prose ', nous le voyons comme Épiménideopérer des miracles, et. il possède également l'art defaire violence aux lois et aux forces de la nature, et deles obliger de céder à la science et à sa volonté.Aristéas de Procounèse, dont Lobeck paraît nier àtort l'existence historique, et auquel, outre une épopéeen vers sur les Arimaspes, on attribuait encore unethéogonie en prose *, est un personnage <strong>du</strong> mêmegenre. Prêtre d'Apollon, s'élevant par son pouvoir et sascience magiques au-dessus des facultés de l'homme, leplus habile des enchanteurs 4 , il professait une doctrinede la migration des âmes assez semblable à celle de1. Plut., Sol., 12 : 'IXaapoli Tt


110 L'ORDRE PYTHAGORICIEN.Pythagore, et prétendait avoir accompagné Apollon enItalie sous la figure d'un corbeau '. Peut-être ce récitexprime-t-il seulement à la manière des mythes, c'està-dire,sous forme d'un fait historique et de relationspersonnelles, les rapports commerciaux de Proconnèseet de Cyzique d'une part, avec les peuples qui habitaientsur les rives septentrionales de la mer Noire, et les côtesde l'Asie occidentale, et de l'autre avec les colonies grecquesde l'Italie et en particulier Meta ponte.Cette même disposition des esprits à créer des personnagesfabuleux revêtus d'une puissance surnaturelle,ou à admettre facilement les prétentions des personnagesréels qui usurpent cette puissance, nous la retrouvonsencore dansles temps qui suivent Pythagore. Empédocle,un philosophe, et peut-être pythagoricien, ne dédaignepas ce rôle ; lui aussi a ses xatappol, sa science de prévoiret son art de détourner les phénomènes de la naure.On voit surtout la manifestation éclatante de l'étatdes esprits dans l'institution ou le développement desmystères orphiques, tous remplis de prodiges, de visions,de miracles, et dont les rapports avec les Orgiet <strong>pythagoricienne</strong>ssoi\t dé<strong>mont</strong>rés par ce fait seul, que les premiersauteurs connus des poèmes orphiques, sont tous,à l'exception d'Onoinacrite, des pythagoriciens*.Nous avions donc le droit de dire que le temps oùPythagore parut, inclinait les âmes à une conceptionthéologique et à des croyances surnaturelles, à des pratiques,comme à des sentiments religieux. Mais cette1. Herodot., IV, 13-15.3> Cercops, Brontinus, Zopyre d'Héraclée, Arignoté.


L ORDRE PYTHAGORICIEN. 111tendance générale des esprits qui provoque, développe,seconde les fortes indivi<strong>du</strong>alités dans leur action, nesupprime pas la liberté de leurs mouvements. C'est assurémentlà un des grands mystères et une des grandescontradictions de l'histoiie et de la vie. Qui peut nierl'influence de la société, des circonstances, des temps, <strong>du</strong>monde extérieur, en un mot, sur le développement desindivi<strong>du</strong>s? Mais qui peut nier également l'influence del'indivi<strong>du</strong> sur le monde qui l'entoure, bien p'us, sur lemonde même qui le suivra. L'indivi<strong>du</strong> tantôt sembleobéir à l'impulsion irrésistible, à la pression fatale desforces morales ou physiques, au milieu desquelles il estplacé : son action parait alors inconsciente, nécessaire;il n'est qu'un instrument obéissant, et comme une résultantede forces étrangères. Mais tantôt aussi, nousvoyons la parole d'un seul homme remuer des massesimmenses, des couches profondes, ébranler toute unelongue série de générations répan<strong>du</strong>es sur les pointsles plus divers de notre globe ; nous les voyons vivre desa pensée, se nourrir de ses renseignements, obéir auxlois religieuses ou morales qu'il a dictées deux ou troismille ans auparavant. Ce rapport obscur entre l'indivi<strong>du</strong>et l'humanité, entre l'universel et l'indivi<strong>du</strong>el, vrai problèmede la <strong>philosophie</strong>, n'est pas résolu par la théoriede la sélection, comme le suppose M. Max Mûller,même en donnant à la sélection l'attribut de rationnelle.Car qui ne voit que si l'indivi<strong>du</strong> choisit dans les idées,les sentiments, les passions que son temps lui communique,celles qui sont conformes à ce que lui inspire sapropre raison , c'en est fait alors de la sélection même.


112 L'ORDRE PYTHAGORICIEN.L'indivi<strong>du</strong> agit en vertu d'un principe interne, libreet propre.Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il y a concours de laliberté et de la fatalité, <strong>du</strong> monde et de l'indivi<strong>du</strong>, del'homme et de Dieu, dans les grands événements del'histoire des idées. L'homme jeté au milieu de la merimmense de l'être, plongé dans le vaste Océan de l'espaceet <strong>du</strong> temps, ne s'y comporte pas comme un blocde terre molle qui se dissout et perd son essence et saforme ; ce n'est pas non plus un élément si résistant etsi <strong>du</strong>r qu'il ne puisse être ni coloré, ni modifié, ni pénétrépar ces flots qui battent continuellement sur sonorganisation tout entière. Peut-être, au contraire, lamesure de la grandeur d'un indivi<strong>du</strong>, est-elle celle de lafacilité avec laquelle il reçoit les influences extérieureset étrangères, jointe à la puissance de les concentrer,de les développer, de les transformer suivant la loidont le principe interne est en lui seul, et de les renvoyerainsi agrandie et personalisées à la foule, d'où il les areçues et qui ne les reconnaît pas. Quoi qu'il en soit dece problème, en <strong>mont</strong>rant dans le vr siècle av. Jésus-Christ, en Grèce, un mouvement général, une dispositionmarquée des âmes vers les croyances religieuses,des esprits vers les systèmes théologiques, je suis bienloin d'avoir voulu diminuer l'originalité et la grandeur personnelledePythagore : il coopère librement, sciemmentà une action qui d'ailleurs ne s'est .pro<strong>du</strong>ite quesous l'influence de puissantes personnalités comme lasienne.11 est temps de <strong>mont</strong>rer dans les constitutions del'Ordre pythagoriqùe comment se révèle ce caractère


L'ORDRE PYTHAGORICIEN. 113religieux et spéculatif, mystique et pratique, qui sollicitetous les esprits.Pour éclairer les intelligences, peut-être suffit-il d'exposerclairement des idées vraies ; mais quand on veut dominerles esprits, gouverner les âmes, agir sur les mœurs,il faut un ensemble de moyens pratiques, une discipline,que nous allons précisément retrouver dans l'organisationde la société <strong>pythagoricienne</strong>, toute dirigée vers ce but :l'empire des âmes au nom des idées religieuses. Nousverrons que Plutarque a raison de dire, en rapprochantla politique de Numa de la <strong>philosophie</strong> de Pythagorc,que toutes deux respirent un profond sentimen t religieux,*j irept TO Otïov àYX l


114 L'ORDRE PYTHAGORICIEN.chappa à une ruine complète qu'en se transformant enune école de <strong>philosophie</strong> : ce qui semble prouver que savraie essence, son principe réellement vivant et profondémentvivace, était plutôt encore un besoin scientifique,et une tendance-philosophique qu'un besoin religieux.Néanmoins, dans la première phase de son développement,cet élément jouait un grand rôle, et semblemême avoir été non le but, mais le moyen dominant del'institution. On comprend dès lors tout ce qui nous estraconté sur l'organisation de la société <strong>pythagoricienne</strong>,traditions où il est impossible de démêler l'élément historiquede la légende; mais qu'il est bon de connaîtredans leur ensemble, parce qu'elles révèlent <strong>du</strong> moinsl'esprit général des institutions.Le recru tcmen t des membres de l'Ordre était fait avec unsoin scrupuleux: Pylhagore, dit-on,étudiait sévèrementla vocation des jeunes gens qui se présentaient à lui;avant de les admettre aux premières initiations de cettevie nouvelle, il cherchait à lire sur leur visage, à devinerdans leur démarche, dans leurs attitudes, danstoutes les habitudes de leur personne, les penchants deleur âme, le fond vrai de leur caractère, les aptitudespropres de leur esprit*.Une fois admis par le maître, dont l'école conservatoujours les habitudes 1 , les novices étaient soumis à des1. TçUO-IOYVWUOVEI, Aul.-Gell., I, 9. Iambl., 71. Origène (Philos.,p. 6-9) va jusqu'à prétendre que Pythagore fut par là l'inventeur de laphysiognomonique. Cf. Luc, Vit. Aucl., 3; Clem., Slrom-, VI, 580, a.Apul., de Mag.; p. 48. Bip. : > Non ex omni ligno, ut Pythagoras dicebat,débet Mercurius exsculpi. •2. Gell., I, 9 : • Ordo atque ratio Pythagoras ac deinceps familiaesuccessionis ejus. »


L'ORDRE PYTHAGORICIEN. 11»épreuves, Siaitiipa 1 , dont la <strong>du</strong>rée variable n'était jamaismoindre de deux ans, et allait quelquefois jusqu'à cinq 1 .Elles consistaient surtout dans un régime d'abstinencesévère, et dans un apprentissage de toutes les vertus,particulièrement de celle qu'ils appelaient l'amitié.Iamblique parle d'épreuves physiques poussées jusqu'àla cruauté, ftaaâvov TE itotxtXbiTàTa; xa'i xoXâatiç, xa\ ivaxoTr&cirupi xal oiÔTÎpo)', pour savoir de quel degré de courageles aspirants étaient capables : ceci parait un embellissementdestiné à rapprocher la société pylhagorique dela pratique des mystères. Toutefois Diogène de Laërteatteste aussi l'existence de ces rigueurs disciplinaires, auxquellesil donne le nom de TctSaptâv ou («TapTSv*. Ce quiparait certain c'est qu'ils étaient soumis à l'épreuve <strong>du</strong>silence, t^EpuOia, se bornant à écouter les leçons qui leurétaient faites, sans qu'il leur fût permis de demander uneexplication de ce qu'ils ne comprenaient pas, ou mêmede commenter par écrit ce qu'ils avaient enten<strong>du</strong>. De là,le nom d'àxou


116 L'ORDRE PYTHAGORICIEN.initiés des mystères, voient dans la règle <strong>du</strong> silence la(iuortxV) atùMni, comme ils veulent que le rideau qui cachaità la vue des novices le maître lui-même, représentele xapetntTa0|xa, qui cachait aux profanes et auxinitiés <strong>du</strong> deuxième degré les mystères <strong>du</strong> sanctuaire, etces tahleaux sacrés où s'exprimaient en images, 1 pourles époptes privilégiés, les dogmes religieux 1 .Pendant ce temps d'épreuves, les novices n'étaient pas.admis en la présence de Pythagore, qu'un rideau dérobaità leur vue, peut-être, comme nous venons de ledire, par une imitation des rites des mystères, ni mêmeadmis en sa demeure 1 , ce qui leur fit donner le nomd'exotériques, ot £&•>, ou membres <strong>du</strong> dehors.Quand ils avaient satisfait à ces épreuves, ils passaientdans la classe des Mathématiciens, affranchie de l'obligation<strong>du</strong> silence, et ils avaient le droit, peut-être le devoird'enseigner à leur tour. Enfin, ceux d'entre les associésqui en étaient reconnus capables, <strong>mont</strong>aient au dernierdegré, au rang suprême des Physiciens, qui s'occupaientdes phénomènes de la nature, de la recherche des principesqui constituent l'Univers, des lois qui le gouvernent,des causes qui l'ont pro<strong>du</strong>it et le conservent.A ces trois classes de Novices, Mathématiciens et Physiciens,que nous décrit Iamblique, nous voyons substituéepar Porphyre* une autre classification qui necomprend que deux degrés : les Auditeurs ou Acousmatiquesau degré inférieur, qui portaient le nom de Pythagoristes,c'est-à-dire aspirants au Pythagorisme,1. Lobeck. Aglaopb., 1.1, p. 67 et 59.». Diog. L., VIII, 10. Iamb., 72.3. Porph., 37. Iambl., 81, la repro<strong>du</strong>it également et la complète.


L ORDRE PYTHAGORICIEN. * 117!tf).fOTetc ; les Mathématiciens au premier degré, appelésPytbagoréens. Ceux-ci seuls renonçaient à la propriétéindivi<strong>du</strong>elle, mettaient toute leur vie en commun, oup.e'ttxrivSA iravrbc j3(ou ', et faisaient des vœux éternels.Ces deux degrés s'appelaient encore les Ésotériques etles Exotériques*. L'Anonyme de Photius* distingue : 1.Les Sébastici, adonnés à la contemplation, à la méditation,à la vie religieuse; 2. Les Politiques; 3. Les Mathématiciensqui s'occupaient de sciences, ou les Savants.A côté de cette division, il en pro<strong>du</strong>it encore une autre,fondée sur les rapports des disciples au maître. 1. Lesamis personnels, les disciples directs dePythagore, s'appelaientles Pythagoriques ; 2. Les disciples'de ces derniers,les Pythagoréens ; 3. Enfin ceux qui vivaient endehors de la communauté, tout en s'efforçant d'en imiterla vie et les vertus, formaient la classe des Pythagoristes.Quoi qu'il en soit de ces classifications, qui se concilientfacilement, malgré leurs divergences, les unes avecles autres, il résulte clairement qu'une discipline savanteet sévère présidait à l'organisation de l'Institut et réalisaitun vœu, ou un idéal que reprendra plus tard, pour soncompte, Platon. Les membres de l'Ordre avaient leurfonction propre, fixe, déterminée, d'après leur caractèreet leurs aptitudes. Mais ils n'en étaient pas moins soumisà des règles générales et minutieuses qui gouvernaienttous les détails et tous les devoirs de la vie commune.Ces règlements, ces constitutions, ces lois, vôpot, étaient1. Iambl.,81.2. Clem-, Strom., V, p. 575. Origen., PhUotoph., p. 6.3. Cod., 249.


118 * L'ORDRE PYTHAGORICIEN.fixés par écrit; et Aristote et Alexandre Polyhistor enavaient tous deux pris connaissance dans les IIuOaYoptxàûicouv^aaTa*, terme qui désigne sans contestation undocument écrit; ces règles étaient vénérées par touscomme ayant un caractère sacré, divin : elles étaient considéréescomme inspirées par les dieux mêmes, ou mêmecomme émanées d'eux* : il fallait leur obéir sans réserve,sans discussion, sans murmure : Le maître lui-mêmeavait parlé, aÙToç ?


L'ORDRE PYTHAGORICIEN 119pies ou des bois sacrés : puis on préludait aux travauxet aux études de la journée, par des chants accompagnésde la lyre, des danses et des exercices gymnastiques,sans lesquels il n'y a pas d'é<strong>du</strong>cation pour les Grecs.Le soir, on faisait encore une promenade, mais cette foisen compagnie d'un ou de deux frères; on prenait lebain ; puis venait le repas en commun, suivi de sacrifices,de libations, et de lectures faites à haute voix parles plus jeunes disciples, dirigées et commentées parlesplus âgés'.Parmi les règles morales qu'on leur apprenait à pratiquer,et qui constituaient un plan et un régime de viequi s'appelait la Vie pythagorique, il importe d'en mentionnerquelques-unesAu premier rang des vertus était placée, comme onpeut le supposer, l'obéissance : applicable à la vie politique,cette règle l'était bien plus encore à la vie privée.Dès l'enfance, il faut habituer l'homme à l'ordre et à lamodestie 5 . Lâchasse était un plaisir cruel interdit auxmembres de cette association, qui respectait jusque dansl'animal le principe sacré de la vie. D'après quelquesrenseignements, l'Ordre aurait adopté une sorte de costume,la robe de laine blanche, qu'avait portée Pythagore'.D'autres prétendent, au contraire, qu'ils ne portaientque des vêtements de lin, et s'interdisaient la laine,qui n'était pas considérée comme pure*. Peut-être l'ex-1. Iainbl., 96, 97, 98, 99.2. Aristox. Stob., Floril., XLIIl, 48: TOîI; xai ou(iaetpt«. Iambl.,185, 201, 203.3. Diog.L., VIII, 19.4 Iambl., 149. Cependant d'après Aristote, cité par Diog. L. (VIII,


120 L'ORDRE PYTHAGORICIEN.clusion de la laine ne doit-elle s'appliquer qu'aux ritesde la sépulture, où ce tissu était interdit comme linceul,d'après l'usage orphique ', aussi bien que l'était le cercueilde cyprès 2 .La chasteté n'était pas imposée; mais il était recommandéd'user avec modération des plaisirs de l'amour;car l'homme ne cède jamais à la volupté sans se sentirinférieur à lui-même.Quant au régime alimentaire, par où les ordres monastiques se sont de tout temps et en tout pays distingués,si l'on en croyait absolument Diogène, Porphyre et Iamblique, la vie pythagorique aurait été une vie d'abstinencessévères, de jeûnes fréquents, d'ascétisme rigoureux,comme de chasteté parfaite et de renoncemententier aux joies de ce monde. Aristote et Aristoxène ramènentces préceptes à une mesure plus sage, et éloignéede tout excès. Porphyre reconnaît lui-même queles pythagoriciens faisaient une place aux plaisirs élégantset honnêtes'. Quant aux détails <strong>du</strong> régime, lesrenseignements sont peu d'accord. L'interdiction de toutenourriture animale est mentionnée par Diogène deLaërte, qui la dit fondée chez les pythagoriciens par l'opinionqu'ils soutenaient de l'identité de nature entrel'homme et la bête, qui ont entre eux de commun ledroitde la vie, xotvov Stxaîov f)u.ïv è/ôvwv Y^ATK*- Xéno-19), l'usage <strong>du</strong> lin n'aurait pas été connu <strong>du</strong> temps de Pythagore : ceque conteste Krische (p. 31), s'appuyant sur Thucydid., I, 6.1. Herodot., II, 81.2. Diog. L., VIII, 10. Iamb., l.">4, soit parce que le sceptre de Jupiterétait supposé de cyprès, soit par quelque raison mystique.3. Porphyr., 38 et 39. 'Exl xaXoîc xai iTxaioiç, d'après Aristoxène.4. Diog. L., VIII, 13.


L'ORDRE PYTHAGORICIEN. 121phane, en effet, contemporain de Pythagore, dans uneépigramme rapportée par Ûiogène', dit que le philosophene voulait même pas qu'on frappât les animaux;car, voyant battre un chien qui hurlait de douleur, ils'était écrié : « Arrête : ne frappe pas; c'est l'âme d'unde mes amis que j'ai reconnu à sa voix. > Ce respect dela vie allait jusqu'à interdire sur les autels le sacrificedes victimes : il ne voulait adorer qu'un autel non sanglant,comme il l'avait fait à Délos, au temple d'Apollon*.Si cette règle d'abstinences est vraie, ce serait unnouveau rapprochement avec la vie orphique, qui permettaittoute nourriture sans vie, et interdisait toutenourriture vivante'. Mais Aristoxène, que cite égalementDiogène, dit que Pythagore avait permis toute espèce denourriture animale, à l'exception <strong>du</strong> bélier et <strong>du</strong> bœufqui laboure *. Suivant d'autres relations, les pythagoriciensn'excluaient de leur alimentation que les chairsdes bêtes mortes de maladie, ou déjà entamées pard'autres bêtes; en outre, le mulet de mer, le poissonnommé Oblade, les œufs et les espèces ovipares, lesfèves, et les autres aliments interdits par ceux qui confèrentl'initiation aux mystères'. Plutarque et Athénéerapportent que les orphiques et les pythagoriciens interdisaientde manger le cœur et la cervelle : ce qui supposela permission de manger les autres parties de l'ani-1. Diog. L., VIII, 36.2 Diog. L., VIII, 19 : euoiaiç w èxpl '"P^XOïc; vln » M : " Av « l -liaxTOv pûuo*. Conf. VIII, 19.3. Plat , De legg., VI, 782 : 'AU' 'Ofxpixoi tivsç A«Y6|«VO» Btoi....â|ivx


122 L'ORDRE PYTHAGORICIEN.mal'. L'interdiction des fèves, commune aux orphiqueset aux pythagoriciens, ne peut être interprétée commeune défense de s'occuper de politique, puisque la politiqueétait un élément essentiel de leur institut: il vaudraitmieux l'entendre comme Auiu-Gelle, qui croit yvoir un précepte de s'abstenir des excès de la volupté 2 .Krische, ingénieusement, l'interprète commeune expressionde la haine que portaient les pythagoriciens auxgouvernements démocratiques, où toutes les questionspolitiques, et particulièrement l'élection des magistrats,étaient résolues par les suffrages populaires*. Enfin, cepourrait bien être simplement une de ces pratiques superstitieusesqui se mêlent aux conceptions les plus élevées,et paraissent fortifier les sentiments religieux enles soumettant à une discipline matérielle. L'instinctpratique des pythagoriciens épaisissait la religion pourempêcher qu'elle ne s'évaporât trop vite. Mais toutesces manières d'entendre le fait, comme le fait lui-même1. Plut., Symp., 11,635, C/Athen., II, 65, f, 6, f., Aul.-Gell.,1V, 11,4,qui cite Aristote et Aristoxène ; ce dernier aurait tenu ses renseignementsde Xénophyle le pythagoricien et de quelques autres personnes âgéesqui auraient vécu presque dans le même temps que Pythaaorc. Auiu-Gelle invoque le témoignage de Plutarque qui, dans son livre sur Homère,aurait dit : • Aristote nous apprend que les pythagoricienss'abstenaient de manger la matrice et le coeur des animaux, l'ortie demer, quelques autres fêtes; mais qu'ils faisaient usage de toute autreespèce de chair, > et d'après le même Auiu-Gelle, Aristoxène racontaitmôme que Pythagorc aimait les cochons de lait et les jeunes chevreaux.2. Greg. Nazianz.,Or., XXIII, 535, c. Lobeck. Aglaoph., p.252. Aul.-Gell., IV, 11, sur ce vers d'Empédocle, AeOol, 7tàvôeiXoi, xuàpoiv àitôXtïpa; eyictSai.3. Krisch., p. 35. Cf. Diog. L., VIII, 34. lambh, 260. Les pythagoricienssont accusés de TOî; xuâpoi; itokiuaïv, i>: àpyriyoïç •feyôvoox TOùxXrjpou. Cf. Plut., De e<strong>du</strong>e. puer., p. 12, e.


L'ORDRE PYTHAGORICIEN. 123de l'interdiction des fèves, sont renversées par le témoignaged'Aristoxène, qui affirme, au contraire, que c'étaitun aliment recommandé et employé fréquemmentpar Pythagore, qui le trouvait digestif et laxatif 1 .A ce régime plus ou moins sévère, mais qui s'écartaitcertainement de la vie ordinaire, il faut ajouter quelquesprescriptions cérémonielles qui achèvent de marquer lecaractère religieux de l'Association. Par exemple, il estinterdit par les règles de l'Ordre d'entrer dans un templeavec des vêtements neufs; si le pavé <strong>du</strong> temple a étésouillé par <strong>du</strong> sang, il faut le purifier avec de l'or oude l'eau de mer; il est défen<strong>du</strong> aux femmes de faireleurs couches dans l'enceinte consacrée ; on ne doitpas, aux jours de fêtes, se couper les ongles ni les cheveux; il est interdit de tuer même un pou dans l'intérieurd'un temple. Il est défen<strong>du</strong> de brûler les morts,et prescrit de les ensevelir dans des linges blancs.Quandil tonne, on doit toucher la terre. Il ne faut pas quitterle lit avant le lever <strong>du</strong> soleil, ni porter l'image d'un dieugravée sur son anneau. Il est enjoint d'entrer dans lestemples par la droite, et d'en sortir par la gauche*.Parmi les formes de purification, on recommande lesablutions et les aspersions*.On pourrait peut-être, si l'on n'avait que ces renseignements,mettre en doute la réalité historique d'unediscipline si savante, et d'un plan de vie si analogue aurégime des ordres monastiques. Mais Platon vient lesconfirmer et atteste non-seulement que Pythagore avait1. Aul.-Gell., IV, 11.2. lambl., 153, 256.3. Diog. L., VIII, 33 : VovTpciv xal itepipiavnipttûv.


124 L'ORDRE PYTHAGORICIEN.prescrit aux membres de l'institut des règles particulièresde vie, iTu6aYopeio;Tp


L'ORDRE PYTHAGORICIEN. 125tous les comiques. S'agit-il de peindre un avare, Antiphanedira que: « c'était un homme d'une telle ladreriequ'il ne laissait même pas entrer dans sa maison les alimentsque se permettait le bienheureux Pythagore,6 Tpiotiaxapmjî 1 . » S'il fallait en croire ces peintures chargées,mais où la charge même fait supposer un fond deréalité, le régime pythagoricien aurait, chez quelquesfanatiques, dégénéré en une espèce de mépris des soins<strong>du</strong> corps, qui annonce et prépare la vie cynique, et cellede certains ordres monastiques, où la propreté personnelleest considérée comme une volupté qu'il faut s'interdiresous peine de péché sensuel. Le pythagorisantne mange rien qui ait eu vie, aucun aliment cuit ; il neboit pas de vin. Il se nourrit de pythagorismes, de raisonnementscreux, de rognures de pensées. Son régimequotidien est un pain sans levain, et un verre d'eau :un vrai régime de prison. Le menu <strong>du</strong> festin est quelquefoisun peu plus varié sans être beaucoup plusexquis : ce sont des poissons salés, qu'ils ramassent dansleurs besaces, des figues sèches, <strong>du</strong> fromage, <strong>du</strong> marcd'olives, <strong>du</strong> pain noir dont la quantité leur est sévèrementmesurée : une obole pesant, par repas *.Ce n'est pas tout : le pythagoricien doit supporter lejeûne,la malpropreté, la vermine, le froid, le silence, latristesse, la privation de bains: « Au nom <strong>du</strong> ciel, croyezvousvraiment, dit Aristophon dans le Pythagorisle, quece soit de leur plein gré que ceux qu'on appelle les vieuxpythagoriciens 3 , vivent dans cette crasse et portent ces1. Athen., III, 108.2. Aristophane, Alexis, dans Athén., IV, 161.3. Toùc icâXai note.... Athén., IV, 161. A ces anciens et sévères py-


128 L'ORDRE PYTHAGORICIEN.vêtements troués? N'en croyez rien : c'est par nécessité;comme ils n'ont rien, ils ont cherché de beaux prétextespour donner aux gueux une règle de vie conforméeleur état. Mais servez-leur des poissons de choix et desviandes délicates, s'ils ne les croquent pas jusqu'à s'enmordre les doigts, je veux être dix fois pen<strong>du</strong>.» Diogèneattribue, d'après Sosicrate, l'invention <strong>du</strong> costume cynique*à Diodore d'Aspendos, qu'Athénée dit avoir été ouavoir passé pour être un pythagoricien. « Diodore d'Aspendos,a vécu votre vie cynique, portant les cheveuxlongs, se complaisant dans la saleté, et marchant nupieds.» C'est de lui que vient, dit Hermippe, l'habitudede porter les cheveux longs, que d'autres disent <strong>pythagoricienne</strong>2 . Mais les poètes cités plus haut, qui appartenaientà la comédie moyenne attique et aux dernièresannées <strong>du</strong> iv siècle, signalant ces usages cyniquescomme déjà très-anciens, il faut sans doute en fairere<strong>mont</strong>er plus haut l'origine, et croire qu'ils étaientdans la tendance même de l'Ordre pythagoricien. Lecaractère de toutes ces habitudes de vie, de ces pratiquesextérieures, est religieux : et l'élément religieuxconsiste d'une part dans la mortification des sens, le mépris<strong>du</strong> corps, de l'autre dans la Règle; c'est-à-dire dansla vertu de l'obéissance par laquelle l'indivi<strong>du</strong> se soumetthagoriciens étaient opposés par le même Aristophon les nouveauxplus relâchés. Diog. L., VIII, 38 : • Ils mangent des légumes et boiventde l'eau ; mais quant à la vermine, au manteau troué, à la privationde se laver, il n'en est aucun, parmi les jeunes, qui voudrait s'ysoumettre.'1. Diog. L., VI, 13.2. Athén., IV, 163.... Iamblique nomme Diodore un disciple d'Arésas,ce qui est sans doute une erreur, puisqu'il a vécu, d'après Athénée,vers 300, et qu'Arésas était un des auditeurs directs de Pythagore.


L'ORDRE PYTHAGORICIEN. 127a une loi extérieure, à la volonté d'autrui, et lui sacrifie /la sienne. C'est l'essence de la discipline monastique et'pythagorique.VNous retrouvons ces mêmes usages, en partie <strong>du</strong> moins,dans les orphiques qui ont avec les pythagoriciens desrapports diversement appréciés.Cette communauté de certains usages est attestéepar Platon: les pratiques de vie orphique, dit-il,'Opçixot Tiveç XtYo'fitvoi 8iot, commandent de s'abstenir detoute nourriture animée, et permettent toute nourriturcqui ne l'est pas. Bien qu'appuyée sur des analogiesentre les idées.<strong>pythagoricienne</strong>s et les idées orphiques,qui même se mêlent et se confondent, celte liaison n'enconstitue pas moins un point obscur de l'histoire despythagoriciens.Quoiqu'il soit assez étrange que les pythagoriciens,voués au* culte d'Apollon 1 , symbole de l'ordre, de lamesure, de la lumière, de l'harmonie, se soient unis auculte sombre, sanguinaire, passionné, tragique de Bacchus,il n'est pas possible de mettre en doute cette liaison*. Mais ce sur quoi l'on conteste, c'est de savoir siles pythagoriciens ont adopté les usages et les maximesdes sectes orphiques, et loulenlestransformantet lesapprofondissant,se les sont appropriés ', ou si, comme, le1. Diog. L., VIII, 37. Mnésimachus dans Alcmwon, « suivant le ritedes pythagoriciens, nous sacrifions à Apollon, et ne mangeons rienqui ait eu vie. s2. Elle est reconnue par Zeller, Krische, BoBckh, Ottf. Mttller, Prolegg.lu «in Myth., Lobeck., Aglaoph.,3. C'est le sentiment de Hoeckh, dans son livre sur la Crète, t. III,p. 228 : « Das vorhandene Alte ward von ihnen aufgefasst, erweitert,und zum The il mit Fremdartigen gemischt, allein, seiner Hauptrich-


128 L'ORDRE PYTHAGORICIEN.croit Lobeek, c'est de la société <strong>pythagoricienne</strong> que sontsortis les sectes et les mystères orphiques ; l'expositiondes faits mêmes <strong>mont</strong>rera la difficulté de la solution.D'abord l'antiquité est muette sur l'influence qu'ontexercée les pythagoriciens dans la Grèce propre, et sur lespays où s'est répan<strong>du</strong>e leur <strong>philosophie</strong>. Tout ce qu'onsait, c'est qu'on ne connaît aucun livre ni aucun nomd'auteur orphique avant Pythagore.Ion de Chios 1 attestait que ce dernier avait composé despoésies qu'il avait fait passer sous le nom d'Orphée '. Oncite en effet deux 'hpoi àôYOI sous le nom de Pythagore 5 ,l'un en prose dorique, l'autre en hexamètres.Mais on cite également un 'Itpèx àôYOç en 24 livres d'Orphée*, d'où l'on prétend que Pythagore tira toute sa<strong>philosophie</strong> des nombres 6 . « Toute la théologie grecque,dit Proclus, est sortie de la mystagogie orphique. Py -thagore fut le. premier qui fut initié par Aglaophémusauxrites divins, T& mpi 6«ôv ôpY«x; Platon fut le second. » Onsait en effet que la légende se forma, à une époque qu'onne peut préciser, que Pythagore avait été initié à la relitung,nicht umgewandelt. Die Pythagoreer baben mehr von demfrûhern Orphiscben Wesen sich angeeignet, als in dasselbe hineingetragen.V. Diog. L., VIII, 8. Clem. Alex., I, p.333.2. riuBayopav et; 'Opçfa àviveYxtïv tivot.3. Nous avons des fragments de l'un et de l'autre : <strong>du</strong> premier, dansIambl., F. P. 28,et Procl., ad Euclid., p. 7, et Theol. arithm., p.ir;<strong>du</strong> second dans Diog. L., VIII, 7, qui cite le vers :"Q vtoi, AAXà oiëtabi tuuV Tiffugiac xâSc itâvxa.4. Diog. L., VIII, 7. Clem. Alex., 333. Suid., v. 'Opf. Fabricius,BibU Grsec.,\. I, p. 161.5. Iambl. F. P. 28 et Proclus, Theol. Plat., I, 5.


LORDRE PYTHAGORICIEN. 129gion orphique à Lesbéthra par Aglaophémus, qui en étaitle grand prêtre'. C'esllà sans doute une fable dont l'absencede fondement historique est dé<strong>mont</strong>rée par ce faitseul : c'est que les 'hpol Xbyot 1 attribués par PythagoreàOrphée onfpour auteurs connus, Onomacrite, le seulorphique qui ne soit pas pythagoricien, puis Zopyred'Héraclée, Brontinus, un parent dePythagore, Arignolé,Théognète deTliessalie, Thélaugès, Cercops, tous pythagoriciens.Mais malgré les traditions fabuleuses qui altèrentou exagèrent les faits, il reste peu de doutes raisonnablesque les doctrines et les sectes <strong>pythagoricienne</strong>set orphiques se rapprochèrent, si elles ne se confondirentpas, et ce rapprochement fut tel que nous ne pouvonsdistinguer avec clarté ni fixer avec certitude ce quiest exclusivement pythagoricien, et ce qui est exclusivementorphique ; à laquelle des deux sectes appartient lapriorité, et quel est celui des deux éléments qui conservedans le mélange la plus grande importance.De même qu'Orphée était descen<strong>du</strong> aux enfers, demôme Pylhagore y descendit en Crète, et parmi lespoëmes orphiques attribués à Cercops, disciple dePythagore,on signale également une Ka.r*6


130 L'ORDRE PYTHAGORICIEN.de descentes miraculeuses, illustrées par le grand peintrePolygnote, témoignent d'un sentiment qui paraît communaux deux doctrines, et naissent d'une même conceptionsur la destinée de l'homme. Pénétrer le mystère del'autre vie; savoir à quelle loi elle est soumise; sans l'affranchird'une crainte salutaire, délivrer l'homme <strong>du</strong>désespoir infernal de supplices éternels ou <strong>du</strong> suppliceplus infernal encore de l'anéantissement absolu ; enfin leconsoler et le relever <strong>du</strong> joug de la mort, tels sont lespoints communs où ils paraissent avoir ten<strong>du</strong> tous lesdeux, et qui prouvent que tous deux ont essayé de s'intro<strong>du</strong>iredans le cercle des croyances pratiques, de constituerune religion et une théologie.Au temps de Platon on rencontre une secte de fauxdévots, avec un régime de vie austère, de nombreux livres,des prophéties sur la vie future, qui porte le nomd'Orphéolélestes 1 : ce sont ces usages orphiques qu'Hérodoteappelle aussi bachiques, et qu'il rapproche presquejusqu'à les confondre avec les superstitions égyptienneset <strong>pythagoricienne</strong>s*.Outre ces relations réelles, les deux sectes avaient encoredans leur enseignement des points communs qui nes'expliquent que par des rapprochements indivi<strong>du</strong>els.Par exemple, et surtout dans la psychogonie, où cependantles orphiques ne pénétraient pas plus loin que ne1. Plat., Ilep., II, 364. 'AyOpTai xai ptàviei;, qui procédaient à prixd'argent à des Ovoiat; xocl tnwSaïc, imyiôyaii xai xaTâosapoi;, t'nrortamentiset defixionibus magicis. Euripid., Ilippol., v. 953. Strab.,X, p. 474. Demosth., de Coron., p. 313 (568 Tayl.). Diog. L., X, 4.2. Hérod., II, 81 : 'OuoXoYéouei 8' taura TOïOX 'Optpixoïai xaXeojxsvoiatxai Bxx/txolat, loùm ôèAiYvxrioioi xai IIuBaYOptCotai. Conf. Préfet,Acad. des Inscr., t. XXIII, p. 260.


L ORDRE PYTHAGORICIEN. 131le réclamait le besoin pratique exigé par leurs xa6cjpiM>{,ils s'occupaient <strong>du</strong> sort de l'âme dont ils expliquaient lepéché par des représentations mystiques, et dont ils<strong>mont</strong>raient la présence dans le corps comme une premièreexpiation : car se sont eux qui les premiers ontappelé le corps le tombeau de l'âme '.D'après la théogonie d'Orphée altribuéeàOnomacrite,l'âme détachée par les vents de l'âme <strong>du</strong> monde, dontelle faisait primitivement partie, est poussée et intro<strong>du</strong>itepar eux dans le corps sensible, est liée à la rouede l'ordre de la nature qui l'entraîne fatalementdans toutes ses vicissitudes, et arrive soit au bonheur,soit au châtiment. A ces idées se liait la maxime,enseignée comme un secret mystérieux', que les hommessont placés ici-bas par les dieux comme dans une prison*,proposition, orphique sans doute, comme le dé<strong>mont</strong>reLobeck*, mais qui fut philosophiquement dé-].Cratyl., 300 c: Aoxoûcn uivxot poi (làXinxo SéoSott ot àuxpi 'Op«inxaûxo xà Svo|ia, ; îix7)v OISOûOYJC xr); Le second : • Philolaûs est tout« fait d'accord avec cette doctrine, • et il repro<strong>du</strong>it la phrase de Clément.Conf. Lobeck, Agtaoph., p. 763.2. *Ev ànolpW)X(|> Xty6u.svO(.3. *Q; iv c-poûp? xivL Phxd., p. 62 b.4. Aglaoph., p. 795; il s'appuie sur Iambl. (Protreptic, 8, p. 134),


132 L ORDRE PYTHAGORICIEN.veloppée dans la métaphysique <strong>pythagoricienne</strong>, où elleaboutit à la théorie de la migration des âmes, en germedéjà dans l'orphisme.Je suis en effet convaincu, quoiqu'on ne connaisseaucun écrit orphique antérieur à Pythagore, que l'idéed'une religion orphique n'est pas l'œuvre exclusive d'Onomacrite,et n'est pas née sous l'influence <strong>du</strong> pythagorismepersécuté et dispersé dans la Grèce continentale.Gomment admettre que par une falsification effrontée,n'ayant aucune racine dans les croyances et les traditionspopulaires, sans aucun antécédent historique, un poèteait pu inventer un ensemble de rites et de croyancesqui ont si profondément pénétré dans la vie pratiqued'un peuple, et ont eu une telle <strong>du</strong>rée et une telle influence? Les témoins classiques attestent qu'Orphée,quel qu'ait pu être historiquement ce personnage, avaitlaissé un culte secret qui unissait des consécrations, desmystères et des prophéties avec un rituel correspondant,et que ce personnage avait le don magique <strong>du</strong>chant et de la poésie 1 . Onomacrite n'a guère pu par descombinaisons, des rapprochements, des altérations, desfalsifications, que ré<strong>du</strong>ire en un système lié et enchaîné,la mystique de cette religion qui admit, on ne sait àquelle époque, le culte de Dionysos Zagreus, et en fitet plus solidement sur le fragment orphique (dans Olympiodore, adPhxdon., 116, éd. Wyttenbach), où on enseigne, comme l'avait faitEmpédocle, un mouvement circulaire des âmes. Conf. les vers citéscomme d'Orphée par Clem. Alex., Strom., v. 673. Sur la migration desâmes dans l'orphisme, conf. Ed. Gerhard, ùber Orphnu und dieOrphiker, Berlin, 1861, p. 6».1. Les attributs d'Orphée sont : 1° Mavveïa (Euripid., Aie., 968);2* Xfniouoi, dont les pratiques sont : 1" Ka6


L'ORDRE PYTHAGORICIEN. 133le KctpeSfXKdes deux Déesses qui présidaient aux mystèresd'Eleusis et le centre des rites orphiques 1 .Le fait que Pylhagore attribuait à Orphée ses propresouvrages 1 , que Philolaûs par le mot : les anciens théologienset devins, faisait allusion à ce personnage, l'antiquitécertaine des mystères orphiques, tout semble autoriserl'opinion que Pythagore ou plutôt les pythagoriciensdispersés dans la Grèce propre, obéissant à uneimpulsion primitive et au même esprit qui animaitl'orphisme, ont formé là de nouvelles associations, quiont contracté un commerce intime avec les société orphiques,ou peut-être tout en gardant une certaine indépendance,se sont affiliés avec la secte qui était déjàconstituée et puissante'. Ce qui n'empêche pas d'admettreque Onomacrite ait pu profiter des doctrines<strong>pythagoricienne</strong>s, pour ses interpolations audacieuseset ses falsifications effrontées des oracles et des poésiesantiques. Le principe philosophique et scientifiquequ'elles contenaient lui permit de tirer, avec un art qu'ilfaut admirer, de la confusion des fables Dionysiaques,une conception systématique qui n'est ni sans grandeurni sans profondeur, et qui contient la première tentatived'une théologie spéculative chez les Grecs.Ce n'est pas seulement avec les doctrines orphiques,c'est encore avec les doctrines et les pratiques de lasecle juive des Esséniens qu'on signale des analogies re-1. Conf. sur l'orphisme Eschenbach, Epigenes, de poesi Orphica,Nurimb., 1702 Bode, deûrpheo, 1824; Gotting. et son Histoire dela poésie grecque, t. I, p. 87-190; mais surtout Lobeck, Aglaopham.,Kônigsb., 1824; C. EicbhofT, de Onomacrito, Elberfeld, 1840, Progr.2. V. plus haut, p. 128, n. 2.3. Ottf. Muller, Prolegg. su et'n. uAssensch. Mythologie.


134 L'ORDRE PYTHAGORICIEN.marquahles, d'où l'on a voulu conclure à des influencesdirectes et à des relations personnelles. Josèphe nous diten effet que les Esséniens suivaient un genre de vie quiavait été intro<strong>du</strong>it chez les Grecs par Pythagore 1 . Creuzerexplique ces analogies par les sources où les Essénienset les pythagoriciens auraient également puisé,c'est-à-dire à des sources persanes 1 . Il repousse doncl'idée d'influences directes exercées sur des Juifs parles doctrines <strong>pythagoricienne</strong>s'. Mais quand bien mêmeon ne pourrait les admettre comme un fait historique,ce qu'on ne peut mettre en doute c'est la très-frappanteanalogie des idées, des tendances, des pratiques. Lefondement del'Essénisme est.il est vrai, dans une conception<strong>du</strong>aliste, qui est. loin d'avoir cette clarté etcette importance dans le pythagorisme, où les principescontraires se concilient dans la synthèse <strong>du</strong> nombre. Ilest vrai aussi qu'on ne retrouve chez les premiers aucunetrace des théories de la migration des âmes, et surtoutde la théorie caractéristique des nombres. Mais sous lerapport purement religieux, quelles nombreuses etfrappantes affinités 1 Ils rejettent également la nourritureanimale, les sacrifices sanglants, les bains chauds ; tousdeux placent l'idéal de l'homme dans une vie commune,avec une communauté réelle de biens', recommandentune obéissance absolue, le secret des doctrines, lerespect et la vénération de ceux par qui elles leur ont1. Ântiq., XV, 10, 4 • Kai ol itap'^pîv 'Easaïoi xal.oup.tvoi. Tévoç SeTOUT' éirti Siaîrg xpo>pe v ov tp itap' "EXXr,oiv ùno MuOaYâpov xataSeîe.Ypivr).1 Symbol., I, éd., IV, p. 433.3. Repoussée par Ewald, Ristchl, et adoptée par Zeller et Baûer.4. Les pythagoriciens en sont probablement restés à la théorie.


L'ORDRE PYTHAGORICIEN. 135été transmises. Ce sont également des sociétés fermées,où l'on n'admet de nouveaux affiliés qu'après des épreuvessévères, et d'où les indignes sont rigoureusementchassés. Les deux sectes honorent et adorent les élémentscomme des puissances divines et donnent, pource culte, des prescriptions spéciales, dans lesquelles elless'accordent d'une manière étonnante. Ni l'une ni l'autrene parait avoir dédaigné la magie et elles considèrenttoutes deux comme le fruit de la sagesse et de la piétéle don de prophétie qu'elles accordent à leurs membresles plus distingués.Enfin dans les livres attribués à Numa et découverts en181 avant Jésus-Christ, on prétendait retrouver des influenceset même des idées <strong>pythagoricienne</strong>s. Varron,cité par saint Augustin 1 , se borne à dire que ces livrescontenaient les raisons des institutions religieuses queNuma avait fondées,sacrorum institutorum causx,cwquidquein sacris fuerit institutum ; et il trouve en généralque les mythes, les cultes, les rites, ont leur fondementdans une conception de la nature, dans des raisonspurement physiques et philosophiques 1 . Majs Tite-Live etPlutarque sont plus explicites : ces livres, que Plutarquequalifie de livres sacrés, écrits de la main même deNuma, et qu'il avait fait enterrer avec lui, parce que, suivantla maxime <strong>pythagoricienne</strong>, il n'était pas convenablede confier la garde d'une doctrine secrète à deslettres sans vie, et qu'il valait mieux en remettre la traditionfidèle à la mémoire de ceux qui en étaient dignes,1. De Civit.D., VII, 34.2. De Civit. D., VII, 18 sqq.3. Numa, 22.


136 L'ORDRE PYTHAGORICIEN.ces livres étaient au nombre de 24, suivant Plutarque, de14 suivant Tite-Live. Lamoitiéd'entreeux(12ou7)étaientconsacrés au droit pontifical, et étaient, suivant ce dernier,écrits en latin; l'autre moitié écrite en grec avait un objetet un contenu philosophique et théologique*. C'était sansdoute une explication rationnelle, une interprétation naturelledes institutions religieuses, qui en leur étant uneorigine et un fondement surnaturels, devait tendre àébranler les croyances établies : dissolvendarum religionumpleraque esse. On comprend donc que le sénat surla proposition <strong>du</strong> préteur les fit brûler. Ce qui nous intéressedans ce récit, c'est que Valérius Antias, auteur deT. Live et de Plutarque et probablement aussi de Plinel'ancien, qui contient le même renseignement, affirmeque cette seconde partie des livres brûlés renfermait lesdoctrines <strong>pythagoricienne</strong>s : adjicit Antias ValériusPythagoricos fuisse vulgatxopinioni,qua creditur Pythagorxauditorem fuisse Nutnam, mendacio probabili accommodatafi.de 1 .Il n'est pas nécessaire que ces livres aient étéréellement d'origine et de doctrine <strong>pythagoricienne</strong>s,pourlaconclusion que nous en voulons tirer. Il est certainque les pythagoriciens, comme on le reproche à ceslivres,.expliquaient les dieux comme des forces physiques,et donnaient de la religion et de ses croyancesune exposition rationnelle et humaine. En outre, la relationentre les mouvements des opinions religieuses qui1. Plut., 2', d'après Valérius Antias : AùÔexa plv slvai pitD.ou;ttpoçavnxàr,, îeiîexa 8è SXAOI; IXXr.vixàç, çIXOOOî-W;. T.-Liv., XL, 2!) :« Septem Latini de jure ponlificio erant; septem Graeci de disciplinasapientiae. •2. T.-Liv., XL, 29. Plin., H. JV., XIII, 27 : « Libros septem jurispontificii, totidemque Pythagoricos fuisse. •


L'ORDRE PYTHAGORICIEN. 137se sont pro<strong>du</strong>its à Rome, et les tentatives de réformeopérées dans ce même sens par les sectes orphiques, siintimement liées avec les pythagoriciens, est un fait historiquementdé<strong>mont</strong>ré, ne fût-ce que par l'histoire desBacchanales Romaines.Les cultes Bachiques qui se répandirent à Rome aucommencement <strong>du</strong> n" siècle, donnèrent lieu à des poursuitesjudiciaires qui nous en <strong>mont</strong>rent l'origine. Cesassociations mystérieuses et ces cultes secrets rigoureusementpersécutés par l'orthodoxie romaine 4 , venaient,il est vrai, en partie d'Étrurie et de Campanie: mais lesrecherches judiciaires en <strong>mont</strong>rèrent un foyer ardentdans l'Àpulie, daus toute l'Italie méridionale et surtoutà Tarente, un des centres d'origine <strong>du</strong> pythagorisme '.Quelqu'opinion qu'on se fasse sur la réalité <strong>du</strong> tait deslivres pythagoriciens attribués à Numa, la tradition quise forme sur celte donnée atteste <strong>du</strong> moins l'affinité desidées <strong>pythagoricienne</strong>s avec tous les mouvements desidées religieuses dans l'antiquité. Tous les phénomènes1. Voir le discours de Postumius contre pravis et externis religio-,nibus captât mentes, T.-L., XXXIX, 15.î. T.-Liv., XXXIX, 9, 18, 41 ; XL, 19. On les appelait «clandestins;conjurationes. » On institua pour les juger des tribunaux spéciaux :« Quasstiones de Baccbanalibus sacrisque nocturnis extra ordinem. •On publia dans toute l'Italie un décret portant, entre autres prescriptions: • Bacas vir nequis adiese velet ceivis roman us neve nominuslatini. » On a retrouvé en 1692 en Calabre, gravé sur l'airain, ce sénatus-consultede l'an 186 avant J. C., qui est le neuvième monumentconservé de la langue latine. Tite-Live ajoute : < L. Postumius Praetor,cui Tarentum provincia evenerat, reliquias Baçchanalium quaestioniseu m omni exsecutus est cura, » et dans le livre XL, 19 : • L. Duroniopraetori,cui provincia Apulia evenerat, adjecta de Bacchanalibusquaestio est : cujus rési<strong>du</strong>s quaedam velut semina ex prioribus malisam priore anno adparuerant. >


138 L'ORDRE PYTHAGORICIEN.de cette nature, tous les faits qui se sont pro<strong>du</strong>its avecce caractère dans le monde ancien et on peut diredans le monde moderne, se rattachent en quelque pointau pythagorisme, et cette affinité prouve jusqu'à l'évidencece que nous cherchons à dé<strong>mont</strong>rer en ce moment,c'est-à-dire, ïe caractère profondément religieux<strong>du</strong> pythagorisme.La religion n'est pas pour lui simplement un mouvementlibre de l'âme qui s'élève vers l'idéal de perfectionque réalise et représente la divinité : on reconnaîtfacilement qu'il la considère comme un gouvernement,une discipline savante et forte des opinions et desvolontés, des esprits et des âmes. Tous ces règlementsminutieux, ces prescriptions cérémonielles, ces pratiquesextérieures absolument semblables à ce qui était usitédans les mystères', dénotent l'instinct pratique <strong>du</strong>prêtre, qui sait par quels moyens on peut s'emparer del'imagination, et ré<strong>du</strong>ire à une loi extérieure et à unediscipline les révoltes de la liberté humaine.Le caractère religieux de l'association pythagoriquese manifeste encore par d'autres faits non moins significatifs.Telle est l'admission des femmes ', qui chez lesGrecs, ne se comprenait que pour des buts religieux. Onnous les <strong>mont</strong>re assistant aux conférences de Pythagorc,et célébrant elles-mêmes les sacrifices. Le maître, surprenantdans leurs âmes une tendance particulière vers1. Diog. L., VIII, 33 : Kat Tt3v 4AAWV un KapaxtXtûoviou xal ol tacTCAïutàc «v toi; tepoT; iiriTEXoûvrcc-2. Iamb., V.P.,54 et suiv., et 1Ï0. Porphyr., 4 et 19. S. Jerftm. e.Jovin., I, 186. Plut., Con


L'ORDRE PYTHAGORICIEN. 139l'exaltation religieuse, s'efforçait de trouver des analogiesentre les noms qu'elles portent aux divers âges dela vie, Kop»), Nûpupn), Miynqp, Mata, et les noms desgrandes divinités téminines. Qu'elles aient participé auxenseignements scientifiques les plus profonds et les plusdifficiles, comment le nier, puisque nous voyons denombreux fragments de <strong>philosophie</strong> extraits d'ouvragesqui leur sont attribués?Tel est encore l'élément superstitieux, la tendanceau surnaturel qui se. développe de bonne heure dans lalégende pythagorique et représente le maître commeun être supérieur à l'humanité : tantôt comme un démon,c'est-à-dire un être intermédiaire entre les dieuxet les hommes, tantôt franchement comme un dieu.Aristote, cité par Iamblique 1 , considérait comme <strong>pythagoricienne</strong>la division des êtres vivants en trois classes :1° le Dieu ; 2° l'homme ; 3° une classe intermédiaire àlaquelle Pythagore appartenait. Hiéroclès dans soncommentaire sur les Yers d'Or 2 , disait : « La connaissancedes vertus de la Tétrade a été communiquée auxpythagoriciens par Pythagore lui-même qui, sans êtreun dieu immortel, ni même un héros, mais simplementun homme, s'est ren<strong>du</strong> semblable aux dieux et areçu des siens la vénération <strong>du</strong>e à une image visible dela divinité. » Diogène rapporte qu'on appelait ses disciples: (tavTfaç 6«j> çuvâ;*, c'est-à-dire les interprètesde la parole d'un Dieu ; Iamblique et Porphyre, que sessectateurs le plaçaient au nombre des dieux ou en fai-1. Iambl.,31.2. C. xi.3. Diog. L., VIII, 14.


140 L'ORDRE PYTHAGORICIEN.saient une espèce de bon démon * ; d'autres plus enthousiastesencore voulaient voir en lui Apollon, soit ApollonPythien, soit Apollon Hyperboréen, soit ApollonPœon; ceux-ci le considéraient comme un des dieux habitantsde la lune, ceux-là enfin comme un dieu distinctdes autres divinités de l'Olympe, descen<strong>du</strong> sur la terrepour apporter aux hommes le salut et la béatitude quepeut seule procurer la <strong>philosophie</strong>*. Sans doute ce n'estpas ainsi qu'Heraclite et Empédocle le jugent. Heraclitese borne à attester sa science profonde, variée, tirée àla fois des livres et <strong>du</strong> commerce des hommes, et loin dese laisser entraîner à une admiration enthousiaste, estimeavec une sévérité froide et injuste, qu'il a fait de toutecette science un mauvais usage *. Les vers d'Empédoclecités par Iamblique et Porphyre 4 , le représententcomme un homme d'un génie supérieur, mais simplementcomme un homme.« Parmi eux il y eut un homme doué d'un savoirimmense, dont l'intelligence renfermait un vrai trésorde connaissances, et qui était profondément versé dansles sciences les plus variées. Lorsqu'il tendait tous lesressorts de son vigoureux génie, son pénétrant regarddécouvrait plus de vérités qu'il ne s'en révèle à unesuite de dix, de vingt générations. » Mais si des espritsphilosophiques, comme Empédocle, sceptiques et criti-1. Porphyr., 20 : Mexà xùv 8(ûv xaBrip(6u.o\.v. Iambl., 30 : Mexà. xûvBeûv.... xaBripiSpovv &>; avraSo'v xtva Sxtpova; 140 : Oùx A Tuxè> v , 4*V4 6eà


L'ORDRE PYTHAGORICIEN. 141ques comme Heraclite, ont porté sur Pythagore un jugementsain et froid, cela n'empêche pas que ses admirateursn'aient pu aller jusqu'à une aveugle adoration.Quoique l'idée de faire un dieu d'un homme, soitpeu grecque, quoique bien des expressions qui exprimentune sorte d'apothéose n'aient eu peut-être, primitivement,que la valeur d'une métaphore admirative, ilest difficile de douter que ses partisans n'aient vouluvoir et faire voir en lui un être supérieur à l'humanité,par sa naissance, par sa vie, par sa science, par sa puissance.JSlien, sur l'autorité d'Aiistote 1 , dit que les Crotoniatesl'adoraient comme Apollon Hyperboréen, dontsuivant d'autres traditions il aurait été simplement lefils 1 . Toutes s'accordent à reconnaître qu'il a possédédes dons surnaturels ; il prévoit et prédit l'avenir ', ilopère des prodiges par l'art et la pratique des incantationsmagiques ; il entend - l'harmonie des sphèrescélestes ; il peut communiquer par la parole d'un côtéavec les êtres inférieurs, de l'autre avec les êtres supérieursde la nature. Les fleuves, les taureaux, les aigles,entendent sa voix et obéissent à ses ordres: il a lé donde l'ubiquité, le souvenir des nombreuses existencesqu'il a traversées* ; il est descen<strong>du</strong> aux enfers et en estrevenu. S'il faut en croire Hermippe, il se serait lui-1. fil., II, 26. U n'est pas certain que cet Aristote soit l'auteur dela Métaphysique. Diog. L., VIII, 11. Porph., 28.2. Porph., 20. Iamb., 30, 255. Diod. Sic, fragm., p. 554.3. Non par le feu, il est vrai, mais seulement par TûV XXU&OVUV texai obovûv.4. .fil., II, 26. Plut., Num., 8. Diog. L., Vin, 4, 8,11, 21, 36, 38.Porph., 23, 26, 28, 30, 34, 45. Iamhl., 90, 134, 140. Simpl., inArùt,de Cal., 113. Scholl. Ar., p. 496 b. Joseph, c. Apton,I, 22. Aul.-Gell.,IV, 11.


142 L'ORDRE PYTHAGORICIEN.même prêté à cette pieuse imposture, et n'aurait pasdédaigné d'employer un artifice assez grossier pourfaire croire aune résurrection'. Enfin sa doctrine n'estpas celle d'un homme : c'est une doctrine sainte et divinequ'Apollon lui a révélée par la bouche de sa prêtresseThémistoclie, dans l'auguste sanctuaire de Delphes.Nous croyons de tous ces faits pouvoir déjà conclureque le pythagorisme aspirait à renouveler les croyancespour les épurer, et pour cela voulait fonder, pourainsi dire, une Église ayant ses rites et ses sacrificespropres à constituer le lien extérieur et visible des adhérents.Hérodote donne le nom significatif d'oraie*, auxrites pythagoriques , comme aux rites orphiques et bachiques*. Le régime de vie, signalé par Platon, est uneautre marque <strong>du</strong> caractère religieux de l'associationqui se révèle encore dans la liaison, sinon dans la fusion<strong>du</strong> pythagorisme avec les sectes orphiques.Il n'est pas jusqu'au secret qui n'atteste son fondementreligieux. Sans aborder ici la question de savoir àquelles parties de la doctrine s'appliquait la prescription<strong>du</strong> secret, il parait certain qu'en tout ou en partie ilétait scrupuleusement observé et sévèrementcommandé.Jusqu'au temps de Philolaus, les doctrines <strong>pythagoricienne</strong>sfurent tenues secrètes* et Aristoxène rapporte laformule impérative de cette prescription : tout ne doitpas être communiqué à tous *. Dans le récit d'Iamblique,1. Diog. L., VIII, 41. On attribuait à Pythagore un écrit intitulé:KaraSâst; et; "ASou, comme celui de Cercops. Clem., Strom., I, 33.H. Zeller veut voir dans l'ouvrage l'origine de la légende.',2. Herod., II, 81.3. Diog. L., vm, 15.4. Diog. L., VIII, 15 : M^ elvai npà; navra; navra 4i)rà.


L'ORDRE PYTHAGORICIEN. 143Cylon feint d'avoir eu connaissance des iitéfâ-nt* des pythagoriciens* ; ce terme est employé d'une façon touteparticulière dans une phrase de Diogène: énumérantles divers personnages qui ont porté le nom de Pythagore,il arrive au nôtre, o5 «mm» elvai va im^ura rr\içtÀouof Ion * : phrase qui peut signifier ou que Pythagorefit de la <strong>philosophie</strong> l'objet d'un enseignement secret,ou qu'il découvrit et enseigna les mystères de la <strong>philosophie</strong>'.Aristote dans son histoire de la <strong>philosophie</strong><strong>pythagoricienne</strong> constate que la doctrine de la divisiondes êtres raisonnables eu trois classes ! les dieux, leshommes et une espèce intermédiaire, à laquelle appartenaitprécisément Pythagore, était au nombre de cellesqui étaient gardées dans le plus profond secret : iv TOîC•KXIM «brojljnîTot;*. La maxime que nul ne se doit donnerla mort est pro<strong>du</strong>ite par Platon comme une règle enseignéedans les mystères : iv iitoffi-nii Xoyoç 5 : et les in-1. Iambl., 258.2. Diog. L., VUI, 46.3. Tzetzès. Chil., X, 335 :"Opxia yàp % 8t8oo0 piAooosYJirat. Hais il ne s'agit ici que <strong>du</strong> petit nombredes Ëlus, de ceux qui savent user des dons de Dieu. Dans le c. XXVI,les prescriptions secrètes, iv voit Upoïç am>«8éY|iot


144 L'ORDRE PYTHAGORICIEN.terprètes sont à peu près unanimes à reconnaître qu'ilfaut entendre ici les mystères pythagoriciens plutôt queies mystères d'Eleusis. Timée rapporte qu'Empédocle,comme plus tard Platon et Hipparque, fut chassé del'ordre pour en avoir divulgué les doctrines 1 . Néanthès,cependant, donne un tour un peu différent à ce fait.Jusqu'à Philolaûs et Empédocle, dit-il, les pythagoriciensavaient admis à leurs leçons tout le inonde. Maisayant vu le poète Empédocle les publier en vers, ils prirentle parti d'interdire de communiquer leurs doctrinesà aucun poète épique*. Ceci est puéril : il est évident quesi les poètes épiques étaient seuls exclus, il n'y avaitplus rien de mystérieux. On pourrait, sur ce point contesté, admettre l'opinion raisonnable d'Iamblique. Cen'est pas, suivant lui, la doctrine entière, mai? les principesles plus propres à l'école et qui contenaient le plusgrand nombre des vérités qu'elle enseignait 1 , que les pythagoricienss'interdirent de fixeret de conserver par l'écriture,et se réservèrent de transmettre de vive voix et demémoire comme des mystères divins, worop guot^pta 8e5vLa science n'est pas faite pour tout le monde;, la véritéest un temple où il ne faut laisser entrer que des âmespures ou purifiées. De là le vers fameux * :'A»(oto vuvcTotai' X^'P 0 "* °* èrctOEsOE pierrot.1. Diog. L., VIII, 42, 54. Il cite, comme lambl., 75, une préten<strong>du</strong>elettre de Lysis à Hipparque, pour lui rappeler cette règle qu'il attribueà Pythagore. Cf. Clem., Strom., V, et Orig., c. Cels., 1. III.2. Diog. L., VIII, 55.3. lamb., 226, ouvexTixùVuaTa tûv iv aùvrj ôoYpaTwv.4. Stob. (Floril., XLI) l'attribue à Pythagore. Cependant, commeon le trouve à peu près identique dans deux fragments orphiques :4>6éyto|i« ol; ôéiuç eert" (lûpoc ô' iiufjeaôt BeënXoiOU BtëriXon,Lobeck {Âglaoph., 453) le donne à Orphée. Olympiodore (Vit. Plat.),


L'ORDRE PYTHAGORICIEN. 145«Je rais chanter pour ceux qui peuvent comprendre :fermez les portes, profanes. »La règle <strong>du</strong> secret se lie, comme il est facile de le voir,à la règle <strong>du</strong> silence imposé aux jeunes novices, et découle<strong>du</strong> même principe général : Il faut que l'hommeapprenne à se taire, et à ne pas répandre au hasard etcomme un prodigue, les trésors sacrés de la science etde la vérité *. L'empire que l'esprit exerce ainsi sur luimême,cette concentration intérieure de-la pensée, obligéede se replier sur elle-même, est loin de nuire à laforce et à la profondeur de la méditation philosophiqueet de la méditation religieuse. Ne nous étonnons pasque Pylhagore se soit indigné de voir ren<strong>du</strong>s publics sesthéorèmes des lignes commensurables et incommensurableset de l'inscription <strong>du</strong> dodécaèdre dans la sphère,et que le frère reconnu coupable de cette indiscrétiongéométrique ait été excommunié de la petite église, con- 'sidéré comme mort pour elle, et ait reçu l'honneurdouteux d'un cénotaphe '. Le moyen âge, toutes différencesgardées, eut aussi pour la science et la <strong>philosophie</strong>ce respect superstitieux et dédaigneux. La <strong>philosophie</strong>et la théologie étaient enseignées dans une languesavante, qui en fermait, pour ainsi dire, les portes auxprofanes. Ce fut, comme on sait, un grand scandalequand Luther osa le premier profaner la sainteté desparlant de Platon, le loue de n'avoir point adopté l'orgueilleuse gravitédes pythagoriciens, ni leur habitude de tenir fermées les portesde leur école, ni la célèbre maxime : < le maître l'a dit, ccùvi? 19a. >Sur les àicôéériTa des pythagoriciens, conf. Wyttenbach, ad Phxd.,p. 134.1. Iambl., 246.2. Iambl., 189,246, 247.10


146 L'ORDRE PYTHAGORICIEN.Écritures par une tra<strong>du</strong>ction en langue vulgaire. Encoreaujourd'hui les offices de l'Église catholique se disentdans tous les pays de la communion romaine en latin ;ce n'est pas sans doute' le secret absolu; mais c'est encorequelque chose de mystérieux, c'est cet élément inconnu,cette vague perspective qui ajoute au prestige, etqui, pour un temps <strong>du</strong> moins, accroît l'autorité des enseignementsreligieux. Enfin il ne faut pas oublier queles constitutions des jésuites, qui ont avec la société <strong>pythagoricienne</strong>des rapports si frappants, sont tenuestrès-cachées et on peut dire secrètes.C'est à cet instinct sûr, qui devine dans le mystère uninstrument puissant d'action sur les âmes, et une disciplinede l'imagination et des idées, qu'il faut aussi rapporterla division des disciples en es- et ex-otériques,comme aussi l'habitude commune à tous les écrivains dela secte d'exprimer sous des formes symboliques, allégoriques,énigmatiques même, et les doctrines métaphysiqueset les idées morales elles-mêmes. Le doublesens figuré et littéral se <strong>mont</strong>re également dans leslivres saints de toutes les religions.Un fait très-étrange, et qui <strong>du</strong>t causer aux Grecs unsentiment tout autre que celui de la sympathie, c'estl'autorité que les pythagoriciens voulaient qu'on attachâtà la parole <strong>du</strong> maître'. La parole d'un maître con-1. Cic, de Nat. D., I, S : • Pytbagoreos, si quid affirmarent in disputando,quum ex iis quareretur quare ita esset, respondere solitos :lpsedixit. Ipse autem erat Pythagoras. Tantum opinio prajudicata poterat,ut etiam sine ratione valeret aucloritas. » Cf. Vai. Max., VIII,15, Menag. od Diog. L, VIII, 46. Olymp., Fit, Plot., p. 4, éd. Didot.S.Clem., Strom., II, 369 c. Philo., Ou. in Gen., I, 99. S. Greg. Naz.,. Inveci. I in Jui. Cyrill., 1. III, c.xxxu, in Isai. Suidas interprète l'ai-


L'ORDRE PYTHAGORICIEN. 147sidérée pour l'indivi<strong>du</strong> comme un motif suffisant decroire, et se substituant à la conviction personnelle raisonnéeet réfléchie, cette discipline extérieure de la penséequi se soumet à la pensée d'un autre, cette distinctionentre la foi, la croyance et la connaissance, chosebien nouvelle pour l'esprit hellénique, est encore une •preuve que Pythagore cherchait à fonder une religionparticulière.Il fauVen dire autant des vœux éternels qui enchaînaientles membres de la société les uns aux autres ettous à l'ordre entier, par un lien indissoluble.'. Enfin cequi achève de dé<strong>mont</strong>rer, non-seulement qu'un espritreligieux anime et pénètre les doctrines <strong>pythagoricienne</strong>s,mais encore que l'Institut avait pour objet de constituerune association religieuse, c'est à la fois le contenu,et la forme de ce petit catéchisme poétique qu'onappelle les Vers d'Or. Ce n'est autre chose qu'un décalogueavec ses formules impératives, de vrais commandementsde Dieu, dont aucune comparaison ne peutfaire pâlir la grandeur, la pureté, la simplicité, commeon pourra s'en assurer par l'analyse que nous croyonsen devoir donner ici' :Avant tout vénère et adore les dieux, les héros, êtrestic, iea d'une singulière manière : • Pour donner plus d'autorité à sesenseignements, Pythagore prononçait souvent ces mots, comme s'ileût voulu faire entendre ceci : ce n'est pas moi qui vous dis cela, c'estla parole de Dieu même: oix épi;, 4ÀXo roû ©eoû Xôyoc.1. Apul., I, 9: .Coibatur sociétés inseparabilis tanquam illudfueritantiquum consortium quod jure atque verbo romano appellabaturereto noneito. »J. V. plus loin ce qui concerne l'authenticité <strong>du</strong> poème. Je complèteavec d'autres renseignements ce résumé de la morale religieuse pratique<strong>du</strong> pythagorisme.


148 L'ORDRE PYTHAGORICIEN.intermédiaires entre les dieux et les hommes : mais neleur demande rien dans tes prières : car tu ne sais pastoi-même, et seuls ils savent ce qui t'est bon 1 .Respecte le Dieu <strong>du</strong> serment.Accomplis scrupuleusement les prescriptions rituellesdes devoirs religieux.Honore ton père, ta mère, tes parents.Aime les honnêtes gens, sans haïr les méchants. L'amiest un autre soi-même : il faut l'honorer comme undieu. L'amitié est l'égalité de l'harmonie 1 .Sois docile aux bons conseils.Modère tes besoins; maîtrise tes passions; la mesureest en toutes choses la perfection; ne commets rien dehonteux, soit avec les autres, soit seul; respecte-toi toimême.Ne goûte la volupté que lorsque tu consentiras à êtreinférieur à toi-même •.Ne prends pas les dieux à témoins; et fais en sorted'être toi-même, et loi seul un témoin digne de foi *.Pratique la justice en paroles et en actions.Dans les relations sociales évite de changer tes amisen ennemis; efforce-toi, au contraire, de changer tesennemis en amis. Sois doux; ne frappe pas un animalinoffensif; ne brise pas un arbre domestique 6 .Habitue-toi à la pensée que la mort est la destinéecommune et fatale*.'1. Diog. L., VUI. 9.2. Diog. L., VUI, 33, d'après Aristote. Cf. Iambl.3. Diog. L., VUI, 9.4. Diog. L., VIII, 22.5. Diog. L., VUI, 23.0. Diog. L., VIII, 23 : eurov Hiupov.


L'ORDRE PYTHAGORICIEN. 149Ne fais ni trop peu ni trop de cas de la richesse.Sache supporter le lot que les dieux t'ont accordé.Délibère, examine, réfléchis avant d'agir.Soigne ta santé.Chaque soir, avant de te laisser aller au sommeil, faisl'examen de ta conscience; reproche-toi tes fautes etrepens-toi 1 Jouis <strong>du</strong> bien que tu auras fait.Cette vie vertueuse, il ne faut pas seulement la méditer,la pratiquer avec réflexion : il faut l'embrasseravec amour.Chaque matin, avant de te mettre au travail, prie.Aie conscience de toi-même et de ta faiblesse morale;reconnais que tu es incapable de te con<strong>du</strong>ire seul etqu'il faut te soumettre à une puissance contre laquelletu ne puisses te révolter. Mets-loi complètement et decœur sous le gouvernement de Dieu, le maître <strong>du</strong>Tout*.Cette pureté de vie, celle sanctification pratique del'âme est le préambule nécessaire de la science qui t'apprendrace que c'est que Dieu, ce que c'est que l'homme,ce que c'est que le monde et tous les phénomènes dontil est le théâtre. Tu sauras alors estimer toutes chosesà leur juste valeur. Tu apprendras que l'homme courtsouvent au devant des maux qui le frappent, ne voit pasles biens que les dieux ont placés près de lui, ne. saitpas les remèdes des souffrances qu'il en<strong>du</strong>re. Leshommes sont comme des vases cylindriques qui roulentau gré <strong>du</strong> hasard.Pour toi,, aie confiance et courage, car l'homme estde la race des dieux.1. Umbl., 174.


150 L ORDRE PYTHAGORICIEN.Abstiens-toi des aliments interdits; dans les purificationsde ton corps comme dans celles de ton Ame, faisan choix raisonnable et sage : la Raison est le guidesouverain et le maître absolu de la vie.Si tu obéis à ces préceptes, à l'heure où la mort délivrerade la prison <strong>du</strong> corps ton Ame jusque-là captive,tu dépouilleras l'homme et tu deviendras un Dieu '.L'éloquent et pieux commentateur de ce catéchismepythagoricien, Hiéroclès, l'appelle une <strong>philosophie</strong> sacrée,et y signale avec raison le caractère mystique etsacerdotal 1 . Le but suprême qu'elle se propose, dit-il,est de con<strong>du</strong>ire, d'amener l'homme à ressembler àDieu ».Toute la règle de la vie <strong>pythagoricienne</strong> peut se résumerdans cette grande maxime : devenir d'abord unhomme, puis ensuite un Dieu; s'unir par un commerceintime avec Dieu ; suivre, imiter Dieu *. Les formules1. Chtlcid., p. 229 :« CorpoK deposito, quum liber ad sethera perges,« Evades hominem, factus Deus setheris almi. •Cf. la Genèse, i, 3,22 : ' ,Mao imo rvn D*mn nv • - - : T T i n ' • •• Voici que l'homme est devenu, comme un de nous. •2. Comment, in Aur. Cartn., c. xzvi, p. 482, éd. Didot : Euvâtm-niT?J TûV lipÂW ri-j/yo n çtXooofta. P. 481 : .... Toù; TtXtixrixoùc xafiotpu.ovr,....xai T^V IsparurAv àwyiàY»|v.3 Id., ci, p. 417 : Ilpèç rév Setav ipouixnv àvàrei.4. Iambl., 137 : tlpûTov ptv avBpuwtov YéveeSat, xal TôTI BIOV...-Upè; TO Beïov èpiMaç — àxoXou8«îv T6> Betïp. C'est à Pytbagore luimêmequ'appartenait la maxime, d'après Stobée (Ed., II, c. vi ;Scgm. 3, p. 66) : • Socrate et Platon, en disant que le but de la vieest l'imitation de Dieu, véXoc ipoEwr/iv 6eoû, ne font que répéter Pythagore....Homère avait déjà, sous forme énigmatique, donné la même


L'ORDRE PYTHAGORICIEN. 151varient; mais la pensée reste constamment la même,et qui pourra en nier la grandeur et la profonde vérité?La vie parfaite n'est et ne peut être qu'une imitation <strong>du</strong>parfait, c'est-à-dire de Dieu.C'est encore un trait particulier et caractéristique dela morale pratique des pythagoriciens que ce goût desformes paraboliques, cet amour <strong>du</strong> symbole, ou plutôtde l'énigme, qui révèle à l'initié la pensée demeuréeobscure aux profanes. La formule préférée est ce qu'onappelé les é'u.oia, les similitudes, où ils exposaient nonseulementdes règles, mais des réflexions, des méditationssur la vie, Bîou feponnfa. Sous cette forme brève,sentencieuse et revêtue d'une image vive et forte, lapensée pénètre profondément l'intelligence frappée ets'y grave d'une façon <strong>du</strong>rable. Les exemples suivantssuffiront pour en faire connaître la tendance et le tour.La science est semblable à une couronne d'or : c'estune parure, mais qui a en même temps une valeurprécieuse.Les hommes vains et légers sont comme des vasesvides : on les prend facilement par les oreilles.Le sage doit sortir de la vie comme d'un banquet,avec une attitude décente.prescriptioD aux hommes : xat' Ix vla P«àv* 6eoïo. C'est après lui quePjthagore la repro<strong>du</strong>it sous cette forme : lnou 6«ô>. Thémiste (Or.,XV) la cite sans l'attribuer i Pythagore, comme Plutarque (De auct.,e. i). Cependant ce dernier rapporte (De defect. orae., c. vu) que Pythagoredisait que leshommesdevenaient meilleurs qu'eux-mêmes,otuvirpor, TOù; Oeoù; fsaSiCuoiv. Mais c'est peut-être en peu forcer le sensdes mots que de leur donner une interprétation si figurée. Clémentd'Alexandrie (Strom., V, 559) cite d'un certain Eurysus, pythagoriciendont Stobée a conservé un fragment sur la Fortune (Ed., I, 6,210), laphrase suivante . eUôva 7tpo;8s6v sîvat ivipiinou;, qui a une significationplus voisine. Cf. Clem., Strom., II, p. 390.


152 L'ORDRE PYTHAGORICIEN.Le port est le refuge <strong>du</strong> navire ; le port de refuge dela vie, c'est l'amitié *.Dans le drame de la vie la jeunesse forme le premieracte : c'est pour cela que tout le monde la regarde siattentivement.La valeur d'une statue est dans sa forme ; la valeurde l'homme dans sa manière d'agir.La vie est semblable à une pièce de théâtre : ce sontles plus méchants souvent qui y jouent le plus beaurôle.La plaisanterie est comme le sel : il faut en user discrètement.La terre ne donne ses fruits qu'à un moment del'année : l'amitié donne les siens à chaque instant de lavie.1. Je n'ai absolment rien changé & cette partie de mon mémoire:aussi suis-je surpris de lire dans le rapport d'ailleurs si bienveillant deM. Nourrisson la remarque suivante : • S'il rappelle que les pythagoriciensse plaisaient à présenter leurs préceptes moraux sous là formede similitudes, époux, il ne pro<strong>du</strong>it de cette littérature morale aucunéchantillon. Il était pourtant facile de citer, et il n'était guère permisd'omettre les "Opoiot ou Similitudes de Démopbile. » Or les quatrepremières Similitudes qu'on vient de lire sont de Démophile, et si jen'ai pas cité 'son nom, c'est que ce nom est plus que suspect ; car onne connaît aucun écrivain qui l'ait porté dans l'antiquité, sauf un mathématicien,qui avait ' commenté un ouvrage de Ptolémée, et unévèque de Constantinople, cité par Suidas. De plus, non-seulementon ignore le vrai nom de l'auteur de ces paraboles, mais sa personnen'est pas moins inconnue, et on ne sait dans quel temps il avécu. Il est plus que probable que nous n'avons ici qu'un recueil traditionnelde proverbes et de maximes morales, qu'on ne peut ni nedoit attribuer à aucun indivi<strong>du</strong>; et Orelli le considère comme un extraitd'une collection beaucoup plus complète où ont puisé Stobée,Anton. Melissa et Maximus le Moine. L'éditiou de Holstein, que, citeM. Nourrisson, a été suivie de beaucoup d'autres, qu'énumère Orellidans la sienne, je crois la dernière, et qu'il serait peu intéressant de


L'ORDRE PYTHAGORICIEN. 153Un repas sans conversation, la richessesans la vertu,perd tout son charme.Le commencement est la moitié <strong>du</strong> tout.La vie de l'avare est comme un banquet funèbre :rien n'y manque si ce n'est un homme heureux.N'enlevez pas l'autel <strong>du</strong> temple ; n'ôtez pas <strong>du</strong> cœurhumain la pitié.Quelquefois en même temps que la formule devientplus impérative, la-pensée s'obscurcit et devient une.véritable énigme.Ne t'asseois pas sur le boisseau.N'attise pas le feu avec la lame d'une épée.Offre ton aide à celui que tu vois chargé d'un fardeau;mais ne va pas la lui offrir si tu vois qu'il veut ledéposer.repro<strong>du</strong>ire ici. Je n'ai pas non plus mentionné, et on me l'a reproché,• les rvûiuti xpûaai ou Sentences d'or de Démocrate, qui florissait versla ex* Olympiade; les Tvûpai ou Sentence* de Secun<strong>du</strong>s, qui vivaitsous Adrien. » Je crains que le savant rapporteur n'ait attaché tropd'importance aux conjectures hasardées par lesquelles Holstein restitueà la leçon Aupoxpfiou de Stobée la leçon Anpoxpàvovç. Orelli n'a pas,à ce sujet, le moindre doute, p. vm, 1.1 : « Ipsius philosophi AbderitseFragmenta esse tantum non omnia, quœ nomine Democratis inscriptaleguntur in collectionibus Holstenii et Galei, nemo facile infitias ibit,quisquis sententias hasce penitus consideraverit.... Quid quod Stobaeusetiam,... omnibus Democriri nomen adscripsit, adeo ut vero simillimumsit Democratis nomen quod quum Cod. HSS. proférant, tum Antoniuset Haximus citant, vel nomen fuisse collectons, non auctorisharum sententiaram, vel corruptum esse ex nomine Democriti. • SiDémocrate n'a pas existé, j'aurais eu mauvaise grâce à le citer ; s'il n'aété qu'un collectionneur et qu'un scribe, il ne méritait pas l'honneurde figurer parmi les Sages pythagoriciens. Quant à Secun<strong>du</strong>s, qu'onjuge si j'ai eu tort de le passer sous silence, par les termes dont lecaractérise Orelli : « Homo ineptissimus.... cujus sententias sic vocatas....absurdissimas plerumque et plane ridiculas libens equidem exbac collectione exulare jussissem, nisi


154 L ORDRE PYTHAGORICIEN.Ne porte pas d'anneau où soit gravée l'image d'undieu.Ne dors pas en plein midi.Ne romps pas le pain.Ne relève pas les miettes tombées de ta table.Ne mange pas sur un char.Habitue-toi à garder le silence.Ne t'arrête pas sur le seuil.Ne laisse rien au fond de la coupe.Ne tue pas le serpent qui s'est intfo<strong>du</strong>itdans ta maison.Quand le soleil brille, ne fais pas allumer de flambeaux.Ne dors pas sur un tombeau.Ne touche pas à la lyre sans avoir lavé tes mains.Ne mets pas au feu un fagot tout entier.N'écris rien sur la neige.La lettre T était un symbole usité par les pythagoricienspour représenter le cours de la vie humaine;chaque homme, après avoir traversé l'adolescence, arriveà un point où la route se partage en deux : àdroite, il trouve le chemin rude et escarpé de la vertu,au sommet <strong>du</strong>quel il goûtera le repos et le bonheur; àgauche la voie large et douce <strong>du</strong> plaisir, au terme delaquelle il rencontrera les précipices et les abîmes. Nousen avons la formule dans des vers latins d'un auteurinconnu :Littera Pythagone, discrimine secta bicorai,Humana] vitae speciem praeferre videtur.Nam via virtutis dextrum petit ar<strong>du</strong>a colleraDifficilemque aditum primum spectantibus offert ;Sed requiem praebet fessis in vertice summo.Molle ostendit iter via lata, sed ultima metaPrécipitât captos volvitque per ar<strong>du</strong>a saxa '.1. Lactant., De div. fnst., 1. VI, c. m.


DEUXIÈME PARTIECHAPITRE PREMIERL'éCOLEPHILOSOPHIQUENOUS avons vu que Pythagore avait essayé de fondersur des principes nouveaux une société politiquedont l'Institut reflétait l'image, ou plutôt représentaitcomme un idéal réalisé 1 . Un grand sentiment des besoinspratiques, un impérieux instinct d'ordre, de disciplineet à la fois de gouvernement, ne se manifeste pas moinsfortement dans la tentative d'organisation religieuse.L'Institut pythngorique n'est pas seulement une sociétépolitique, c'est une société religieuse, où l'on démêle trèsnettementl'essai d'une hiérarchie et d'une discipline,c'est-à-dire où se distinguent visiblement les traits caractéristiquesqui constituent une Église. L'idée domi-1. la. République de Platon n'est guère que l'Institut pythagoriqnesur une plus grande échelle.


156 L'éCOLE PHILOSOPHIQUE.nante de ces ébauches d'organisation est celle qui dominetoutes les doctrines pythagoricienbes, je veux direl'idée d'ordre. L'ordre appliqué aux choses multiples etcomposées ne peut consister que dans l'harmonie desparties, qui représente dans le monde des réalitésl'unité véritable, attribut privilégié <strong>du</strong> monde idéal.Appliqué à une association humaine, l'ordre se confondavec l'union, et cette union, pour être parfaite, doits'étendre à la vie tout entière, à la vie politique, morale,religieuse, intellectuelle Les pythagoriciens n'ontvu d'autre moyen de réaliser cette union que de toutmettre en commun. Les travaux de l'esprit furent doncmis en commun comme tout le reste, et les doctrines dela secte doivent être considérées comme le résultat <strong>du</strong>travail collectif, des efforts réunis de tous ceux qui enfont partie. C'est l'idée exacte et fondée que nous endonne Hiéroclès 1 . Ils ont une pensée comme une viecommune. De là le caractère presque impersonnel desdoctrines que nous n'avons conservées malheureusementque dans des fragments mutilés ; de là aussi la diversitéde tendances que nous apercevons entre lesdifférentes parties <strong>du</strong> système, parce que l'unité a pu y1. In Aur. Carm., c. xxvtit fin. : Oùv_ tvoe. TIVOC TtSv nuSayopeluv&no|iv>!|ioveupa, SXou Si TOû Icpoû CUXXOYOV, xal fiic oùtol eîiroicv, toûSpatou navTè; ànôï.6«Yu.a xoivov. Les Allemands sont disposés aujourd'huià croire que les poèmes homériques sont non pas, comme ils l'avaientpensé d'abord, une collection, un groupe de chants isolés, <strong>du</strong>sà des poètes très-différents ou même à l'inspiration populaire, mais descompositions faites au sein d'une École de chanteurs par des mainsdifférentes, mais néanmoins soumises à une même discipline et obéissantà un même esprit : ce qui en expliquerait à la fois et l'unité et lesdivergences. Je ne crois pas ce point de vue exact appliqué à Homère;mais je l'appliquerais volontiers à Pythagore.


L'éCOLE PHILOSOPHIQUE. 157être désirée, mais n'a pu être réalisée, et que le libreesprit grec a laissé chaque indivi<strong>du</strong> apporter àl'œuvre commune ses études, ses goûts personnels, samanière propre de sentir, de comprendre, d'exprimer.Cependant il est remarquable que dans une certainemesure la personnalité des écrivains pythagoricienss'est effacée. On aperçoit encore la trace de l'élémentreligieux dans ce sacrifice <strong>du</strong> moi ; pour mieux assurerce sacrifice, la transmission des doctrines par l'écritureavait été longtemps interdite ; car l'écrivain est une personnalitétrop forte pour disparaître complètement. Latradition, œuvre collective et anonyme,-inspiration obscureet commune, est plus humble, et peut-être aussiplus fidèle. La tradition répète, l'écrivain transforme etajoute : il ne peut s'empêcher, même quand il le veut,de mêler quelque chose de sa pensée à la pensée qu'ilrepro<strong>du</strong>it ; <strong>du</strong> moins il ne la rend qu'en la faisant entrerdans les formes de son propre esprit, en la teignantdes couleurs de son imagination, en la courbant sousles mouvements de sa sensibilité et de son âme.Plus tard, lorsque des nécessités extérieures ou descauses quelconques ont fait renoncer à ce mode insuffisantd'exposition, quand on sent la nécessité de formuleravec précision et de conserver avec exactitude lesdoctrines de la secte, les écrivains se soumettent encore,autant qu'ils le peuvent, à cette pensée, à cetteprescription, qui leur commande le sacrifice de leurpersonnalité*. Les auteurs rapportent tout à leur1. IatnbL, 198 : MT)8t|ttav nepiitoi«ia8ai iégav tSfev à*4 tàV» tOpioxopévwv,«t p4 «otf TI (ntâviov wàvv Y*P **. wfc *t'" v WT«I 4V tîiaYvwpfCitfl" fao|iW)|UKa.


158 L'éCOLE PHILOSOPHIQUE.maître, qui représente et personnifie l'Ordre entier.Quoiqu'il n'ait peut-être rien écrit de sa main, commeSocrate, on le considère et on le nomme comme l'auteur,par exemple, des nombreux ouvrages d'Aston etde la Doctrine Mystique, 6 puimxôc Myot, qui était, diton, d'Hippase 4 : ce n'est pas peut-être une erreurcomplète, car il serait vraiment bien étrange, s'il y aeu une <strong>philosophie</strong> <strong>pythagoricienne</strong>, que Pythagore n'yfût pour rien. Tout ce qui s'est pro<strong>du</strong>it de grand dansle monde est l'œuvre d'une grande personnalité. L'ascendantpersonnel naît, il est vrai, de la supériorité<strong>du</strong> caractère, de certaines qualités de l'âme, d'une certainepuissance communicative sur les esprits et lescœurs, autant que de la supériorité de l'intelligence.Mais quand il s'agit d'une impulsion philosophique, onest obligé de reconnaître chez celui qui l'a donnée unensemble d'idées assez puissant et assez profond pouren expliquer la force et l'éten<strong>du</strong>e. Or l'ascendant dePythagore, dans l'école qu'il a fondée, a été considérable,et le caractère ecclésiastique, l'organisation sacerdotalequ'il lui avait donnés, n'ont pu que l'augmenter.Sans doute, comme le remarque Valère Maxime, c'estun grand honneur pour un homme que sa parole suffisepour entraîner la conviction ; mais c'est en mêmetemps une faiblesse. Car le cercle de ceux qui sont disposésà une telle confiance est nécessairement fermé 1 .Où trouver dans l'antiquité un autre exemple où l'autorité<strong>du</strong> maître a été un motif de croire si puissant,qu'il a ren<strong>du</strong> inutiles et le raisonnement et la raison,1. Diog. L., VIII, 7.2. Val. Haï., VIII, 15 : • Magnus honos; sed schola tenus.


L'éCOLE PHILOSOPHIQUE. 159où la doctrine a été fondée sur la loi, c'est-à-dire surune disposition'purement subjective 1 ? Ce n'est pas Socrateni Platon qui auraient imaginé cela, eux qui engageaientleurs disciples à douter de toutes choses, àne croire personne, pas môme leurs maîtres, jusqu'à ceque la lumière de la raison eût dissipé toutes les ombres,et <strong>mont</strong>ré la vérité dans sa clarté et dans sacertitude.Le caractère longtemps purement oral de la transmissiondes doctrines <strong>pythagoricienne</strong>s s'explique surtoutpar la puissance de l'influence personnelle <strong>du</strong> maître,qui a pris la forme d'une vénération sacrée, et quiseule a pu garantir la sincérité et l'exactitude des témoignages.Si c'était un crime, une impiété, une hérésiede mettre en discussion, c'est-à-dire en doute, ladoctrine <strong>du</strong> maître, il devait être plus criminel et plusimpie encore de l'altérer. Les preuves abondent pourattester, avec un étonnement plein d'admiration, la fidélitéavec laquelle avait passé de bouche en bouche ledépôt sacré des traditions <strong>pythagoricienne</strong>s, qui seconserva jusqu'à la disparition totale de l'école, au dired'Aristoxène, qui la vit s'éteindre *.Un bon juge, <strong>du</strong> reste, ùous suffit pour affirmer aveccertitude que Pythagore est le véritable auteur de la<strong>philosophie</strong> <strong>pythagoricienne</strong>, et c'est Aristote. Au premierlivre de la Métaphysique, ch. v, arrivant à Alcméonde Crotone, il observe que son système se rapprochebeaucoup de celui qu'il vient d'exposer en l'attribuantaux pythagoriciens. « Cette ressemblance, ajoute-t-il,t. Iambl., 199 : 6au|iiir,mu Si Ij trie9«Li»iicà*pi6e(a,251. Diog.L.,TOI, 46. Porphyr., 57.


160 L'éCOLE PHILOSOPHIQUE.peut s'expliquer de deux manières : ou les pythagoriciensont emprunté à Alcméon ses idées, ou il a empruntéles leurs, et les deux hypothèses se peuvent soutenir,mais surtout la seconde, puisqu'AIcméon florissaitpendant la vieillesse de Pythagore : x«î yàp iyéveto tVrjXixfav lui Yt'povti riuOaYÔpa. » Ainsi, <strong>du</strong> vivant de Pythagore,il y a eu une doctrine connue sous son nom, etassez répan<strong>du</strong>e, comme assez célèbre, pour qu'Aristotepense qu'un autre philosophe ait pu en emprunter lesprincipes essentiels. C'est encore nommément à Pythagorequ'Aristote attribue le mérite d'avoir donné des définitionsuniverselles 1 et cherché à donner un fondementscientifique à la morale*. Zeller veut que l'élémentscientifique, philosophique de la conception <strong>pythagoricienne</strong>ait été postérieur à Pythagore, et étranger à sesvues personnelles et à son dessein primitif, tout pratique,selon lui. Ce n'est pas tenir un compte suffisantdes témoignages courts, mais précis et concluants, queque je viens d'apporter, et ce serait, en outre, détruirele trait le plus original, le plus caractéristique et enmême temps le plus grec de sa tentative, qui a eu pourbut d'unir la théorie et la pratique, icpâtteiv Tï xol XéYMV,et de donner à une organisation sociale et religieuse,pour principe supérieur et pour fondement solide, unsystème rationnel et scientifique, une <strong>philosophie</strong>. Onvoit dans sa légende même se peindre ce trait original,ce goût de spéculation, cet amour de savoir qui est la<strong>philosophie</strong> même. Au Dieu qui lui offre de réaliser tousses vœux, il ne demande qu'une chose, c'est de gardert. Met., I, 5 ; XIU, 4 : iWtovv xaBôXov Ôpî;ta6at.2. Magn. MOT., I,1.


L'éCOLE PHILOSOPHIQUE. 161toujours le souvenir de. ce qu'il a vu, c'est-à-dire, end'autres termes, qu'il lui demande la science*. Heraclitequi florissait vers 500 av. J. G., et était, par conséquent,le contemporain de Pythagore, quoique plusjeune que lui, atteste l'impression qu'il avait faite sur leshommes de son temps par l'éten<strong>du</strong>e et la variété de sesconnaissances '.Xénophane, qui est tout à fait son contemporain,puisqu'il est né comme lui vers 580, signale déjà lathéorie de la métempsycose comme une doctrine personnellede Pythagore : < Un jour, dit-on, passant & côté d'unhomme qui maltraitait un chien, il en eut pitié. Arrête,lui dit-il, né le frappe pas ! c'est l'Ame d'un homme quia été mon ami ; je l'ai reconnu à la voix*. > Enfin Hérodote,antérieur probablement à Philolaûs,et<strong>du</strong>moinsson contemporain, puisque ce dernier vivait <strong>du</strong> tempsde Socrate, Hérodote permet de croire que le nom, ladoctrine, l'influence de Pythagore avaient depuis longtempspénétré en Grèce, et y jouissaient d'une assezgrande célébrité puisqu'il compare ses enseignementsaux doctrines orphiques, elles rapproche des croyancesreligieuses de l'Egypte, en grande vénération chez lesGrecs, et particulièrement auprès d'Hérodote*. L'historienva plus loin en disant que les rites des mystèresorphiques ont leur source dans les rites pythagoriciens :il raconte qu'il avait appris des Grecs qui habitaient lescolonies <strong>du</strong> Pont et de l'Hellespont, que le Thrace Zamohisavait été l'esclave de Pythagore, qui lui avait en-1. Diog. L., VIII, 4.2. Diog. L , VIII, fl.3. Diog. L., VIII, 36.4. Hérodot., II, 81.11


462 L'éCOLE PHILOSOPHIQUE.seigné la doctrine de l'immortalité de l'âme*. Sansdoute Hérodote lui-même n'ajoute pas grande confianceà cette tradition, puisqu'il observe que, suivant d'autresrécits, ce Zamolxis était une divinité gète, Safyuav TUreniât. Mais pour comprendre qu'une divinité gète aitété, <strong>du</strong> temps d'Hérodote, transformée en un disciplede Pylhagore, on doit supposer l'intention d'expliquer,comme cela se présente si souvent, les analogies réellesou imaginaires des doctrines <strong>pythagoricienne</strong>s et descroyances religieuses des Thraces par des rapports personnels;et pour que cette tradition ait pu se formerdans les colonies Thraces de l'Hellespont et <strong>du</strong> Pont, ila fallu tout au moins que le nom <strong>du</strong> philosophe fûtconnu des Grecs, et qu'il leur rappelât la doctrine del'immortalité de l'âme. Soit maintenant que ces opinionssur les idées <strong>pythagoricienne</strong>s leur aient été apportéespar leurs relations commerciales avec l'Italie <strong>du</strong> sud,ou bien qu'elles leur soient venues de Samos et del'Ionie, où Pythagore les aurait déjà professées, cetteconnaissance atteste que le nom de Pythagore s'étaitéten<strong>du</strong> aux extrémités <strong>du</strong> monde et de la civilisationgrecs, et qu'on y rattachait un ensemble de conceptionsphilosophiques. Enfin il convient de remarquer d'avanceque personne n'a jamais trouvé dans le pythagorismeaucune trace de l'éléatisme, qui a cependant influé siprofondément sur toutes les doctrines qui l'ont suivi. Jene sais pas si on a le droit de dire le contraire, et de prétendrequ'au point de vue <strong>du</strong>.développement historiquede la <strong>philosophie</strong>, l'éléatisme suppose l'antériorité <strong>du</strong>1. Hérod., IV, 95.


L'éCOLE PHILOSOPHIQUE. 183pythagorisme. Hais il me semble en tous cas nécessaired'admettre que Pythagore n'a rien reçu de Xénopbane,et qu'il doit être considéré comme le véritable auteurdes doctrines qui portent son nom*. Les disciples quiles ont transmises, ceux même qui plus tard les ont fixéespar l'écriture, ont dû, par suite même de l'organisationde l'Ordre et des principes de la secte, changer peu dechose à la conception première. Le respect pieux, la vénérationsainte pour la parole <strong>du</strong> maître, ont dû protéger,sinon contre toute altération, <strong>du</strong> moins coutre toutealtération profonde, ce dépôt sacré de vérités qu'ils considéraienttous comme émanées de la bouche d'un Dieu,Oioû cpmvou;.Un élément essentiel, et suivant moi l'élément principal<strong>du</strong> pythagorisme, a été d'être une <strong>philosophie</strong>, c'està-direune conception rationnelle et une explicationscientifique des choses. Nous en verrons plus tard etnous en jugerons l'importance ; nous pouvons dès à présentla deviner en remarquant que ce fut le seul élé-1. Âristote n'en doutait pas; car si l'on observe avec raison qu'enexposant cette doctrine, il ne prononce qu'une ou deux fois le nom<strong>du</strong> maître, et qu'il désigne l'École sous tous les noms collectifs de o\xaXoû|i*voi Duècryopeioi (Jfet., I, b); ol ««pi TraXtav xaXoûuxvoi, IIu-8afôp«ioi 8é (de Cal., II, 13) ; TûV 'ITOXIXûV TIVI; xai xaXoûuxvoi IIu-(krrâpttot, il est nécessaire de remarquer d'une part qu'il désignesouvent Platon d'une manière aussi générale; d'autre part que tousles écrits spéciaux qu'il avait consacrés au pythagorisme sont per<strong>du</strong>s.Or, s'il faut en croire Damascius, Aristote y citait fréquemment Pythagore.Conf. Damasc. : IUpi TûV xpûrav 4py_ûv, p. 64, 67, 121, 131,133. Plut., Ploc. Phil., I, 7, 11 ; I, 21 ; II, 6. Alex, et Syrian., in Jfet.,XIV, 1. Damasc., dans les Creuzeri Ueletem., t. I, p. 105: 'Apio-TOTSlrjç81 iv TOC;'ApxoTtion loroptï xal DuBayôpav SXXo TTIV 6Xnv xaXtïv.Alex. Scholl. Br., p. 826, où la doctrine de Pythagore est opposée àcelle de quelques pythagoriciens dissidents : Tû 81 nvSayôpa T) T«-vtaxTùv àpcOpûv iarrv ix TOû «)T)9OU;.... dXXot 81 TûV HuOayopiicov....


164 L'éCOLE PHILOSOPHIQUE.ment qui survécut au naufrage de tous les autres quientraient dans sa vaste tentative.Pour ses fins pratiques, une conception systématique,un ensemble d'idées était nécessaire à Pylhagore ; maisun texte fixé, une formule écrite, ne l'étaient pas. L'idéed'écrire son système a très-bien pu ne pas venir à Pythagore,et ce qu'on raconte de son horreur ou de sarépugnance contre cette mémoire sourde et muette del'écriture convient assez aux buts complexes de ce hardiréformateur. Gomme tous les novateurs, il devait désirerse laisser le champ libre, et ne pas enchaîner les développementspostérieurs de sa pensée dans le cadre toujoursétroit et souvent gênant d'une formule immuableblementfixée par l'écriture. Il faut remarquer égalementque la science est au sommet de la conception pythago- -ricienne, mais elle ne l'épuisé ni ne l'absorbe. Commepour tous les philosophes grecs antérieurs à Platon, lafin de la <strong>philosophie</strong> est pour Pythagore une fin pratique.Si l'écriture est nécessaire à l'esprit dominé parle besoin spéculatif et théorique, ce besoin n'a quelentement gagné le terrain de la <strong>philosophie</strong>, et nel'a jamais, dans l'antiquité, exclusivement occupé.On pourrait donc encore comprendre que Pythagore,comme Socrate, n'ait absolument rien écrit, et qu'il soitcependant le vrai fondateur de la <strong>philosophie</strong> <strong>pythagoricienne</strong>.Mais, comme nous allons nous en assurer, lefait même qu'il n'a rien écrit est loin d'être certain.


CHAPITRE DEUXIÈMELES ECRITS PYTHAGORICIENSLes citations et les fragments qu'on a recueillis desécrits des pythagoriciens, et dont on ne trouve nullepart réunie la collection complète 1 , se rapportent àplus de soixante ouvrages de quarante-trois auteursdifférents, sans compter un certain nombre de fragmentsanonymes.A Pythagore on attribuait plusieurs ouvrages dont laperte totale ne rend pas, comme on pourrait le croire,tout à fait oiseuse, la question de savoir s'ils lui appartenaientréellement. On comprend, en effet, que s'ilavait formulé par écrit, tout en recommandant de lestenir secrètes, ses principales doctrines, la traditionfondée sur ce texte écrit, tout orale qu'elle ait été longtempselle-même, prendrait un degré plus élevé de précisionet d'autorité. Et d'abord si on doit admettre quePythagore ait pu ne pas écrire, on ne saurait admettrequ'il n'ait pas pu le faire. L'interdiction imposée à sesdisciples s'étendait-elle nécessairement à lui-même?1. Les plus complètes sont les éditions d'Orelli : Opuseula Grxeor.•etenmt »«nt*ntto«o et moroit'a^ t. II, et Fragm. Phii. Grxc, éd.Didot.


166 LES «ÉCRITS PYTHAGORICIENS.Les calculs longs et difficiles, indispensables à ses découvertesdans la musique, la géométrie, l'astronomie,semblent exiger l'intervention de l'écriture. Chezles Grecs surtout, où les procédés en étaient fort compliquéspar suite de leur système de numération, il estdifficile d'admettre que de pareils calculs ont été faitsde tête, et conservés de mémoire. Phérécyde, qu'ondonne pour maître à Pythagore, avait écrit ; Homère,qu'on entende par ce nom ou une personne, ou uneÉcole, Homère, malgré tout ce qu'on a pu dire, et del'aveu presque unanime de la critique un instant égarée,Homère a écrit. Heraclite, comme nous l'avons vu, signalele vaste savoir de Pythagore, et dit qu'il l'avait puisé dansdes livres recueillis par lui de toutes parts, lxX*|otf«vo;Tatûtaç T*ç mrryp«ç*ç fcraf»KTiv iamtoû OOçITJV 1 . Comment unhomme qui devait tant à la science des livres l'eût-il siprofondément dédaignée qu'il n'ait pas voulu en faire lemoindre usage? Diogène parait entendre le passage quej'ai cité de livres écrits par le philosophe même, puisque,combattant l'opinion qui refuse à Pythagore toutouvrage écrit, il prétend que Heraclite réclame à grandscris contre elle, (IOVOVOU^I x^xpayt.En effet les anciens étaient partagés sur ce point :Plutarque*, Josèphe', Claudien Mamert", Lucien*, pré-1. Diog. L., VIII, 6 et IX, 1.2. Plut., De Alex*, fort., I, 4 : KOûTOI yt oûSè XXvfarbçwt typa<strong>du</strong>v oùttv,comme Socrate, Arcésilas, Carnéade.3. C.Apion,\. II.4. De suit, am'm.,1, II, c. xxxi: «. Pythagoiœ igitur, quia nihil ipsescriplitaverat, a posteris quaerenda est sententia. » ," 5. De lapsu in salut., n. 5 : '0 piv ye (Hanéaio; Du6.


LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS. 167tendaient qu'il n'avait rien laissé d'écrit, contre le sentimentd'Ëpictète', Clément d'Alexandrie 1 , S. Jérôme*,lamblique* et Diogène de Laêrte qui expose et discutela question, mais se contredit un peu lui-même. Cardans l'intro<strong>du</strong>ction de son ouvrage, il compte Pythagorcparmi les philosophes qui n'ont pas écrit*, d'après ledire de quelques critiques,Xt. iw.,rv,c. vi.2. Pxdag., p. 154.3. C. Ruf., 1.1.4. TU. P., 146.5. Procem., § 16.6. V. Pyth., 1. VIII, 6 et 7.T. D. L., VIII, 7 : "Q vtoi, àjùtà osôtove |MT' jouxta; T(48I iraVca.Cf. Hieroclès, Comm. in Aur. Carm., v. 47, oùil dit que dans'I'UpAlovo;,attribué à Pythagore, Dieu était appelé le nombre des nombres. •


168 LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS.Outre ce poème hiératique, Iamblique connaît encoreun 1«po« AÔyoç en prose dorique, dont Proclus' et Iambliquenous donnent un extrait assez long et le commencementtextuel * : c'est de cet ouvrage qu'Ion deGhios dans ses Tpiayu.o( dit que, pour lui donner plusd'autorité, Pythagore l'avait attribué à Orphée*.Un troisième ouvrage attribué à Pythagore avait pour1. Ad Euclid., p. 7 ; Theol. arithtn., p. 19.2 F. P., 152 et 146.3. On cite en effet, sous le nom d'Orphée, des lEcoiXéroi en XXIV livres,dont les auteurs paraissent être Cercops, Théognète de Thessalie,Télaugès, tous pythagoriciens. Diog. L., VIII, 7; Clem. Alex., Strom.,I, p. 333; Suid., v. 'Ope. Aristohule interpola outrageusement ces livresdéjà apocryphes d'où, suivant Iamblique, Pythagore avait tirétoute sa <strong>philosophie</strong> : TVJ; nvOayoptxïi; xat' àpi8u.ov AeoXoytd; sapé-Scifpa evaprè; IXEIT6 ireoc 4v 'Opçtï. Proclus dit également (TTieoI.Plat., I, 5) : • Toute la théologie grecque a été tirée de la Mystagogieorphique d'abord par Pythagore, initié à ces divins mystères parAglaophémus, et ensuite par Platon. » Lobeck [De myst. arg., 1, 2, 3)croit que ces livres contenaient fort peu de métaphysique, et n'avaientguère rapport qu'aux légendes traditionnelles, aux rites, au culte, auxprescriptions cérémonielles : < Hierologias istasaphilosophia alienissimasac fere totas ex fabulari historia, repetitas fuisse; quas autemhiérophantes ferantur in mysteriis celebrandis loquuti esse minimehue spectasse, ut initiatis symbolorum altiorem intellectum aperirent,sed fuisse narrationem de ortu hujus sacri fabulose tradito, dequeprima institutione. >Proclus (ad Eucl., p. 6) cite comme pythagoricien un lepè; crûpxxcXovoc. Cf. Iambl., in Nie. Arithtn., 8, 11. Syrian., ad Jfei.•Aristot., XIII, 6. Schol. Br., p. 303, 31; 312, 28. L'Upàc. Xoroc.,en prose, était attribué par quelques savants pythagoriciens à Télaugès,qui l'aurait compose avec des documents laissés par Pythagore àsa fille Damo, venus ensuite entre les mains de Bitala, fille de Damo,et enfin dans celles de Télaugès, fils de Pythagore, qui aurait épousésa nièce. Ces mémoires (Cmou.vT)p.avx) préten<strong>du</strong>s de Pythagore mêmesont encore mentionnés (Diog. L., VIII, 42) dans la lettre de Lysis àHipparque, où il est dit que Damo, malgré sa pauvreté, refusa de lesvendre pour obéir aux prescriptions paternelles, qui portaient : iniaxeopsuriStvl TûV èxtè; vâc. olxtac itapaotSéuxv.


LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS. 169sujet l'âme; un quatrième, la piété; un cinquième,était intitulé Hippothalès ; un sixième, Crotone. Diogènede Laërte rejette le livre Mystique, et beaucoup d'autres,tels qu'un poëme qu'il donne à Orphée, et l'ouvrageintitulé les Scopiades. Le livre Mystique, suivant lui,était d'Hippasus, les autres d'Aston de Crotone. Plinecite comme de notre philosophe un traité sur les vertusdes plantes ' ; enfui on l'a longtemps considéré commel'auteur <strong>du</strong> petit poëme qui porte le nom de Vers o?Or.S. Jérôme dit en effet : « Cujus enim sunt illa xi*" 8TraparyéX(AOTa? Nonne Pytiiagorœ* ? Chalcidius dans soncommentaire latin sur sa tra<strong>du</strong>ction de la premièrepartie <strong>du</strong> Timée' n'hésite pas davantage: « Pythagorasttiam in suis aureis versibus. » Galien * met dans l'expression<strong>du</strong> même sentiment une réserve, qu'observe égalementSuidas 5 . Proclus les cite sans nom d'auteur, & T5VXpucrûv tmSv wxT^p. Hiéroclès dans la préface de sonbeau commentaire les appelle TO EMaYopixA tien, et lesconsidère à la fin de son ouvrage non comme une œuvréindivi<strong>du</strong>elle, mais comme l'œuvre collective et anonyme<strong>du</strong> S icré Concile, de l'Ordre entier, TOî Upoù" OUXAôYOO, TOûipaxoiou itavrrfc. Tandis que saint Clément et Stobée les rapportentnettement àPythagore.Chrysippe* etPlutarque 7se bornent à nommer les auteurs ot IIu9«YÔptioi, et Arrienen cite plusieurs vers sans aucune désignation d'auteur*.1. But. Nat., XXV, 2,13; XXIV, 17, 99.2. C. Rufin., 1.1.3. P. 229-4. De dignotc. a(f., t. VI, p. 528 -.çtpoptvoc &ç Dut.5. V. Ilufi. tivéç SI xvaTiftéamv aùttp.6. Cf. Ap. Gell.,/V. Attie., VI, 2.7. Contol. ad Apoll., p. 116 e. ch. nu,8. Epie t., III, 18. Justin Martyr, de JfonorcA., p. 82, cite le vers de


170 LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS.La critique moderne les a tour à tour donnés à Lysis,Philolaiis, Epjcbarme, Empédocle, mais toujours à anpythagoricien. Toutes les autorités en reconnaissentl'origine et le caractère pythagoriciens 1 . Puisque Ch'rysippele mentionne et le cite, le morceau est donc antérieur,dans sa forme versifiée, au m'siècle, et il ne peutpasser pour une de ces pièces fabriquées dont le premiersiècle avant Jésus-Christ fournit tant d'exemples. Onn'y trouve ni dans le fond ni dans la forme rien quis'écarte de la couleur antique, rien qui contredise lesprincipes <strong>du</strong> pythagorisme, tel que nous le connaissonsd'ailleurs, et dont il donne un résumé d'ensemble, ovvod-içxal iict-ro[»j, comme le ditHiéroclès, surtout,il est vrai,aupoint de vue pratique : car c'est un véritable manuel demorale et de piété. Le style, aux yeux de Mùllach, sembleindiquer, comme la date la plus probable, l'époque dela guerre <strong>du</strong> Péloponnèse 1 , c'est-à-dire le dernier tiers<strong>du</strong> v* siècle. Bernhardy conteste ce jugement, et quandbien même il consentirait à y souscrire, proposeraitl'hypothèse d'une rédaction postérieure, qui expliqueraitle tour trivial de l'élocution, contraire, dit-il, à lamanière imagée et figurée des pythagoriciens, et la.compilation des cinq vers de l'épilogue* en partie attribuéspar Iamblique à Empédocle*. Tiedemann considèrePythagore sur l'unité de Dieu, qu'on trouve dans Fragm. philos,grœc., éd. Didot, p. 200.1. Chrysipp., dans Aul.-Gell., VI, 2. Plut., ad ApoU., p. 116 e; dePlaeit. Phil., I; de Borner, poes.2- Fragm. phil. grsec, éd. Didot, p. 408 sqq.3. Grundriw d. Griech. lit., t. II, p. 538.4. Theol. arithm. Conf. Fabricius, ad Seat. Bmpir. ad». Jfath, I,302, p. 283.


LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS. 171le poëme comme l'œuvre de plusieurs mains, parcequ'il n'y a pas d'ensemble, ni lien ni transition dansla succession des prescriptions. Mon sentiment estqu'au v siècle, l'influence personnelle de Pythagore,conservée dans l'école par la nature et l'organisation dela secte, et la vénération attachée aux paroles <strong>du</strong> maître,<strong>du</strong>rait encore, puisque les derniers pythagoriciens n'ontdisparu qu'au temps d'Aristoxène. Il me semble quenous pouvons voir dans les Vers cf Or, non sans doutel'œuvre immédiate, directe <strong>du</strong> maître 1 , mais l'imageexacte de son enseignement : ce qui n'empêche pas d'admettreque plusieuis vers ont été certainement interpolés.D'ailleurs il est évident, et Iamblique le reconnaîttout le premier', que parmi les écrits qui circulaientde son temps sous le nom de Pythagore, il y en avaitqui, <strong>du</strong> consentement unanime des critiques, ne luiappartenaient pas, mais que les auteurs, ses disciples,lui attribuaient par respect pour sa personne, et parhommage à l'autorité de son nom.Mais néanmoins, malgré ces ouvrages supposés, malgréces interpolations certaines, je ne puis m'empècher_ d'accorder quelque poids aux affirmations si nettes,si précises qui lui donnent des écrits propres, et1. Le Y. 47 invoque Pythagore. Les Theologoumena arithmetiea,p. 30, sont seuls à attribuer à Empédocle cette formule solennelle <strong>du</strong>serment pythagoricien :Nal (lit tàv fjusifpq t|n>x$ irapaSoVca TtTpaxûv.Cf., sur cette formule, Plut., de Placit. PMI. Sext. Emp., VII, 94.Iamb., V. P., 150. Macrob., Somn. Scip., I, 6. Porphyr., V. P., p. 30.Théon de Smyrne : Êorum qusc in Mathematicis ad Platonù iectionemutitia tutu. (C. xxxvin.)2. Iambl., Y. P., 158 et 159.


172 LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS.en citent même des passages. Le fait que Philolaùs'est considéré généralement comme étant le premier quiait publié un ouvrage sur la <strong>philosophie</strong> <strong>pythagoricienne</strong>,n'équivaut pas à l'aveu qu'avant lui, aucun pythagoricienet Pythagore lui-même n'avait rien écrit.Les documents écrits pouvaient avoir été tenus secrets,et Philolaùs aura été le premier à divulguer le sien.C'est tout ce que Diogène nous dit, si on veut peser avecsoin les termes dont il se sert. < Jusqu'à Philolaùs onne pouvait rien connaître de la doctrine <strong>pythagoricienne</strong>: il fut le premier à porter à la connaissancede tous, iitfvirxf, ces trois fameux livres qu'achetaPlaton ». > N'est-ce pas aller bien loin dans la voie <strong>du</strong>doute sceptique et de l'interprétation arbitraire, qued'imaginer qu'en affirmant que Pythagore a écrit, lesanciens attestent seulement qu'ils n'avaient pas d'écritspythagoriciens re<strong>mont</strong>ant au delà de Philolaùs, et qu'ilsen supposent uniquement parce qu'ils ne concevaient pasla communication et la pro<strong>du</strong>ction d'une doctrinephilosophique sous une forme purement orale? Jetrouve ce dernier argument bien hasardé : chez unpeuple où toute communication a été primitivement etlongtemps orale, où la parole vivante a toujours étéhonorée d'une dignité supérieure à la parole écrite,squelette inanimé de la pensée, comment supposerqu'aux iv* et v siècles avant J. C, au temps de Socrate,on ne pût concevoir ni l'enseignement ni la propagationd'une doctrine philosophique sous formeorale ? Hais l'histoire de la littérature grecque et de la1. Diog. L., vm, 15.


LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS. 173«<strong>philosophie</strong> surtout, nous crie le contraire ; et si lesécrivains grecs attestent qu'il y a eu des écrits de Pythagore,ce n'est pas parce qu'ils ne pouvaient pas comprendrequ'il n'y en eût pas, mais par une raison beaucoupplus simple, c'est qu'il y en avait et qu'ils enavaient.On tire un argument contre l'authenticité <strong>du</strong> vers citépar Diogène, comme emprunté à un des ouvrages dePythagore, et par conséquent contre l'authenticité del'ouvrage lui-même, <strong>du</strong> dialecte dorique dans lequel ilest écrit: car, dit-on, Pythagore était Ionien. Eh bien!Hérodote n'était-il pas un Dorieti ? et cependant, parun sentiment délicat de convenance, il a choisi ledialecte ionien, qui lui a paru mieux approprié au récithistorique. Pourquoi Pythagore, tout Ionien qu'il fût,u'aurait-i! pas choisi le grave et solennel dorien pourexprimer ses graves et solennelles pensées ?Toutefois il importe de remarquer que Porphyre etIamblique semblent se contredire sur ce point. Cedernier après avoir fait le récit de la persécution et dela mort des principaux membres de l'Ordre, ajoute quela doctrine de la secte faillit. alors périr avec eux,parce que conservée jusque-là uniquement dans leursAmes et sous le sceau <strong>du</strong> secret, &fâ-r\, il n'y eut quequelques parcelles obscures et presque impénétrablesde la doctrine qui furent conservées par les sectateurs<strong>du</strong> dehors, TOï« (Cm, comme des tisons refroidis et presqueéteints. Les proscrits eux-mêmes, se voyant disperséset isolés, craignant que ne disparût et ne fût complètementdétruite avec eux,'la <strong>philosophie</strong>, ce don desDieux, consignèrent dans des mémoires écrits, 6mpvif-


174 LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS.•(Mtta, les principes fondamentaux <strong>du</strong> pylhagorisme, etpour composer ces résumés, firent appel non-seulementà leurs propres souvenirs, mais encore réunirent etfondirent en un seul corps les écrits laissés par. lesanciens, ta tûv irpea6Wp&>v ffuYYpâuu«Ta, recommandantexpressément à leurs fils, à leurs femmes, à leursfilles, de ne les communiquer à aucune personne étrangèreà la fa mille, («i&vl TSV IXTôç TTJç olxtac '. On voitdonc Iamblique, ici, soutenir à la fois que l'absencede documents écrits faisait craindre que la doctrine seperdit, et que les premiers pythagoriciens avaientlaissé des ouvrages écrits : double assertion évidemmentontradictoire. Porpbyre, dont il suit jusqu'à la lettre,le récit plus précis et plus concis, se contredit moinsfortement : il nous dit en effet d'une part qu'il n'y avaitpas de document écrit de Pytiiagore, OUM yAp TOî Hu6


LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS.17àpremière est le sentiment d'affection des disciples pourleur maître, à qui ils ont attribué leurs propres ouvrages :tels sont les livres qui portent le nom de Pythagore etcelui de Socrate, et qui ne sont ni de Socrate ni dePythagore, mais l'œuvre de leurs auditeurs. La secondecause est la vanité et la rivalité des princes. En effet,Juba, roi de Libye, s'étant mis en tête de réunir lesœuvres de Pythagore, comme Ptolémée celles d'Aristote,quelques indivi<strong>du</strong>s firent commerce de ramasser au 'hasard des manuscrits, et les frottèrent d'huile decèdre teinte de rouge pour leur donner une apparencede moisissure, un air d'antiquité qui pût les faireprendre pour des manuscrits authentiques. » Quelquespages plus haut, ce même scholiaste avait exprimé sonopinion avec plus de détail. « Je ne puis, dit-il ', prouverce que j'avance par des écrits de Pythagore, carPythagore n'a laissé aucun écrit. Il disait : je ne veuxpas confier mes pensées, xk épi, à des choses sansvie, mais à des êtres vivants, à mes disciples. Qu'onn'aille donc pas croire que les Vers d'Or sont de lui : ilssont l'œuvre de quelque pythagoricien, qui pour lesrecommander y a inscrit le nom de son maître. » Cesont là des arguments généraux qui prouvent trop etne prouvent rien. Il est certain que le siècle des Ploléméesa été fécond en falsifications *. On a fabriqué des ma-1. Scholl.Br., p. 13.2. Galen., ad Hippocr., de no*, hom., I, 42 : Ilpiv Y«f> TOV< tvAXctavSpcia xi xal IlepYdtMp Ytveatiai paaiXiî; iiti xriiaii BiSXIuv çiXo-Ti|iTi8ivTa{, oùSlitw «J/eJîâx; littylypaino avYYpa|i|ta, XapSaveiv Si àp{apivuv(iwrtov TCSV xouiCôvTwv aùt*I( OAjY-fpoqi(io itaXoioù tivo< avSpoc,«CTM; JJST) itoXXi ycuSû; iiciYpâpovT(« lx6(iiCov. Conf. Id., Prasf.Comm., II, p. 128 : *Ev ttp xaxà totic XtraXtxovc tt xal IlToXtuatxoù


176 LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS.nuscrits de Pythagore ; Iamblique le reconnaît lui-mêmeet ajoute que c'est ce qui re&d si obscures et L'histoire dePythagore et celle de sa doctrine '. Mais on a fabriquéégalement des manuscrits d'Aristote : si l'ou nepeut conclure de ce fait qu'Aristote n'avait rien écrit,comment pourrait-on le faire pour Pythagore? U mesemble, au contraire, que le seul fait qu'un prince passionnépour les livres, a voulu avoir dans sa bibliothè-"que, rivale de celle d'Alexandrie, les œuvres de Pythagore,prouve que dans l'opinion générale, on admettaitl'existence de tels écrits. Comment, en effet, à des critiquestels qu'Aristophane, Aristarque, Cratès, qui fondaient .ces bibliothèques, aurait-on osé présenter de faux manuscritsde Pythagore, s'il eût été avéré qu'il n'avaitrien écrit <strong>du</strong> tout? Il fallait au moins que la question fûtpour eux indécise : et elle doit l'être, ce me semble,aussi pour nous.Quoi qu'il en soit, et en admettant même l'existenced'écrits de Pythagore % il faut reconnaître que le secretpauiXiac YO° V< I > "P 0 * 4XXx.Xou; àvTipiXoTiuoup.£vou; steçù xTT)


LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS. 177dans lequel on a voulu les garder, a été trop fidèlementobservé. Il ne nous est resté qne des fragments insignifiants,et trois lettres à Anaximène, àHiéron et à Télaugès,qui outre leur insignifiance philosophique paraissent êtrel'œuvre des sophistes, qui se plaisaient à ces imitationscomme à des exercices de style. Il n'est pas douteuxd'ailleurs que la plupart au moins des ouvrages qui luiétaient attribués, étaient fabriqués. En voici la liste àpeu près complète :1, 2, 3. Les trois ouvrages mentionnés par Diogènede Laërte, YI11,6, l'un d'é<strong>du</strong>cation, l'autre de politique,l'autre de physique.4. Ilepl TOO ô*Xou.5. Un 'Iepàî àôYOç en hexamètres. Ces deux derniersd'après Héraclide Lembus. ,6. Un autre 'hpoç Xoyoc en prose dorique, cité par Iamblique', et dont Syrianus'etHiéroclès donnent quelquespetits fragments. Diodore, i, 48, prétend que Pythagorea emprunté aux Égyptiens les doctrines de ces espècesde bréviaires.7. Un Traité de Came.8. De la Piété.9. Hélothalès.10. Crotone.Tous les quatre d'après Héraclide Lembus qui mentionneen outre te Discours mystique qui appartient,dit-il, & Hippase.que tout le passage d'Aristote est interpolé : cela me paraît un expédientextrême.1. Y. P., 146 et in Nie. Arithm., p. 11. Tennul.2. in Met., XIII. Schol. gr., Brand., 1838, p. 303.12


178 LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS.11. Sur les effets des plantes 1 .12. Un Discours à Abaris cité par Proclus J .13. Les IIpoYvaxjTtxa Bi&ua cités parTzetzès*.14. Une histoire de la guerre des Sauriens avecCyrus*.15. Une inscription sur le tombeau d'Apollon, àDélos ".16. Les Vers d'Or.Les fragments tirés de ces ouvrages nous ont étéconservés par Justin ', saint Clément ', Porphyre ', laThéologie arithmétique •, Syrianus ,0 .Avant d'examiner avec le soin qu'elle mérite la questionde l'authenticité des fragments conservés de Philolaùset d'Archytas, qui sont les plus considérables desrenseignements directs que nous ayons sur la doctrine<strong>pythagoricienne</strong>, il ne sera pas inutile de donner ici uneliste à peu près complète des auteurs pythagoriciensdont nous avons quelques restes plus ou moins authentiques.Il est quelques-uns de ces écrivains dont1. Plln., B. Nat., XXV, 2,12; XXIV, 17, 99.2. In Tim., p. 141.3. Cftil., II, 882. Conf. Fabric, Bibl. greet., I, 786.4. Jean Malala, 66 d. Cedrenus, 138 c.• 6. Porphyr., 16


LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS. 179l'époque nous est absolument inconnue, tels que Dius,Pempélus, Sthénidas, et autres. On n'a donc pas le droitde les considérer comme ayant appartenu à la vieilleécole italique. Mais aussi de ce que les fragments deces auteurs s'écartent des vraies doctrines pythagori-"ciennes en y mêlant un élément platonicien ou mêmepéripatéticien, on n'a pas le droit de prétendre que cesont des écrits supposés, pas plus qu'on ne peut le direde ceux dont les auteurs sont plus connus. Nous savons,en effet, que les uns comme Arésas, Glinias, Eurytus ',Xénophile, Phanton, Dioclès, Echécraîe, Polymnaste,ont enseigné <strong>du</strong> vivant des derniers pythagoriciens de lavieille école, qui ne s'est éteinte qu'au temps d'Aristoteet d'Aristoxène ', et qu'ils n'en sont pas moins appelésles disciples de Philolaûs', le plus fidèle représentantde la secte. D'autres tels que Brontinus, Hipparque,Onatas, Théano, ont vécu <strong>du</strong> temps même de Platon ;or, si, l'on réfléchit aux affinités des deux doctrines,aux rapports personnels des philosophes qui les ontadoptées, on admettra bien que tout en suivant unevoie à part et en maintenant leur originalité et leurindépendance, chacune a pu, a dû être influencée parl'autre. Si on admet que Platon, que Speusippe, queXénocrate, que d'autres encore ont pu mêler à leur syslesSermonet et les Eclogx, se rapportent souvent à Pythagore, maissans se rattacher à aucun ouvrage spécial. Consulter sur la question :Zeller, t. I, p. 209 et t. V, p. 85, et Fr. Beckmann, De Pythagor.rcliquiit, Berlin, 1850.1. Iambl., Y. P., 266.2. Diog. L., VIII, 46.3. Diog. L., VIII, 46 : TeXeutaîoi yàp JYC'VOVTO TûV nu6a.YOoe.uov ou;xal 'Apurcotivo; stos".... Vjaav oe* oxpéavcu «ItXoXaou xai Eûpûtou.


180 LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS.tème des opinions <strong>pythagoricienne</strong>s, sans cesser d'êtredes platoniciens, on n'a pas le droit de contester l'authenticitédes fragments pythagoriciens, parce qu'on ytrouve soit des formules, soit des idées platoniciennes,ou même péripatéticiennes.Mais il est un ouvrage que personne ne cherche aujourd'huià défendre, et où la falsification est si évidenteà première vue, qu'il est inutile de recommencerà la dé<strong>mont</strong>rer longuement.Il est intitulé LTepl t|n>xS; xoo-|«3 xal tpvctoî et est attribuéà Timée de Locres. Ce personnage célèbre étaitun pythagoricien, qui avait rempli de grandes magistraturesdans sa ville natale, et était versé dans la<strong>philosophie</strong> et les sciences astronomiques '. QuoiqueMacrobe soutienne que Socrate et Timée n'ont pasvécu au même siècle *, il parait certain par le témoignagede Cicéron', de Valère Maxime *,de S. Jérôme *,que Platon l'avait personnellement et intimement connupendant ses voyages en Italie. Mais c'est seulement auu* siècle après Jésus-Christ que nous trouvons mentionnépar Nicomaque de Gérase, un Timée de Locres '.11. Plat., ïïm., 20 a et 27 a. Synesius, De donc- Attrolabii, éd. Petau,p. 307 c.2. Saturn., I, t : • Inclytum dialogum Socrates habita cum Timaeodisputatione consumit, quos constat eodem saecuio non fuisse. •3. De Ft'm'b., V, 29 : • Cur Plato dSgyptum peragravi ?... Cur ad reliquosPythagoreos Echecratem, Timxum, Acrionem, Locros. > DeRep., I, 10 : « Audisse te credo, eum (Platonem) cum Archyta Tarentinoet cum Timaeo Locro multum fuisse. •4. Vin, 7.5. C. Rufin., c. XL, p. 567, éd. Vall.6. flormon., I, p. 24. Heib.


LES ÉCRITS PYTHAfiORICIENS. 181Ce renseignement est répété ensuite par S. Clément ',Eusèbe *, Théodore m', au •, par Jamblique 4 , et parProclus *, au v\ Il suffit de lire ce petit morceau enprose dorique, pour s'assurer qu'il n'est qu'un résumésuffisamment exact et une copie <strong>du</strong> Timée de Platon ',d'une date très-postérieure. La question de savoir quelpeut en être l'auteur, ne saurait être ici discutée, puisquela réponse n'aurait aucun intérêt direct pour le sujetspécial qui nous occupe.Il n'en est pas tout à fait de même <strong>du</strong> Traité d'Ocellusde Lucanie intitulé llepl -njç TOûIWCVTOS


182 LES ECRITS PYTHAGORICIENS.deux pièces et les quatre ouvrages qu'elles mentionnentexistaient déjà depuis longtemps au premier siècle denotre ère, puisque le savant grammairien et critique,contemporain d'Auguste, avait admis l'authenticité dela lettre de Platon, et n'avait pu être trompé sur sonorigine, que grâce à une espèce de prescription et d'antorité déjà acquise. Il n'y aurait même rien d'étonnantqu'Aristophane eût admis cette même lettre dans sa collection, et alors nous serions autorisés à ramener lafabrication des ouvrages d'Ocellus, au moins vers lecommencement <strong>du</strong> m' siècle av. J. G. 1Les plus anciens témoins, si l'on récuse les autres,sont Philon le Juif, né vers l'an 20 av. J. C. et Lucien 5 ,né vers 120 après. Les fragments conservés par Slobée 1prouvent que l'ouvrage était primitivement écrit en prosedorique, et qu'il n'a été transcrit en langue commune,xoiviî, comme plusieurs autres ouvrages' de.ce dialectepeu répan<strong>du</strong>, et de plus en plus ignoré, qu'à une datetrès-postérieure .et probablement au moyen âge. Mêmedans cette hypothèse, ce morceau a sa valeur, car ilnous expose au moins ce qu'était devenue la <strong>philosophie</strong><strong>pythagoricienne</strong> vers le premier siècle avant notre ère :et il se distingue par la précision des idées et la lo-1. Aristophane florissait vers 264.2. Demund. non tnfer., p. 728.3. De laps.in salut., c. v. Cf. Censorin., de die Natal., nr. Iambl.,Y. P., c. xxxvi. Syrian., tn Âristot. Met., XIII, p. 368. Br. Procl., 7nTim., 1. III, p. 150.4. Belog. Phys., I, c. xm,p. 338; c. xx, p. 422 sqq.5. Par ex. : le Traite de Démocrite sur l'Agriculture, mis en languecommune par Cassianus Bassus, sur l'ordre de Constantin Porphyrogénète,aux* siècle. Cf. MQllach, de Ocell. Lucan. Fragm. Phil. Grèce,éd. Didot, p. 383 sqq.


LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS. 183gique <strong>du</strong> raisonnement. La doctrine de l'éternité <strong>du</strong>monde, qui y est contenue, n'a rien qui soit contraireaux vraies doctrines <strong>pythagoricienne</strong>s ; et si les argumentspro<strong>du</strong>its rappellent Aristote et Parménide, nousavons déjà fait observer que l'on n'en peut rien conclurecontre l'authenticité <strong>du</strong> morceau, puisque l'école avécu jusqu'au temps d'Aristoxène, disciple d*Aristote.Comme nous n'avons, des autres auteurs, conserve'-que des fragments quelquefois très-courts, je vais nieborner maintenant à une simple énumération des écrivainset des ouvrages, avec indication des témoins quiles citent.Syrianus dans son commentaire sur la Métaphysiqued'Aristote *, cite, outre Philolaùs, trois pythagoriciens,Clinias, Archénète, Brontinus.Ciinias de Tarente, musicien célèbre', était un amide Platon, qu'il empêcha, au dire d'Aristoxène, de jeterau feu, dans un accès d'indignation, les ouvrages deDémocrite *.Archénète est si complètement inconnu que Boeckh,suivi par Hartenstein et Gruppe,change, dans le passagede Syrianus, son nom en celui d'Archytas '.Brontinus de Cyzique, qu'on dit un parent ou un alliéde Pythagore, et un contemporain d'Alcméon', fut1. XIV, 1. Schol. Br., p. 325, 326, 339. Ce dernier se trouve égalementScholl. Bekk., p. 800.2. Athen., XIV, 624 a.3. Diog. L., IX, 40. Cf. ÏTieoJ. Arithm., éd. Ast., p. 19. Orelli, OpusculaGrxc. vet., t. II, p. 324.4. La tra<strong>du</strong>ction latine de Syrianus, faite par Bagolini (Venise, Aid.,1558, f°202a), et que connaissait seule Boeckh, donnait Archénès. Cf.Boeckh, PniJ., p. 149. Hartenstein, de Arehyt., p 115.5. Diog. L., VIII,85 : » Fils de Pirithoûs, comme il le dit lui-même


184 LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS.un de ces pythagoriciens, qui avec Zopyre d'Héraelée,Prodicus de Samos.Théognète de Thessalie, Nicias d'ÉIée,Persinus de Milet, Arignoté, f iraoclès de Syracuse, Cercops,se mêlèrent d'écrire des poèmes mystiques sousle nom d'Orphée *. Épigène, contemporain d'Alexandre,lui attribue deux poèmes orphiques, sous les titres deriïitAoç et de T4 çuoixot *. Outre ces ouvrages, qui n'intéressentd'aucune façon la <strong>philosophie</strong> <strong>pythagoricienne</strong>, ona de cet auteur un fragment qui porte le titre de wtpl voûxori Stovoîaç, cité par lamblique*, Alexandre d'Aphrodise*et Syrianus 6 .au commencement de son ouvTage ainsi conçu : Alcméon de Crotone,fils de PirithoQs, a éciit ceci pour Brontinus, Léon et Bathylle. »Iambl. (7 P., 267) rapproche aussi Brontinus de Léon le Métapontin.Ce Brontinus est dit avoir épousé Théano, qui passe tantôt pourla femme, tantôt pour la fille de Pythagore ; mais il passe aussi pour lecontemporain de Léon, auquel Alcméon, contemporain lui-même dePythagore, aurait dédié un ouvrage.Hais d'une part Théano est née & Thurii (Suid., v.): or, c'est Périclèsqui a fondé, vers l'Ol. 84 = 444, cette colonie athénienne : doncelle a vécu bien longtemps après Pythagore, mort en 500.D'autre part, Léon est nommé par Proclus disciple de Néoclidès, plusjeune que Léodamas de Thasos, et Léodamas, Arcbytas et Théétètesont considérés par Proclus comme contemporains de Platon et deThéodore de Cyrène. Procl., lib. II, t'n Eueitd., i, p. 19 : IUoruv SieVi TOUTOU (Théodore).... év Si TOùTO» XP ovt ? xa l AwoSdpoc.... xai 'Ap-XUTOç (tic) xai r>ialTT]Too... AewSdpavTor, Si veoTCpo; 6 NeoxAeîSnç xal STOUTOU u.at>t)TTic Aéorv.Enfin on attribue un ouvrage de <strong>philosophie</strong> <strong>pythagoricienne</strong> àBrontinus; Or, toute l'antiquité proclame que c'est à Philolaus qu'ondoit les premiers ouvrages publiés sur ce sujet.. Donc Brontinus a dû vivre <strong>du</strong> temps de Platon, et on s'en aperçoitbien aux fragments qui nous en restent.1. Lobeck, Aglaoph., I, p. 340.2. Epigène, ap. Clem., Strom., I, p. 396.3. Valois-, Anecdot. II, 198.4. In Met., p. 800.5. In Met., XIV, 1. Schol., Br., 1837, p. 326 et 339, repro<strong>du</strong>it parZeller, 1.1, p. 252.


LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS. 185lamblique rapporte qu'Hippasus de Métaponte a lepremier fixé par l'écriture quelque chose de la doctrine<strong>pythagoricienne</strong> dans un ouvrage de mathématiques, etqu'en punition de ce crime, il avait trouvé la mort dansla mer*. Mais Démétrius de Magnésie, contemporain deCicéron, dans son livre Sur les poètes et les historiensqui ont porté le même nom, prétend qu'Hippasusn'avait pas laissé un seul ouvrage écrit 1 : ce qui n'einpéchepas Diogène, tout en rapportant l'opinion de Démétrius,d'attribuer ailleurs à cet auteur le Liore Mystique,que d'autres donnaient à Pythagore même*.Suivant une autre tradition c'est Hipparque qui,s'étantlaissé sé<strong>du</strong>ire aux délices et aux voluptés de la Sicile,avait, contrairement aux préceptes de la secte, communiquéau public la <strong>philosophie</strong> <strong>pythagoricienne</strong>, 8auoa(xetWaplv. Ce fait est rapporté dans une préten<strong>du</strong>elettre de Lysis, un des disciples immédiats de Pythagore,que presque tous les critiques s'accordent à considérercomme supposée : opinion qu'autorisent les différencesentre le fragment cité par Diogène et le texte completdelà lettre repro<strong>du</strong>it par lamblique*. Stobée nous a conservéen outre un assez long passage d'un traité LTepl1. Villoison, Anecd. grœc. : Jlepl xïn xomjc ua6i)|iaTU»K, t. II,p. 216.2. Diog. L., VIII; Syrianus, ad Met., XIII, 6; Scholl. Brand., 1838,p. 304, 313, et Iambliq., F. P., empruntent à ses récits des témoignagessur la doctrine <strong>pythagoricienne</strong>.3. Diog. L., VIII, 7. Hippasus est cité par Aristote , Jfet., I, 3-Sext. Empir., Pyrrh., III, 30. Clem., Slrom., I, 296. Theodor., Cur.Grxe. Aff., II, 10. Plat., Plac. Philos., I, 3. Boeth., de Mus.,H, 18.4. Diog. L., VIII, 42. Iambl., F. P.,, 75. Orelli, Ep. Soerat.,P-54.


186 LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS.eàfopfac 1 , qui, par son contenu purement moral, intéressepeu notre sujet.Nous pouvons en dire autant des Lettres des Femmes<strong>pythagoricienne</strong>s : il y en a onze de Théano, une deMélissa, une de Myia : Orelli* en a défen<strong>du</strong> l'authenticité,bien douteuse, à mon sens, contre les critiquesde Meiners*. Le dialecte atlique dans lequel elles sontécrites ne serait pas à lui tout seul une raison suffisantede les rejeter; car il a été dé<strong>mont</strong>ré que souvent, pourfaciliter la lecture d'un ouvrage écrit en dorien, les copisteschangeaient le dialecte original *.Arésas de Lucanie qu'Iamblique nomme le quatrièmesuccesseur de Pythagore dans la direction de l'École s ,était auteur d'un traité de la Nature de l'homme dontun fragment nous a été conservé par Stobée *.Archippus de Tarente, cité par saint Jérôme' etAthénagore '.Arislaeon est cité comme l'auteur d'un ouvrage surl'Harmonie, par Stobée*, la Théologie arithmétique 1 * etGlaudien Mamert" :ces deux derniers l'appellent Aristœus.Au dire d'Iamblique, il avait épousé la fille de Py-1. Flortl., 108, 81.2. Ep. Socr.,.p. 307.3. Gesch. d. Wissenteh., 1.1, p. 598. Wieland les a tra<strong>du</strong>ites en allemanddans son ouvrage intitulé : dte Pgthagorisehen Frauen.4. Bentley, de Phalar. Ep., 26.5. V.P., 266.6. Edog., I, p. 846.7. C. Ruf., III, 39.8. Leg. pro Christ., 6.9. Ed., I, 428.10. P. 42.11. Pestai, anim., II, 7.


LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS. 187thagore, Théano, et fut le successeur immédiat de son»neau-père '.Athamas dont Clément 1 repro<strong>du</strong>it un passage sansindiquer le titre <strong>du</strong> livre auquel il l'emprunte.Bryson, fragment d'un olxovopuxdç cité par Stobée ••Buthérus de Cyzique, auteur inconnu d'un fragmentassez éten<strong>du</strong> sur les nombres*.Criton auteur d'un traité de la Sagesse ; fragments dansStobée 6 , repro<strong>du</strong>its par Orelli'.Diodore d'Àspen<strong>du</strong>s, ville de Pamphylie, fut le premierphilosophe, d'après Sosicrate 7 , qui porta le manteautroué, lebftton, la besace et la barbe longue, ou plutôtle premier des pythagoriciens qui prit le costume cynique'. Car avant lui les pythagoriciens usaient de vêtementsélégants, de bains et de parfums*. Iambliqucle nomme disciple d'Arésas": mais comme, d'aprèsAthénée, il vivait vers 300 av. J. C, et qu'Arésas étaitau nombre des pythagoriciens qui échappèrent auxpoursuites des partisans de Cylon, le renseignementd'Iamblique est évidemment erroné. Il est cité parThéodoret" et Claudien Mamert".1. r.p.,265.2. Strom., VI, 624 d.3. Floril., 85, 15.4. Stob., Ecl„ I, p. 3, éd. Meineke.6. Ed., II, 350 ; Floril., 3, 74.6. Oputc, t. II, p. 326.7. Diog. L., VI, 13.8. Athen., IV, 163.9. lambl., F. P., 266.10. Athen., VIII, 350c, 348 a.11. Samuel, I, Ou., 6.12. De stat. anim., fi, 7.


188 LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS.Diotogènes, auteur de deux traités, l'un sur laRoyauté, l'autre sur la Sainteté, pro<strong>du</strong>its par Stobée'.Djus, fragment sur.la Beauté*.Ecphantus de Syracuse, un fragment sur la Royauté *.Eroménès de Tarente, un fragment cité par ClaudienMamert* et probablement emprunté à un écritsur l'Ame.Eubulidès, fragment cité par .Boëthius 1 , et la Théologiearithmétique', tiré d'un ouvrage surPythagore.Eurypbamus, un fragment sur la Vie dans Stobée 7 ,repro<strong>du</strong>it parOrelli '.Eurysus, un fragment sur la Fortune, dans saint Clément*et Stobée".Eurytus dont Aristote et Syrianus " repro<strong>du</strong>isent lesopinions sans citer le titre d'un ouvrage.Euxythéus dont Athénée" cite l'opinion sur les causespour lesquelles l'Ame est enchaînée à un corps : sansnom d'ouvrage.Hippodamus"que Zeller identifie avec Eurypbamus etavec Gallicratidas, parce que les extraits donnés par1. Floril., 48, 61.2. Stob., FtortJ., 65,16.3. Stob., Floril., 47.22.4. De stat. an., II, 7.5. De mm., II, 18.6. P. 40.7. Stob., Floril., 103, 57.8. Opuse., t. II, p. 300.9. Strom., V, p. 662.10. Fclog., I, p. 210.11. Met., XIV, 5, et tn Jfel. Schol.. Br., p. 342,10. Scholl. Bekk.,p. 829a.12. Apurn., IV, 157.13. Stob., Floril., 103,26et27. Orell, p. 282, etFloril., 43,92 ;98,71.


LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS. 189Stobée sous ces trois noms sont, pour ainsi dire, identiques.Lysis de Tarente, auteur d'une préten<strong>du</strong>e lettre àHipparque 1 , d'une définition de Dieu appelé NombreinefTable, citée par Athénagore* et la Théologiearithmétique', et d'un ouvrage qu'il avait écrit sousle nom de Pythagore.Mégillus, fragment emprunté à un ouvrage sur lesnombres et cité par la Théologie arithmétique.Métopus, fragment sur la Vertu s .Onatas, de Crotone, contemporain de Platon, auteurd'un ouvrage sur Dieu et le Divin '.Pempélus, fragment moral sur les Parents •'.Périctyoné, plusieurs fragments sur la Sagesse et surl'harmonie de la Femme '.Phintys, fille de Gallicratidas, fragment sur la Tempéranceféminine '.Polus, fragment sur la Justice 1 '.Prorus, de Cyrène, sur le Nombre".1. Diog. L., VIII, 6 et 7.2. Ug. p. chr., vi. Cf. S. Jerôm., c. Bu/., in, 39. Claud. Mam., deStat. ont m., II, 7.3. P. 8. Au nom de Lysis s'en ajoute un autre, corrompu dans letexte, 84m, et dans lequel Meursius devine Opsimus, etZellerHippasus.Ce dernier aurait défini Dieu : l'excédant <strong>du</strong> plus grand des nombressur le nombre le plus voisin, l'excédant de 10 sur 9, ou autrementdit, l'Unité.4. Theol. arithm., p. 27.b. Siob.,FIortI.,I, 64.6. Slob., Ed., I, 92.7. Stob., Flor., 79, 52, dans Orell., p. 344.8. Stob., Flor., I, 62, 79, 50; 85, 19. Orell., 346.9. Stob., Flor., 74, 61. Orell., 356.10. Stob., Flor., 9, 54. Orell., 330, 332.11. Theol. aritkm., p. 43-


190 LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS.Sthénidas, de Locres, sur la Royauté '.Théagès, sur la Vertu *.Théano, fragments assez nombreux, sans titres d'ouvrages,cités par Clément » et Stobée *. Clément s ditque c'est la première femme <strong>pythagoricienne</strong> qui aitétudié la <strong>philosophie</strong> et fait des vers.Théaridas, appelé par Iamblique Théoridès, de Métaponte,auteur d'un traité sur la Nature, cité par Clément'.On a grossi celte liste des noms de Gorgiadès 7 ,Opsimus *, Empédotitnus, Julien 9 , Panacès ", Androcyde". Enfin, on peut y ajouter les écrits anonymes intitulésAiaXfÇeie noôocYoptxai', repro<strong>du</strong>its par Orelli 1 * etMùllach", et les treize lettres attribuées à Pylhagore,1. Stob. (Flor., 48, 63) repro<strong>du</strong>it dans les Fragm. Philosoph.Greec.MQllach., p. 536.2. Stob., Floril., I, 67. Orell., p.*308.3. Strom., IV, 583 et 619.4. SA., I, 302. Floril., 74, 32, 53, 55.5. Strom., I, 309 c. Orelli, p. 55. Cf. Plut., Conj. Prsec, 31.6. Iambl., V. P., 266. Plut., JWb., c. vi. Clem., Strom., V, 611 c7. Claud. Mam. [De ttat. anim., Il, 7), qui y joint Epaminondascomme auditeur de Lysis.8. Restitution arbitraire de Heursius de la leçon ié>ei, dans Athénag.,Leg. p. Chr,, 6. Zeller, t. I, p. 262.9. Suid., v., qui les désigne, avec le précédent, comme prédécesseursd'Héraclide <strong>du</strong> Pont et comme auteurs d'une çuuix^ ixpoauic. Cf.Olympiod., in MeteorA., I, 218. Greg. Naz., Cortn., VI, 281.10. Cité par Aristid. Quintil. (de Music., I, p. 3), et désigné par Photius(Cod., 167) comme une des sources de Stobée.11. Auteur d'un livre sur les Symboles pythagoriciens, cité par Nicomacb.Arithm.., p. 5. Iambl. V. P., 145; Theol. Arithm., p. 41;Clem., Strom., V, 568a. Trypbon, Ihpl Tporaov, 4; PUn., Hist. Sot.,XIV, 5.12. Opuse., t. II, p. 210.13. Froom. Phil., p. 544.


LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS. 191Lysis, Théano, et d'autres anonymes 1 , ouvrages dontl'origine suspecte se révèle au premier coup d'œil.Les cinq dissertations, SiaXcgeit, sont d'un auteur inconnu*. Le tra<strong>du</strong>cteur latin, North, les croyait de la tin<strong>du</strong> v* siècle, et s'imaginait avoir même trouvé lenom de l'écrivain dans la phrase : Mîpa« «iu,î ». MaisFabricius a fait tomber cette belle découverte en restituantle texte des manuscrits, qui donnent pû


192 LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS.dont Orelli, Mùllach et Hartenstein ont recueilli lesfragments sans parvenir à les réunir tous'. Les ouvragesd'Archylas qui nous sont connus par ces extraits sont :i. n«pt iff/flç.2. Ihpl 6>xûv,, à moins qu'on ne doive confondre cetouvrage avec le précédent.3. Ile pi TOû oVroç4. Ihpl TOû navToV ou les Catégories, qui se présenteencore sous plusieurs autres titres* et qu'Hartenstein*identifie avec le traité précédent de FÉtre.Thémiste croyait que l'auteur en était, non le vieux mathématicienet astronome, élève ou maître de Philolaùs,mais un péripatéticien beaucoup plus jeune* : opinionqui paraîtra vraisemblable à quiconque lira ce livre, oùest repro<strong>du</strong>ite toute la théorie d'Aristote sur les catégorieslogiques. Nous croyons utile de citer ici les passagesde Boèce, où est contenu ce renseignement : « Inde etiam1. Cf. Egger, De Archytas Tarentini cita, Paris, in-8*, 1833.Gruppe : ûber die Fragm. d. Archytas, Berlin, 1840; Beckmann, Depythagor. reliquiis, p. 31.2. Simplic, adCat., 1 b; Phytic, 186 a.3. Simplic , ad Col.,.6, 8 : «ept tûv xaS6>.ou XOYUV ; ld.,Id,, 141 b :Fit pi Yivtûv; Oexipp., ad Categ., 43 b : IUpi tûv xaSoXixûv Xéteuv;David., ad Cal , 30 a. Anonym., p. 32 b : Hpo TûV -rpoitcov. Outre lesmorceaux isolés que nous donne Simplicius de cet ouvrage de Logique,Joach. Camerarius, le premier sans doute (car on tient pour suspectel'indication d'une édition antérieure attribuée à Dom. PirimentioVin., Venise, 1561 ou 1571), a publié un petit recueil intitulé V 'Apy.v-TOU fspéuavot itxa XéYOt, Leipz., 1564, dédié à Micbel Sophianus. Lemanuscrit qui les contenait, avec d'autres pièces qui n'ont .pas plus devaleur, avait-été donné à Jean Bratiator, probablement Jean Krankenstein,le premier docteur en théologie de l'académie de Leipzig, parBessarion, qui le tenait on ne sait d'où. Cf. Hartenst., II, 41.4. P. 81.5. Fabric, Bibl. Grxc, t. I, p. 834. Ammon. Herm., tn Porphyr.hag., I. 23.


LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS. 193in Aristotelica atque Archytae prius decem prœdicamentorumdescriptione, Pylhagoricum denarium manifestumest inveniri. Quando quidem et Plato studiosissimusPythagorœ secun<strong>du</strong>m eam divisionem dividit, etArchytas Pythagoricus ante Aristotelein, licet quidemquibusdam sit ambiguum, decem hœc prœdicamentaconstituit 1 . » On trouve,en effet, dans Platon une indication,mais sans caractère systématique 1 , des dix catégoriesd'Aristote, et l'on voit par Boèce, que c'est cenombre de dix, qui, rappelant la décade <strong>pythagoricienne</strong>,semble en révéler l'origine 5 . 'Dans les Commentairessur les Catégoriel, Boèce revient sur ce sujet :« Archètes (rie) etiam <strong>du</strong>os composuit libros, quos xoOolou« X'ôYWK; inscripsit, quorum in primo hœc decem prœdicamentadisposuit. Unde posteriores quidam non esseAristotelem hujus divisionis inventorem suspicati sunt,quod Pythagoricus vir conscripsisset : in qua sententiaIamblichus philosophus est, non ignobilis, cui non consentitThemislius, neque concedit fuisse Architem quiPythagoricus Tarentinusque esset, quique cum Platonealiquantulum vixisset, sed Peripaleticumaliquem Architemqui novo operi auctoritatem vetustate nominis conderet.» Simplicius n'a pas, au contraire, le moindredoute : il attribue cette logique à Archytas et tout soncommentaire roule précisément sur la comparaison descatégories <strong>du</strong> pythagoricien avec celles d'Aristote, quine fait que suivre et repro<strong>du</strong>ire la théorie de son, pré-1. Arithm., II, 41.


194 LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS.déceSSCUr, itavrayoû TW 'Apjrûxa, xaTocxoXouOcïv 5 'ApiffTotfATHfiouXopuvo'î'. Mais l'autorité de cçlui-ci, dans ce qui concernel'histoire de la <strong>philosophie</strong> et particulièrementcelle de la logique, l'emporte sur tous ces témoignagessi postérieurs : or, il nous apprend que Socrate avait lepremier fondé une espèce de logique sur l'in<strong>du</strong>ction etla définition, et que les pythagoriciens s'étaient bornésà essayer quelques définitions où ils ramenaient leschoses à des nombres. De dialectique, les philosophesantérieurs à nous, dit-il, ne se sont point occupés 1 .5. Uepi TÔiv àVrixtipivwv, cité par Siinplicius '.6. Uepi (i.a&ï)|A


LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS. 19511. De l'É<strong>du</strong>cation morale*, probablement le mêmeouvrage que Philostrate cite sous le titre Drop iwd&ov12. De la Loi et de la Justice*.13. Des Flûtes*.14. Deux Lettres, l'une à Denys, l'autre à Platon 6 .Stobée donne encore un extrait lx tSv 'Ap/ûrou SionpiSuv',qui pourrait être considéré comme le titre d'un ouvraged'Archytas, à moins qu'on ne l'entende d'un mémoirefait sur Archytas. Aristote, à propos des différentes définitionsqu'on propose de la substance, dit : « tellessont les définitions que donne Archytas : elles portentsur l'ensemble de la forme et de la matière. Ainsi, qu'estceque le calme ? C'est le repos dans l'immensité del'air; l'air est ici la matière, et le repos, l'acte et l'essence.Qu'est-ce que la bonace î c'est la tranquillité dela mer : le sujet matériel est la mer; l'acte et la forme,c'est la tranquillité 7 . » Fabricius conclut de ce passage1. Stob., I*or., I, 70.2. V. ApoH.,VI,31.3. Stob., Flora., I, 43, 46, 61.4. Athen.,'IV, 184.5. Diog. L., m, 22; VIII, 80.6. Ed., 1,12.7. Arist., Met., VIII, c. u. On en a une autre citée par Aristote(Rhet., m, 4), qui appartient au genre de sentence : « l'arbitre ressemble& un autel, tous ceux qui ont été victimes de l'injustice viennentse réfugier auprès de lui. • D'après un passage de la Métàphytiouede Théophraste (Brand., p. 312, cité par Grappe, p. 37), « Archytas seraillait des définitions d'Eurytus, qui disait : tel nombre est l'homme,tel autre le cheval. Cf. Arist., Met., XIV, 6. Les définitions d'Archytasétaient autres. » On pourrait donc admettre que ses "Opoi sont authentiques.Ce genre d'ouvrages était fréquent dans les Écoles de l'antiquité;on en attribuée Platon,à Speusippe, à Secun<strong>du</strong>sd'Athènes.Cf. Grappe, p. 38.


1S6LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS.qu'il existait d'Archytas une .collection de définitions,"Opot, formant un ouvrage semblable à celui qu'on attribueà Platon. Si on ne veut pas l'admettre, on est entout cas autorisé, par la citation d'Aristote, à reconnaîtredes ouvrages philosophiques d'Archytas qu'il considéraitcomme authentiques : conclusion confirmée parune autre citation d'Aristote', une de Théophraste 1 ,et une dernière d'Eudème*.Gicéron, dans son traité sur la Vieillesse, nous citeune longue invective d'Archytas contre la volupté dontla vieillesse seule apaise l'aiguillon dangereux : « Accipiteveterem orationem Archylae Tarentini, magniinprimis et prœclari viri, aux mihi tradita est*, quum essemadolescens Tarenti cum Q. Maximo... », et il terminepar ces mots : «Hœc cum Pbntio Samnite....locutumArchytam, Nearchus Tarentinus, hospes noster, quiin amicitia populi romani permanserat, se a majoribusnatu accepisse dicebat, quum quidem ei sermoni interfuissetPlato Atheniensis*. » Plutarque repro<strong>du</strong>it le récitde Cicéron en ajoutant que Néarque était un pythagoricien.Peut-on dire avec vraisemblance, après ces renseignementssi précis, que c'est un personnage fictif? Il1. M. Zeller (t. V, p. 90) cite le De sensu, c. v. p. 445 a, 16. Il n'estpas question d'Archytas, qui est nommé seulement, ProM., XVI, 9,p. 915, a 29. ,2. JTet.,312,15.3. Simplicius (t'n Phys., 98 b, 108 a). Du premier de ces passages,Brandis (Rhein. If us., II, 221) veut conclure qu'Arcbytas ramenaitl'idée <strong>du</strong> mouvement à celle de la limite ; mais il est obligé de changerla leçon.4. H. Gruppe tire de là la conclusion, que Cicéron n'avait que latradition pour source. C'est serrer de bien près le sens des mots.5. De Senect., 12. Cf. De Amie, 23.


LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS. 197est certain que l'entretien d'Archytas avec Pontius enprésence de Platon n'a d'autre garant qu'une traditionde famille : mais il est moins certain que le texte decette espèce de leçon, de conférence morale, n'ait ététransmis que par la tradition orale : tradita est, estsusceptible d'un autre sens, et peut vouloir dire trèsbien,communiquée; l'éten<strong>du</strong>e de la citation con<strong>du</strong>it naturellementà admettre la repro<strong>du</strong>ction littérale d'untexte écrit qu'on avait sous les yeux. M. Zellercite à l'appuide cette opinion un passage d'Athénée qui raconte,d'après Aristoxène dans sa Vie d'Archytas, quePolycarpe,un ami de Denys, serait venu en ambassade à Tnrente,et aurait profité de ce voyage pour fréquenter Archytaset plaider un jour devant lui lu cause de la volupté*. Lesavant historien en conclut que la citation de Cicéron,réponse évidente d'Archytas, devait faire partie de l'ouvraged'Aristoxène, et que c'est là qu'a dû la prendrele philosophe romain. Mais s'il a raison sur ce point, ilme semble qu'il va trop loin en admettant qu'à son tourAristoxène avait sous les yeux un ouvrage écrit d'Archytas.Pour qui connaît les procédés de l'École pytha-' goricienne, on peut très-bien admettre une leçon transmiseet conservée de vive voix depuis Archytas jusqu'àAristoxène.Il n'en est pas ainsi de trois autres citations, l'une,de Théon sur l'Unité et la Monade*, et deux de Syrianus;l'une de ces deux dernières porte également surl'Unité et la Monade' ; l'autre contient une définition1. Athen., XII, 465.2. Arithm., p. 27. Hartenst.. fr. 3, p. 13.3. M JTet., XII, 8. Hartenst., fr. 3, p. 13. Syrianus y distingue lesanciens pythagoriciens des nouveaux.


198 LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS.profonde de Dieu, qui jette un grand jour sur la doctrine;car il l'appelle la Cause avant la cause, et commequi dirait: l'un avant l'un, le nombre avant le nombre 1 .Il parait certain que ces citations se rapportent à destravaux écrits, mais on ne peut deviner quels ils sont,ni s'ils font ou non partie de ceux dont nous avons conservéles titres ou les fragments. Nous sommes dansle même embarras au sujet d'un ouvrage dont ClaudienMamert parle .en ces termes élogieux : « Archytas Tarentinus,idemque Pythagoricus in eo opère quod magnificumde rerum natura prodidit, post multam de numerisutilissimam (ou subfilissimam) disputationem,Anima, inquit, etc...'» Il parait évident que ClaudienMamèrt qui trouve l'ouvrage d'Archytas admirable, quien donne le sujet et peut-être le titre, qui le cite textuellement,l'avait écrit sous les yeux. Quel était cet ouvrage? Hartenstein suppose que c'est celui qui a pourtitre iwpt TOû Twtvto'ç; et qu'il croit identique au iwplTOû oVco? de Stobée. Zeller objecte que ce dernierouvrage était une exposition des catégories logiques oùl'on ne voit guère la place d'une <strong>philosophie</strong> de la Nature.Sans résoudre la question, il croit que c'est à celivre, quel qu'en ait pu être le titre, qu'appartiennent ladéfinition de l'âme rapportée par Jean Ly<strong>du</strong>s', et sa divisionen facultés rapportée par Stobée*.1. II faut, pour l'attribuer à Archytas, admettre la restitution deM. Boeckh {Philol., 149), qui n'en connaissait que le texte latin.Brandis {De perd, lib., p. 36), Hartenstein (fr. 2, p. 12) ont donné letexte grec.2. De stat. anim., II, T.3. De mensib., c. vi, p. 21. Hartenst., p. 17.4. Ed., I, p. 878.


LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS. 193Fabricius attribue à Archytas, nous l'avons vu, untraité sur les Flûtes cité par Athénée'. Hartenstein etGruppe ne veulent pas que ce soit le philosophe qui aitécrit un pareil livre, et pensent que c'est un musicien 'qui portait le même nom, et que mentionne Diogène deLaérle *. Mais je ne vois aucune raison à ces scrupules.Les pythagoriciens s'occupaient beaucoup de musique,et malgré leur prédilection pour la lyre, ils ne négligeaientpas la flûte. Athénée signale^parmi les auteursd'écrits sur PAulétique, Euphranor, Philolaûs et Archytas'.Ce dernier, qui dans la grande querelle des musiciensde l'antiquité, avait naturellement pris parti pourles Harmoniciens*, était auteur d'un traité d'harmonie;c'est lui qui avait donné à la proportion harmonique lenom qu'elle a conservé*; enfin toute l'antiquité* attestequ'il s'était beaucoup occupé de cet art éminemmentpythagoricien ; rien ne s'oppose donc à le considérercomme l'auteur <strong>du</strong> ITepl oôXSv.Diogène 7 cite le commencement d'un ouvrage de mécaniqued'Archytas que nomme également Vitruve*.Fabricius veut que l'auteur soit un architecte <strong>du</strong> mêmenom. Archytas, général habile, et savant géomètre pour-1. Athen., IV, 184.2. D. L., VIII, 82. Athen., XIII, 600 f. Hesych, v. 'Apxûta;.3. Ptolem.Harm., I, nu, p. 31. Porph., In Ptolem.,p.313. Boèce,De Mut., V, 16.4. Nicom., lnst. arithm., I, m, p. 30. Ast.5. Iambl., In Nie. Intl. ar., p. 141, 159, 163.6. Arist., Polit., VIII, 6. Suid., v. 'Ap*. Vitruve, I, 1. Quintil.,Intl. Or., I, x, 7. Plut,, de Mut., p. 1146.7. VIII, 89.8. L. VIII, Prxf.


200 LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS.rait cependant bien avoir eu quelque connaissance de lamécanique.Varron i et Columelle' connaissent des ouvrages, surl'agriculture d'un Archytas qu'ils disent tous deux êtrele philosophe pythagoricien.Diogène, se fondant sur Aristoxène, auteur d'une biographied'Archytas', croit qu'il s'agit d'un quatrièmeécrivain <strong>du</strong> même nom. C'est une autorité respectableassurément, comme celle de Défiétrius de Magnésiesur tes Auteurs Homonymes, dont se sert fréquemmentDiogène quoiqu'il ne le cite pas ici. Mais les témoigpagesde Varron et de Columelle ont aussi leur valeur, d'autantplus que l'agriculture et les arts mécaniques étaient loind'être négligés par une École qui s'occupait par systèmede tout ce qui intéressait la vie pratique '. Athénée 5 ,parmi les auteurs qui ont écrit des 'Ot|/apxuTtxâ, nommesans aucune désignation Archytas : Iamblique ° croit quec'est le nôtre, se fondant sur ce que la manière de pré-> parer les aliments n'était pqs sans rapport à l'hygiène,c'est-à-dire à la médecine. Hartenstein croit qu'il s'agit1. De Befl.,I, i, 8.2. De Re R., I, i, T. .3. Athen., XII, 545.4. Val. Max., IV, 1 : « Tarentinus Archytas, <strong>du</strong>m se Pythagorjepraeceptis Metaponti penitus immergit, magno labore longoque temporesoli<strong>du</strong>m opus doctrinac complexus, postquam in patriam revertitur,ac rura revisere coepit, animadvertit negligentia villici corrupta.» lambl. (V. P., 197) repro<strong>du</strong>it celte anecdote, et citeSpinlhare pour garant. Aristote (fol., VIII, 6) attribue A Archytasl'invention d'une crécelle pour amuser les enfants. Sur les connaissancesmathématiques et mécaniques d'Archytas, voir Diog. L., VIII,83, 86; Plut., Y. Marc, 14; Quart. Symp., VIII, 2; Aul.-Gell., .V.AU., X, 12, 10; Procl., in Eucl., p. 119.5. XII, 516.6. F. P., 244.


LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS. 201d'Archytas le Gourmand, mentionné ailleurs par Athénée4 , ou peut-être de l'auteur des Traités sur l'agriculture.Quels sont parmi tous ces ouvrages ceux qu'on peutregarder comme authentiques, et dont on peut se servirdans une exposition de la <strong>philosophie</strong> <strong>pythagoricienne</strong>?Pour ceux dont nous n'avons que les titres, la discussionmanque de fondement, et au moins pour notre objetd'utilité et de but.D'abord il est certain qu'Archytas a écrit i nous avonspu nous en assurer par les références d'Aristole qui luifait l'honneur de le nommer plusieurs fois*, honneur


202 LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS.I. L'insignifiance des fragments : il ne sera pas nécessairede réfuter un pareil argument qui ne reposesur rien ; un fragment parfaitement authentique peutêtre parfaitement insignifiant.II. L'analogie des doctrines avec celle de Platon etmême d'Aristote. Ainsi Aristote déclare {Met., I, 6) quePInton a mis les Idées à la place des Nombres : doncpartout où il sera question des Idées, dans un fragment,on est certain qu'il n'est pas d'origine <strong>pythagoricienne</strong>.Pythagore a confon<strong>du</strong>, c'est encore Aristote qui nousl'apprend, la catégorie delà substance et celle de la qualité: donc partout où cette distinction se révèle, il y aapocryphie certaine. Enfin Aristote est le premier qui aitfondé la morale sur le bonheur, et défini le bien : ce quiest en soi et par soi désirable : donc partout où nous rencontreronsces définitions, nous ne pouvons admettrel'authenticité <strong>du</strong> document.III. L'opposition des théories <strong>du</strong> préten<strong>du</strong> Archytasavec celle de Philolaus : dans ce dernier, parfaitementd'accord avec Aristote, on ne rencontre ni philosophèmeslogiques, ni une éthique systématique, mais une<strong>philosophie</strong> de la nature, et une morale fondée sur lesnombres. Dans Archytas, on ne trouve ni feu central, niordre des planètes, ni l'Antiterre, ni nombres harmoniques,ni Gnomon, ni angles attribués aux dieux; au lieude ce polythéisme, un monothéisme abstrait.IY. Enfin Archytas est antérieur à Philolaus dont il aété le maître : or, Diogène nous apprend que jusqu'àPhilolaus on ne pouvait rien connaître de la doctrine<strong>pythagoricienne</strong> 1 :ce qui équivaut à dire qu'avant Philo-1. Diog. L., VIII, 15 : Oùx rjv ti YVûVCU IluSorfopixiv ôoY|ia.


LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS. 203laùs aucun pythagoricien n'a rien écrit : donc Archytasn'a pas écrit.Je reprends ces arguments dans l'ordre inverse. Aquelle époque a vécu Archytas ? Cicéron dit, il est vrai * :*Philolaûm Archytas instituit »,el Diogène deLaërte dansses biographies le place avant Philolaùs, comme le fontensuite Théon de Smyrne, Syrianus et ThéophylacteSimokatta. Mais quant à Diogène, il ne s'agit que de l'ordredans lequel il place les auteurs : et qui peut assurerque dans un écrivain qui a si peu de méthode, cet ordrea une valeur chronologique d'une précision rigoureuse ?Pour Cicéron, Orelli, d'après un Mss.de Wolfenbùttel,change la leçon et lit : < Philolaùs Archytam instituit», etquand bien même on n'aurait pas l'autorité de ce manuscrit,ne pourrait-on croire à une erreur de Cicéron,quand on se trouve en face de témoignages certains etcontraires?Philolaùs vivait antérieurement à Platon, c'est uncontemporain de Démocrite * et de Socrate : car noussavons par Platon qu'avant d'entendre son maitre, Gébèsl'avait enten<strong>du</strong> à Thèbes, où il a dû rester longtemps ' ;l'on ne sait même pas s'il est revenu plus tard en Italie 4 .Sa vie est donc placée entre les Olympiades 70 et 95,c'est-à-dire entre 500 et 400 av. J. C. Archytas au contraireest un contemporain peut-être un peu plus âgé1. DeOrat., UI, 34.2. Apollodore de Cyzique se sert <strong>du</strong> mot ostrrry ovévott. Diog. L.,IX, 38.3. Phxd., p. 61 d : "OTS icop'*(itv Stgitâio.* 4. Diogène est le seul qui nous dise (III, 6) que Platon l'a enten<strong>du</strong>en Italie. .


204 LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS.de Platon : ce qui est attesté par les témoignages ' les plusautorisés qui les mettent en rapport personnel l'unavec l'autre ; on peut placer sa vie entre les Olympiades95 et 104, c'est-à-dire entre les années 400 et 365 : il n'adonc pu être le maître de Philolaus 1 dont il a pu être,et par conséquent dont il a été le disciple.Quant à l'opposition des doctrines d'Archytas aveccelles de Philolaus et à leur analogie avec celles de Platonet d'Aristote, c'est un argument qui n'est susceptibleni d'une démonstration ni d'une réfutation générales :c'est une question de fait, qui doit être discutée pourchaque fragment, <strong>du</strong> moins pour chaque fragment contesté;je me borne seulement ici à rappeler que l'École<strong>pythagoricienne</strong> a vécu jusqu'au temps d'Aristote, qu'Archytaset Eudoxe ont été intimement liés avec Platon,et ont dû l'être avec quelques-uns de ses disciples, qu'ilest certain que <strong>du</strong> vivant de Platon, Aristote avait déjàessayé de'faire un schisme dans l'Académie, c'est-à-direassurément qu'il avait déjà adopté sur quelques pointsdes opinions personnelles et propres. 11 n'y a donc riend'étonnant qu'on retrouve dans les opinions d'Archytasni quelques idées ni quelques expressions qui appartiennentsoit au Platonisme soit au Lycée : cela prouve1. Cicéron (de Finib., V, 29) fait venir Platon à Tarente, pour yvoir Archytas, avec lequel il nous le <strong>mont</strong>re dans des relations d'amitiéintime (Arp., I, 10) : • CumArchytaTarentino multum fuisse.»Dans ce même voyage, Cicéron nous dit que Platon acheta les livresde Philolaus : d'où l'on conclut avec raison que Philolaus était mort.Cf. Plut., Dion., c. XVIII, xx la VIP Lettre de Platon; Iambl., V. P.,127, qui dit que l'amitié de Platon et d'Archytas était proverbiale,comme celle de Phinthias et de Damon.•2. La démonstration de M. Boeckh sur ce point est pêremptoire.


LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS. 205seulement que les écoles rivales ont été influencées lesunes par les autres, et nullement que les •fragments oùcette influence se révèle, sont dépourvus d'authenticité :ajoutons enfin que quelques-unes de ces expressionspeuvent être mises sur le compte de ceux qui ont rédigéles fragments; en effet, les écrivains qui souvent citentde mémoire, abrègent, résument, font des extraits,enfin ne sont pas de simples copistes qui repro<strong>du</strong>isentun texte littéral. Involontairement même ils mêlentleur propre manière de sentir, de comprendre,d'exprimer les choses aux doctrines qu'ils citent avecplus ou moins de fidélité ou de négligence. Il ne suffitdonc pas, pour dé<strong>mont</strong>rer l'inauthenticité des fragmentsde prouver qu'ils contiennent des éléments étrangers, ilfaut prouver que ces éléments renversent les doctrines<strong>pythagoricienne</strong>s, et c'est une démonstration qu'on n'amême pas tentée. On se borne en général à soutenir queles fragments d'Archytas contiennent les doctrines desnouveaux pythagoriciens, et non celles des anciens.Maintenant on ne peut cependant pas considérer lestémoignages comme s'ils n'existaient pas. Attribuer à unjuif alexandrin, inventé pour la circonstance, des ouvragesque des écrivains nombreux considèrent comme pythagoriciens,est une témérité assez malheureuse. D'abordles fragments sont assez nombreux, et de doctrine, destyle, de ton assez divers, pour qu'il soit hasardeux deles croire d'une seule main : en outre, il y en a, le fragmentd'Onatas par exemple 1 contre l'hypothèse d'unDieu unique, qu'il est impossible de croire d'un juif,même alexandrin.1. stob,, Ed., I, 96.


206 LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS.D'autre part le recueil des écrits pythagoriciens a étéfait pour le roi Juba 1 . Il a été connu de Chamœléon', dePhilon*, de Valère Maxime, qui prétend qu'Archytasavait embrassé la <strong>philosophie</strong> <strong>pythagoricienne</strong> dans uncorps complet de doctrine, dont la composition lui avaitcoûté beaucoup de peine et de temps*. Enfin ce qui estplus grave encore, Athénée, Porphyre, Iamblique, quiattribuent des écrits à Archytas, se fondent sur les biographiesd'Aristoxène qui était presque, et dont le père,Spinthare, était certainement son contemporain. Aristoteavait laissé sur Archytas et sa <strong>philosophie</strong> des mémoiresspéciaux dont les catalogues de Diogène ' et de la Vieanonyme d'Aristote' nous font connaître les titres:1° De la <strong>philosophie</strong> a"Archytas, 3 livres;2° Les opinions empruntées au limée et aux livres a"Archytas,vi fc TOû Tipatou xoi tûv 'Ap/yrefo»»' : sans doute unextrait ou un résumé, en 1 livre ;3° Des Pythagoriciens, 1 livre.Pour lui consacrer des études spéciales, assurémentil fallait qu'Aristote eût sous les yeux des documentsécrits et authentiques. Porphyre se prononce ouvertementen faveur de cette authenticité, déjà contestée de sontemps ', et qui est indirectement appuyée par les éloges1. David, in Aritt.Categ., 28,1.2. Athen., XIII, 600 f.3. De xtern. mund., p. 489.4. IV, 1.6. Diog. L., V, 25.6. Ed. Did., p. 13.7. Damascius {Creuser Mêle t., L I, p. 105) les cite sous le titre : TaApxûttia.8. in Ptokm. Uarm., p. 226 : Ilapaxidrftw Si xai vûv va Xpxvrov


LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS. 207de Grégoire de Corinthe qui, fort de l'opinion de J. Philoponet <strong>du</strong> grammairien Tryphon, considère Archylaset Théocrite comme les modèles <strong>du</strong> dialecte dorien 1 .Il est vrai que Gruppe nie l'exactitude des catalogues,que Brandis cependant attribue non sans raisonaux critiques Alexandrins antérieurs à Andronicus deRhodes, et par suite il nie l'authenticité des ouvrages surArchytas, que ces catalogues donnent à Aristote. Il fondeson opinion sur deux arguments.1. Damascius donne des th. 'Kpyynm d'Aristote l'extraitsuivant : Aristote dans ses 'Apyorsia nous apprend quePylhagore appelait la matière £XXo : or, d'une part celan'est pas conforme à ce que nous dit ailleurs Aristote,de l'autre ce renseignement a une similitude suspecteavec les Plaoita de Plutarque *.2. L'ouvrage d'Aristote porte comme second titre ?&lx wû Tipafou : or ce Timée de Locres, auteur <strong>du</strong> préten<strong>du</strong>traité de la nature de l'Ame, est un écrivain Gctifdont le nom accolé à celui d'Archytas ôte toute valeurhistorique à la notice des catalogues.Mais on peut répondre que l'opposition entre les différentsrenseignements d'Aristote sur la conception <strong>pythagoricienne</strong>de la matière est tout à fait imaginaire :en effet dans la Métaphysique, Aristote expose les diffé-TOû nuflayoptUtu, où |idXia?a xal yvfa«* Xryetai elvai va


SOSLES ÉCRITS PYTHAGORICIENS.rentes manières dont les pythagoriciens expliquaient lamatière : les uns l'appelaient l'inégal, ôVKTOV ; lesautres la pluralité, Tô TtW-ôoc; les autres enfin l'appelaientle différent et l'autre, w Ittpov et -rô


LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS. 809Aristote, ni Théophraste, ni Eudème ni aucun des écrivainsantérieurs à Cicéron ne le qualifient de pythagoricien: ce qui ne veut pas dire qu'il n'appartient pas àcette école, mais qu'il ne lui appartient pas exclusivement,et qu'il y a marqué une tendance originale. C'estce qu'on peut conclure également de ces deux faits :1° qu'Aristote lui consacre des études spéciales où il lerapproche de Platon ; 2° qa'Aristoxène, qui avait réunisous un seul titre la Vie de Pythagore et celles de sesdisciples \ avait écrit une biographie distincte d'Archytas',comme il l'avait fait pour Socrate et Platon. Unfragment de cette biographie nous le <strong>mont</strong>re tenantpour ainsi dire une école séparée', et les principaux deses disciples Eudoxe de Cnide, Polyarque d'Athènes, Archédème,Pontius le Samnite, sont en même temps désignéscomme disciples de Platon'.Donc il est très-téméraire de soutenir qu'Archytas n'arien écrit, et que les idées et expressions platoniciennesque renferment ses fragments suffisent pour en renverserl'authenticité. On ne peut juger cette question quepar un examen critique de détail.On peut rapporter à quelques chefs principaux lesfragments d'Archytas.Les six fragments métaphysiques forment le 1" chacœlumascendisset, naturamque mundi et pulchritudinem siderumperspexisset, insuavem illam admirationem ei fore, quai jucundissimafuisset, sialiquem cui narraret habuisset. • Cic, de Amie, 13; Élien,H. T., XII, 15; Iambl., V. P., c. xxxu.1. Diog. L., I, 118.2. Athen., XII, 545.3. Athen., 1. 1. : XvpKcpmaTEïv tôt; jespi tov 'ApxOrav.4. Athen. 1.1. Diog. L., VIII, 86. Plut., Dion., 18. Plat.,2Tp., VII,339; IX, 357. Cic, de Senecl., 12.14


210 LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS.pitre de la collection d'Hartenstein. Le mélange desidées et des termes platoniciens n'est pas une raisonpour moi d'en nier l'authenticité. Les fragments 1,2,3,roulent sur les principes et en établissent trois : la matière,la forme et le principe <strong>du</strong> mouvement qui unitla forme à la matière : ce principe, supérieur à l'intelligencemême, s'appelle Dieu, la Monade, l'Un, la Causeavant la cause. On les suspecte, moins à cause <strong>du</strong> fondqu'à cause <strong>du</strong> langage ; on y trouve en effet les motsGXw, to Ttiôe TI eTvou, tt&x, ta xaôôAu, qui semblent attesterla connaissance et la pratique d'une langue philosophiquequi n'a été créée que par Platon et par Aristote.C'est surtout le-t&c TI tW qu'on ne peut guère attribuerà un pythagoricien; mais comme la doctrine ne s'éloignepas de celle de Philolaûs, ce que prouve le fragment 2,, j'inclinerais à admettre que l'auteur des extraits, en résumantl'opinion d'Archytas, l'a exprimée en des termesqui n'appartiennent point à son auteur.et l'a inclinée sousun jour et sous des formes peu fidèles. Le <strong>du</strong>alismey est plus tranché que chez les pythagoriciens qui, touten distinguant la matière et la forme, car <strong>du</strong> nombreest évidemment un élément formel ', faisaient le nombre,l'essence inséparable des choses, et même posaientun nombre éten<strong>du</strong> et corporel.Les fragments 4 et 5 contiennent presque littéralementl'analyse'psychologique des facultés de l'entendementtelle que l'a donnée Platon.La détermination des xpt-nîpiode la connaissance, la division de l'intelligence en quatret. Aristote déclare en effet qu'entre les nombres de Pythagore etes Idées de Platon il n'y a que le nom de changé : toûvoua |u-riX-Xaxxov.


LES ÉCRITS PYTHAGORICIENS. 211facultés: la pensée, NoV


212 LES ECRITS PYTHAGORICIENS.pris un à un qu'on se formera une opinion précise,claire et fondée. J'ai cru donc utile et niême nécessairede joindre i ce mémoire une tra<strong>du</strong>ction des fragmentsd'Archytas, et de l'acccompagner des observations critiques relatives à chacun d'eux. C'est le même travailque j'ai entrepris pour Philolaûs, quoique la monographiede M. Boeckh laisse peu de chose à faire à la critique,et c'est par là que je vais commencer.


CHAPITRE TROISIEMELES FRAGMENTS DE PHILOLAUSLes renseignements qui nous restent sur la vie dePhilolaûs sont aussi incomplets que peu sûrs. Il est certainnéanmoins qu'il appartenait à l'École d'Italie; sil'on en croit lamblique, il avait enten<strong>du</strong>, jeune encore,Pythagore déjà parvenu à la vieillesse *. Il était de Tarante,d'après les uns *, de Crotone d'après les autres 1 ,où il aurait joué un grand rôle politique, qui auraiten pour lui une issue funeste. Nommé stratège de saville natale 4 , c'est-à-dire magistrat suprême, revêtu<strong>du</strong> pouvoir politique et <strong>du</strong> pouvoir militaire, il aurait étésoupçonné d'aspirer à fonder un pouvoir monarchique,ou une tyrannie, comme disent les Grecs, et sur cetteaccusation vraie ou fausse il aurait été mis à mort parses concitoyens indignés 4 . Ce récit se concilie mal aveccelui de Plutarque : à la suite des troubles politiques1. Iambl., T. P., 104 : avTXP°vïaavrt< *¥ Uvivfiff vptaUvD. vioi.2. tambl., T. P., 265.3. Diog. L., VUI, 84.4. Synesius, De dono Àttrolab., p. 307.5. Diog. L., Vm, 84.


214 LES FRAGMENTS DE PHTLOLAUS.qu'excitèrent les tentatives des sociétés <strong>pythagoricienne</strong>spour établir dans les villes de l'Italie méridionale desgouvernements aristocratiques, Philolaùs réfugié à Métaponle,et cerné, avec plusieurs membres de l'Ordre,dans la maison de l'un d'entre eux, échappa seul avecLysis, au massacre de ses compagnons. Il se sauva enLucanie ', peut-être à Héraclée, où Iamblique nous le<strong>mont</strong>re avec Glinias, chef de l'École, comme Théoridèset Eurytus l'étaient àMétapoute, et Archytasà Tarante*.De là nous le voyons à Thèbes, où il a fixé son séjouret où il donne des leçons soit publiques, soit privées,auxquelles assistent Gorgias * et Cébès *.Pour admettre le récit de • Diogène, il faudrait doncsupposer que, revenu dans son pays 6 , et malgré la violencede la persécution dont il avait failli être la victime,il s'occupa encore de politique active, et persévéra dansl'accomplissement de ses anciens desseins. Gela ne seraitpas en opposition avec les faits attestés parPolybe*.Les Achéens affligés de voir leurs colonies d'Italie, naguèresi florissantes, ruinées par la guerre et les discordesciviles, s'entremirent pour rétablir i'union et réconcilierles partis qui se déchiraient dans chaque cité, etils eurent le bonheur de réussir. Toutes les villes grecquesde l'Italie méridionale acceptèrent les institutions1. Plut., Degen. Socr. t c. «m.2. Iambl., Y. P., 265.3. Plut., De gen. Socr., i. m.4. Plat., Phxd., 61 d.5. Son retour en Italie semble confirmé d'ailleurs par d'autres indications.Cébes dit dans Platon {Phasd., 62 a) : "Ors itap'^iûv SinTÔVro.Il avait donc cessé d'habiter Thébes à ce moment.6. Polyb., 11,39.


LES FRAGMENTS DE PHILOLAÛS. 215et les lois, en un mot la forme <strong>du</strong> gouvernement de lamère patrie, qui était fondé sur la liberté et l'égalité.Une des conditions de cet accord fut le retour des exilés.Les pythagoriciens et Philoluùs purent donc rentreren Italie; mais l'Ordre pythagorique en tant que sociétépolitique fut à jamais détruit. Cependant comme les indivi<strong>du</strong>sretrouvèrent leurs droits de citoyens, qu'ils purentse mêler au gouvernement, aspirer aux grandesmagistratures, comme on le voit par l'exemple d'Archytas,il n'est pas impossible que Philolaùs ait conquisune grande influence à Grotone, et que, malgré la<strong>du</strong>re leçon des événements, qui, à ce qu'il paraît, necorrigent jamais personne; il ait] cherché à en abuser.Quoi qu'il en soit, il est probable qu'il n'est pas mortdans l'exil. Nous savons par Platon même, qu'au momentoù a lieu l'entretien <strong>du</strong> Phédon, c'est-à-direen 399 avant J. C, Pbilolaùs avait cessé d'habiterThèbes : son départ devait même être très-antérieur àla mort de Socrate. Est-il rentré dans son pays? C'est ceque Diogène affirme ; mais il résulte d'un passage d'Iamblique,qui d'ailleurs lui donne Tarente et non Grotonepour patrie, qu'il est mort à Métaponte : ce qui contreditl'hypothèse qu'il ait été victime de ses projets etde ses tentatives de réaction aristocratique. En effetEurytus, qui était le chef de l'école <strong>pythagoricienne</strong> deMétaponte, reçut un jour d'un berger la confidencequ'en passant auprès <strong>du</strong> tombeau de Philolaùs il enavait enten<strong>du</strong> sortir une voix qui chantait '. S'il y aquelque chose d'historique à tirer de ce récit merveil-1 Iambl., 139, 148.


216 LES FRAGMENTS DE PHILOLAUS.leux, c'est que Philolaûs aurait terminé sa vie à Métaponte.Si nous ignorons les faits qui l'ont remplie, nous nesommes pas mieux renseignés sur le temps précis où ilfaut la placer. Platon nous le présente comme un contemporainde Socrale ' ou <strong>du</strong> moins de Cébès, et Diogènecomme un contemporain de Démocrite 1 . Si l'onadmet, avec ce biographe, que Platon l'ait vu et enten<strong>du</strong>à son voyage en Italie *, que ce soit de Philolaûs même qu'ilait acheté ou reçu, directement où par l'intermédiaire deDion*, les trois fameux livres pythagoriciens, il faut renoncerà enfaireundiscipleimmédiat de Pythagore, mortvers 497 ou, au plus tard, en 487, et, au contraire, sil'on en veut faire un contemporain de Pythagore, il estimpossible que Platon et difficile même que Cébèsl'aient enten<strong>du</strong>. Il sera même impossible qu'il ait étéen rapports personnels avec Archytns, intime ami dePlaton. Entre ces deux assertions contradictoires, ilvaut assurément mieux croire au témoignage de Platonqu'a celui d'Iamblique, et le considérer alors commeun contemporain de Socrate et de Démocrite, qui n'apu entendre Pythagore.Le fait le plus important que l'histoire relève dans lajie de ce philosophe, c'est d'avoir le premier violé lesecret de la société <strong>pythagoricienne</strong> en publiant un ouvragesur la Nature *; car il semble vraisemblable, par1. Socrate né en 469 ; Démocrite entre 470 et 460.2. Diog. L., IX, 38.3. Diog. L., III, 6. Ce voyage est de l'an 389.4. Diog. L., VUI, 84; III, 9. Iambl., F. i\, 199.5. Ce reproche s'adresse également à Hippase, qui aurait publié lepremier, dans un traité de mathématiques, quelques principes de la


LES FRAGMENTS DE PHTLOLAÙS. 217l'unanimité des traditions, que l'enseignement pythagoricienétait surtout oral, et que les ouvrages écrits n'étaientcommuniqués qu'aux membres ou aux adhérentsde l'Ordre '. Mais, d'une part, les témoins ne s'accordent. pas à dire que ce fut Philolaus lui-même qui les communiquaou les vendit; de l'autre, en les mettant entreles mains de Dion et en celles de Platon, il pouvait lescroire dans les mains de vrais pythagoriciens, et, aumoins, en ce qui concerne ce dernier, il ne se seraitguère trompé.L'authenticité des fragments que semblait avoir misehors de doute l'étude de M. Boeckh, a été attaquée 1 ,mais par des raisons trop négatives et qui auraient uneportée universelle si on les acceptait. Ainsi de ce queCicéron et Démétrius de Magnésie, son contemporain,sont les premiers qui mentionnent expressément leslivres écrits de Philolaus, «Philolai commentarios *», dece que Platon ne cite pas l'ouvrage de Philolaus, d'où il<strong>philosophie</strong> <strong>pythagoricienne</strong>. Iambl., rjtpi TTJ< xoivrjr, uaé^uorixïic. Villois.,Aneed. Grsec., t. II, p. 216. Hais Démétrius, cité par Diogène deL. (VIII, 841, soutient au contraire que ce mathématicien n'avait rienécrit. Dans un autre ouvrage, Iamblique (F. P., 75-78) repro<strong>du</strong>it unelettre de Lysis où il reproche à Hipparque de s'être laissé corrompreaux délices de la Sicile et d'avoir philosophé publiquement. A la suitede ces faits, Hipparque aurait été excommunié, et on lui aurait élevéun tombeau, comme s'il était mort pour ses anciens amis (Clem.,Strom., V, p. 574). Hais la lettre, évidemment fabriquée, de Lysis n'aaucun caractère ni aucune valeur historique.1. Diog. L., VIII, 15 et 84. Iambl., F. P.. 199.2. Die angebliche Schnflstellerei des Philolaus Schaarschmidt.Bonn, 1864. Ce critique hardi nie également l'authenticité des Dialoguesde Platon, tels que le Sophiste et le Politique.3. De Rep., I, 10. Diog. L., VIII, c. 85. Démétrius fleurit vers l'an53 avant J. C.


1218 LES FRAGMENTS DE PHILOLAUS.tiré les théories <strong>pythagoricienne</strong>s auxquelles il fait allusion', comment conclure qu'il n'a rien écrit? Sans doute,dans le Phèdon, à propos <strong>du</strong> suicide interdit par Philolaûset d'autres, Gébès répond à Socrate qu'il de luiavait jamais rien enten<strong>du</strong> dire de clair sur ce sujet, où&vaayii àxr)xo'a|uv, et il est clair que Cébès fait allusion icià des conversations, à des entretiens, à des leçons orales,et non à des livres écrits par le mal Ire pythagoricien.U est vrai encore que la formule : fv -nvt çpoupS£


LES FRAGMENTS DE PHILOLAUS. 219rapport personnel avec un pythagoricien • ; de plus, cepersonnage est présenté comme jouant avec la mythologie,|iu6oXoYcov, ce qui ne s'accorde guère avec la gravitéreligieuse des doctrines de l'École italique ; enfin, ladoctrine contenue dans ces formules est contraire à lamigration des âmes, qui en suppose la vie éternelle etqui ne permet pas d'appeler <strong>du</strong> nom de tombeau lecorps où elle se manifeste, ni <strong>du</strong> nom de mort une deses manifestations successives, une des formes périssables,sans doute, mais nécessaires et éternellement repro<strong>du</strong>itesde la vie.Il est certain que la doctrine qui considère la vieréelle comme un supplice, l'incorporation de l'âmecomme un châtiment, qui élève ainsi les regards del'homme et lui arrache comme un soupir d'espérancevers un monde supérieur, vers une vie absolumentsupra-sensible, vers l'invisible au delà, il est certainque cette doctrine ne peut pas se concilier avec l'ensembledes idées <strong>pythagoricienne</strong>s; mais l'exposé de cesidées nous fera voir, au cœur même <strong>du</strong> système, unecontradiction signalée déjà par Âristote, lorsqu'il ditque les principes des pythagoriciens vont plus haut etplus loin que leur doctrine. Cette contradiction n'estdonc pas une raison de nier l'authenticité; il faut permettreaux philosophes et aux hommes d'être inconséquents;ce n'est souvent pour eux qu'un moyen de secorriger, et de s'arrêter sur la pente des erreurs.1. Pour que le raisonnement fût complet, il aurait fallu prouver quePlaton ne pouvait pas, dans ses Dialogues, prêter à son maître des rapportspersonnels qu'il n'avait pas eus réellement.


220 LES FRAGMENTS DE PHILOLAÙS.Quant aux autres arguments de M. Schaarschmidt,ils ont moins de valeur encore. Les mots de fcouoa,detfn, ne font pas entendre assurément un ouvrage écritde Philolaùs, mais ne l'excluent pas, quand bien mêmel'interlocuteur de Socrate, qu'il ne nomme pas, serait, ceque prétend le critique, un sophiste de l'école de Gorgias,disciple, comme on le sait, <strong>du</strong> pythagoricien Empédocle.Mais ce qui est certain, c'est que ces maximes et cessymboles sont désignés par Platon comme appartenantau pylhagorisme, car il ajoute dans la même page :« Eh bien 1 maintenant, je vais te citer une autre imageempruntée à la même École que je viens de te faire connaître,ix TOû aÛToû Yupvaoîov TîJ vûv 1 .» Quel peut être cegymnase où l'on aime tant le symbole, l'allégorie, l'image,et où ce goût est poussé si loin qu'il pouvait etdevait paraître au bon sens ironique de Socrate un raffinementet comme un jeu mythologique? Il faut l'aveuglementd'une opinion préconçue pour nier que ce soitl'École italique, que désignaient déjà aux esprits nonprévenus les mots de : SiwXixcfc TI« ^ TMAIXôç, l'analogiede ces formules avec celles <strong>du</strong> Phédon rapportées à Philolaùs,et enlin les témoignages qui, dans, les questionsd'histoire, sont pourtant bien quelque chose. Il n'est pasrfécfssairc de réfuter l'argument tiré par M. Schaarschmidtde la différence des théories physiques <strong>du</strong> Timiede Platon et de celles des fragments de Philolaùs. Qui,si ce n'est Timon le Misanthrope, a jamais cru quePlaton a copié dans son ouvrage les livres de Philolaùs*1 Gorg., 493 d.2. Ce n'est pas M. Boeckh, qui (Philol-, P-107) avait dit : « Im Timseosseine Ubereinstimmung mit der Philolalschen Ansicbt zu finden. »


LES FRAGMENTS DE PHILOLAÙS. 221et a cherché dans cet audacieux plagiat la preuve de l'authenticitéde ces derniers? La division des facultés del'âme qu'on trouve dans Philolaûs n'est pas supérieure,comme on le dit, à celle de Platon; elle est plus universelle,en ce sens qu'elle enveloppe dans l'idée de l'âmedes fonctions végétatives et physiologiques, telles que lap(Uot? et la Ytwi)


222 LES FRAGMENTS DE PHTLOLAUS.'en prenant pour base cette exposition d'Aristote qu'ontété fabriqués, après coup, les ouvrages auxquels sontempruntés les fragments TEn effet, qui pourrait prouver cela ? Mais, aussi, quipourra prouver le contraire ? Quoi ! c'est sur de vaguestraditions orales, que n'appuyait aucun texte, qu'Aristoteaura écrit non-seulement cet exposé de la Métaphysique,ces renseignements si précis de la Physique,<strong>du</strong> Traité <strong>du</strong> Ciel, mais encore les trois livres sur la<strong>philosophie</strong> d'Archytas,\e livre sur les théories <strong>du</strong> Tintée,le livre sur les Pythagoriciens, le livre contre Alcméon*!Démétrius de Magnésie, qui vivait vers 53 avant Jésus-Christ,'citele commencement <strong>du</strong> 13Epî J-V/JH dePhilolaiis *. Où l'a-t-il pris ? L'a-t-il inventé ou a-t-illui-même été trompé?L'analogie, la ressemblance quelquefois littérale desfragments avec des'passages des écrits d'Ocellus, deModératus, de Chrysippe, inspirent à M. Schaarschmidtle soupçon que ces écrits sont tous <strong>du</strong> même tempset tous également des œuvres falsifiées, des contrefaçonshardies, qu'on a décorées <strong>du</strong> beau nom <strong>du</strong> pythagorismepour en assurer le succès; et s'il se présente àson esprit l'objection naturelle qu'Ocellus et Modératusont, au contraire, dû puiser aux écrits de Philolaiisces théories qu'ils repro<strong>du</strong>isent si fidèlement parfois,il la repousse parce qu'il trouve dans tous les fragmentsles idées et le langage de la <strong>philosophie</strong> platoni-1. Il est vrai qu'on peut se débarrasser de cette dernière partie del'objection, en contestant également l'authenticité de ces écrits, et c'estce que n'a pas manqué de Taire M. Scbaarschmidt.2. Diog. L., Vin, 85.


LES FBAGMENTS DE PHILOLAÙS. 223cienne, même de l'aristotélisme, et les théories syncrétistesstériles et vides des temps postérieurs.Ici, le terrain se dérobe à la discussion : commentempêcher M. Schaarschmidt d'appeler un syncrétismestérile et vide, cette <strong>philosophie</strong> des fragments qu'Aristote-n'apas cependant dédaigné d'exposer dans sa Métaphysiquset dans plusieurs ouvrages malheureusementper<strong>du</strong>s; car M. Schaarschmidt a reconnu lui-même laconformité des doctrines philolaïques avec celles auxquellesse rapporte l'exposition critique d'Aristote.Telles sont les réponses qu'on peut faire aux objectionsgénérales de M. Schaarschmidt; quant aux objectionsde détail, je me réserve de les discuter dans lesnotes de la tra<strong>du</strong>ction.Je termine, en ajoutant seulement que le critique sedonne beau jeu en prenant à la lettre l'affirmation deM. Boeckh, à savoir, que ces fragments formaient unensemble d'idées si parfaitement liées et d'accord entreelles, qu'on pouvait être certain qu'elles appartenaientau même ouvrage et au même auteur. D'où il conclutqu'il suffit de <strong>mont</strong>rer qu'un seul fragment est suspectpour suspecter tous les autres, et qu'en prouvant l'inauthenticitéde l'un, on a, par la même, prouvé celle detous.C'est aller trop vite, et l'argument serait, en tout cas,valable uniquement contre M. Boeckh, et à la conditionque ce savant, que M. Schaarschmidt ne croit pas infaillible,puisqu'il attaque les conclusions de son livresoit déclaré infaillible quand il en expose les principes.Oui, on peut soutenir, et M. Boeckh l'a vigoureusementsoutenu, qu'entre la plupart de ces fragments on sent,


I224 LES FRAGMENTS DE PHILOLAÙS.on voit une unité de sentiments et de conception, uneidentité d'esprit philosophique, et qu'il est permis decroire qu'ils sont empruntés à un même ouvrage. Maispour un, pour deux fragments, M. Boeckb se. seraittrompé, il n'aurait pas discerné une interpolation dansl'un d'entre eux, une rédaction inexacte <strong>du</strong>e à un copisteou à uu citateur d'ans un autre, que cela ne dispenseraitpas de porter la critique sur chaque fragment enparticulier, et c'est d'ailleurs ce qu'a fait M. Schaarschmidtet ce que nous ferons à notre tour.VIE DE PHILOLAUS 1DE DIOGÈNB DE LAERTEPhilolaùs , de Crotone, pythagoricien : c'est de lui 1que Platon, dans une de ses lettres, prie Dion' d'acheterles livres pythagoriciens.1. Je fais précéder la tra<strong>du</strong>ction des Fragments de la Vie de Philolaùspar Diogène de Laêrte. Diog. L , VIII, c. vu, 84, 85.2. Un peu plus loin, Diogène va entier un renseignement différent; ce n'est pas de PhilolaOs même, mais de ses parents que Platonaurait tenu ces livres.3. Dans les lettres de Platon à Dion, réelles ou supposées, qui nousrestent, nous ne trouvons rien de cela. Diogène, dans la Vie de Platon,s'appuie sur le témoignage de Satyros pour certifier le fait : • Quelqueshistoriens, parmi lesquels Satyros, disent que Platon écrivit iDion, en Sicile, pour le prier d'acheter de Philolaùs, au prix de 100 mines,trois livres pythagoriciens. • Ménage serait assez d'avis de lire ici,au lieu de vpEa BiéXia, comme VIII, 84, va Bt6iia; d'autant plus quedans ce dernier passage Diogène rapporte, d'après Hermippe, quePlaton acheta des parents de Philolaùs le livre unique, êv, que celui-ci


LES FRAGMENTS DE PHILOLAÙS. ' 225Il périt accusé d'avoir aspiré à la 1 tyrannie. J'ai faitsur lui l'épigramme suivante :« J'engage tout le monde & bien prendre garde d'êtresuspect ; même si TOUS n'êtes pas coupable et que vousparaissiez l'être, vous êtes per<strong>du</strong>. C'est ainsi que Crotone,sa patrie, fit périr Philolaùs, parce qu'il fut soupçonnéde vouloir établir la tyrannie. »Il enseigne que toutes choses sont pro<strong>du</strong>ites parla nécessité et l'harmonie, et il est le premier qui ait ditque la terre avait un mouvement circulaire ' ; d'autressoutiennent que c'est Hicétas de Syracuse. Il avait écritun livre unique que Platon, le philosophe, venu enSicile auprès de Denys 1 , acheta, si nous en croyonsHermippe, des parents de Philolaùs, pour la somme de40 mines alexandrines d'argent, et d'où il tira sonTimie. D'autres prétendent qu'il les reçut en cadeaupour avoir obtenu la liberté d'un disciple de Philolaùs,avait écrit. Mais comme cet ouvrage unique pouvait être divisé en troislivres, comme les mots xpia 8i6XIa iroBayopixà peuvent se rapporter àd'autres ouvrages que ceux de Philolaùs, comme enfin Aulu-Gelle(III, 17) contient le même renseignement [1res Philolai Pythagorici),il vaut encore mieux ne rien changer. Cf. Tzetzès, Chil., X, 792; XI,1-38. Cicer., de Rep., 1,10.1. C'est pour cela que Bouillaud a intitulé son ouvrage sur le vraisystème <strong>du</strong> monde : Philolaùs. Cf. Fragm. 13, V, n. 2.2. A.-Gell., ti. Attic, III, 17 • « Mémorise mandatum est Platonemphilosophum tenui admo<strong>du</strong>m pecunia familiari fuisse; atque eumtamen très Philolai Pythagorici libros decem millibus denarium mercatum.Id ei pretium douasse quidam scripserunt amicumejus Dionemsyracusanum.. . Timon amarulentus librum maledicentissimum conscripsit,qui XiXXoi inscribitur. In eo libro Platonem philosophum,qui-m dixeramus tenui admo<strong>du</strong>m pecunia familiari fuisse, contumelioseappellat, quod impenso pretio librum pythagoricae disciplina:emis-et, exque eo Timaeum nobilem illum dialogum contfhuasset (oumieux contexuisset). > Cf. ma Vie de Platon, p. 444.15


236 LES FRAGMENTS DE PHILOLAÛS.que Denys avait fait mettre en prison. Démétrius, dansses Homonymes, prétend qu'il est le premier des philosophespythagoriciens qui ont ren<strong>du</strong> public un ouvragesur la Nature. Ce livre commence ainsi : « L'être quiappartient au monde est le composé harmonieux desprincipes infinis et des principes finis : il en est ainsi<strong>du</strong> Tout <strong>du</strong> monde et de toutes les choses qu'il renferme.>FRAGMENTS DE PHILOLAUSFr. 1. ' a. L'être * qui appartient au monde est un composéharmonieux d'éléments infinis et d'éléments finis* :il en est ainsi et <strong>du</strong> monde lui-même dans son tout, etde toutes les choses qu'il renferme *.b. Tous les êtres sont nécessairement finisou infinis',1. Conf. Boeckh., PMI., p. 45; Stob., éd. Meinek., e. xxi. Segm. 7,1.1, p. 127. Diog. L., VIII, 85.2. 'H cpOai;. C'est l'être naturel, l'être qui naît, qui se développe, quidevient, fûouai.3. Le mot iccpaivovra signifie à la fois ce qui est en soi déterminé etlimité, et ce qui détermine et limite : c'est la forme informante desScolastiques. Stobée, I, xi, xu, p. 298, dit que Philolaûs rappelaitaussi, comme plus tard Platon, xi ntpac.4. Diog. L., VIII, 85, rapporte que, suivant Démétrius, c'était là lecommencement de l'ouvrage de Philolaûs sur la nature : ITepi çôoci*;.st. Boeckh croit le passage corrompu, et voudrait en supprimer aucommencement tv xâ> x6o|i


LES FRAGMENTS DE PHILOLAUS. 227ou à la fois finis et infinis ; mais ils ne sauraient êtretous seulement infinis *2. Or, puisqu'il est clair que les êtres ne peuvent pasêtre formés ni d'éléments qui soient tous finis, ni d'élémentsqui soient tous infinis, il est évident que lemonde dans son tout, et les êtres qui sont en lui sont uncomposé harmonieux d'éléments finis et d'élémentsinfinis 1 . C'est ce qu'on voit dans les ouvrages de l'art*.Ceux qui sont faits d'éléments finis 4 , sont eux-mêmesfinis, ceux qui sont faits d'éléments finis et d'élémentsinfinis, sont à la fois finiset infinis, et ceux qui sont faitsd'éléments infinis, sont infinis 6 .également cette proposition : • Philolaûs dit : 11 est nécessaire que lesêtres soient ou infinis ou finis, ou à la fois l'un et l'autre. • Ce queBoèce tra<strong>du</strong>it (Arilhm., II, p. 52) : • Philolaûs vero, Necesse est, inquit,omnia quae sunt vel infinita vel finita esse, »1. La preuve manque. M. Boeckh la retrouve dans ce passage d'Iamblique(Villois., Anecd. Grœc, II, p. 196) : « D'abord, d'après Philolaûs,il ne saurait y avoir de connaissance, si toutes les choses étaientinfinies, et il est cependant nécessaire de reconnaître chez les êtresl'existence naturelle de la science. • C'est ce que répète Syrien, dans latra<strong>du</strong>ction latine (ad Met., XII, p. 88) : • Principio enim, inquit (Philolaûs)nullum erit cognitum omnibus infinitis existentibus. • Le texte<strong>du</strong> fragment était primitivement : pivov oùx ici. Heeren y avait substituéoùx ôv >b), que Meineke a corrigé en où xa «Ui.2. C'est le grand principe pythagoricien ; l'être est un composé, unrapport, la synthèse des contraires. Cette doctrine leur est encore attribuéeet particulièrement à Philolaûs par Proclus (Plat. Theol. III, vu,p. 182), qui dit : • D'après Philolaûs, la nature des êtres est un tissuformé d'éléments finis (auumxXrruivrK) et d'éléments infinis; • et (adTint., I, p. 26) : • L'être est un composé indissoluble, lasynthèsedescontraires, le fini et l'infini, comme le dit Philolaûs, SnpiovoYidv 4p-6t|XTOV. »3. 'EC-YO, particulièrement les ouvrages de l'architecture et de lasculpture.4. Quant à la dimension et au nombre.5. La comparaison est loin d'éclaircir l'idée; car il n'est guère pos-


228 LES FRAGMENTS DE PHILOLAUS.3. Et* toutes choses, celles <strong>du</strong> moins qui sont connues,nt le nombre : car il n'est pas possible qu'une chosequelconque 1 soit ou pensée ou connue sans le nombre 1 .Le nombre a deux espèces propres : l'impair et le pair,et une troisième provenant <strong>du</strong> mélange des deux autres,le pair-impair. Chacune de ces espèces est susceptiblesible de se représenter un ouvrage d'architecture dont les pierresn'aient aucune forme ni aucun nombre.Le fini pour les pythagoriciens était l'impair, et l'infini le pair.Conf. Arist., Phyt., III, 4, et Met., I, 5. Syrianus {ad Met., XIV, textelatin, Boeckh, p. 54; texte grec, Schol. Met. Arislt., Brand., p. 326, etDe perdit, libr. Aristt., p. 35) commente ainsi la pensée de Philolaus :• Il ne faut pas croire que les pythagoriciens commencent absolumentpar les contraires : ils connaissaient le principe qui est placé audessusde ces deux éléments, comme l'atteste Philolaus, disant quec'est Dieu qui a bypostatisé le fini et l'infini (itêpa; xat àiretpîav 6*oevêaai.Conf. Procl., Theol. Platon., III, vu, p. 137, appelant DieuIHECOKO; xai àneipia;imocrtirrp); il <strong>mont</strong>re que c'est <strong>du</strong> fini, qui aplus d'affinité avec l'unité, que vient toute espèce d'ordre, et de l'infinique vient cet état de choses qui n'est qu'une dégradation <strong>du</strong> pre- *mier. Ainsi, au-dessus des deux principes, et antérieurement à eux,il posait une cause une, unique, séparée de toutes les autres choses,qu'Archénène (M. Boeckh propose de lire Archytas) disait être la causeavant la cause, et que Philolaus affirmait être le principe de Tout. •Proclus {Theol. Plat., I, v, p. 13) observe que Platon, dans le Philibe,p. 16, rapporte aux pythagoriciens ces deux genres de causespremières, et il ajoute : « Sur ce sujet, Philolaus le pythagoricienavait écrit deschoses admirables,


LES FRAGMENTS DE PHILOLAUS. 229de formes très-nombreuses, que chacune indivi<strong>du</strong>ellementmanifeste 1 .H. Boeckh donne ici comme 3* fragment un extrait deNicomaque, Arithm. II, p. 509, sur l'harmonie, ainsiconçu : « L'harmonie est universellement le résultatde contraires : car elle est l'unité <strong>du</strong> multiple, l'accorddes discordances. » Il reconnaît cependant que personnene cite ce passage comme de Philolaûs, auquel il croitque la suite des idées 'dans le texte de Nicomaqueoblige ou permet de le rapporter.4. Voici ce qu'il en est de la nature et de l'harmonie :L'essence des choses est une essence éternelle; c'estune nature unique et divine, et dont la connaissancen'appartient pas à l'homme ; et cependant il ne seraitpas possible qu'aucune des choses qui sont et sont connuesde nous, arrivassent à notre connaissance, si cette' essence n'était le fondement interne des principes dontle monde a été formé, c'est-à-dire des éléments finis etdes éléments infinis '. Or puisque ces principes ne sontpas semblables entre eux, ni de nature semblable, il sérailimpossible que l'ordre <strong>du</strong> monde fût formé par eux,si l'harmonie n'était intervenue, de quel que manière1. Passage corrompu. Les leçons des manuscrits varient : les unsdonnent au votùvé onuaîvii; les autres, a\> aùvô. fleeren propose aù-Tavri 2. Le texte n'est pas sûr. Le manuscrit donne vàc, IVTOùç, queCanter change avec Boeckh en aûtà; ivréç, et Meineke en va; éavoù;.Le sens est pour moi très-obscur : il me semble que l'auteur des fragmentsveut dire que l'essence en soi nous échappe, et que nous nepouvons la connaître que lorsqu'elle «e manifeste dans le phénomène,dans le monde et le devenir ; et toutefois c'est par elle que le devenirlui-même nous peut être connu.


230 LES FRAGMENTS DE PHILOLAUS.d'ailleurs que cette intervention se soit pro<strong>du</strong>ite. Eneffet, les choses semblables et de nature semblable,n'ont pas eu besoin d'harmonie; mais les choses dissemblables,qui n'ont ni une nature semblable 1 , ni unefonction égale, pour pouvoir être placées dans l'ensemblelié <strong>du</strong> monde, doivent être enchaînées par l'harmonie.5. L'éten<strong>du</strong>e de l'harmonie est une quarte 1 , plus, unequinte*. La quinte est plus forte que la quarte de 9/8 * ;car il y a de l'hypate* à la mèse ', une quarte, et de lamèse à la pète 7 une quinte : mais de la nète à la trite *, ily aune quarte, de la trite à l'hypate, une quinte. L'intervalleplacé entre la mèse et la trite est de 9/8 ; l'intervallede la quarte est de 4/3'; celui de la quinte, de3/2; celui de l'octave dans le rapport double". Ainsil'harmonie comprend cinq 9/8 plus deux dièses" ; la1. IffoXag?], IO-OTIXVJ, ICOTOX?), taoïtaXtj, telles sont les variantes desmanuscrits et des éditions.. 2. ZvXXaéa, nom donné à la quarte, parce que c'est le premier système(oûXXrjif'ic) des sons consonnants.3. Ai' o(ttuv, ou iiù nivre.4. "Enévooov, c'est-à-dire : { + un entier = i + } — f.5. La corde grave <strong>du</strong> tétrachorde inférieur.6. La corde aiguë de ce même tétrachorde. Dans la jonction desdeux tétrachordes, cette corde devenait la corde grave <strong>du</strong> tétrachordesupérieur, et occupait le milieu des deux systèmes : de là son nom.7. La corde aiguë <strong>du</strong> tétrachorde supérieur.8. L'auteur se place ici dans le système de l'heptachorde, ou manquaitune corde, et où de la paranète à la corde la plus grave <strong>du</strong> tétrachordesupérieur, il n'y avait pas d'intervalle divisé, mais un intervallede trois demi-tons. Alors la corde, qui dans le système del'octochorde était et s'appelait la paramèse, devenait et s'appelait latrite, c'est-à-dire la troisième corde en partant de l'aigu.9. 'EitivptTov, un tiers en sus de l'entier.10. De 1: 2 ou de 2 :4. C'est donc notre octave, mais autrement divisée,ëià Tcaoûv.11. C'est ici un demi-ton mineur, 248 : 256; le sens primitif est divi-


LES FRAGMENTS DE PHILOLAUS. 231quinte trois 9/8 plus un dièse ; la quarte deux 9/8 plusun dièse*.6. * Cependant Philolaûs le pythagoricien a essayé dediviser autrement le ton : il pose pour point de départ<strong>du</strong> ton le premier nombre impair qui forme un cube,et l'on sait que le premier impair était l'objet d'unevénération particulière chez les pythagoriciens. Or, lepremier impair est 3 ; 3 fois 3 font 9, et 9 multiplié par3 donne 27, qui est distant <strong>du</strong> nombre 24 de l'intervalled'un ton, et en diffère de ce même nombre, 3. Eneffet 3 est la 8° partie de 24, et cette 8* partie de 24ajoutée à 24 môme, repro<strong>du</strong>it 27 cube de 3. Philolaûsdivise ce nombre 27 en deux parties, l'une plus grandeque la moitié, qu'il appelle apotomé ; l'autre plus petiteque la moitié qu'il appelle dièse, mais à laquelle ona postérieurement donné le nom de demi-ton mineur.Il suppose que le dièse comprend 13 unités, parce que13 est la différence entre 256 et 243, et que ce mômenombre est la somme de 9, de 3, et de l unité, dans laquellel'unité joue le rôle <strong>du</strong> point, 3 de la premièreligne impaire, 9 <strong>du</strong> premier carré impair. Après avoir,pour ces raisons, exprimé par 13 le dièse qu'on appellesemi-ton, il forme de 14 unités l'autre partie <strong>du</strong> nombresion. Ce demi-ton mineur porte ailleurs le nom de limma (>ET{AUUX), etle dièse alors = J de ton dans le genre chromatique, 1 de ton dans legenre enharmonique.1. Ici se termine le long fragment de Stobée, que M. Boeckh a partagéen cinq parties. M. Schaarschmidt veut bien reconnaître que cescinq fragments ne contiennent rien qui ne soit conforme aux doctrines<strong>pythagoricienne</strong>s, telles que' nous les connaissons par Aristole.2. Ce fragment est en latin et extrait de Boèce (de Miuic., III, 5), quiaprès avoir <strong>mont</strong>ré la division exacte et scientifique <strong>du</strong> ton, ajoute :Cependant Philolaûs, etc.


232 LES FRAGMENTS DE PHILOLAUS.27 qu'il nomme apotomé * ; et comme la différence de13 à 14 est l'unité, il soutient que l'unité forme lecomma, et que 27 unités forment le ton entier, parceque 27 est la différence de 216 à 243 qui sont distantsd'un ton.7. 1 Voici quelles définitions Philolaùs adonnées deces intervalles, et des intervalles encore plus petits. Lecomma', dit-il, est l'intervalle dont le rapport 8: 9 excèdela somme de deux dièses, c'est-à-dire, la somme de deuxdemi-tons mineurs'. Le scbisma est la moitiécomma; le diascbisma est la moitié <strong>du</strong> dièse, c'est-à-dire,<strong>du</strong> demi-ton mineur '.8. * Avant de traiter de la substance de l'âme, il(Philolaùs) traite, d'après les principes de la géométrie,de la musique et de l'arithmétique, des mesures, despoids et des nombres, soutenant que Ce sont là les principesqui font exister l'univers 7 .1. Ce calcul de l'apotomé est inexact, d'après M. Boeckb, qui le dé<strong>mont</strong>reainsi : • Le limma ou dièse n'est dans le rapport 243 : 256que si on pose le ton à 243 :273 J ; si au contraire on le fait 216 : 243,le nombre <strong>du</strong> limma est trop petit pour que la différence en soit 13.De sorte que les différences <strong>du</strong> limma et de l'apotomé, et le nombre<strong>du</strong> comma sont faux dans le calcul de Philolaùs. • Cf. Th. H. Martin,Éludas, le Timée, t. I, p. 410.2. Encore extrait de Boèce, de Music, III, 8.3. U faut lire ici comma, quoique M. Boeckh donne diesis.4. Ut somme de deux demi-tons mineurs ou limmas (que Philolaùsappelle dièse) ne fait pas un ton. Le comma est ce qui manque à deuxlimmas pour valoir un ton.6. Je ne tra<strong>du</strong>is pas la suite <strong>du</strong> chapitre de Boèce, qui n'appartientpas à Philolaùs.6. Après un fragment incomplet de Porphyre, où il semble dire quePhilolaùs étendait le nom d'excès, ùntpoxr), à tous les intervalles musicaux,M. Boeckh passe à un extrait latin de Claudien Mamert (deSlat. anim., II, 3).7. Cf. dans la Bible le livre de la Sagesse, II, 22.


LES FRAGMENTS DE PHILOLAÙS. 2339. ' Quelques-uns, suivant en cela Philolaùs, pensentque cette sorte de proportion est appelée harmonique,parce qu'elle a la plus grande analogie avec ce qu'onappelle l'harmonie géométrique : or, on appelle harmoniegéométrique le cube, parce que toutes ses dimensionssont parfaitement égales entre elles, et par conséquenten parfaite harmonie. En effet, cette proportions'aperçoit dans toute espèce de cube, qui a toujours12 côtés, 8 angles et 6 surfaces'.Le nombre huit', que les Arithméticiens appellentle premier carré en acte', a reçu de Philolaùs le pythagoricienle nom d'Harmonie géométrique, parce qu'ilcroit y retrouver tous les rapports harmoniques.10. *o Le monde est un : il a commencé à se former àpartir <strong>du</strong> centre 6 . A partir de ce centre, le haut estabsolument identique au bas; (cependant on pourraitdire que) ce qui est en haut <strong>du</strong> centre est opposé àce qui est en bas de lui ; car peur le bas, le point le plus1. Tiré de Nicomaq., Arithm., II, p. 72.2. Dans la proportion harmonique, le moyen surpasse chaque extrême,et est surpassé par chaque extrême d'une même fraction dechacun d'eux : c'est ce qui se présente dans la série des nombres12:8 : 6; car 12 = 8+ 4, et 4 est le tiers de 12; 8 = 6+2, et 2 est letiers de 6. Le cube contenant ces trois nombres est donc le type de laproportion harmonique. Boèce {Arithm., II, 49) repro<strong>du</strong>it la mêmethéorie avec un peu plus de développements, mais 1 sans la rapporter àPhilolaùs.3. Tiré de Cassiodore {Expos, in Psalm. IX, p. 36).4. C'est-à-dire le premier cube. /5. Fragm. tiré de Stobée {Eclog., I, c. xv, 7, p. 360), qui le citecomme faisant partie d'un ouvrage de Philolaùs, intitulé Baxyai.6. Il est certain que la théorie de Philolaùs est que le monde s'estformé d'un noyau central se développant jusqu'aux extrémités où il atteintl'infini. On est donc obligé de donner ce sens aux mots àvei TOùuieou.


234 LES FRAGMENTS DE PHILOLAÛS.bas serait le centre, comme pour le haut, le point leplus haut serait encore le centre, et de même pour lesautres parties ; en effet, par rapport au centre chacundes points opposés est identique, à moins qu'on ne fassemouvoir le tout*.b. Le Premier Composé 1 , l'Un placé au milieu de lasphère s'appelle Hestia.il 1 , a. Philolaùs a mis le feu au milieu, au centre :c'est ce qu'il appelle la Hestia <strong>du</strong> Tout, la maison deJupiter et la mère des Dieux, l'autel, le lien, la mesurede la nature*. En outre il pose encore un second feu,1. Le texte est des plus obscurs : il semble que l'auteur a voulu direque, dans une sphère, l'opposition <strong>du</strong> haut et <strong>du</strong> bas est simplementrelative. Par rapport au centre, tous les points de la circonférence sontégalement en bas ; en sorte que pour le bas, le milieu est le vrai bas, l'extrêmebas, et de même pour le haut : telle est <strong>du</strong> moins l'interprétationde If. Boeckh, que j'ai adoptée dans ma tra<strong>du</strong>ction. M. Schaarschmidtobjecte qu'Aristote nie que les pythagoriciens aient connu l'opposition<strong>du</strong> haut et <strong>du</strong> bas dans le monde, et qu'ils n'ont soutenu que celle dedroite et de gauche. Boeckh avait cité un passage d'une XUVOVUTV) IIv-«avopnuév pro<strong>du</strong>it parSimplicius [Scholl. m Arittb, p. 492, f. 47), contrairei l'assertion d'Aristote ; et M. Schaarschmidt triomphe, parcequ'entre ces deux autorités, on ne peut pas balancer à qui accorder lapréférence. Mais si on relit le fragment avec attention, on voit que,pour l'auteur, il ne comprend pas l'opposition réelle <strong>du</strong> haut et <strong>du</strong>bas, et que cette distinction n'a pour lui qu'une valeur tout & fait relative.Quant i la contradiction de faire le monde éternel, et cependantd'en indiquer le commencement et d'en décrire le développement,on peut dire'qu'elle se retrouve dans presque tous les systèmes,qu'elle est inhérente au problème philosophique, parce qu'il est i peuprès également impossible de comprendre qu'il ait ou qu'il n'ait pascommencé, et qu'enfin on peut dire que cette description d'un commencementde l'éternel est faite eiSaoxaXla; •/ép lv > comme le dit Aristoteen parlant des pythagoriciens, ou comme le disait Pythagore luimême,XOT' iicivoiav (Stob., Eel.,1, 21, 6, p. 450).2. Té «pârov Sppoaeev. Fr. tiré de Stob., Ed., I, 21, 8, p. 468.3. Frsgm. tiré de Stob., Ed., I, 22, 1, p. 488.4. Aristt. {Deccelo, II, 13) dit que les pythagoriciens appelaient le


LES FRAGMENTS DE PHILOLAtlS. 435tout à fait en haut, et enveloppant le monde. Le centre,dit-il, est par sa nature le premier; autour de lui lesdix corps divers accomplissent leurs chœurs dansants* ;ce sont le ciel-, les planètes, plus bas le soleil, au-dessousde celui-ci la lune; plus bas la Terre, et au-dessousde la Terre, l'anti-Terre 1 , et enfin au-dessous de tous cescorps, le feu d'Hestia, au centre, où il maintient l'ordre.La partie la plus élevée de l'Enveloppant, dans laquelle ilprétend que les éléments se trouvent à l'état parfaitementpur, il l'appelle l'Olympe ; l'espace au-dessous <strong>du</strong> cerclede révolution de l'Olympe, et où sont rangés en ordreles cinq planètes, le soleil et la lune, forme le Monde,Cosmos; enfin au-dessous de ces derniers corps est larégion sublunaire, qui entoure la terre, et où se trouventles choses de la génération, amie <strong>du</strong> changement : c'estle Ciel*. L'ordre qui se manifeste dans les phénomènesfeu central le poste de veille (çuXcnojv) de Jupiter. Dans Proclus etSimplicius, les mots Ai&c oîxov sont remplacés par ceux de Zotvàr,irûpifov.1. La terre se meut donc. Cf. plus loin fr. 13, et Boeckh, de Platon.System., p. xv et xvi..3. Astre imaginé par les pythagoriciens, dit Aristote (Met., 1,5,et de Cal., II, 13. Cf. Simplicius, ad Arts t., de Cal., p. 124 b) pourcompléter la Décade.3. Platon, dans le Phèdre, distingue également trois diacosmes :l'un, unepoupdvioc; le moyen, qu'il appelle le Ciel; le troisième est lemonde sublunaire. Le corps de l'homme est en affinité avec le troisième;l'ame avec le second ; l'intelligence et les idées avec le premier.Un anonyme, auteur d'une Vie de Pythagore (Phot, Biblioth.,col. 1313), donne une description différente <strong>du</strong> système cosmologiquedes pythagoriciens, mais qui ne semble guère fidèle, et qui n'est d'ailleurspas rapportée i Philolaus. Les objections contre l'authenticité <strong>du</strong>fragment sont tirées : 1* de la division en trois parties, de perfectioninégale, ce qui est contraire à la notion <strong>du</strong> xoopor, et à l'unité qui estle principe philosophique <strong>du</strong> système ; 2* de l'emploi des mots O.vp-


236 LES .FRAGMENTS DE PHlLOLAÙS.célestes, est l'objet de la science ; le désordre qui se manifestedans les choses <strong>du</strong> devenir est l'objet de la vertu :l'une est parfaite, l'autre imparfaite.b. * Philolaùs, le pythagoricien, met le feu au milieu ;c'est la Hestia <strong>du</strong> Tout; ensuite l'Anti-Terre; en troisièmelieu, la terre que nous habitons, placée en facede l'antre, et se mouvant circulairement : .ce qui faitque les habitants de celle-là ne sont pas visibles aux habitantsde la nôtre.c.* Le principe dirigeant, dit Philolaùs, est dans lefeu tout à fait central, que le démiurge a placé commeune sorte de carène pour servir de fondement à lasphère <strong>du</strong> Tout'HOC, OOpocvAç, xéoiioc, cftotptvcfa; 3* de la place <strong>du</strong> feu central, quiparait supprimé à la fin <strong>du</strong> fragment par un feu enveloppant Je répondsqu'il est tout a fait conforme aux idées <strong>pythagoricienne</strong>s deposer le premier principe à la fois comme enveloppant et comme enveloppé;que l'inexactitude des termes, si elle est réelle, peut être attribuéeau citateur; et que la contradiction réelle que signale la premièreobjection peut faire l'objet d'une critique fondée contre lesystème, mais ne porte pas témoignage contre 1 authenticité <strong>du</strong> fragment.M. Schaarschmidt explique d'une manière bien incompréhensiblel'origine de ce passage apocryphe : L'auteur l'a commencé en ayantsous les yeux le texte <strong>du</strong> De Ccelo, II, 13 ; — puis, sans songer qu'ilavait pris le masque d'un ancien pythagoricien, il le continue en exposantles sentiments particuliers d'Aristote. Voilà, sans mentir, unfalsificateur bien maladroit. Comment la conscience même de lafraude qu'il commettait ne l'a-t-elle pas mis en garde contre une si grossièrecombinaison d'éléments si disparates? Ceci est assurément detoutes les possibilités la plus invraisemblable et la plus incroyable.1. Extr. de Plut., Placit. Philot., III, 11.2. Tiré de Stob., Ed., I, 21, 6, p. 452.3. Les expressions tè ?iyc|iiovixiv et 6 ônutoûpyoc, l'une stoïcienne,l'autre platonicienne, la doctrine d'un Dieu sépare de l'àxne <strong>du</strong> monde,ont ren<strong>du</strong> suspect ce fragment. Quant à ce dernier argument, il estréfuté par notre exposition de la doctrine des pythagoriciens, qui y


LES FRAGMENTS DE PHILOLAÙS. 23712.' Philolaùs explique par deux causes la destruction3 : l'une est le feu qui descend <strong>du</strong> ciel, l'autre estl'eau de la lune, qui en est chassée par la révolution del'air : les pertes de ces deux astres nourrissent le monde.13.* a. Philolaùs'a le premier dit que la terre se meuten cercle; d'autres disent que c'est Hicétasde Syracuse.b. * Les uns prétendent que la terre est immobile ;mais Philolaùs le pythagoricien dit qu'elle se meut circulairementautour <strong>du</strong> feu (central) 6 et suivant uncercle oblique, comme le soleil et la lune.14. T Philolaùs, le pythagoricien, dit que le soleil est<strong>mont</strong>re, malgré leurs théories toutes physiques, une tendance etcomme un soupir vers l'idéalisme. C'est une grande erreur de croire,comme M. Schaarschmidt, qu'un esprit sensé n'a jamais pu admettre 'la doctrine qui fait de l'Un un composé, et de rejeter l'authenticitéd'un fragment, parce que cette doctrine y est exprimée.1. Extr. de Plut., Plaeit. PhUos., II, 5, et repro<strong>du</strong>it en partie parStob.. Ed., I, 21, 2, p. 452.2. •oopdv. La destruction de quoi ? Le titre sous lequel est rangéecette proposition, dans les Plaeita, est : IIoScv vpéçetai é xâr/po;. Neserait-il pas naturel de changer alors dans le texte oOopâv en TDOçôVTLa réponse serait plus conforme à la question.3. Cf. Fragm. 11, 6.4. Tiré de Diogène de Laerte, VIII, 85.5. Tiré de Plut, Plaeit. Philos., HI.-7.6. Il ne s'agit donc pas d'un mouvement de rotation sur son axe,ou de translation autour 4m soleil. Cependant c'est le premier de cesmouvements que Cicéron, d'après Théophraste, croit avoir été découvertpar Hicétas. Acad. qtt. IV, 39. Cf. Copernic, Epis t. ad Paulum,m : • Reperi apud Cicerooem primum Hicetam scripsisse terram moveri....Inde igituroccasionem nactus, coepi et ego de terrai mobilitatecogitare. » Sans nommer Philolaùs, Aristote attribue également « auxphilosophes de l'École Italique, aux pythagoriciens, comme on lesnomme, > la doctrine <strong>du</strong> mouvement circulaire de la terre autourd'un centre. De Cœlo, II, 13 : «Ils disent que le feu est au milieu, quela terre est un astre, et se meut circulai rement autour de ce centre, etpar ce mouvement pro<strong>du</strong>it le jour et la nuit. >7. Tiré de Stob., Ed., I, 25*, 3, p. 530.


838 LES FRAGMENTS DE PHILOLAÙS.un corps 1 vitrescent qui reçoit la lumière réfléchie <strong>du</strong>feu <strong>du</strong> Cosmos, et nous en renvoie, après les avoir filtrées,et la lumière et la chaleur 1 : de sorte qu'on pourraitdire qu'il y a deux soleils : le corps <strong>du</strong> feu qui estdans le Ciel *, et la lumière ignée qui en émane et seréfléchit dans une espèce de miroir. A moins qu'on neveuille considérer comme une troisième lumière, cellequi, <strong>du</strong> miroir où elle se brise, retombe sur nous enrayons dispersés*.15.* De la forme apparente de la lune.Quelques pythagoriciens, entre autres Philolaus, prétendentque sa ressemblance avec la terre vient de ceque sa surface est, comme notre terre, habitée, maispar des animaux et des végétaux plus grands et plusbeaux; car les animaux de la lune sont quinze fois plusgrands que les nôtres, et n'évacuent pas d'excréments.Le jour y est aussi plus long que le nôtre dans la mêmeproportion*. D'autres prétendent que la forme apparentede la lune n'est que la réfraction dé la mer que noushabitons, qui dépasse le cercle de feu." 1. Un disque, suivant Euséb., XV, 23.2. Plutarque (Placit. Philos.,11, 20}, Eusèbe et Stobée donnent la leçonSwOoûvva, que Boeckh remplace par la leçon meilleure SinSoûvta,quoiqu'elle fournisse un sens acceptable.3. Oûpovôc semble mis ici improprement par l'auteur de l'extrait, aulieu de xôeuec.4. Il y a donc trois soleils : le feu central ; le soleil qui en reçoit lalumière; et la lumière qui nous est renvoyée de ce dernier, et qu'onpeut appeler un troisième soleil. Comme le dit Plutarque (Placit., II,20), en repro<strong>du</strong>isant presque intégralement ce passage, ce dernier so-' leil est l'image d'une image.5. Tiré de Stob., Eclog., I, 26, 1, p. 562.' 6. Ici s'arrête le texte de Boeckh. Il ne dit pas pourquoi il ne donnepas le texte complet de Stobée.


LES FRAGMENTS DE PHILOLAUS.S3916. * D'après Philolaûs le pythagoricien, il y a uneannée, composée de 59 années et de 21 mois intercalaires': l'année naturelle a, d'après lui, 364 jours et undemi-jour*.17.* Philolaûs dit que le nombre est la force souveraineet autogène qui maintient la permanence éternelledes choses cosmiques*.18. "a C'est dans la décade qu'il faut voir quelle est danssa puissance et l'efficacité et l'essence <strong>du</strong> nombre : elleest grande, elle réalise toutes les fins, est cause de tousles effets; la puissance de la décade est le principe et leguide de toute vie, divine, céleste, humaine, à laquelleelle se communique 7 ; sans elle tout est infini; tout est1. Tiré de Censoriniis,de Die natal., 18.2. La grande année platonique est de 10 000 ans; mais c'est une périodequi semble toute mythique. Ici nous avons affaire plutôt à unvrai cycle astronomique, comme celui de Cléostrate de 8 ans, de Métonde 19, de Démocrite de 82 années solaires. Le cycle de 59 ans est attribuépar Stobée (Eclog., I, 8, p. 264) i Œnopide et è Pythagore.3. Ici se terminent les fragments qui, d'après M. Boeckh, ont appartenuau premier livre de l'ouvrage de Philolaûs, et qui traitait <strong>du</strong> Cosmos.Le second traite de la nature.4. Iambl., ad Nicomac. Arithm., p. 11.5. Syrianus {adMet., XII, p. 71 b) a repro<strong>du</strong>it deux fois ce morceau :• Philolaûs autem mundanorum atténue permanentiat imperantem etsponte genitam continentiam (ouvôxiiv) numerum esse enuntiavit; •et plus loin, p. 85 b : « Philolaûs quoque affirmavit numerum essecontinuationem (?) atténue mundanorum permanentiat ex se genitamet imperantem. >6. Tiré de Stob., Ed., I, 3, p. 8, où il a pour titre : • De PhUolao. •ht. Scharscbmidt, tout en ne croyant pas ce fragment authentique, n'ytrouve rien qui ne soit pythagoricien.7. Passage fort obscur, où M. Boeckh soupçonne une lacune, et queje tra<strong>du</strong>is comme s'il n'y en avait pas, en me bornant à supprimer un xoldans la phrase xotvuvoùaa Sùvocuir, [xod] TôT, Scxâôoc. Heeren proposede lire xotvAc èeûow eaivcrat èuvouur, à viç ôsxdôoc, qu'il tra<strong>du</strong>it un


240 LES FRAGMENTS DE PHILOLAUSobscur,et se dérobe. En effet, c'est la nature <strong>du</strong> nombrequi nous apprend à connaître, qui nous sert de guide,qui nous enseigne toutes choses, lesquelles resteraientimpénétrables et inconnues pour tout homme 1 . Car iln'estpersonne qui pourrait sur aucune chose se faire unenotion claire, ni des choses en elles-mêmes, ni de leursrapports, s'il n'y avait pas le nombre, et l'essence <strong>du</strong>nombre. Hais maintenant le nombre par une certaineproportion qu'il met dans l'âme, au moyen de la sensation1 , rend tout connaissable, et établit entre toutes leschoses des rapports harmoniques', analogues à la nature<strong>du</strong> gnomon'; il incorpore les raisons intelligibles despeu librement : « patet vim ejus omnibus praeesse. > Badham, dans soncommentaire sur le Philèbe de Platon, p. 99, en propose une autre : xoivcoviacà 6uvau.i( à T&; Scxa&o;, qui ne me semble pas nécessaire. Jecrois que xoivwvoùoa peut très-bien s'expliquer tout seul.1. Badham, 1. 1., par conjecture, au lieu de navri, donne la leçonndpivTi. Je crois que la leçon ordinaire est confirmée par la suite desidées, et par le mot oùîevt, qui ne fait guère que répéter navet.2. La connaissance va <strong>du</strong> semblable au semblable; il faut donc qu'ily ait entre le sujet qui connaît, l'âme, et l'objet qui est connu, analogie,rapport, similitude, harmonie. Le nombre, étant l'essence deschoses, doit se trouver également dans l'âme, si l'on admet que l'âmeconnaît les choses.3. Le nombre est donc principe de l'être et <strong>du</strong> connaître.4. Le gnomon était une figure en forme d'équerre de même hauteurà l'intérieur qu'un carré et qui, ajoutée â ce carré, formait un secondcarré, plus grand que le premier de la surface de cette équerre, com-. posée de deux rectangles égaux et d'un petit carré.Je pense que Pbilolaûs veut dire que le sujet doit envelopper, et enpartie embrasser l'objet, comme le gnomon embrasse et enveloppe enpartie le carré dont il est complémentaire. De plus, le gnomon, exprimantla différence de deux carrés, peut, en certains cas <strong>du</strong> moins,être équivalent à un carré ; ainsi dans la proposition <strong>du</strong> carré de l'hypoténusea* = b J -f- c 1 , le gnomon a' — b» r= f. Ainsi le gnomonest non pas égal en dimension, mais équivalent en espèce au carredont il est complémentaire. Il est un carré en puissance, et c'est ainsique le sujet pensant doit être en puissance l'objet pensé.


LES FRAGMENTS DE PHILOLAÛS. 241choses, les sépare, les indivi<strong>du</strong>alise, tant des choses infiniesque des choses finies.Et ce n'est passeulementdansles choses démoniques et divines qu'on peut voir lanature et la puissance <strong>du</strong> nombre manifestant leurforce, mais c'est encore dans toutes les œuvres, et danstoutes les pensées de l'homme, partout enfin et jusquedans les pro<strong>du</strong>ctions des arts et dans lamusique. La nature<strong>du</strong> nombre et l'harmonie n'admettent pas l'erreur:le faux n'appartient pas à leur essence * ; la nature infiniesans pensée, sans raison, voilà le principe de l'erreuret de l'envie. Jamais l'erreur ne peut se glisserdans le nombre; car sa nature y est hostile, en estl'ennemie. La vérité est le caractère propre, inné de lanature <strong>du</strong> nombre.b*. La Décade porte aussi le nom de Foi, parce que,d'après Philolaûs, c'est par la Décade et ses éléments,si on les saisit avec force et sans négligence', que nousarrivons à nous faire sur les êtres une foi solidementfondée. C'est également la source de la mémoire, etvoilà pourquoi on a donné à la Monade, le nom deMnémosyne.c *. La Décade détermine tout nombre, elle enveloppeen soi la nature de toute chose, <strong>du</strong> pair et de l'impair,<strong>du</strong> mobile et de l'immobile, <strong>du</strong> bien et <strong>du</strong> mal. Elle aété l'objet de longues discussions d'Archytas dans sonouvrage sur la Décade, et de' Philolaûs dans son ouvragesur la Nature.1. Cf. Aristot., Analyt. pr., I, 32, p. 47 a, 8. Eth. Nie, I, 8, p. 1098,b, 11.2. Tiré des 77teoior/oumena, p. 61.3. Passage corrompu, o0 icaps'pYbi;xaTa>ap.6avo|i.évai;.4. Tiré de Tu.on de smyrne, Platon. Hathem., p. 49.16


242 LES FRAGMENTS DE PH1L0LAUS.d*. Il y en a qui appelaient la Tétractys* le grand sermentdes pythagoriciens, parce que suivant eux elleconstitue le nombre parfait, ou bien parce qu'elle estle principe de la sauté : de ce nombre est Philolaiis.19 '. a. Archytas et Philolaiis appellent indifféremmentl'unité monade, et la monade unité.o*. 11 ne faut pas croire que les philosophes commencentpar des principes pour ainsi dire opposés : ils connaissentle principe qui est placé au-dessus de ces deuxéléments', comme l'atteste Philolaiis disant que c'estDieu qui hypostatise 6 le fini et l'inhni; il <strong>mont</strong>re quec'est par la limite, que toute série coordonnée deschoses se rapproche davantage de l'Un, et que c'est parl'infinité, que se pro<strong>du</strong>it la série inférieure. Ainsiau-dessus même de ces deux principes, ils plaçaient lacause unique et séparée,~distinguée de tout par son excellence\ C'est cette cause qu'Archénète • appelait lacause avant la cause ; et c'est elle que Philolaiis affirmeavec force être le principe de tout, et dont Brontinus ditqu'elle surpasse en puissance et en dignité toute raisonet toute essence'.'1. Tiré de Lucien, Pro laps, inter salut., 5.2. La somme des premiers nombres forme la Décade ou grande Tétractys.3. Tiré de Théon de Smyrne, Plat. Math., 4.4. Tiré de Syrian. sub initio Comment, in 1. XlVJfetaph., trad. lat.de Bagolini (ad Arist. Met., XIII, p. 102).5. Xtoty/iov Quelques manuscrits donnent la leçon


LES FRAGMENTS DE PHILOLAÙS. 243c *. Dans la formation des nombres carrés par l'addition,l'unité est comme la barrière <strong>du</strong> diaule d'où l'onpart, et aussi le terme où l'on revient ; parce que si onplace les nombres en forme "d'un double stade, on les•oit croître depuis l'unité jusqu'à la racine <strong>du</strong> carré, etla racine est comme la borne <strong>du</strong> stade où l'on tourne,et en partant de là la succession des nombres revient àl'unité, comme dans le carré 25*.Il n'en est pas de même dans la composition desnombres étéromèques*; si l'on veut, à la façon d'ungnomon, ajouter à un nombre quelconque la sommedes pairs, alors le nombre deux paraîtra seul en état derecevoir et de comporter l'addition, et sans le nombredeux on ne pourra pas engendrer de nombres étéromèques.Si l'on veutdisposer la série naturelle croissantedes nombres dans l'ordre <strong>du</strong> double stade, alors l'unité,étant le principe de tout, d'après Philolaùs (car c'est luiqui a dit : l'unité, principe de tout), se présentera biencomme étant la barrière, le point de départ qui engendre,les étéromèques, mais elle ne sera pas le but,la borne où la série retourne et revient : ce n'est pasl'unité, c'estle nombre deux qui remplira cette fonction*.1. Tiré d'Iambl., ad Nie. Arithm., p. 109. II n'y a rien dans cefragment de propre à Philolaùs, si ce n'est la citation îv ipx« nivtuv.2. 1. 2. 3. -4.5.1. 2. , 3. 4.Or 5 est la racine de 25, et 25 est un carré obtenu par l'addition de cesneuf nombres.3. Rectangles, plus longs dans un sens que dans un autre.4. En effet, 1. 2. 3. 4.J>.2. 3. 4.donnent la somme de 24, nombre plan rectangle, dont un côté =x 4,


244 LES FRAGMENTS DE PHILOLAÙS.d *. Philolaus confirme ce que j e viens de dire par les motssuivants ; Celui, dit-il, qui commande et gouverne tout,est un Dieu un, éternellement existant, immuable, immobile,identique à lui-même, différent des autres choses.e*. Philolaus en disant que Dieu tient toutes chosescomme en captivité, <strong>mont</strong>re qu'il est un et supérieur àla matière*.20. *. Même chez les pythagoriciens nous trouvonsdes angles différents attribués aux différents dieux,comme l'a fait Philolaus, qui a consacré aux uns l'angle<strong>du</strong> triangle, aux autres l'angle <strong>du</strong> rectangle, à d'autresd'autres angles, et quelquefois à plusieurs le même.Les pythagoriciens * disent que le triangle est leprincipe absolu de la génération des choses engendréesl'autre = 6. Par étéromèques, il faut donc entendre non des polygonesdont le nombre de côtés s'augmente sans cesse, mais des rectanglesdont les côtés changent sans cesse de dimension, et où l'espèce de lafigure peut paraître constamment modifiée, à chaque changement dansle rapport des côtés. Cf. Aristot., Phys., III, 4 : "A).Xo gèv ici vivve


LES FRAGMENTS DE PHILOLAUS. 245et de leur forme; c'est pour cela que Timée dit que lesraisons de l'être physique, et de la formation régulièredes éléments sont triangulaires'; en effet, elles ont lestrois dimensions; elles rassemblent dans l'unité les élémentsen soi absolument divisés et changeants; ellessont remplies 1 de l'infinité propre à la matière, et établissentau-dessus des êtres matériels des liens, il estvrai, fragiles; c'est ainsi que les triangles sont enveloppéspar des droites, ont des angles qui réunissent leslignes diverses et en font le lien'. Philolaiisa donc euraison d'attribuer l'angle <strong>du</strong> triangle à quatre dieux, àGronos, Hadès, Ares et Dionysos, réunissant sous cesquatre noms la quadruple disposition des éléments, quise rapporte à la partie supérieure de l'univers, à partir<strong>du</strong> ciel ou des sections <strong>du</strong> zodiaque. En effet, Cronospréside à toute essence humide et froide ; Ares à toutenature ignée ; Hadès embrasse toute vie terrestre ; Dionysosdirige la génération des choses humides et chaubienencore, ce qui est plus vraisemblable, Plutarque a emprunté sonrenseignement à l'ouvrage d'un faussaire, qui l'a publié sous le nomd'Eudoxe. M. Schaarschmidt voit partout des faussaires : c'est une maladie.1. Je suppose que cela signifie que les raisons séminales, identifiéesaux atomes, ont, comme dans Platon, les éléments primitifs, la formetriangulaire.2. 'Avaiti[iii>.avTai. Je ne vois pas d'autre sens que celui-ci ; la réalité.suivant les pythagoriciens, est ainsi pro<strong>du</strong>ite. Le point engendre laligne ; la ligne engendre la surface ; les surfaces ou plans sont des limitesenveloppantes, mais vides, des formes sans contenu réel queremplit la matière, qui de sa nature est sans forme; l'être réel est lasynthèse dé la forme et de la matière : la forme vide sert d'enveloppeà la matière qui la remplit.3. Le texte ajoute (ycevîa;).... yievtav en(xTY|TOv aÙTottc,,... irapcxoiiéva;,littéralement : .... «des angles donnant à ces lignes un angle supplémentaire.«Phrase à laquelle je ne comprends absolument rien.


246 LES FRAGMENTS DE PHILOLAÙS.des, dont le vin , par sa chaleur et son état liquide, estle symbole. Ces quatre dieux séparent leurs opérationssecondes; mais ils restent unis les uns avec les autres :c'est pour cela que Philolaùs en leur attribuant un seulangle a voulu exprimer cette puissance d'unification *.Les pythagoriciens ! veulent aussi que, de préférenceau quadrilatère, ce soit le tétragone qui porte l'image del'essence divine * : c'est par lui qu'ils expriment surtoutl'ordre parfait.... Car la propriété d'être droit imite lapuissance de l'immuabilité, et l'égalité représente cellede la permanence, car le mouvement est l'effet de l'inégalité, le repos celui de l'égalité. Ce sont donc là lescauses de l'organisation de l'être solide* dans son tout,et de son essence pure et immuable.... Ifs ont donc euraison de l'exprimer symboliquement par la figure <strong>du</strong>tétragone. En outre Philolaùs, par un autre trait de génie*,appelle l'angle <strong>du</strong> tétragone, l'angle de Rhéa, deDéméter et d'Hestia 6 . Car considérant la terre commeun tétragone, et remarquant que cet élément a la propriété<strong>du</strong> continu, comme nous l'avons appris par Timée,et que la terre reçoit tout ce qui s'écoule de cescorps divins, et en même temps les puissances généra-1. "Evwdiv. Peut-être le mot ne veut-il exprimer ici que l'unité oùse confondent ces quatre dieux, et non celle dont ils sont la cause efficiente.'2. Id., là., p. 48.3. C'est-à-dire qu'une surface n'est pas un corps et qu'un solide enest un. Il s'agit donc ici d'angles dièdres.4. L'essence divine est dope encore considérée comme enveloppéedans un corps solide. Les dieux des pythagoriciens sont les astres.5. TïmdoÀnv.6. Plutarque (de U. et Os., c. xxx) rapporte une autre distributionde ces angles, qu'il attribue aux pythagoriciens, sans nommer Philolaùs,et sur le témoignage d'Eudoxe.


LES FRAGMENTS DE PHILOLAÙS.24Ttrices qu'ils contiennent, il a eu raison d'attribuer l'angle<strong>du</strong> tétragone à ces déesses qui engendrent la vie 1 .En effet, quelques-uns appellent la terre Hestia et Démêleret prétendent qu'elle participe deRhéa, tout entière,et qu'en elle sont contenues toutes les causes engendrées.Voilà pourquoi il dit, dans un langage obscur*, que l'angle<strong>du</strong> tétragone embrasse la puissance une qui faitl'unité de ces créations divines.Et il -ne faut pas oublier que Philolaùs assigne l'angle<strong>du</strong> triangle à quatre dieux, et l'angle <strong>du</strong> tétragone àtrois, <strong>mont</strong>rant par là la faculté qu'ils ont de se pénétrer,de s'influencer mutuellement, et faisant voir commenttoutes choses participent de toutes choses, lés chosesimpaires des paires, et les paires des impaires. Latriade et la tétrade, participant aux biens générateurs etcréateurs 5 , embrassent toute l'organisation régulièredes choses engendrées. Leur pro<strong>du</strong>it est la dodécade quiaboutit à la monade unique, le principe souverain deJupiter ; car Philolaùs dit que l'angle <strong>du</strong> dodécagone appartientà Jupiter, parte que Jupiter enveloppe dansl'unité le nombre entier de la dodécade.21.' a. Après la grandeur mathématique qui parses trois dimensions ou intervalles, réalise le nombrequatre, Philolaùs nous <strong>mont</strong>re l'être manifestant dansle nombre cinq la qualité et la couleur, dans le nombresix l'âme et la vie, dans le nombre sept la raison, lasanté et ce qu'il appelle la lumière; puis il ajoute que1. Zaïofôvot;.2. Le grec dit : souterrain, xSovtui;.3. Comme M. Boeckh, au lieu de TCOIOTIXûV, je lis itowi-rixvv.4. Tiré des Theàlog. Arithm., p. 56.


248 LES FRAGMENTS DE PI1IL0LAÙS.l'amour, l'amitié, la prudence, la réflexion, sont communiquésaux êtres par le nombre huit.b*. Il y a quatre principes de l'animal raisonnable,comme le dit Philolaùs, dans son ouvrage sur la Nature,l'encéphale, le cœur, le nombril, et les organes sexuels. Latête est le siège de la raison, le cœur celui de l'âme (ou dela vie) et de la sensation, le nombril de la Faculté de pousserdes racines et de repro<strong>du</strong>ire le premier être, les organessexuels de la Faculté de projeter la semence etd'engendrer. L'encéphale (contient) le principe del'homme, le cœur celui de l'animal, le nombril celui dela plante, les organes sexuels celui de tous les êtres,car tous les êtres croissent et poussent des rejetons.c*. Il y a cinq corps dans la sphère : le Feu, l'eau, laterre, l'air, et le cercle' de la sphère qui Fait le cinquième.1. Theolog. Ârithm., p. 22.2. Tiré de Stob., Eclog. Phys., I, 2, 3, p. 10.3. M. Schaarschmidt propose OXoTiic. ou 4 oyxoç, au lieu de t ô)xi; ;j'adopte l'ingénieuse correction de Meineke :


LES FRAGMENTS DE PHILOLAÙS. 24922. « De Pbilolaus le pythagoricien, tiré de son livresur l'âme '.Philolaiis soutient que le monde est indestructible:voici en effet ce qu'il dit dans son livre sur l'âme :C'est pourquoi le monde demeure éternellement,parce qu'il ne peut être détruit par un autre, ni s'anéantirde lui-même'. On ne trouvera ni au dedans ni endehors de lui aucune autre force plus puissante qu'elle',capable de le détruire. Mais le monde a existé de touteéternité 5 et il demeurera éternellement, parce qu'ilmonde, ne prouve pas qu'il n'admettait pas, comme tant d'autres philosophesgrecs, une sorte de polythéisme. D'ailleurs, cette doctrined'Épicharme était exposée par Ennius (Varr. de L. L., IV, de R. fl.,I, 4; Priscien, VII). Or, Épicharme était pythagoricien (Plut., Num.,R : r!;; iruOayopixT); SiaxpiSr,;, et Iambl., Vit. Pyth., 36), quoiqueM. Welcker en doute {Kl. Schrift., p. 481). Maintenant le passage deStobée, I, c. xv, p. 35-7, où renvoie M. Schaarschmidt, dit tout lecontraire de ce qu'il lui prête : • Les pythagoriciens donnent au mondela forme sphérique, d'après la figure des quatre éléments : seul,le feu supérieur, xo àvioxixw xtûp, a la forme d'un cône. » 11 est clairqu'ici il est fait mcnlion de cinq éléments, quatre dont la figure a impriméau monde la forme sphérique, et un cinquième qui a la formeconique. Il n'y a donc aucune raison de douter de l'authenticité <strong>du</strong>fragment.1. Fragm. tiré de Stob., Eclny., I, 20, 2, p. 418.2. C'est ici que M. Boeckh fait commeucerle troisième livre de Philolaûsqui traitait de lame <strong>du</strong> monde et de l'âme de l'homme. Les manuscritsportent en marge la glose suivante: ehiloÀâou nu6xY°p£'u èxxoû xccpi é/jy-r);.3. "Açéapxr,; xai àxaxaTcovaxo;. Ce dernier mot exprime qu'il ne contientpas en lui-même cet élément de corruption, qui use la force etfinit par anéantir l'essence de l'être imparfait.4. Que son âme.b. L'éternité <strong>du</strong> monde n'est pas, comme le dit Zeller, une opinionpropre à Aristotc. Elle a été enseignée par Heraclite (Simplic, Scholl.Aristot., 487 h, 33 : àXX'rjv àsl xai luxai itûp cuiÇwov), et rien n'autoriseà affirmer que l'âme <strong>du</strong> monde était inconnue avant Platon. Il estévident que le Noû; d'Anaxa'gore y ressemble beaucoup.


250 LES FRAGMENTS DE PHILOLAUS.est un, gouverné par un principe dont la nature estsemblable à la sienne, et dont la force est toute-puissanteet souveraine*. De plus, le monde, un, continu,doué d'une respiration naturelle, se mouvant éternellement1 en cercle, a le principe <strong>du</strong> mouvement et <strong>du</strong>changement; une partie en lui est immuable, l'autre estchangeante : la partie immuable s'étend depuis l'Ame 1qui embrasse le tout, jusqu'à la lune, et la partie changeantedepuis la lune jusqu'à la terre ; or, puisque le moteuragit depuis l'éternité et continue éternellement sonaction, et que le mobile reçoit sa manière d'être <strong>du</strong> moteurqui agit sur lui, il résulte nécessairement de là quel'une des parties <strong>du</strong> monde imprime'toujours le mouvement,que l'autre reçoit toujours passive*; l'une est tout1. M. Boeckh suppose ici, sans nécessité et sans preuve, unelacune.' 2. Avec Heineke, je lis if; aïôtw au lieu de ôp/iSîw.3. L'âme <strong>du</strong> monde l'enveloppe doue, ce qui n'empêche pas qu'elleen pénètre toutes les parties, comme le dit Cicéron, De nal. D., I, 11 :• Animum esse per naturam rerum omnem intcnlum et commeantem.»4. Le texte dit Tô U,1Y àeixîvavov, to Se àsiTcafté;. Quoiqu'il n'y aitpas de variantes dans les manuscrits, je lis àEixîvovv, qui me sembleexigé par le sens. L'auteur <strong>du</strong> fragment distingue dans le Cosmos deuxparties, l'une immuable, l'autre changeante; l'une motrice, l'autre.mue. Or, si l'immuable n'est pas nécessairement l'immobile, ce n'estpas cependant son caractère d'être éternellement mobde. Pour rétablirl'opposition, il faut ou lire àetaxivxTov ou àetxivo'jv, et je choisis ce dernier.Cette opposition est une des causes légitimes de soupçonnerl'authenticité <strong>du</strong> fragment. Mais ce n'est qu'un doute, et ne pourrajamais être qu'un doute ; car qui peut déterminer ce qu'il y ad'élémentstransmis et pythagoriciens dans les doctrines platoniciennes.En fait d'histoire, les arguments internes me semblent trop dangereuxet trop arbitraires. Les faits ne peuvent être détruits comme confirmésque par des faits ; et les faits probants sont ici des témoignages : ilssont valables, tant qu'on n'a pas dé<strong>mont</strong>ré l'impossibilité qu'ils ne le


LES FRAGMENTS DE PHTLOLAUS. 251entière le domaine ' de la raison et de l'âme, l'autre dela génération et <strong>du</strong> changement; l'une est antérieure enpuissance et supérieure, l'autre postérieure et subordonnée.Le composé de ces deux choses, <strong>du</strong> divin éternellementen mouvement', et de la génération toujourschangeante, est le Monde. C'est pourquoi l'on a raisonde dire qu'il est l'énergie éternelle de Dieu et <strong>du</strong> devenirqui obéit aux lois de la nature changeante. L'un demeureéternellement dans le même état et identique àlui-même, le reste constitue le domaine de la pluralitéqui naît et qui périt. Mais cependant les choses mêmesqui périssent sauvent leur essence et leur forme, grâceà la génération, qui repro<strong>du</strong>it la forme identique à celle<strong>du</strong> père qui les a engendrées et les a façonnées '.23. * a. L'âme est intro<strong>du</strong>ite et associée au corps parle nombre, et par une harmonie à la fois immortelle etincorporelle.... L'âme chérit son corps, parce que sanslui elle ne peut sentir; mais quand la mort l'en a séparée,elle mène dans le monde (le Cosmos) une vie incorporelle.b *. Platon dit que l'âme est une essence qui se meutelle-même; Xénocrate la définit unnombre qui se meutsoient pas. Or, qu'y a-t-il d'impossible à ce que les pythagoriciensaient été les premiers & soutenir cette doctrine ?1. Vixw|ia, mot inconnu.2. Tu |ùv àti BiovToc 6cta>, jeu de mots qu'on retrouve dans le Cratyle,p. 397 d.3. On reconnaît dans Ssp.io'jp'rû qui se rencontre également danse fragm. 11 e, les formules platoniciennes : ce qui rend l'origine <strong>du</strong>fragment suspecte.4. Tiré de Claudien Ma'mert, De statu anim., II, p. 7.5. Tiré de Macrobe, Song. de Scip., I, 14.


252 LES FRAGMENTS DE PHILOLAÙS.lui-même ; Aristote l'appelle une entélécbie ; Pythagoreet Philolaùs une harmonie.c*. Philolaùs disait encore qu'il ne fallait pas se tner,parce que c'était un précepte pythagoricien qu'il ne fautpas déposer son fardeau, mais aider les autres à porterle leur; c'est-à-dire qu'il faut venir en aide à la vie, etnon s'en prendre à elle 2 .d s . Il est bon aussi de se rappeler le mot de Philolaùsle pythagoricien qui dit : les anciens théologiens et devinsattestent que c'est en punition de certaines fautesque l'àme est liée au corps et y est ensevelie comme dansun tombeau'.1. Olynspiod., od Plat. Phxdon., p. 150.2. Cf. Phxd., p, 62 b, Crat., p. 400 d, Gorg., 493, où Platon fait allusionpeut-être à Philolaùs, mais sans le nommer.3. Clément., Strom., III, p. 433. Theodor., Grxe. A(f. Curât., V,p. 821.4. Platon, dans le Gorgias, 493 a, semble désigner Philolaùs commel'auteur de cette doctrine <strong>pythagoricienne</strong> : que les vivants «ont desmorts et que le corps-est un tombeau : TOûTO âpa vt; UAI8O).OY


LES FRAGMENTS DE PHILOLAÙS. 25324. *. a. Comme l'a dit Philolaùs , il y a des raisonsplus fortes que nous.b. *. J'aurai ailleurs une autre occasion de rechercheravec plus de soin comment, en élevant un nombre aucarré, par la position des unités simples qui le composent,on arrive à des propositions évidentes, naturellementet non par la loi, comme dit Philolaùs.25. *. Anaxagore a dit que la Raison en général est lafaculté de discerner et de juger; les pythagoriciens disentégalement que c'est la Raison, non pas la raison en général,mais la Raison qui se développe en l'homme parl'étude des mathématiques, comme le disait aussi Philolaùs,et ils soutiennent que si cette Raison est capable decomprendre la nature <strong>du</strong> tout, c'est qu'elle a quelqueaffinité d'essence avec cette nature, car il est dans lanature des choses que le semblable soit compris par lesemblable.26-. *. a. Philolaùs a donc eu raison de l'appeler Décade,parce qu'elle reçoit (sé^opoi) l'infini, et Orphée del'appeler la Tige, parce qu'elle est comme la tige d'oùsortent tous les nombres comme autant de branches.»1. Tiré d'Aristot., Ethic. Eudem., II, 8, pu il traite des actes volontaires,non volontaires et forcés.2. Tiré d'Iambl., t'n Nicom. Ârithm., I, p. 25.3. 4>û


254 LES FRAGMENTS DE PHILOLAUS.b>. Philolaûs a donc eu raison d'appeler sans mère lenombre sept.c 1 . Philolaûs a donc eu raison d'appeler la Dyadel'épouse de Gronos.1. Cedrenus, t. I, p. 71.2. Cedrenus, 1.1, p. 208.


CHAPITRE QUATRIEMELES FRAGMENTSD'ARGHYTASVIE D'ARGHYTASDIOGENE DE LA.ERTK'Archytas de Tarente, fils de Mnésagoras 1 , ou d'Hestiéesi l'on en croit Aristoxène*, était lui aussi pythagoricien.Ce fut lui qui, par une lettre, sauva Platon de la mortdont le menaçait Denys. Il réunissait en sa personnetoutes les vertus, en sorte qu'objet de l'admiration de lafoule, il fut nommé sept fois stratège', malgré la loi quidéfendait qu'on exerçât plus d'un an cette magistrature.1. Diog. L., VIII, 79. Conf. A. Schmidii dissert, de Archyta Tar.lea. 1683. Bardili : de Archyta Tarentino disquisitio,dans les Nov.act.Societat. LaL Ien. 1, p. 1. Joseph Navarra: de Archyt. Tar. vita etOpp. Hanov. 1820. Bentley : Resp. ad Boyl. Egger: de Archyt. vita.Paris, 1836.2. Suid donne les variantes : Mnésarque , Mnasagète, Mnasagoras.3. Qui avait écrit sa vie, comme nous l'avons vu plus haut p. 209,Conf. Athen. XII, 12, 545, et Diog. L.. V., 25.4. Cf. iEl., But. var., VII, 14. Strab. VI. Suid. V.


256 ARCHYTAS.Platon lui a écrit deux lettres 1 , en réponse à la lettre suivantequ'Archytas lui avait le premier adressée :Archytas à Platon, salut'.C'est une chose heureuse pour toi que tu te sois relevéde ta maladie : car je l'ai appris non-seulement de toimême, mais encore de Lamiscus. Je me suis occupé dees mémoires écrits (TWV ûiwu.vap;âT(ov) s , et je suis re<strong>mont</strong>éen Lucanie où j'ai rencontré des descendants d'Ocellus.J'ai en ma possession les Traités sur la Loi et la Royauté,sur la Sainteté, sur la Genèse <strong>du</strong> Tout, et je te les envoie.Les autres n'ont pas encore pu être découverts. S'ils seretrouvent, ils te seront adressés.A cette lettre d'Archytas, Platon répondit comme ilsuit:Platon à Archytas, salut.Je suis ravi de joie d'avoir reçu les ouvrages que lum'as envoyés, et je professe une admiration infinie pourcelui qui les a écrits *. Il me semble qu'il est digne de1. Ce sont les lettres 9 et 12 dont Diogène ne repro<strong>du</strong>it que la dernière.Conf. Vincent Cantatenus : De mutuis ArchyUe et Platonis epistolisdans ses var. Lectiones IX, p. 48.2. Le texte des mss. de Diogène porte ûyiafveiv. Lucien, dans sontraité de Laps. int. salut., prétend que, d'après l'exemple de leur maîtretous les pythagoriciens, au lieu de la formule ordinaire EU itpitTuv,se servaient entre eux, dans leur correspondance, de la locutionOytafveiv.3. Ménage entend ce mot des ouvrages d'Archytas même ; ce quesembleraient confirmer les titres cités, qui sont les titres de quelquesunsde ceux d'Archytas. Mais la suite des idées ne permet guère d'acceptercette interprétation , et il est évident que l'auteur de la lettre,évidemment fabriquée par un écrivain fort ignorant, a cru ou voulufaire croire que Platon cherchait des'ouvrages d'Ocellus, qu'Archytas,son ami, étant re<strong>mont</strong>é jusqu'en Lucanie, avait eu le bonheur d'enacquérir quelque -uns de la main même des descendants d'Ocellus,et qu'il ne désespérait pas de trouver les autres.4. voû ypiij/avTos. Il est évident que la réponse de Platon est faite au


FRAGMENTS. 257de ses antiques et glorieux ancêtres, qui, dit-on, étaientMyréens, et <strong>du</strong> nombre de ces Troyens qui émigrèrentsous la con<strong>du</strong>ite de Laomédon, tous hommes de bien,comme le prouve la tradition mythique. Mes ouvragesau sujet desquels tu m'écris, ne sont pas encore dansun état de perfection suffisante ; mais je te les envoietels qu'ils sont. Nous sommes tous deux parfaitementd'accord sur la nécessité de les bien garder*. Il est doncinutile de t'en faire la recommandation. Bonne santé.Tel est le texte de ces deux lettres-Il y a eu quatre Archytas : le premier, celui dont nousvenons de parler ; le second, de Mitylène, était un musicien; le troisième a écrit sur l'agriculture ; le quatrièmeest auteur d'épigrammes. Quelques-uns en comptent uncinquième, un architecte, dont on a un livre sur la mécanique, qui commence par ces mots : Ce livre contientce que m'a enseigné Teuccr le Carthaginois. On attribueau musicien le mot suivant : on lui reprochait dene pas se faire entendre : C'est mon instrument, dit-il,qui parle pour moi 1 . Aristoxène prétend qu'Archytas lephilosophe ne fut jamais vaincu lorsqu'il commandait.mime point de vue que la lettre d'Archytas, et suppose que ce derniern'est pas l'auteur des ouvrages qu'il envoie à son ami.1. iitpl T.ï)C çuXaxï);. J'entends cette expression insuffisante et obscuresur laquelle Ménage ne se prononce pas (amplius cogitan<strong>du</strong>m, dit-il),dans le sens suivant : il faut veiller avec soin sur ces livres, non pasdans la crainte qu'ils ne se perdent, mais dans la crainte qu'ils netombent entre les mains d'un indiscret qui les publierait. C'est toujourscette fausse opinion d'un enseignement secret, dont il est faitmention dans la lettre II de Platon, p. 311 e. Conf. Lett. XIII;'. t .Vie de Platon, p. 147 sqq.2. Diogène veut dire sans doute que le musicien n'avait pas de voix,et qu'il se vantait que son instrumeut chantait et parlait pour lui.17


258 ARCHYTAS.Une fois, cédant i l'envie, il avait été obligé de se démettre<strong>du</strong> commandement, eUses concitoyens furent immédiatementdéfaits. C'est lui qui, le premier, appliquaméthodiquement les principes des mathématiques à lamécanique 1 , qui donna un mouvement organique à unefigure de géométrie', en cherchant par la section <strong>du</strong>demi-cylindre, deux moyennes proportionnelles afin dedoubler le cube*. C'est encore lui qui trouva les propriétés<strong>du</strong> cube par la géométrie', comme le dit Platon dansla République '.1. Montucla, Hittdes Maihém., 1,3, p. 145, 165. Aul. Gelle, X, 12 :Sed id quod Archytam pytfaagoricum commentum esse atque fecissetraditur, neque minus admirabile, neque lamen vanum «que videridébet. Nam et plerique nobilium Grscorum, et Favorinus pbilosophusmemoriarum veterum exsequentissimus, affirmatissime scripserunt,simulacrum columbae e liguo ab Archyta ratione quadam disciplinaquemechanica factjm, volasse : ita erat scilicet libramentis suspensum,et aura spiritus inclusa atque occulta concitum. Libet hercle super retam abhorrent) a ride, ipsius Favorini verba ponere : ApyOraç Tapavtlvoç,etXôaofO; &u.a xai |n)yavixéc &v, ix-ofaïax icsptarspàv ÇvXivnv, xrvopiviny,fitt; II irove xaéioeisv , oùxrri avlavato.2. Vitruv., Prxf. lib. IX. Reimer, Bist. problemat. de Cubi <strong>du</strong>plicaft'one.Gotting. 1798.3. Il m'est impossible de comprendre le texte de Diogène de Laêrte :xivinoiv àpyavixAv outYpâpiurei Yet0u.iTpixé)itpooV)YarE, si ce n'est commeil suit : Archytas, pour dé<strong>mont</strong>rer les théorèmes de géométrie, employale premier la méthode de révolution, laquelle fait mouvoir lesfigures géométriques comme si elles étaient des êtres organisés etvivants.4. Le cube n'est pas ici considéré comme figure, mais comme unepuissance d'un nombre. Il s'agit donc de l'application de la géométriea l'arithmétique.5. Suidas, v* 'Apxviac, et Aristote,PoKl., VH1,6, lui attribuent encorel'invention d'une crécelle pour amuser les petits enfants. 11 est touchantde voir un savant mathématicien, un grave et profond philosophe, unglorieux générai témoigner d'une préoccupation si tendre des goûtset des instincts de l'enlance. Ceux qui ont vraiment aimé les hommes,ont aimé les petits enfants.


FRAGMENTS MÉTAPHYSIQUES* 259PREMIERE CATÉGORIE "FRAGMENTS MÉTAPHYSIQUES*FRAGMENT 1.Il y a nécessairement deux principes des êtres, l'unrenfermant la série des êtres ordonnés et finis, l'autrela série des êtres désordonnés et infinis. L'une susceptibled'être exprimée par la parole, et dont on peutrendre compte, * embrasse les êtres, et en même tempsdétermine et ramène à l'ordre le non-être.Car toutes les fois qu'elle s'approche des choses <strong>du</strong>devenir, elle les amène à l'ordre et à la mesure, el lesfait participer à l'essence et à la forme de l'universel*. Au contraire la série des êtres qui se dérobent àla parole et à la raison, porte atteinte aux choses ordonnées,détruit celles qui aspirent à l'essence et audevenir ; car toutes les fois qu'elle s'approche d'elles,elle les assimile à sa propre nature.Mais puisqu'il y a deux principes des choses de genrecontraire, l'un principe <strong>du</strong> bien, l'autre principe <strong>du</strong>mal, il y a nécessairement aussi deux raisons, l'une dela nature bienfaisante, l'autre de la nature malfaisante.C'est pourquoi* et les choses qui doivent leur nais-1. Stobèe, Belog. Phys., 1,712. Heer. Meineke, 11, p. 194 <strong>du</strong> livreiceci Apx«v.-.., des Principes.2. Aéyov é/oieav, que je crois mal tra<strong>du</strong>it par ratxonis particeps.3. Je lis avec Meineke T$ au lieu de xà xefl' tXu.4. Ce 8tà TOôTO n'est justifié par rien, et semble annoncer que cemorceau est composé de plusieurs fragments juxtaposés, entre lesquelsil y a certaines lacunes. Il n'y a pas de lien entre les deux principesénoncés dans la l— partie et les quatre énoncés dans la 2*.


260 A.RCHYTASsanceà l'art et celles qui la doivent à la nature doiventavant t<strong>du</strong>t participer de ces deux principes : la forme etla substance '.La forme est la cause de l'essence ; * la substance estle substrat qui reçoit la forme. Ni la substance ne peutpar elle-même participer à la forme, ni la forme parelle-même s'appliquer à la substance ; il est donc nécessairequ'il y ait une autre cause qui meuve la substancedes choses et l'amène à la forme. Cette cause est premièreau point de vue de la puissance, et la plus excellentede toutes. Le nom qui lui convient est Dieu. Ily a donc trois principes. Dieu, la substance des choses,la forme. Dieu est l'artiste, le moteur ; la substance estla matière', le mobile; l'essence est comme l'art et ceà quoi la substance est amenée par le moteur. Maispuisque le mobile contient des forces qui lui sont contrairesà lui-même, — ce sont celles des corps simples— et que les contraires ont besoin d'un principequi établisse en eux l'harmonie et l'unité, il doit nécessairementrecevoir les vertus efficaces et les proportionsdes nombres, et tout ce qui se manifeste dansles nombres et les formes géométriques, vertus etproportions capables de lier et d'unir dans la formeles contraires qui existent dans la substance des choses.Car, par elle-même, la substance est informe : ce n'estqu'après avoir été mue vers la forme, qu'elle devientformée et reçoit le rapport rationnel de l'ordre. De1. Tâc ùaia< est ici pris pour matière.2. Alria tû TôSC TI {uev ou stuev, la quiddité aristotélique : « ùcertum quid sit res. »3. Tav ûXav.J


FRAGMENTS MÉTAPHYSIQUES. 261même, si le mouvement existe, outre la chose mue, ilfaut qu'il existe un premier moteur * : il y a donc nécessairementtrois principes, la substance des choses,la forme et le principe qui se meut soi-même, et qui estpar sa puissance le premier* ; ce principe non-seulementdoit être une intelligence: il doit être au-dessus del'intelligence, et ce qui est au-dessus de l'intelligence,nous l'appelons Dieu 1 .Il est donc évident que le rapport d'égalité s'appliqueà l'être qui peut être défini par le langage et par la raison.Le rapport d'inégalité s'applique à l'être irrationnel,et qui ne peut être fixé par le langage : c'est la substance;voilà pourquoi tout devenir et toute destructionse pro<strong>du</strong>isent dans la substance et ne se pro<strong>du</strong>isent passans elle.FRAGMENT 2*.Les philosophes, en résumé, ne commençaient quepar des principes' pour ainsi dire contraires, mais audessusde ces deux éléments ils en connaissaient unautre supérieur, comme l'atteste Philolaûs qui dit queDieu a pro<strong>du</strong>it, om


1262 ARCHYTAS.<strong>mont</strong>ré qu'à la limite se rattache toute la série qui aune plus grande affinité avec l'Un, et à l'infinité, cellequi est au-dessous. Ainsi, au-dessus des deux principesils ont placé une cause unifiante et supérieure à tout.Cette cause c'est, dit Archénète *, la cause avant lacause, ahhv *po oWaç, et, dit Philolaûs, le principeuniversel.FRAGMENT 3».De quelle unité veux-tu parler? est-ce de l'unité suprêmeou de l'unité infiniment petite qui se <strong>mont</strong>redans les parties ? En un mot, les pythagoriciens distinguentl'unité et la monade dont un grand nombre desanciens pythagoriciens ont parlé, par exemple, Archytasqui. dit : L'un et la monade ont une affinité de nature;mais cependant ils diffèrent entre eux.FRAGMENT 3 &U>*.Archytas 4 et Philolaûs donnent indifféremment à l'u-1. Bagolini le nomme Archenenis, et Boeckh propose de lire Archytas.2. Ap. Syrian., ad Ma. Art*»., XIII, 8.3. Theon. Smyrn., Arithm., p. 27.4. Stob., Ed. i?hyï., I, p. 58, répétant Plut., Plae. PMJ., I, 8 : «Pythagoredit que les principes sont d'abord la monade, qui est Dieu, etle Bien (v6o«, Plutarque donne : TOù tv60, qui est l'essence del'intelligence même; et ensuite la dyade indéfinie, qui est un démon,le mal, et qui a rapport à la quantité matérielle. > Cependant Théonde Smyrne [Arithm., p. 24) nous affirme que ce sont les pythagoricienspostérieurs qui ont usé de ces mots : la monade et la dyade.Alexandred'Aphrodise, dans Simplicius (in Aritt. Phyt., î. 104 b) dit:« Platon posa comme principes de la dyade l'Un, et le grand et lepetit. Il prétendait que la dyade indéfinie participait elle-même <strong>du</strong>grand et <strong>du</strong> petit. » Et un peu plus loin il ajoute : • Les nombres sont


FRAGMENTS MÉTAPHYSIQUES. 263nité le nom de monade, et à la monade le nom d'unité.La plupart cependant ajoutent au mot de monade, ladétermination de première monade, parce qu'il y a unemonade qui n'est pas première, et qui est postérieure àla monade en soi et à l'unité '.FRASMXtrr 3 ter'.L'âme de l'homme, dit Pythagore, est un tétragoneà angles droits. Archytas, au contraire, au lieu de donnerla définition de l'âme par le tétragone, la mettaitdans le cercle, par la raison que l'âme est ce qui semeut soi-même, et est, par une conséquence nécessaire, le premier moteur : or, le premier moteur estun cercle ou une sphère*.les principes de tous les êtres : en sorte que le principe de tout est l'Unet le grand et le petit, c'est-à-dire la dyade indéfinie; car chaqueDombre, en tant qu'il se divise et est une multitude, appartient à ladyade indéfinie. >Cf. Sext. Emp., Adv. Math., X, 249-263, qui attribue ces termes etces idées à Pythagore. Elles ne sont ni de lui ni de Platon : elles paraissentêtre nées dans l'Ecole des successeurs immédiats de Platon,qui tombaient dans le pythagorisme.1. n n'y a pas positivement de contradiction entre ces deux fragments.Il résulte seulement de là que l'emploi des mots était assezlibre, ou, pour mieux dire, encore vague. Archytas semble avoir distinguédeux sortes d'unités : l'unité suprasensible, Dieu, la cause avantla cause ; et l'unité réelle qui, enveloppant en elle l'infini, porte à troisle nombre de ses principes ; à moins qu'on ne veuille admettre quel'Unité suprême contient en soi les deux contraires <strong>du</strong> fini et de linfini,<strong>du</strong> pair et de l'impair.2. Joh. Ly<strong>du</strong>s, de Mensibus, VI, p. 21, éd. Schow.3. Claudien Mamert,' de Statu Anim., Il, 7 : « Archytas Tarentinusidemque Pythagoricus in eo opère, quod magnificum de rerum naturapro<strong>du</strong>it, post multam de numeris ulilissimam (ou subtilissimam) disputationem,• Anima, inquit, ad exemplum unius composite est, qua=« sicillocaliter dominatur in corpore, sicut unusin numeris. • Plut.,


264 ARCHYTAS.FRAGMENT 3 qvater >.Platon et Arcbytas et les autres pythagoriciens prétendentqu'il y a trois parties dans l'âme, qu'ils divisenten raison, courage et désir VPlac. Pkil., IV, 2 : « Pytbagore définissait l'âme : un nombre se mouvantlui-même. Il prend le nombre pour l'âme. » Flutarque (de Gen.Anim., I) attribue cette définition à Xénocrate. Cic. (déliât. D., I, Il :• Pythagoras.... censuitanimum esse per naturam rerum omnem intentumet eommeantem (mouvement).... ez quo nostri animi carperentur.»1. Stob., Ed. Phys., I, p. 878.2. Cic, Tusc, IV,5: « Veterem illam equidem Pythagoras primum,deinde Platonis descriptionem sequar : qui animum in<strong>du</strong>as partes divi<strong>du</strong>nt: alteram rationis participera faciunt, alteram expertem. >Plut., de Plac. Phil., IV, 4 :. Pythagore et Platon ont deux divisions.Par l'une, ils divisent l'âme en deux parties : l'une raisonnable, etl'autre irraisonnable; mais par une analyse plus attentive et plusexacte, ils la divisent en trois, subdivisant la partie irraisonnable encourage et désir. •/d., IV, 5, 13 : • Pythagore place le principe vital au cœur; le principeintellectuel et rationnel dans la tête. •Stobée (Eclog.,1,8i8) attribue à Arésas cette division de l'âme en vôo;,qui pro<strong>du</strong>it la pensée et la science; en éûpuei;, qui pro<strong>du</strong>it la puissanceet la force; en iiuéupia, qui engendre l'amour et le goût <strong>du</strong>plaisir; et (Serm., I. p. 9) il la répète comme venant des livres de la<strong>pythagoricienne</strong> Théano.Diogène de Laêrte, VIII, 30, dans son résumé de la doctrine <strong>pythagoricienne</strong>, qu'il tire probablement d'Alexandre Polyhistor, dit : « Us divisentl'âme de l'homme en trois parties : la raison, la pensée (ai çpsvic), lecourage. La raison et le courage appartiennent à tous les animaux;la pensée n'appartient qu'à l'homme. • Il résulterait de cette analyseque la raison aurait été mal distinguée de la sensation. Aristote dit, eneffet (Magn. Moral., c. n), que Platon est le premier qui ait distinguédans la connaissance, la connaissance sensible et la connaissance rationnelleet pure.Sezt. Emp. (odv. Math., VII, 92) dit que la raison, qui vient desmathématiques, et qui est capable de connaître la nature des êtres, aété pour les pythagoriciens le xpirnpiov, c'est-à-dire la source et larègle de la connaissance.


FRAGMENTS METAPHYSIQUES. 265FRAGMENT 4'.Le commencement de la connaissance des êtres, estdans les choses qui se pro<strong>du</strong>isent en eux. De ceschoses qui se pro<strong>du</strong>isent en eux, les unes sont intelligibles, les autres sont sensibles; celles qui sont in--lelligibles sont immobiles ; les autres qui sont sensiblessont mues. Le critérium des choses intelligibles estle monde, 6 xifcrjAoç 1 ; le critérium des choses sensiblesest la sensation.Des choses qui ne se manifestent pas dans les êtresmêmes, les unes sont la science, les autres l'opinion;la science est immobile, l'opinion est muable.Il faut en outre admettre ces trois choses : le sujetqui juge, l'objet qui est jugé, la règle d'après laquellecet objet est jugé. Ce qui juge, est l'esprit (5 vooç ), oula sensation; ce qui est jugé , est l'essence rationnelle,(SXôYOç)'; la règle <strong>du</strong> jugement est l'acte même qui se1. Stob., Ed., I, p. 722.2. Jacobs conjecture, au Heu de x6au.o(, qu'il faut lire 4 vôoç, quirépond mieux à oitsenoic. Mais la leçon ordinaire, qu'Orelli et Meinekene peuvent digérer, suivant le mot d'Hartenstein, s'explique cependantpar la théorie <strong>pythagoricienne</strong>. Le monde est le principe et la règlede la connaissance, parce qu'en dehors de lui il n'y a nul ordre, nulledétermination, nul nombre, nulle fin, et que la connaissance est toutcela. V. Boeckb, Phild., p. 49.3. C'est <strong>du</strong> moins ce que j'entends par le mot 4 Xéyoc, qui reçoitdans la phrase suivante un sens nécessairement différent ; car ici il estl'objet <strong>du</strong>jugement : émxpivtt 4 voo; xov >6YOV; et une ligne plus bas,il en est le sujet : xepi vorjxtôv o«veû»ivat 4 Xoyoc. Je croirais volontiersaune fausse leçon.'Hartenstein entend par xè xpivoptvov, non l'objet<strong>du</strong> jugement, mais le jugement même, abstraction faite de son sujet etde son objet, le jugement logique, qui se diviserait naturellement enjugements ayant rapport aux choses intelligibles, et jugements ayantrapport aux choses sensibles.


266 ARCHYTAS..pro<strong>du</strong>it dans l'être', qui est ou intelligible ou sensible.L'esprit est juge de l'essence , soit qu'il se porte vers unêtre intelligible, soit qu'il se porte vers un être sensible.Lorsque la raison recherche les choses intelligibles,elle se porte vers l'élément intelligible ; quand elle rechercheles choses sensibles, elle se porte vers l'élément<strong>du</strong>s choses sensibles. Voilà d'où viennent cesfausses représentations graphiques dans les figures etdans les nombres qu'on voit en géométrie, ces recherchessur les causes et les fins probables, qui ontpour objet les êtres sujets au devenir et les actesmoraux, et qu'on poursuit dans la physiologie etdans la politique. C'est en se portant vers l'élémentintelligible que la raison connaît que l'harmonie 1 estdans le rapport double; mais ce fait que le rapportdouble est consonnant ne nous est attesté que par lasensation. Dans la mécanique , la science a pour objetdes figures, des nombres, des proportions, c'est-à-diredes éléments rationnels; les effets sont perçus par lasensation : car on ne peut les étudier et les connaîtreen dehors de la matière et <strong>du</strong> mouvement. En un mot,il est impossible de connaître le pourquoi, 5i4 T( , d'unechose indivi<strong>du</strong>elle, si l'on n'a pas d'abord saisi par l'espritl'essence de la chose indivi<strong>du</strong>elle. w tt éVct ixao-nw.La connaissance de l'existence, art tm, et de la qualité,OOTCO; fyit, appartient à la raison et à la sensation : à laraison, toutes les fois que nous exposons la démonstrationd'une chose par un syllogisme qui conclut néecst.En effet, la réalité même, la nature des choses, est ta vraie mesurede la connaissance,î. C'est, comme on sait, le nom grec de l'octave.


FRAGMENTS MÉTAPHYSIQUES. 867sairement ; à la sensation, toutes les fois que nousfaisons attester l'essence d'une chose par la sensation '.FRAGMENT 5 3 .La sensation se pro<strong>du</strong>it dans le corps, la raison dansl'âme. L'une est le principe des êtres sensibles, l'autrele principe des êtres intelligibles. Car la multitude apour mesure le nombre, la longueur, le pied, la pesanteuret l'équilibre, la balance ; la règle et la mesurede la rectitude dans le sens vertical comme dans le senslongitudinal, c'est l'angle droit.Ainsi la sensation est le principe et la mesure descorps; la raison, le principe et la mesure des êtres intelligibles.L'une est le principe des êtres intelligibles etpremiers par nature ; l'autre, le principe des chosessensibles et secondes par nature. Car la raison est leprincipe de notre âme ; la sensation, le principe de notre1. *Oxa èKi|utpTvpcâ|ie8a T&V Xévov Suc T5î attrOtunoe. On pourrait entendreencore : toutes les fois que la sensation vient fournir son témoignageà la raison. Le mot XOYO; est fréquemment employé dans cepassage, et souvent avec des sens très-divers. L'emploi <strong>du</strong> mot syllogisme,inconnu, dans sa forme substantive et son sens logique et technique,même A Platon, les quatre causes d'Aristote qui se présentent iciavec ses propres formules, prouvent évidemment l'origine postérieure<strong>du</strong> fragment.2. Ce fragment est composé de deux extraits tirés, l'un de Stobée(Ed. Phys., I, 784) ; le second, à partir des mots Aioxep dSv Sic, empruntéà l'ouvrage d'Iamblique, intitulé Ilepi XOIVTJ; u.atn)u., se trouvedans les Ànecdola grxca de Villoison, t. II, p. 199. Cette dernièrepartie n'est presque que la repro<strong>du</strong>ction littérale d'un passage de laRépublique de Platon (1. VI, 509-511). Dans Stobée comme dans Iamblique,l'ouvrage d'Archytas, d'où le fragment est extrait, porte le titreidentique : De la raison et delà sensation, dont l'objet, suivant Iamblique,était • de distinguer les critérium des êtres, et d'établir quel estle critérium le plus propre des mathématiques. »


268 ARCHYTAS.corps. ' L'esprit est le juge des objets les plus nobles ;la sensation, des plus utiles. La sensation a été créée envue <strong>du</strong> corps, et pour le servir ; la raison en vue del'âme, et pour y faire naître la sagesse. La raison est leprincipe de la science; la sensation,de l'opinion, SôL».L'une tire son activité des choses sensibles, l'autre deschoses intelligibles. Les objets sensibles participent aumouvement et au changement, les objets intelligiblesparticipent de l'immuabilité et de l'éternité Ml y a analogieentre la sensation et la raison : car la sensation apour objet le sensible, et le sensible se meut, change, etn'est jamais identique à lui-même : aussi, comme onpeut le voir, il devient plus et moins, meilleur et pire.La raison a pour objet l'intelligible : or l'intelligible estpar essence immobile ; c'est pourquoi on ne peut concevoirdans l'intelligible, ni plus ni moins, ni meilleur nipire ; et de même que la raison voit l'être premier et leparadigme, de même la sensation voit l'image et le second.La raison voit l'homme en soi ; la sensation voiten eux et le cercle <strong>du</strong> soleil, et les formés des objets artificiels1 . La raison est parfaitement simple et indivisible,comme l'unité et le point ; il en est de même de l'êtreintelligible.L'idée * n'est ni lu limite ni la borne <strong>du</strong> corps : elle1. Le texte, tout à fait mutilé, ne peut avoir de sens qu'en rétablissantquelques mots par pure conjecture. J'ai adopté la restitutiond'Heeren, acceptée par Heineke.2. Je suis les restitutions très-intelligentes de Meineke.3. Passage mutilé, et qu'aucune restitution n'est parvenue à rendreclair.4. Ou plutôt la forme ré cl&o;. On ne sait trop ce que vient fairecette définition de l'elSoc.


FRAGMENTS MÉTAPHYSIQUES. 269n'est que la figure de l'être, ce par quoi l'être est,tandis que la sensation a des parties et est divisible.Des êtres , les uns sont perçus par la sensation, lesautres par l'opinion, une troisième catégorie par fascience, une dernière par la raison.Les corps qui offrent de la résistance sont sensibles ;l'opinion connaît ceux qui participent aux idées, et ensont comme les images Ainsi tel homme participe del'idée d'homme , tel triangle de l'idée de triangle. Lascience a pour objet les accidents nécessaires des idées ;ainsi la géométrie a pour objet les propriétés des figures; la raison connaît les idées elles-mêmes et les principesdes sciences et de leurs objets, par exemple : lecercle, le triangle, la sphère en soi. Il y a de même ennous, dans notre âme, quatre sortes de connaissances: la pensée pure, & vooe., la science, l'opinion , lasensation : deux sont principes <strong>du</strong> savoir : ce sont lapensée et la sensation; deux en sont la fin : ce sont lascience et l'opinion.C'est toujours le semblable qui est capable de connaîtrele semblable ; la raison sait les choses intelligibles;la science, les choses connaissubles ; l'opinion, les chosesconjecturales; la sensation, les choses sensibles 1 .C'est pourquoi * il faut que la pensée s'élève deschoses sensibles aux choses conjecturales, des chosesconjecturales aux choses connaissables, des choses connuissables aux choses intelligibles ; et celui qui veutconnaître la vérité sur ces objets, doit réunir dans un1. là se termine la citation de Stobée.î. Ici commence l'extrait dTamblique.


270 ARCHYTAS.ensemble harmonieux tous ces moyens et objets de laconnaissance '. Ceci établi,' on peut se les représentersous l'image d'une ligne divisée en deux parties égales,et dont chacune de ces parties est à son tour divisée dela même manière : séparons donc ainsi le sensible, etdivisons-le en deux parties dans la même proportion ;ces deux parties se distingueront l'une par la clarté,l'autre par l'obscurité. L'une des sections <strong>du</strong> sensiblerenferme les images des choses, et celles qu'on aperçoitdans les eaux, et celles qu'on voit dans les miroirs;la seconde section représente les plantes et les animauxdont la première donne les images. L'intelligiblereçoit une division analogue où les diverses espèces desciences représentent les images : car les géomètrescommencent par établir par hypothèse l'impair et lepair, les figures, les trois espèces d'angles •, et tirentde ces hypothèses leur science ; quant aux choses ellesmêmes,ils les laissent de côté, comme s'ils les connaissaient, quoiqu'ils n'en puissent rendre compte nià eux-mêmes ni aux autres; ils emploient les chosessensibles comme images, mais ces choses ne sont vil'objet ni la fin qu'ils se proposent dans leurs rechercheset leurs raisonnements, qui ne poursuivent que le diamètreet le carré en soi. La seconde section est celle del'intelligible, objet de la dialectique : elle ne fait pas véritablementd'hypothèses : elle pose des principes d'oùelle s'élève pour arriver jusqu'à l'inconditionné, jusqu'au1. Le texte des manuscrits (TOûTO 81 evuntova noiryrô etupoûnsva &>'anVtbYv aXâetutv) me paraissant inintelligible, j'adopte la restitution deMuilach qui lit : nom «a Oecopotma.


FRAGMENTS MÉTAPHYSIQUES. 271principe universel : ensuite, par un mouvement inverse,s attachant à ce principe, elle descend jusqu'au terme<strong>du</strong> raisonnement, sans employer un objet sensible, et seservant uniquement d'idées pures. On peut aussi, parces quatre divisions, analyser les états de l'âme, et donnerle nom de Pensée au plus élevé, de Raisonnement ausecond, de Foi au troisième, d'Imagination au quatrième.FRAGMENT 6*.Archytas, tout au commencement de son livre surla Sagesse donne ces conseils : Dans toutes les choseshumaines la sagesse est aussi supérieure, que la me estsupérieure aux autres sens <strong>du</strong> corps, que l'esprit estsupérieur à l'âme, que le soleil est supérieur aux astres ;car la vue est de tous les sens celui qui étend le plusloin son action, et nous donne les idées les plus nombreuses.L'esprit, placé au rang suprême, accomplit sonopération légitime, par la raison et le raisonnement; ilest comme la me et comme la puissance * des objetsles plus nobles; le soleil est l'œil et l'âme des chosesde la nature : car c'est par lui que toutes elles sont1. Tiré d'Iamblique, rjpoTpimixiv, cap. tv, p. 39,-éd. Xiessl. Lefragment est cité par Iamblique comme emprunté à un livre d'Archytas,intitulé Ihpi o-oelac; et c'est sous ce titre que le désigne égalementPorphyre, dans son commentaire sur l'Harmonique de Ptolémée,p. 215. Stobée (Sermon., I, p. 63) nous a conservé quelques extraitsd'un ouvrage de la <strong>pythagoricienne</strong> Périctyoné, qui porte le mêmetitre et repro<strong>du</strong>it souvent le texte même d'Archytas; mais le tour etl'ordre des idées n'est pas tout à fait celui que nous rencontrons dansnotre fragment.2. Aûvaptc. C'est la théorie d'Aristote : l'esprit est en puissancel'objet même qu'il saisit et comprend, à moins qu'on n'aime mieuxvoir, dans les mots fit|a; xal 5ûvau.u;, la figure fv Sus Sûoiv, et lestra<strong>du</strong>ire ainsi : la faculté de voir.


272 ARCUYTAS.vues, engendrées, pensées; c'est par lui que es êliesqui viennent de racines ou qui viennent d'une semence *se nourrissent, se développent, et sont doués de la sensation.De tous les êtres l'homme est de beaucoup le plus sage,car il est en état de contempler les êtres, et d'acquérirde tout science et connaissance. C'est pour cela quela divinité a gravé en lui et lui a révélé le système de laparole qui s'étend à tout, système dans lequel se trou-;vent classés tous les genres de l'être*, et les significationsdes noms et des verbes. Car les sons de la voixont pour sièges déterminés, le pharynx, la bouche, lenez. De même que l'homme est naturellement organisépour pro<strong>du</strong>ire les sons, par lesquels s'expriment et seforment les noms et les verbes, de même il est naturellementdestiné à contempler les notions que renfermentles objets visibles : et telle est, suivant moi, la fin pourlaquelle l'homme est né et a été fait, et pour laquelle ila reçu de Dieu ses organes* et ses facultés.L'homme est né, il a été créé pour connaître l'essencede la nature universelle ; et la fonction de la sagesseest précisément de posséder et de contempler l'intelligencequi se manifeste dans les êtres.La sagesse n'a pas pour objet un être quelconquedéterminé, mais absolument tous les êtres, et il ne fautpas qu'elle commence à chercher les principes d'unêtre indivi<strong>du</strong>el, mais bien les principes communs à tousles êtres. La sagesse a pour objet tous les êtres, comme1. 'PitwOévTot *| yivviiBivTa.2. El&ta TOû i6vto(.


FRAGMENTS PHYSIQUES ET MATHÉMATIQUES. 273la vue a pour objet toutes les choses visibles. Voir dansleur ensemble et connaître les attributs universels detous les êtres, c'est le propre de la sagesse, et voilà commentla sagesse découvre les principes de tous lesêtres.Celui qui est capable d'analyser tous les genres, et deles ramener et de les réunir 1 , par une opérationinverse, en un seul et même principe, celui-là me paraitêtre le plus sage, le plus proche de la vérité : il sembleavoir trouvé cet observatoire sublime <strong>du</strong> haut <strong>du</strong>quel ilpourra voir Dieu, et toutes les choses qui appartiennentà la série et à l'ordre <strong>du</strong> divin : maître de cette routeroyale son esprit pourra s'élancer tout droit en avant,et arriver au bout de la carrière, en liant les principesaux fins des choses, et en connaissant que Dieu est leprincipe, le milieu, la fin de toutes les choses faitesd'après les règles de la justice et de la droite raison 1 .FRAGMENTS PHYSIQUES ET MATHÉMATIQUES.FRAGMENT 7 *.Archytas', à ce que rapporte Eudème, faisait cette1. Les manuscrits donnent auvapt6|if|


274 ARCHYTAS.question : Je me suppose placé à la limite extrême etimmobile <strong>du</strong> monde; pourrai-je ou non étendre lamain ou une baguette au dehors ? Dire que je ne le puispas, est absurde : mais si je le puis, il y a donc quelquechose en dehors <strong>du</strong> monde, soit corps, soit lieu. Et peuimporte comment nous raisonnerons : il reviendra toujourspar le même raisonnement à celte limite; il s'yposera toujours, et demandera encore :y a-t-il quelqu'autrechose sur quoi puisse porter la baguette? alorsévidemment l'infini existe. Si c'est un corps, notre propositionest dé<strong>mont</strong>rée. Est-ce un lieu? Mais le lieu estce en quoi un corps est ou pourrait être : et il faut alors,s'il existe en puissance, le placer au nombre des choseséternelles, et l'infini serait alors un corps et un lieu 1 .FRAGMENT 8*.Le propre <strong>du</strong> lieu est que toutes les autres choses sonten lui, tandis que lui-même n'est en rien. Car s'il étaitdans un lieu, il y aurait un lieu dans un lieu, et celairait à l'infini. 11 est donc nécessaire que toutes les autreschoses soient dans le lieu, et que le lieu ne soit en rien.Il est aux choses dans le même rapport que la limiteest aux choses limitées : car le lieu <strong>du</strong> monde entier estla limite de toutes les choses.1. Les pythagoriciens admettaient, cela est constant, l'infini hors<strong>du</strong> monde (Aristot., Phys., III, 4). Aristote, dit Simplicius (1. 1., f. 107),dit bien que cet argument était très-ancien : '0 ôk 'ApKrtoxéîwn; û;àpxouoTEpou (iepvT)tat voù >6YOU. • L'autorité d'Eudcme semble garantirl'authenticité sinon <strong>du</strong> texte, <strong>du</strong> moins de l'argument, qui cependant aun tour bien subtil et bien délié pour un vieux pythagoricien.2. Tiré de l'ouvrage Ihplvoû itawé;, et cité par Simplicius, in Categ.Ârittott., t. 135.


FRAGMENTS PHYSIQUES ET MATHÉMATIQUES. 375FRAGMENT 9 1 .Les uns disent que le temps est la sphère <strong>du</strong> monde :tel était le sentiment des pythagoriciens, d'après ceque rapportent ceux qui avaient sans doute enten<strong>du</strong> Archytasdonner <strong>du</strong> temps cette définition générale : Letemps est l'intervalle de la nature <strong>du</strong> tout.FRAGMENT 9 6ÏJ*.Le divin Iamblique, dans le premier livre de ses Commentairessur les Catégories, dit qu'Archytas définissaitainsi le temps : Le temps est comme le nombre <strong>du</strong> mouvement,ou en général l'intervalle de la nature <strong>du</strong> tout'.FRAGMENT 9 ter '.Il faut réunir ces deux définitions en une seule, etfaire le temps à la fois continu et discret, quoiqu'il soitplus proprement continu. C'est ainsi qu'Iamblique prétendqu'Archytas enseignait la distinction <strong>du</strong> tempsphysique et <strong>du</strong> temps psychique \... C'est ainsi <strong>du</strong>moins qu'Iamblique interprétait Archytas; mais ilfaut reconnaître que là et souvent ailleurs, il ajoutebeaucoup dans son commentaire afin de faciliter l'intelligencedes choses '. ,1. Cité par Simplicius, tn Phys. Aristt., t. 165 a.2. Simplicius repro<strong>du</strong>it dans le même ouvrage (f. 186 b), mais d'aprèsIamblique, cette même définition qu'il fait précéder d'une autretout aristotélique, qu'il attribue également à Archytas (f. 129 b).3. C'est-à-dire le principe de distinction, de discrétion.4. Simplicius affirme (tn Phys., 186 a) que le pythagoricien Archytasest le premier philosophe connu qui ait cherché à définir l'essence<strong>du</strong> temps. La doctrine des pythagoriciens, qui ramenaient lesintervalles à des rapports numériques, permet de considérer ce fragmentcomme authentique.b. Tov é/uxtMv.6. Ce double temps s'explique, disait-on, par le double infini, l'un


876 ARCHYTAS.FRAGMENT 10 'Le quand, et le temps, ont en général pour essencepropre d'être indivisibles et insubstantiels. Car le tempsprésent, étant indivisible, s'est écoulé en même tempsqu'on l'exprime et qu'on le pense : il n'en subsiste plusrien; devenant continuellement le même, il ne subsistejamais numériquement, mais seulement spécifiquement.En effet le temps actuellement présent et le futurne sont pas identiques au temps antérieur. Car l'un estécoulé et n'est plus; l'autre s'écoule en même tempsqu'il est pro<strong>du</strong>it et est pensé. Et ainsi le présent n'estjamais qu'un lien : il devient, change et périt perpétuellement; mais il reste cependant identique en sonespèce.En effet, tout présent est sans parties et indivisible :c'est le terme <strong>du</strong> temps passé, le commencement <strong>du</strong>temps à venir : de même que dans une ligne brisée, lepoint où se pro<strong>du</strong>it la brisure devient le commencementd'une ligne et la fin de l'autre. Le temps est continu, etnon point discret comme le sont le nombre, Ja parole,l'harmonie.sensible, l'autre intelligible /.qu'admettaient les pythagoriciens (Simplic,t'n Phyt., 104 b). Mais Aristote (Phys., 111,4), disant que les pythagoriciensmettent l'infini parmi les choses sensibles, — ce qui nes'accorde guère d'ailleurs avec son interprétation <strong>du</strong> pythagorisme,contenue dans la Métaphysique, l, 5, — ne justifie pas cette opinion del'opposilion de deux infinis. Toutefois, ou semble apercevoir l'idéeque l'espace et le temps sont, en tant que notions pures, infinis; et que,en tant que réalisés dans des choses qui coexistent ou se succèdent,ils rentrent dans la catégorie <strong>du</strong> fini.1. Simplicius, in Phys., f. 1*86 a, et m Caleo., f. 130 b, avec peu dechangement. On retrouve dans ce fragment suspect toute la théoried'Aristote sur la nature <strong>du</strong> temps (Phys., IV, 14-20).


FRAGMENTS PHYSIQUES ET MATHÉMATIQUES. 277Dans, la parole, les syllabes sont des parties, et desparties distinctes; dans l'harmonie ce sont les sons;dans le nombre, les unités. La ligne, l'endroit, le lieusont des continus : en effet si on les divise, leurs partiesforment des sections communes. Car la ligne se diviseen points; la surface en lignes; le solide en surfaces.Donc le temps est continu. En effet il n'y avait pas denature, quand le temps n'était pas; il n'y avait pas demouvement, quand le présent n'était pas. Mais le présenta toujours été, il sera toujours, et ne fera jamaisdéfaut; il change perpétuellement et devient autre suivantle nombre, mais reste le même selon l'espèce. Laligne diffère des autres continus, en ce que si l'on divisela ligne, l'endroit et le lieu, les parties en subsistent :mais dans le temps, le passé a péri; le futur périra.C'est pourquoi ou le temps n'est absolument pas, ou ilest à peine et n'a qu'une existence insensible. Car de sesparties l'une, le passé, n'est plus, l'avenir n'est pas encore;comment le présent sans parties, et indivisiblepourrait-il avoir une vraie réalité * îFRAGMENT 11*.Platon dit que le mouvement est le grand et le petit,le non-être, l'inégal, et tout ce qui revient à ces mêmescaractères : il vaut mieux dire comme Archytas, quec'est une cause '.1. Il suffit de lire les chap. nv-xx <strong>du</strong> IV* livre de la Physique d'Aristotepour rejeter avec toute certitude ce fragment qui en repro<strong>du</strong>it etles idées et les expressions.2. Tiré d'Eudème, dans Simplicius, in Phys., f. 98 b.3. Les pythagoriciens s'étaient sans doute occupés <strong>du</strong> mouvement,puisqu'au dire d'Aristote (Met., I, 7), Sialéyowat xai Ttpaypa- .


278 ARCHYTAS.FRAGMENT 12'Pourquoi tous les corps naturels prennent-ils la formesphériqueî Est-ce, comme le disait Archytas, parce quedans le mouvement naturel se trouve la proportion del'égalité? car tout se meut avec proportion; et cette proportionde l'égalité est la seule * qui, lorsqu'elle se pro<strong>du</strong>it,engendre des cercles et des sphères, parce qu'ellerevient sur elle-même.FRAGMENT 13*.Celui qui sait dpit avoir appris d'un autre ou trouvéseul ce qu'il sait. La science qu'on apprend d'un autre,est,pour ainsi dire, extérieure: ce qu'on trouve seul, nousappartient à nous-mêmes et en propre. Trouver sanschercher est chose difficile et rare ; trouver ce qu'oncherche est commode et facile ; ignorer et chercher (cequ'on ignore), est impossible *.Ttûovrat vrtpl fûatùt rce>ra. Mais leurs principes ne l'expliquaientguère, comme le leur reproche Aristote. S'il faut en croire Eudème(Simpl., «n Phys., 98 b), les pythagoriciens, comme Platon, lé ramenaienta l'infini. Dans ce cas, Archytas se sera écarté des principes del'École.1. Arist., Probl., XVI, 9.2. C'est peut-être en partant de ce principe à priori que les pythagoricienssont arrivés à leur théorie de la sphère et <strong>du</strong> mouvementsphérique. Cf. Boeckh, Phil., p. 94.3. Tiré de l'ouvrage îlep't paévmâvuv xoivov, cité par Iamblique(Villoison, Anecdot. grxc, II, p. 202). Stobée le cite également (Fient.,XLII1, 135, t. II, p. 140, Meinek.).4. Stobée lie à ce fragment une suite de réflexions morales, quin'ont pas rappoit aux principes posés, et qu'Hartenstein a placées dansune autre catégorie de fragments.


FRAGMENTS PHYSIQUES ET MATHÉMATIQUES. 279FRAGMENT 14 '.L'opinion (des pythagoriciens) sur les sciences meparait juste, et ils me semblent avoir porté un jugementexact sur l'essence de chacune d'elles. Ayant su seformer une idée juste de la nature <strong>du</strong> tout, ils devaientégalement bien voir la nature essentielle des parties.De l'arithmétique, de la géométrie, de la sphérique, ilsnous ont laissé des théories certaines et évidentes : il enest de même de la musique. Car toutes ces sciences paraissentêtre sœurs : en effet les deux premiers genresde l'être reviennent l'un sur l'autre *.FRAGMENT 15 *.Les premières lignes repro<strong>du</strong>isent presque textuellementle fragment précédent :L'opinion (des pythagoriciens) sur les sciences mesemble juste, et ils ont porté un jugement exact surchacune. Ayant su se former une idée juste de la nature<strong>du</strong> tout, ils devaient bien voir aussi la nature essentielledes parties. Sur la vitesse des mouvements des astres,sur leurs levers et leurs couchers, ils nous ont laisséune science, ainsi que sur la géométrie, l'arithmétiqueet de même sur la musique : car ces sciences paraissentêtre sœurs.1. Tiré de Nicomaque, Institut, arithmet., I, 3, p. 70, éd. Ast.2. Tàv 4vap. Math.,tom., III,p. 236-238, Oxford, 1699.


280 ARCHYTAS.D'abord ils ont vu qu'il n'était pas possible qu'il y eûtbruit, s'il ne se pro<strong>du</strong>isait un choc de corps l'uncontre l'autre : il y a choc, disaient-ils, lorsque descorps en mouvement se rencontrent et frappent l'uncontre l'autre. Les corps mus dans l'air dans une directionopposée, et ceux qui sont mus avec une vitesse inégale(il faut sous-entendre dans une même direction),ces derniers' lorsque ceux qui les suivent les rejoignent',pro<strong>du</strong>isent un bruit, parce qu'ils sont frappés. Beaucoupde ces bruits ne sont pas susceptibles d'être perçus parnos organes : les uns à cause de la faiblesse <strong>du</strong> choc,les autres à cause de leur trop grand éloignement denous, quelques-uns par l'excès même de leur intensité :car les bruits trop grands ne s'intro<strong>du</strong>isent pas dansnos oreilles, comme on ne peut rien faire entrer dansles vases à goulot étroit, quand on veut y verser trop àla fois.De ceux qui tombent sous la prise de nos sens, lesuns — ce sont ceux qui nous parviennent rapidementdes corps choqués — paraissent.aigus; ceux qui nousarrivent lentement et faiblement, paraissent graves. Eneffet,si quelqu'un agile un objet lentement*et faiblement,le choc pro<strong>du</strong>it un son grave : s'il l'agite vivement etfortement, il est aigu. Ce n'est pas la seule preuve de cefait, dont nous pouvons nous assurer encore quandnous parlons et chantons : quand nous voulons parlerfort et haut, nous employons une grande force de1. Le texte de Mûllach et d'Orelli diffère sensiblement de celuid'Hartenstein.2. NuSpûc, leçon d'Etienne dans les Opuscula Aristot. et Theophrosti,Paris, 1557, p. 80; au lieu de op0û;, que donnent OreliietMûllach, et de topvpûc, que donne Wallis.


FRAGMENTS PHYSIQUES ET MATHÉMATIQUES. 281souffle. Il en est ici comme des traits qu'on lance : sion les lance fort, ils vont loin ; si on les lance sans force,ils tombent près, car l'air cède plus aux corps mus d'unmouvement fort, et moins à ceux mus d'un mouvementfaible. Ce phénomène se repro<strong>du</strong>it également dans lessons de la voix : car les sons pro<strong>du</strong>its par un souffleénergique sont aigus, ceux qui sont pro<strong>du</strong>its par unsouffle faible sont faibles et graves. Nous pouvons encorereconnaiirc la vérité de cette observation dans laforce <strong>du</strong> signal donné d'un lieu quelconque ' : si onprononce fort, nous l'entendons de loin, si on prononcele même signal bas, nous ne l'entendons pas même deprès. Et encore dans les flûtes, le souffle poussé de labouche et qui se présente aux trous les plus voisins del'embouchure, pro<strong>du</strong>it un son plus aigu, parce que laforce d'impulsion est plus grande ; plus loin, ils sontplus graves II est donc évident que la vitesse <strong>du</strong> mouvementpro<strong>du</strong>it l'acuité, la lenteur la gravité <strong>du</strong> son.La même chose se manifeste encore dans les toupiesmagiques * qu'on fait tourner dans les Mystères : cellesqui se meuvent lentement font un bruit grave r cellesqui se meuvent vite et fort font un bruit aigu. Citonsencore le roseau : si l'on bouche l'extrémité inférieureet qu'on souffle dedans, il rendra un certain son* : et sion le bouche jusqu'à la moitié ou à l'extrémité antérieure,ce sou sera aigu. Car le même souffle en parcourant un1. Le texte est altéré : Kaï TOùTO XCCTCîSOIU; Icrxvipâ) TOTCU aa\ir,u>.2. Appelées aussi


282 ARCHVTAS.plus long espace s'affaiblit, et en en parcourant un pluscourt reste fort. Et après avoirr-développé cette opinion,que le mouvement de la voix est mesuré par des intervalles,il résume sa discussion, en disant : que les sonsaigus soient le résultat d'un mouvement plus vite, lessons graves, d'un mouvement plus lent, c'est un faitque de nombreuses expériences nous rendent évident.FRAGMENT 15 OIS*.Eudoxus et Archytas ont cm que la raison des symphonies' était dans les nombres ; ils s'accordent àpenser que ces raisons consistent dans les mouvements :le mouvement aigu étant vite, parce que l'agitation del'air est continue et la vibration plus rapide; le mouvementgrave étant lent, parce qu'il est plus calme *.FRAGMENT 16'.Archytas s'expliquant sur les moyens, écrit ceci :Il y a dans la musique trois moyens : le premier est lemoyen arithmétique, le second est le moyen géométrique, le troisième est le moyen subcontraire qu'onappelle harmonique 5 . Le moyen est arithmétique lors-1. Tiré de Théon de Smyrne, de Music., éd. Bouillaud, p. 94.2. Des sons qui sont entre eux dans un rapport consonnant.3. Nicom. (Art'tnm., 1.1., p. 70), comme on l'a vu, cite ce fragment,en le faisant précéder de ces mots : > Archytas de Tarenteau commencementde son traité d'harmonie, dit à peu près : oûtw «ù; î.éyct. • Porphyrel'amène par ces mots : • Comparons maintenant la théorie d'Archytasle pythagoricien, dont les écrits passent en généra! pour êtreauthentiques. » On voit que si le fond de la doctrine est pythagoricien,le texte de la rédaction pourrait bien appartenir à un auteur plus récent.4. Tiré de Porphyre, tn Ploient. Harm., p. 267.5. Cf. Boeclth. Phifol., p. 84. Iambl. (m Nicom., p. 141) dit que le


FRAGMENTS DE MORALE. 283que les trois termes sont dans un rapport analogued'excédant, c'est-à-dire tels que la quantité dont le premiersurpasse le second soit précisément celle dont lesecond surpasse le troisième ' ; dans cette proportion, ilse trouve que le rapport des plus grands termes estplus petit, le rapport des plus petits plus grand *. Il y amoyen géométrique lorsque le premier terme est ausecond comme le second est au troisième * ; ici le rapportdes plus grands est identique au rapport des pluspetits termes. Le moyen subcontraire que nous appelonsharmonique existe lorsque le premier terme dépasse lesecond d'une fraction de lui-même, identique à la fractionde lui-même dont le second dépasse le troisième :dans cette proportion * le rapport des plus grands termesest plus grand, celui des plus petits, plus petit '.FRAGMENTS DE MORALE.FRAGMENT 17*.1. Il faut savoir d'abord que l'homme de bien ' n'est pasnom d'harmonique a été donné à cette proportion par Arcbytas et Hippasus.1. Proportion par différence : 6:4 :2, où l'on a 2 pour différence de6 à 4, comme de 4 à 2.2. En effet, { = 1 = 1+1l = } = 2, plus grand que 1 +' {.3. Proposition par quotient, où l'on a les rapports { = f.4. Soit 12, 8, 6.12 = 8 + 4 8 = 6 + 24=" 2-|5. En effet, -rr = ! + T5 = 1 + {, plus petit que 1 + \.6. Cité par Stobée, Sermon., I, p. 12, et tiré de l'ouvrage de Stobée :De l'homme de bien et heureux.7. Ce fragment, qui contient la preuve que l'auteur a connu les dé-


284 ARCHYTAS.nécessairement par cela même heureux, mais quel'homme heureux est nécessairement un homme debien : car l'homme heureux est celui qui mérite deséloges et des-félicit3tions; l'homme de bien ne mériteque des éloges.On loue un homme à cause de sa vertu; on le féliciteà cause de ses succès. L'homme de bien est tel à causedes biens qui viennent de la vertu ; l'homme heureuxest tel à cause des biens qui viennent de la fortune. Onne peut enlever à l'homme de bien sa vertu : il arriveà l'homme heureux de perdre son bonheur. La puissancede la vertu ne dépend de personne, celle <strong>du</strong> bonheur,au contraire, est dépendante. Les longues maladies, laperte de nos sens tenent la fleur de notre bonheur*.2. Dieu diffère de l'homme de bien en ce que Dieu,non-seulement possède une vertu parfaite 1 , pure detoute affection mortelle, mais jouit d'une vertu dont lapuissance est indéfectible, indépendante, comme il convientà la majesté et à la magnificence de ses œuvres.L'homme, au contraire, non-seulement possède unevertu inférieure, à cause de la constitution mortelle desa nature; mais encore tantôt par l'abondance mêmedes biens, tantôt par la force de l'habitude', par le vicefinitions <strong>du</strong> bien et <strong>du</strong> mal des stoïciens et des épicuriens, et où Aristoteest largement misa contribution, est évidemment apocryphe.1. Cette distinction, soutenue par les péripatéticiens contre lesstoïciens, et marquée par les termes subtilement opposés d'tacuvETor,et de u.axapi


FRAGMENTS DE MORALE. 285de la nature, par d'autres causes encore, il est incapabled'atteindre à la vraie perfection <strong>du</strong> bien.3. L'homme de bien, suivant moi, est celui qui saitagir comme il faut dans les circonstances et les occasionsgraves : il saura donc bien porter la bonne et la mauvaisefortune; dans une condition brillante et glorieuse,il se <strong>mont</strong>rera digne d'elle, et si la fortune vient àchanger, il saura accepter comme il faut son sort actuel.Pour exprimer ma pensée brièvement et la résumer,l'homme de bien est celui qui, en toute occasion etsuivant les circonstances, joue bien son rôle et sait nonseulementbien se disposer à cela lui-même, mais ydisposer aussi ceux qui ont confiance en lui et sont associésà sa vie. ,4. Puisque parmi les biens les uns sont désirablespour eux-mêmes et non pour autre chose, les autressont désirables pour autre chose et non pour eux-mêmes,il doit y avoir nécessairement une troisième espèce debiens, qui sont à la fois désirables pour eux-mêmes etpour autre chose '. Quels sont donc ces biens 2 qui sontnaturellement désirables pour eux-mêmes et non pourautre chose? 11 est évident que c'est le bonheur; carc'est la fin en vue de laquelle nous recherchons toutechose, tandis que nous le recherchons uniquement pourlui-même et non en vue de rien autre. En second lieu,quels sont les biens qu'on choisit pour une autre chose1. Cette division commune aux péripatéticiens et aux stoïciens, setrouve dans Aristote [Elhic. Nie, I, 5). Zeller, sur ce passage, prétendqu'Aristote l'a emprunté aux pythagoriciens : ce qui est difficile à admettre.2. Les manuscrits donnent vivo» 5v, qu'on ne peut construire. Jelis, avec atullach, riva.


1286 ARCHTTAS.et non pour eux-mêmes? Il est évident que ce sont ceuxqui sont utiles ' et qui sont les moyens de nous procurer* les vrais biens, qui deviennent ainsi les causes desbiens en soi désirables : par exemple les fatigues corporelles,les exercices, les épreuves qui nous procurent lasanté ; la lecture, la méditation, l'étude qui nous procurentla vertu et les qualités de l'honnête homme '. Enfin,quels sont les biens qui sont à la fois désirables poureux-mêmes et pour autre chose? Ce sont les vertus et lapossession habituelle des vertus, les résolutions de rame,les actions et, en un mot, tout ce qui tient à l'essence<strong>du</strong> beau. Ainsi donc ce qui est à désirer pour lui-mêmeet non pour autre chose, c'est là le seul, l'unique bien.Maintenant ce qu'on recherche et pour lui-même et pourautre chose se divise en trois classes : l'une qui a pourobjet l'Ame; l'autre le corps; la troisième les choses extérieures*. La première comprend les vertus de l'Ame,la seconde les avantages <strong>du</strong> corps, la troisième les amis,la gloire, l'honneur, la richesse. Il en est de même desbiens qui ne sont désirables que pour autre chose : unepartie d'entre eux procure des biens à l'Ame ; l'autre, quiconcerne le corps, des biens au corps ; les biens <strong>du</strong> dehorsnous fournissent la richesse, la gloire, l'honneur,l'amitié. Que c'est le propre de la vertu d'être désirablepour elle-même, on peut le prouver comme il suit : en1. C'est-à-dire qui ont un rapport à une fin.2. Hartenstein donne itpoctiprnxd avec les manuscrits, mais ce mots'explique mal. Canter lit itouitixâ, qui présente à peu près la mêmeidée que napexTixd, préféré par Mullach.3. Tûv xotXûv. "4. Cette division ternaire se retrouve littéralement dans Aristote(Elftic. Nie., I, 8).


FRAGMENTS DE MORALE. 287effet si les biens naturellement inférieurs, je parle deceux <strong>du</strong> corps, sont recherchés par nous pour euxmêmes,et si l'Ame est meilleure que le corps, il est évidentque nous aimons les biens de l'âme pour euxmêmeset non pour les effets qu'ils peuvent pro<strong>du</strong>ire.5. Il y a dans la vie humaine trois circonstances : cellede la prospérité, celle de l'adversité et une intermédiaire.Puisque l'homme de bien qui possède la vertu etla pratique, la met en pratique dans ces trois circonstances,à savoir : ou dans l'adversité, ou dans la prospérité,ou dans une situation intermédiaire ; puisqu'enoutre dans l'adversité il est malheureux, dans la prospérité,il est heureux, dans l'état mixte il n'est pas heureux; — il est évident que le bonheur n'est autrechose que l'usage de la vertu dans la prospérité '. Jeparle ici <strong>du</strong> bonheur de l'homme. L'homme n'est passeulement une âme ; c'est aussi un corps : l'être vivantest un composé des deux, et l'homme également; car sile corps est un instrument de l'âme, il est aussi unepartie de l'homme, comme l'âme. C'est pourquoi, parmiles biens, les uns appartiennent à l'homme, les autresaux parties qui le composent. Le bien de l'homme estle bonheur; — parmi ses parties intégrantes, l'âme apour biens la prudence, le courage, la justice, la tempérance;le corps a la beauté, la santé, la bonne dispositiondes'membres, l'état parfait de ses sens 1 . Les biens1. C'est la définition même rapportée à Aristote par Stobée (Ed.,II, 70) : xpïr>i; àpetij; iv Bitp TEXMW, et parDiogcne de Laërte (VI, 1,30) dans les mêmes termes. Aristote lui-même (Ethie. Nie, I, 9) estmoins affirmatif.2. Ce sont à peu près les mêmes termes et les mêmes classificationsque celles que Stobée extrait des platoniciens (II, 60) : notera


288 ARCHYTAS.externes sont la richesse, la gloire, l'honneur, la noblesse,naturellement avantages de surcroît de l'homme,et naturellement subordonnés aux biens supérieurs.Les biens inférieurs servent de satellites aux bienssupérieurs : l'amitié, la gloire, la richesse, sont les satellites<strong>du</strong> corps et l'âme ; la santé, la force, la perfectiondes sens sont les satellites de l'âme ; la prudence, lecourage, la tempérance, la justice, sont les satellites dela raison de l'âme; la raison est le satellite de Dieu :celui-ci est le Tout-Puissant, le maître suprême. C'estpour ces biens que les autres doivent exister ; car l'arméeobéit au général, les matelots au pilote, le mondeà Dieu, l'âme à la raison, la vie heureuse à la prudence.Car la prudence n'est autre chose que la science de lavie heureuse, ou la science des biens qui appartiennentà la nature de l'homme.6. A Dieu appartiennent le bonheur et la vie parfaite :l'homme ne peut posséder qu'un ensemble delà science,de la vertu et de la prospérité formant comme un seulcorps 1 . J'appelle sagesse, oo


FRAGMENTS DE MORALE. 289partie irrationnelle de l'âme, qui nous fait donner le nomde certaines qualités correspondantes à nos mœurs, c'està-direles noms de libéraux, de justes, de tempérants;et j'appelle prospérité cette affluence des biens qui nousarrivent sans la raison, et sans que la raison en soitcause '. Puis donc que la vertu et la science dépendentde nous, et que la prospérité n'en dépend pas, puisque lebonheur consiste dans la contemplation et la pratiquedes belles choses, et que la contemplation et l'action,quand elles rencontrent des obstacles, nous prêtent unappui nécessaire, quand elles vont par une route facile,nous apportent la distraction et le bonheur; puisqu'enfinc'est la prospérité qui nous donne ces bienfaits, il estévident que le bonheur n'est pas autre chose que l'usagede la vertu dans la prospérité.7. L'honnête homme est dans ses rapports avec la prospérité*, comme un homme d'un corps sain et robuste :car lui aussi est eu état de supporter le chaud et lefroid, de soulever un grand fardeau et d'en<strong>du</strong>rer facilementbeaucoup d'autres misères.8. Puis donc que le bonheur est l'usage de la vertudans la prospérité, parlons de la vertu et de la prospérité,et d'abord de la prospérité. Des biens, les uns nesont pas susceptibles d'excès, par exemple la vertu ; caril n'y a jamais d'excès dans la vertu, et on n'est jamaistrop homme de bien ; la vertu, en effet, a pour mesure1. Le pythagoricien Théagès, dont Hartenstein, par une singulièreinadvertance, qui ne serait pas pardonnée à un Français, a fait la <strong>pythagoricienne</strong>Théago, définit la vertu : l'harmonie des parties irrationnellesde l'âme aveola partie raisonnable. (Stob., Sertn., A, p. 27,Mein.)2. EÙToxio». Le sens semblerait exiger àruxCav.19


290 ARCHYTAS.le devoir et est l'habitude <strong>du</strong> devoir dans la vie pratique'. La prospérité peut pécher par excès et par défaut;cet excès engendre certains maux, il fait sortirl'homme de son assiette naturelle, de façon à le mettredans un état contraire à la vertu ; et il en est ainsi nonseulementde la prospérité, mais d'autres causes plusnombreuses encore pro<strong>du</strong>isent cet effet. Il ne faut doncpas s'étonner de voir dans l'Aulétique certains artistesimpudents, négligeant l'art véritable, sé<strong>du</strong>ire par unefausse image les ignorants ; mais croit-on que cette racen'existe pas en ce qui concerne la vertu? Au contraire,plus la vertu est grande et belle, plus il y a de gens quifeignent de s'en parer. Il y a en effet bien des chosesqui déshonorent l'apparence de la vertu-: l'une est larace des gens faux qui la simulent; les autres sont lespassions de la nature qui l'accompagnent, et parfoisploient en sens contraire les dispositions de l'âme;d'autres encore sont les mauvaises habitudes que lecorps a enracinées ou qu'ont déposées en nous la jeunesse,ou la vieillesse, ou la prospérité, ou l'adversité,ou, mille autres circonstances. De sorte qu'il ne faut pas<strong>du</strong> tout s'étonner si on juge quelquefois tout de travers,parce que la vraie nature de l'âme a été faussée en nous.De même que nous voyons un artiste, qui parait excellent,se tromper dans les ouvrages exposés à nos yeux ;et de même le général, le pilote, le peintre et tous lesautres en général, se peuvent tromper, sans que pourcela nous leur enlevions le talent acquis; de même ilne faut pas compter parmi les malhonnêtes gens celui' 1. Le même Theagès, cité plus haut, définit aussi la vertu : Ifc


FRAGMENTS DE MORALE. 291qui a eu un instant de faiblesse, ni parmi les honnêtesgens celui qui a fait une seule bonne action; mais il fauttenir compte pour les méchants <strong>du</strong> hasard, pour lesbons de l'erreur, et pour porter un jugement équitableet juste, ne pas regarder une seule circonstance ni uneseule période de temps, mais la vie tout entière ».De même que le corps souffre et de l'excès et <strong>du</strong> défaut,mais que cependant l'excès et ce qu'on appelle lessuperfluités engendrent naturellement de plus grandesmaladies ; de même l'âme souffre et de la prospérité etde l'adversité quand elles arrivent à contre-temps, etcependant les maux les plus grands lui viennent de cequ'on appelle une prospérité absolue, parce que, semblableau vin, elle jette dans l'ivresse la raison deshonnêtes gens.9. C'est pour cela que ce n'est pas l'adversité mais laprospérité qu'il est le plus difficile de supporter comme ilfaut. Tous les hommes,' quand ils sont dans l'adversité,pour la plupart <strong>du</strong> moins, paraissent être modérés etmodestes ; et dans la bonne fortune, ambitieux, orgueilleux,superbes. Car l'adversité sait rabattre l'âme et laramener en elle-même; la prospérité, au contraire,l'élève et l'enfle; c'est pourquoi tous les misérables sontdociles aux conseils et prudents de con<strong>du</strong>ite, le gensheureux sont hardis et aventureux.10. Il y a donc une mesure, une limite de prospérité :c'est celle que l'honnête homme doit désirer avoir pourauxiliaire dans l'accomplissement de ses actions; demême qu'il y a une mesure à la grandeur <strong>du</strong> navire, et1. C'est le mot charmant et si connu d'Aristote : un seul beau jour,ou la première hirondelle ne fait pas le printemps. (Elhic. Sic, 1,6.)


292 ARCHYTAS.à la longueur <strong>du</strong> gouvernail : c'est celle qui permet aupilote expérimenté de traverser une immense éten<strong>du</strong>ede mer, et de mener à bonne (in un grand voyage.L'excès de la prospérité fait que, même chez les honnêtesgens, l'âme n'est pas la maîtresse, mais au contraireque la prospérité est la maîtresse de l'âme : de mêmequ'une trop vive lumière éblouit les yeux, de mêmeune prospérité trop grande éblouit la raison de l'âme-En voilà assez sur la prospérité.FRAGMENT 18'.Je soutiens que la vertu est suffisante pour ne pasêtre malheureux, que la méchanceté est suffisantepour empêcher d'être heureux, si nous savons bien juger<strong>du</strong> véritable état de l'âme dans ces deux conditions ;car nécessairement le méchant est toujours malheureux,qu'il soit dans l'abondance * — car il sait mal en user,— ou qu'il soit dans l'indigence; comme un aveugle esttoujours aveugle, qu'il soit dans la clarté et la lumière,ou dans l'obscurité. Mais l'homme de bien n'est pastoujours heureux : car ce n'est pas la possession de lavertu qui constitue le bonheur, c'est l'usage qu'on enfait; en effet, celui qui a la vue ne voit pas toujours : sila lumière ne l'éclairé pas, il ne verra pas.Deux chemins sont comme percés dans la vie : l'unplus rude, que suivit le patient Ulysse, l'autre plusagréable où marcha Nestor : je dis que la vertu désiie1. Tiré de Stob. (Sera., 1,70) sous le titre : 'Ex roû irepi itaiosOaiw:*,erxtK. (Mem., 1.1, p. 28.)2. Expression assez étrange, aVrt IXTJ ûXav.


FRAGMENTS DE MORALE. 293l'un, mais peut aussi suivre l'autre. Mais la nature criebien haut que le bonheur c'est la vie en soi désirable etdont l'état est assuré, parce qu'on y peut réaliser sesdesseins, en sorte que si la vie est traversée par deschoses qu'on n'a pas désirées, on n'est pas heureuzsansêtre cependant absolument malheureux '. Qu'on n'aitdonc pas la hardiesse de soutenir que l'homme de bienest exempt de la maladie, de la souffrance; qu'on n'osepas dire qu'il ne connaît pas la douleur * ; car si nouslaissons quelques causes de douleur au corps, nous endevons laisser aussi à l'âme. Les chagrins des insenséssont dépourvus de raison et de mesure; tandisque ceuz des sages sont renfermés dans la mesure quela raison donne à toute chose ' ; mais cette insensibilitétant vantée* énerve le caractère de générosité de lavertu, quand elle brave les épreuves, les grandes douleurs,quand elle s'est exposée à la mort, à la souffrance,à la pauvreté; car il est facile de supporter les petitsmalheurs. Il faut donc pratiquer la mèiriopathie, de manièreà éviter l'insensibilité comme la trop grande sensibilitéà la douleur, et ne pas enfler en paroles notreforce au-dessus de la mesure de la nature humaine '.1. 'Q«te & |j.9|îMT)T


294 ARCHYTAS.FRAGMENT 19'On peut dire que la <strong>philosophie</strong> est le désir de savoiret de comprendre les choses elles-mêmes, uni àla vertu pratique, inspirée par l'amour de la science etréalisée par elle. Le commencement de la <strong>philosophie</strong>est la science de la nature; le milieu, la vie pratique;le terme, la science même. C'est une chance heureused'être bien né, d'avoir reçu une bonne é<strong>du</strong>cation,d'avoir été habitué à obéir à une règle juste, et d'avoirdes mœurs conformes à la nature. Il faut en outre avoirété exercé à la "Vertu, avoir été entre les mains de parents,de gouverneurs, de maîtres sages. Il est beau des'imposer aussi à soi-même la règle <strong>du</strong> devoir, de n'avoirpas besoin d'une contrainte, d'être docile à ceuxqui nous donnent de bons conseils en ce qui concernela vie et la science. Car une heureuse disposition de lanature, une bonne é<strong>du</strong>cation, sont souvent plus puissantesque les leçons pour nous con<strong>du</strong>ire au bien : il n'ymanqueque la lumière efficacede la raison, que lasciencenous donne 1 . 11 y a deux directions rivales de la vie quise disputent la préférence : la vie pratique et la vie philosophique*.La plus parfaite de beaucoup est celle quiles réunit toutes deux et, dans chaque voie différente, seprête et s'harmonise aux circonstances. Nous sommesnés pour une activité rationnelle, que nous appelons1. Extrait de Stob., Serm. Append., t. IV,- p. 206. Mein. e ms.Flor. Joan. Damascii, sous le titre : 'Ex TOO Ttipl naiSeûa-euc ^Six?);.2. Au lieu de TOV h. Tci6rjTTJ «nia-ràVa, que donnent les manuscritset Hartenstein, je lis, avec Meinekc, TOV ivrOnui ssci7vâu.a.3. Ce sont manifestement ici des distinctions empruntées a l'Ecolepéripatéticienne.


FRAGMENTS DE MORALE. 295pratique. La raison pratique nous con<strong>du</strong>it à la politique;la raison théorique, à la contemplation de l'universalitédes choses. L'esprit lui-même, qui est universel, embrasseces deux puissances nécessaires au bonheur, quenous définissons l'activité de la vertu dans la prospérité ;ce n'est exclusivement ni une vie pratique qui exclurait lascience, ni une vie spéculative qui exclurait la pratique.La raison parfaite incline vers ces deux principes toutpuissants,pour lesquels l'homme est né, le principe dela société et le principe de la science; car si ces principesopposés paraissent dans leur développement sechoquer l'un contre l'autre, les principes politiques détournantde la politique, les principes spéculatifs détournantde la spéculation pour nous persuader devivre dans le repos, néanmoins la nature rapprochantles ans de ces deux mouvements nous les <strong>mont</strong>re unisen un seul ; car les vertus ne sont pas contradictoires etantipathiques les unes aux autres : nulle harmonie n'estplus harmonieuse que l'harmonie des vertus. Si l'homme,dès sa jeunesse, s'est soumis aux principes des vertus età la loi divine de l'harmonie <strong>du</strong> monde, il mènera unevie d'un cours facile ; et si, par son propre penchant, ilincline vers le mal, et qu'il ait le bonheur de rencontrerdes guides meilleurs, il pourra, rectifiant sa course,arriver au bonheur, comme des passagers favorisés parle sort achèvent une heureuse traversée, grâce au pilote;et l'heureuse traversée de la vie, c'est le bonheur.Mais s'il ne peut connaître par lui-même ses vrais intérêts,s'il n'a pas la chance de rencontrer des directeursprudents, qu'importe qu'il ait d'immenses trésors; carl'insensé, eût-il pour lui toutes les autres chances, est.


296 ARCITYTAS.éternellement malheureux. Et puisqu'en toute chose ilfaut avant tout considérer la fin — (c'est ce que font lespilotes qui ont toujours présent à l'esprit le port où ilsdoivent faire aborder le vaisseau, les cochers qui onttoujours l'œil sur le terme de la course, les archers etles frondeurs qui regardent le but — car c'est le but, oùdoivent concourir tous leurs efforts), jl faut nécessairementque la vertu se propose un certain but, un certainobjet, qui soit comme l'art de vivre ; et c'est le nomque je lui donne dans les deux directions qu'elle peutprendre. Ce but, c'est, pour la vie pratique, le meilleur ;pour la vie philosophique', le bien parfait, que les sages,dans les affaires humaines, appellent le bonheur. Ceuxqui sont dans la misère ne sont pas capables déjuger <strong>du</strong>bonheur suivant des idées exactes, et ceux qui ne le voientpas clairement ne sauraient le choisir. Ceux qui placentle souverain bien dans le plaisir en sont punis par lafolie, ceux qui recherchent avant tout l'absence de ladouleur, reçoivent aussi leur châtiment, et pour toutdire en un mot, c'est s'exposer à tous les tourbillons dela tempête que de mettre le bonheur de la vie dans lesjouissances <strong>du</strong> corps ou dans un état de l'âme où ellene réfléchit plus. Us ne sont pas beaucoup plus heureux,ceux qui suppriment le Beau moral, en écartant toutediscussion, toute réflexion à ce sujet, et recherchant, enles honorant comme le beau même, le plaisir, l'absencede la douleur, les jouissances physiques primitives etsimples*, les inclinations irréfléchies <strong>du</strong> corp3 comme1. J'ajoute ici avec Gaisford au texte TW &i Bu» le mot çsXooôe»qui me semble comme à lui nécessaire au sens.2. Ce sont ici les épicuriens qui sont mis à profit et pris à partie


FRAGMENTS DE MORALE. 297de l'âme ; car ils commettent une double laute, en rabaissantle bien de l'âme et ses fonctions supérieures auniveau de celui <strong>du</strong> corps, et en élevant le bien <strong>du</strong> corpsau haut degré que doit occuper la jouissance de l'âme.Par un discernement exact de ces biens, il faut mesurerà l'élément divin et à la nature, à chacun sa part.Pour eux, ils n'observent pas ce rapport de dignité <strong>du</strong>meilleur au moins bon. Mais nous le faisons, nous, endisant que si le corps est l'organe de l'âme, la raison estle guide de l'âme tout entière, la maîtresse <strong>du</strong> .corps,celte tente de l'âme, et que tous les autres avantagesphysiques ne doivent servir que d'instruments h l'activitéintellectuelle, si l'on veut qu'elle soit parfaite enpuissance, en <strong>du</strong>rée, en richesse'.FRAGMENT 20*.Voici quelles sont les conditions les plus importantespour devenir un homme sage : d'abord, il faut avoirreçu <strong>du</strong> sort un esprit doué de facilité à comprendre,de mémoire et ami <strong>du</strong> travail; il faut ensuiteexercer son intelligence, dès la jeunesse, par la pratiquede l'argumentation, par les études mathématiques et lessciences exactes*. Puis on doit étudier la saine <strong>philosophie</strong>; après quoi on peut aborder la connaissance desdieux, des lois et de la vie humaine. Car il y a deuxmoyens d'arriver à cet état qu'on appelle la sagesse :l'un est d'acquérir l'habitude <strong>du</strong> travail intellectuel et le1. Tout ce morceau est omis dans la collection de MùTlach.2. Extrait de Stob., Serm., 3, 76, t. I, p. 85. Mein. : T2x toû xepàvSsOc ivaOoû xal Eû8a(u.ovoç.3. Kxt'àxp(6tiav Siupfat;.


298 ARCHVTAS.goût <strong>du</strong> savoir; l'autre est de chercher à voir beaucoupde choses, de se mêler fréquemment aux affaires et deles connaître, soit directement et- par soi-même, soitpar quelqu'autre moyen. Car ni celui qui, dès sa jeunesse,a exercé sa raison par les raisonnements dialectiques,les études mathématiques et les sciences exactes,n'est encore apte à la sagesse, ni celui qui a négligé cestravaux et n'a fait qu'écouter les autres et se plongerdans les affaires. L'un est devenu aveugle, quand ils'agit de juger des faits particuliers; l'autre, quand ils'agit de saisir le général. De même que dans les calculs,c'est en combinant les parties qu'on peut obtenir letout ; de même, dans la pratique des affaires, la raisonpeut bien vaguement ébaucher la formule, générale;mais l'expérience seule peut nous permettre de saisirles détails et les faits indivi<strong>du</strong>els.FRAGMENT 21*.La vieillesse est dans le même rapport 1 à la jeunesse.La jeunesse rend les hommes énergiques, la vieillesseles rend prudents; elle ne laisse jamais échapperpar imprudence une pensée; elle réfléchit sur ce qu'ellea fait; elle considère mûrement ce qu'elle doit faire,afin que cette comparaison de l'avenir avec le présentet <strong>du</strong> présent avec l'avenir lui permette de bien se con<strong>du</strong>ire.Elle applique au passé la mémoire, au présent lasensation, à l'avenir la prévoyance; car notre mémoire1. Extrait de Stob., 115, 27, t. IV, p. 75, Main., <strong>du</strong> même ouvrageque le fragment précédent.2. Dont on a parlé précédemment, dans une partie de l'ouTrage quiest per<strong>du</strong>e.


FRAGMENTS POLITIQUES. 299a toujours pour objet le passé, la prévoyance l'avenir,la sensation le présent. Il faut donc que celui qui veutmener une vie honnête et belle ait non-seulement dessens, de la mémoire, mais encore de la prévoyance.FRAGMENTS POLITIQUES.FRAGMENT 22*.l.Aux lois 5 des méchants et des athées s'opposentles lois non écrites des dieux, qui infligent des maux etdes châtiments terribles à ceux qui ne leur obéissentpas. Ce sont ces lois divines qui ont engendré et qui dirigentles lois et les maximes écrites qui sont donnéesaux hommes.2 5 . La loi est, par rapport à l'âme et à la vie del'homme, ce que l'harmonie est par rapport à l'ouïe età la voix ; car la loi instruit l'âme, et par là règle la vie,comme l'harmonie, en faisant l'é<strong>du</strong>cation de l'oreille,règle la voix. Toute société, suivant moi, est composéede celui qui commande, de celui qui est commandé eten troisième lieu des ' lois» Parmi les lois, l'une est vivante,c'est le roi; l'autre est inanimée, c'est la lettreécrite. La loi est donc l'essentiel ; c'est par elle que le roi* est légitime, que le magistrat est régulièrement institué,que celui qui est commandé conserve sa liberté, que laï. Extrait de Stobée, 43, 120, t. II, p. 135, Mein.; sans titre. — Lefragment 1 appartient probablement, comme les suivants, à l'ouvrageintitulé ITepi véuou xal Sixaioovvi);. Il forme le n* 24 dans la collectiond'Hartenstein.1. J'ai ajouté au texte de Gaisford et de Meineke le mot vépot;,comme Mûllach.3. Extrait de Stob., 43, 132, t. II, p. 136, Mein., <strong>du</strong> même ouvrage.


300 ARCHYTAS.communauté tout entière est heureuse. Quand elle estviolée, le roi n'est plus qu'un tyran, le magistrat estsans droit, celui qui est commandé tombe en esclavage,la communauté tout entière dans le malheur. Les acteshumains sont comme un tissu mêlé et formé <strong>du</strong> commandement,<strong>du</strong> devoir, de l'obéissance et de la forcecapable de vaincre la résistance. Le commandementappartient essentiellement au meilleur; être commandéest le fait de l'inférieur : la force appartient à tousdeux ; car la partie raisonnable de l'âme commande etla partie irrationnelle est commandée : toutes les deuxont la force de vaincre'les passions. C'est de la coopérationharmonieuse de ces deux parties que naît la vertu,qui, en la détournant des plaisirs et des tristesses, con<strong>du</strong>itl'âme au repos et à l'apathie '.3'. Il faut que la loi soit conforme à la nature, qu'elleexerce une puissance effective sur les choses et soit utileà la communauté politique; car si l'un de ces caractères,ou deux, ou tous lui manquent, ce n'est plusune loi, ou <strong>du</strong> moins ce n'est plus une loi parfaite. Elleest conforme à la nature, si elle est l'image <strong>du</strong> droitnaturel, qui se proportionne, et attribue à chacun suivantson mérite; elle est puissante, si elle est en harmonieavec les hommes qui lui doivent être soumis;car il y a beaucoup de gens qui ne sont pas aptes à recevoirce qui est par nature le premier des biens, etqui ne sont en état de pratiquer que le bien qui est en1. L'absence de douleurs. C'est le mot et l'idée stoïcienne, que nousavons vus plus baut critiqués.2. Extrait de Stob., 43, 138, t. II, p. 136, Meineke. Même titre que lefragment précédent.


FRAGMENTS POLITIQUES. 301rapport avec eux et possible pour eux * ; car c'est ainsique les gens malades et souffrants doivent être soignés.La loi est utile à la société politique, si elle n'est pasmonarchique, si elle ne constitue pas des privilèges, sielle est faite dans l'intérêt de tous, et s'impose égalementà tous. Il faut aussi que la loi ait égard aux payset aux lieux, car tous les sols ne sont pas en état dedonner les mêmes fruits, ni toutes les âmes humaines lesmêmes vertus. C'est pourquoi les uns fondent le droitaristocratique, les autres le droit démocratique, lesautres le droit oligarchique. Le droit aristocratique,fondé sur la proportion subcontraire, est le plus juste,car cette proportion donne aux plus grands termes lesplus grands rapports et aux plus petits termes les pluspetits rapports. Le droit démocratique est fondé sur laproportion géométrique, dans laquelle les rapports desgrands.et des petits sont égaux. Le droit oligarchiqueet tyrannique est fondé sur la proportion arithmétiquequi, opposée de la subcontraire, attribue aux plus petitstermes les plus grands rapports et aux plus grandstermes les plus petits rapports. Telles sont les espècesde proportions *, et l'on en aperçoit l'image dans lesconstitutions politiques et dans les familles ;• car, ou.bien les honneurs, les châtiments, les vertus sont attribuéségalement aux grands et aux petits, ou bien ilsle sont inégalement, d'après la supériorité, soit en1. Passage très-obscur.2. Tai |ùv oùv lîtai Tô; 8iavo|iâc.... Sur quoi Hartenstein : • Ideasquidem earumque imagines largimur Archytae. An Plato cum eo suaobiter communicaverit. > Quel rapport y a-t-il entre les idées de Platonet ces dilférenles formes ou espèces de proportions?


302 ARCVYTAS.vertu, soit en richesse, soit en puissance. La répartitionégale est le fait de la démocratie ; la répartition inégale,celui de l'aristocratie et de l'oligarchie.4*. La loi et la constitution la meilleure doit être uncomposé de toutes les autres constitutions et avoir quelquechose de démocratique, quelque chose d'oligarchique,quelque chose de monarchique et d'aristocratique,comme cela avait lieu à Lacédémone; car les roisy étaient l'élément monarchique, les gérantes y représentaientl'aristocratie, les éphores l'oligarchie, les générauxde la cavalerie et les jeunes hommes la démocratie.Il faut donc que la loi soit non-seulement belleet bonne, mais encore que ses différentes parties sefassent mutuellement opposition; c'est ainsi qu'elle serapuissante et <strong>du</strong>rable; et par cette opposition, j'entendsqu'une même magistrature commande et soit commandée,comme dans les sages lois de Lacédémone ; car lapuissance des rois y est balancée par les éphores, celledes éphores par les gérantes, et entre ces deux puissancesse placent les généraux de la cavalerie et lesjeunes hommes*, qui, aussitôt qu'ils voient prendre tropde prépondérance à un parti, vont se porter de l'autrecôté.Il faut que la loi statue d'abord sur ce qui concerne,les dieux, les démons, les parents, en un mot sur toutce qui est honnête et estimable; en second lieu, sur cequi est utile. Il est de l'ordre que les règlements secondairesviennent après les meilleurs et que les lois soient1. Extraite* Stob., 43, 131, t.H,p. 138, Meinek*.2. Koptt.


FRAGMENTS POLITIQUES. 303inscrites, non dans les maisons et sur les portes, maisdans les profondeurs de l'âme des citoyens. Car mêmeà Lacédémone, qui a des lois excellentes, on n'administrepas l'État par de nombreuses ordonnances écrites.La loi est utile à la communauté politique, si elle n'estpas monarchique et" n'a pas pour but un intérêt privé,si elle est utile à tous, étend à tous son obligation, etdans les châtiments vise à faire honte au coupable et àle marquer d'infamie, plutôt qu'à lui enlever ses richesses.Si, en effet, c'est par l'ignominie qu'on chercheà punir le coupable,- les citoyens s'efforcent de menerune vie plus sage et plus honnête, pour ne pas encouriile châtiment de la loi ; si c'est par les amendes pécuniaires,ils estimeront par-dessus tout les richesses,comprenant que c'est le meilleur moyen de réparerleurs fautes. Le mieux serait que l'État fût organisétout entier de telle sorte qu'il n'eût besoin en riendes étrangers, en ce qui concerne sa vertu et sa puissance,ni pour quelqu'autre cause que ce soit. De mêmeque la bonne constitution d'un corps, d'une maison,d'une armée, c'est d'avoir en soi-même et non en dehorsde soi le principe de son salut; car par là le corpsest plus vigoureux, la maison mieux ordonnée, l'armée. n'est ni mercenaire ni mal exercée. Les êtres ainsi organiséssont supérieurs aux autres; ils sont libres,affranchis de la servitude, s'ils n'ont pas besoin, pourse conserver, de beaucoup de choses, mais n'ont quepeu de besoins faciles à satisfaire. Par là l'homme vigoureuxdevient en état de porter de lourds fardeaux,l'athlète de résister au froid; car les événements et lesmalheurs exercent les hommes. L'homme tempérant,


304 ARCUYTAS.qui a mis à l'épreuve son corps et son àme, trouveagréables, toute nourriture, tout breuvage, même un litde feuilles. Celui qui a mieux aimé vivre dans les déliceset comme un sybarite, finit par dédaigner et rejeter loinde lui, même la magnificence <strong>du</strong> grand roi. Il faut doncque la loi pénètre profondément dans les âmes, dans lesmœurs des citoyens ; elle les rendra contents de leursort et donnera à chacun, suivant son mérite, ce qui luiappartient. C'est ainsi que le soleil, en parcourant lecercle <strong>du</strong> zodiaque, distribue à tout ce qui est sur laterre la génération, la nourriture; la vie, dans la mesurequi convient, et institue cette sage législation quirègle la succession des saisons. C'est pourquoi on donneà Jupifer les noms de Nô[ito«, de Neuipor,, et on appelleNoiuû; (pâtre), celui qui distribue leur nourriture auxbrebis;Vest pourquoi on appelle Nô(xot les vers chantésdes citharèdes, car ces vers méfient l'ordre dans l'âme,parce qu'ils sont chantés suivant les lois de l'harmonie,<strong>du</strong> rhythme, de la mesure, i.FRAGMENT 23*.Le vrai chef doit non-seulement avoir la scienceet la puissance de bien commander, il faut encore qu'ilaime les hommes; car il est contradictoire qu'un bergerhaïsse son troupeau et soit animé de sentimentshostiles pour ceux qu'il.élève. Il faut, en outre, qu'ilsoit légitime; c'est seulement ainsi qu'il pourra soutenirla dignité <strong>du</strong> chef. Sa science lui permettra de1. Extrait de Stob., 46, 61, t. II, p. 227, Mein.


FRAGMENTS POLITIQUES. 305bien discerner, sa puissance de punir, sa bonté de faire<strong>du</strong> bien, et la loi de tout faire suivant la raison. Le meilleurchef serait celui qui se rapprocherait le plus de laloi, car il n'agirait jamais dans son intérêt et toujoursdans l'intérêt des autres, puisque la loi n'existe paspour elle-même, mais pour ceux qui lui sont soumis.FRAGMENT 24.V. plus haut : Pragm. 22. 1.FRAGMENT 25*.L'art de réfléchir, quand on l'eut découvert, a fait cesserles dissensions et augmenter la concorde; lorsqu'on lepossède, l'orgueil de la prédominance fait place au sentimentde l'égalité. C'est par la réflexion que nous arrivonsà nous réconcilier dans les conventions à l'amiable;car c'est par elle que les pauvres reçoivent des riches,que les riches donnent aux nécessiteux, chacun ayantconfiance qu'il possède l'égalité des droits.FRAGMENT 26.La réflexion est comme une règle, qui empêcheet détourne les gens qui savent réfléchir de commettredes injustices, parce qu'elle les convainc qu'ils ne pourrontrester ignorés s'ils exécutent leurs projets; et la1. Stob.,43, 185, t. II, p. 140. Meineke met ce fragment et le suivantà la suite de celui qui forme le n' 13 dans la collection d'Hartenstein,et n'en fait qu'un seul sous le titre Depl u«4ï)|iàT»v. Hartensteinles sépare, trouvant que le commencement s'en lie mal avec lemilieu et la fin. C'est, en effet, un lien bien extérieur que celui quiforme le mot eopeéetç, qui rappelle l'èttopôvta <strong>du</strong> n* 13.20


306 ARCHYTAS.peine qui frappe ceux qui n'ont pas su s'abstenir, les faitréfléchir et les empêche de récidiver*.FRAGMENTS LOGIQUES.FRAGMENT 27*.La logique', comparée aux autres sciences, l'emportede beaucoup sur elles, et réussit mieux même quela géométrie à dé<strong>mont</strong>rer ce qu'elle se propose; là oùla démonstration géométrique échoue, la logique y arrive;et, en outre, la logique, si elle traite des genres,traite aussi des accidents <strong>du</strong> genre *.FRAGMENT 28».C'est, à mon sens, une erreur complète de soutenirqu'il y a sur. toute chose deux opinions contrairesl'une à l'autre et qui sont également vraies. Et d'abord,je considère comme impossible que, si les deux opinionssont vraies, elles soient contraires l'une à l'autre, et quele beau soit contraire au beau, le blanc au blanc. Il n'enpeut être ainsi; mais le beau et le laid, le blanc et lenoir, voilà des contraires. De même, le vrai est contraire1. Les fragments politiques n'ont rien de suspect ni dans le fond, nidans la forme. On pourrait s'étonner peut-être de la précision techniquede la classification des trois formes politiques ; mais fondée sur les propriétésessentielles des trois formes de proportions, elle s'explique, etil serait difficile qu'elle ne fût pas d'un pythagoricien.î. Extraitde Stobée.Eci. Phys., 1,4, p. 12,Mein.p.3,sousle titre'ExTûV £iaTpi6ôiv.3. Je lis >oyix4, au lieu de Ao-riorixa, qu'on pourrait d'ailleurs conserveren lui donnant le sens de logique.4. Tout ceci est peu clair, et encore on n'obtient cette obscure clartéqu'avec des hardiesses d'interprétation dangereuses, et qu'il est detoute nécessité de confesser.5. Extrait de Stob., Ed. Elh., II, 4, p. 24, Mein.


FRAGMENTS LOGIQUES. 307au faux, et l'on ne peut pas pro<strong>du</strong>ire deux opinions(contraires) ou vraies ou fausses : l'une est vraie, l'autreest fausse. Bn effet, celui qui loue l'âme de l'homme etaccuse son corps ne parle pas <strong>du</strong> même objet, à moinsqu'on ne prétende que parler <strong>du</strong> ciel, soit la mêmechose que parler de la terre. Mais non, ce sont là deuxtermes et non un seul. Que veux-je donc ici <strong>mont</strong>rer îC'est que celui qui dit que les Athéniens sont des genshabiles, de beaucoup d'esprit, et celui qui dit qu'ils nesont pas reconnaissants, ne soutiennent pas des opinionscontraires, car les contraires sont opposés l'un àl'autre sur un même objet, et ici il y a deux objets'FRAGMENT 29.Les dix notions universelles d'Archytas 1 . — D'abordtoute espèce d'art porte sur cinq choses : la matière,l'instrument, la partie, la définition, la fin. La premièrenotion, la substance, est une chose existant et subsistantpar soi-même, et n'a pas besoin d'une autre chose1. Il n'y a rien qui puisse faire suspecter ces deux fragments; et lemot d'Arislote (Jfel., I, 6), que les philosophes antérieurs à Platon nes'étaient pas occupés de dialectique ne suffit pas pour en faire rejeterl'authenticité. Ce n'est pas ici une théorie systématique : ce sont desremarques et des observations assez générales pour avoir pu être faitespar les pythagoriciens.2. On cite une édition de Venise, 1561 ou 1571, sous le titre : ArehyUedecem prxdicamenta Dom. Pitimentio Vib. interprète, dontl'existence même est mise en doute. Ce texte a été publié par Caméranus,Leips., 1564, sous le titre : 'Apxûxou oepôpevoi Séxa Xéyot «aéoXivot,sur un manuscrit donné par Bessarion à Jean Brasiator (J. Frankenstein,le premier docteur en théologie (1410) de Leipsig). CommentBessarion en était-il devenu possesseur? c'est ce qu'on ignore. Aucundes anciens ne mentionne l'ouvrage, et historiquement, comme auI oint de vue critique, on n'en peut soutenir un instant l'authenticité.


308 ARC H YT AS.pour son essence, quoiqu'elle soit soumise à la génération,en tant qu'elle est une chose qui naît; car ledivin seul est incréé et véritablement subsistant par luimême;c'est parce que les autres notions sont considéréespar rapport à la substance que celle-ci, par oppositionà elles, est dite une chose subsistant parelle-même; mais elle ne l'est pas par rapport au divin.Les neuf notions paraissent et disparaissent sans entraînerla perte <strong>du</strong> sujet, <strong>du</strong> substrat, et c'est là ce qu'on appellel'accident, l'accident universel. Car un même objet,qui devient grand ou petit selon la quantité, ne perd paspour cela sa propre nature. Ainsi, un trop bon régimedonne au corps un développement et une grosseur excessifs;la sobriété et la privation de nourriture l'amaigrissent;mais c'est toujours le même corps, le mêmesubstrat. De même encore, les hommes qui de l'enfancepassent à la jeunesse sont toujours les mêmes quant à lasubstance, et ne diffèrent que de quantité. Le mêmeobjet qui devient tantôt blanc, tantôt noir, change pourla vue de qualité', sans changer d'essence. Le mêmehomme, tantôt mon ami, tantôt mon ennemi, changedans ses dispositions et dans ce qu'on appelle la relation,mais ne change pas dans son essence; être aujourd'huià Thèbes, demain à Athènes, ne change rien à l'êtresubstantiel. De même encore, on reste aujourd'hui lemême, sans changement quant à l'essence, qu'on étaithier : le changement n'a eu lieu que dans le rapport <strong>du</strong>1. Il y a dans le texte XOHôTOTI que conservent Orelli, Hartenstein,Mûllach : c'est évidemment une erreur de copiste, amenée parle xo-.ffôtaTt de la ligne précédente. Je lis ici XOIôTBTI, ou plutôt XOôTBTI,comme plus loin.


FRAGMENTS LOGIQUES. 309temps'; l'homme qui est debout est le même qui étaitassis, il n'a changé que de situation 1 ; être en armes,être sans armes, n'est qu'un changement de possession ;celui qui frappe et qui coupe est toujours le même hommequant à l'essence, il n'a changé que d'acte ; celui quiest frappé ou coupé — ce qui appartient à la catégoriede la passion — garde, sans changement, son essence.Les différences des autres catégories sont plus claires ;celles de la qualité, de la possession, de la passion présententquelques difficultés dans les différences; car onhésite sur la question de savoir si avoir la fièvre, frissonner,se réjouir appartiennent à la catégorie de laqualité, de la possession pu de la passion. Il faut distinguer:si nous disons, c'est la fièvre, c'est le frisson,c'est la joie, nous exprimons la qualité; si nous disons, ila la fièvre, le frisson, il a de la joie, c'est la possession.La possession diffère à son tour de la passion, en ce quela possession peut se concevoir par elle-même sansl'agent. La passion est un rapport à l'agent et ne secomprend que par celui qui la pro<strong>du</strong>it; si nous disons,il est coupé ou battu, nous exprimons le patient; si nousdisons, il souffre, nous exprimons la possession.Nous disons qu'il a dix notions universelles et pas davantage',comme on peut s'en convaincre parla divisionsuivante : l'être est dans un sujet (une substance)ou n'est pas dans un sujet; celui qui n'est pas dans un1. Littéralement <strong>du</strong> quand, toô roSreAôYOU.2. Toû xtîsfloti.3. Aristote n'a jamais fixé ce nombre, qu'il ne pro<strong>du</strong>it pas toujourscomplet, comme une loi nécessaire de l'entendement. C'est une exagérationqui révèle le fanatisme d'un disciple.


310 , ARCHYTAS.sujet forme la substance ' ; celui qui est dans un sujet ouest conçu par lui-même, ou n'est pas conçu par luimême;celui qui n'est pas conçu par lui-même constituela relation, car les êtres relatifs, qui ne sont pas conçuspar eux-mêmes, mais qui amènent forcément l'idée d'unautre être, sont ce qu'on appelle les rapports, oxwstç.Ainsi, le terme de fils amène forcément la notion depère, celui d'esclave celle de maître, et de même tous lesêtres relatifs, itpdc ti, sont conçus dans un lien nécessaireavec autre chose, et non par eux-mêmes. L'être qui estconçu par soi-même ou bien est divisible, et alors ilconstitue la quantité ; ou il est indivisible, et alors ilconstitue la qualité. Les six autres notions sont pro<strong>du</strong>itespar le mélange des premières. La substance mêlée à laquantité, si elle est vue dans le lieu, constitue la catégorie<strong>du</strong> où; si elle est vue dans le temps, constitue celle <strong>du</strong>quand. Mêlée à la qualité, la substance, ou bien est activeet forme la catégorie de l'action, ou elle est passive,et forme celle de la passion. Combinée avec la relation,ou bien elle est posée dans un autre, et c'est ce qu'onappelle la situation, ou elle est attribuée à un autre, etc'est ce qu'on appelle la possession. Quant à l'ordre descatégories, la quantité est placée après la substance etavant la qualité, parce que, par une loi naturelle, toutechose qui reçoit la qualité, reçoit aussi la masse, et quec'est d'une chose ainsi déterminée' qu'on peut affirmer1. n est sujet, substrat, substance lui-même.2. C'est-à-dire que dans l'ordre logique des déterminations de l'essence,il faut, pour qu'une chose ait qualité, qu'elle soit déjà placéedans la catégorie de la quantité. Cet ordre est tout à fait étranger àAristote, qui n'en donne et n'en fait pressentir aucun, sauf pour la


FRAGMENTS LOGIQUES. 311et exprimer la qualité. A son tour, la qualité précèdela relation, parce que l'une est par soi-même, l'autrepar un rapport ; et il faut d'abord concevoir et exprimerune chose par elle-même, avant de la concevoir et del'exprimer dans un rapport. A la suite de ces universauxviennent les autres. L'action précède la passion, parcequ'elle est une force plus grande; la catégorie de la situationprécède celle de la possession, parce que être'posé est une chose plus simple qu'être attribué, et qu'onne peut concevoir une chose attribuée à une autre, sansconcevoir la première comme posée quelque part. Celuiqui est posé est aussi dans une situation, dans une situationquelconque, soit debout, soit assis, soit couché. Lepropre de la substance est de ne pas admettre le plus etle moins, — l'homme n'est pas plus animal que le chevalpar la substance, — et de ne pas admettre les contraires.Le propre de la qualité est d'admettre \ le plus et lemoins, car on dit : plus et moins blanc, plus et inoinsnoir. Le propre de la quantité, c'est d'admettre l'égal etl'inégal, car la palme n'est pas égale à l'arpent, et troisfois quatre doigts' valent la palme; cinq n'est pas égalà dix et deux fois cinq est égal à dix. Le propre de larelation est de réunir les contraires, car s'il y a un père,il y a un fils, et s'il y a un maître, il y a un esclave. Lepropre <strong>du</strong> où est d'envelopper, <strong>du</strong> quand de ne pas demeurer,de la situation d'être posé, de la possessionsubstance, qui occupe nécessairement et naturellement toujours la premièreplace dans les passages où il énumère les catégories. Hegel seula essayé d'exposer la génération à la fois logique et réelle des catégories,qui, dans son système, sont à la fois les genres de l'être et lesgénies de la pensée.1. DoOaioTou, petite palme de quatre doigts.


312 ARCHYTAS.d'être attribué. Le composé de la substance et de laquantité est antérieur au composé de la qualité ; le composéde la substance et de la qualité est à son tour antérieurà celui de la substance et de la relation. Le oùprécède le quand, par ce que le où suppose le lieu qui afixité et permanence ; le quand se rapporte au temps, etle temps, toujours en mouvement, n'a aucune fixité, etle repos est antérieur au mouvement. L'action estantérieure à la passion, la situation à la possession.1. Catégorie de la substance.La substance se divise en substance corporelle et substanceincorporelle ; la substance corporelle en corpsanimé et corps inanimé; les corps animés en corpsdoués de sensation et corps privés de sensation; lescorps doués de sensation en animaux et zoophytes, lesquelsne se divisent plus par des différences opposées '.Cependant l'animal se divise en raisonnable et irraisonnable; l'animal raisonnable en mortel et immortel; lemortel dans les subdivisions enfermées sous l'espèce,telles que homme, bœuf, cheval et le reste. Les espècesse divisent en indivi<strong>du</strong>s qui n'ont aucune valeur propre 1 .Chacune des sections que nous avons obtenues plus hautpar des divisions opposées est susceptible d'être égalementdivisée à son tour, jusqu'à ce qu'on arriveaux indivi<strong>du</strong>s indivisibles et qui ne sont d'aucun prix 9 .1. Si je comprends bien oùx àvriîiaipoûpsvov pév, cela veut direqu'on ne peut plus diviser ce genre en espèces; car c'est l'espèce quidivise le genre par des différences opposées.2. L'espèce demeure et subsiste ; les in livi<strong>du</strong>s meurent et disparaissent.3. Il n'y a ici, comme on le voit, aucune discussion sur la nature dela substance : c'est une simple partition des catégories, éclaircie par


FRAGMENTS LOGIQUES. 3132. Catégorie de la quantité.La quantité se divise en sept parties : la ligne, la surface,le corps, le lieu, le temps, le nombre, le langage.La quantité est ou continue ou discrète; il y a cinq quantitéscontinues et deux discrètes, le nombre et le langage.Dans la quantité, on distingue celle qui est composéede parties ayant position les unes par rapport auxautres *, telles que la ligne, la surface, le corps, le lieu;et celles dont leo parties n'ont pas de position, comme lenombre, le langage et le temps ; car, quoique le tempssoit une quantité continue, cependant ses parties n'ontpas de position, parce qu'il n'est pas permanent, et quece qui n'a pas de permanence ne saurait avoir de position.La quantité a donné naissance à quatre sciences :la quantité continue immobile constitue la géométrie ;mobile, l'astronomie; la quantité discrète immobileconstitue l'arithmétique; mobile, la musique.3. Catégorie de la qualité.La qualité se divise 2 en manière d'être, f;ev, et affection,SuÉOcaiv, qualité passive et passion, puissance etimpuissance, figure et forme. La manière d'être estl'affection à un état de tension énergique, c'est la perdesexemples. Ces divisions se trouvent déjà dans Porphyre, Introd.à l'Organ. d'Aristote, c. m.t. Tout ceci est tiré d'Aristote, catég. VI : « La quantité est discrèteou continue : l'une est composée de parties qui ont une position lesunes par rapport aux autres ; l'autre, de parties qui n'en ont pas. Laquantité discrète, c'est par exemple le nombre et le langage; la quantitécontinue, c'est par exemple la ligne, la surface, le corps, etc. >2. Les manuscrits donnent SiaxEÏrai, que conservent Orelli et Hartenstein.Il me parait évident, comme à MuUach, que c'est une erreurde copiste pour êiaipeîTou.


314 ARCHYTAS.manence, la fixitéprovenant delà continuité et de l'énergiede l'affection ; c'est l'affection devenue pour ainsidire la nature, une seconde nature enrichie. On appelleaussi manière d'être, les qualités que la nature nousdonne, et qui'ne viennent ni de l'affection, ni <strong>du</strong> progrèsnaturel de l'être, comme la vue et les autres sensLa qualité passive comme la passion, est accroissement,intensité, affaiblissement. On rapporte à la qualité passiveet à la passion, la colère, la haine, l'intempérance,les autres passions vicieuses, les affections maladives, lachaleur et le froid : mais tantôt on les range dans lacatégorie de la manière d'être et de l'affection, tantôtde la qualité passive et de la passion'. On peut direqu'en tant que l'affection est communicable, on peutl'appeler manière d'être ; en tant qu'elle cause une passion,on peut l'appeler qualité passive, mot qui se rapporteà sa permanence et à sa fixité. Car une modificationrenfermée dans la mesure s'appelle passion, w»8oç.Ainsi, de celui à qui elle est communiquée, la chaleurtirerait le nom de manière d'être : £;«. ; de la cause quipro<strong>du</strong>it la modification*, on dira que c'est la qualitépassive ou la puissance de la passion, comme lorsqu'ondit del'enfant : qu'il est coureur en puissance, philosopheen puissance, et, en un mot. lorsqu'à un momentdonné l'être n'a pas la force d'agir, mais qu'il estpossible qu'après une période 3 de temps écoulée cettepuissance lui appartienne. L'impuissance c'est lorsque1. Toutes ces définitions sont tirées des Catégories d'Aristote, c. vm.2 Mûllach substitue sans nécessité àXXoiuos'vTor. X la leçon des manuscritsàXXotoôvTOc.3. Je lis itEpiôîoiç au lieu de «apôôoiç, que je ne puis comprendre.


FRAGMENTS LOGIQUES. 315la nature se refuse à la possibilité d'accomplir certainsactes, comme l'homme est impuissant à voler, le chevalà parler, l'aigle à vivre dans l'eau, et toutes les impossibilitésnaturelles.On appelle figure, une conformation d'un caractèredéterminé; forme, la qualité se <strong>mont</strong>rant extérieurementpar la couleur, ou la beauté ou la laideur se <strong>mont</strong>rant àla surface par la couleur, et, en un mot, toute forme apparentedéterminée sautant aux yeux. Il y en a qui limitentla figure aux choses inanimées, et réservent laforme aux êtres vivants. Les uns disent que le mot figuredonne l'idée de la dimension de profondeur; etque la forme ne s'applique, qu'à l'apparence superficielle: mais vous avez été instruits de tout cela 1 .4. Catégorie de la relation.Les relatifs se divisent d'une manière générale enquatre classes : la nature, l'art, le hasard, la volonté.C'est une relation de nature que celle <strong>du</strong> père au fils,d'art que celle <strong>du</strong> maître au disciple, de hasard quecelle de l'esclave au maître, de volonté que celle de l'amià l'ami et de l'ennemi à l'ennemi, quoi qu'on puissedire aussi qu'elles sont toutes naturelles*.5. Catégorie <strong>du</strong> où.La division la plus simple est en six : le haut, le bas,en avant, par derrière, à droite, à gauche. Chacune deces subdivisions a des variétés : ainsi dans le haut, il y1. MsuafhôxaTc. Ce mot, comme quelques autres qu'on rencontreraplus bas, semble prouver que nous n'avons ici qu'une compilation deprofesseur, destinée à servir de canevas à des leçons.2. C'est encore la théorie d'Aristote, Car., c. vu : « Les relatifs semblenten même temps être naturels, et si cela n'est pas exact de tous,cela l'est de la plupart. >


316 ARCHYTAS.a de nombreuses différences, dans l'air, dans ies astres,jusqu'au pôle, au delà <strong>du</strong> pôle; et ces diflérences se répètentdans le bas; les lieux eux-mêmes infiniment diviséssont soumis en outre à une infinité de différences :mais ce point très-ambigu sera expliqué 1 .6. Catégorie <strong>du</strong> quand.Le quand se divise en présent, passé, futur. Le présentest indivisible, le passé se divise en neuf subdivisions,le futur en cinq : nous en avons parlé plus haut 1 .7. Catégorie de l'action.L'action se divise en acte, discours, pensée; l'actionen œuvre des mains, œuvre des broches 5 et outils, œuvredes pieds : et, chacune de ces divisions se divise ellemêmeen œuvres propres qui ont aussi leurs parties. Lelangage se divise en langue grecque, et langue barbare,et chacune de ces divisions a ses variétés, c'est-à-direses dialectes. La pensée se divise en un monde infini depensées qui ont pour objet, les unes le monde, les autres,les choses hypercosmiques. Le langage et la penséeappartiennent vraiment à l'action *, car ce sont desactes de la nature raisonnable ; en effet si on nous dit :que fait un tel ? nous répondons : il cause, il converse,il pense, il réfléchit et ainsi <strong>du</strong> reste.8. Catégorie de la passion.La passion se divise en passions de l'âme et passions <strong>du</strong>corps, et chacune en passions qui proviennent de l'ac -tion d'un autre, comme par exemple lorsque quelqu'un1 et 2. Ces mots confirment l'observation déjà faite, p. 315, n. 1.3. Ai' oëeXuv.... Hartenstein propose ingénieusement oitlwv.4. Je lis TOû noieiv oùaiv au lieu de ùnep toù.


FRAGMENTS LOGIQUES. 317est frappé; et en passions qui naissent sans l'interventionactive d'un autre, lesquelles reçoivent mille formes diverses.9. Catégorie de la situation.La situation se divise en trois : être debout, assis,couché 1 : et chaque division est à son tour subdiviséepar les (lifférences de place. Car on est debout ou surses pieds, ou sur le bout des doigts; ou le jarret ten<strong>du</strong>,ou le genou courbé ; la staiion diffère encore soit que lespas sont égaux, ou qu'ils soient inégaux ; qu'on marchesur ses deux pieds ou sur un seul. Être assis a les mêmesdifférences ; car étant assis on peut être droit, penché,renversé ; la position des genoux peut faire un angledroit ou un angle obtus; les pieds peuvent êtreposés fuu par-dessus l'autre, ou autrement. Être couchéde même : car on est couché à la renverse, la tête penchéeen avant, ou de côté, le corps éten<strong>du</strong>, ou présentantsoit une figure courbe, soit une figure angulaire.Ces divisions sont loin d'être uniformes ; elles sont aucontraire très-variées. La position est encore sujette àd'autres divisions : car un objet peut être répan<strong>du</strong>comme le blé, le sable, l'huile, l'eau, et tous les autressolides, susceptibles de position, et tous les liquides quenous connaissons. Cependant être éten<strong>du</strong> appartient àla position, comme la toile et les filets.10. Catégorie de la possession,avoir, se dit des choses qu'on met sur soi, comme sechausser, s'armer, se couvrir; des choses qu'on metdans d'autres, et on l'applique au boisseau, à la bouteille,1. Ce sont aussi les exemples d'Aristote, Calég. 7.


318 ABCHYTAS.aux autres vases : car on dit que le boisseau a de l'orge,que la bouteille a <strong>du</strong> vin; il se dit aussi de la richesse,des possessions; on dit : qu'il a de la fortune, deschamps, des bestiaux et autres choses de même nature 1 .FRAGMENT 30*.L'ordre des catégories est le suivant : au premierrang est placée la .substance, parce qu'elle seule sert de1. Conf. Arist., Catég. 15. Si nous n'avions que ce texte évidemmentfalsifié, nous n'aurions aucun doute sur la priorité d'invention et d'expositionsystématique des dix catégories. Mais Simplicius et Iamblique,en affirmant qu'Archytas en est le premier auteur, font naître dessoupçons plus justifiés, d'autant plus que le premier cite des fragmentsdétachés de l'ouvrage <strong>du</strong> pythagoricien, qu'il avait certainementsous les yeux et dont il nous fait connaître le titre : s Archytas,dit-il,— et cela dans son Commentaire sur les Catégories d'Aristote,f. 2b, — Archytas a distingué les dix notions générales premières dansle livre intitulé Hepi toû TCOCVTô; ; il a éclairci la théorie par des exemples,<strong>mont</strong>ré l'ordre dans lequel elles sont les unes par rapport auxautres, les différences spécifiques de chacune d'elles, leurs propriétéscommunes et propres.... Iamhlique, aux endroits nécessaires, a citél'ouvrage d'Archytas, a réuni avec intelligence les fragmentsdispersés,et en a fait ressortir l'accord avec la théorie d'Aristote. Les différences,— et elles ne sont pas nombreuses,—ont été mises par lui sousles yeux <strong>du</strong> lecteur.... On peut donc dire que partout Aristote n'avoulu que suivre les traces d'Archytas. > On ne peut pas nier qu'onretrouve dans Platon quelques traces des catégories; mais s'il lesavait connues dans ce développement, et avec cette précision technique,il est difficile de croire qu'il ne nous l'eût pas laissé voir. Il estcertain, <strong>du</strong> moins, qu'au temps d'Iamblique, l'ouvrage passait généralementpour être d'Archytas, et jouissait d'une grande autorité, puisquelui et Simplicius lui fout l'honneur de le comparer à celui d'Aristote;et assurément l'autorité de ces deux écrivains considérables méritequelque respect. La question est donc moins certaine qu'on ne le supposeordinairement, et il reste encore dans l'esprit <strong>du</strong> critique impartialquelques doutes très-légitimes. C'est le sentiment où persiste lesavant M. Egger et qu'il avait déjà soutenu dans sa thèse, citée plushaut, p. 192, n. 1.2. Simpl., fn Categ., f. 28 a.


FRAGMENTS LOGIQUES. 319substrat à toutes les autres, qu'on peut la concevoir seuleet par elle-même, et que les autres ne peuvent être conçuessans elle : car tous les attributs ont en elle leursujet, ou sont affirmés d'elle. La seconde est la qualité :car il est impossible qu'une chose ait une qualité sansavoir une essence.FRAGMENT 31 \Toute substance physique et sensible par sa naturemême, doit, pour être conçue par l'homme, ou bienêtre placée dans les catégories, ou être déterminée parelles, et ne peut être conçue sans elles.FRAGMENT 32*.La substance a trois différences : l'une consistedans la matière, l'autre dans la forme, la troisième dansle mixte de l'une et de l'autre sFRAGMENT 33*.Ces notions, ces catégories ont des caractères communset des caractères propres. Je dis que ce sontdes caractères communs à la substance, de ne pas recevoirle plus et le moins ; car il n'est pas possible qu'onsoit plus ou moins homme, Dieu ou plante ; de ne pasavoir de contraires; car l'homme n'est pas le contrairede l'homme, ni le Dieu d'un Dieu ; il n'est pas uon pluscontraire aux autres substances, d'être par soi, et de1. Simpl., in Categ., f. 28 b.2. Simpl., in Categ., f. 34 a.3. C'est la théorie si connue et si originale d'Aristote.4. Simpl., in Categ., f. 34 b.


320 ARCHVTAS.ne pas êlre dans un autre, comme la couleur glauqueou bleue est le propre de la substance de l'œil, puisquetoute substance est par soi. Toutes les choses qui lui appartiennentintimement, ou les accidents sont en elleou ne peuvent êlre sans elle.... à la qualité conviennentplusieurs des caractères de la substance, par exemple dene pas recevoir le plus ou moins.FRAGMENT 34'.C'est le propre de la substance de rester identiqueà elle-même, une en nombre, et d'être susceptible descontraires. La veille est contraire au sommeil, la lenteurà la vitesse, la maladie à la santé; et le mêmehomme, un numériquement, est susceptible de toutesces différences. Car il s'éveille, dort, se meut lentementou vite, est bien portant, malade, peut, en un mot,recevoir tous les contraires semblables, pourvu que cene soit pas en même temps.FRAGMENT 35*.La quantité a trois différences : l'une consiste dansla pesanteur, comme le talent; l'autre dans la grandeur,comme la double coudée ; l'autre dans la multitude,comme dix.FRAGMENT 36*.La substance est nécessairement première, ainsique ses accidents : — et c'est ainsi qu'ils sont dans un1. Simpl., m Categ., f. 43 a.2. Simpl., in Caleg., f. 48 a.3. Simpl., in Categ-, f. 58 U


FRAGMENTS LOGIQUES. 321certain rapport à autre chose ; après la substance viennentles rapports des qualités accidentelles 1 .FRAGMENT 37*.Une propriété commune qu'il. faut ajouter à laqualité, c'est d'admettre certains contraires et la privation....La relation reçoit le plus et le moins; car c'estêtre plus, que d'être plus grand et plus petit qu'une autrechose, et cependant l'être reste toujours le même ;mais tous les relatifs n'en sont pas susceptibles'; caron ne peut pas être plus ou moins père, frère, fils; paroù je n'entends pas exprimer les sentiments des deuxparents, ni quel degré de tendresse les êtres <strong>du</strong> mêmesang et les bis des mêmes parents ont les uns pour lesautres* : je veux parler uniquement de la tendresse quiest dans la nature de ces rapports.FRAGMENT 38".La qualité a certains caractères communs, parexemple, de recevoir les contraires et la privation : leplus et le moins se retrouvent dans les passions. C'estpour cela que les passions sont marquées <strong>du</strong> caractère1. Les accidents essentiels sont susceptibles de rapports; mais ilsne peuvent avoir de rapports qu'en tant qu'ils appartiennent à la substance,ouvviTcipxovTa. — Outre les accidents essentiels, il y en a d'accidentelsà la substance, èiaxtriTa, qui évidemment ne peuvent venirqu'en seconde ligne.2. Simpl., 1.1., f. 67 a.3. Le texte dit : iXXta; nier, evôv-tcov. Il me parait nécessaire de lire,comme dans la ligne précédente : «or* CO.àO itû>; ixovTwv.4. Au lieu de nor' âXXu*;, que je ne puis entendre, je lis TCOI' iX-Xr)Xu>;.5. Simpl., 1.1., f. 106 b.t — 21


322 ARCHYTAS.de l'indétermination, parce qu'elles sont dans une mesureindéterminée plus ou moins forte.FRAGMENT 39'.La relation est susceptible de conversion, et cetteconversion, est fondée ou bien sur la ressemblance,comme l'égal et le frère, ou sur la dissemblance, commele plus grand et le plus petit.... Il y a des relatifs qui nese convertissent pas, par exemple, la science et la sensation;car on dit* la science de l'intelligible, la sensation<strong>du</strong> sensible*; et la raison, c'est que l'intelligible et lesensible peuvent exister indépendamment de la scienceet de la sensation, et que la science et la sensation nepeuvent exister sans l'intelligible et le sensible.... Lepropre des relatifs, c'est d'exister simultanément les unsdans les autres, et d'être causes les uns des autres : carsi le double existe, nécessairement existe la moitié ; si lamoitié existe, nécessairement existe le double, causede la moitié, comme la moitié est cause <strong>du</strong> double.FRAGMENT kQ*.Puisque toute chose mue se meut dans un lieu,que l'action et la passion sont des mouvements en acte,il est clair qu'il faut qu'il y ait un lieu premier dans lequelsoient et l'objet agissant et l'objet patient.1. Simpl., 1. 1., f. 68 b.2. Il faut sous-en tendre : sans pouvoir renverser et convertir le»termes. Conf. Fragm. 49.3. Je lis encore ici voû aiaffrivoû au lieu de xi; sùcrUâoiot.4. Simpl., 1. t., f. 108 b.


FRAGMENTS LOGIQUES. 323FRAGMENT 41*.Le propre de l'agent est d'avoir en lui-même, lacause <strong>du</strong> mouvement ; le propre de la chose faite, <strong>du</strong>patient, est de l'avoir dans un autre. Car le statuaire aen soi la cause de faire la statue, le bronze a la cause dela modification qu'il subit, et en lui-même et dans lestatuaire. Il en est de même des passions de l'âme : caril est dans la nature de la colère qu'elle s'éveille à lasuite d'une autre chose, qu'elle soit excitée par une autrechose externe, par exemple par le mépris, le déshonneur,l'outrage : et celui qui agit ainsi envers un autre,a en lui-même la cause de son action.FRAGMENT 42*.Le degré le plus élevé de l'action est l'acte : il ya trois différences à observer dans l'acte : car ou il s'accomplitdans la contemplation des astres; ou dans lefaire, irouv, comme de guérir, de construire ; ou dansl'agir, -npiaotM, comme de commander une armée,d'administrer les affaires de l'État. L'acte a lieu mêmesans raisonnement, comme dans les animaux sans raison.Ce sont là les contraires les plus généraux.FRAGMENT 43*.La passion diffère de l'état passif; car la passionest accompagnée de sensation, comme la colère, le plait.Simpl., 1.1., f. 115 b.2. Simpl., 1.1., f. 116 b.3. Simpl., 1. 1., f. 121 b.


324 ARCBYTÀS.sir, la crainte ; tandis qu'on peut souffrir quelque chosesans sensation : par exemple la cire quand elle se fond,la-boue quand elle se sèche. De même l'œuvre faite diffèreaussi de l'état passif : car la chose faite a subi unecertaine action ; mais tout ce qui a subi une certaine action,n'est pas une chose faite : car une chose peut êtredans un état passif par suite de manque et de privation.FRAGMENT 44*.Il y a d'un côté, l'agent, de l'autre le patient ; parexemple, dans la nature, Dieu est l'être qui fait ; la matièrel'être qui souffre : les éléments sont l'un et l'autre.FRAGMENT 45*.Le propre de la possession est d'être une choseadventice, d'être une chose corporelle séparée de l'essence: ainsi la voile, les chaussures sont distinctes decelui qui les possède ; et ce ne sont pas là des propriétésnaturelles, ni des accidents essentiels, comme la couleurbleue des yeux et la raréfaction : car ce sont là deuxpropriétés incorporelles, tandis que la possession serapporte à une chose corporelle et adventice.FRAGMENT 46*.Puisque les signes et les choses signifiées ont unbut, que l'homme qui se sert de ces signes et de ceschoses signifiées, doit remplir la fonction parfaite <strong>du</strong>1. Simpl., 1.1., f. 122 b.2. Simpl., 1.1., f. 135 b.3. Simpl., 1.1., f. 140 a.


FRAGMENTS LOGIQUES. 325discours, achevons ce que nous avons dit en établissant,que l'ensemble harmonieux de toutes ces catégoriesn'appartient pas à l'homme en soi, mais à un certainhomme déterminé. Car de toute nécessité c'est unhomme déterminé et qui existe quelque part, qui a qualité,et quantité, et relation, et action, et passion, etsituation, et possession, qui est dans un lieu et dans untemps. Quant à l'homme en soi, il ne reçoit que la premièrede ces expressions : je veux dire l'essence et laforme; mais il n'a pas de qualité, il n'a pas d'âge, iln'est pas vieux, il ne fait ni ne souffre rien, il n'a pas desituation, il ne possède rien, il n'est pas dans le lieu, iln'existe pas dans le temps. Tout cela ce sont des accidentsde l'être physique et corporel, mais non de l'êtreintelligible, immobile et enfin indivisible.FRAGMENT 47'.Parmi les contraires les uns sont dits opposésl'un à l'autre par convention et par nature : ainsi le bienau mal, le malade à l'homme sain, la vérité à l'erreur;les autres comme la possession est opposée à la privation: tels que la vie et la mort, la vue et la cécité, lascience et l'ignorance; les autres comme les relatifs,ainsi le double et la moitié, celui qui commande et celuiqui est commandé, le maître et l'esclave; les autres,1. Extrait d'un autre ouvrage d'Archytas, que Simplicius intitule:ncpî àvtixtquSvwv, et dont il dit, t'n Categ., f. 141 b - « Aristote paraltcncore,dans ce chapitre sur les oppositions, avoir profité <strong>du</strong> livred'Archytas intitulé Sur les Opposés, que celui-ci n'avait pas fon<strong>du</strong> avecle Traité sur les catégories, mais dont il avait fait le sujet d'un livre àpart. Voici quelle est la division que propose Archytas : Parmi lescontraires, etc. >


326 ARCHYTAS.comme l'affirmation et la négation, comme être hommeet n'être pas homme, être honnête et ne l'être pas.FRAGMENT 48 '.Les relatifs naissent et disparaissent nécessairementsimultanément : il est impossible que le doublesoit, et que la moitié ne soit pas, ni que la moitié soitet que le double ne soit pas ; et si quelque chose devientdouble, il faut qu'en même temps la moitié devienne, etsi le double est détruit, que la moitié soit aussi détruite.•FRAGMENT 49*.Des relatifs, les uns se répondent l'un à l'autredans les deux sens : comme le plus grand, le plus petit,le frère, le semblable : les autres se répondent, mais nonpas dans les deux sens. Car on dit également la sciencede l'intelligible, et la sensation <strong>du</strong> sensible, mais on neditpasla réciproque, l'intelligible de 1a science, le sensiblede la sensation. La raison c'est que l'objet <strong>du</strong> jugementpeut exister indépendamment de celui qui juge;par exemple, le sensible peut exister sans sensation,l'intelligible sans la science ;, tandis qu'il n'est pas possibleque le sujet qui porte un jugement existe sansl'objet dont il juge : par exemple, il ne peut y avoir desensation sans objet sensible, ni de science sans objet intelligible.Des relatifs qui se répondent réciproquement,les uns se répondent indifféremment, comme le semblable,l'égal, le frère. Car celui-ci est le semblable de ce-1. SimpL, 1.1., f. 142 a.2. Simpl., 1. 1., f. 142 a.


FRAGMENTS LOGIQUES. 327lui-Ià, comme celui-là est le semblable de celui-ci, celui-ciest l'égal de celui-là, comme celui-là est l'égal decelui-ci. Il en est qui se répondent réciproquement, mais,non pas indifféremment : car celui-ci est plus grand quecelui-là, et celui-là est plus petit que celui-ci; celui-ciest le père de celui-là, et celui-là est le fils de celui-ci.FRAGMENT 50'.Ces opposés se divisent en espèces qui se tiennentles unes aux autres : car, des contraires, les uns sontsans terme moyen, &^tan, les autres en ont un. Il n'y apas de moyen terme entre la maladie et la santé, le reposet le mouvement, la veille et le sommeil, le droit et lecourbe, et les autres contraires. Mais entre le beaucoup etle peu, il y a la juste mesure ; entre l'aigu et le grave, leconsonnant; entre le rapide et le lent, l'égalité de vitesse ;entre le plus grand et le plus petit, l'égalité de mesure.Des contraires universels, il faut qu'il y en ait un qui appartienneà ce qui les reçoit : car ils n'admettent pas demoyen terme. Ainsi, il n'y a pas de moyen terme entrela santé et la maladie : tout être vivant est nécessairementou malade ou bien portant; ni entre la veille et lesommeil : il faut nécessairement que tout être vivantsoit ou éveillé ou endormi ; ni entre le repos et le mouvement: il faut nécessairement que toutêtrevivantsoitenrepos ou en mouvement. Les opposés don t ni l'un ni l'autreni l'un des deux n'appartient pas nécessairement au sujetqui les peut recevoir, ont des termes moyens : entre leblanc et le noir, il y a le fauve, et il n'est pas nécessaire1. Simpl., 1.1., 145a.


328 ARCHYTAS.qu'un animal soit ou blanc ou noir; entre le grand et lepetit, il y a l'égal, et il n'est pas nécessaire qu'un êtrevivant soit ou grand ou petit; entre le rude et le mou, ily a le doux au toucher, et il n'est pas nécessaire qu'unêtre vivant soit ou rude ou mou. Il y a dans les opposéstrois différences : les uns sont opposés comme le bienl'est au mal, par exemple la santé à la maladie; les autrescomme le mal l'est au mal, par exemple, l'avarice àla débauche; les autres, comme n'étant ni l'un ni l'autre; par exemple, comme le blanc est opposé au noir,le pesant au léger. Des opposés, les uns ont lieu dansles genres de genres'; car le bien est l'opposé <strong>du</strong> mal,et le bien est le genre des vertus, le mal celui des maux.D'autres ont lieu dans les genres des espèces; la vertuest l'opposé <strong>du</strong> vice, et la vertu est le genre de la prudenceet de la tempérance, le vice est le genre de lafolie et de la débauche. D'autres ont lieu dans les espèces:le courage est l'opposé de la lâcheté, la justice de l'injustice,et la justice et le courage sont des espèces de lavertu*, l'injustice et la débauche des espèces <strong>du</strong> vice.Les genres premiers, que nous appelons genres de genres,peuvent être divisés : les dernières espèces, qui serapprochent immédiatement de l'objet sensible, ne sauraientplus être genres et ne sont qu'espèces. Car letriangle est le genre <strong>du</strong> rectangle, de l'équilatère et <strong>du</strong>scalène.... * l'espèce <strong>du</strong> bien.... *.1. L'auteur veut parler des genres généralissimes : itpûToc elSr], ouYtvixdYtara.2. Au lieu de et Se à Stxaiooûva (tev xai àSixEa tic Apercé;, je lis :eTfir) Se Stxatocrûva xai àvSpeta.3. Toute cette Théorie est d'Aristote, catég. VI et V.4. Ce commencement de phrase n'a aucun sens.


FRAGMENTS LOGIQUES. 329FRAGMENT 51*.51. Les opposés diffèrent les uns des autres en ceque pour les uns, les contraires, il n'est pas nécessairequ'ils naissent en même temps et qu'ils disparaissent enmême temps. Car la santéest le contraire de la maladie,le repos celui <strong>du</strong> mouvement: cependant chacun d'euxne naît ni ne périt en même temps que son opposé. Lapossession et la privation de la pro<strong>du</strong>ction diffèrent enceci : c'est qu'il est dans la nature des contraires qu'onpasse de l'un & l'autre, par exemple, de la santé à la maladie,et de la maladie à la santé ; il n'en est pas ainside la possession et de la privation : de la possession onpasse bien à la privation, mais la privation ne revientpas à la possession : le vivant meurt, mais le mort nerevit jamais. En un mot,la possession* est la persistancede ce qui est suivant la nature, la privation en est le défaut,la défaillance. Les relatifs naissent et disparaissentnécessairement en même temps; car il est impossibleque le double existe, et que la moitié n'existe pas ; quela moitié existe et que le double n'existe pas: si quelquedouble vient à naître, il est impossible qu'il ne naissepas la moitié, et si quelque double est détruit, que lamoitié ne soit pas détruite. L'affirmation et la négationsont des formes de proposition, et elles expriment émP1. Simpl., 1.1., T. 151 b.2. Simplicius {ad cap. xv des Catégories d'Aristote) donne une autredéfinition d'Arcbytas : • C'est pour cela qu'Archytas, dans le passageoù il traite avec une exactitude rigoureuse <strong>du</strong> genre, dit que la possession,c'est d'être maître des attributs adventices,' XB«TYI


330 ARCHYTAS.nemment le vrai et le faux. Être homme est une propositionvraie, si la chose existe, fausse si elle n'existe pas.Il faut en dire autant delà négation : elle est vraie oufausse suivant la chose exprimée 1 .En outre, entre le bien et le mal il y a un milieu, ce -qui n'est ni bien ni mal ; entre le beaucoup et le peu,la juste mesure; entre le lent et le vile, l'égalité de vitesse; entre la possession et la privation, il n'y a pas demilieu. Car il n'y a rien entre la vie et la mort, entre lavue et la cécité. A moins qu'on ne dise que le vivant quin'est pas encore né, mais qui naît, est entre la vie et lamort, et que le petit chien qui ne voit pas encore est entrela cécité et la vue. En s'exprimant ainsi on répondpar un terme moyen accidentel, et non suivanl'la vraieet propre définition des contraires.Les relatifs ont des termes moyens : car entre le maîtreet l'esclave, il y a l'homme libre, entre le plus grandet le plus petit, il y a l'égalité ; entre le large et l'étroitla proportion convenable : on pourrait trouver de mêmeentre les autres contraires un milieu, qu'il ait ou n'aitpas de nom.Entre l'affirmation (et la négation*), il n'y a pas decontraires, par exemple, entre être homme et n'être pashomme, être musicien et n'être pas musicien. En unmot, il est nécessaire d'affirmer ou de nier. On appelleaffirmer lorsqu'on <strong>mont</strong>re de quelque chose qu'elleest un homme, par exemple, ou un cheval, ou un1. Le texte est incertain, le sens plus incertain encore. On retrouveici des redites, des puérilités, <strong>du</strong> moins apparentes car on ne peutguère juger de ces fragments ainsi détachés et isolés.2. Mot que j'ajoute pour compléter le sens.


FRAGMENTS LOGIQUES. 331attribut de ces êtres, comme de l'homme, qu'il est musicien,<strong>du</strong> cheval, qu'il est belliqueux; on appelle nier,lorsqu'on <strong>mont</strong>re de quelque chose qu'elle n'est pasquelque chose, pas homme, pas cheval, ou qu'elle n'a pasun attribut de ces êtres, par exemple, que l'homme n'estpas musicien, que le cheval n'est pas belliqueux; et,entre cette affirmation et cette négation, il n'y arien.FRAGMENT 52'.La privation et être privé est pris dans trois sens:car ou l'on n'a pas <strong>du</strong> tout la chose, comme l'aveuglen'a pas la vue, le muet la voix, l'ignorant la science ; oubien on ne l'a qu'en quelque sorte, comme l'homme qui al'oreille <strong>du</strong>re a l'ouïe, l'homme qui a les yeux maladesa la vue; ou bien on peut dire qu'en quelque sorte onne l'a pas, comme on dit d'un homme qui a les jambestorses qu'il n'a pas de jambes, d'un homme qui aune mauvaise voix, qu'il n'a pas de voix.1 Simpl., 1.1., 155 a.


APPENDICERAP PORTAL'ACADÉMIECONCOURS OUVERT DANS LA SECTION DE PHILOSOPHIEPour le Prix Victor COCSjIM


334 APPENDICE.nous restent de ses disciples immédiats, en discuter l'authenticité,en <strong>mont</strong>rer les ressemblances et les différences, en dégagerle fonds commun ;3° Rechercher l'influence que le pythagorisme a exercé surles autres systèmes philosophiques de l'antiquité grecque, particulièrementsur le platonisme et le néoplatonisme ;4° Suivre la tradition <strong>pythagoricienne</strong> à travers le moyenâge et la <strong>philosophie</strong> de la Renaissance ;5° Faire la part de la vérité et de l'erreur dans la <strong>philosophie</strong><strong>pythagoricienne</strong> ; <strong>mont</strong>rer l'influence qu'elle a eue non-seulementsur la <strong>philosophie</strong>, mais encore sur les sciences. >Évidemment il suffit de jeter les yeux sur ce programmepour reconnaître l'importance, l'attrait, mais aussi les délicatessesextrêmes, on dirait bien les embarras inextricables queprésente un semblable sujet. Dégager d'une légende qui datede plus de deux mille ans.les parcelles de vérité historique quipeuvent y être contenues, sur la base étroite et instable detextes rares, épars, mutilés, interpolés, contestés, asseoir l'expositiond'une doctrine qui appartient aux mythes presqueautant qu'aux systèmes, lui restituer néanmoins, sans riendonner à la fantaisie, sans tomber dans les anachronismes,sans la teindre de couleurs étrangères, sa physionomie propreet son caractère original ; rechercher quelle influence cette<strong>philosophie</strong> a pu exercer sur les théories les plus considérablesqu'ait enfantées l'esprit humain, et suivre à travers les sièclesle cours d'une tradition souvent interrompue, quoique sanscesse renaissante, plus encore que d'un enseignement consistantet nettement défini ; enfin, d'une main ferme à la fois etexercée séparer de l'erreur, de l'illusion, de la fable les donnéesimpérissables, qui, au souffle <strong>du</strong> temps et <strong>du</strong> génie, ont fécondétoute les parties de la connaissance humaine ; voilà en effet latâche qu'il fallait remplir pour répondre au programme quevons aviez proposé. Programme vaste, assurément, et qui étaitde nature à sé<strong>du</strong>ire autant qu'à rebuter; programme plein d'intérêtet qui répond, à n'en pas douter, aux vœux les plus chersde l'illustre M. Cousin I car pénétrer au cœur <strong>du</strong> pythagorisme,n'est-ce point pénétrer au plus intime de cette antiquité grec*


APPENDICE. 335que qui recèle dans son sein tant d'inestimables trésors? Ajoutonsd'ailleurs que les travaux innombrables que le pythagorismea déjà suscités soit à l'étranger, soit parmi nous, devenaientici, en quelque sorte, un obstacle plus encore qu'unsecours. Si erTectivement c'était une obligation étroite que deles connaître, il devenait indispensable de les dominer. L'éruditionla plus consommée n'était donc qu'une condition secondaire,quoique nécessaire, de réussite. Ce qu'exigeait principalementune pareille étude, c'était la sagacité, la rectitude,l'élévation d'esprit d'un philosophe. Aussi, et en raison desdifficultés même <strong>du</strong> sujet mis au concours, l'Académie regret-•tera sans doute, mais ne s'étonnera peut-être pas que son appel,surtout au milieu des angoisses de la patrie et de l'horreur desarmes, n'ait été que peu enten<strong>du</strong> ou écouté. Un seul mémoirea été déposé en temps utile au secrétariat de l'Institut. Heureusement,malgré d'assez graves lacunes et des imperfectionsinévitables, ce mémoire se trouve être d'un ordre supérieuret semble digne sous beaucoup de rapports, Messieurs, d'obtenirvos suffrages. Tel est <strong>du</strong> moins le sentiment auquel s'estarrêtée votre section de <strong>philosophie</strong> :Le Mémoire inscrit sous le n° 1, et qui a pour devise ce versetde lob (v. 7) : c L'homme est né pour travailler comme Voiseaupour voler, » se compose de deux volumes petit in-4°, dont lepremier comprend 268 pages et le second 289 pages d'une écritureordinaire ; le texte y est, de plus, accompagné de notesmultipliées, qui attestent le scrupule de l'auteur à ne rien avancerqu'il ne prouve, qui toutes offrent d'utiles points de repèreou de précieux éclaircissements, dont quelques-unes mêmeforment à elles seules autant de petites dissertations; qui, parleur succession, en un mot, au lieu d'être comme trop souventil arrive, une surcharge pédantesque, constituent pour toutl'ouvrage un commentaire perpétuel et lumineux.' C'est pourquoiil est impossible de n'être pas frappé dès l'abord de lasolidité de cette composition. Or, à mesure qu'on en parcourtles détails, cette première impression se fortifie, loin de s'affaiblir,et si certaines parties, traitées sans doute trop à la hâte,paraissent demander des remaniements ou des additions, on


336 APPENDICE.s'assure que l'essentiel <strong>du</strong> travail n'est point à reprendre etque l'ensemble reste satisfaisant.INous ne savons rien de certain touchant Pythagore, si cen'est qu'il a existé : le lieu et la date de sa naissance, le lieu etla date de sa mort, les événements qui ont rempli sa vie etqui l'ont terminée, les voyages qu'il a faits, les réformes qu'il aopérées ou les prodiges qu'il est censé avoir accomplis, l'organisation,le rôle, les vicissitudes suprêmes de l'Institut qu'ilavait fondé; tout est demeuré d'une obscurité impénétrable,ou devenu un thème de discussion, une légende, presque unsujet de roman. C'est avec une rare patience d'investigationque l'auteur <strong>du</strong> Mémoire n° 1 s'est appliqué à déterminer surces différents points non pas le vrai (il euttenté l'impossible),mais le vraisemblable. Après des considérations générales, relativesaux œuvres <strong>du</strong> génie grec, où il marque eu particulierla place de l'œuvre de Pythagore, il affirme de cette œuvrequ'elle fut poétique par sa forme et ses procédés d'exposition,religieuse et politique par son but, spéculative et scientifiquepar son principe et ses résultats définitifs, se posant ainsi enquelque façon un théorème dont son travail tout entier est destinéà fournir la démonstration. Il l'observe d'ailleurs justement.Pour concevoir un aussi grand dessein, sinon pour l'accomplir,i il fallait non-seulement des doctrines, des livres, des discours,mais un homme, une volonté, un caractère, dont l'ascendantpersonnel dépassât souvent de beaucoup la valeur théorique deses conceptions et de ses idées. De là l'importance, la nécessitéd'une biographie de Pythagore qu'exigerait à lui seul sonrôle de réformateur politique '. »De tous les écrits que l'antiquité avait spécialement consacrésau sage qui, le premier, décora l'université <strong>du</strong> nom de Cosmoset prononça le mot de <strong>philosophie</strong>, nous ne possédons plus que1. T. I, p. 81.


APPENDICE. 337trois bibliographies proprement dites ; ce sont celles de Dio-»gène de Laérte, de Porphyre et de Jamblique, auxquelles onjoint d'ordinaire les courts fragments d'un anonyme qu'a recueillisPbotius. L'auteur <strong>du</strong> Mémoire commence par soumettreces documents à une critique sévère, mais non point excessive,et ce n'est qu'après les avoir discutés, qu'il les emploie, en lescontrôlant ou en les complétant les uns par les autres, à tracerde la vie de Pythagore le crayon le moins imparfait quiapparemment en ait encore été donné. Aucun des textes anciens,presque aucune des dissertations des modernes, rien àpeu près de ce qui pouvait contribuer à illustrer ces biographiesn'a été par lui négligé, et il n'y a qu'à le féliciter de ses effortspour se représenter, telle qu'elle a dû être, cette existenceextraordinaire, mais si souvent transfigurée ou défigurée. Oneût désiré toutefois qu'il tint plus grand compte de Phérécydequi passe pour avoir été le maître principal et comme le prédécesseurimmédiat de Pythagore ; de même que l'on voudraitqu'il eût encore plus fortement accusé le rôle d'initiation et lecaractère théocratique qui semblent avoir appartenu au chefde l'école italique. Il y a, en effet, pour répéter de Pythagorece que disait Pascal en parlant d'Archimède : « il y a des gensd'esprit dont la grandeur est invisible aux rois, aux riches,aux capitaines > et qui cependant servent mieux la cause del'humanité que ne le font « tous ces grands de chair. » Ce sonteux qui rapprochent les peuples par la diffusion des idées plusencore que les conquérants par la violence. Tel parait avoirété le rôle de Pythagore. Homme de l'Occident, il y a apportéles lumières de l'Orient, où l'ont con<strong>du</strong>it incontestablement sesvoyages, quelque terme qu'on doive leur assigner Ce n'estpoint un pur Grec, comme Socrate, pir exemple, ou commeÉpicure, qui n'ont jamais quitté le sol de leur patrie. C'estaussi un Asiatique. Car c'est un hiérophante, un mystagogue,presque un thaumaturge, un enthousiaste, un inspiré ; c'est aumoins un ardent propagateur <strong>du</strong> régime théocratique, lequels'efforce ne me par l'artifice, d'implanter l'idée d'ordre maisd'aristocratie sur une terre de démocratie et de liberté. Ainsis'explique notamment, malgré l'admiration dont il est saisi, son22


338 APPENDICE.antipathie déclarée contre Homère, dont les poèmes ironiqueset sublimes protestent, au nom de la libre activité grecque,contre la tyrannie des Dieux. Il est probable que c'est làmême qu'il faut chercher le secret de la persécution implacablequi, dans la grande Grèce, s'éleva contre l'Institut pythagoriqueet qui alla jusqu'à l'anéantir après l'avoir dispersé.L'histoire de cet institut se trouve inséparable de l'histoiremôme de Pythagore. Aussi, l'auteur <strong>du</strong> Mémoire n° 1 n'a-t-ileu garde d'omettre d'en présenter le tableau. C'est avec l'éruditionéten<strong>du</strong>e et discrète que j'ai déjà signalée, c'est avec lemême vouloir, en un sujet tout conjectural, d'approcher de lavérité, autant que le permettent la critique des traditions etla comparaison des textes, qu'il nous expose jusque dans lesplus minutieux détails ce qu'étaient l'organisation, la constitution,les règlements de l'ordre établi par Pythagore en mêmetemps qu'il en marque expressément le caractère politique,mais plus encore le caractère moral et religieux. Et, assurément, on doit lui savoir gré de l'insistance qu'il met à fairecomme revivre sous nos yeux une réalité disparue depuis tantde siècles. Cependant, comment ne pas regretter que ce désirde restituer le passé emporte par instant hors de mesure unesprit ordinairement si juste? Ainsi, de toute évidence, ce n'estque par une exagération, qui n'est même pas exempte de bizarrerie,qu'après avoir essayé plusieurs-rapprochements ingénieux,il en vient à se figurer et se laisse aller à prétendreque l'Institut pythagorique « c'est déjà l'Église romaine*. »Quoi qu'il en soit, ce que l'Académie demandait, avant tout,c'était une étude de l'école philosophique de Pythagore, parl'étude même des fragments pythagoriciens. Or, c'est précisémentdans l'interprétation de ces textes, sinon toujours dans ladiscussion de leur authenticité, que l'auteur <strong>du</strong> Mémoire n° 1fait paraître un mérite vraiment supérieur.1. T. i, p. 113.


APPENDICE.33ÔIIPythagore a-t-il écrit? on bien l'enseignement qu'il donnaità Crotone était-il un enseignement purement oral en mêmetemps qu'essentiellement secret, de telle façon que d'infidèlesdisciples l'auraient seuls divulgué dans les ouvrages qu'on amis sous le nom de leur maître, ou qui ont paru sous leurspropres noms? Dans quelle proportion l'orphisme et le pythagorismeont-ils influé l'un sur l'autre, et quelle part convientilde leur assigner dans le mouvement des idées à dater <strong>du</strong>sixième siècle avant notre ère ? Quelles sont les compositionsrapportées à l'école de Pythagore que l'on est autorisé à considérercomme authentiques ? Ne découvre-t-on point dans lesVers d'Or, au milieu d'interpolations de provenance peut-êtrechrétienne ou <strong>du</strong> moins néqpythagorique, un fonds depythagorismeprimitif? Tandis que l'ouvrage préten<strong>du</strong> de Timée deLocres n'est qu'une pâle imitation de la manière et de la doctrine<strong>pythagoricienne</strong>s, n'y a-t-il aucun crédit à accorder auTraité <strong>du</strong> Monde par Ocellus de Lucanie? Surtout, quelle estla valeur des fragments attribués à Archytas et à Philolaus, etjusqu'à quel point peuvent-ils être éclairas par les principauxdialogues de Platon et par la Métaphysique d'Aristote? Tousces problèmes se posaient ici, ou, pour mieux dire s'imposaientcomme d'eux-mêmes. L'auteur <strong>du</strong> Mémoire les a tous résolumentabordés, et ce n'est que justice de louer le tact, le savoiravec lesquels il les a pour la plupart résolus. Néanmoins, à cetéloge se mêlent des restrictions de plus d'une sorte. En premierlieu, l'auteur n'a pas suffisamment établi l'authenticitédes fragments de Philolaus, contestée en Allemagne récemmentencore. D'un autre côté, s'il rappelle que les pythagoriciensse plaisaient à présenter leurs préceptes moraux sous la formede similitude "Opoia, il ne pro<strong>du</strong>it de cette littérature moraleaucun échantillon. Il était pourtant facile de citer, et il n'étaitguère permis d'omettre les îjioia ou Similitudes de Démophile,dont la date,quoique ancienne, est incertaine; les rvû|ui


340 APPENDICE.Xpurot ou Sentences oVor de Démocrate qui florissait vers laCX» Olympiade; les rVôpuxi ou Sentences de Secun<strong>du</strong>s quivivait sous Adrien ; tous les trois philosophes pythagoriciens,et dont Lucas Holstenius notamment a publié le texte en 1638(Romx) avec une tra<strong>du</strong>ction latine en regard. Enfin, l'auteur<strong>du</strong> Mémoire n° 1 ne s'en prendra qu'à lui-même, si nous avonsà lui adresser relativement à cette partie de son travail undernier reproche. Effectivement, en terminant l'examen desécrits pythagoriciens, il ajoute : i On ne peut et on ne doitpas juger d'ensemble la question d'authenticité. C'est par unexamen de détail, c'est par la critique des fragments pris un àun qu'on se formera une opinion précise, claire et fondée. J'aicru donc utile et même nécessaire de joindre à ce Mémoireune tra<strong>du</strong>ction des fragments d'Archytas et de l'accompagnerdes observations critiques relatives à chacun d'eux. C'est lemême travail que j'ai entrepris pour Philolaûs, quoique la monographiede M. Boeckh laisse peu de chose à faire à la critique'. > Or, on éprouve une déception presque chagrinante àne point trouver joint au Mémoire n° 1 un complément si considérable,quoique si modestement annoncé.La base d'exposition qu'a établie l'auteur n'en est pas moins,malgré tout, aussi sûre qu'on était en droit de l'espérer ; il luia même donné, si je ne m'abuse, une consistance qui ce se rencontredans aucun des travaux antérieurs dont le pythagorismea été l'objet.L'exposition elle-même, qui s'étend de la page 222 à la page268 <strong>du</strong> premier volume, et qui occupe les 182 premières pages<strong>du</strong> second volume se partage en huit divisions : 1° Le nombre;2° les éléments <strong>du</strong> nombre ; 3° le monde ; 4° le système desnombres dans le monde; 5° l'harmonie; 6° l'harmonie céleste;7° la vie <strong>du</strong> monde, les éléments, l'espace,.le temps; 8° l'âme,la science, la morale, l'art.11 ne serait guère possible d'analyser, sans les repro<strong>du</strong>irepresque intégralement, ces deux cent vingt-huit pages d'expo-1. T. I, p. 220. J'ai comblé ces lacunes et répon<strong>du</strong> à ces objectionsquand je n'ai pas pu m'y rendre.


APPENDICE. 341sition, tellement les textes originaux y ont été condensés parune main maltresse de sa matière ; si étroit est l'enchaînementqui y relie entre elles les dé<strong>du</strong>ctions, si abstruses sont lesdoctrines qu'il s'agit de mettre en pleine lumière 1 il faut lirece morceau capital.Sans doute la perfection n'y règne point d'un bout a l'autre.On s'y heurte à bien des problèmes qui attendent encore unesolution, ou parfois encore, on s'y meut péniblement à traversbien des obscurités. D'autre part, on regrette que l'auteur, cédantau naturel embarras qu'il éprouve à fixer par des termesprécis des idées vagues et fuyantes, applique trop souventen un sujet tout grec les formules <strong>du</strong> langage hégélien. Il y alà en effet disparate et anachronisme. Mais, au demeurant,quelle connaissance de certaines parties de l'antiquité ! Quelleconscience scrupuleuse dans la critique I Et comme tous leslieux communs qui ont cours sur le pytbagorisme s'évanouissentà mesure que se déploie cette savante exposition ! Lepytbagorisme n'est-il qu'un indiscret mélange de conceptionsvaines, qu'un système mal digéré, d'incohérentes abstractions,qu'un amas confus de métaphores étranges et d'allégories raffinées? Ou au contraire le pythagorisme recèlerait-il une doctrined'une portée souveraine, et dont les ténèbres accumuléespar les âges nous empêcheraient seules d'apercevoir l'incomparablesplendeur? Entre ces deux opinions extrêmes, sansengouement, mais sans prévention défavorable, aussi peu désireuxde rabaisser le pythagorisme que de l'exalter, uniquementpréoccupé de constater ce qui est et non point d'imaginerce qui aurait pu être, l'auteur <strong>du</strong> Mémoire n° 1 a su tenirun milieu, d'où il semble que se découvrent au vrai, commed'un centre de perspective, la force surprenante et la faiblesseirrémédiable, les défectuosités choquantes et les poétiquesbeautés des différentes théories dont se compose cette antique<strong>philosophie</strong>. Qu'est-ce que le nombre? < la mesure, la limitedes contraires, le point où pénètrent et se réalisent les contraires,principes nécessaires de toute existence et de toutepensée*. » Que sont les nombres? les rapports des choses et1. T. I,p. 288.


1342 APPENDICE.les choses elles-mêmes, car les choses ne vont pas sans les rapports,non plus que les rapports ne vont sans les choses. Qu'estceque l'harmonie ? la mesure des rapports par les nombres,et ainsi l'harmonie de la flûte <strong>du</strong> pauvre berger est la mêmeque celle qui retentit dans les profondeurs immenses <strong>du</strong> Ciel *.Qu'est-ce que le monde? un système de rapports qui déterminentles nombres, une suprême harmonie. Qu'est-ce quel'âme ? nn nombre qui se meut, une harmonie qui se disposeelle-même '. Qu'est-ce que la vie de l'âme ou la vie <strong>du</strong> monde ?encore une mesure de rapports par les nombres, c'est-à-direencore une harmonie. La physique, la musique, l'astronomie,la médecine, la morale, la politique, la religion De sont quedes expressions diversifiées de l'universelle harmonie. Et enfinqu'est-ce que Dieu? « l'Un premier qui attire à soi et absorbeen soi l'infini et développe de soi le fini ; » le Dombre avantle nombre, l'unité d'où procèdent et à laquelle se ramènent lesnombres sans qu'elle cesse d'être unité ; tétractys ou décadecomme principe des nombres, et comme principe de toute harmonie,ineffable unité où se concilient les contraires, unité inséparablepeut-être, quoique distincte des nombres. Qui necroirait, à parcourir ces propositions dont le Mémoire n° 1comprend le complet et systématique exposé, qui ne croiraitque la <strong>philosophie</strong> <strong>pythagoricienne</strong> est, je ne dirai pas une<strong>philosophie</strong> spiritualiste, mais bien une espèce d'idéalismetranscendant? Cependant ce, serait se méprendre, car il fautpoursuivre. Le nombre est-il ou n'est-il pas? et s'il est, qu'estil?Est-il matière ou est-il esprit? Pour les pythagoriciens, lenombre est, et il est corps, sans qu'ils prennent souci d'expliquercomment par le nombre se pro<strong>du</strong>isent les vivants, s'indivi<strong>du</strong>alisentles êtres, se réalisent l'éten<strong>du</strong>e et toutes les autrespropriétés qui appartiennent aux corps. Mais à ce compte, l'âmeest corps, puisqu'elle est un nombre, et dès lors l'immortalitéde l'âme ne se ré<strong>du</strong>it-elle pas à l'immortalité <strong>du</strong> nombre, demême que la doctrine de la métempsycose ne se trouve être,à l'interpréter exactement, qu'une théorie de la transformation1. T. I, p. 118.2. T. II, p. 285.


APPENDICE. • 343des corps par la transformation des nombres. Il y a plus; ausommet est l'Un antérieur et supérieur aux choses, mais père<strong>du</strong> nombre concret, de la monade, <strong>du</strong> germe, de même quel'Un nombre est le père des figures. Celte unité, d'où procèdentet à laquelle se ramènent les nombres,- par cela mêmequ'elle est le nombre avant le nombre, n'est-elle pas conséquemmentle corps avant les corps? Quoique l'Un père <strong>du</strong> nombreet le nombre un soient parfois distingués, ces deux unitéspour l'ancien pythagorisme ne se confondent-elles pas en uneseule? Et de la sorte toute la <strong>philosophie</strong> <strong>pythagoricienne</strong>qui par certains côtés donne ouverture au <strong>du</strong>alisme, ne serésout-elle point en un panthéisme indécis, panthéisme mécaniquetour à tour et dynamique? C'est qu'en effet lorsqu'onest parvenu à toucher le fond <strong>du</strong> pythagorisme, ondemeure convaincu qu'en dépit <strong>du</strong> mystère où elle s'enveloppeet des maximes brillantes qui en dissimulent la matérialité, lamétaphysique <strong>pythagoricienne</strong> n'est qu'une physique. Aussibien le moyen qu'il en fût autrement d'une doctrine qui reposetout entière sur des conceptions arithmétiques et géométriquesou qui <strong>du</strong> moins s'y termine ? Comme si l'arithmétique et lagéométrie, la science de la quantité et la science de l'éten<strong>du</strong>eétaient susceptibles d'avoir ailleurs que dans le monde descorps leurs applications ! Pythagore a in<strong>du</strong>bitablement préparél'avènement <strong>du</strong> spiritualisme et de l'idéalisme. Mais Pythagorelui-même n'a été, en définitive, qu'un philosophe de la nature,qu'un pur et simple physicien. Ce sont là les conclusions qu'aexcellemment justifiées par les textes l'auteur <strong>du</strong> Mémoire n° 1 •Comment <strong>du</strong> reste ne pas le reconnaître? En ramenant àleurs termes véritables les théories <strong>pythagoricienne</strong>s, on n'enmet point à néant l'importance, et la réalité qui subsiste danscette <strong>philosophie</strong>, après qu'on l'a dégagée d'apparences trompeuses,conserve encore assez de grandeur pour qu'il soit aiséde comprendre que le pythagorisme ait exercé sur les autressystèmes philosophiques de l'antiquité grecque une influence,ou perpétué à travers le moyen âge et la <strong>philosophie</strong> de la Renaissanceune tradition qui demandent à être expressément si-


344 APPENDICE.IIISoit qu'il se sentit fatigué par un long effort, soit que ledéfaut <strong>du</strong> temps ne lui ait pas permis de pousser à bout son entreprise,soit enfin que son érudition ne s'étende pas à toutel'histoire de la <strong>philosophie</strong> (et qui pourrait se flatter de ne rienignorer dans l'immensité des doctrines philosophiques ?), l'auteur<strong>du</strong> Mémoire n° 1 s'est <strong>mont</strong>ré inférieur à lui-môme dans l'accomplissementde cette partie nouvelle de sa tâche. Est-ce àdire que l'histoire qu'il retrace des influences <strong>du</strong> pythagorismese trouve absolument dénuée de mérite ou qu'elle manqued'exactitude? Nullement, mais elle n'offre ni originalité quiattache, ni éten<strong>du</strong>e qui suffise, et ne porte pas même sur tousles points qu'il eût été nécessaire d'explorer. Ainsi, c'était assezcertainement de mentionner comme l'a fait l'auteur, les disciplesimmédiats de Pythagore, Alcméon de Crotone, Hippase deMétaponte, Ecphante de Syracuse. Mais suffisait-il, relativementâ Xénophane, à Heraclite, à Empédocle, à Anaxagore, dequelques mots jetés en passant? Qu'on y songe, Xénophane etHeraclite étaient les contemporains de Pythagore ; Empédocle,à tort ou à raison, passe pour s'être formé à son école ; Anaxagore,venu peu après le chef de l'école italique, est le premierphilosophe ionien qui ait reconnu dans le monde la présenced'un principe intelligent. Dès lors, quel intérêt n'y avait-il pasà rechercher avec détail, en confirmant les textes, en interrogeantles traditions, quels pouvaient avoir été les rapports <strong>du</strong>philosophe de Samos avec de tels émules, ou en quoi avaientpu relever de lui de tels successeurs ! Manifestement d'ailleurs,l'intérêt allait croissant lorsqu'il s'agissait de rapprocherde Pythagore, Platon et Aristote. Aussi l'auteur <strong>du</strong>Mémoire a-t-il ici beaucoup plus insisté. Toutefois, mêmeen ce qui regarde Platon, il a été trop succinct. Peut-êtreen effet ne l'a-t-on pas assez remarqué. Ce n'est pas sans uneespèce de monotonie qui tourne au détriment de l'artiste, que


APPENDICE. 345dans ses- dialogues inimitables, Platon intro<strong>du</strong>it presque toujoursle même personnage dominant, le personnage de Socrate,par où il donne à entendre que Socrate a été sonunique maître. Que n'a-1-il aussi parfois évoqué sur la scènephilosophique, la grande figure de Pythagore! L'égolsme de lagloire chez Platon a fait tort à son divin génie, et si je l'osedire, il a manqué d'art parce qu'il a manqué de reconnaissance;car s'il ne doit pas tout à Pythagore, que ne lui doit-il pas!Ce n'est pas seulement en, physique et dans le Timée que Platonpythagorise. Sa politique, sa morale, sa psychologie mêmelui viennent de Pythagore plus encore que de Socrate, et sile mouvement ordonné de la dialectique, si le vol de l'amourl'élèvent en métaphysique à des régions où Pythagore n'a paseu accès, n'est-ce point à Pythagore qu'il emprunte la based'où il prend son élan? Nous en avons pour garant la paroleirrécusable d'Aristote : les Idées de Platon, ce sont les nombresde Pythagore.Aristote est effectivement un des témoins les plus autorisésauxquels on se puisse adresser quand on cherche à pénétrerle sens des théories <strong>pythagoricienne</strong>s. L'auteur <strong>du</strong> Mémoire l'adonc très-souvent et très-utilement consulté. C'est pourquoi ons'étonne qu'à fréquenter Aristote, il n'ait pas à remarquer davantagecombien le Stagirite lui-même procède de Pythagore.Platon et Pythagore, voilà les deux hommes contre lesquelsAristote a dirigé avec le plus de persistance les traits de sonâpre critique, et conséquemment, c'est devenu un lieu communque d'opposer Aristote à Platon, Sinon à Pythagore. Néanmoinsplus on y regarde de près, plus on se convainc que c'est Platonqui, en grande partie a fait Aristote, de même que plus onse persuade qu'il existe d'intimes affinités entre la métaphysiquede Pythagore et la métaphysique d'Aristote, qui ellemême,par plus d'un endroit, n'est en réalité qu'une physique.Ce qui prouve jusqu'à l'évidence que des liens étroits rattachentau Pythagorisme les théories de Platon et d'Aristote, c'estqu'entre les mains d'interprètes infidèles ou de disciples rétrogradestels que Speusippe, dont l'auteur <strong>du</strong> Mémoire a remarquablementdisserté, ces doctrines se résolvent successivement


346 APPENDICE.en deux syncrétismes, qui, nonobstant des divergences profondes,offrent ce caractère commun d'être, par dégénérescence,comme un retour ou plutôt comme un recul vers le pytbagorisme.Ce sont le Stoïcisme et le Néoplatonisme. Or et les rapports<strong>du</strong> stoïcisme et ceux <strong>du</strong> néoplatonisme avec le pythagorisme, quoique indiqués par l'auteur <strong>du</strong> Mémoire n° 1, l'ont étéd'une manière beaucoup trop rapide, partant incomplète. Eotout il n'a point pris assez de soin d'étudier le jeu secret d'oùrésulte la pénétration des <strong>philosophie</strong>s les unes par les autreset qui détermine, avec leurs développements à travers les âges,leur influence sur la vie et sur les mœurs. Ainsi, nul douteque ce ne soit, avant tout, l'esprit étrusque qui ait été commel'âme des choses romaines. Comment croire néanmoins que la<strong>philosophie</strong> qui, au sixième siècle avant notre ère, occupa toutel'Italie, soit restée étrangère à des institutions qui nous apparaissent'd'abord assises sur la triple base de l'aristocratie, <strong>du</strong>pontificat et <strong>du</strong> droit? « Le jurisconsulte Paul, écrivait Montesquieu', dit que l'enfant naît parfait au septième mois et quela raison des nombres de Pythagore semble le prouver. Il estsingulier qu'on juge ces choses sur la raison des nombres dePythagore». Le jurisconsulte Paul est <strong>du</strong> troisième siècle denotre ère et a laissé entre autres écrits, un petit recueil intituléSententiarum receptarum libri quinque, qui renferme les éléments <strong>du</strong> droit romain suivant l'ordre de I'Édit perpétuel. Ledétail étrange que relève Montesquieu atteste de quelle empreinte<strong>du</strong>rable le pythagorisme avait marqué l'esprit romain.Il est fâcheux que l'auteur <strong>du</strong> Mémoire qui a touché à cet ordrede considérations ne s'y soit pas arrêté davantage. Il est fâcheuxégalement qu'il n'ait fait qu'à peine articuler le nom <strong>du</strong> philosophepythagoricien Sextius, dont les Sentences sont parvenuesjusqu'à nous, qui vivait sous Auguste, et pour lequel Plinel'Ancien professait une estime particulière et auquel Sénèque,un de ses admirateurs, accordait cette louange qu'il avait écriten grec, mais qu'il pensait en Romain : c Sexttum ecce maximeJego, trirum acrem, Grxcis verbis, Romanis moribus philosopha»-1. Esprit des Lois, liv. XXIX, ch. m.


APPENDICE. 347tem '. i N'était-ce donc point une bonne fortune que de rencontreren plein monde romain, dans ce monde généralement sipauvre en philosophes, un représentant assez accrédité desdoctrines <strong>pythagoricienne</strong>s pour avoir donné naissance à unesecte, à fa secte des Sextiens ?rvIl serait fastidieux d'insister sur tout ce que la partie historiquedn Mémoire n° 1 laisse à désirer. On ne peut s'empêchernéanmoins d'observer que l'auteur ne remplit pas mieux notreattente, lorsque de l'antiquité il passe au moyen âge et à la renaissance.Si, en effet, il rappelle des écrits où saint Augustinpythagorise, il omet les six livres de son traité de Musica. S'ilcroit devoir, à propos des rapports de la Kabbale avec le pythagorisme,citer en même temps que le De arte Cabalistica, le DeVerbo mirifieo, par Reuchlin, il néglige d'indiquer ce que contientde pythagorisme ce dernier ouvrage, dont l'auteur n'hésitaitpoint à y proclamer que Pythagore n'a pas eu de supérieur,qu'il n'a pas eu d'égal, t quipriorem nonvidit, secun<strong>du</strong>mnon habef. » S'il s'occupe entre autres novateurs, d'Agrippade Nettesheim et de Cardan, il oublie presque entièrementRaymond Lulle et Campanella. Si enfin il entre, en parlant deJordano Bruno, dans quelques développements, il nous avertit des'en tenir presque toujours à des analyses de seconde main. Maisde toutes les lacunes que nous avons à indiquer ici, il n'y en apas de plus regrettable que celle que l'auteur a, en quelquesorte, volontairement créée. Effectivement tandis que le programmeproposé par l'Académie limitait à la Renaissance l'étudede l'influence que le pythagorisme a exercée, l'auteur <strong>du</strong> Mémoirea cherché les traces de la tradition <strong>pythagoricienne</strong> jusquechez Hamann, chez Novalis, chez Hegel et surtout chez Schillingqu'il nomme le grand et vrai pythagoricien moderne. Dès1. Epxstoke ad Lucilium. Epist. Seneese ad Lueilium qwestionumlib. VII, cap. xxxn.1. Lib. I.


348 APPENDICE.lors on se demande comment il se fait qu'il ne s'arrête point àLeibniz dont à la fin de son travail il est con<strong>du</strong>it à prononcer lenom. Car pour peu qu'on y réfléchisse, le théoricien de la Monodologieet de l'harmonie préétablie ne mérite-t-il pas à plusjuste titre que l'auteur <strong>du</strong> dialogue intitulé Bruno, l'appellationsinon de vrai, <strong>du</strong> moins <strong>du</strong> grand pythagoricien moderne?Et si trop souvent encore un pythagorisme chimérique serencontre chez l'auteur de la Thiodicèt, n'a-t-on point à admirersouvent chez lui un pythagorisme rectifié? Écoutons Leihniilui-même « Maxima apud me Pythagorm existimatio est, écrit-il,et parum abest quin ceteris veteribus <strong>philosophie</strong> potiorem credam,cum et Mathesin et scientiam incorporalium propemo<strong>du</strong>mfundarit, invento hecatomba digno et prœclaro illo dogmate, quod,omnes animx sint inextinctse. Et ailleurs : t Ita quod in Pythagora,Platane, Âristotele aliisque veteribus optimum est, retineoomniaque certis ratiombus inter se connecto'. » De semblablesparoles voulaient être méditées.En somme, toute la partie historique <strong>du</strong> Mémoire n° 1 a besoind'être soigneusement révisée et complétée.Peut-être serait-on porté à se <strong>mont</strong>rer moins exigeant enversl'auteur, si son mérite même ne donnait le droit ou plutôtn'imposait le devoir de l'être beaucoup. Aussi l'auteur reprend-ilses avantages, quand il en vient à faire la part de lavérité et de l'erreur dans la <strong>philosophie</strong> <strong>pythagoricienne</strong>.Ce n'est pas que dans ces pages mêmes qui terminent sonMémoire, l'auteur ne nous cause aussi un assez vif désappointement: qu'on en juge : «A côté et au dessous des services ren<strong>du</strong>sà la métaphysique, il faut encore, écrit-il, rappeler que ladoctrine <strong>pythagoricienne</strong>, a, la première, cherché à fonderscientifiquement la politique et la morale et par ses tendancespropres, fait faire d'immenses progrès aux sciences mathéma-1. flMporwt'o ad Bierlingium XVIII. Dutens, t. V, p. 370. EpistolaXXI. Dutens, t. V, p. 329.


APPENDICE. 349tiques qui comprenaient alors la musique. > Qui ne s'attendrait,après un pareil énoncé, à voir éclaircies, confirmées pardes preuves lès différentes assertions qu'il renferme? Or il n'enest rien. L'auteur n'ajoute pas un mot. Cependant n'y avait-ildonc aucun intérêt à examiner ce que valent les conceptionspolitiques qu'on attribue à Pythagore ? Ce système théocratiquequi peut sembler menaçant pour la liberté, mais qui tendà substituer à l'ordre de la force la force même de l'ordre,parce qu'il assigne à la loi un inviolable principe, ce régimearistocratique, que d'ambitieux rhéteurs ne cessent de décrieret affectent de maudire comme un attentat contre l'égalité,mais qui, bien enten<strong>du</strong>, se trouve être au contraire la démocratievéritable, puisqu'il prend chacun à sa mesure et décernel'empire au plus digne; cette doctrine de communauté, oùrisque, par le communisme, de s'abtmer la personnalité de l'indivi<strong>du</strong>,mais qui n'en porte pas moins en elle la vraie notionde la société et de l'état, où doivent rester inséparables, sousl'égide de la fraternité humaine, les intérêts de tous et dechacun? en d'autres termes, il s'agissait de discuter la thèse siancienne, mais toujours si nouvelle, des rappports de la politiqueavec la religion et la morale. D'un autre côté, l'auteur<strong>du</strong> Mémoire a témoigné en maints endroits de son ouvrage,de son admiration sans bornes pour la. morale <strong>pythagoricienne</strong>,dont c aucune comparaison ne saurait suivant lui, faire pâlir lagrandeur, la pureté, la simplicité. » Il n'eût pas été hors depropos, peut-être même n'eût-il pas été très-facile, en ne cher*chant d'ailleurs que dans l'antiquité des points de comparaison,de justifier, en un système panthéiste tel que le pythagorismeun aussi magnifique éloge. Enfin tous les écrivains qui ont traitéde l'histoire des sciences et des sciences mathématiques enparticulier, depuis Mac-Laurin et Montucla jusqu'à Bossut etM. Libri sont unanimes à reconnaître combien les théories<strong>pythagoricienne</strong>s ont contribué à l'avancement de ce genre deconnaissances, c Presque toutes les parties des mathématiques,écrit Bossut, ont à Pythagore d'immenses obligations. » C'est làune affirmation dont le programme proposé par l'Académieappelait le développement : l'auteur <strong>du</strong> Mémoire ne parait pas


350 APPENDICE.même y avoir songé. Mais ce qui rachète chez lui des omissions,qui d'ailleurs ne compromettent pas le fond de son travail, c'estle jugement impartial qu'il porte, jugement probablement définitifsur la métaphysique <strong>pythagoricienne</strong> prise en ellemême,et dont il a d'abord restitué l'ensemble ca<strong>du</strong>c à la foiset majestueux. Si en effet, on ne peut lui concéder à touségards que le Pythagorisme soit comme il l'avance, c uneconception d'un caractère parfaitement Grec, » nul sans douten'a mieux dé<strong>mont</strong>ré que .le pythagorisme présente l'essaid'une vaste et hardie synthèse, qui comprend l'explicationde la nature, de l'homme et de Dieu, et où la politique se rattacheétroitement à la morale, la morale à la cosmologie;nul n'a démêlé avec une pénétration plus grande, à rencontrede l'opinion communément accréditée, qu'au lieu que Pythagorefût parti des mathématiques, c'était aux mathématiques quel'avait amené la poursuite de l'immuable ; nul enfin n'a mieuxfait voir comment au milieu de propositions insoutenables etcontradictoires, sous un formalisme c qui n'explique réellementni la substance, ni le mouvement, ni la vie, » parmi des abstractionsqu'on dirait quintessenciées et qui pourtant en ellesmêmesne nous tirent point des ténébreuses régions <strong>du</strong> sensible,le sage de Samos, par un prodige de son poétique génie,avait proclamé, au début de la civilisation et de la science,< que le nombre est la mesure, l'harmonie, la beauté, que lemonde est un système de rapports, qu'il est l'ordre, et quel'ordre est non-seulement sa qualité, sa loi, mais son essence,sa substance » : posant ainsi, il est vrai, les prémisses d'oùpourra sortir un jour la doctrine de l'identité absolue, maisintro<strong>du</strong>isant dans la <strong>philosophie</strong> la notion souveraine de lacause finale.En résumé, de ces rapides indications, il résulte que l'auteur<strong>du</strong> Mémoire n° 1 a abordé avec compétence toutes les parties<strong>du</strong> programme, mais qu'il les a traitées inégalement.Son étude sur, la vie de Pythagore et l'Institut pythagoricien, àquelques détails près, n'est pas seulement suffisante : elle serecommande par la sûreté, par l'ampleur, par la précision dela critique ; son exposition des doctrines <strong>pythagoricienne</strong>s, quoi-


APPENDICE. 351qu'il y manque le complément qu'annonçait l'auteur, est neuveà force d'exactitude. C'était là, après tout, la pièce capitale <strong>du</strong>travail que réclamait l'Académie, et nous n'hésitons pas à déclarerque c'est en maître que l'auteur <strong>du</strong> Mémoire l'a exécutée.Au contraire son historique des influences <strong>du</strong> pythagotismeest superficiel, ou même présente des lacunes assezgraves. Enfin les appréciations de l'auteur, répan<strong>du</strong>es sansdoute comme à l'avance dans les autres parties de son ouvragene laissent pas que d'être incomplètes,et ne répondent point àtoutes les exigences légitimes <strong>du</strong> lecteur. Cependant, ce qu'ilresterait à faire pour que ce Mémoire parût entièrement à sonavantage sous les yeux <strong>du</strong> public ne saurait se comparer à ceque l'auteur a déjà fait. D'autre part, on n'aurait point appréciéà sa juste valeur cette remarquable composition, si on ne disaitaussi que la profonde et solide érudition qui en est comme lasubstance, reste [une érudition toute française, qui n'été austyle de l'écrivain ni la clarté, ni l'élégance, ni l'éclat. Il seraitfacile de citer des pages entières où ces qualités se manifestentà un rare degré. Ce sont là d'ailleurs comme autant de manifestationsde l'esprit et de l'âme même de l'auteur, espritferme et curieux, Ame généreuse, noblement éprise des hautespensées.Je conclus : il eût été certainement fort à désirer que ceconcours eût pro<strong>du</strong>it un plus grand nombre de mémoires. Car,à tout le moins, celui que je viens de chercher à faire connaître,s'il n'avait été surpassé, aurait gagné à la comparaison. Toutefois,tel qu'il est et à le considérer uniquement en lui-même,votre section de <strong>philosophie</strong>, Messieurs, le juge digne d'êtrecouronné par l'Académie. Elle vous propose donc de décernerà l'auteur <strong>du</strong> Mémoire n° 1, le prix Victor Cousin.NOURRISSON.PW DU PREMIER VOLUME.


TABLEDES MATIÈRESDU TOME PREMIERPrélace1 — xxvuPREMIERE PARTIECHAPITRE PREMIER.Caractère général de la doctrine de Pythagore 1-8CHAPITRE DEUXIEME.Examen critique des sources indirectes 9-22CHAPITRE TROISIEME.Vie de Pythagore 23-97CHAPITRE QUATRIEME.L'ordre pythagoricien. — Son organisation, sa constitution,ses règlements, son caractère 97-154DEUXIÈME PARTIECHAPITRE PREMIER,L'école philosophique 155-16CHAPITRE DEUXIEME.Les écrits pythagoriciens. Considérations générales sur l'authenticitéde ces écrits 165-21423


354 TABLE DES MATIÈRESCHAPITRE TROISIÈME.Les fragments de Philolaûs 213-254CHAPITRE QUATRIÈME.Les fragments d'Archytas 255-332APPENDICE.Rapport de M. Nourrisson à l'Académie des sciences morales. 333


12714 — TYPOGRAPHIE tAHURBRue de Fleurus, 9, à Paris


PYTHAGOREETLAPHILOSOPHIEPYTHAGORICIENNEH


OUVRAGES DU MÊME AUTEUR :Les principes de la science dn Beau. Paris, 1860,1 fort vol.in-8 7 fr. 50Be la psychologie de Platon. Ouvrage couronné par l'Académiefrançaise. Paris, 1862,1 vol. in-85 fr.Vie de Socrate. Paris, 1868, 1 vol. in-12La vie et les récits de Platon. Paris, 1871, 1 vol. in-123 fr.4 fr.Typographie Labure, rue de Fleurus, 9, à Paris.


PYTHAGOREET LAPHILOSOPHIEPYTHAGORICIENNECONTENANTLES FRAGMENTS DE PHILOLA'ÙS ET D'ARCHYTASTra<strong>du</strong>its pour la première lois en françaisPARA. ED. CHAIGNETProfesseur de littérature ancienne à la Faculté des Lettresde PoitiersOUTRAGE COURONNÉ PAR L'INSTITUT| Académie da sciences morale» et polifioues]II«I,PARISIXBB.AXB.XA AaADBMIO,UBDIDIER ET C ,c , LIBRAIRES-ÉDITEURS35, QUAI DES AOGUSTINS, 351873Tous droits réservés


PYTHAGOREET LAPHILOSOPHIE P iTHAGORIlITENNETROISIEME PARTIEEXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEDES PYTHAGORICIENS$ l.'LE NOMBREC'est un fait constant, et par les fragments qui nousrestent, et par les témoignages des historiens, et <strong>du</strong>plus considérable de tous, d'Aristote, que, jusqu'à Socrate,la <strong>philosophie</strong> a été presque exclusivement unephysique *. Pythagore et les pythagoriciens, malgré lebut pratique et politique qu'ifs se proposent, malgrél'inspiration profondément religieuse qui pénètre leurs1. Arist., De partib. anim., 1,1. p. 10, Tauchn. • Les motifs qui ontretardé les progrès dans cette partie de la science, dit Aristote, c'estqu'on ne cherchait pas à définir l'essence, TO T£ T)V rivai. Démocrite lepremier s'en occupa, mais sans considérer ce point comme nécessairea une théorie de la physique, TJ çvaixp Bsiopiq. C'est arec Sourate quela <strong>philosophie</strong> cesse d'étudier la nature, et se tourne vers la morale etla politique. »n-l


2 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEmaximes morales, n'ont pas fait perdre à la partie scientifiquede leur vaste conception le caractère que lesIoniens avaient imprimé à la <strong>philosophie</strong> naissante. Euxaussi ne discourent, ne traitent que de la nature. Leursystème n'est qu'une cosmologie, ou une conception <strong>du</strong>monde '. Ils ne cherchent à expliquer que la vraie nature,la vraie essence des êtres sensibles, des corps matérielset physiques; ils n'ont d'autre objet que le ciel,a nature, le monde *. Ce sont donc des physiciens, etcomme ils sont les plus savants et les plus profonds, cesont les vrais physiciens *.Et en effet, tandis que leurs prédécesseurs avaient étépréoccupés de découvrir quelle était la substance et lamatière des êtres de la nature, les pythagoriciens, par uncoup d'œil plus profond et par un instinct plus sûr dela vraie question philosophique, ont porté leurs recherchessur le pourquoi, le comment des choses et desphénomèues.1. Jfet., 1,8, p. 989 b. Bekk. : SioOiY 0 * pâvxoi «ai xtpaY|Mtxtûovxeu«pi fûatuc xtavxa. /d., XIV, 3 : 'E«i8if| xoap.oTcoioùai xai çuaixûcBOûXOVTGU Hytiv.2. Arist., Met., XIII, 6 : OHIuS.... tàc aleorixàc; ouo-Cae euvcoravai....7d. ; 'Ex TûV àpiO.yùv ivuxcapxôxxoiv Svxa ta alo8nxâ.... XIII, 8 : Taetapaxa if apiQpûv cruYX(i|Uva.... XIV, 3 : UoXXà xuV» apiBpûv itâlh)(ni&px OVTOt T0 >< alaftr|T0i; awpao'iv.... IIouîv il àptBuùv xà eniaixàb-iip.axa. .. XIII, 6 : Ils ne séparent pas les nombres des choses, maisils les placent iv xoïç aloxhfjxotc... Tov SXav oùpavàv xaxaaxtuàfouorv....I, 8 : Le nombre dont est fait le monde, il ou o-uvéaxnxcv S xôe-|toc. De ccel., III, 1 : T*,v eûotv avvio-x&aiv.... 'El apiOpûv ouvxiSéaatx6v oùpivév....3. Sext. Emp.,adt\ Phyti*., X,4, p. 735 : Ot exicxxpovtaxaxoi xcSv4uaxxwv.... xoù; ôvxu; «Puoixoùç..-. Cest ce que tous les écrivainspostérieurs répètent. Themist., Or., XXVI, 317 b. Orig., Pnt!.,I, p.8.Euseb., Prxp. Et>.,XlV,xv, 11. Pbot., Cod., 249, p. 439 a, 33. Galen.,But. phil. init.


DES PYTHAGORICIENS. 3Soit qu'on la considère dans les êtres particuliers etpérissables, soit qu'on l'admire dans son vaste ensemble,tout dans la nature, et la nature elle-même obéit à unordre, à une loi, à une harmonie, dont le nombre est laforme et la mesure. Qui peut ne pas être frappé des analogiesque les êtres et les propriétés des êtres présententavec les nombres et les propriétés des .nombres 1 !Le nombre se manifeste et manifeste sa présence active,xk> Sûvauiv, dans les mouvements des corps célestes etdivins, dans l'être de l'homme, dans sa vie et dans toutce qu'il pro<strong>du</strong>it, dans les arts, même manuels, maissurtout dans les belles proportions, dans ces rapportsharmonieux de la musique qui ravissent tous les hommes*.Ni la substance ni les propriétés de la terre, <strong>du</strong>feu, de l'air, ne rendent compte de celte harmonie essentielleet universelle des choses, et puisque cet ordre,se manifeste dans les nombres, et que d'un autre côté,il est l'élément persistant, constant, universel des choses,comment ne conclurait-on pas que l'être est identiqueau nombre, qui par tout en lui se révèle, le domineet le gouverne. Tout est fait de mesures ', de poids, de1. Met., I, 5 : 'Ev TOï; àpi8u.oï; èSoxoùv ocupeïv SuotûuaTx noXXàTOïç oùoi xal Ytvvopufvoi;, P«XXov *i « v «vpl xai f% xai ûSXTI."ETI Si TûV aou,ovixùv iv àpiôuoï? Spû»Tc( ta nâf)r\ xat TOùç, XcVrouc....Ta piv 4>Xa TOï; àpiouoï; içxlvexo TTJV C-ûOTV àjxopoiûarhi Ttà-iav.2. Philol. Fr. 18. Boeckh, p. 139 : Kai6iicdxaioùpav(uxalàv8po>n[vcdiç-fà.... ISoip Si xal où uovov iv TOï; Saïuovioc; xat oxtot; npdYu,aat TavTû api8uxô eùatv xal Tav 8ûvau.iv loxvovoav, àXXà xai iv TOï;avSpamivoi: ipvoi; xal Xovoi; nier navTâ xal xarà Ta; SauxovpYiar, Tù;Ttvvixà; Ttàaa; xai x»Ta Tav uouarxàv.3. Clauil. Mam., De ttat. ant'm., II, 3 : • De mensuris, ponderibus,et numeris juxta geometricam, musicam, atque ariihrneticam miriruedisputât (Philolaus). > ld\, II, 7 ; • Nunc ad Philolaum redeo.... qui intertio voluminiim qiue SuSuûv xai utxpatv pranotat. » C'est certaine-


4 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEnombres : cette loi constante qui se manifeste en toutêtre, et dans tout phénomène naturel, qui en est la conditionnécessaire et universelle, peut et doit en être lacause, le principe, la substance, l'essence. Pythagoreréalise, bypostatisc le nombre, comme Platon réaliseraet hypostatisera l'idée. L'être vrai des choses est ceprincipe interne dont le nombre est la forme. Toutechose n'est donc qu'un nombre : l'être sensible et indivi<strong>du</strong>elest un nombre; le monde est un nombre; lasubstance, la matière, les qualités actives ou passivesdes choses, les êtres concrets et les êtres abstraits,l'homme et le cheval, comme la justice et l'occasion,l'âme, la vie, la sensation, la pensée, tout est un nombre.Or comme tout nombre est engendré par l'Un, père<strong>du</strong> nombre ', on peut dire que l'Un est le principe universeltv


DES PYTHAGORICIENS. 5Avant d'établir que telle est bien la doctrine despythagoriciens, je crois utile d'aller au-devant d'une opiniongénéralement acceptée, parce qu'elle nous vientd'Aristote, et qui attribué la solution mathématique <strong>du</strong>problème philosophique aux prescriptions et aux préjugésinspirés aux partisans de cette école par leursétudes favorites.« Ceux qu'on nomme pythagoriciens,dit Aristote,s'appliquèrentd'abord aux mathématiques,et firent avancercette science. Nourris dans,cette étude, ils pensèrentque les principes des mathématiques étaient les principesdes choses, et crurent apercevoir une foule d'analogiesentre les nombres et les êtres '. » Ainsi, dansl'opinion d'Aristote, l'étude des mathématiques n'a pasété, chez, les pythagoriciens, l'effet de leur manière deconcevoir les choses, elle en a été la cause. Leur espritobsédé par la considération des nombres, de leurs combinaisonset de leurs rapports, n'a plus su voir autrechose dans la nature. Ce fut comme un éblouissement,qui, grossissant hors de toute proportion les objets habituelsde leurs méditations, les aveugla au point deleur faire confondre la réalité avec le nombre, l'ordreabstrait avec l'ordre concret. Mais je ne sais pas commentAristote est arrivé à cette affirmation assez peubienveillante \ Il est très-difficile de deviner par quelleinspiration intime, par quelle recherche lente ou quelleintuition rapide, le génie arrive à se poser certaines1. Met., I, 5.2. Que dire de ceux qui supposent que la superstition des nombres,facile à signaler dans les religions antiques, et même dans Hésiode, apu mettre Pytbagore sur la voie de cette grande pensée ?


6 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEquestions, et à en concevoir la réponse. Qui croira quela chute d'une pomme ait inspiré à Newton le systèmede la gravitation ? Que de gens ont vu tomber des pommes,que de pommes Newton lui-même a vues tombersans y penser? Concevoir les propriétés des nombres,c'est le fait <strong>du</strong> mathématicien, mais apercevoir et afrirmerle rapport <strong>du</strong> nombre avec l'être, n'est pas son affaire.Or c'est là le caractère de la conception <strong>pythagoricienne</strong>.Les mathématiques ne portent pas l'esprit versles problèmes de la nature' et de l'être, elles les renfermentdans le monde abstrait. Les pythagoriciens aucontraire sont éminemment des physiciens, préoccupésde l'être, de ses principes, de ses causes, de ses lois.Ils aboutissent aux mathématiques : ils n'en partentpas. Je croirais plus volontiers — car il est permisd'opposer une hypothèse à une hypothèse, — que sila <strong>philosophie</strong> s'est confon<strong>du</strong>e avec les mathématiques,si les pythagoriciens se sont occupés avec tant d'ardeurde cette science, qui leur doit de grands progrès,c'est qu'une observation attentive et une vue de génieleur avaient <strong>mont</strong>ré partout, dans la nature, dansles œuvres et dans les pensées même de l'homme,l'influence merveilleuse <strong>du</strong> nombre 1 , et qu'alors lesmathématiques <strong>du</strong>rent contenir, à leurs yeux, lesecret de l'explication des choses, dont le nombreest le principe. Assurément ce n'est pas un mathématicienenfermé dans le cercle étroit de ses études, c'est unI. Philol., Fr. 18. Boeckh, p. 141 : 'ISoi; ïk xai où uovov èv toi;Sai|iov£oi; xai Oeioi; »paY|ia


DES PYTHAGORICIENS.métaphysicien et un métaphysicien de génie qui estarrivé & cette conception hardie et profonde de l'univers,et à n'y voir qu'un système de rapports et de nombres.Il ne s'agit pas en ce moment de porter un jugementsur la solution <strong>pythagoricienne</strong>, et desavoir jusqu'à quelpoint les mathématiques, qui ne se proposent pour objetque l'élément intelligible de la quantité, abstrait desréalités sensibles, peuvent rendre compte des phénomènesde la nature, c'est-à-dire de l'être et <strong>du</strong> mouvement: nous devons commencer par établir sur destextes la doctrine de notre école, et ensuite chercher àen comprendre le sens obscur.Pour les pythagoriciens, le nombre est l'être danstoutes ses catégories. Aristole le constate en des termesd'une précision énergique, et à plusieurs reprises :« Sur ce point que l'unité est l'essence, et qu'on nepeut donner le nom d'être qu'à ce qui est un ',Platon est d'accord avec les pythagoriciens ; il admetencore comme eux que les nombres sont causes,causes de l'essence des autres êtres'.... La différenceentre eux vient de ce qu'il pose les nombres en dehorsdes choses, comme des êtres intermédiaires entre lesréalités sensibles et les Idées, tandis qu'eux soutiennentque les nombres sont les choses mêmes '. Voyant dansles choses sensibles se manifester de nombreuses propriétésdes nombres \ saisissant ou croyant saisir entre1. Met., I, 6 : Kai |i-J) Ittpiv TI T6 4v Xfrcatlai itvai.2. Met , I, 6 : Toù; àpiopoù; aWfouç tlvat toi; àAAou; TT,; ouatai;, là.,XIV, & : AUioi TûV oùatuv xxi TOû tivai.3. Met , I, 6 : 01 V Api(i|iovç eîvai çaow avrà Ta TcpâY|iara. ,4. Met., XIV, 3 : DoXXà TûV àpi9u.ûv nàvr) (màpïtiv TOîi; alo&T)TOt«.


8 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEles nombres et les choses de frappantes analogies ', ilsont conclu que les êtres sont des nombres mêmes, 4pt—6|xol; (WTISSV -ri jvra * ; ils composent les êtres de nombres,Il jpc8|xûv Ta 2Vnt; ils composent de ces nombrestoutes choses, même les corps naturels, les essencesphysiques. Le nombre et les propriétés et combinaisons<strong>du</strong> nombre sont causes de tout ce qui est et de tout cequi devient, de tout ce qui a été et est deveuu dès l'origine,de tout ce qui est et devient aujourd'hui. Le mondelui-même, dans son unité, est constitué par le nombre,et il n'y a pas de nombre en dehors de celui qui constituele monde. La pensée, l'occasion, l'injustice, la séparationet le mélange, l'homme et le cheval ', chacunede ces choses est un nombre : le ciel ou le monde,comme l'appelaient les pythagoriciens, est une harmonie,c'est-à-dire un nombre*. Le nombre est l'être même s .Il est l'être dans toutes les catégories de l'être : il estl'élément matériel, &t 6AK)V ; il est l'élément formel, 6«xdEfa) Te xotl &;ctc ; il est cause, ahl»n ' ; de toutes façonsil est principe; et comme tous les êtres dans lesquels ilse trouve ' sont des êtres de la nature, c'est-à-dire1. Met., I, 5 : IToUa AuoiuuaTa.2. JfeL, XIV, 3.3. Met., XIV. 5 : 'ApiSnA;.... A31 uèv àvflpùitow AAlît tmtou.4. Met., XIV, 3; XIII, 6 : 'EXTOATOU tac atsDrJTa; ouata; ouveoravai,et un peu plus haut : .... Les nombres sont dans les choses sensiblesmêmes, «vuTtapyôvTUv TOî; alaVn/rot;.... tAv yàp oAov oùpavovxaTaaxtuâCovarv il &piO|iAv.... Met., I, 7 ; — 1,5 : TAv oXov ovpavcvapuovîav eïvat xai àpifluAv.... Jd\, XIII, 8 : TAv àpiOuàv Ta Avva XAvauaiv.Cf. De cal., III, 1 : TT}V çûaiv li àptOuûv auviarâmv.5. Met., I, 5; III, 5 : T7|v ovaiav xai Tô AV.6. Met.,l,S.7. Jfet., I, 6.


DES PYTHAGORICIENS. 9matériels et doués de mouvement, il est à la fois leursubstance, leur matière et le principe de leur mouvementcomme de leur forme '.Ces principes sont dansles choses, hwtiftu*, et puisqu'ils en sont à la fois etla forme et la matière, il est clair qu'ils en sont inséparables.Mais, quoique inséparables, les nombres semblentdistincts des choses : car ils sont antérieurs auxchoses, antérieurs & tout être de la nature'. Ils semblentdonc à la fois transcendants et immanents. >Mais alors s'ils sont antérieurs aux choses de la nature,n'en diffèrent-ils pas par essence î ne doivent-ilspas être des principes immatériels et incorporels? ou,au contraire, ont-ils une grandeur éten<strong>du</strong>e, et une situationdans l'espace ? Le nombre est-il le principe absolumentsimple et un <strong>du</strong> multiple et de la diversité, leprincipe purement intelligible <strong>du</strong> sensible et <strong>du</strong> réel?Sur ce point capital, nos renseignements, jusque-làd'accord, se contredisent les uns avec les autres, et ceuxmême d'Aristote se contredisent entre eux.Constatons d'abord les points sur lesquels ils s'accordent.Philolaits dit : Toutes les choses, <strong>du</strong> moins toutescelles qui sont connues de l'homme, ont le nombre :car il n'est pas possible que quoi que ce soit puisse êtreni pensé ni connu sans le nombre*. Voulez-vous voirquels sont les effets ' et l'essence <strong>du</strong> nombre? Regardezla puissance qui se manifeste dans la décade.... Sans1. Met., 1, 5 : Tûv SVTWV àpx*C nivTtov.î. Met., I, 5 : TOùTMV ivuitapxôvxwv.3. Jfet.,1, 5 : 01 ipt9|io2 eûati upû-coi.... itcwri; TTJ; 9Ùoe»c icpûtci.XIV, 3 : Où xupurcoù; St.4. Philol., Fr. 2. Boeckh, p. 58, et Fr. 18, p. 139.5. "Epya....


10 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEelle tout est indéterminé, tout est obscur, tout se dérobe.La décade donne la forme Gnie, parfaite, au nombre :Tout être réel, tout nombre est décadique, parce quela décade renferme en soi tout être, irSwv


DES PYTHAGORICIENS. . 11père des êtres, le père et le démiurge <strong>du</strong> monde 1 . C'estlui qui par son unité efficace et éternelle maintient éternellementla permanence des choses et des êtres de lanature*. Il est donc, et cela va de soi, le principe d'unitédes choses. Ce qui doit paraître au premier abord plusétonnant, c'est qu'il est en même temps principe del'indivi<strong>du</strong>alité. Mais cette contradiction n'est qu'apparente: car puisque tout être est un, et que l'être est untout, c'est l'un qui fait le tout, c'est-à-dire l'unité desparties de chaque être, comme il fait l'unité <strong>du</strong> tout luimême.Nous le voyons, dans ce passage, principe del'être, principe <strong>du</strong> connaître, principe d'unité, principed'indivi<strong>du</strong>alion : nous le voyons même principe demouvement; car c'est l'Un qui incorpore dans une matièreles raisons, toi»? XO'YOUî, c'est-à-dire les élémentsidéaux des êtres: c'est-à-dire, si j'interprète bien le passage,c'est l'Un qui fait l'unité de la matière inGnie et<strong>du</strong> principe intelligible ou fini, raison idéale de toutêtre.Ce passage de Philolaus, où l'Un est considéré commela-puissance qui, par un acte spontané, aÙTdepYoe, réalisel'être dans l'indivi<strong>du</strong>alité', et lie la raison d'être à uncorps, confirme la doctrine semblable repro<strong>du</strong>ite par1. Philol., Fr. 22. Boeckh, p. 169 : Ttë YewVioavïi itaTÉpi xaî ô»i-(uo'jp-rû.2. Philol, Fr. 22. Boeckh, p. 137 : TTJC TûV xo Cf. id.,p. 85 b.3. Sert. Emp., adv. Math., X, 261. Pythagore a dit que le principedes êlres est la monade, par participation de laquelle chaque être estdit un.


'2 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEArchytas avec une précision et dans des termes quirévèlent sans doute l'influence des idées platonicienneset aristotéliques, mais n'en détruisent pas l'authenticitéet l'origine <strong>pythagoricienne</strong>.Ni la substance, dit Archytas 4 ,ne peut par elle-mêmeparticiper à la forme, ni la forme par elle-même s'appliquerà la substance : il est donc nécessaire qu'il y aitune autre cause qui meuve la substance des choses etl'amène à la forme. Cette cause est première au pointde vue de la puissance, et la plus excellente de toutes.Le nom qui lui convient est Dieu. Il y a donc trois principes: Dieu, la substance, la forme. Dieu est l'artiste,lemoteur; la substance est la malière,le mobile ; l'essenceest comme l'art et ce à quoi la substance est amenée parle moteur. Mais le mobile contient des forces contraires:or les contraires ont besoin d'un principe qui établisseen eux l'harmonie et l'unité; il doit recevoir nécessairementles vertus efficaces et les proportions des nombres,capables de lier et d'unir dans la forme les contrairesqui existent dans la substance.Car les pythagoriciens ne commençaient pas, commeon l'a dit, par les contraires : au-dessus des contraires,ils posaient un principe supérieur, comme l'atteste Philolaûs,qui dit que Dieu hypostatise le fini et l'infini, etqui a <strong>mont</strong>ré qu'au fini se rattache toute la série deschoses qui ont une plus grande affinité avec l'Un, et àl'infini, les autres. Ainsi au-dessus des deux principescontraires, ils ont posé une cause unifiante 1 et supérieureà tout. Cette cause c'est, d'après Archytas, la cause1. Fr. l.Hartenst.2. "Eviaiov.


DES PYTHAGORICIENS. 13avant la cause, d'après Philolaiis,rUn, principe de tout,fv àpy_4 TtàVruv '.Ce Dieu, cause avant la cause, est le nombre même,mais le nombre ineffable, ou irrationnel * ; c'est l'excès<strong>du</strong> plus grand des nombres sur le nombre qui s'en rapprochele plus, c'est-à-dire l'Un, principe de tout, parcequ'il donne à tout l'unité, parce qu'il concilie dans l'unitéde l'essence les contraires, parce qu'il réalise, substanlialise,hypostatise les contraires : irépatoîxat


14 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEgnnges. Eudore, cité par Simplicius 1 , nous dit : « Pris dansson sens éminent et supérieur, l'Un est, pour les pythagoriciens,le principe universel ; mais il a un autre sens :en effet les choses pro<strong>du</strong>ites ont deux principes : l'Un,et la nature contraire à l'Un. » Cette nature contraire àl'Un, c'est l'autre, > ofAXo: tel estlenomquePythagore,d'après Aristote*, donnait à la matière, parce qu'elle devientincessamment autre, et est soumise au changement.11 y a donc deux sortes d'unités, auxquelles, dans l'étatflottant et imparfait de leur langue philosophique,« Archylas et Philolaûs donnaient indifféremment lemême nom, appelant l'Un monade, et la monade, Un,quoique cependant la plupart des pythagoriciens ajoutassentau mot monade l'attribut de première, parcequ'il y a en effet une monade qui n'est pas premièreet qui est postérieure à la monade en soi, à la vraieunité » '. Syrianus contredit un peu ce témoignage, caril demande à son interlocuteur réel ou supposé, « dequelle unité veux-tu parler? est-ce de l'unité suprême,ou de l'unité infiniment petite qui se pro<strong>du</strong>it par la divisiondes parties? En un mot les pythagoriciens distinguentl'Un et la monade, dont un grand nombre desanciens de l'Ecole ont parlé, par exemple Archytas, quidit : l'Un et la monade ont une affinité de nature, maiscependant diffèrent entre eux'.... »Ils ne diffèrent en effet que comme le Tout diffère de1. In Phys., f. 39 a.2. Dans ses 'ApyuTcïa, fr. tiré de Damascius, publié par Creuzer etGrappe, Veber d Fragm. d. Archytas, p. 79.3. Theon. Smyrn., Plar. Math., 4, p. 27, cité par Grappe, p. 113.4. Syr., ad Met., XIII, 8, l'r. 3. Hartenst.


DES PYTHAGORICIENS. 15a partie de ce Tout : l'Un étant le nombre <strong>du</strong> Tout, lamonade élant la molécule indivisible, l'atome. La distinctionétablie ici n'a donc pas la valeur d'une distinctiond'essence entre les deux sortes d'unités, comme lapose Proclus dans le passage suivant:« Le premier principe, d'après les pythagoriciens, estrUn,Tbfv, qui s'élève au-dessus de tous les contraires ; lesecond la monade intelligible, ou le fini-, et enfin ladyade indéfinie ou l'illimité'. » Naturellement alors,comme le dit Damascius, l'Un précède la monade'.Il s'agit bien ici d'une distinction d'essence, et le premierprincipe, qu'on l'appelle l'Un ou la monade, seraitun intelligible transcendant; le second seul serait immanentet constituerait la substance des choses' : lepremier serait le nombre des nombres, le second, lenombre des choses nombrées.Si nous pouvions avec certitude attribueraux premierspythagoriciens cette doctrine qui ferait de la monadevivante, ou <strong>du</strong> nombre concret, un intermédiaire entrele nombre intelligible, ou Dieu, et la matière indéfinie etsans forme, bien des obscurités et des contradictionsdisparaîtraient <strong>du</strong> système, et bien des difficultés seraientévitées dans l'exposition que nous avons à enfaire. Malheureusement il n'en est point ainsi. Nullepart Aristote ne leur attribue une définition de Dieu, etne fait allusion à des principes purement théologiques.Il est possible, il est probable, et nous en avons des in-1. M Tim., 54 d.2. Deprincip., c. xmi, ILVI, p. 115,122.3. S. Just., Cohort., c. xix; Phot., Cod., 249, p. 238 : Tr,v ptv p*-viSa ivto(; VOYITOï; rivât, to Si iv tv toi; AptSpoi; (leg. àpt6>*itot;).


16 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEdices significatifs, que les pythagoriciens ont eu le pressentimentd'un ordre d'existence supérieur à l'existencede l'être physique ; ils ont entrevu que le monde sensiblene s'explique pas par lui-même, et qu'il implique,qu'il atteste l'existence de son contraire ; mais ne se posantpas d'autre problème que celui de la nature, ils s'ysont renfermés, et ils y ont renfermé leur Dieu Ce sontdes panthéistes, avec quelques lueurs d'une doctrinesupérieure que recueillera le génie de Platon. Toutechose est un nombre ; le nombre est l'essence immanente,ivunâpxuv des choses, et puisque le nombre est leprincipe souverain, supérieur, parfait,c'est-à-dire Dieu,Dieu est en tout et est tout. Mais néanmoins que telleest bien la pensée des pythagoriciens, c'est ce que nousne pouvons pas facilement prouver.Aristote qui a pris aussi souvent à partie les pythagoriciensque Platon, dislingue leurs doctrines par troisdifférences :1. Platon, au lieu de laisser à l'infini le caractère d'unité,comme l'avaient conçu les pythagoriciens, le faitdouble.2. Il met en dehors des choses, et constitue à l'étatd'essences séparables et séparées, les nombres, que lespythagoriciens considéraient comme l'essence inséparabledes choses.3. Il place entre les nombres sensibles et les nombresidéaux, des essences intermédiaires, ce que ne fontpas les pythagoriciens qui n'admettent qu'une seuleespèce de nombre, le nombre mathématique'.t. Met., pastim et XIII, 6.


DES PYTHAGORICIENS- 17Partout Aristote dans sa critique fait ressortir lesabsurdités qui résultent, pour les pythagoriciens, den'admettre que le nombre mathématique, et de vouloircomposer avec lui le monde des êtres sensibles etdoués de mouvement. Il n'y a donc dans la doctrine despythagoriciens qu'un seul nombre par lequel ils veulenttout expliquer, et c'est précisément aux yeuxd'Aristote le caractère qui les distingue des platoniciens.Aristote n'est pas le seul à interpréter ainsi leurpensée : ceux même qui leur attribuent la doctrine dedeux principes ne leur attribuent pas celle de deuxsortes de nombres : Pythagore, dit Plutarque ', posedeux principes, la monade, ou Dieu, — que Plutarqueidentifie à tort avec le Bien—et la dyade indéfinie,le mal, d'où natt la pluralité et le monde sensible. Modératus,qui, d'ailleurs, pour éviter les conséquences <strong>du</strong>système, n'admettait qu'une interprétation purementsymbolique, reconnaît également deux principes. « Quelques-unsont considéré comme principes des nombres,la monade, et comme principe des choses nombrées,l'Un, tb h, ce dernier étant pris pour le corps résultantd'une division poussée à l'infini, de sorte que les chosesnombrées différeraient des nombres, comme les corpsdes choses incorporelles. Les modernes, ot vtÛTtpot, ontpris pour principes la monade et la dyade; mais lespythagoriciens trouvaient les principes dans ce que posela définition des nombres, qui ne sont conçus quecomme pairs et impairs*. >1. Plae. Phil., I, 7. Stob., Ed. Phyt., I, p. 58.2. Stob., Ed., I, p. 20. Passage obscur : Al tûv ipûv ixBtati; Jt'ûvu — 2


18 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUE* Ainsi il n'y a qu'un nombre, et ce nombre est le nombremathématique 1 , car il est conçu comme le genre desespèces <strong>du</strong> pair et de l'impair, et tel est le principe suprêmedes choses*. Il semble donc que nous pourrionset que nous devrions nous arrêter à cette conclusion,que précise le passage suivant d'Aristote :< Les pythagoriciens ne parlent que de deux principes,comme les physiciens d'Ionie. Mais voici ce qui leurappartient en propre : le fini, l'infini, et l'unité, ne sontpas, suivant eux, des natures à part (c'est-à-dire des êtresayant une existence propre en dehors des sujets où ilsse trouvent), comme le sont le feu ou la terre, ou toutol dp-noi xal itipirrol VOOOVTCU. • Sensus mihi videtur esse, Pythagoricosnon monadem et dyadem, sed omnino parem atque imparem numerorumrationem pro priocipiis habuisse. > Heeren.1. C'est la conclusion où nous con<strong>du</strong>isent également les passagessuivants : Alex., in Met., I, 5. Scholl., p. 540 b, 20 : « Les pythagoriciensappelaient l'esprit, la monade et l'Un, • ce qui prouve l'identitéde sens des deux termes. Syrian., ad Met., XIV, 1. Scholl. minor.,p. 326 : > Il est intéressant de comparer à ces doctrines celle de Cliniasle pythagoricien, qui, célébrant l'Un, TA tv, le proclame le principedes êtres, la mesure des choses intelligibles, incréé, éternel, unique,souverain, se manifestant lui-même. > là., p. 330 : • Platon etBrontinus le pythagoricien disent que le Bien est l'Un, et a sa substancedans l'unité, oviaiunai ivT&> ev elvat, • et un peu plus haut :• Chez Platon, l'Un et le Bien sont au-dessus de l'Etre (ox-epoûo-tov),comme aussi chez Brontinus le pythagoricien, et pour ainsi dire cheztous ceux qui sont sortis de l'École <strong>pythagoricienne</strong>. > Eudora disait,d'après Origène [Philos., c. vi), que le nombre, c'est-à-dire l'Un, estle premier principe, indéterminé (c'est évidemment une erreur d'Origène),incompréhensible, contenant en lui-même tous les nombres quipeuvent aller jusqu'à l'infinie multitude. Le principe des nombres estdouble : quant à l'hypostase, xa.9' OitôuTaeiv, c'est la première monade,mâle, engendrant à la façon <strong>du</strong> père; et en second lieu, la dyade,nombre femelle.2. PhiloJ., Fr. 2 ; "0 ya pàv àpiêuAr, iy.tt Sùo uiv ïSta IISTJ rtépiocovxal aptiov.


DES PYTHAGORICIENS. 19autre élément analogue. L'infini en soi, aura to àWpov,et l'Un en soi, afro TO h y. sont la substance même,oueîav, des choses sensibles, auxquelles ils sont donnéscomme attributs 1 . » Par conséquent le nombre est bienla substance des choses; car en dehors <strong>du</strong> nombre,qui est le rapport <strong>du</strong> fini et de l'infini, rien n'ad'essence, pas même le fini et l'infini, qui n'ont pas uneexistence indépendante et n'existent que dans leur rapport,c'est-à-dire dans le nombre, dans l'Un, où* âXXu» tivldVri ûrrotpysuoai *•Le nombre vient de l'unité : l'unité et le nombre seconfondent donc dans leur essence : ils ne sont tous deuxqu'un rapport : ce rapport suppose au moins deux termes; et, en effet, tout être est l'unité inséparable ', le rapport,le nombre des deux termes, le pair et l'impair,le fini et l'infini : et voilà pourquoi l'un est à la foispair-impair 1 .Mais de quelle nature est ce rapport? Faut-il dire avecM. Cousin qu'en lui s'évanouit la réalité des termes qu'ilpose, unit, concilie, et que la conception mathématique1. Met,, I, 5 : AùTS TO diteipov «ai aùrO TO EV oùor'av rivai TOùTûJV«Sv xaTOfopoûvTou. M. Zeller (t. I, p. 247).tra<strong>du</strong>it : • Dièse sollen nichtblos Eigenschaften einer dritten Substanz, sondera unmittelbar ansieh selbst Substanzen sein. > Ce qui mè paraît tout à fait un contresens.L'drceipov et le TO ev, identifié dans ce passage à TO itépaç, ne sontpas des substances, mais la substance des choses, oùaîav ; ce qui esttout le contraire. Met., I, 6 : To IUVTOI Y» rivai xal UT) ETISOV TI TO SVMrsavai rivai. Conf. IX (X), 2; II (III), 1 et 4 : Oùx Ittpov TI SV, où SeTS EV, àlXà TOûTO aÙTûv TT)V eûatv rivai, ù; OOOTK Tï)( ouata; TaÙTO tiEv rivai, «ai Sv TI.2. Alexandre, SehoM. Arirt., p. 629 b, 19.3. Procl., Thed. Plat.. III, 17, p. 132. PhUol., Fr. 1 b, p. 48 : or,;pioopYiav CIS^TIXTOV è£ Evoveiaiv auvsarbVoav.4. Jfet., I, 5 : 'Aprioaspto-aov. Pta'ioi., Fr. 2.


20 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEest si exclusivement subjective et logique qu'elle va jusqu'àreconnaître pour substance, essence, principe deforme et de mouvement, de devenir et de génération,ce qui n'a ni mouvement, ni forme, ni essence, ni substance,un rapport purement subjectif, mental, abstrait,c'est-à-dire quelque chose d'absolument vide et mort?Je ne le pense pas : car 1° Anstote critique l'inconséquencedes pythagoriciens, qui, malgré la tendance deleurs principes, n'ont reconnu que des êtres physiques,et ne sont point allés jusqu'à l'idéalisme qu'ils contenaientlogiquement 1 . Donc l'Un des pythagoriciens, toutrapport qu'il est, n'est pas un rapport abstrait, idéal,subjectif.2° Aristole reconnaît en effet qu'ils sont si loin d'aboutirà ce vain formalisme, à cette mathématique purementabstraite, qu'ils arrivent, au contraire', à confondrela pluralité avec l'unité, mXXà xh £v laxoci xdwfvoiçoWêaivs l .3* Aussi reconuait-il également que le principe pythagoricien,l'unité, le* rapport numérique des contraires,a une grandeur éten<strong>du</strong>e, et que cette monade concrète,ce rapport réel, substantiel, est le germe, germeque Philolaûs appelle Àoyoç, posant ainsi pour principe,non le bien, le parfait, mais l'imparfait, théorie dont ilfait sentir l'insuffisance et l'inexactitude *.Mais n'est-il pas absurde de concevoir ainsi un rapportréel et substantiel, et n'esl-il pas téméraire d'en supposeraux pythagoriciens la pensée? Téméraire, peut-être;1. Met., I, 7.2. Met., I, 5.3. Jfel., XIV, 4 et 5 ; XXI, 7. Voir plus loin.


DES PYTHAGORICIENS. 21car nulle part ils n'ont donné d'explication sur la naturede ce rapport ; mais s'il règne à cet égard une confusiondans leurs esprits, on doit se rappeler dans cette périodedé la science le penchant à tout objectiver, à tout réaliser,plutôt qu'à tout ré<strong>du</strong>ire en unités abstraites. Lemoment de l'idéalisme est pressenti, il est appelé : iln'est pas venu. Hais qu'il y ait une notion <strong>du</strong> rapportqui l'élève à une réalité vivante et concrète, c'est ce quela <strong>philosophie</strong> elle-même nous apprend.Le rapport n'est, en effet, qu'une limite, et la limiten'est pas une notion vide, mais au contraire une notionpleine d'être, car c'est en elle que les termes relatifs ontleur réalité et leur substance : ils ne-s'évanoujssent pas,en effet, dans le rapport; ils y pénètrent, s'y pénètrentl'un l'autre et, pour ainsi dire, s'y identifient.Qu'on y pense, en effet. Tout être n'est autre chose quele rapport d'une forme et d'une matière. Il en est l'unité.Sans dont*, il est possible, il est nécessaire de concevoirune forme pure, un acte pur, un être %i parfaitementsimple que la notion de rapport lui soit contradictoire ;xnafs les pythagoriciens ne se sont pas élevés jusqu'à cemonde intelligible au seuil <strong>du</strong>quel ils se sont arrêtés,laissantàPlaton la gloire d'eneffronter l'éblouissante clarté.Hais dans le monde des choses cosmiques, pour me«ervir de leurs termes, où ils se sont renfermés, toutechose est vraiment nn rapport, une limite, un nombre :et je trouve qu'on n'a pas assez reconnu la profondeuret la justesse de cette observation.Lorsque les pythagoriciens définissent l'homme, l'harmonied'une âme et d'un corps *, il est clair que cette har-1. Stob., Flora., I, g 16, p. 43, Gaisf. : "O SI àripuico; oùy. d d-vxd


23 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEmonie constitue toute la réalité <strong>du</strong> corps et toute la réalitéde râme,puisque, disent-ils, ni le finini l'infini n'ont d'existencepar soi, et qu'ils n'existent que dans le rapport oùils se pénètrent et se soutiennent. Lorsqu'Aristote,d'accord avec Platon, définit la sensation, le commerce, lecontact, le rapport <strong>du</strong> sujet sentant et de l'objet senti,rapport' qu'il appelle leur acte commun, la forme, lepoint, la limite où ils ne font plus qu'un, ne dit-il pas,comme Pythagore, que-cet acte est un nombre et enmême temps une réalité! Aristote va même jusqu'àappeler harmonie cet acte <strong>du</strong> sensible et <strong>du</strong> sentant, età rappeler que pour qu'il y ait sensation, il ne faut pasqu'il y ait disproportion entre eux 1 .Nous pouvons donc donner ce sent au nombre pythagoriciensans absurdité ni invraisemblance, et nous neserons pas obligés pour sauver la vraisemblance et lebon sens d'avoir recours, comme les pythagoriciens dela«econde époque, à une interprétation purement symboliqueet allégorique <strong>du</strong> mot. Mais nous sommes loinde prétendre 1 que nous ne rencontrerons pas dans ledéveloppement et l'exposition de leur doctrine la confusionet la contradiction, inhérentes au problème luimême,et surtout à la solution imparfaite et incomplètequ'ils lui ont donnée. Sachons cependant reconnaître cequ'il y a de profond et de beau dans cette conception^qui fait <strong>du</strong> nombre le rbytbmc universel de la vie,fuôjwiç, épi8|U(, la loi, l'acte <strong>du</strong> développement des rai-(iâvov, iXXàxal xi aû|ia' xi vap et auçoxé'pttv (âov xai xi xaioOxovâvOpurcoc. C'est le mot même de Platon. Pkmdr., 246. Yogi xai aâuaitàrev. P/urdon., p. 79.1. De tentu, II, ni, 23.


DES PYTHAGORICIENS. 23sons séminales contenues dans l'unité', et qui, allantplus loin, confond cette notion <strong>du</strong> rhythme mesuré, dansle développement <strong>du</strong> principe rationnel qui fait le fondde toute existence, avec l'ordre, et l'ordre même avec lasubstance de l'être. Et en effet, comme nous le verrons,la loi de la vie est le développement progressif. L'être. part d'un germe imparfait et réalise le nombre 1 qui est enlui, c'est-à-dire, l'ordre, c'est-à-dire encore, le bien, parune série de développements progressifs : et comme c'estdans sa fin qu'il obtient la perfection de son essence, etque cette fin est le nombre, les pythagoriciens ont raisonde dire que le nombre, l'harmonie, l'ordre, c'est-à-direle Bien, est l'essence de l'être. Et comme ce qui fait l'essence'd'unechose est l'être vrai de cette chose, encorequ'un autre élément s'y puisse mêler, le nombre peutêtre dit la chose même. C'est ainsi que Platon dira quel'essence de l'objet sensible, et par conséquent son êtrevrai est l'Idée: ce qu'il y a de réel dans l'être, c'est lerationnel, le AôYOC. Mais le nombre pythagoricien est-ilun élément purement rationnel, idéal, intelligible?Ici règne une confusion dans nos fragments, unecontradiction entre eux qui se repro<strong>du</strong>isent jusque dansles renseignements d'Aristote et qui sont telles, que nouscraignons bien de n'y pouvoir porter ni la clarté ni laprécision suffisantes.1. Définition <strong>du</strong> nombre, d'après quelques pythagoriciens, cités parIambl., in Arithm. Nicom., p. 11 : IIp|utT*>v TOù< Xé^oue,. Fr. 1. Boeckh, p.54.Brand.,De perd. lib. Arist., p. 35 : Ilipar, xal àxetplav {iitooTrjaai, d'où Proclus(Theot. Plat., III, 7, p. 137) appelle Dieu ou le nombre des nombres,xfparo; xetl ànuptoî ûiroaTpVniv.


24 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEII semble en effet que la pensée des pythagoricienss'est troublée devant celte grande idée de l'être suprasensible.Comme ils ne reconnaissent pas une existenceréelle en dehors des choses, comme ils déclarent l'intelligibleinséparable <strong>du</strong> sensible, ils sont portés à lesconfondre, et il semble qu'à force de les unir ils lesidentifient. Cependant leurs principes protestent, etcontiennent en germe le plus pur idéalisme commele reconnaît Aristote lui-même.Essayons donc d'en suivre la trace, et d'analyser,,dans toute sa signification complexe et profonde, l'idée<strong>pythagoricienne</strong> <strong>du</strong> nombre.Et d'abord, dit-on, le nombre ne peut être un élémentpurement idéal et intelligible, parce qu'il n'est pas simple.Ce nombre, principe de l'essence, a lui-même des principes,ou au moins des éléments :etde ces éléments l'unest le pair, l'illimité, la matière, l'autre est l'impair, lalimite, xi irfp«« et à la fois xô Twtcpocfjitvov. Si l'on veut re<strong>mont</strong>erplus haut encore, et considérer l'unité elle-mêmequi engendre tous les nombres, on verra qu'elle-mêmeest un composé <strong>du</strong> pair et de l'impair'. Ainsi, de toute façon,la simplicité manque au nombre et à l'unité qui l'engendre,et partant elle n'est pas un élément idéal de l'être.« Le monde de la nature, dit Philolaûs, est un composéharmonieux des principes infinis et des principesfinis, il ineîpwv xal iripatvdvTtov ; et il en est ainsi <strong>du</strong> mondedans son Tout, et de chacune des choses qui sont en lui.« En effet les choses sont ou finies, ou infinies, ou uncomposé de ces deux espèces. »Elles ne sauraient être toutes finies, car l'élément in-1. ArUt., Jf«l., I, 5. Philol., Fr. 1.


DES PYTHAGORICIENS. 25fini qu'on observe dans la réalité n'aurait plus de causeni d'explication 1 , elles ne sauraient être toutes infinies,car l'infini ne peut être connu*; il n'y aurait doncpins aucune chose connue, tandis que nous sommes obligésd'avouer que la science et la connaissance existent.Donc, puisque les choses ne peuvent être ni toutesfinies, ni toutes infinies, il est nécessaire que le mondedans son Tout, et dans chacun des êtres qui sont en lui,soit an composé harmonieux* <strong>du</strong> finiet de l'infini, ce quenous attestent d'ailleurs l'observation et l'expérience'.Ortoutes ces choses, celles <strong>du</strong> moins que nous connaissons,ont le nombre, fyovnTOV dpiôjiôv. Car il n'est pas possiblede connaître ni de penser quelque chose qui soit privé <strong>du</strong>nombre*, qui est lui-même pair ou impair, et provientde l'unité qui est à la fois l'un et l'autre. Le monde estdonc bien fait, comme le dit Nicomaque, à l'image <strong>du</strong>nombre, et l'un n'est pas moins que l'autre un composé<strong>du</strong> fini et de l'infini*.Mais on ne remarque pas dans cette exposition, d'ailleursassez confuse, que les choses sont dites avoir lenombre, et non pas être absolument identiques à lui ;c'est ainsi qu'Aristote dira : le nombre a grandeur, fx"iet non est grandeur.Voilà comment je m'explique l'apparente contradic-1. J'ajoute cette partie <strong>du</strong> raisonnement au fragment mutilé, qui larenfermait nécessairement.2. C'est la maxime que répétera Aristote, et dont il fera le principede sa Logique : on ne peut pas re<strong>mont</strong>er à l'infini la série des raisonset des causes, &V£YXT) arrivai.3. SuvapuAvén.4. Pkilol., Fr. 1.5. Philol., Fr. 2 b, p. 58.6. ArttAm., II, p. 25g.


26 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEtion d'Aristote, qui, après nous avoir dit que les nombressont les êtres mêmes, dptôpoùe. va èVra, ajoute dans le mêmechapitre que les nombres sont antérieurs à tout être naturelde l'ordre <strong>du</strong> devenir, ttSar^ çûowoç TcpûVroi *, queleschoses sont des imitations, 6u.ouou.aTa, des nombres, etque les êtres ne sont, n'existent, ne subsistent que par uneimitation, piprfcu, dont la participation platoniciennerepro<strong>du</strong>it sous un autre nom toute la nature 1 . C'est parla participation, uiOeÇte, que les choses sensibles sont homonymesaux idées ; mais cette théorie de la participationn'appartient pas à Platon ; elle appartient aux pythagoriciensqui disent que les êtres sont ou l'imitation oupar l'imitation des nombres.J'entends donc que, sans les séparer, les pythagoriciensdistinguent l'élément idéal et rationnel, fini et limité deschoses, le àôYOC, comme l'appelle Philolaûs, et l'élémentmatériel, qui lui donne un corps, une réalité sensible,cuijxaTÛlv, îiTOxmjaai. Aristote nous dit et Philolaûs nousfait entendre qu'il y aurait trois choses : le fini, l'infini,et le rapport ou l'unité, Tô âV. Mais quelques lignes plus1. On peut encore entendre que les nombres sont l'élément premier,primitif, et par conséquent vrai et essentiel de la réalité. Aristote emploieici irpûTo; dans le sens logique qu'il lui a donné souvent, et nondans le sens d'une antériorité chronologique. Car, dans sa pensée, cesdeux ordres sont souvent contraires : ce qui est premier «poç, é,gâc,estpostérieur dans la nature des choses, x«8' aétô.2. Met., I, 5 et 6. Au lieu de ptignaiv ta évta rivai, on lit dans Bekierla leçon que j'adopte, uiurjoci. C'est précisément parce que les chosessont des nombres, qu'elles leur ressemblent, et c'est précisément cetteressemblance des nombres mathématiques et des nombres concretsqui fait affirmer aux pythagoriciens leur identité : ils assimilent leschoses aux nombres, à cause des ressemblances que l'observation révèleentre eux et elles3. JfeL, I, 5.


DES PYTHAGORICIENS. 27loin, Aristote ré<strong>du</strong>it ces principes à deux, l'Un et l'infini; mais alors l'Un n'est donc plus le rapport <strong>du</strong> finiet de Viriflni ? Si vraiment ! et voici comment je m'expliquele fait. Dans le monde, ni le fini ni l'infini n'ontd'existence réelle en dehors <strong>du</strong> sujet un en qui ils s'unissent,et qui en est la synthèse. Mais en dehors <strong>du</strong>monde, et au-dessous de lui, pour ainsi dire, l'infini, lamatière sans forme, le vide immense a une sorte d'existence*. L'être réel, l'Un, n'est primitivement qu'un germe: et ce germe est l'unité vivante et concrète <strong>du</strong> nombreet de la matière, et précisément parce que ce germecontient le nombre et la limite, il est de l'ordre deschoses finies ; il est fini. Mais comme le mouvement del'être est progressif, ce germe a besoin de se développer,et comme il a la vie, il ne peut se développer quepar les fonctions vitales dont la respiration ou plutôtl'aspiration est la principale et la plus caractéristique.Par l'aspiration, le fini se met en rapport avec l'infiniqu'il absorbe, qui s'intro<strong>du</strong>it en lui, mais qui, en s'intro<strong>du</strong>isanten lui pour y développer les raisons séminales,se transforme, s'assimile à lui, ou plutôt à l'élément supérieurqu'il renferme : c'est-à-dire que l'infini setransforme en fini en s'intro<strong>du</strong>isant en lui, prend laforme et le nombre en pénétrant dans l'être qui a déjà lenombre. Car le nombre est non-seulement l'essence, ilest la cause de l'essence aftioç tîjç ouatai; 2 ; il est le principeactif et interne de l'ordre, la cause efficiente et enmême temps finale <strong>du</strong> développement mesuré et harmonieuxde l'être, qu'il ne peut pro<strong>du</strong>ire qu'en se met-1, Phyt., UI, 4.2. Met., 1, 6 : Toi; àpi8p.où« aWoyç elvai toit JXXoi; roc oOotac.


28 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEtant en rapport avec l'infini. Le nombre gui prodoitce rapport, en même temps le mesure, le limite et leconstitue. Il est ce rapport non pas causé, mais causant, un rapport vivant, actif, cause, âpiOjxèc afctoc.Il résulte de cette interprétation, si elle est exacte, unpoint de vue profond, mais dont la profondeur même apu pro<strong>du</strong>ire la confusion dont nous nous plaignons. Jamaisl'infini n'envahit le fini ; c'est tout le contraire, lavie est l'assimilation éternelle de l'infini par le fini, quil'absorbe, le transforme, et pour ainsi dire, le supprime.Le <strong>du</strong>alisme des contraires, si fortement prononcé au débutde la doctrine, se trouve combattu par le sentimentnon moins fort de l'unité. En effet, qu'est-ce que lemonde et le nombre? C'est le fini; mais qu'est-ce quele fini? c'est l'infini Unifié; c'est le Tô iXlo ramené au wh, puisque ce Tô h ne se nourrit que de Vautre. Les deuxprincipes donc se pénètrent en pénétrant dans la limitequi les unit et les sépare, les distingue et les identifie. Oucomprend alors que lenombre se confonde non-seulementavec l'essence, mais avec la substance, l'hypostase deschoses ; et les expressions d'Aristote ne sont que les dérterminations complexes d'une théorie obscure, mais profondeet riche; et non d'inexplicables contradictions.Il n'est donc pas nécessaire, pour sauver les inconséquencesde la doctrine et les apparentes contradictionsd'Aristote, d'avoir recours à l'hypothèse gratuite des interprètesnéo-pythagoriciens.Modéra tus', Ammonius 1 , Asclépiade 1 , n'ont attachés1. Porph., r. P., 48.2. SchoU.Âritt., p. 559.3. SchoU.Aritt., p. 540. Tbéano, dans un fragment peu.authen-


DES PYTHAGORICIENS. 29la déGnition <strong>pythagoricienne</strong> de l'être par le nombrequ'un sens allégorique. Les nombres ne sont qu'une algèbresymbolique et représentative. « Impuissants àrendre, à l'aide <strong>du</strong> langage, les notions délicates d'idées,de formes incorporelles, de premiers principes, les pythagoriciensont, comme les géomètres, recours auxnombres pour exprimer et figurerleur manière de concevoirles choses. C'est ainsi que la notion d'unité,d'identité, d'égalité, <strong>du</strong> principe qui cause, dans l'universalitédes êtres, cette attraction mutuelle, cette sympathiequi en assure la conservation, en un mot la notionde l'être absolument et éternellement identique,avait reçule nom de l'Un, tô rV, parce que, en effet, dans les êtresparticuliers on irouve l'unité dans l'unification et le rapportmutuel des parties, pro<strong>du</strong>its par la cause première. »«De même encore, ils exprimaient au moyen des nombres,et d'une manière figurée,l'élément de diversité, demutabilité que présentent les choses, celte nécessitépour elles d'avoir un commencement, puis une fin,qu'elles ne peuvent réaliser qu'en traversant un milieu,un état intermédiaire. Si la décade était pour eux letique, cité par Stobée (Ed., I, 302), dit : < Je sais que la plupart desGrecs sont persuadés que Pytbagore a enseigné que tout naît desnombres, tandis qu'il a dit, non pas que toute chose vient <strong>du</strong> nombre,mais est formé suivant le nombre. • C'est encore à cette interprétationque se rattache un fragment d'un Tepo; AôYOç,, attribué à Pythagorepar Iamblique (in Sic. Arithm., p. 11), et cité par Syrianus (in Jfet.,XIII, 6; Scholl.minor, p. 303 et 312), où le nombre est appelé la mesureet la raison qui dirige l'art de Dieu dans la formation <strong>du</strong> monde.Hippase, lui aussi, d'après Iamblique et Syrianus, 1.1., et Simplicius(in Phys., t. 104), aurait appelé le nombre, le premier paradigmede la formation cosmique, et l'instrument intelligent <strong>du</strong> Dieu quil'opère : napà5nvu.a npûvov xoeu-onoita;, et xpmxov xoipoupyoù Bioûipvavov.


30 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEnombre parfait, c'est que, assimilant tous les rapports etles causes des choses à des nombres, ils représentaientainsi le rapport et la causé qui embrasse, enveloppecontient tous les autres, comme dix fait à l'égard desautres nombres : Stxoç oïov Se'x*« '. »Telle est l'opinion de Modératus. Ce n'est pas à l'impuissancede donner à leurs pensées par la parole uneexpression claire et adéquate, c'est à un amour instinctif<strong>du</strong> mystère, au penchant orgueilleux pour une science secrèteréservée aux esprits d'élite, que la symbolique màthématique des pythagoriciens est attribuée par Asclépiade.R Ils n'ont pas voulu, dit-il, profaner la science etla prostituerà des savetiers. Voilà pourquoi ils l'ont transmisesous une forme symbolique, et se sont exprimés, commeles poètes sous une enveloppe qui cache la pensée.< Ce que les pythagoriciens désignent par les nombres,ce sont les idées physiques, Tàefê») fusixâ, qui définissent etdéterminent la matière, comme les nombres définissentet déterminent les choses nombrées.« Le nombre n'exprime pas la matière ; car commentconcevoir qu'on compose avec des nombres des êtresphysiques 2 ?» Cette interprétation re<strong>mont</strong>ait à Ammonius,le maître d'Asclépiade, cité par ce dernier en témoignage'. Mais comme elle n'est nullement nécessairepour donner à ia doctrine des nombres un sens philosophique,comme elle est contraire aux expressions préciseset claires d'Aristole, dont les objections deviendraientalors ridicules, comme elle ne se <strong>mont</strong>re d'ailleurs1. Jfodwal., dans Porphyre, F. P., 48-52.2. Scholl. Ârist., p. 540.3: SeliM. Arist., p. 559 b, 9.


DES PYTHAGORICIENS. 31que cinq cents ans après Pythagore, nous ne pouvonsen aucune façon l'accepter : car elle n'est pas fondéesur les textes; elle est contraire à l'interprétation d'Aristote,et ne nous sert même pas à lever dans les renseignementsde ce dernier une contradiction qui n'existe pas.Il en est une autre plus réelle et qu'il nous reste àexposer. Le nombre est-il un être éten<strong>du</strong>, une grandeur,une substance sensible et corporelle? Il est certain qu'ontrouve dans Aristote, à celte question, les deux réponsescontraires.Les nombres, dit-il en effet, ont une situation dansl'espace : situation différente, plus haut ou plus bas,suivant leur place dans l'échelle qui leur est propre.Ainsi les pythagoriciens placent l'opinion dans tellepartie <strong>du</strong> monde, fc> *


32 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEment que le nombre est cause de tout ce qui est et devient,a été et est devenu, sera et deviendra, et qu'iln'y a pas d'autre nombre que celui qui constitue lemonde '. Le seul nombre qui existe est le nombre mathématique,mais non pas séparé ; et ce nombre seulconstitue les essences ou êtres sensibles. Le mondeentier est fait de nombres ; mais ces nombres ne sontpoint des nombres inonadiques * ; car ils prétendentque leurs monades ont grandeur et éten<strong>du</strong>e, T«ç|Mv, p. 75-77. Voilà comment, un peu plusloin, vers la fin <strong>du</strong> ch. vi (Ilet., XIII), Aristote ajoute que, contrairementà tous les philosophes, les pythagoriciens n'admettent pas queles nombres soient monadiques, u.ovaSixov; àei6u.oûc.3. Met., XIII, 6; XIII, 8. Les corps sont composés de nombres; et lenombre composant est le nombre mathématique. C'est là ce qu'il y ad'impossible dans leur conception.4. Vide supra et XIV, 6: • Le lieu esf propres aux êtres indivi<strong>du</strong>els,c'est pourquoi on les dit séparés par le lieu (autureinander : ils sonten dehors les uns des autres) : il n'en est pas ainsi des êtres mathéma-


DES PYTHAGORICIENS. 33TU (MyAvi Ttonî, et l'Un est père de la pluralité sans qu'onnous explique comment 4 .Je ne crois pas que ce soit là la vraie objection à faireau système : comment leur unité concrète engendre lenombre abstrait et véritablement mathématique, voilàce qu'ils n'expliquent pas, et ne pourront jamais expliquer; mais comment leurs nombres pro<strong>du</strong>isent l'éten<strong>du</strong>e,ils n'en sont nullement embarrassés. Car leur unitéest un composé, soit deplans, soit d'un germe, et ellea lapuissance motrice et vivante d'attirer à soi, d'absorberen soi, de s'assimiler les parties de la matière infiniequi l'entoure, et en transformant cet infini en fini,de trouver là comme un aliment à son propre développement1 . Au fond les pythagoriciens sont éminemmentdes physiciens ; les mathématiques ne sont que la formede leur physique, et je ne crois pas, malgré le témoignagede Stobée, qu'Ëcphantus ait été le premier de leurÉcole qui ait considéré les monades comme corporelles,et ramené les principes des choses à des corps indivisés,àrofia.et au vide 1 . Leur système ne serait-il donc qu'unerepro<strong>du</strong>ction de l'atomisme ionien, et <strong>du</strong> système dethiques. Et venir dire qu'ils sont quelque part, sans ajouter xl ou ri;ioTiv 6 TôKO;, c'est absurde. »1. XIV, 3 : Ta yàp iieY'fol notai.... Dû; xai vaûva itol.Xà xi 2v.2. Met., XIV, 3 : Toû ivo; ausTaSivto;, et xt U inineouv être exXpotâ;, être êx aitcpiuvro;,... eùêùç xi iryiaxti TOû ànripou Sri tîXxfTOxal xepatviTo ûito TOû xépxroç. ld., XIII, 6. Le premier Un, xi rcpûTovtv, a lui-même grandeur, o-uvioii} l/.ov psYteo;. D'ailleurs cette fonctionmême d'aspirer le vide, qui suppose que l'Un se remplit <strong>du</strong> videou de l'espace, et qu'il l'enferme et l'enveloppe dans la limite de sesplans, marque évidemment un être éten<strong>du</strong> et physique.3. Stob., Eclog., I, p. 308. Lui-même nous dit ailleurs (I, 21, p. 540)que Pythagore appelle les éléments des êtres mathématiques.il —3


34 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEDémocrite * ? Ce rapprochement peut-être exagéré s'autorise<strong>du</strong> moins d'Aristote.Dans son traité de l'Ame, faisant l'histoire de la question,il arrive à l'opinion de ceux qui prétendent querame est un nombre, une monade qui se meut : il s'agitdonc des pythagoriciens. Il ajoute que pour eux il nesemble pas y avoir de différence entre les mots monadeset petits corps 1 , et d'un autre côté il rapproche les atomistesdes partisans de la doctrine des nombres. Sanss'exprimer aussi clairement que les pythagoriciens, ilsveulent certainement, eux aussi, dire que les êtres sontdes nombres et faits de nombres*.Nous n'aurions donc ici qu'une seule et même doctrinesous deux formules différentes.Mais il s'en faut qu'Aristote soit complètement icid'accord avec lui-même. Car après avoir autorisé lerapprochement des deux écoles, il en signale la profondedifférence.D'abord nous nous rappelons que les nombres sontantérieurs à tout être naturel, wxmiç çôMCOç irpStoi ; nonpas, sans doute, dans le temps, puisque les pythagoriciensdisent que les nombres sont dans les choses sensibles,et ne sont jamais en dehors et séparés d'elles \mais <strong>du</strong> moins les premiers dans l'ordre et la dignité del'être, dSiupetTi xal tAlu. Le nombre inséparable est donc1. M. Ravaiss., Met. d'Arist., 1.1, p. 272.2. De Anim., I, c. iv : OùSev îiaçépeiv poviSa; XCYIIV Ij aMpittaouixpâ.3. De Coel., IU, 4 : Kol oOtoi xàvta ta ivta itoioûaiv àpiôuoù; xai «api6uûv.4. JfeL, I, 5. ScfcoM. Aria., p. 559 a, 33 : 'ritottervtat to4< àfApoù;iv tôt; alaWitov; rivai xal oO&eitoti àviu tûv atv iwmap» 1 ''


DES PYTHAGORICIENS. 35distinct de l'être sensible. C'est ce que nous.allons voirplus nettement encore affirmé.« Ceux qu'on appelle les pythagoriciens, emploient lesprincipes et les éléments d'une manière plus étrangeencore que les physiciens : et cela vient de ce qu'ils onttiré leurs principes d'êtres non sensibles et sansmouvement, oùx akôifrwv xal ECOç. Or toutes leursrecherches portent sur les êtres physiques : et ainsi ilsdépensent en pure perte leurs principes et leurs causescomme s'ils s'accordaient avec les physiciens à ne reconnaîtreque les êtres sensibles, enfermés dans ce qu'onappelle notre monde. Mais leurs causes et leurs principessuffisent, selon nous, pour s'élever à la conceptiond'êtres hors de la portée des sens,' et ou peut mêmedire qu'ils sont plus en rapport avec ce monde supérieurqu'avec la science de la physique '. »Ainsi il y a dans les doctrines <strong>pythagoricienne</strong>s, maldégagé, mal employé, mais réel cependant, un principesupérieur, le germe fécond de l'idéalisme. Si elles ne leproclament pas, elles nous aident et pour ainsi dire nousobligent à concevoir un monde intelligible supérieur àa nature, et nécessaire pour l'expliquer. Ce principec'est que l'essence de l'être sensible même est un nombre,c'est-à-dire une loi, un ordre* un rapport, c'est-àdirequelque chose qui se conçoit comme distinct de l'élémentchangeant, variable de l'être, encore qu'on nel'en puisse concevoir comme séparé. L'intelligible estl'essence <strong>du</strong> sensible.C'est peut-être entraîné par cette considération des1. Jfel., 1,7: 'Ixotvàc xal cnavaSijvai xal lui xi avanlpu x&ttram xal |iaÂXov r\ TOû; mol oûnu; Xâroi; apptotTovaaÇ.


36 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEconséquences idéalistes que contient logiquement ladoctrine des nombres, qu'Aristote leur faildes objectionsqui confirment ce que nous venons d'exposer. Gommentde ce qui n'a pas de mouvement, le mouvement pourrat-ilnaître? Comment de ce qui n'a pas d'éten<strong>du</strong>e pourrat-onengendrer ce qui est éten<strong>du</strong> 1 ? En supposant même,en leur accordant qu'on puisse tirer l'éten<strong>du</strong>e de leursprincipes, on n'en pourra <strong>du</strong> moins jamais tirer lespropriétés secondes de l'éten<strong>du</strong>e, par exemple : la légèretéet la pesanteur. Et en supposant encore qu'on leuraccorde ce dernier point, on ne pourra jamais expliquerles différences de pesanteur des corps sensibles, pro<strong>du</strong>itsavec des nombres qui n'en ont aucune 1 . Le ciel et laterre qu'ils construisent ainsi ne sont vraiment pas notreterre ni notre ciel *. Alexandre, commentant et développantce passage y voit la preuve qu'Aristote attribueaux pythagoriciens d'avoir pris pour principes des êtresincorporels et immobiles, dp^àç iaumizavi xol axivijTouç *,et il ne faut pas trop s'étonner que Plutarque et Slobéenous disent que Pylhagore a tenu les premiers principes1. Met., XIII, 8 : To Se ta (jÛLiora iî &pv9uûv «îvot roYxctueva, xaitàv àpiûtiôv TOûTOV etvai JAaBnpcmxov àSûvatov. De Ccel., III, 1 : Ta(îsv fàp çvjaixà aûiiaTa paîveiai Bàpo; SyovTa xol xoupôrrjTa, TOC, Sipovâîac oûtt oûLto itoitîv otôv Tt enjvTtOeuÉva; OùTE BâpopixEiv. Haisl'objection que le nombre mathématique n'a pas d'éten<strong>du</strong>e n'est pastirée deda doctrine <strong>pythagoricienne</strong> : c'est Aristote qui oppose cetteraison excellente pour le sens commun, au système, et il leur répèteconstamment : Ou le nombre a grandeur, et alors il n'est plus nombre;ou il n'a pas grandeur, et comment alors forme-t-il les choseséten<strong>du</strong>es ? Mais c'est ici un raisonnement et non une exposition.2. JfeL, I, 7.3. Met., XIV, 3 : "AAAOU oCpivou xci oupucTtov4. Seholl, p. 558 b, 17.


DES PYTHAGORICIENS. 37pour incorporels ', puisqu'Arislote nous dit lui-même :« On avait cru jusqu'alors que l'essence et l'être étaientle corps, Tô aûjxa: eux, plus profonds, soutinrent quec'est le nombre '. »Donc le nombre n'est pas le corps ni l'éten<strong>du</strong>e. Lenombre c'est l'Idée de Platon : le nom seul est changé.Dobcle nombre pythagoricien est d'essence idéale. Il estimpossible de nier qu'entre les divers renseignementsd'Aristote sur la nature <strong>du</strong> nombre pythagoricien il n'y aitpresqu'une absolue contradiction. Gomment se l'expliquer?On a tort, dit-on*, de considérer la doctrine <strong>pythagoricienne</strong>comme un tout parfaitement un, complet,achevé, dont toutes* les parties s'enchatnent, se soutiennent,s'expliquent les unes les autres. Les pythagoriciens,dont l'Institut avait un but spécialement pratique,s'étaient abandonnés, en ce qui concerne les opinionsphilosophiques, à toute sorte de tendances divergentes.Chaque indivi<strong>du</strong>alité énergique traçait sa route et obéissaità-son propre penchant. C'est ce qui rend précisémentdifficile l'histoire <strong>du</strong> pythagoiisme. L'absence dedocuments précis ne nous permet pas de suivre l'histoirede ces divergences qui partagent l'École et de re<strong>mont</strong>erjusqu'à leur origine. Ce que nous prenons pourdes contradictions ne sont que des directions différentes1. ïlac. Phil., I, il, 3. Stob.j Ed., I, p. 336. C'est ce qui expliquecomment on attribuait à Ecpbanthus d'avoir donné le premier unegrandeur éten<strong>du</strong>e aux monades <strong>pythagoricienne</strong>s. Stob., Ed., I,p. 308.2. Jfel., III, 5.3. Gruppe, Ueberd. Fragm. d. Arch., p. 60.


38 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEd'idées, que nous voulons, maigre elles, ramener auneseule.Il est bien difficile d'accepter cette interprétation: si ladiscipline a dû exercer une influence dans une Écolephilosophique, c'est assurément dans celle qui prenaitpour règle de créance la parole et l'autorité <strong>du</strong> maître.Comment Aristote, s'il eût eu conscience des tendancesopposées qu'on signale chez les pythagoriciens, ne leseût-il pas signalées lui-môme, et n'en eût-il pas tenucompte ? Les textes sur lesquels Gruppe s'appuie sont loind'avoir cette précision et ce sens exclusif et rigoureux '.S'il y a un point sur lequel les pythagoriciens ont étéd'accord ou ont cru l'être, c'est sans doute sur les principescaractéristiques de leur système. Ils croient et disenttous que le nombre est le principe, l'essence, l'élémentvrai de la réalité. Parla, il n'est pas possible qu'ilsn'aient enten<strong>du</strong> qu'un élément matériel et sensible; carquel singulier élément sensible et matériel que le nombreI Ils entendent donc nécessairement par là quelquechose de rationnellement et logiquement primitif, irpôko;,1. Au chap. vi, Jref.,XIII, 1080 b, Aristote dit bien: • Tout le mondes'accorde à reconnaître que les nombres sont monadiques, irM|v TûVIIuSsYoptfuv 5»oi, excepté ceux des pythagoriciens qui prennent pourélément et principe l'Un. > Au Traité <strong>du</strong> Ciel, III, 1 : "Evioi yen rhyeéeiv ii àpiOpûy ovvurrao'iv ûamp TûV nuBayoptluv rivée. Hais il nes'agit pas ici d'une partie dissidente de l'École : c'est ce que prouve,pour la première citation, le fait que l'Un a été, par tous les pythagoriciens,considéré comme principe des fitres ; et pour la seconde, laphrase qui la précède, TOî; èÇ opiBuûv e\mi6


DES PYTHAGORICIENS. 39qui se distingue mais ne se sépare pas de l'élémentinférieur et matériel avec lequel il s'unit pour construirele réel. La contradiction n'est pas dans les renseignements: elle est dans les idées, et on peut presque diredans la question elle-même. Quel est le primitif dansl'être? Est-ce le parfait ou l'imparfait? Si c'est l'imparfait,comment expliquer le parfait où il tend et chercheà se réaliser ? Si c'est le parfait, comment comprendrele mouvement qui ne peut plus être qu'une déchéance.Les pythagoriciens croient s'en tirer en disant que l'Un,père des nombres, principe des choses, contient en luimêmele parfait et l'imparfait, c'est-à-dire la contradictionmême qu'ils veulent résoudre '. N'oublions pas quenous sommes en présence de la première tentative d'uneexplication idéaliste <strong>du</strong> monde : la confusion non-seulementest dans la solution; elle est encore dans la questionelle-même.Quel système philosophique aura plus le sentiment del'unité que celui qui donne aux choses pour principe etpeur essence, l'Unité même 1 Mais à peine ont-ils posé ce1. M. Zeller croit que les pythagoriciens ne donnent i leur nombreni nne substance corporelle ni une substance immatérielle et spirituelle,mais seulement une substance logique. C'est le vrai nombrearithmétique, lion sentiment est que le point de départ, le germe deleur doctrine est la confusion <strong>du</strong> nombre arithmétique et de l'être ;mais, dans cette confusion, ils ne vont pas jusqu'à l'excès de ne voirdans l'être que ce qu'il y a dans le nombre. Ils font entrer dans lenombre les éléments de réalité sensible qu'ils trouvent dans, l'être, etcomposent par là un nombre concret, mais qui n'est plus monadique,comme le dit Aristote, c'est-à-dire arithmétique ; et toutefois ils prétendentque c'est encore le nombre mathématique. Ils ne veulent pas voirque ce mélange détruit ou le nombre ou l'être, et ils soutiennent, aucontraire, que l'idée qu'ils s'en font par ce mélange est la vraie idée <strong>du</strong>nombre et à la fois de l'être.•


40 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEgrand principe qu'ils le renversent : ils rétablissent le<strong>du</strong>alisme au sein même de l'unité. L'unité se trouve double;c'est un rapport, elle est paire, impaire, finie, infinie ;non-seulement elle est composée, mais elle est composéede contraires.Et cependant au milieu de ces contradictions, de celteincertitude, de cette confusion, se dégage le pressentimentinquiet, obscur, mais puissant, de quelques véritésqui feront la fortune d'autres systèmes, et on peut ledire, de la <strong>philosophie</strong> même.Le principe des choses, leur essence, est une raison,Xdyoç, un nombre, c'est-à-dire un élément formel, rationnel.Précisément parce qu'il est immanent aux choses,ce nombre, celte essence, ce rapport, malgré son unité,enferme la notion d'un autre terme ; et voilà déjà ques'annonce l'opposition <strong>du</strong> sujet et de l'objet, de la penséeet de la chose, de la matière et de la forme.Tout être est un : l'unité est la forme, la loi de l'être.Ce qui n'est pas un n'est pas. La loi, la beauté, l'ordreest constitutif de l'existence. Tout être, par cela seul qu'ilest, est dans l'ordre, c'est-à-dire, suivant leur langage,dans le monde ; ce qui revient à dire, qu'il renferme unélément de perfection. On peut donc dire que le maln'existe pas ; car tout ce qui est tombé sous la loi <strong>du</strong>nombre, toute vie, tout être, toute chose, reçoit de luiune part quelconque d'ordre et de beauté. L'harmonieest universelle; l'univers n'est qu'une harmonie; le malpeut y paraître comme une dissonance; mais la dissonanceest un nombre, et fait partie de l'harmonie.Il y a plus : non-seulement l'être est en soi rapport et


DES PYTHAGORICIENS. 41harmonie ; mais la pensée n'est pas autre chose. L'intelligencene pense que par la vertu <strong>du</strong> nombre : c'est-à-dire,elle mesure. Mais pour mesurer, il faut qu'il y ait uneunité de mesure, ce qui suppose entre la mesure et l'objetà mesurer une communauté, ou analogie d'essence.La pensée n'est qu'une assimilation, un rapprochement,un rapport, simile simili cognoscitur. « Aucunechose ne peut être connue si elle n'a pas au dedansd'elle, ivrôç&irapxoiW, l'essence dont se compose lemonde, la limite et l'infini, dont la synthèse constituele nombre '. > Sans la décade en qui se concentrent etse réalisent toutes les vertus <strong>du</strong> nombre, tout restedans l'indétermination ; tout est obscur, tout se dérobe.La nature <strong>du</strong> nombre est précisément de donner aux chosesune loi, une raison ; de dissiper l'obscurité qui les enveloppe,et de les faire voir à ceux qui les ignorent. Personnene pourrait rien connaître des choses ni dansleurs rapports internes, ni dans leurs rapports les unesavec les autres, si le nombre n'existait pas et n'existaitpas tel qu'il est. Le nombre qui est dans l'âme et à la foisdans la chose, peut seul établir entre elles cette harmonie,ce rapport, cette relation réciproque qui constituela connaissance '. Si la raison humaine est capablede voir et de comprendre la raison des choses, c'est qu'ily a entre elles une affinité dénature et d'essence,


42 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEjet; et ce lien s'établit parce que le nombre est l'essenceinterne, farap/ofooKIVTôç, de l'un comme de l'autre ; ilest la loi de l'être, comme la loi de la connaissance, quiva <strong>du</strong> semblable au semblable, c'est-à-dire <strong>du</strong> nombreau nombre.Principe de l'universalité des choses dans leur ensemble,puisqu'il est l'unité même, principe de l'être,principe <strong>du</strong> connaître, le nombre est encore principed'indivi<strong>du</strong>ation, et toujours pour la même raison, c'estqu'il est un rapport; non pas un rapport abstrait,causé, mais un rapport concret, efficace, causant. C'estle nombre qui met en rapport l'âme et le corps, laraison séminale, Xrfyoc, et l'infini, et qui par là indivi<strong>du</strong>aliseles êtres. Le nombre divise '.Ainsi le nombre est tout : il est l'essence formelle —car le nombre est la forme J — il est l'essence formellede l'universel comme de l'indivi<strong>du</strong>el, le principe idéal,la raison de l'être comme <strong>du</strong> connaître.Il est tout et partout : dans le tout <strong>du</strong> monde et dansses parties, dans les êtres supérieurs et divins, commedans les êtres inférieurs et méprisables, dans les oeuvres,dans les pensées de l'homme, et jusque dans les artsqu'il a découverts.Ce nombre, cet Un, fv «tpy_à TC«VKI>V, est-il à la fois immanentaux choses,et transcendantî C'est, je crois, unequestion que les pythagoriciens ne se sont pas poséeavec une parfaite précision ; et malgré quelques exprès-1. Fr. 18. Bœckb, p. 141 : SwpôVndV xoù ayjÇiov TOù; Xôyouc, Yupkex&srou;. C'est l'acte d'Aristote.2. Arist., JTet., XIII, 8 : 'O 81 (4pi6|iôc) &n «18o;.


DES PYTHAGORICIENS. 43sions contraires, et qui sont d'une source justementsuspecte, j'incline à penser qu'ils n'ont pas séparé Dieu<strong>du</strong> monde, pas plus qu'ils n'ont séparé la matière de laforme, le fini de l'infini 1 . Gomme le dit énergiquementAlexandre d'Aphrodise, pour eux le causant et le causéne font qu'une seule et même chose 1 .La cause idéale, la cause avant la cause n'est quelogiquement antérieure à la réalité sensible 1 : cetteréalité sensible, ce irpûnov îv p^ytôoe fy° v >enveloppe dansson être deux éléments, et son être consiste précisémentdans le rapport et l'unité qui les renferme tous deux.On pourra facilement dé<strong>du</strong>ire de là le <strong>du</strong>alisme platonicien,l'opposition de la substance et de l'Idée, de la matièreet de l'esprit, mais le point de vue des pythagoriciensne s'est pas élevé jusque là ; l'être reste pour eux surtoutnnité. L'opposition de la forme et de la matière, estpressentie, indiquée ; mais elle n'a pas, dans leur système,de caractère métaphysique.C'est ce dont nous nous convaincrons mieux encoreqnand nous aurons examiné la question des principes<strong>du</strong> nombre. L'opposition des principes se dissimule à1. Asclep., Schoil. Arist., p. 559 a. Ils posent les nombres commecauses à la fois matérielles, formelles et efficientes des choses, xal(iXtxàc, xal sommai;, xal elarjtixà;. Arist., Met., I, 5 : 'Apjrrjv xal £>;û>T|v sole ooai xal ù>i itaftnt» xal 2E.tic.2. SchtU. Arist., p. 560 a, 39 : Tè auto aOtoï; yi-rviTat xi ahiôv xtxal altiatôv.3. Il n'y aura donc pas de Dieu dans ce système si religieux : c'estl'objection de Boeckh, aux interprétations différentes de la sienne surce point. Philolaûs, p. 148. Une faut pas demander aux anciens pythagoriciensune notion de Dieu semblable à celles que le platonisme et lechristianisme nous en ont donnée. Le Dieu des stoïciens, mêlé aumonde et confon<strong>du</strong> avec lui, qui inspire la magnifique morale deH.-Aurèle, leur suffisait parfaitement.


44 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEleurs yeux dans le rapport qui les concilie dans l'unitéde l'être.§ 2. LES ÉLÉMENTS DU NOMBRE.Aristote nous a appris que le nombre est, à tous lespoints de vue, une cause, et la cause de tout. Il ajoute,d'une part, que le nombre vient de l'Un ; de l'autre, queles éléments <strong>du</strong> nombre sont le pair et l'impair dontl'Un se compose'; car l'Un est à la fois pair et impair.Le nombre, venant de l'Un, a donc nécessairementles éléments qui entrent dans l'Un lui-même, c'est-àdirele pair qui est l'infini, et l'impair qui est le fini*.Tout ce qui est, est nombre; tout ce qui est, est un: nousen sommes certains, parce que c'est à cette seule conditionque la connaissance peut exister, et elle existe. C'estdonc par le fait de la connaissance que nous ne pouvonspas nier', que nous arrivons à ce principe. C'estencore le même fait psychologique, s'ajoutantà l'observationet à l'expérience', qui nous prouve que l'Un, lenombre, l'être, est un composé de deux principes; caril est nécessaire que les choses soient ou toutes finies, outoutes infinies, ou le rapport, l'unité, la synthèse de cesdeux éléments.1. ATct.,1,5 : T4vàpi8(i6v àpxriv.... Toû 8èàpt8(ioûoToix£ia, to ipnonxal TO népiTTOv.... Ta 81 ëv et àpçampwv.... Tov S' àf-iQpôv ëx reû ëvo';.2. Il n'y a qu'un nombre, et c'est le nombre mathématique (Arist.,Met., XIII, 6 et 8; I, 8.) Or, le nombre mathématique est pair ou impair,et l'unité est à la fois l'un et l'autre. De plus, le pair pouvant sediviser à l'infini par deux est infini; l'impair, résistant au premiereffet de cette division, a une essence finie. Simplic, ad Phyt., t. Wo a.3. PMI., Fr. 1 : 'Avavxaiou 8ë 6vro; imaTTJiun; çOeiv ëvopioBai.Fr. 18,p. 140..4. Fr. 1 B, p. 47 : Arpioï Se xal va ëv ëpYOû;.


DES PYTHAGORICIENS. 45Elles ne sont pas toutes finies ' : elles ne sont pastoutes infinies; car l'infini, par sa nature même, ne peutêtre connu; donc elles sont le mixte de l'un et de l'autreTô h il à|x»oTtpu)v , .... puvap[io'y_6ï]*, absolument comme lenombre avec lequel elles se confondent, et non passeulement à son image, comme le dit Nicomaque*.Tout nombre et tout être est donc composé, continueNicomaque, <strong>du</strong> pair et de l'impair, de la monade et dela dyade, éléments qui expriment l'égalité et l'inégalité,l'identité et la différence, le déterminant et l'infini, lelimité et l'illimité 5 .C'est-à-dire tout nombre, tout être est une harmoniedes contraires : en sorte que, rationnellement, les contrairessont les principes des choses. Mais ce qui distingueprofondément la théorie des pythagoriciens detoutes celles qui admettaient également pour principesles contraires, c'est que pour eux ces contraires n'ontpas d'existence à part, indépendante, isolée ; ils n'existentque dans le rapport qui les unit, c'est-à-dire dansle nombre: et voilà comment on peut dire qu'il estsubstance, forme et cause de tout être 6 . Le nombre seul• 1. Fr. 1. La preuve manque.2. Met., I, 5.3. Phil., Fr. 1. Diog. L., VIII, 85. Toutes choses sont pro<strong>du</strong>ites parla nécessité et l'harmonie : 'AvàYxu xal ipu-oviu YivtaBxi; c'est-à-direont l'harmonie pour principe, pour cause nécessaire.4. Arithm-, H, p. 59 : Km' EIXôVX TOû àptêpoù.5. Arithm., II, B., p. 51 : Kai "ràp OùTOç OTjp.ua; êx povaoo; xalèuâoo; oTJYxmai, àptiou TE xai rtepirroo, a on îoéroTo; TS xal àviaôrn-TOC ippavrixà, TauTÔrriTÔ; TE xai ÉTepoTïrro;, itspaivovtâ; Té xal àxeîpou,ûptopévou TE xai àopiorou. Conf. Boetb., Arithm., 32. Boeckh,p. 51. Les fragments d'Àrchjtas contiennent la même doctrine.6. Met., I, 5.


46 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEhypostatise le fini et l'infini 1 , c'est-à-dire réalise laraison dans un corps et indivi<strong>du</strong>alise l'être 1 . Maintenantque faut-il entendre par ces éléments contraires ?«Pythagore, qui le premiers donné à la science le nomde <strong>philosophie</strong>, pose comme principes, dit Stobée*, lesnombres et les mpports réguliers qu'on y découvre, etqu'il appelle souvent harmonies ; puis les éléments deces nombres composés de deux principes. Ces principessont la monade et la dyade indéfinie. De ces principesl'un se ramène à la cause efficiente et éternelle; c'està-direà l'esprit ou Dieu; l'autre à la cause passive etmatérielle. >Ce ne peut être là qu'un développement postérieur etune interprétation un peu abusive de la doctrine ; nonpas quant à ce qui concerne l'opposition des deux contraires;mais quant au <strong>du</strong>alisme qu'on veut trouverdans l'un d'eux.Théon de Smyrne nous dit positivement que le termede dyade indéfinie, pour correspondre à l'infini despythagoriciens, était une invention de la nouvelle école 4 .1. népotc xal àneiptav iitourfaou. Syrian., ad Met.. XIV, 1. Textelatin, dans Boeckh, p. 54. Texte grec: Grupp., Fragm. d. Archyt.,p. 115; Brandis, De perdit, lib. Arist., p. 35, 36.2. B„ p. 137-140. On remarquera facilement l'analogie de cette doctrineavec celle <strong>du</strong> Philèbe, 16 c : > Les anciens nos maîtres, plusrapprochés des Dieux que nous, nous ont transmis cette tradition, queles choses auxquelles on donne toujours le nom d'êtres sont composéesde l'Un et de la pluralité, et qu'elles renferment immanents et innésen elles la limite et l'infini. > Et plus loin, p. 23 c, faisant évidemmentallusion à Pythagore, Platon ajoute : • Oui, nous pouvonsle redire, c'est un Dieu qui nous a révélé cette vérité, TOV 6sov tli-Yop.iv.... SsïÇat. •3. Ed., 1,10, p. 300.4. Theon. Smyrn., I, 4, p. 26, cité par Grupp., p. 69 : 01 piv 0


DES PYTHAGORICIENS. 47Il n'appartient même pas à Platon, qui ne l'emploie jamaisdans le sens métaphysique, quoi qu'en disentÂristote et Alexandre d'Aphrodise'. Ce sont ses successeurs,Speusippe et Xénocrate, qui divisent le principede l'infini et en font le principe <strong>du</strong> mal. L'&ceipov aété toujours considéré par les pythagoriciens commequelque chose d'un, dit Aristote, et c'est en cela, suivantlui, que Platon se distingue d'eux : xb S ovtl xoû" «taeipou &;îvôf ôuâSx Troi^aai*; et d'un autre côté la dyade étant unnombre ne pouvait, en tant que nombre, être indéterminée,ni mauvaise. Tout nombre est déterminé.Il y a plus : la vraie doctrine des nombres supprimel'opposition des contraires, et la rend, dans le monde,dans l'existence réelle, presque impossible. En effet,toutes les choses qui existent sont des nombres : or iln'y a pas place pour un contraire d'un nombre à un autre.Ni deux ni trois ne sont les contraires de un, ni lescontraires d'un autre nombre. Entre les nombres, c'està-dire,entre les choses, il n'y a qu'une différence possible,une différence de degrés, suivant la place qu'ilsoccupent dans la série. Le mal n'est donc qu'un moindredegré <strong>du</strong> bien. L'idée de faire d'un nombre, <strong>du</strong> nombredeux, ou dyade', le principe <strong>du</strong> mal ne peut pas être1. Ad Phys., f. 104, 6 : 'Aopijiov Si SvôSa iXeYtv aùxJ|v TOù (UyâXovxai uixpoû ucxéyovaav.2. Met., 1,6.3. C'est pourtant l'opinion que, sous l'influence plus tard prédominante<strong>du</strong> néo-pythagorisme, acceptent la plupart des écrivains. Sert.Emp., odt>. Math., X, 261 : '0 TIu6. &çyr,v içrjaev rivai TûV Svxow xrjvuovàSa.... xai TX.V xaXeuuivTiv àépiexov SudSa. Conf. ld., 276. Modérât.Stob., I, 300 : nuOayôpa;.... àpx«C xoù« apiiaoù;.... xaXiv Si rév uovâSaxai xr,v àépioxov Suâôa. Cf. Id., Stob., I, 58; Euseb., Prxp. Ev.,XIV, 15, 9; Galen., c. vm, p. 251 ; Origeu., Philos., p. 6; AlexandrePolyh. dans Diog. L., VIII, 24.


48 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEd'origine purement <strong>pythagoricienne</strong>. < Le nombre etl'harmonie excluent l'erreur, le mensonge, le mal *. »Toutes les choses sont des nombres, et en tant quenombres elles sont bonnes, et d'autant meilleures qu'ellessont plus élevées, en allant de l'unité qui les engendre àla décade qui les contient et les absorbe dans une unitésupérieure'. Nous voyons déjà se dessiner cette pensée<strong>pythagoricienne</strong> que formule avec plus de précisionencore Philolaùs'. Il y a mouvement <strong>du</strong> moins au plus,c'est-à-dire développement progressif des choses commedes nombres. Si le parfait n'est pas à l'origine, commele dit Aristote ', en attribuant la doctrine à Speusippe etaux pythagoriciens, puisque c'est la décade qui est lenombre parfait, on ne peut pas dire <strong>du</strong> moins qu'unnombre quelconque, et la dyade en est assurément un,puisse être considéré par de vrais pythagoricienscomme un principe <strong>du</strong> mal; et je trouve qu'on méconnaîtles règles d'un raisonnement sévère, quand dece que les pythagoriciens ont placé l'Un dans la série ousystoichie des biens", on veut conclure que les autresnombres sont des maux: rien n'est plus contraire àleur principe. Tout nombre est un par sa forme, et bienplus, tout nombre réel, concret, hypostatisé, unité de1. Philol, Fr. 18. Boeckh, p. 145.2. On peut dire que le nombre, l'unité, est comme le point de coïncidence,où les contraires disparaissent en se réunissant. Le nombrene subit pas les contraires ; on peut dire même qu'il les exclut. Ils s'évanouissentpour ne laisser de réalité qu'au rapport qui les a absorbéset assimilés.3. B., p. 157.4. Met.. XI, c. vu ; T4 dpisxov xal'xiUiorov p.*, év àpj$ sîvai.5. Ethic. Nie, I, 4.


DES PYTHAGORICIENS. 49l'inGni et <strong>du</strong> fini, tout nombre est décadique', et parcela même tétradique.Que faut-il <strong>du</strong>ne entendre par ces éléments <strong>du</strong>nombre, que Philolaûs appelle la limite et l'inGni, etdont la synthèse inséparable, 5w|MoupYiav dfppnx-rov, opéréepar le nombre, constitue l'être, et se nomme l'Un, to«pûrov êv ejrov ta«Y«8oe, ti irpHTOv âp|A08flfv ?D'abord ces éléments sont contraires: et en développantles oppositions que contiennent les deux premierstermes de cette contradiction, les pythagoriciens étaientarrivés à dresser une table de dix couples conjugués decontraires qu'ils appelaient ou que Aristote appelle desSystoichies ou Goéléments 1 . Us avaient donc ici, commedans le système céleste, obtenu ce nombre dix qui leurparaissait la forme de tout être, et de la perfectionmême. Voici cette table :1. Fini et inûni —itspae*, àirtcpov.2. Impair et pair.3. Un et multitude, h, irXrjôoc.4. Droit et gauche. . .5. Mâle et femelle.6. Repos et mouvement.7. Rectiligne et curviligne.8. Lumière et ténèbres. - •9. Bien et mal.1. Jean. Philop., in (. de An. C, p. 2. Brand., De perd.lib. Art*».,p. 49 : Ta cUri àpiépoi tloiv, ipiSpol Si St>aSixoî* éxaerav fàp xùt tt-SùvScxdSa Utfov.... Et plus loin, Brand., p. 52 : "0


50 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUE10. Garré et étéromèque 1 .Cette table, premier essai arbitraire et d'un caractèretout exceptionnel des catégories de l'être, se retrouveavec quelques divergences dans les auteurs. Les pythagoriciens,dit Plutarque', donnent de nombreux prédicatsau bien: l'urj, le limité, l'immobile, Tô pcvov, ledroit, Tô tù8ù, l'impair, le carré, l'égal, l'à-droite, TO 5e?idv,le lumineux, et en y comptant le bien, il conserve ainsila décade des principes pythagoriciens qu'il change àpeine. Simplicius' y ajoute le haut et le bas, l'antérieuret le postérieur; Diogène la ré<strong>du</strong>it à trois membres, etEudore à sept dont les noms sont sensiblement modifiés,comme on peut le voir par la nomenclaturesuivante :1. L'ordonné, TO wTotypivov.2. Le limité, le définira wpwuivov.3. Le connaissable, TO yvwsrov.4. Le mâle.5. L'impair.6. L'à-droite, Tô Sel-iév.7. La lumière*.Que cette classification n'appartienne qu'aux nouveauxpythagoriciens, et point aux anciens, c'est une chose quime parait plus contestable qu'à Zeller : et je la contesteformellement. Aristote d'abord, en nous la repro<strong>du</strong>isantau milieu de son exposition de la doctrine des anciens1. Quadrilatère irrégulier, ou, d'après S. Thomas, rectangle commeopposé au carré.2. De ls. et Os., c. xxvui, xaniropoùai.3. Scholt. Arist., 492 a, 24.4. Eudor., dans Simpl., in Phys., f. 39 a, m. Porphyre, F. P., 38,les ré<strong>du</strong>it à six : il supprime l'impair.


DES PYTHAGORICIENS. 51philosophes et des anciens pythagoriciens, ne nous laisserien soupçonner de tel ; en outre dans plusieurs autresendroits de ses ouvrages, il la confirme partiellement'.Enfin, après avoir fait connaître les dix couples descontraires pythagoriciens, Aristote ajoute: * Alcméon deCrotone parait les avoir admis tels que nous venons deles exposer, Ôvrap xpô'Trov lotxe xat AXxpotftdv ûitoXaêeiv*. » SiAlcméon admettait cette table, elle re<strong>mont</strong>e assurément,au moins quant à sa date, au plus vieux pythagorisme;puisqu'Alcméon est contemporain de Pythagore, etcette origine ne serait pas moins ancienne, si, au lieude l'avoir reçue des pythagoriciens, Alcméon était luimême,si non l'auteur de la table déterminée, <strong>du</strong> moinsl'inventeur <strong>du</strong> principe qui y a con<strong>du</strong>it.Si l'on regarde avec soin cette table, pour se rendrecompte de la nature des deux éléments principaux dontelle n'est que le développement artificiel et arbitraire,on verra que la limité, qui est à la fois la chose limitée,râ itfn-tpacpuvov, et la cause limitante, renferme en soil'Un: ce qui est assez extraordinaire. Car il résulte delàque l'un, xô 7cpwtov îv, est l'harmonie de l'Un et de la multitude,qu'il est à la fois le rapport, l'un des termes <strong>du</strong>rapport, et la cause de ce même rapport. Eudore en avoulu conclure qu'il y a deux sortes d'unités : < car, dit-il,si l'unité est obligée de s'unir à la multitude pour pro<strong>du</strong>irel'être, l'unité n'est plus principe universel, ni principeunique : et il faut dire qu'il y a deux principes :1. Ethic. Nie., II, 5. Le mal appartient à l'infini, disent les pythagoriciens,et lé bien au fini. Ethic. Nie, I, 4. Les pythagoriciens me 1 ''test l'Un dans la série des Biens.î. Ma., I, 5.


52 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUE1. L'Un comme principe. 2. L'Un et la dyade, réunisen une seule chose, et il est clair qu'autre chose estl'Un si on le considère comme principe de tout, autrechose si on Je prend pour contraire de la dyade areclaquelle il forme ce qu'on appelle monade'. L'Un absolun'a pas de contraire.Eudore en conclut que l'Un, principe universel, est leDieu suprême, TOûTO Si elvat TOV ômpâvui Oeôv, distinct dechoses, ftepov, c'est la Cause avant la cause 1 ; la causeefficiente et formelle, la vraie nature de l'Un, l'esprit'.C'est ce Dieu placé au-dessus et en dehors de ces élémentsqui les rapprocherait l'un de l'autre, les amèneraità l'unité, et créerait ainsi le monde ordonné.11 y aurait ainsi quatre principes : .1. Eudor. dans Simplic., in Phyt., f. 39 a, m. : 'AXXo pév i


DES PYTHAGORICIENS. 531. L'Un principe ou Dieu, sans contraire, cause efficiente.2. La limite, l'Un élément des choses, ayant poufcontraire,3. La dyade, l'illimité, la matière.4. Les choses visibles, résultant <strong>du</strong> mélange opérépar Dieu.On peut dire qu'il y aurait trois unités.1. L'Unité absolue ou Dieu, forme séparée des choses.2. L'Unité élément, considérée comme forme inséparabledes choses.3. L'Unifé de l'être réel.Sans doute en approfondissant les notions enveloppéesparles pythagoriciens dans leurs principes, on peut endévelopper et en dégager ces distinctions, et Procluscède la monade. > C'est le contraire dans Modêratus. Stob., 1,1, p. 20:c Quelques-uns considéraient la monade comme le principe des nombres,et l'Un, T6 êv, comme le principe des nombres. Cet Un est uncorps partagé à l'infini. En sorte que les choses nombrées différent desnombres, comme les corps des choses incorporelles. Il faut savoir quece sont les modernes (peut-être Platon?) qui ont intro<strong>du</strong>it commeprincipes la monade et la dyade, tandis que les vrais pythagoriciensont considéré comme telles toutes les positions successives de limites,par lesquelles on conçoit les nombres pairs et impairs. > Photius, Ced.,249': • La monade appartenait au monde des intelligibles; l'Un existedans les nombres. • Anon., Vit. Pyth., p. 44, éd. Holst. : «Il n'est paspossible d'accepter le renseignement de Syrianus (ad Met., XIII, 6 ;Arist. et Theoph., Met., éd. Br., 312). • Pythagore s'est exprimé sur lesnombres de deux manières différentes : lorsqu'il dit que le nombre estle développement et l'acte des raisons séminales contenues dans la monade,il pose un nombre qui est sorti de son propre principe, en secausant lui-même par une génération sans mouvement, qui resteidentique en lui-même, tout en se divisant et se déterminant dans lesespèces diverses. Mais lorsqu'il nous parle <strong>du</strong> principe antérieur àtout, ayant sa substance ({moorâv) dans l'esprit divin, par qui et de quitout a reçu son ordre, sa place immuable, il pose un nombre paradigme,créateur et père des dieux, des démons et des hommes. •


54 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEn'y manquera pas ; il posera avec toute la précision etla netteté que le sujet permet :1. L'unité <strong>du</strong> multiple ou <strong>du</strong> sujet participant.2. L'unité de la forme participée et participable.3. L'unité absolue de l'imparticipable.Mais Aristote ne nous permet pas d'attribuer auxpythagoriciens un idéalisme si profond, un monothéismesi pur, un <strong>du</strong>alisme si tranché. Celui des fragmentsde Philolaùs, qui semble contenir le plusexpressément la notion d'un Dieu unique, est légitimementsuspect, et il serait facile d'appliquer au mondeles termes mêmes qui paraissent exprimer l'idée d'unêtre d'une nature supérieure et étrangère aux choses,et si non au monde tout entier, <strong>du</strong> moins à ce feu cen -tral, à cet Un premier dont on peut bien dire avecPhilon 1 citant Philolaùs: « Celui qui gouverne et commandetout, est un Dieu un, éternel, stable, immobile,semblable à lui-même, différent des autres choses. >Sans aucun doute il est « supérieur à. la matière 1 ,» commele dit Athénagoras en interprétant un mot de Philolaùs,cité par Platon ; il lui est même antérieur, si l'on veut,pourvu qu'on entende par là logiquement, rationnellementantérieur ; antérieur par la dignité de l'essVence,mais non dans l'ordre de la réalité et <strong>du</strong> temps.C'est avec ce feu central, cette monade première, vivante,concrète, harmonie elle-même des contraires,7tpStov âpnosOtv, dont la puissance est excellente etsouveraine, que ie monde, son ouvrage a quelque alunite;c'est grâce à elle, qui le gouverne, qu'il est un1. De mund. opif., p. 24 B, p. 151.2. Athen., Leg. p. Christ., p. 25. B., p. 151 : 'AvteWpw tijc SXTK.


DES PYTHAGORICIENS. 55comme elle, et comme elle aussi éternel. On peut considérercet Un comme une âme <strong>du</strong> monde, mais à lacondition que cette âme formera avec le corps <strong>du</strong> mondece rapport inséparable, cette unité indissoluble, cetteharmonie nécessaire de tout ce qui est'. Aristote nousle dit en termes dont nous ne pouvons méconnaître laforce : c Ni l'Un ni l'Infini n'ont d'existence séparée desêtres dont ils sont les attributs; le fini, comme l'infini,n'existe que dans le rapport qui les lie, et qui conciliedans l'harmonie les oppositions, dans l'Unité réelle le<strong>du</strong>alisme apparent et logique des principes*. *On trouve dans Aristote l'exposition d'une doctrinedont il ne nous nomme pas les auteurs qu'il nous laissedeviner. Après avoir rappelé l'opinion qui fait naîtretontes choses de contraires, opinion <strong>pythagoricienne</strong>,onle sait, il ajoute : < Les uns considèrent la matièrecomme un des contraires : ceux-ci opposent à l'Un quiconstitue l'égalité, l'inégalité qui est l'essence de la pluralité,ceux-là opposent directement à l'Un la pluralité....d'autres, enfin, opposent à l'Un Tô f«pov 4 el Tô oUo. *»Sur ce passage. Alexandre nous dit : < Pythagore loi-1. AT)(j.ioupfijtv âppnxtov. Clem. Alex., Protrept.,p. 47: 'Opièv 6Eô«EIç' OùTOC îè oùx &i xivt; ûicovooOotv ôXTôç. TTJ; SiaxoctpcriaEto:, àXV èvau Tô ô X o ;. Dieu est tout entier dans les choses, et n'a aucune personnalitélibre et indépendante. Gtien., De hisl. philos., c. vin, p 251 :lTu.Sxjôpac, îe TûV àpYûv T*,V p.èv piovôSa 6EôV xai Tô oVyx6ôv «UjOn, rJTiçforlv fj TOû ivôc fûoTC, aûTÔc 4 voO:. C'est encore le sentiment de J.Bruno : « Deus in rébus. Ogni cosa hà la divinité latente in se. > HaisBruno, tout en identifiant l'Un avec le Tout, le met cependant audessus<strong>du</strong> Tout.2. Nicom., II, p. 59. Fragm. dePhil., Boeckh. p. 51 : 'Ap|iovta SkxàvT»çit ivavTiuv YtvtTai' ittti yàp àppiovta TCOXU|UYéUV gvtocn; xalîIY_5 çpoveovTuv aOpuppaatc.3. Het„XIV, 1.


56 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEmême soutenait la génération des nombres par la pluralité,^ ymoti; TûV àpiOjiûv U TOû wXïj6ou;, tandis qued'autres pythagoriciens opposaient à l'un Tô î-npoy etTO (TxXo confon<strong>du</strong>s en une seule essence, &s pin«soo-iv 1 . • La différence entre ces deux manières deconcevoir le principe comme principe de la multiplicité,ou comme principe de la différence, de l'infini, n'est pasici ce qui nous intéresse : je m'attache seulement à cetteopinion de Pythagore qui fait naître les nombres del'élément multiple : le nombre n'est donc pas un puridéal. En tant qu'il se réalise et s'indivi<strong>du</strong>alise, qu'ilentre dans le devenir, l'Un natt de la pluralité, en ce sensqu'il est la synthèse de l'infini qui la représente, et<strong>du</strong> fini, de la limite, qui a la même nature et la mêmeessence que l'Un *.Je répète donc que si l'on ne veut pas intro<strong>du</strong>ire dansl'histoire des idées et des opinions philosophiques l'arbitrairedes interprétations qui les éclaircissent, lescomplètent, les corrigent, qui y font entrer les conséquencesqu'on peut tirer logiquement des principes,mais que n'ont point formulées ni conçues leurs auteurs,on sera obligé de reconnaître que les pythagoriciensn'ont pas distingué plusieurs unités de nature et d'essencedifférentes. La limite, le nombre, l'Un, n'a d'existenceque dans les choses, et là il joue à la fois desfonctions fort différentes assurément, mais qu'ils n'ontpas conçues comme contradictoires ; car l'Un est,comme1. Scholl. Aritt. minor., p. 326, 2 et 18.2. Syrian., ad Met., XIII, p. 102. Hartenst., Fragm. Arch., p. 12 :Aià |ùv TOû Titpaxo; TVJV TU) ivi evYYtvtcrtepav ivScixvùVevo; «««»ouoroixiav, « per fioem quidem uni cognatiorem oslendeoa omneocoordinationem. •


DES PYTHAGORICIENS. 57je l'ai dit, dans le rapport qui constitue l'être réel, à lafois la forme, un des termes, la cause et le résultat <strong>du</strong>rapport; ou, comme dit Aristots, le nombre est la matière,l'essence, la forme et toutes les propriétés del'être.Le <strong>du</strong>alisme est d'ordre purement abstrait et mental,X«T' fatvofecv ; l'Unité est d'ordre réel ; et c'est ainsi qu'ilfaut comprendre ce qu'Aristote nous dit dans son Éthique: » Les pythagoriciens ont mis le mal dans la sériede l'infini, le bien dans la série de la limite 1 .» Oui,dans l'ordre idéal, mental, l'Un est opposé à la multitude,comme le bien au mal, le fini à l'infini,mais dansl'ordre de la réalité cette opposition disparait pour faireplace à l'barmonie qui lie dans une unité indissoluble,par les liens de fer de la nécessité', le fini et l'infini, l'Unet la pluralité, la limite et l'illimité, le bien et le mal.Et comme le nombre est l'élément supérieur et idéalementantérieur dans ce mélange', comme il donne auxchoses leur forme et leur essence, et que le bien est unequalité qui lui est propre \ toute chose est plutôt bonneque mauvaise, en tant qu'elle est un nombre ; et commetoute chose est un nombre, l'être est bon. Nous sommes1. Ethic. Nie., I, 4; et II, 5. Sous cette réserve, on peut accepterl'authenticité des passages suivants : Syrian., ad Met., XIV, 1. Scholl.minor., p. 325. • Brontinus le pythagoricien dit quel'Un l'emporte parla dignité et Ut puissance de l'essence et de l'esprit. »2. Ai)|"oupY(av ôppnxTOV.... avdywp.3. IIpûToc, Met., I, 5.4. Aristote {Ethic. Nie., II, 5, et surtout I, 4) dit peut-être avec unpeu de négligence queles pythagoriciens ont placé l'Un, TA îV, dans lasérie des biens. Le Bien n'est pas principe de série chez les pythagoriciens,qui auraient plutôt et ont même placé, au contraire, le Biendans la systoichie de l'Un (Jfef.,1,5). Gruppe déclare hardiment que lepassage de Y Éthique à Nicomaque, I, 4, est interpolé.


58 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEloin encore <strong>du</strong> principe platonicien, qui fait <strong>du</strong> Bien lacause de l'être, et par conséquent l'élève au-dessus del'être même. Mais toutefois comme c'est par son unitéque l'être est, et par son unité qu'il est bon, on aperçoitle germe des grandes doctrines de Platon, et le liende ces notions fécondes de l'Un, <strong>du</strong> Bien, de l'Être 1 .L'élément inférieur est l'âirsipov, l'infini, identiqueou analogue au pair, à la pluralité, au sexe féminin,au mouvement, aux figures curvilignes et étéromèques,aux ténèbres et au mal. Nous avons dit plus haut quele terme de dyade indéfinie n'appartient pas à la languedes anciens pythagoriciens; mais il est certain que dansla sphère tout idéale de l'opposition, l'infini représente lamatière en face de la forme représentée par le nombre *.Tous les écrivains le reconnaissent d'un commun accord*:c'est le principe de tout ce qui est désordonné,informe, nSo-a <strong>du</strong>.op


DES PYTHAGORICIENS. 59ne se sont pas probablement servis des termes qu'emploient,en repro<strong>du</strong>isant leur opinion, les écrivains quiont traversé d'autres écoles, et qui en parlent la langueplus subtile et plus précise : ils se seraient probablementbornés à constater qu'au sein de l'être indivi<strong>du</strong>el, commede l'être universel, ouïe monde, qui sont, l'un etl'autre,un nombre, l'expérience et l'observation reconnaissentqu'il y a quelque chose qui se révolte contre cette loi <strong>du</strong>nombre, et qui ne s'est pas laissé complètement enfermerdans la limite et ramener à l'Unité. C'est ce qu'ilsappelaient l'illimité, l'infini.Nous nous trouvons encore ici en présence de certainesdivergences dans les renseignements d'Aristote ausujet de la vraie manière d'être de cet infini. « Tous lesphilosophes, dit-il, ont fait de l'infini un principe desêtres; les uns, comme les pythagoriciens et Platon,considèrentl'infini comme ayant l'existence par soi, et nonpas comme l'attribut adhérent, comme la qualité accidentelled'une autre chose, xae'aû-cb


60 . EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEsubstance même des choses*. » Mais en y regardant d'nnpeu plus près, cette apparente contradiction 'disparait.Non, certes, l'infini n'est pas un accident de l'être ; caril en est l'essence oùsîav. Mais comment en est-il l'essence,la substance, puisque c'est le nombre qui l'estdéjà? Il en est précisément l'essence au même titre quele nombre; car il ne peut être dans les choses, lwxtxpx*n,qu'à la condition d'avoir per<strong>du</strong> sa nature, et pris celle <strong>du</strong>nombre, et de s'être fon<strong>du</strong> avec lui dans une unité inséparable.Il y a plus : l'infini est, considéré logiquement,abstraitement, en soi, afcà xh jmipov, l'infini est lasource <strong>du</strong> nombre, puisqu'il en est un élément nécessaire: y) fixtaa TSV dpiOpôiv ix TOû xùrfiaoç '.Le point obscur et difficile de cette exposition estailleurs : L'infini assimilé, comme nous allons levoir, et éternellement assimilé par le nombre est lasubstance et l'essence <strong>du</strong> nombre. Ceci est clair ; maisce qui l'est peu, c'est de placer cet infini en dehors<strong>du</strong> ciel. Car il est bien difficile de comprendre qu'en leplaçant en dehors <strong>du</strong> ciel, c'est-à dire <strong>du</strong> monde, ils nel'en séparent pas, et ne lui» donnent pas alors une existencesubstantielle indépendante <strong>du</strong> nombre et de l'Un,qui est cependant l'essence de tout être. Mais celte Confusionest dans la question même de la matière, à laquelleil est tout aussi difficile de refuser que d'attribuerl'être. Aussi, sans croire que les pythagoriciens ontvoulu, en mettant l'infini en dehors <strong>du</strong> ciel, le mettreprécisément en dehors de l'être, ils ont essayé de s'en1. Met., 1,5: T4 âmipov xai xb 8V OùY, erepa; Tivàe. ùrjSuffav etvaiçûatte, otov itûp, Il YîJV, r] xi TOIOûTOV ïttpov, àXX' aiVrà TO arteipov, xaiaùtè TO év, oùaiav etvai TOûTUV UV xaTTiYopoûvxai.2. Scholl. minor., Alex., p. 326, 2.


DES PYTHAGORICIENS. 61faire un peu matériellement une représentation qui,sans ré<strong>du</strong>ire l'infini soit au véritable non être, soit à lapure possibilité d'être, notion à laquelle, certes, ils nese sont pas élevés, diminuât la réalité de cet élémentobscur et insaisissable, qui échappe aux sens comme àla raison, et qu'on ne saisit, dira Platon, que comme unfantôme dans les visions d'un rêve. Les pythagoriciensont cru caractériser cet insaisissable élément en l'appelantle vide, Tô x«vrfv. Rappelons-nous bien les propositions<strong>pythagoricienne</strong>s :Le nombre est l'être même : ce qui est en dehors <strong>du</strong>nombre est en dehors de l'être. L'infini est en dehors <strong>du</strong>nombre : il en est le contraire logique ; il est donc endehors de l'être, et nous allons voir cependant que cenon être a quelque être, et même a des fonctions essentiellesdans le développement, le mouvement et la viedes êtres et <strong>du</strong> monde. Chassé par la raison de l'Univers,il y rentre sans cesse, et sans cesse le nourrit. Mais n'anticiponspas sur l'ordre de notre exposition, si toutefoisnous sommes parvenus à y mettre quelque ordre.« L'infini, dit Aristole, est le pair ; car c'est le pairqui, entouré et déterminé par l'impair, donne aux êtresl'élément de l'infini. Voici comment les pythagoriciensprouvent cette proposition : Dans les nombres, si l'onentoure l'unité de gnomons, ou que, sans tra<strong>du</strong>ire cetteopération par une figure géométrique, on se borne àfaire séparément le calcul, on verra que tantôt on obtientdes figurestoujours différentes, tantôt une seule et mêmeespèce de figure 1 . »Nous avons déjà vu en passant figurer le gno<strong>mont</strong>. Phyi., UI, 4.


62 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEdans Philolaiis : ce dernier affirme que la connaissancen'est possible que s'il y a, entre l'essence de l'âme etl'essence de la chose à connaître, un rapport, une proportion,une correspondance de la nature de celle quemanifeste le gnomon, xcrrà rvtou,ovo; (pûo-iv 1 .Il veut dire, je crois, que le sujet doit envelopper etpour ainsi dire embrasser en partie l'objet, comme legnomon embrasse et enveloppe en partie le carré dont il estcomplémentaire, et conserver avec son objet le rapportque les gnomons soutiennent avec leur carré.Nous sommes obligé, pour pouvoir être compris,d'entrer ici dans quelques détails. Le gnomon des anciensétait une ttgure en forme d'équerre, de mômehauteur à l'intérieur qu'un carré, et qui, ajoutée à cecarré, faisait un second carré plus grand que le premierde la surface de cette équerre, composée'de deux rectangleségaux et d'un petit carré :A C BSi AB = a AG = b CB = c,on a a* = b 1 -J- 2 bc + c 1 ,où 2bc + c* = la surface <strong>du</strong> gnomon.Aristote parle encore de ce gnomon dans ses Catégories*,où il dit : « Quand on ajoute un gnomon autourd'un carré, ce carré est augmenté dans sa dimension,1. Phii., Fr. 18, p. 151. Boeckh.2. Ch. XIV, segm. 5, ou c. XI, 4.


DES PYTHAGORICIENS. 63mais l'espèce de la figure n'est pas changée, c'est-à-direqu'elle reste un carré. »De plus, le gnomon exprimant la différence de deuxcarrés peut être, en certains cas <strong>du</strong> moins, équivalent àun carré parfait; ainsi, dans la proposition <strong>du</strong> carré del'hypoténuse a* = b* + c 1 , le gnomon a* — b' = c*.SiBA' = BA = c, CB = a CA=b.le carré de c + le gnomon CDE = b*.- Ainsi, le gnomon est non pas égal en dimension, maisanalogue en son espèce, <strong>du</strong> moins par équivalence, aucarré dont il est complémentaire.Enfin, en arithmétique, le gnomon avait la propriétéde donner la formule des nombres impairs, 2n-j-l, c'està-direque le carré de tout nombre impair est égal au carré<strong>du</strong> nombre pair qui le précède immédiatement dans lasérie naturelle des nombres, plus deux fois ce nombrepair plus 1. Car si a = n-|- l, b = n, c=l,on a (n + l)* = n* + 2n + 1, expressiondans laquelle le 2n+l représente le gnomon.Or on voit ici se pro<strong>du</strong>ire le fait que remarque Aristotedans ses Catégories : les nombres impairs ajoutés auxnombres carrés repro<strong>du</strong>isent toujours des nombres carrés: l'expression de gnomon peut donc être considéréecomme équivalente de celle des nombres impairs.Si, en effet, on ajoute à l'Unité, mère des nombres,successivement chacun des nombres impairs de la sérienaturelle, on obtient un nombre non pas pair, maiscarré,Soit 3 — 5 — 7 — 9.1+3 = 4 = 2»1+3 + 5=9=3»


64 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEI + 3 + 5 + 7= 16 = 4»1+3 + 5 + 7+9 = 25=5»Et si l'on opère géométriquement la construction, onverra que si au carré AC = 1 » on ajoute les gnomons, ona la figure en équerre représentée d'abord par 2bc+ c*puis par 2bd + d 1 ; on aura de la sorte toujours des figuresde dimension plus grande,maistoujours de môme espèce,tandis qu'au contraire si à l'Unité on ajoute successivementchacun des nombres pairs, et tous ensemble, onarrive à pro<strong>du</strong>ire des nombres et des figures étéromôques,tous différents entre eux. Qu'est-ce que ces nombreséléromèquesî Nous en trouvons une explication assezobscure dans Iamblique '.II y a, dit-il, une distinction à faire entre la formationdes nombres carrés et celle des étéromèques, ou nombresplans oblongs».Pour les premiers, on part de l'unité, et l'on y revient,en sorte que les nombres placés en forme d'un doublestade, vont en croissant jusqu'à la racine <strong>du</strong> carré ; celteracine forme comme la borne <strong>du</strong> stade autour de laquelletournent les nombres pour revenir en diminuantjusqu'à l'unité d'où ils sont partis; ainsi :1 2 3 45 = ^»1 2 3 4Dans la formation des étéromèques il en va tout aulre-1. V. M. Boeckh, PM'ioi., p. 149.2. Il s'agit, dit M. Renouvier, t. I, p. 185, d'un rectangle tel, quel'un des côtés surpasse son adjacent d'une seule unité de longueur, ou,arithmétiquement parlant, d'un nombre pro<strong>du</strong>it de deux facteurs différentsd'une unité.3. Et 25 est la somme de ces neuf nombres.


DES PYTHAGORICIENS. 65ment : si on veut ajouter, comme on le fiait dans le gnomon,àun nombre la somme des nombres pairs,on verraque pour obtenir des étéromèques on est obligé de nepas s'en tenir à l'unité, mais de prendre le nombre deux,et si l'on veut faire le même diaule que précédemment,on peut bien partir de l'unité, mais on sera au retourobligé de s'arrêter à deux.Eu effet la somme des nombres1 ' 2 3 452 3 4donne 24, nombre plan rectangle, dont un côté est 4 etl'autre 6.Par étéromèques j'entendrais donc non pas des polygones,dont le nombre de 'côtés s'augmente sans cesse,mais des rectangles dont les dimensions des côtés changentsans cesse, et où l'espèce de la figure peut paraître,à chaque changement dans le rapport des côtés, constammentmodifiée 1 .Mais quelle signification philosophique peuvent avoirces observations curieuses sur les propriétés des nombres? Il faut se rappeler qu'il y a eu dans l'esprit despythagoriciens une confusion funeste <strong>du</strong> nombre mathématiqueet <strong>du</strong> nombre concret et réel.La génération desnombres devait donc leur apparaître comme la générationdes choses, et les propriétés des figures et des nombresdevaient manifester les propriétés des objets réels.Ils s'efforçaient ainsi, pour rendre compte de l'élé-1. C'est ce que dit Aristote, Phys., III, 4 : "AXXo plv àii yiviaSat tètlio


•6 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQTJEment multiple et changeant des choses,que rexpénenceatteste, de <strong>mont</strong>rer cette même mobilité incessantedes figures et des nombres; ils opposaient à. la constance<strong>du</strong> rapport invariable des côtés <strong>du</strong> carré, quellequ'en soit la grandeur, l'infinité des nombres étéromèqucs,tous différents entre eux, et ils s'efforçaient de<strong>mont</strong>rer que le principe de la variabilité est dans lenombre pair • qui donne aux choses, comme aux nombres,le caractère de l'infinité qui est'en lui, TOûTO -ràp «dfpxiov napt/Ei toit ousiv xr,v àncipfav '. »Le nombre deux, la dyade seule, peut pro<strong>du</strong>ire cette incessantemobilité des figures ', et voilà pourquoi lu dyadefut plustard assimilée au pair et résuma'enelle les caractèresdela multiplicité changeante et informe, toujours enmouvement, en génération, eh devenir, tandis que l'impairn'est pas pro<strong>du</strong>it. «C'estévidemment le pair*.» Il estérident que l'erreur <strong>du</strong> système fait éclater ici bien descontradictions dont triomphera facilement l'implacablebon sens d'Aristôte. Comment peut-on dire que l'impairne se pro<strong>du</strong>it pas, puisqu'il est un nombre, et que toutnombre vient de l'unité ? Comment, d'un autre côlé,peut-on dire que le pair est l'infini en soi et qu'il communiquece caractère aux choses où il pénètre ; car lepair est un nombre, et l'infini n'a pas de nombre? Onpeut dire que les pythagoriciens ont assimilé ici l'impairavec l'unité ; et s'ils appellent le pair infini, c'est qu'ilse divise en parties égales, et que l'infini se divise par1. Arlst., p«y»., m, 4.. Iambl. Boeckh, p. 149 : 'H îuôu. |i6vt| çavriïtxai àvaotxouivq.3. Arist., Met., XIV, 4 : ToO ukv Tctpixxoû yÉvMnv, où çaaw, «K 4i.Xo»4TI xoû àpxioy oOat|( XEVéOM»;.


DES PYTHAGORICIENS. 67deux en parties égales '. Si l'on objecte que l'infini divisépar deux n'est plus infini, on l'accordera ; car lespythagoriciens admettent bien que l'infini en soi, c'està-direen dehors <strong>du</strong> monde et de l'être \ n'a pas denombre ; mais ils proclament aussi que cet infini selaisse assimiler par le fini, qui lui communique sa propreforme, sans lui ôter absolument toute la sienne ;c'est ce qui fait que, même soumis parla vertu <strong>du</strong> nombre,il conserve et communique aux choses son élémentd'infinité, c'est-à-dire de changement, de multiplicité,d'imperfection, irapÉyst TOïî O3OI TTJV «vrsipfav'.Le pair est donc ou analogue ou identique à l'infini*;mais il ne faut pas lé confondre avec le nombre pair,qui, en tant que nombre, est déterminé, mais, en tantque pair, conserve un principe d'indétermination quelui communique le pair qui entre dans sa composition.1. Simplic., m Phys., t. {05 a : Oîroi 8è TAV Xrttipav TAV âpnovàpiSuiv SXsyov, Stà T0 nâv |Uv âpTiov, û; çautv ot tti)rr)Tai, tt( Rraitaipetalai, TA Sa et; tact oiatpoûu,Evov âitttpov yuxtà T^v SixoTOuiav.2. L'infinité de l'espace comme lieu était dé<strong>mont</strong>rée d'une manièreoriginale par Archylas, comme nous le vorrons plus loin.3. M. Zeller veut qu'on distingue le nombre pair de l'élément pair,et le nombre impair de l'élément impair : et il a raison en partie,quoiqu'il ne s'explique pas assez clairement; car, avant qu'il n'y aitnombre, c'est-à-dire unité et rapport de l'élément impair et de l'élémentpair des choses, il n'y a pas moyen qu'il y ait des nombres pairsni impairs.4. L'identité <strong>du</strong> pair et de l'infini est fondée sur ce fait que l'impairdevient illimité et infini, quand il reçoit en soi le pair; car alors lenombre impair, en soi déterminé, devient indéterminé, si, par l'additiond'une unité, on en fait un nombre pair; et tel est le sens queH. Zeller trouve au passage d'Atistote, Pltyt., III, 4 : rJspixieiuivuvyàp TÛv YVUUOVUV aepi tè tv, xal y.iopic, ôTS piv àXXo YÎyvsoSai.rè éU8o;, STI Se ii. Si à l'unité on ajoute les gnomons, ou nombres impairs,les nombres impairs deviennent pairs. Si on laisse isolés, yupîc, l'unitéet les nombres impairs ou gnomons, ils demeurent limités et finis?


68 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHTLOSOPHTOUEMais on comprend que le rapport change suivant laquantité des termes qui le constituent, et si dans unnombre ou un être, le pair entre pour une plus grandepart que l'impair, le rapport s'en ressentira évidemment.Les pythagoriciens voulaient donc <strong>mont</strong>rer, parces formules mathématiques, comment les choses et lesnombres participent tous <strong>du</strong> pair et de l'impair, et reçoiventdes propriétés différentes suivant qne les éléments<strong>du</strong> mélange, étant changés dans leur quantité,changent la nature <strong>du</strong> rapport qui les constitue. Maistout nombre, tout être réel, c'est-à-dire toute unité» participe<strong>du</strong> pair et de l'impair, quoiqu'il y ait des nombrespairs et des nombres impairs; car toute unité concrète,ayant grandeur, tb repa-tov £v l/pv piyeOoç, reçoit <strong>du</strong>pair la faculté, la puissance d'une division à l'infini, àlaquelle elle résiste en réalité par la vertu de l'impairque son unité contient et exprime l . Aristote dit en effet,dans le Pythagorique, « que l'Un participe de la naturedes deux ; car ajouté au pair il le rend impair, et ajoutéà l'impair il le rend pair, ce qu'il ne pourrait pas faires'il ne participait pas des deux. C'est pourquoi l'Un étaitappelé pair impair, à>Tionépt


DES PYTHAGORICIENS. 63c'est par la participation xcrri ixrroyjqv, que chaque choseest dite Une chose; si dans cette Unité on ne pense quel'identité de la chose avec elle-même, on l'appelle monade;maissi on la conçoit comme ajoutée à elle-même,comme se doublant ou se dédoublant, c'est-à-dire sous lanotion de la différence, x«6' ittpôTuiTa, elle pro<strong>du</strong>it ce qu'onappelle la dyade indéfinie. Avec la monade et «la dyade,c'est-à-dire avec 1 et 2, on engendre tous les nombres,tant les pairs que les impairs 1 . L'Un, pair-impair, fini etinfini, engendre toutes les variétés des nombres *; il engendredonc toutes les différentes choses, et est le principede leur identité avec elles-mêmes, comme de leurdifférence avec les autres choses, parce qu'il est luimêmele rapport, la synthèse de la différence et del'identité ».Comment se pro<strong>du</strong>it cette génération des'nombres etdes choses par l'infini ou le pair ?Placé en dehors <strong>du</strong> monde qu'il enveloppe, principe1. Sext. Emp„ adv. Math., X, 26t. Plus tard probablement, onvoulut que la première forme <strong>du</strong> nombre fût le point ; la deuxième, laligne,etc. Diog. L., VIII, 24 : Ti.x îi tûv &pi6pûv engua.2. Plut , Ou. flom., 102 : rovipo; v«p i3. Sext. Emp., X, 261 : Kat' aùvénTra piv éaurtj; vooupivijv povâSa....xa8' itipÔTTiTa ôè ànoteXiïv rj)v xaXoypéVqv SuâSa. Y aurait-illà comme un pressentiment de cette profonde analyse, qui <strong>mont</strong>redans l'acte <strong>du</strong> moi, prenant conscience de lui-même, un non-moi, etqui nie la possibilité d'une pensée où le moi se contemplerait luimêmeet lui seul, sans même s'opposer à lui-même? La monade a-t-ellela faculté de se penser d'une part comme identique à elle-même, del'autre comme différente? Cette différence engendre le nombre deux;et, avec l'un et le deux, tous les nombres sont donnés, c'est-à-dire lemoi et le non-moi.


70 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEde tout ce qui, dans les choses, est indéterminé, informe,variable, l'Infini était presque identifié par les pythagoriciensavec le vide, et était appelé quelquefois lesouffle infini, vb àvMtpov nveûpa. Du moins c'est dans cetair infini que se pro<strong>du</strong>it le vide '. « Les pythagoricienssoutenaient l'existence <strong>du</strong> vide : selon eux, voici commentle Vide s'intro<strong>du</strong>it dans le monde : oùpavoV. > Lemonde dojt être considéré comme un grand Tout vivant; il représente tout ce qui est organisé, et a, parconséquent, une forme, une mesure, un nombre ; puisqu'ilvit, le monde respire, car la respiration est le phénomèneprimitif et le caractère le plus évident de la vie.En respirant, le monde aspire et absorbe en lui le vide.qu'il tire de l'infini '. Ainsi s'intro<strong>du</strong>it le vide dans le1. Arist., Phys., IV, 8, n. 9, ou 6, n. 7, suivant les éditions.2. Le ciel, le monde, n'est qu'une partie de l'univers : c'est celle oùrégne l'ordre et où se <strong>mont</strong>re plus ou moins la limite l'harmonie, lenombre, A xôepo;.3. Arist., Phys., IV, 6, n. 7 : "Eiruiiévai OCùTA rcp oùpavû ix TOûàmlpou irvcûu>a,TO; ci; àv àvanvéovci. H. Barthélémy Saint-Hilaire tra<strong>du</strong>it les mots soulignés par « l'action <strong>du</strong> souffle infini. >Hais si irvcûpa, souffle, désigne ici la fonction même de la respiration,cette fonction ne peut être attribuée qu'au monde vivant; or,il est contraire à la représentation <strong>pythagoricienne</strong> de donner aumonde fini une fonction infinie. Si l'on conserve le texte, il faut donnerà nve0u.cc ici le sens de celte sorte d'espace immense, sans limite,non pas dépouillé de toute réalité matérielle, mais n'en ayant qu'uneinsaisissable, impalpable, comme on se représente un souffle d'air.Tennemann, Hist. de la phil., I, p. 110, propose de lire : • ex TOû àmlpouicveôux. > L'air alors, nveûpca, serait attiré <strong>du</strong> sein de l'infini dansle corps <strong>du</strong> monde, et on aurait un sens satisfaisant. Il est vrai queStobée, en citant le passage d'Arislote, repro<strong>du</strong>it et confirme la leçonnveûp.»To;.Mais, dans un autre endroit {Ed., I, 19, p. 380, 382), il autorisela correction heureuse de Tennemann par cette citation : • Dansson premier livre sur la <strong>philosophie</strong> de Pythagore, Aristote écritque leciel est un ; que de l'infini sont intro<strong>du</strong>its en lui le temps, l'air et levide, qui détermine par une limite l'espace éten<strong>du</strong> qu'occupe chacun


DES PYTHAGORICIENS. / 71monde ; alors on peut dire que c'est par là que naît lemonde, ou plutôt qu'il se développe et se forme. Car levide est ce qui détermine, définit les êtres, puisqu'il séparechacun d'eux de tousles autres, et, par cette limite qui lesdistingue, constitue leur vraiect propre nature. En effet,le vide est une sorte de séparation, de limitation, de discrétion<strong>du</strong> continu. Nécessaire à la constitution propredes choses, le vide, l'infini est donc, tout autant quele fini, un élément premier subsistant dans les nombres,c'est-à-dire dans les êtres '. Ainsi le nombre n'est pasforme pure, en tant qu'être réel, concret, distinct, ayantsa nature propre et séparée ; si l'essence pure <strong>du</strong> nombrea la vertu d'indivi<strong>du</strong>aliser les êtres, en incorporantles germes rationnels *, si le fini est premier ', l'infiniest également premier; et de même que nous avons ruque le nombre vient de l'Un ', nous pouvons dire aussiqu'il vient de la pluralité '. Le nombre ou l'être n'estdes Stres. *Eiret»OTépiov. SchoU. Arist. minor., p. 326 :« D'après Aristole, Pythagore soutenait h YSVEO-IC tûv ipiSpùv sx toOxXijÇlooe. » Plut., Plac. Phil., II, 9 : 'Extor, toû xospov té xeviv etî 6àvoirveï i xoopoc xai it où. Le vide est ainsi comme un grand réser-


72EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEqu'un rapport, et nous pourrions exprimer cette propositionsbus une forme plus moderne sans être plus claire,en disant que, pour les pythagoriciens, l'être réel est lerapport de l'être en soi et <strong>du</strong> non-être en soi; formule oùle vice de la doctrine est <strong>du</strong> moins mis en relief, puisquepour expliquer l'être, on est obligé de le supposer, et quele passage de la puissance à l'actualité est sans raison.Aristote repro<strong>du</strong>it dans la Métaphysique cette explicationimparfaite ; mais il l'abrège tellement qu'il l'obscurcitencore. « Il est absurde, dit-il, de faire une générationd'êtres éternels : c'est même une chose impossible,et cependant on ne peut pas mettre en doute que lespythagoriciens ne 1 aient entrepris. Car ils soutiennentévidemment que l'Unité est composée, soit de plans,soit de la couleur (considérée comme expression et formulede la qualité première, de l'éten<strong>du</strong>e en surface quiest seule visiblement colorée), soit encore d'un germe,soit enfin d'une autre manière qu'ils ne savent commentexpliquer. Ils ajoutent que, immédiatement après, la parliela plus voisine de l'infini fut attirée et déterminéepar le fini '. » C'est ce que Nicomaque appelle la premièreséparation et distinction de la limite et de l'illimité *, autrementdit, la première organisation <strong>du</strong> monde et sagénération. On a toujours ici la même représentation 1 :le fini attire, absorbe, par sa vie et sa vertu, l'infini et sevoir, d'où le monde puise, et auquel il restitue sans cesse l'un deséléments de sa vie.1. Met., XIV, 3 : ToO êvir,


DES PYTHAGORICIENS. 73l'assimile : et ce mouvement de la Vie et de l'Être ', commenceaussitôt, tùOôç,que l'Un, le Germe est formé. Or il estéternel : <strong>du</strong> moins rien dans la doctrine n'expliquecomment il aurait pu naître; car il ne pourrait naîtreque d'un autre germe composé comme lui, lequel à sontour resleraitsanscauseetsansraison. Les pythagoriciensne reconnaissent que l'être relatif, composé, mobile : or,ce devenir et cette relation renferment une contradictionnécessaire, que plus tard <strong>mont</strong>rera Platon, et d'où il sortira,chose curieuse, par les principes mêmes des pythagoriciens.Ainsi, au delà <strong>du</strong> monde organisé, existe un élémentqui ne l'est pas, infini, sans forme, sans détermination,sans limite, sans nombre, principe de ce qui, dans lémonde, est marqué <strong>du</strong> caractère de la pluralité, de ladifférence, de l'infinité, del'illimitation. Il n'est guère possiblede se faire de cet élément une autre idée que celle dela matière, qui se manifeste, qui se réalise, aussitôtqu'en vertu de la force d'attraction <strong>du</strong> noyau <strong>du</strong> monde,éternellement organisé, elle prend une forme, c'est-àdiredevient l'espace plein, limité, déterminé, divisé parle vide.Pythagore a certainement connu la distinction de lamatière et de l'immatériel. < Aristote, dans son traitésur la <strong>philosophie</strong> d'Archytas, rapporte que Pythagoreappelait la matière TO ITAàO, parce qu'elle est soumise auchangement et devient incessamment autre. Il est évi-1. Et on peut ajouter de la pensée; car la pensée ?a <strong>du</strong> semblableau semblable; elle consiste, pour l'esprit,qui est limite, nombre, fini,& assimiler à soi ce qui est illimité et infini. Platon appellera celareconnaître dans les choses, cette Idée, qui est analogue, sinon identique,à notre esprit.


74 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEdent que c'est de là que Platon a emprunté sa définition*.»Mais il n'est pas moins certain que si Pythagore les adistingués, il ne les a pas séparés. Gomment donc a-t-ilconçu cet infini, placé en dehors de l'être ? Gomme un purnon-étre ? Mais comment l'être se nourrira-t-il, se déveioppera-t-ilen absorbant le non-être ? N'est-il que lapossibilité, la puissance, que l'acte éternel de l'être organiséréalise incessamment, le mal que le bien soumet etdompte, l'innombrable et l'illimité que le nombre ramèneinsensiblement à la limite et au nombre? Mais outreque rien ne nous autorise à prêter aux formules <strong>pythagoricienne</strong>sun sens si profond, on peut dire que le principemême de la doctrine interdit une interprétation siidéaliste et si généreuse. Car cet Un premier qui réaliseéternellement l'infini, le contient par hypothèse éternellement.En sorte que le premier principe n'est pas actepur, mais à la fois acte et puissance, esprit et matière, unet multitude, fini et infini. C'est toujours la mêmecontradictionquià la fois pose et détruit l'être, l'affirme et le nie.§ 3. LE MONDE*.Mais l'infini ne peut prendre une forme, c'est-à-diredevenir fini que par la vertu et la fonction supérieuresd'un autre élément : cet élément est l'Un, c'est-à-dire lemonde, considéré soit dans son ensemble un, ou ramené1. Fragment tiré de Damascius, publié par Creuzer et par Grappe,Ueber d. Frag. Arcbyt., p. 79.2. Le mot 6 xô


DES PYTHAGORICIENS. 75à son noyau central, son germe composé, mais absolumentun et premier.Ce point vivant, ce nœud vital de l'univers est lepremier Un, formé par l'harmonie, situé au centre leplus interne de la sphère <strong>du</strong> Tout, ToirpÛTov «puoeflév, TO iv\!â puo-op, TW pusatTotTu) ta? o-ipoipa; 1 . Quand on se représentepar la pensée, xxt' Imvoiav, la formation successive etdans le temps, <strong>du</strong> monde, on doit dire que c'est de cemilieu, de ce centre, qu'il s'est formé et développé. Ilest à la fois le centre et l'en-bas <strong>du</strong> monde ; car pourceux qui sont situés à l'extrémité de la sphère, le pointle plus bas est évidemment le centre 1 . Ce premier pro<strong>du</strong>itde l'harmonie éternelle des deux élément» est unfeu ; c'est le feu central, source de la chaleur, de l'être,de la vie, principe de toute unité, de toute harmonie,force directrice et souveraine <strong>du</strong> monde, espèce de carènevivante,fondement<strong>du</strong> grand vaisseau de l'univers*.Dans leur technologie métaphorique, et toute pénétrée<strong>du</strong> polythéisme mythologique, les pythagoriciens don<strong>du</strong>s;mais on en ignore la racine, et les étymologies de Bopp, de Pottet de Welcker sont aussi peu soutenables les unes que les autres.M. G. Curtius a préféré s'en taire que de hasarder des hypothèsessans fondement. Cf. la note 27 <strong>du</strong> t. I <strong>du</strong> Cosmos de M. Alex, de Humholdt,trad. Faye.1. Phi/oL, Fr. 10, p. 9t. Boeckh, et Fr. II, p. 96.2. Id. t Id. : "HpÇa-ro Se yiyveoOai âv_pt toû piaou xai ànb TOû (iéeovrà âvw. Le sens de ay.pi, assez impropre, est éclairci par «Vite, qui lerépète, et par Scholl. Arist., 505 a, 9 : 'Ex péaou irpè; TOV ioyatov,et par Plut., Num., c. n : Kôo-pou où [Usov ol IIuO. TO itùp ISpûoSai vo-(itCoumv.3. !d., fragm. 11 : OiôXaoc rôip iv ps'aqi «pi xi xévTpov.... Té Si•Jiytpovmàv (4>i).o).ao; ia/noev) iv Ttë pcoatiiiip «upl, ôutp TpoTtruç SExnvTipoûne6xXXtTO TTJJ TOû itavTo; apatpxc é ôripioopyo;. Scholl. Arist.,p. 504 b : Ti xivtpov, té àvaOaXrtov Tï|V -fyi xai (uonotoùv.


76 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEnaient à ce feu central des noms divins et très-variés.La polyonymie était en effet un signe et une expressionde la puissance supérieure d'une divinité.C'est donc la pierre <strong>du</strong> Foyer où brûle le feu de lavie universelle, la Hestia <strong>du</strong> grand Tout, la Demeure, lePoste, la Tour, le Trône de Jupiter ; c'est la Mère desdieux, qu'elle engendre <strong>du</strong> sein de son unité ; c'estcomme l'Autel, la Mesure de la nature \ la force toutepuissanteet autogène qui contient dans l'unité d'un tout,et fait persévérer éternellement dans l'être les chosesindivi<strong>du</strong>elles <strong>du</strong> monde. C'est ici, qu'on le remarquebien, un point de vue astronomique tout à fait nouveau.La terre et l'homme, cette plante de la terre, ne sontplus le centre <strong>du</strong> monde ; la terre n'est plus qu'unastre qui gravite autour d'un autre ; elle descend <strong>du</strong>rang suprême où la plaçaient la superstition et la physiqueantiques; elle n'est plus qu'un instrument entreles mains d'un artiste, et cet artiste est le feu, quiéchauffe la terre, y fait naître la vie, et y maintientl'ordre et la beauté 2 .1. Philol, Fr. ll.Boeckh, p.94 : 'EarCavcoO itocvro;,... xaî Aie;oluov,xot!MrjTtpa 6«5v, Bwpôv xi xal v;.... là., Fr. 17.Boeckh, p. 137 : TTJ;TùV XOIT|MXûV aibmxr, 5iotp.ovT); TTJV xpaTinevowav}»x aÙTortv?) ffvvoxriv.Conf. Syrian., ad If et., XII, p. 71 b. Bagolini: • mundanorumaeternae permanentiœ imperantem et sponte genitam continentiam.» Arist., De ccel., II, 13, n. 2 : "O Atô; çuXaxfiv èvouàCovei.Simplicius [ad Arist., lib. De ccel., f. 120-124; Scholl. Arist., p. 505 s)répète ces dénominations, et y ajoute celle de Aie; 6pôvov, Zavè; mipyov,qu'il déclare emprunter au Pythagorique d'Aristote. Proclus (inTint., III, p. 172) repro<strong>du</strong>it la dernière formule, et Chalcidius celle <strong>du</strong>Traité <strong>du</strong> Ciel, in Tim.. p. 214 : • Placet quippe Pythagoreisignem,ut pote materiarum omnium principem, medietatem mundi obtinere,quam Jovis custodiam appcltant. > Cf. Plut., Plac. Phil., III, n.2. Scholl. Arist., 504 b, 43 : Ar]|iioupYixàv.... xaî àviOaXxov xel fuo-


DES PYTHAGORICIENS. 77Ce qui n'est pas moins remarquable que cette conceptionmême, qui a renouvelé la cosmographie, cesont les principes qui y ont amené les pythagoriciens.C'est un principe à priori, une intuition, une hypothèsesi l'on veut, mais une hypothèse nécessaire. Touta sa raison d'être, et la raison d'être des choses, del'état des choses, <strong>du</strong> ciel et <strong>du</strong> monde, et de l'état <strong>du</strong>monde et <strong>du</strong> ciel, est une raison d'harmonie, de proportion,de nombre, de beauté. S'ils ont détrôné laterre de son repos éternel, et de cette place d'honneurqu'elle occupait au centre <strong>du</strong> monde, ce n'est pas parsuite de l'observation expérimentale, c'est parce qu'ilscherchaient la cause de la situation des corps célestesdans l'espace, et que cette cause était pour eux uneraison '. Or, il était plus beau, plus conforme à l'ordre,à la raison, au nombre qu'il en fût ainsi : il était doncnécessaire qu'il en fût ainsi ; et peut-être ce vagueet sublime instinct des harmonies de la nature, dela valeur et de la signification esthétiques <strong>du</strong> monde,a-l-il présidé à d'autres découvertes, et non moinsvraies que celles des pythagoriciens. Mais il est intéressantd'entendre ici le témoignage d'Aristote : < Laplupart des philosophes qui croient que le monde estfini, ont placé la terre au centre : d'un sentiment opposésont les philosophes de l'école italique, qu'on appelleles pythagoriciens : car ils mettent au centre le feu ; laterre n'est plus qu'un des astres qui, par sa révolutionxoioùv xal TT)V xepl aùr^v eûiavrov 3iax6a|M|aiv.... "Aarpov Si T^V yT,vâ>« Spyavov xai aùt^v oCaav.1. Arist., De Cal., II, 13 : Toic A6YOU« xal Tô; aWas ÇTITOOMTIç....rjpô; tivaç ôoÇa; xai X6you; aùtûv (aùiûv ?) ta saivâuiva npaai>xovTi;.


78 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUE!autour de ce centre, fait le jour et la nuit. Ils ontmême imaginé une autre terre placée à l'opposé de lanôtre qu'ils appellent Àntichthone, car ils ne cherchentpas à plier aux phénomènes les causes, et leurs théoriesrationnelles ; ils plient de force les phénomènes à leursopinions et à leurs idées, et s'efforcent de mettre partoutl'ordre et l'harmonie, irtipwfuvot ovpw Ainsi leprincipe de cette physique mathématique est déjà toutidéal, tout esthétique. Chaque chose est où elle doitêtre; et elle doit être là où la place son degré de beauté,parce que la loi suprême de l'être est la beauté. Poursavoir où et comment sont les choses, il suffit donc desavoir où et comment il est plus beau qu'elles soient.Assurément l'idée de la beauté n'est pas encore celle <strong>du</strong>1. Arist, De Cœl., II, 13.


DES PYTHAGORICIENS. 79bien, il y a un pas pour <strong>mont</strong>er de l'une à l'autre: maisil n'y a qu'un pas; et quand Platon dira que l'essencevraie d'un être ne se trouve que dans «a perfection etson idée, il ne fera que développer la grande et magnifiqueproposition des pythagoriciens : L'être est labeauté même, c'est-à-dire dans leur langage, le nombre.Parmi les dénominations qui sont attribuées à ce feucentral, il en est une sur laquelle il est bon de s'arrêterun instant. Philolaùs l'appelle la Mesure de la nature,yûoeciK, et peut-être vaudrait-il mieux tra<strong>du</strong>ire del'être. Qu'est-ce que cela veut dire ? On trouve dansSyrianus un fragment <strong>du</strong> pythagoricien Cliuias où cemot est repro<strong>du</strong>it: «l'Un, dit-il, est le principe des êtres,la mesure des intelligibles ; il est incréé, éternel, unique,,souverain, et se manifeste lui-même '. > M. Zeller récusece témoignage dont il nie l'authenticité, mais il la nieen attribuant au mot gtrpov vocrrôîv un sens absolumentplatonicien qu'il n'a pas nécessairement. Il est certainque si l'on veut voir dans l'Un le type des Idées ou êtresintelligibles, on a une proposition qui appartient exclusivementà Platon : mais l'expression est susceptibled'un autre sens, <strong>du</strong> moins je le crois.L'essence en soi, la pure essence des choses, dit Philolaùs,est dérobée à la connaissance de l'homme. Il neconnaît et ne peut connaître que les choses de ce monde,toutes à la fois finies et infinies, c'est-à-dire mélange etrapport des deux éléments des choses. Et il ne peut lesconnaître que parce qu'il y a entre son âme qui lesconnaît par les sens, et les choses elles-mêmes, une1. Syr., ad Met., XIV, 1. Scholl. tninor, Br., p. 326 : 'Apx«v tlveuTAV 6VTWV Xiy«i xal vaatAv pitpov.


80 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEharmonie, une proportion, un rapport. Elles ont en elles,comme-principe, quoi? précisément cet Un composélui-même, et qui, principe de toutes choses, ne subsistepas moins dans l'âme que dans les objets '. Cette unité,ce germe, cette raison, tous termes pythagoriciens etphilolalques, est donc réellement d'une part la mesurede l'être, et de l'autre la mesure de l'être compris, VOBTûVpécpov, c'est-à-dire la mesure de l'intelligence des êtres,'en tant que le comporte la nature humaine. Ce n'estpas l'indivi<strong>du</strong> qui est la mesure des choses, ni de leurêtre, ni de leur intelligibilité ; c'est l'Un, l'Un qui leurdonne la limite, le nombr», et qui, en leur donnant unemesure, constitue leur essence ; en outre, il les rendintelligibles, et est la mesure de leur intelligibilité;car pour qu'il y ait connaissance, il faut qu'il y aitentre le sujet et l'objet une mesure commune, quisoit à la fois dans les deux, et cette commune mesureest l'Un ; car l'âme doit avoir en elle les raisonsdes choses pour les comprendre, et participer à cet Unqui est leur raison dernière et suprême.Quoi qu'il en soit, cet Un, composé avec harmonie *,est la première monade, le principe de tout, ce par quoitout commence 5 , quand on se représente le inondecomme commençant ; mais il n'est au fond, comme lemonde, dont il est la raison idéale, le commencementXOT' Imvoiocv, qu'un acte éternel <strong>du</strong> fini et de l'infini'. Sur lui reposent les fondements de l'univers;1. Philol., Fr. 4. p. 62.2. Ilpâiov Ev 4p(io


DES PYTHAGORICIENS. 81immobile au centre ', comme l'immobile Hestia, cesouffle de feu, cette flamme de lumière, de chaleur, devie, pénètre la nature entière *, enveloppe et maintientle tout dans l'unité », et <strong>du</strong> sein de son éternelle immobilité*, communique éternellement le mouvement ',1. PMM. p. 94 : T4 irùp.,.. âotlac. xàÇiv éitexov.2. Philoi. p. 167 : 4>u«ei Siaim6|uvoc xai xepiayeépsvoc (à x6ap.O().3. Philoi. p. 167 : Tâç T4 8Xo» itepiexoCeac tyvy&c.4. M. Boeckh lui donne le mouvement spontané, mais pour expliquerun texte de Philolaûs très-altéré, et où il reconnaît lui-même lamain violente d'un interpolateur. Dans le? fragment 22, p. 167, il estdit que le monde est divisé en deux parties, l'une àuiTdSXaa-rov, ouàiitTâSXaTov ou àueTâ6o).ov, c'est-à-dire évidemment immuable, immobile; l'autre, uxTdSaXXov, muable, mobile ; l'une mouvant, l'autre mue;l'une toujours identique à elle-même et dans le même état, icatl fitauivetxaxà TO aùtè xai àxjapTwc 'x wv > l'autre naissant et périssantsans cesse. Pas de difficulté jusqu'ici; mais, dans ce même extrait,l'une de ces parties est appelée TO àelxlvaTov, l'autre àeirtaOèc; la première,àei êtovro; 6EîU, la seconde, ici ptTaSaXXovToc Ici les oppositionsprécédentes semblent disparaître, et M. Boeckh ne lève pas lacontradiction entre les deux moitiés <strong>du</strong> fragment, en proposant d'entendreàsixivatov par dos 'sich stett bewegende, auquel correspondraitle àei filon. Car, quand bien même on accorderait à M. Boeckh qu'il ya, dans la doctrine <strong>pythagoricienne</strong>, un Dieu spirituel, distinct <strong>du</strong>monde, comme le dit Philon, ce dernier témoin et toute la doctrines'opposent à ce qu'on lui attribue le mouvement. Car Philon dit de lui(fr. 19, p. 151) qu'il est àxlvaroç, uévtpoc; Thêon de Smyrne (Plat.Mathem., p. 49 : xivov|uvov TC xai àxivnvou), comme Aristote, dans latable des Syzygies, pose comme contraires le mobile et l'immobile : lepremier, identifié au pair et à l'infini, et le second, à l'impair et aufini. L'Un est donc immobile comme la pierre <strong>du</strong> Foyer de l'univers.Je n'aurais aucun scrupule de changer la leçon d'un texte si corrompuet d'une origine si légitimement suspecte, qui en ferait disparaîtreau moins les contradictions. Je proposerais donc de lire : Tù uivàei iovTo; 6eiu, dans un endroit, et TO ulv àxivaTOV (ou àeixivoûv) TO 8:àeutaêèc, dans l'autre.5. Philoi., Fr. 22, p. 168 : Té xtvtov 18 aiûvo; le. awôva itepinoXeï.C'est donc non-seulement autour <strong>du</strong> centre que se meut l'univers et laterre, mais c'est ce centre qui imprime le mouvement Fr. 11, p. 94 :llepi 61 TOûTO oôqutTaêela xopeûeiv. Arist, De Cal., II, 13.H — 6


82 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEil répand jusqu'aux extrémités <strong>du</strong> monde organisé et ila limite de l'infini où sa puissance expire, il répand lavie en travaillant et façonnant les choses, à la manièredes artistes, et leur donne le nombre, la limite, la mesure,c'est-à-dire la forme et l'essence.Cette force démiurgique, qui donne la vie et la conserve', est un souffle, une âme, et par conséquent, si.l'on veut et dans la formule des anciens, c'est un Dieu',ou plutôt le divin tô ôeTov. c Pythagore et Platon considèrentl'âme (humaine) comme impérissable; carlorsqu'elle quitte le corps elle rentre dans l'âme <strong>du</strong>tout, et« TJ|V TOû «avTôç (]yuy_r,v, parce que son essenceest de même nature bpofuU > ". < Il n'y a qu'un seulprincipe de vie, h tnâp^ecv irvcûpa, qui pénètre à lafaçon d'une âme* l'univers entier, et forme ainsi lachaîne sans fin qui relie tous les êtres les uns auiautres, animaux, hommes et dieux '. » Cette force estd'une nature à la fois si subtile et si puissante qu'elleentre dans le tissu des choses, que dis-je? fait la tramede ce tissu, et est présente en elles, ÔTtapxsiv, et agissanté depuis le centre qu'elle ne quitte pas, jusqu'aux1. C'est là ce Démiurge des fr. 11 (p. 96) et 22 (p. 168), quele rédacteur,troublé par les idées platoniciennes', a séparé à tort <strong>du</strong> feului-même.2. Simplic, t'n Jib. Aritt. de Cal, f. 124. Scholl., p. 505 a, 34 : IKppàv iv Tcj> \Uaif XÉTfOvat TT)V SripuoopYtx^v Sûvap.» rév in. piaov rtâewtVjv Trîjv CuOYOvoOrrov xai ri àrrupUYIiévov aùtfjc àvaSàXuouoav.... Scfcol.Ans t., id., p. 504 b, 43 : Hôp SripuovpYtxàv.... ivâSa/nov,... f"»-KOtoùv.... çOXXTTOV oiaxoo-uTjaiv.... Ta; ippoupriTixà; éaviTT); SwâpiKi*TOûTOI; (\eg. ToÛTep) tSpupivot;.3. Philol., Fr.22,'p. 167 : Tâcti8).ov xipisxoûaa; u>x«-4. Plut., Plac. Phil., IV, 7, 1.5. Sext.Emp„adp. Math.,IX, 127. Scholl.Arist., p. 505 a,9:4'èxolnXex H Ôvai TTIV toû nome; d/ux»l v i* picou npoç tèv lcx«ov oùpavov.


DES PYTHAGORICIENS. 83extrémités <strong>du</strong> ciel où elle se répand. Cicéron a doncbien raison de dire « Pylhagoras censuit animum esseper naturam rerum omnem intentum alque commeantem.»' Mais ce Dieu, cette âme <strong>du</strong> monde, qu'adopterontplus tard Speusippe et les stoïciens, n'allonspas croire que ce soit une substance pure de matière ;comme nous le verrons plus loin, l'âme humaine, quin'est • qu'un écoulement, une parcelle de l'âme <strong>du</strong>monde, l'âme, quoique principe <strong>du</strong> mouvement, estencore une nature composée et matérielle, d'une matièreplus pure, plus impalpable, mais réelle. C'est l'Uncomposé soit par mélange, soit par rapprochement ".C'est un germe, v....'t\te âx axipiiaToe..4. Frag. 22. Phil., p. 167. B. : Ta xivtov if; aiûvoç i; alwva xepinoXeî.... Id., p. 165 : 'AAX'VJ; 6St é xôauo; II atùvo; xaï el« altôva étape'vit, tic 6x6 iv6c ,T


84 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEM. Zeller conteste l'authenticité <strong>du</strong> fragment de Philolaûs,qui a en effet, au moins dans la rédaction^ unecouleur platonicienne très-prononcée; mais ses raisonspour en contester le fond ne me paraissent pasdémonstratives ; il prétend d'une part que l'éternité <strong>du</strong>monde est une doctrine postérieure à Aristote, et quel'âme <strong>du</strong> monde est une idée toute personnelle àPlaton. Mais ces assertions sont inexactes : pour l'éternité<strong>du</strong> monde, Heraclite évidemment l'a enseignéelongtemps avant les stoïciens et en termes des plus précis: « ce monde, disait-il, n'est l'ouvrage ni des diemni des hommes : il a toujours été, il sera éternellement;c'est le feu vivant, éternel, dXX' ?v àù xat taxai *5p ici-Çuv 1 . » Quant à l'âme <strong>du</strong> monde, Alcméon, dont les doctrines,Aristote le constate, ont une grande analogie avecles doctrines <strong>pythagoricienne</strong>s, Alcméon attribuait la naturemortelle de l'homme à ce qu'il ne peut unir la finau commencement ; il n'a pas en lui, disait-il, le principed'un mouvement circulaire, c'est-à-dire, éternel.Or, en refusant cette vertu à l'âme humaine, Alcméonreconnaît qu'il y a des âmes qui ont ce don divin: et ildonne une âme éternellement motrice non-seulement àla lune, au soleil, aux astres, mais encore au tout de lanature, au monde entier*. Si Alcméon, contemporainde Pythagore, probablement son disciple, admet uneâme <strong>du</strong> monde, quoi de plus naturel, et même de plusvraisemblable que celui-ci en ait fait autant. Aristote,1. Fragm. 25 d'Héracl. S. Clem. Strom., V, 559 b. Plut., de Gen.in., a, 2. Simplic, t'n Arisl., de Cœl, (. 68 b. ScholLArisl., p. 487b,33, 46.2. Arist., de An., I, 2, 14 : Kal TOV oùpaviv ô).av.


DES PYTHAGORICIENS. 85d'ailleurs, nou-seulement nous autorise à le croire, maisil ne permet pas d'en douter. D'une part il appelle l'Unprincipe, un sperme, un germe ; c'est-à-dire quelquechose de vivant assurément: or dans la langue desanciens, et dans leurs opinions philosophiques, quel estle principe de toute vie, végétative ou animale, si cen'est l'âme ? D'un autre côté, il nous dit que le monde,dans le système des pythagoriciens, aspire et respire ;cette fonction éminemment vitale, par laquelle se pro<strong>du</strong>itl'alimentation <strong>du</strong> monde 1 , peut-elle s'accomplir sans lavie dont elle est la marque, et par conséquent sans uneâme? Et cette âme <strong>du</strong> monde qui vit, respire, se nourritet répare ses pertes, je la retrouve indiquée par Axistotejusque dans la théorie d'Heraclite*.Donc le monde a une âme, s'il faut entendre par làce principe igné, cet éther, cette quintessence parlaquelle les anciens atténuaient, exténuaient la notionde la matière sans la détruire. Les pythagoriciens vontjusqu'à lui donner la propriété presque immatérielle dela pénétrabilité : tout en gardant son unité, à» nvtûpa, tout1. Philol-, Fr. 12. B. p. 111 : Tposàç TOû XôOUOVI àvaSupiâcreiç.2. Arist., de An., I, 2, 14 : Kal 'HpâxAeiro; Se vhy àpxnv etvat çnoiràv


86 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUE:en restant au centre, l'Un pénètre l'immensité <strong>du</strong> tout 1 ,et s'étend <strong>du</strong> milieu qu'il ne quitte pas à l'extrémitéqu'il occupe' : l'âme est au centre et elle enveloppe letout'.Cet autre feu, comme le premier, est la limite * :c'est l'Olympe, qui contient à l'état pur 6 , c'est-à-diresans mélange, tous les éléments, l'eau, la terre, Tair,le feu, et le cinquième qui constitue le cercle mêmede la sphère", et qui n'en est pas moins l'élément paroù naît et commence le monde'. Comme enveloppante,elle est le lien qui fait un tout <strong>du</strong> monde ; et elleest alors conçue comme le principe efficace, et la loi, àlaquelle rien ne se dérobe, de l'harmonie et de l'unité".Entre ces deux points <strong>du</strong> centre enveloppé et de lasphère enveloppante <strong>du</strong> tout, se meuvent les sphères desêtres qui se sont plus ou moins laissé pénétrer par lalimite, c'est-à-dire le monde même : d'abord la régionproprement appelée xôoptx;, où sont les corps divins qui,1. Sext. Emp., IX, 127 : "Ev nveûput xè Sut xavxà; xoû Xô


DES PYTHAGORICIENS 87se mouvant de l'ouest à l'est, accomplissent autour <strong>du</strong>centre leurs danses et leurs chœurs célestes; au-dessous,à partir de la lune, est la région sublunaire, appelée proprementoôpavjx;, sphère des êtres et des choses sujets audevenir et au changement 1 .Mais quoique composé, quoique comprenant en soiune partie où les indivi<strong>du</strong>s changeants naissent et périssent,le monde en son tout et dans son unité ne sauraitpérir; car quelle cause, soit au dehors, soit au dedansde lui, pourrait-on trouver pour le détruire, qui fût pluspuissante que ce principe interne de vie et d'unité, demouvement et d'harmonie dont il est l'éternel pro<strong>du</strong>it.Ensuite, il n'a pas commencé, parce qu'il a en lui leprincipe <strong>du</strong> mouvement; il vit de sa vie propre, et semeut dès l'éternité de son propre mouvement*. Gommentalors les pythagoriciens peuvent-ils dire : « Lemonde a commencé de naître à partir <strong>du</strong> milieu, lipionoSi Y{ T ve (ou àlôiw). Tertull. (Apoloo., c. Il), Varron, [de Re Rtut., II, 1, 3)rapportent également que la doctrine de l'éternité <strong>du</strong> monde est <strong>pythagoricienne</strong>.3. PMI., Fr. 10, p. 90.4. Stob., Ed., I, 450.


88 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEet qu'ils cherchent à en expliquer la formation : ce quiest souverainement absurde, parce que c'est'absolumentimpossible '. Tous les philosophes disent que le mondea été pro<strong>du</strong>it, Y«vou.évou ; mais les uns admettent en mêmetemps qu'il est éternel; et les autres en concluent qu'ilest périssable'. » M. Zeller n'a donc pas le droit de prétendrequ'avant Aristote personne n'avait soutenu ladoctrine de l'éternité <strong>du</strong> monde*. Comment concilierl'éternité <strong>du</strong> monde avec les explications données sur saformation 4 ? Aristote nous fournira encore la solutionde cette apparente contradiction, et c'est celle que nousavons déjà trouvée dans Stobée. «Pour venir au secoursde leur système, il y en a qui disent que cette générationn'est pas réelle ru dans le temps, où ^evo^vou irete, maisqu'elle est imaginée pour l'explication, oioaffxaXîae^ôptv 5 .»C'est donc uniquement pour les besoins de notre esprit,dans l'intérêt de la science, et pour faciliter aux autresl'intelligence des questions philosophiques, que Pythagoreconsidère le monde comme créé*. Cela revient à direque pour comprendre la vraie nature <strong>du</strong> monde, onpeut et on doit le construire successivement dans sonesprit. C'est l'application instinctive <strong>du</strong> principe d'Aristote:on ne comprend que ce que l'on a créé et pro<strong>du</strong>it:Ttoioîvrt; vap YIVÛOXOIKTCV 7 .1. Met., XIV, 3.2. DeCcel.,1, 10, p. 79 b, 12.3. D'autant plus qu'Aristote (Pays., VIII, i, 250) attribue cette opinionà Empédocle et à Heraclite : Aeî oamv tlvat xtvrioiv.4. Tnv véveoiv TOû xoauou. Plut.. Plac. PMI., II, 6, 2.5. De Cal, 1,10.6. Plut,, Plac. PMI., II, 4,1.7. Met., IX, c. iv fin. C'est le fond de la doctrine de Fichte, et peutêtrede Kant. Nous ne pouvons comprendre un objet, qu'autant que


DES PYTHAGORICIENS. 89Essayons donc de nous faire une idée de la formationde l'univers en le construisant mentalement : représentationqu'on ne doit pas s'attendre à trouver parfaitementraisonnable ni parfaitement claire, puisque c'estun point sur lequel, au dire d'Aristote, les pythagoriciensne savaient que dire, et sur lequel ils sont restéspresque muets, iitopoZan eîjréïv 1 .L'Un premier est le principe de l'élément de tous lesêtres 1 . Il a une grandeur ; il occupe un espace, un lieu',il pro<strong>du</strong>it la grandeur et l'éten<strong>du</strong>e physique '; il est composésoit de plans, soit d'un germe ; il vit et respire ; entant qu'un, il est limitant et limité ; il est fini, il estgénérateur de la forme ".On doit se le représenter comme un point; maiscomme un point ayant grandeur et vie; et il a déjàl'éten<strong>du</strong>e dans les trois dimensions'. Si cette grandeurest composée de surfaces planes, on peut donner à cesplans le nom de couleur, parce que dans les corps il n'yn'y a que la surface de colorée ; mauvaise raison d'ailnousle voyons naître à nos yeux par la pensée, quand il est créé enquelque sorte par l'entendement. C'est le sens d'un mot fameux, qu'ons'est hâté de flétrir comme une impiété sacrilège, et qu'on auraitmieux fait de comprendre. On trouve déjà dans Vico (de Antiquité.Ital.tapierU.) : « Geometrica ideo demonstramus quia facimus. Physicasi demonstrare possemus, faceremus. >1. Jfet., XIV, 3.2. Jfet., XIII, 6 : Ta Iv erotxéîov xal àpxTJv çOKXIV eîvai xûv 6VTO>V.3. Jfet , XIV, 5.4. XIV, 3 : Ta yàp |UYÉ fi ï| JioteT. ,5. Simplic.j in Phys., f. 104 b : Tè xépaivov xal el5o7roioûv.6. Aristote, de Anim. I. I, c. n, § 9, citant lui-même son Traité septeiÀoaoçia;, consacré à Platon et aux pythagoriciens, et faisant allusionà ces derniers, comme je le crois avec M. Barthélémy Saint-Hilaire,dit : Aùvo pêv xo (tpov ix xîj; TOO ivo; ISe'aç xal xoù xpurtov UTJXOUC, xaixXâxovr, xal BàBouc.


90 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEleurs, comme le fait observer Aristote, puisque si le planest la limite des corps, la couleur est dans cette limitemême 1 . —Si cette grandeur est composée de surfacesplanes, en vertu de sa puissance interne, elle aspire levide infini qui la gonfle, l'emplit, l'étend, et se développant,par'une génération qu'on peut s'imaginer successive,dans les trois dimensions qui sont déjà en germeen elle, pro<strong>du</strong>it le solide. Car il semble que les pythagoriciensse soient figuré ce point comme une espèced'outre ou de vessie extrêmement aplatie. Le ^vide ens'intro<strong>du</strong>isant entre ces plans superficiels les écarte etengendre des intervalles*, qui, contenus dans une formepar l'élément limitant préexistant dans les plans, constituentle corps. Le vide fait plus : par une fonction quisemble contradictoire à sa nature, puisqu'il est l'infini,il divise, sépare, dislingue les êtres les uns des autres',parce qu'il s'intro<strong>du</strong>it non pas seulement dans l'intérieurde chaque être, mais circule en dehors de chacund'eux ; c'est en effet l'espace vide qui est placé entre lescorps, qui limite leur éten<strong>du</strong>e et détermine leur être enlui donnant une mesure 1 . Par l'intro<strong>du</strong>ction <strong>du</strong> vide la1. Arist., de Sens, et sens., cm. Stob., Ed., I, 362. Plut., Plac.Phil., 1,15. Theol. Arilhm., p. 10, 18.2. Aioumi|Jiava. Boetb. h. Arilhm., II, 4.3. Arist., Phys., IV, 6 : Tè xevàv 6 oTopiïei tà« eûetic.4. Il est clair que nous n'avons pas ici une explication scientifique,et que les pythagoriciens ne nous disent pas comment l'Un a pro<strong>du</strong>itla pluralité. L'intervention <strong>du</strong> vide ne sert à rien; car elle suppose déjàcette pluralité de monades; et le vide ne fait que grossir les proportionsqui les séparent les unes des autres, comme celles de leurs dimensionspropres. On ne peut guère distinguer le vide de l'infini, puisqu'Aristote(Phys., IV, 6) dit que le vide s'intro<strong>du</strong>it dans le monde, etqu'il y est aspiré éxvoû ineipou. D'un autre côté,Simplicius (adPhys.,152) appelle ce qui est en dehors <strong>du</strong> monde, le vide, et Aristote, l'in-


DES PYTHAGORICIENS. 91quantité continue est constituée en quantité discrète :el son premier effet est d'engendrer les nombres', quine l'oublions pas, sont les choses mêmes ; et voilà commentles nombres qui ont l'Un pour élément et principen'en sont pas moins engendrés par la pluralité*, oul'élément infini qui la contient en puissance.Si on suppose que les pythagoriciens se représentaientcet Un premier, non sous la forme d'une figurelimitée par des plans, mais sous celle d'un germe, lemême phénomène d'aspiration pro<strong>du</strong>ira le même effet,c'est-à-dire que l'Un, à l'aide de l'infini, et en vertu desa puissance interne de développement, engendre lesnombres, discrets et à la fois concrets, c'est-à-dire leschoses indivi<strong>du</strong>elles. Le point en s'accroissant portenécessairement sa limite en dehors de lui-même, etcomme il déplace sa limite, il crée un second point.L'Un, en se dédoublant, se double: un a pro<strong>du</strong>it deux*.Mais dans ce mouvement d'une limite à l'autre, le pointa parcouru un intervalle, une dislance : cette distanceest la ligne, représentée par le nombre deux qui la détermine.Par ce même mouvement tout idéal, on sereprésentera également la génération <strong>du</strong> plan par laligne, et par la révolution des plans, la génération dessolides*. Au fond de toutes ces représentations, je nefini. On peut admettre, avec Hartenstein, que le même élément portele nom d'infini, tant qu'il reste en dehors <strong>du</strong> monde, et prend celui devide, quand il y est absorbé.1. Arist., Phys., IV, 6 : Kii TOUT' elvai npàVrov £v TOïç àpi8|i.oïc" vèyàp xôvev SiopiÇeiv T^V tpéaiv aûtûv. ,2. V. plus haut, tom. II, p. 71, n. 5 : 'H yévEirtptûv àpiêpaûv èx TOùICATJSOOÇ .3. Met., XIV, 3 : Tèv «ç'ivoi; ScxI.aoïaÇépitvov.4. 3 = la surface, parce que la première figure rectiligne est limitée


92 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEvois qu'une notion obscure mais vraie: l'être est fils del'être ; deux est parconséquent le pro<strong>du</strong>it de l'Un. La viea la puissance d'engendrer, et comme ce qu'elle engendre,tout en sortant <strong>du</strong> germe, s'en détache, l'Un, qui seulest vivant, engendre la pluralité : d'un autre côté l'êtrevivant ne nous est donné que sous la notion d'un êtreéten<strong>du</strong>, et par conséquent matériel ; pour vivre, et à plusforte raison pour engendrer, il a besoin de s'assimilerun élément étranger, la matière, principe de la pluralitéinfinie ; et c'est grâce à cette matière qu'il peut s'accroître,se multiplier : donc les nombres ou les chosessont aussi le pro<strong>du</strong>it, indirect au moins, de la pluralité, età son tour l'unité vient de deux, x&sàlv il dp^orfpuv'.Les deux éléments des nombres sont donc, par rapportà ce qu'ils constituent, comme le père et la mère, quine sont pas moins nécessaires l'un que l'autre à la génération: « le nombre est le premier principe : c'est l'Un,indéterminé, insaisissable, il renferme en soi tous lesnombres jusqu'à l'infini. Quant à l'hypostase, c'est-àdirequant à la réalité, la première monade est mâle :c'est le père qui engendre tous les autres nombres.La dyade, qui vient en second lieu, est le nombre femelle*.par trois droites; 4 = le corps, parce que le solide régulier le plussimple est limité par quatre plans.1. Met., I, 5. On saisit ici le vice incurable <strong>du</strong> système. Rien n'y estvraiment premier ; car si, pour arriver à l'être, l'infini est conditionnépar l'Un qui l'absorbe et se l'assimile, l'Un lui-même, pour se réaliser,est obligé de se mettre en relation avec un élément étranger. Ainsi,l'un et l'autre se conditionnent réciproquement, jusque dans le sein del'Un piemier.2. Eudore,dansOrig.,Pm'Ios., p.6. Cf.Anatol.,dans laTheoI.Arimm.,p. 34. Le nombre impair est mile, le nombre pair est femelle.


DES PYTHAGORICIENS. 93. "Voilà donc comment de l'unité naissent les nombresqui sont à la fois causes de l'essence ou substance, etcauses de la forme des êtres, of àptôu.01 attiot TGV o&atûv,xîjç pop?îjî alrtot '#»Gomme le point premier est éten<strong>du</strong> et substantiel, ilen résultait, d'après les pythagoriciens, que chacun desnombres issus de l'Un, chacune des figures engendrées<strong>du</strong> point, était quelque chose de substantiel et de réel; etcomme ils s'obstinaient à confondre le nombre mathématiqueavec le nombre concret, ils arrivaient à desconséquences géométriquement vraies, mais absurdesdans l'ordre ontologique. Aristote observe, en effet :« que quelques philosophes, ce sont les pythagoriciensévidemment, ont pensé que les limites <strong>du</strong> corps, parexemple: la surface, la ligne, le point ou la monade,sont plus véritablement substances que le corps et lesolide 1 . Le corps est moins substance que le plan; leplan moins que la ligne ; la ligne moins que le point etla monade; car c'est par eux que le corps est déterminé,et il est possible qu'ils existent sans le corps, tandis quele corps ne peut exister sans eux. Comme le point estle terme de la ligne, la ligne la limite <strong>du</strong> plan, le plancelle <strong>du</strong> solide, quelques-uns concluent que ce sont làdes êtres naturels existant par eux-mêmes', et alors ilsne se gêneront pas pour composer de plans et résoudreen plans tous les corps \ >1. Arist., Met., XIV, b, et XIII, 6.2. Met., VU, 2, 1028 b, 15.3. Met., IH, 5 ; XIV, 3.4. De Cal., III, 1. Cf. les passages cités par Brand., Greech.u. Rom.Philot., I, p. 471. Si quelques-uns se rapportent à Platon, c'est qu'Aristotelui attribue une doctrine qui s'éloigne peu, en ce point surtout,


94 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUENon-seulement le plan, la ligne et le point devaientêtre des réalités, mais dans l'ordre de la générationmentale 1 des nombres, ils devaient être antérieurs auxchoses, et le point, l'Un, devait être le premier : « Platonet les pythagoriciens faisaient des nombres les principesdes choses, parce que le principe leur paraissaitêtre ce qui est premier et indivisible. Or les surfaces sontantérieures aux corps, parce que tout ce qui est simpleet non composé est naturellement antérieur. Par lamême raison les lignes sont antérieures aux surfaces, etles points aux lignes : ces points, ortYpal, que les mathématiciensappellent ur^ïa, étaient nommés par les pythagoriciensmonades. Les monades sont des nombres,donc les nombres sont les premiers des êtres*. »Mais il importe de ne pas oublier que ces nombresn'étaient pas des nombres abstraits. « Les pythagoriciensn'admettaient qu'un nombre, le nombre mathématique;mais ils ne le considéraient pas comme indivisible et incorporel,c'est-à-dire comme monadique : en effet, lede celle des pythagoriciens, comme il le constate lui-même, de Cal.,VU, 1 : « Cette réfutation, dit-il, retombe également sur ceux qui composentle monde des nombres,... comme certains pythagoriciens. •1. C'est avec cette réserve qu'on doit admettre le témoignage d'Aristote.Et encore ses renseignements sont quelque peu contradictoires;car il suppose que les pythagoriciens attribuent plus de substance,plus d'être, et par conséquent plus de perfection à la surface qu'au solide,à la ligne qu'à la surface, au point qu'à la ligne. N'est-ce pasdire que le point est toute la perfection de l'être? Mais, tout à l'heure,il va nous dire le contraire : à savoir que les pythagoriciens, posantpour principe le point, le germe, font commencer les choses par uneimperfection première, d'où elles ne peuvent sortir que par un mouvementprogressif, qui crée postérieurement la perfection. Donc le pointn'a pas plus de perfection que la ligne, la ligne que la surface, etc.2. Alexaud. Aplirod., ad Met., I, 6. SchoU. Arist., p. 551.


DES PYTHAGORICIENS. 95nombre monadique est indivisible et incorporel. Mais ilsattribuaient à leurs monades une grandeur éten<strong>du</strong>e 1 . »Il résulte de là que le nombre mathématique des pythagoriciensn'est pas monadique, c'est-à-dire qu'il estpeut être indivisible, mais qu'il n'est pas incorporel. Aristotenous l'atteste lui-même : < Tout le monde admetles nombres monadiques, .excepté les pythagoriciensqui, soutenant que l'Un est le principe et l'élément desêtres, sont obligés d'attribuer la grandeur aux monades....Us forment le monde entier de nombres : seulementce ne sont pas des nombres monadiques, puisqu'ilsimaginent que les monades sont éten<strong>du</strong>es', »tandis que le nombre monadique est un point abstrait,n'ayant pas de situation dans l'espace, raYuJkaeexde'.Mais si les pythagoriciens ne sont pas assez insenséspour composer le monde de purs rapports subjectifs, etde nombres abstraits, les analogies qu'ils ont aperçuesdans les propriétés et les combinaisons de ces derniersles ont aveuglés au point de les confondre avec les choses.Les choses sont des nombres, parce que les nombressont des choses. Il est alors indifférent d'étudier lesunes ou les autres. Il y a plus : la science des nombres,ouïes mathématiques, étant plus facile et plus abordable,c'est par elle qu'on peut arriver à la connaissance de lanature, et l'on peut apercevoir et saisir dans les propriétésdes nombres et les rapports mathématiques, dansces belles lois et ces rbythmes mesurés et harmonieux1. Scholl.Arùt.,adMel., XUI, 6, p. 723, éd. BoniU.2. Met., XIII, 6.3. Jfet., XIII, 8. Les objections d'Aristote portent sur tout ce point,que les pythagoriciens raisonnent sur les Unités, comme si ellesétaient monadiques, taudis qu'ils n'admettent pas qu'elles le soient.


96 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUE<strong>du</strong> développement des choses, non-seulement le secret<strong>du</strong> mécanisme ou de l'organisme de l'univers 1 , mais,puisque la loi se confond avec l'essence, l'essence mêmedes choses.§ 4. SYSTÈME DES NOMBRES DANS LE MONDE.iLes nombres se divisent en maintes espèces : il y ad'abord les nombres pairs et les nombres impairs, lesnombres linéaires, les nombres plans, lesquels comprennentles nombres carrés, les gnomons ou étéromèques,les nombres triangulaires, les nombres polygoniques, les nombres solides, par exemple : les nombrescubiques, les nombres puissances et les nombres en puissance1 .Les nombres pairs sont :1. âpTiaxîç apriov, c'est-à-dire ceux qui se laissent diviserpar des nombres pairs en nombres pairs, jusqu'à cequ'on arrive à l'unité, par exemple : 64.2. L'impair-pair irepiccâpTiov qui ne se laisse diviseren nombres pairs que par le diviseur 2, mais qui, partout autre diviseur pair ne donne au quotient que desimpairs.3. Le pair-impair, dprumépio-o-ov, c'est-à-dire ceux desnombres qui, même divisés par deux, ne donnent quedes impairs.Les nombres impairs sont :1. Alex. Aphrod., Scholl., p. 560 b, 25 : • Quant à l'ordre de positionqu'occupaient les nombres dans le monde, d'après les pythagoriciens,il était exposé par Aristote dans son second livre sur le système pythagoricien.•2. Alex. Aphr., in Met., I, 8, 990, 23. Scholl., 561 b, 5 : *H uiv Suvapivï),l'hypothénuse a, <strong>du</strong> triangle rectangle, ai Se Suvaattuouivai,les côtés de l'angle droit, b et c, parce queo'^b' + c'.


DES PYTHAGORICIENS. 971. L'impair premier et simple.2. 'impair second pro<strong>du</strong>it de plusieurs impairs, etqui ne sont par conséquent pas divisibles, par exemple :9. 15. 21. 25.3. Les impairs premiers entre eux'....Huis à l'exception de l'identité que les pythagoriciensétablissaient entre l'impair et le fini, d'une part, et lepair et l'infini, de l'autre, on ne voit pas quel rapport logiqueont ces théorèmes d'arithmétique avec leur conceptionphilosophique. M. Zeller veut qu'ils soient partisuniquement des mathématiques pures et qu'ils s'y soientrenfermés. La notion de l'infini pythagoricien est, croitil,l'infini mathématique, car ce n'est que la faculté decertains nombres pairs d'être infiniment divisibles pardeux, qui la leur a fournie. Il n'y a pour eux uiespril nimatière., et leur nombre n'a ni substance suprasensible, nisubstance matérielle. Je crois avoir prouvé plus haut queles pythagoriciens n'ont pas poussé jusqu'à cette folleabsurdité l'ivresse des mathématiques, et que la penséequi inspire leur système est d'un tout autre ordre : jen'en voudrais d'autre preuve que l'absence de rapportvisible ' entre leurs théorèmes mathématiques et leurphysique. Ils transportent, eu effet, les données de l'expérienceet de l'observation psychologique dans leursystème des nombres, encore plus qu'ils ne font le con-'traire, quoiqu'ils en aient d'ailleurs le désir.Nous allons nous en convaincre immédiatement.Tandis que les nombres abstraits sont en réalité infinis,les pythagoriciens renferment dans une éten<strong>du</strong>e linii-1. tticom., Intl. arithm., p. 9. Tbeon., I, c vm. Zeller, t. I, p. 290,not. 1.n—7


98 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEtée tout leur système numérique, et cette éten<strong>du</strong>e estdes plus restreintes puisqu'elle s'arrête au nombre10. Ce nombre est parfait et suffisant; car il renfermeen lui la nature et la puissance active de tous lesnombres; il est le principe de tout être, de toutevie, de toute intelligence ; il est la force interne etincréée qui pro<strong>du</strong>it la permanence éternelle des chosesde ce monde'. Il est vrai que pour le prouver, ilsont recours à un fait de pure arithmétique, commenous le verrons plus loin*. Mais ce qu'il y a de remarquablec'est que si tout être, par cela seul qu'ilest, est décadique', il n'est pas moins tétradique',et de plus tout nombre tétradique et décadique est enmême temps une unité. Ainsi chaque nombre est à la fois1, 4 et 10. Certes ce ne sont pas les nombres de l'arithmétiquequi jouissent de ces propriétés, sauf peut-êtrela dernière; car il parait bien certain que le nombreneuf répond à une notion parfaitement une, et très-distinctede celle des nombres dont il est composé. En toutcas, les pythagoriciens auraient été obligés de l'admettre,puisque chaque être étant un nombre, ce nombrede l'être ne pouvait manquer d'être un. Cela revient peutêtreà dire que l'unité réelle et concrète doit enfermerles déterminations diverses, les qualités même opposées,et comme ces qualités sont des nombres, que l'unité tout1. Philol. Bœckh,p. 139. Arist., *>


DES PYTHAGORICIENS. 9en restant une, doit contenir d'autres nombres, c'est-àdirele multiple de ses déterminations et de ses propriétés.Les dix premiers nombres, dont la décade est la.limite, suffisent, au dire des pythagericiens, pour expliquerl'infinie variété des choses, depuis le brin d'herbejusqu'au soleil, depuis la réalité la plus matérielle jusqu'auxattributs, aux modes, aux propriétés des choses,et jusqu'aux dieux eux-mêmes 1 . Mais à mesure que lenombre s'élève dans l'échelle et se rapproche de la perfectionque la décade représente, l'être croit en beauté,en richesse d'attributs et de déterminations positives.Sans être vide, l'unité qui n'est que l'unité, représentele germe premier, c'est-à-dire l'être à son étatd'enveloppement, tandis qu'à mesure qu'elle s'éloigne decette unité pauvre, elle se développe, s'achève, s'étend,se complète, s'enrichit. C'est <strong>du</strong> moins ce qu'on peut inférer<strong>du</strong> passage suivant de Philolaûs, qui malheureuse,ment estquelque peu contredit par d'autres applications<strong>du</strong> système des nombres aux choses.Si 1 est le point, 2 la ligne, 3 la surface, 4 pourra représenterle premier et le plus simple des corps solides 1 ,composé d'un plan triangulaire à la base, et de troisplans triangulaires unis dans l'angle <strong>du</strong> sommet. C'estla pyramide, qui est le premier, et peut être considérécomme le type des solides, parce que tous les solides sepeuvent résoudre en pyramides triangulaires. Philolaûsappelle les corps solides des grandeurs mathématiques,1. J. Philop., ubi supr.,p. 50 : Eivatouv IACVC rà; texpiSixàc taûxa;apxàc xai xoivâ; iv xâai toi; ovai xai iSia, xai iv Tt TOI; vor,ioÏ4 xai ivTOîç çuaixoï; xai iv toï« atatt^Toi;.2. Scholl. Arist. in Met., XIII, 9. Boaitz. p. 756 : « Le* nombresdonnent donc aux grandeurs leurs formes, zà cloi). •


100 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEet il dit : « Après la grandeur mathématique, limitéepar trois surfaces et que représente le nombre 4*, l'être<strong>mont</strong>re la qualité et la couleur dans le nombre 5; lafonction de la vie animée, 4*>x w dans le nombre 6; la raison,la santé, et ce qu'il appelle la lumière, dans le nombre7 ; puis l'amour, l'amitié, la prudence, la réflexionsont communiqués à l'être par le nombre 8. » Là s'arrête,hélas 1 le fragment mutilé de Philolaûs, sur lequelnous reviendrons plus loin. Il suffit cependant d'unepart pour prouver que Philolaûs ne connaît pas d'autreêtre que l'être physique 1 , iitt5eiÇa|Mvr,r, -rrjç Tu


irDES PYTHAGORICIENS. 101sorte que le tout, c'est-à-dire le monde, forme une proportion,une harmonie croissante, par degrés liés entreeux. En un mot ce n'est pas le mouvement vers la perfectionqui est indiqué par le passage, mais l'ordre et labeauté <strong>du</strong> inonde tel qu'il est, ordre et beauté constituéspar la proportion croissante de la série naturelledes nombres. C'est un point de vue esthétique et mathématique.Le point de vue dynamique <strong>du</strong> développementréel ne pourrait être attribué aux pythagoriciens qu'avecla doctrine d'une pro<strong>du</strong>ction <strong>du</strong> monde dans letemps : or nous avons vu plus haut qu'il était pour euxéternel. Le monde n'aspire pas à l'ordre et à l'harmonie; -il les possède; il est essentiellement l'ordre et l'harmoniemême, 6 Kôspoï. Mais alors s'il en est comme nous levenons d'exposer, si l'unité n'est que le germe imparfait,le noyau grossier, obscur, informe, d'où se développeidéalement la riche et croissante harmonie des choses,comment concilier cette thèse avec le rôle supérieur etsouverain de l'unité, et avec cette autre échelle qu'Aristoten'applique qu'aux degrés de la connaissance, maisqui repose sur un principe absolument contraire : car1 y représente la raison pure, 2 l'opinion, 3 h sensation1 ? Ici, on le voit, à mesure que les nombres s'éloignentde l'unité, ils représentent des choses qui diminuentde perfection et de beauté.Si l'Un premier n'est qu'un germe, que le principegrossier des choses, c'est donc l'imparfait qui est à l'origineidéale des choses, et comment concilier cette imperfectionde l'Un avec toutes les perfections qu'ailleurs1. Aristot., de Anim. I, e. Il, 59.


102 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEon lui donne? Paire un est l'œuvre de Jupiter le Dieusuprême, qui lie les parties dans le tout 3 . Les pythagoriciens,dit Alexandre d'Aphrodise, appellent l'Un raisonet essence, parce que la raison est une essence permanente,absolument identique et souveraine 3 . C'est aumoyen de l'unité d'angle que s'opère l'unification descorps*. La triade et la tétrade, participant aux biens générateurset pro<strong>du</strong>cteurs de la forme, enveloppent toutel'organisation régulière des choses engendrées : ellespro<strong>du</strong>isent (par la multiplication) la dodécade, laquelletend et aboutit à la monade une, la puissance souveraineet suprême de Jupiter*. De quelque côté que nous noustournions, nous nous heurtons à des contradictions quen'ont pas résolues les pythagoriciens, et dont peut-êtreils n'ont même pas eu conscience.Si nous faisons remarquer que l'unité accompagnechacun des nombres de la décade, 3, 10, aussi bien que1, il est difficile d'admettre que l'unité qui accompagne3 ou 10 soit l'unité qui constitue 1. Faut-il donc distinguerl'Un <strong>du</strong> nombre 1 ? Mais s'il y a deux unités, oul'une est dérivée, ou elles sont toutes deux primitives : sielles sont toutes deux primitives, elles sont deux, et l'Unn'est plus principe universel. De plus, laquelle de cesunités sera le germe,'laquelle le principe universel?Legerme ne sera-t-il plus principe? Si elles sont dérivées,1. Procl., in Euclid., p. 48. Boeckh, Phil., p. 157 : Katà pioevêvtixjiv TOO A:o; 6Xov auvéxovTo;.2. Scholl. Arist., p. 540.3. Procl., in Euclid., p. 46 : Katà pîav aùtùv ycavfav avvâyti TT,Vëvtoaiv 0 iXoXao;.4. Boeckh, PMI., p. 156 ; Et; |ii«v|iovàô'a, TT)V TOû Aie; Apx^v àva-TtlVttOH.


DES PYTHAGORICIENS. 103assurément c'est l'unité supérieure qui aura engendrél'inférieure*, tandis qu'Aristote nous fait entendre queles pythagoriciens mettaient à l'origine et posaientcomme principe unique, non l'acte riche de perfectionet d'être, mais la puissance pauvre et nue <strong>du</strong> germeimparfait, tô irpïtov tv àppoe-ôév.« Ceux qui pensent, dit Aristote, avec les pythagoricienset Speusippe, que le premier principe n'est pas lebeau et le bien parfait, parce que les principes des planteset des animaux sont des causes, et que le beau et leparfait n'appartiennent pas à ces causes, mais à ce quiprovient d'elles, ceux-là se trompent. Car la semenceprovient d'un être parfait qui lui est antérieur, et c'estcet être parfait qui est principe et non la semence*....Quelques théologiens ne regardent pas le bien commeprincipe* ; mais ils disent que c'est par une processionde la nature des êtres que se pro<strong>du</strong>it et se manifeste lebeau et le bien : iXkk irpotA8oûo7|C. TîJç TWV «ôVTWV exioeux; xoelTO àyaOèv xot\ TO xoXbv iu.!{>ai'vs


104 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEune force interne de développement progressif, la beautéet la perfection des êtres. Il est vrai que sur ce dernierpoint, M. Ravaisson, observant que cette phrase : AXÀiitpoeX6oûorj< TTJ< T(ùv èVroiv a>û«


DES PYTHAGORICIENS. 105premier essai de <strong>philosophie</strong> systématique qui se pro<strong>du</strong>iten Grèce, au sixième siècle, une idée si profonde etsi grande, nous ne pouvons plus leur attribuer, la propositionqui la contient nécessairement, à savoir quel'imparfait est premier'. Dans leur conception des chosesil n'y a pas lieu de poser la question : car ce qui estidéalement premier, c'est l'Un, à la fois pair et impair,parfaitet imparfait. Les dix premiers nombres représententdix degrés superposés, et toujours de plus en plusparfaits; mais chacun d'eux est un, existe de toute éternité,et de toute éternité existe avec la double nature enferméedans l'Un, c'est-à-dire à la fois parfaitet imparfait.Et même s'il était légitime, à l'aide de l'in<strong>du</strong>ction.deséparer ces deux éléments l'un de l'autre, on arriveraitcertainement à la conclusion que l'élément parfait impair<strong>du</strong> nombre est antérieur comme il est supérieur àl'autre. Il ne faut pas croire que 10 existe après 1, et quel'unité de la décade soit postérieure à celle de la triade,par exemple : car la décade représente la vie divine,l'être dans sa perfection absolue ou relative ; de quelquefaçon que l'aient conçue les pythagoriciens, certes ilsn'ont pas fait naître les hommes avant les dieux. Il n'y apas plusieurs unités, il n'y en a qu'une, qui coexistesimultanément dans chacun des 10 nombres, et danschacun des êtres dont ces nombres expriment les caractèresessentiels. L'unité qui fait l'unité <strong>du</strong> nombre 1,est celle qui fait l'unité <strong>du</strong> nombre 2, et par une excellenteraison, c'est que 2 contient 1 ; de même que le feu1. L'idée que ce qui est simple et non composé est antérieur réellement,et non idéalement (X«.T' inivoiav), qu'Alexandre prête aux pythagoriciens,lui appartient en propre. V. plus haut, p. 94.


106 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEcentral est en même temps périphérique, qu'il est ainsil'enveloppé et l'enveloppant, de même l'unité qui est enveloppéedans la triade, dans la décade, les enveloppeégalement 1 ; car 10 est non-seulement la somme de 10unités, mais l'unité de cette somme. Aussi Philolaùsnous dit-il que si nous voulons bien concevoir et la natureet la puissance <strong>du</strong> nombre, c'est-à-dire de l'Un,c'est dans la décade qu'il faut les étudier, car c'est làqu'éclatent surtout sa force supérieure et son essence divine.En un mot je me représente les 10 nombrescomme 10 degrés de l'être, disposés dans une échellesériée et croissante de l'un à l'autre *. Il y a donc des1. C'est cette pénétrahilité, qui prépare la voie de l'idée platonicienne,qui est à la fois en elle-même, dans chaque chose et danstoutes. Le mot .d'Aristote se vérifie à chaque pas de cette analyse :les principes pythagoriciens portent plus haut que lfe monde sensible,et contiennent un idéalisme que leurs auteurs ont- peut-être entrevu,pressenti, mais qu'ils n'ont pas formulé.2. Je me représenterais cette échelle, non pas en couohes horizontales,ni en colonnes perpendiculaires, mais disposées en un cercle,qui est pour les pythagoriciens la figure parfaite et la figure <strong>du</strong> monde,de telle sorte qu'il n'y ait pas, pour ainsi dire, de commencemententre les divers degrés. Or, on peut dire que-le cercle se confond avecson centre, qui n'est que le cercle ramassé et replié sur lui-même.Le centre est le cercle ré<strong>du</strong>it et en quelque sorte renversé; le cercle estle centre épanoui, dilaté; ils s'enferment et se contiennent l'un l'autre,l'un est l'autre mais dans une puissance opposée; chacun sert alternativementà l'autre, soit de premier principe et d'origine, soit de finet deconséquence dernière. Le centre se confond avec le cercle; puisquesans centre il n'y a pas de cercle ; sans cercle, pas de centre ; et puisqu'ily a coïncidence, il n'y a pas de premier. C'est ainsi que JordanoBruno a conçu son Minimum et son Maximum, et la nature de leursrapports. C'est toujours l'idée <strong>pythagoricienne</strong>, que l'être ne consisteque dans un rapport où coïncident, coexistent et se pénètrent lesdeux termes contraires, principes et éléments nécessaires de touteschoses. Aussi Bruno dit-il : • Minimum potentissimura est omnium;quippe quod omne momentum, numerum, magnitudinem, clauditatque virtutem (de Minimo, p. 16)..:. De mt'ni'm., 1. IV, sub fin. Le


DES PYTHAGORICIENS. 107degrés inférieurs et des degrés supérieurs de perfectionet de beauté. Mais comme l'unité de ces dix degrés, ladécade, constitue le monde et que le monde est éternel,cette disposition ordonnée et symétrique est éternelleaussi : et le premier n'est pas principe d'un mouvementqui n'existe pas 1 . Les sons distincts des dix sphères terrestrescomme des dix sphères célestes se confondentdans un seul et éternel accord, dans une seule et éternelleharmonie, et cette éternelle harmonie c'est lemonde.Dans la proposition <strong>pythagoricienne</strong> qui fait de l'Unpremier, d'une part, un germe, de l'autre la perfection,il n'y a donc pas autant de contradiction qu'on pourraitle croire : car l'unité passant et pénétrant dans tous lesnombres, c'est dans le nombre supérieur qu'elle manifestetoute sa beauté et sa perfection. Mais je suis loin deprétendre qu'il n'y a pas eu dans l'esprit de ces philosophesni confusion ni même contradiction''. Ainsi il est certainqu'Aiistote ne fait aucune distinction quand il ditque 1 est la raison ou l'âme, et un peu plus haut, qu'elleest l'être vivant en soi, et ailleurs le point et le germe*.Jftntmum est ce dont aucune partie n'est ce qu'est une première partie: < Est minimum cujus pars nulla est, prima quod pars est. Inminimo sunt maxima quaeque.... [ld., p. 109.) Hinc optimus Maximus,monadis nomme celebratur.... > {ld,, 10.) CF. Christ. Bartholmets,Jordano Bruno, 1.11, p. 207.1. Le principal défaut de la <strong>philosophie</strong> <strong>pythagoricienne</strong>, c'est delaisser sans véritable explication le mouvement, la vie. Hegel, Analysede Willm, t. IV, 10.2. Alex. Aphrod., t'n Met., XIII, 9, p. 756, 14, Bonitz. • Ils ne sontpas d'accord sur la manière d'intro<strong>du</strong>ire le principe de l'Unité. •3. De Anim., I, c. u : Noûv pev T6 fv.. . povayû; yàp lv' Ev....AOTO piv T6 Çcûov éx rij; TOû ivo; ioéa;. Scholl., p. 540, Alex. : Noùv 6èxaiojaixv é>eyov 70 ev. Asclep., p. 541 : 'EXeyov oùv TTJV povàîa Tô


108 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEQuoi qu'il en soit, admettons ici que le nombre1 représente le point, mais le point vivant, ayantgrandeur et vie, l'espace dans les trois dimensions,mais enfermées en un point indivisible 1 . Nous savonsque les nombres constituent les choses : Si lreprésente la raison pure 1 , parce que c'est l'opérationla plus parfaite de la pensée,—car l'intelligence seconfondant avec son objet, l'unité reste entière, (Aovay^ky4p Iç'fv ; — deux, représenté parla ligne', exprimera etconstituera la science', ou l'opinion', ou l'âme; parceque la science est un mouvement qui va d'une chose àune autre différente, <strong>du</strong> sujet à l'objet, parce que l'âmepart des prémisses pour arriver à la conclusion, et parcourtainsi une ligne entre ces deux points*. Les pythagoriciensavaient distribué dans leurs 10 nombres lesvoûv. ld., p. 541, le Cod. reg., 1. 29 : Noûv Si xal d/ux^v Stà T4 JIOVO-Sixov xal éviaîov r?)v uovaSa EXtYOv.1. De Anim., 1, c. n : 'Ex Trj; voû iv*C ISéa; xal TOû npûrov UTJXOV(xal nXdxou; xal BaSou;.2. Philolaûs la représente, au contraire, par le nombre T.3. Arist., Met., VII, H : Kai Ypauurj; T4V XôYOV TSV TûV SûO rivaiçaatv.4. Arist., de Anim., I, c. II, 59 : 'EmaTYiuYiv SI ta «uo.5. Alex., Seholl. Arist., p. 540. La Sé(a est 2 Six T4 en' àu.pw |ie-Ta6X^Tiiv rivât • iXsyov Si xal xivrjatv aOr^v xal in(6eatv. Elle ajoute,en effet, un attribut à un sujet; et elle est discursive. Cf. Philop., inlib. deAmm., p. 2. Brand., De perdit, lib. Arittot., p. 50 : • 2 constituela science et les choses susceptibles d'être connues par la science;car elle se tient dans un espace déterminé, qui va d'un point à unautre. La science, en effet, est un passage d'une chose déterminéesune chose déterminée : en effet, elle n'est pas indéterminée. C'estmême pour cela qu'elle est appelée en grec ïxioré>7), parce qu'ellenous pousse et nous con<strong>du</strong>it au repos, 1x1 orâcriv, que nous ne trouvonsque dans la pensée pure, s6. Asclep., Seholl. Arist., p. 541 : Tr)v Si îuàoa ÊXEYOV tîvat TT|V 4V-* Yi|v SWIOTJ ÎX" T * *6 fl ev IEOï.


DES PYTHAGORICIENS. 109dieux comme les êtres; et de même qu'ils appelaientApollon l'unité 1 , ils nommaient Artémis sa sœur* ladyade, peut-être à cause de l'analogie d'dpTwe 1 . D'aprèsPhilolaùs.ce nombre était celui de Rhéa, la terre, l'épousede Crouos, parce que la terre est le second corps célesteà partir <strong>du</strong> centre*. Plutarque enfin nous rapportequ'il était attribué à la dispute et à l'audace, ipiv xoùTôVïIV, évidemment parce qu'elles séparent et divisentles hommes*. Quoiqu'il règne déjà dans ces attributionsdiverses une liberté arbitraire évidente, voici qui metle comble à la confusion. 2 est tout ce que nous venonsde dire et, de plus, la matière, parce qu'il est type<strong>du</strong> pair, principe de l'infini et de l'illimité de la division,qui s'oppose à l'unité et fait effort pour la détruire*.Mais nous avons déjà eu occasion de dire qu'attribuer àon nombre quelconque l'imperfection absolue étaitcontraire à l'esprit de l'ancien pythagorisme, et que ladoctrine de la dyade indéfinie, qu'on ne trouve mêmepas dans Platon, doit appartenir à ses successeurs pytha- -gorisants*.1. Plut., de U., c. x.'2. Modérât, dans Stobée, I, 20. Cf. Fragm. de Modératus dans Meursius: de Denario Python/. La Théologie arithmétique donne de nombreuxdétails sur ce point. On retrouve dans Bruno jusqu'à cette mythologiedes nombres. Il appelle la ligne Apollon; le triangle, Mineive :le cercle, Vénus. Cf. Bartholmess, p. 214.3. Ly<strong>du</strong>s, de Mentib., IV, 44, p. 208, éd. Rôth.4. Plut., de U., c. LXXV.5. Aslep., Scholl. Aritt,, p. 541, a, 3 : Aie xai T^V SvdSat iXrrov.ld., p. 543, b, 18. Fragment mutilé, tiré de deux ouvrages d'Aristote :Aùiûv xspi «iXocoçtac (m. 1) xal iv toi; recoi Oùpàvou (m. 2) ol llufia-YOpttoi bXixrjv attiav triScvTO irjv ôuâSa xal ArcXû;TA àpriov.6. Et c'est sous l'influence des idées platoniciennes et néo-platoniciennesque s'est intro<strong>du</strong>ite cette interprétation trop idéalisée <strong>du</strong> vieuxpythagorisme. • Puisqu'il y a dans les êtres unité, ressemblance,


110 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUE3 est le nombre plan' ; et le nombre plan est la représentationet l'essence de la faculté de la conjecture',et l'essence des choses, objets de cette faculté, c'est-à-diredes choses physiques. C'est le premier nombre impair,le premier nombre parfait, car il est le premier qui aitcommencement, milieu, fin* : il est ainsi le nombre detoutes choses et <strong>du</strong> tout, puisque le tout et toutes chosessont limités par trois, ont trois dimensions' ; il est doncnombre solide. C'est évidemment le nombre <strong>du</strong> triangle; mais il est de plus le-nombre <strong>du</strong> cercle, figure parfaite,achevée, entière, qui a commencement, milieu etfin. Il est la forme informante', la justice*, le mariage 7 .Parmi les dieux, il désigne Minerve qui porte, on leforce informante, identité, et qu'il y a entre eux différence, dissemblance,et le reste, les pythagoriciens disaient que la monade était leprincipe de l'unité, de la ressemblance, de la force informante, del'identité, et en un mot de toutes ces propriétés qui contiennent et retiennentl'élre dans un tout organisé et un, nà


DES PYTHAGORICIENS.sait, le nom de TpiToyévsia 1 . Comme tous les corps sepeuvent résoudre en triangles élémentaires 1 , les pythagoriciensdisaient que le triangle est le principe de toutegénération et de la forme de toutes les choses engendrées.C'est pour cela que Platon, dans le Timée, soutientque les raisons de l'être physique et de la mise en œuvredes éléments sont triangulaires'. C'est donc avec raisonque Philolaùs a attribué l'angle <strong>du</strong> triangle à quatredieux : Cronos, Hadès, Ares, Bacchus, réunissant sousces quatre noms le quadruple arrangement des éléments.Car Cronos préside à toute nature humide etfroide ; Ares à toute nature ignée ; Hadès embrasse tousles êtres souterrains; Dionysos dirige la génération deschoses humides et chaudes dont le vin par sa chaleur etson état liquide est le symbole. Tous ces dieux sont distinctssi l'on considère leurs secondes opérations; ilsn'en sont pas moins unifiés les uns aux autres, {(vwv-catiXX^Xoiç, et c'est pour exprimer cette unité d'essence quePhilolaùs les confond dans un seul angle*.Philopon explique comment 3 répond à la conjecture,4) &>£a ; c'est que cette forme de la connaissance partd'un point, mais n'a pas de point précis où se porter;elle flotte indécise et incertaine entre cette affirmationet cette autre. Telles sont aussi les choses auxquelles elles'applique, c'est-à-dire les choses physiques, dont l'êtreest emporté par un flux perpétuel, iv fâtu ty


112 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEpendant persistent et demeurent dans leurs formes, etvont, dans les changements qu'elles éprouvent, d'un côtéau côté opposé, d'un contraire à l'autre contraire *.Si l'on résume ces attributions et si on les rapproche,on en verra l'arbitraire et l'inconséquence. 3 est tout àla fois le plan, le cercle, le solide ou corps, l'homme ensoi, l'être physique, la forme, la conjecture, la justice,le mariage et Minerve. Il n'est pas plus étonnant devoir le nombre <strong>du</strong> mariage attribué à la déesse vierge,que de voir le nombre 3 premier impair, supérieur aupremier pair 2, exprimer cependant une forme de laconnaissance, *) Sô?a, inférieure à la science, tWtvjtu).4, tout nombre pair qu'il est, est le nombre sacré : àlui s'arrête la progression des premiers nombres dontla somme fait la parfaite décade, et qui contiennent etconstituent l'essence de toutes les choses, à quelque degréde perfection qu'elles appartiennent. Dans son commentairesur le Traité de l'âme, Philopon cite des fragmentsimportants tirés des leçons d'Aristole sur le Bien:c Les idées sont des nombres, les nombres sont tousdécadiques, car les pythagoriciens appelaient chaqueidée une décade. En effet, les principes de ces idées (ounombres) sont : 1, 2, 3, 4, parce que ces nombres additionnésensemble donnent 10, -nombre parfait et qui areçu son nom, Sexâ;, de sa propriété de contenir tous lesnombres, sv/ân. Les principes soit de l'univers entier,soit des choses indivi<strong>du</strong>elles sont donc télradiques, parcequ'ils sont décadiques et réciproquement*. »1. Brand., De perd. lib. Ami., p. 50.2; Philop., dans Brand., De perd. lib. Arist., p. 49 : 'Ifftopeï o5,ixrf (Aristoteles) iv TOï; nspi T'ày>9oû trjv IlXcauvo; xai TàW DuSafO-


DES PYTHAGORICIENS. 113Dans les choses sensibles, je veux dire les êtresparticuliers et indivi<strong>du</strong>els, nous trouvons le nombre4.4 est d'abord le vivant en soi, afetfÇuKw. Aristote nousle dit lui-même : « Dans les Leçons sur la Philosophie, ondéfinit ranimai en soi par l'idée de l'Un, plus la premièrelongueur, largeur, profondeur et le reste à l'avenant',> c'est-à-dire par le nombre 4. C'est, par exemple,le nombre <strong>du</strong> cheval ou <strong>du</strong> blanc*.Comme le semblable est connu par le semblable ', etorne le vivant en soi comprend le vivant intelligible, levivant sensible, le vivant physique; l'&me qui connaîttons ces êtres doit être comme eux le nombre 4. Demême aussi la forme de'la connaissance qui leur correspond,c'est-à-dire la sensation,sera 4 ; comme l'intuitionpure est 1, la science discursive 2, l'opinion 3'. Il fautsans doute admettre ici quelques réserves : il y a correspondanceet analogie entre l'esprit et la nature : la sensationest une tétrade comme son objet ; cependant laconnaissance parfaite est aussi une tétrade, parce qu'elleenveloppe et embrasse toutes les formes de la connaissance,qui sont au nombre de 4.Dans les êtres physiques, le nombre 4 se trouve dansles espèces des animaux : les espèces qui vivent dans le' prit*» mpl tûv Svtuv xal T


114 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEciel, celles qui vivent dans l'air, celles qui vivent dans laterre, celles qui vivent dans l'eau.Dans les êtres sensibles, où l'unité est le point, 2 laligne, 3 la surface, 4 est le solide.Le point est indivisible ; le mouvement <strong>du</strong> point horsde lui-même, fvév, engendre la ligne, limitée par deuxpoints; 3est la surface, parce que le triangle est la premièrefigure, ou plutôt par cette raison :'de même quele mouvement <strong>du</strong> point en dehors de lui-même pro<strong>du</strong>itdans le sens de la longueur un autre point, si ce mêmepoint fait un autre mouvement en dehors de lui-mêmedans le sens de la largeur, il pro<strong>du</strong>ira un autre point,en sorte qu'il y aura 3 points, dont l'un est limite dela longueur, l'autre limite de là largeur, le troisièmecommun aux deux dimensions. Le point est ainsi pèredes figures comme l'unité est la mère des nombres.C'est ainsi que 4 est le solide, ou bien parce que lapyramide est la première des figures solides composéede 3 triangles, ou bien parce que le point mû en longueurengendre un autre point; mû en profondeur, unautre point, en sorte qu'il y aura 4 points. Donc 4 setrouve, ivuroxpfti, dans tous les êtres sensibles.Puisque l'âme connaît tous les êtres, elle doit être composéedes mêmes nombres ; elle contiendra donc, 1° laraison, qui est l'unité, et connaît par une intuition parfaitementsimple, ftitAîjimêoXÇj; 2» le raisonnement discursif,StavoGx; 3° l'opinion, qui hésite et balance, crée,pour ainsi dire, un chemina deux routes, et n'est jamaissûre si la négation est vraie ou si c'est l'affirmation; 4°enfin, la sensation, qui non-seulement est la quatrièmeforme de la connaissance, mais est 4 même, parce que la


DES PYTHAGORICIENS. 11*sensation est là connaissance qui à le plus d'analogueavec le corps, et que le corps est 4.Pour le dire en passant encore une fois, combienétranges sont ces applications et combien contradictoires1 4 est le nombre parfait, et le voilà qui est la définitionet l'essence de la plus humble et de la plus imparfaitedes formes de la pensée; 4 est l'âme toutentière, et en même temps une des parties : en sorteque la partie est égale au tout.Nous touchons vraiment déjà à l'identité des contraires,et à la coïncidence des termes opposés dansl'unité <strong>du</strong> rapport.Archytas voulait que l'âme fût un cercle ou unesphère, parce qu'elle est l'essence se mouvant ellemême1 . Sans lui envier cette propriété, Pythagore voulaitqu'elle fût un carré ou un tétragone : car c'est dans letétragone* que brille l'image de l'essence divine, quese manifeste l'ordre parfait.. En effet, la propriété d'être droit imite la puissanced'être inflexible, dxXttov, invariable, et celle d'être égal,imite la puissance d'être éternel. Car le mouvement estl'effet de l'inégalité, le repos de l'égalité. Donc il estnaturel que les causes qui ont pro<strong>du</strong>it l'être solide dansson ensemble invariable et complet, soient exprimées,comme au moyen d'une image, parle tétragone.L'angle <strong>du</strong> tétragone est l'angle de Rhéa, de Déméteret d'Hestia. La terre est un tétragone. C'est de ces troisdéesses génératrices des êtres vivants, Taîç ÇUOYôVOIî 8e*î«,que la terre reçoit sous forme d'écoulement ses forces1. Lyd., de Mensib., c. vin, p. 21.2. Philol., Boeckh, p. 155.


116 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEgénératrices, sa puissance de fécondité, YOV(|*OU< Suvifuic.Aussi donne-t-on quelquefois à la terre les nomsd'Hestia et de Démêler, et elle n'est pas sans participerà Rhéa; en elle sont toutes les causes engendrées.L'angle <strong>du</strong> tétragone, sous une forme obscure et symbolique,embrasse et exprime l'unité de ces pro<strong>du</strong>ctionsdivines '.Il ne faut pas oublier ici que Philolaûs, qui assignel'angle <strong>du</strong> triangle à 4 dieux, assigne l'angle <strong>du</strong> tétragoneà 3 déesses, <strong>mont</strong>rant par là cette pensée, qui seretrouve obscurément, mais partout indiquée, que lesnombres se pénètrent réciproquement et mutuellement,que toutes choses participent de toutes choses, les impairesdes paires, les paires des impaires '.Ainsi 3 et 4 participent aux causes génératrices deschoses' et pro<strong>du</strong>ctrices de leurs qualités : ces nombresembrassent toute l'organisation régulière des chosesengendrées. En effet, c'est de ces nombres 3X4 queprovient le pro<strong>du</strong>it 12, qui tend et aspire à la monadeunique, la puissance souveraine de Jupiter'.Là ne se borne pas la vertu de la sainte Tétrade : ily a quatre principes de l'être pensant : l'encéphale,la tête, siège de la raison ; le cœur siège de la vie ; lenombril siège de la faculté de pousser des racines etde germer; les parties sexuelles, siège de la facultéd'engendrer et de concevoir; mais il n'y a aussi quetrois genres ou règnes d'êtres ; l'homme dont le prin •cipe essentiel est dans l'encéphale, l'animal dont le prin-1. Philol., Boeckh, p. 156.2- Philol., Boeckh, p. 156.3. Philol., Boeckh, p. 156. J'aimerais mieux lire oltlwv qu'àfaOùv.4. Philol-, Boeckh, p. 157.


DES PYTHAGORICIENS. 117cipe est dans le cœur; le végétal dont le principe est lenombril : car l'organe sexuel est commun à toutes lestrois classes 1 .4 est le nombre de la justice, dont le caractère distineufest de rendre la pareille, tè ivrtirswovôde,, et l'égalitéabsolue. Or, 4 est précisément un nombre Weç ï


118 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEferme les raisons ou les lois rationnelles de la compositionde toutes choses 1 .Et comme il est la racine de l'être, Pythagore a pul'appeler, dans un lepbç \éyoc qu'on lui prête, « lenombre des nombres et Dieu. » En effet, le nombre parcourtune distance limitée, et la limite de cette distanceest 10; car au delà de 10 on est obligé de revenir àl'unité. Or toute In vertu de la décade est contenue dansla tétrade : elle en est la perfection ramenée à l'unitéhu>fUvi\ TtXeidTTjç. 4 est le moyen arithmétique entrel'unité et le nombre 7 ; car il dépasse le premier terme<strong>du</strong> même nombre dont il est dépassé par le dernier :4=1 + 3; et 4 = 7 — 3. Mais les propriétés de l'unité et de7 sont très-belles et très-bonnes; car l'unité principe desnombres les renferme tous en soi ; 7, nombre conçusans mère, est le nombre Vierge, puisqu'il n'engendreaucun des nombres contenus dans la décade et n'estengendré par aucun d'eux, tandis que 4 est le pro<strong>du</strong>it de2X2; 6 et 9 sont les pro<strong>du</strong>its, l'un de 3X2, l'autre de3 x 3 ; 10 lui-même est le pro<strong>du</strong>it de 2 x 5. Maintenant4 étant moyenne arithmétique entre 1 et 7, renfermenécessairement en lui les puissances des nombres qui engendrentet de ceux qui sont engendrés ; car, seul de tousles nombres contenus dans la décade, il est engendré parun nombre *, et engendre un autre nombre 8 (4 x 2).C'est le nombre <strong>du</strong> premier solide, des facultés del'intelligence, des éléments, des saisons, des âges del'homme, des formes de la société politique 2 . Tout dépend1. Sext. Emp., adv. Math., IV, 2, p. 332, et VII, 97 : Tev Xôyov trieàirâvTwv avaxâauaz.2. C'est <strong>du</strong> moins le sens que j'attache à


DES PYTHAGORICIENS. 119de ce nombre, tout y est attaché comme à son principeet à sa racine. C'est la cause et l'ouvrier de l'univers, leDieu intelligible auteur <strong>du</strong> Dieu sensible 1 . Sa connaissancea été révélée aux pythagoriciens par Pythagore,qui était lui-même un être intermédiaire entre les immortelset l'humanité, un homme revêtu de l'autoritéet de la sainteté divines, l'hiérophante de la tétrade 9 . »De même qu'ils appelaient 4, le corps, les pythagoriciensexprimaient par 5 le corps naturel '; car 5 donneaux choses la qualité et la couleur, la forme extérieureet visible 1 . Les corps physiques ont cinq éléments, le'feu, la terre, l'eau, l'air et la quinte essence, wfu.imiouata ou élher*. Les corps primitifs sont, eux aussi, desnombres et sont constitués par des figures géométriques ;le feu, qui affecte la forme d'une pyramide, est untétraèdre; l'eau un icosaèdre; la terre un cube; l'airun octaèdre ; l'éther, qui embrasse la sphère entière <strong>du</strong>monde et ainsi tous les autres éléments, est un dodécaèdre',nombre de Jupiter.Le nombre 5 dispute à 3 comme à 4 le privilège d'être1. C'est une notion ajoutée par interprétation i la doctrine par sonéloquent commentateur Hiéroclès, Alexandrin si idéal et si pieux, qu'onl'a cru quelquefois chrétien.2. Hierocl., éd. Mullach., p. 464.3. Scholl. Arùt., p. 541 a : Tô» Si Ttdcapa a.pt6uSv iXry/ov xi erûjiaixXûr,, vév Si ittvte xi pveixov aâVua.4. Philol., Boeckh, p. 157.5. Id., p. 160. Je lis : à TôC açafpar, xvxXàc... au lieu de AXxdt. Lacinquième essence ne serait donc pas, comme le croit Cicéron (Turc,1,2) une découverte d'Aristote. On la voit d'ailleurs vaguement, il estvrai, indiquée dans Platon (Tïm., 55 c), et confon<strong>du</strong>e avec l'Étberdans Épinom., 984 b.6. Theol. Arithm., p. 28, 30, 33. Asclepiad., Scholl. Arist., p. 541a, 5.


180 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEla justice, parce qu'il est le milieu de 10 et que 10 estle tout ; donc 5, qui divise le tout en 2 parties égales, 2txn,et qui rend a chaque partie ce qui lui appartient, faitvraiment l'office <strong>du</strong> juge*. Il est aussi le mariage, maisce n'est pas parce que le mariage réunit deux êtreségaux; bien au contraire, c'est parce que le mariageest le rapprochement, la cohabitation <strong>du</strong> mâle, qui estimpair, et de la femelle qui est pair; or 5 est la somme<strong>du</strong> premier pair 2 et <strong>du</strong> premier impair 3*. Enfin ilconstitue lu lumière*.Si 5 est le corps physique, 6 est le corps vivant. Si j'entendsce que cela veut dire, la matière ré<strong>du</strong>ite à 4 élémentsne constitue pas une réalité vraie et organisée :il faut une cinquième essence qui leur permette de s'aggrégeret de se former, de se lier et de s'unir, parcequ'elle a pour effet de contenir et d'envelopper, fj xuxXàc :et c'est alors seulement que la corps peut être visible 4 ,c'est-à-dire avoir une couleur. Maintenant à et corpsorganisé par 5 principes, 6 vient ajouter l'âme et la vieavec ses fonctions, Y^X***. La raison en est que 6 est lepremier nombre de la décade formé parla multiplicationde 2 par 3, c'est-à-dire <strong>du</strong> premier pair par le premierimpair*. La vie n'est qu'une combinaison des deux1. Scholl. Aritt., p. 541 : Ta uioov iyei voD «âvroc... xal StxsatTJe.tvvsûSev XcYCTat 6 StxaÇcov.2. Scholl. Arittot., p. 540 b, 14.3. Thcol. Arithm., 28.4. Il semblerait alors que 4 ne désigne qu'une matière presque informe,ce qui ne s'accorde guère aveu les vertus merveilleuses et divinesde la tétrade.5. Philol. Boeckh, p. 158. Scholl. Aritt., p. 541 a, 24 : Té li Si lu.-4A>y_ov.6. Scholl. Aritt., p. 541 a.


DES PYTHAGORICIENS. 121contraires. (Test probablement par la même raisonqu'il exprime, lui aussi, le mariage et Aphrodite'et encore la santé'. La santé, que nous venons devoir attribuer à 6, la lumière, qui est attribuéeà 5, la raison, dont le nombre était plus haut l'unitémême, d'après Arislote, sont encore exprimées par 7,qui de plus est Minerve et l'occasion favorable et propice,à-propos, 6 xaiprfc 1 . En effet, 7 est la somme de 3 etde 4, dont on vient de voir les merveilleuses propriétés,et en outre il forme avec 4 un moyen arithmétiqueentre les deux extrêmes de la décade : 1 : 4 : 7 : 10.Les effets de ce nombre répondent à la puissante vertude ceux qu'il réunit. Les êtres naturels accomplissentleurs développements réguliers et parfaits, les phasespropices de la génération et de l'achèvement de l'êtresont mesurées par des périodes de 7. Ainsi pour l'homme,il vient au monde après 7 mois de gestation ; et sa viese meut par périodes de 7 années. Pendant la première, auterme de laquelle il pousse ses dents, il n'est qu'unpetit enfant, tpyac, et irafâtov; dans la seconde il estun enfant, iwïç; dans la troisième, qui va jusqu'à 21 ans,il est un éphèbe, un adolescent, pttpôxiov, et labarbe lui pousse. Dans la quatrième, dont le termeest 28 ans, c'est un jeune homme ; dans la cinquième, c'estun homme, «N/p. A partir de ce moment, il décline, etles phases de cette décadence sont soumises encore à laloi <strong>du</strong> même nombre 7 '.1. Pylhagore, d'après Hodératus. Stob., Ed., I, 20.2. Theol. Arith., p. 38.3. Modéra tus dans Stob., I, 20. Seholl. Arist., I, 20. Scholl. Aritt.,p. 540 a, 27; 541 a, 10; b,31 ; ITieol. Arilhm., p. 42.4. Scholl. Aritt, p. 541 b. Cesdivisions sont d'Hippocrate ou ont étéadoptées par lui.


122 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUELe soleil, qui est la cause pro<strong>du</strong>ctrice de tous les fruitsdelà terre 1 , ne possède cette puissance que parce qu'ilest fondé sur le nombre 7.Il a la septième place dans l'ordre général <strong>du</strong> monde ;en effet, sa sphère vient après celle des 5 planètes et <strong>du</strong>ciel des fixes, que les Grecs appelaient dnAavrc. La lune,quand elle a 7 jours, est en conjonction quadrangulaireavec le soleil, et c'est pour cela que le 7* jour est critique'.Nous avons déjà dit pourquoi on lui donne lenom de Minerve* et de Vierge.8 constitue dans les êtres l'amour, l'amitié, la prudence,la réflexion '. C'est le premier nombre cubique,et, comme tel, il représente la terre, dont Pluton, aussiexprimé par ce nombre, soutient et ébranle les fondements*.Le grand serment et le monde étaient constituéspar la grande Tétractys, formée de 8 nombres; c'est-àdirepar l'addition de la somme des 4 premiers impairsà la somme des 4 premiers pairs, qui donne 36. Or cenombre 36 est celui de la somme des cubes de 1, de 2et de 3 S .La justice, que nous avons vue constituée par tant de1. Hippolyte, Réf. Hxr., VI, cite comme une opinion <strong>pythagoricienne</strong>cette pensée : . Comme Démiurge de tout oe qui naît, le soleilest le grand géomètre et le grand mathématicien, et il est placé aumilieu de l'univers comme l'âme dans le corps ; car le soleil est defeu comme l'âme; le corps est de la terre. >2. Scholl. Arist., p. 540 b. Il n'y aurait rien d'étonnant que ces superstitionsnumériques eussent été créées par les pythagoriciens à la foismédecins et mathématiciens. Elles n'ont pas encore disparu de la science.3. Philol. Boeckh, p. 158.4. Stob., I, 20, <strong>du</strong>ieiXioc, -roufioxoc.. Cf. Plut., de Is.,c. 10.5. Plut., de II., c. LZXV; de Gen. an., 30, 4.


DES PYTHAGORICIENS. * 123nombres déjà, l'est encore par 9, parce que c'est lepremier carré pro<strong>du</strong>it <strong>du</strong> premier impair 3 par luimême1 . Ritter, complétant par une in<strong>du</strong>ction fondée lefragment de Philolaùs, qui laisse 9 sans attribution,croit pouvoir lui donner celle de représenter la vie divineet supérieure des planètes, comme 8 représente lavie bumaine, 7 le règne animal et 6 le règne végétal*.C'est le dernier nombre de l'ordre des unités, c'est-àdirede6 indivi<strong>du</strong>alités; car 10 est le nombre parfait,jravTiAtia, et universel ; il enveloppe en lui l'essenceet la vraie puissance des nombres, comme le monde enveloppetoutes choses, tous les genres, toutes les espèces,tous les indivi<strong>du</strong>s, en un mot toutes les unitéspartielles*. C'est le nombre de l'univers et <strong>du</strong> monde.Il y a dix sphères dans le ciel et dix corps qui s'ymeuvent; nous n'en voyons que 9; mais comme la naturene peut être boiteuse et manquer dans son tout à laloi nécessaire de l'harmonie universelle, qui exige qu'ily en ait 10, il y en a certainement un dixième qui estinvisible, mais dont l'existence est d'ailleurs attestée parcertains phénomènes, tels que le retour alterné et régulier<strong>du</strong> jour et de la nuit, qui ne peuvent s'expliquerque par lui. C'est le nombre des couples conjugués,1. Les Scholl. d'Arist., p. 540 a, 26, donnent A npûto; oripeo;, leçonfautive sans doute, mais à laquelle Zeller, sans aucune explication,subslilue A npûro; TiT-pàYuivo;. Cf. Theol. Arithm., p. 57.2. Ritt., Hist. de la phil., 1.1, p. 356.3. Arist., Met., I, 5 : TeXeîov f, Acxàc.... xal itâcrav ntptciXripévaiTT|V TûV api6p.ûv tjûaiv. Scholl. Arist., p. 541 a, 43 : TAv Atxa Api<strong>du</strong>AvixaXouv TOV xAa|iov, txel ôxxrctp A Sixa àpifluAt ACXTIXA; ton ICOVTA;àpi6p.où, où xal A xôau.o; Stxtixoç sari itâvxuv TûV elSûv. Pbilop. t'nlib. Arist., De an., I, 2 c. : TeXsîoc vàp àpdiuA; A ît'xa, Tespiévei yàpitdvTa*apt6pAv tv éavTû.


*24 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEdes syzygies de contraires qui président à la générationdes choses 1 . C'est la limite de l'éten<strong>du</strong>e que peut parcourirle nombre 1 . II renferme en lui la nature detoute chose, le pair et l'impair, le mobile et l'immobile,le bien et le mal, comme l'ont prouvé Archytas et Ptailolaùsdans les traités qu'ils ont consacrés à ce sujet 1 .Si l'on veut connaître et les effets et l'essence <strong>du</strong>nombre, c'est dans la décade, qui les réalise tous, qu'ilfaut les étudier : elle est le principe, le guide excellent,parfait, tout-puissant de la vie divine, de la vie céleste,de la vie humaine. Elle se manifeste dans l'inlelligencequi veut se former une notion des choses, et y pro<strong>du</strong>itla foi, ri Ttûmc, c'est-à-dire une conviction inébranlableet une certitude absolue ; sans la décade tout reste dansl'infini, dans l'incertitude, dans l'obscurité '. On pourrait,par la même raison aussi, y voir la mémoire, parce quela décade est stable et immobile, et garde, sans leschanger, ni les perdre, ni les déplacer, les pensées quenous lui confions 1 .Gomme la tétrade, elle est en toutes les choses, etdans chacune, dans les intelligibles; dans les sensibles,dans les objets purement physiques. Ainsi, par ex., dansla pyramide on trouve 4 plans et 6 lignes; total, io*.1. Àrist., Met., 1,5; XII, 8; XIII, 8 : Et tuxpi «ixioo? 6 ioieuéc.Pkyt.,Ul, 6.2. Hiéroclès, in Carm. Aur., p. 166 : ToO 61 &pi6uov T6 mmpouruivovSiaornua *, ô«xâ;.3. Tbeon. Smyrn., Platon. Math., p. 49. P/ttloi. Boeckh, p. 146.4. Theoi. Arithm , p. 61. Philo!., Boeckh, p. 140.5. Phtl., Boeckh, p. 140 : 'Aç'uv xal nova; uvniiioavvn. wvo|iio8ri.6. Jord. Bruno repro<strong>du</strong>it ce tableau numérique <strong>du</strong> monde. L'Un estprincipe de tout, est tout. La dyade est le principe de l'opposition etde la pluralité. La triade ramène l'opposition à l'harmonie. La tétrade


DES PYTHAGORICIENS. 125Maintenant, qu'y a-t-il dans ces attributions si arbitraires,d'où l'on peut seulement retenir ceci, c'est que tout êtreest soumis à une loi mesurée par le nombre dans toutesles phases de son développement, qu'y a-t-il de vraimentpythagoricien t Faut-il n'y voir que des additions postérieures<strong>du</strong> néo-pythagorisme, ou devons-nous admettreque l'ancienne école avait au moins semé le germed'où est sortie toute cette symbolique de fantaisie? Jepenche pour cette dernière alternative, malgré l'opinioncontraire de Zeller, et il me semble qu'Aristote m'y autorise.«Les pythagoriciens, dit-il, ont les premiers essayéde donner sur quelques sujets des définitions fondéessur le genre, iftfrouv xaOrfXou 6p(!>


126 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEtelle autre, 3 par exemple, l'homme en soi ; telle autre, •le cheval ou le blanc 1 . Il est donc certain que le pylhagorismeanalysé par Aristote,comme celui de Philolaùs,avait poussé assez loin cette minutieuse et stérile applicationdes nombres aux choses.Nous avons dit plus haut comment nous entendionsla proposition <strong>pythagoricienne</strong> : tout est un nombre. Lenombre est un principe interne, ayant grandeur, etprincipe de tous les développements des êtres, qui tousont, comme lui, pour condition d'existence, l'éten<strong>du</strong>e etla limite. En terminant ce chapitre je veux mentionnerune autre interprétation <strong>du</strong>e à un pythagoricien, Eurytus.Aristote, dans la critique de la théorie des nombres, demandeaux pythagoriciens : < Comment les nombressont-ils causes de l'essence et de l'être? Est-ce en tantque limites, comme les points, limites des grandeurs,peuvent en être considérés comme les causes ? Alorsdoit-on entendre, comme le voulait Eurytus, qu'il faut unnombre de quelque chose, âpiOpts TIVOç; par ex.: ce nombreest le nombre de l'homme; cet autre, celui <strong>du</strong> cheval.Car de même que les uns ramènent les nombres à desfigures, comme le triangle et le carré, de même d'autresassimilent à des calculs,


DES PYTHAGORICIENS. 127<strong>du</strong> végétal; tel autre, celle <strong>du</strong> cheval ; tel autre, celle del'homme. Mais il ne se bornait pas à dire ainsi d'unefaçon générale que les nombres sont les définitions (oulimites, spov) des végétaux, des hommes et des bœufs.De même que le mathématicien, lorsqu'il dessine lenombre 9, qui est un carré, écrit d'abord 3 unités surune droite, ensuite 3 autres sur une autre, parallèle à lapremière, et achève par une opération semblable, safigure parallèle; de même opérait Eurytus, lorsqu'ildisait que les nombres sont les limites des choses. Supposonspar exemple que la limite ou définition del'homme soit 250 et celle <strong>du</strong> végétal 360*. Après avoirposé cela, le mathématicien prenait 250 petites pierres>frupîSac, les unes vert tendre, les autres noires, lesautres rouges, les autres de toutes les autres couleurs.Puis, en<strong>du</strong>isant la paroi <strong>du</strong> mur de chaux vive et dessinantau trait un homme et un végétal, il posait-cespierres, les unes dans le contour <strong>du</strong> visage, les autresdans celui des mains, les autres dans les autres parties dela figure. 11 arrivait ainsi à réaliser la figure de l'hommedessiné, au moyen de ces petites pierres, dont le nombreétait égal au nombrede monades qui, suivant lui, li—mitajletdéfinissait l'homme. Ainsi, après l'opération, Eurytusprétendait que, dé même que l'homme dessiné étaitformé de deux cent cinquante petites pierres, de même1. Eurytus sortait donc <strong>du</strong> principe que les dix premiers nombressuffisent a tout expliquer ; ou peut-être l'entendait-il ainsi : Les dix premiersnombres sulfisent à tout e. pliquer, parce qu'ils suffisent pourpro<strong>du</strong>ire la série des nombres quelconques nécessaires à l'explicationdes choses. Il est peu probable que les pythagoriciens l'aient enten<strong>du</strong>ainsi. Car on ne s'expliquerait plus <strong>du</strong> tout l'objection d'Aristote : • Lesnombres vont vous manquer si vous vous arrêtez à 10. »


128 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEl'homme réel est formé d'autant de monades*. » Le nombre,pour Eurytus, n'était donc que la forme quantitatived'une matière *, et cette matière était la monade.Mais d'où venait le nombre de cette monade, qui ellemêmeen tant que nombre doit renfermer la tétrade etla décade qui se pénètrent dans l'unité? Pour nous,nous pourrions admettre que chaque être est formé denombres ; mais ce n'est pas une somme qui constitue l'être: l'être est un rapport, et un rapport harmonique.L'essence, la raison, le principe, la nature de l'être,est d'être une harmonie; car l'harmonie ne fait qu'unseul nombre des nombres qui la constituent : l'harmonieelle-même est un nombre. L'être est donc unnombre de nombres, une harmonie d'harmonies*.S 5. L'HARMONIE.L'être n'est qu'un rapport, et quoi qu'en dise Aristote,on peut très-bien donner à ce rapport le nom de nombre*.Mais ce n'est pas toute espèce de rapport: c'est unrapport d'harmonie ; c'est une harmonie même.•1. Alex. Aphrod., Scholl. Aritt., p. 829.2. C'est à peu près ainsi que l'entendait Modératus (Stob., 1,1, p. 20) :« Le nombre est un système de monades, ou bien une expansion dela quantité commençant par la monade, et un retour de la quantité ala monade. C'est une quantité limitant les monades, nipaCvovoa u,ov4-Saç. > Les monades ne sont plus alors que des atomes matériels ; maisqu'est-ce qui leur a donné leur unité?3. Hierocl., Comment. inAur. Carm., p. 464, éd. Mullach: 'Api8u.èçàpi6(i


DES PYTHAGORICIENS. 129Les choses semblables, en effet, et de nature semblablepeuvent naturellement s'allier ensemble et sans antrecondition que la similitude de leur nature, qui déjàpourrait être appelée une harmonie. Mais puisque l'expériencenous apprend que toute chose est un mélangeformé de contraires*, et que les choses dissemblables etdenaturedisse mblable, qui n'ont pas une même essence,ne peuvent être unies que par un principe qui les rapproche,il faut que ce principe existe, puisque les chosesréelles font partie <strong>du</strong> monde, où règne l'harmonie, xécpv*L'harmonie est donc le principe nécessaire qui lieet concilie les principes contraires qui entrent dans laconstitution de tout être ; elle est l'unification des élémentsmultiples et mélangés qui le forment ; elle estl'accord des éléments en discorde, la loi absolue et nécessairede Tordre dans le monde physique comme dansle monde moral, dans les indivi<strong>du</strong>s comme dans letout*.Toute harmonie est une proportion: cette proportion,une telle quantité des éléments qui entrent dans le mélange ; mais cen'est pas là un nombre : c'est la raison d'être, 6 Xovor,, <strong>du</strong> mélangede nombres corporels. •1. Aristote constate cette opinion, qui fait de l'être un mélange, unmixte, utfwoc, Met., XIV, 5, et qu'on retrouve dans le Philibt.2. Seholl. in II., p. 95 a, 23 : 'H TûV SXuv TOEI«. Diog. L., VIII, 33 :KeuV apuoviav avveardvai Ta 8Xa. Id., 85 : Devra ivâvxTj xal appovi'iY(v(aéai.Nicom.,Arsinm., p.59.Pht'Jol.,Boeckh,p.61 : 'ApuovianoXuptriwvfvuetc xal ttffi «povcévruv a<strong>du</strong>opaorc.' Cf., Id.PAt'lol., p.62.Stob., I, p. 458. Arist., Jfet., I, 5 : Tov 5Xov oûpavov apuoviav. Strab.,II, 468 : Ka6' apuoviav TOV XOSUOV avviardvat pool. Athen., XIII, 632;Dvéavépac,... xal TJ|V TOû «dvroc. oûaiav Sià uovevxrjr, ditoeaivsoéataurxtipivriv. Theon. Smyrn., Arithm., I. 1, p. 15 : 'Evavttuv avvap-UOYTJV xal TûV TCOXXMV tvuarv xal TûV Sixoepovoûvruv cruuppovqa'iv...*Ev uouarxS., eaolv, ij ouévota TûV xpavudTtov (arl xal àpieroxcaTiaTOû navrée/ xal YàpaOtr, fv xéouw uiv àpuovia, Cv néXu 5» sùvouut, ivotxoïc, sa awppoaûvv).11—9


130 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEla plus parfaite de toutes, se meut dans l'éten<strong>du</strong>e del'octave, c'est-à-dire entre deux sons pro<strong>du</strong>its par descordes dont le rapport — soit de longueur soit de tension,— est comme 1: 2 ou comme 2 : 4.L'harmonie, dit Philolaùs, et tous les musiciens grecssont d'accord avec lui, est l'octave même, c'est-à-direune quarte, owUaé*: 1 , sur<strong>mont</strong>ée d'une quinte, 5t* wsVrsou «l'dWwv*. La quinte est plus forte que la quarte de9/8' ; car il y a de l'hypate, la corde la plus grave <strong>du</strong>tétrachorde inférieur, à la mèse, la corde la plus aiguëde ce même tétrachorde, une quarte, et de la mèse à lanète, la corde la plus aiguë <strong>du</strong> tétrachorde aigu, il y aune quinte. De même de la nète à la trite il y a unequarte, et de la trite à l'hypate une quinte. L'intervallequi sépare la mèse de la trite, ou le ton, est de 9/8; l'intervallede la quarte est de 4/3; celui de la quinte de 3/2 ;celui de l'octave est de 1/2*. L'harmonie ou l'octavecomprend donc cinq 9/8 ou cinq tons, et deux dièses;la quinte comprenait trois 9/8 ou trois tons et un dièse,la quarte deux tons et un dièse*.1. C'est l'ancien nom de la quarte : il lui venait de ce que c'est lepremier intervalle des sons consonnants. Nicom., p. 16.2. Ce second nom venait a la quinte de ce qu'elle est à l'aigu dela quarte.3. 'EaoySoov, c'est-à-dire 1 entier plus J.4. Les deux tétrachordes peuvent être joints, c'est-à-dire avoir unecorde commune, ou disjoints : cela ne change rien à la mesure desintervalles. L'invention de l'octochorde et de l'heptachordeétait attribuéeà Pythagore, comme aussi la détermination des rapports numériquesdes intervalles. Ces calculs sont exacts; mais comme nous mesuronsles intervalles d'après les nombres de vibrai ions des cordes, ilfaut renverser les rapports pour avoir ceux qu'avait obtenus Pythagore.Cf. Nicom., Barmon., p. 14. Iambl., F. P., c. xxvi. BryenniusBarman,, sec t., p. 365. Aristid. Quintil., de M\u., I, p. 17,5. Les dièses sont ici des demi-tons mineurs, exprimés par le rap-


DES PYTHAGORICIENS. 131Nous avons donc dans le système de l'octochorde lediagramme suivant :H5 •5:3< ^•et safeta .et »o *O £i l.Nète.1Paranête.) Trite.1\ Paramèse.r Alose*1 Lichanos./) Parhypate.1\ Hypate.8 : 9.8:9.243 : 256: demi-ton8 : 9.8 : 9.8 : 9.243 : 256: demi-tonDans le système de l'heptachorde la paramèse manquait:la trite en prenait la place, et la mèse <strong>du</strong> tétrachordedes graves, qui en était la corde la plus aiguë,servait alors en même temps de corde grave au tétrachordedes aiguës.Il résultait de là qu'entre la paranête et la trite il yavait un intervalle non divisé de 3 demi-tons *. Lorsport243 : 256 ; le sens primitif est division. Plus tard le nom deXtïupa fut donné à ce demi-ton; et celui de dièse fut assigné à l'intervalle<strong>du</strong> tiers de ton dans le genre chromatique, et <strong>du</strong> quart de tondans le genre enharmonique.1. Système de l'heptachorde.INète.s . Paranête.13 demi-tons.I 'Trite.j'Mèse.Lichanos.I Parhypate.k Hypate.


132 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEqu'une huitième corde fut ajoutée, on divisa cet intervalleen deux intervalles dont l'un fut d'un ton, et l'autred'un demi-ton. La corde qui suivit la paranète s'appelala trite, parce qu'elle était la troisième, et la cordesuivante s'appela la paramèse, ou voisine de la mèse.On voit donc comment, dans le fragment dePhiloIaùs quenous avons analysé', il peut dire que de la trite à lamèse, il y a un ton, c'est-è-dire 9/8.On peut faire la remarque suivante: si on prend pourvaleur de l'hypate 6, la nète sera 12, la mèse 8, et la paramèseou la trite sera 9. Or la proportion 6, 8, 12,constitue ce qu'on appelle la proportion harmonique enarithmétique*, c'est-à-dire une suite de nombres telleque le moyen surpasse chaque extrême et en est surpasséde la même fraction de chacun d'eux : en effet 8 = 6-H; et 12 = 8 + 1/. »En géométrie nous allons également retrouver cetteproportion et ces nombres. Le cube a 6 plans ou surfaces,8 angles, 12 lignes.Au lieu <strong>du</strong> rapport 9/8, Philolaûs d'après Boece*, multipliantles deux termes <strong>du</strong> rapport par 3, obtenait lesnombres 24 : 27*, et par là il semble avoir vouluvoulu constituer ainsi les rapports harmoniques: 1, 2,3, 4, 8, 9, 28. Il avait ainsi l'avantage de faire entrerdans l'harmonie le nombre 27, cube <strong>du</strong> premier impair,3, qui joue un rôle si honorable* et même si nécessaire.1. Philol, Boeckh, p. 66. >2. Iamblique {in tiicom., p. 141) dit que le nom d'harmonique a étédonné à cette proportion par Archytas et Hippasos.3. De Mus., m, 5. Boeckh, Philol., p. 76.4. Nous avons ditque les anciens, mesurant les tensions etles longueursau lieu de compter les vibrations, obtenaient des rapports renversés.6. Boéce, III, 6. Boeokh, 1.1. • Philolaûs vero Pythagoricus alio


DBS PYTHAGORICIENS. 133Car ce nombre 87, cubique, lui était indispensable pour<strong>mont</strong>rer que tout dans le monde s'explique par cesnombres de l'harmonie; or le cube, qui est le corps, devaity trouver nécessairement sa place ; en outre il formaitune grande tétractys* composée de deux proportionsgéométriques partant toutes deux de l'unité, dontl'une avait pour raison 2, l'autre pour raison 3, soit:1. 2. 4. 8.1. 3. 9. 27'*.Ces nombres, que Platon appliqua plus tard à la compositionde l'âme, dont il fit comme une harmonie defacultés, furent appliqués par les pythagoriciens au systèmeastronomique. Au point de vue psychologique, ilsse sont contentés de dire d'une façon très-générale quec'est l'harmonie entre l'âme et les choses, entre le nombrede l'âme et le nombre dans les choses, qui rend laconnaissance possible, parce que la connaissance va <strong>du</strong>modo tonum dividere tentavit, statuons scilicet primordium toniab eo numéro qui primus cubum a primo impari, quod maxime apudPythagoricos honorabile fuit, efflceret. •1. Différente évidemment de celle dont nous avons parlé plus haut,mais en tant que tétractys, jouissant des mêmes propriétés.2. Ce sont les mêmes nombres qui divisent barmoniquement l'ame<strong>du</strong> monde dans le Timée de Platon.Dans ces nombres, les rapports 1: 2; 2 :4 ; 4:8 représentent l'octave ;2 : 3,1a quinte; 3 : 4, la quarte; 8 :9, le ton. Hais, pour faire entrerdans cette série le nombre 27 et le rapport 9: 27, il faudrait admettre laconsonnance nommée Sut naoûv xai Stà iréws, c'est-à-dire la répliquede la quinte à l'octave supérieure ; or, cette consonnance, qui exige aumoins deux octaves, existait au temps de Platon, mais on n'a guère ledroit de l'attribuer i Philolaus. Si le nombre 27 s'intro<strong>du</strong>it dans l'octavesimple, comme un des termes <strong>du</strong> rapport qui exprime le ton 24 : 27,il faudrait alors faire aussi au nombre 24 une place qu'il ne peutavoir. Cette tétractys est donc une hypothèse peu justifiée deM. Boeckh.


134 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEsemblable au semblable. Par conséquent, si l'âme n'étaitpasnombreet harmonie, elle ne pourrait comprendre lenombre et l'harmonie, vraie essence des choses.Avant d'en <strong>mont</strong>rer les applications, nous dirons quelquesmots sur l'origine de ces calculs. Us appartiennentcertainement à l'école de Pythagore, comme toute l'antiquitél'atteste ', et le fragment de Philolaus prouvequ'ils sont <strong>du</strong>s aux anciens pythagoriciens. D'après Nicomaque,Iamblique, Gaudentius, Macrobe, Boëce, Censorinus1 , Pythagore avait par hasard remarqué dans uneforge que les sons des marteaux pro<strong>du</strong>isaient des accordsde quarte, de quinte et d'octave. Il eut l'idée de peserles marteaux et trouva que les rapports des poids desdifférents marteaux étaient précisément les rapportsnumériques que nous avons repro<strong>du</strong>its. Il répéta l'expérience,cette fois avec des cordes de diamètreégal et d'égale longueur, mais ten<strong>du</strong>es par des poidsdifférents, et il trouva encore les mêmes rapports dansles poids ou dans les tensions. Montucla a fait remarquerque ce théorème est faux, et que les rapports réels dessons ne sont pas ceux des tensions des cordes ou despoids des marteaux, mais ceux des racines carrées desforces de tension. Ce n'est donc pas une expérience, <strong>du</strong>moins ce n'est pas l'expérience qu'on vient de décrire,qui a pu con<strong>du</strong>ire Pythagore à ces erreurs. Gaudentius,il est vrai, la rapporte autrement. Les cordes, dont se seraitservi Pythagore pour son expérience, auraient étésoumises à des tensions égales, mais les longueurs1. Plut., de Gen. ontm., 10; de Mut., 22.2. Cf. Boeclth, de Metr. Pindar. Martin., Et. sur le Tîme'e, 1.1,p. 38 .


DES PYTHAGORICIENS. 135auraient été différentes, et ce sont les rapports des longueursdes cordes qui mesurèrent les rapports des sons.Mais cette proposition n'est vraie et conforme aux faitsque si on renverse les rapports donnés par les longueursdes cordes vibrantes : or on ignore si Pythagore etmême Platon ont su qu'il était nécessaire, pour exprimeren nombres les notes de l'octave, de faire ce renversement."La musique <strong>pythagoricienne</strong> était surtout une arithmétique: elle imposait des lois aux instruments et auxvoix, et rejetait comme indigne d'elle d'en recevoir del'expérience. La simplicitédes rapports numériques, telsque la fait découvrir l'étude des propriétés des nombres,voilà ce qui devait constituer la vraie harmonie. Tandisqu'Aristoxène et l'école des Organiciens faisaient appelà la sensation pour fonder la science et l'art de la musique,l'école des Harmoniciens ne consentait à prendreles faits que comme point de départ, et soutenait quela raison, une fois excitée, devait être seule maltresse defixer les principes rationnels de cet art, d'après les loisgénérales de l'ordre et des mathématiques, sans s'inquiéterde la sensation 1 ."» Pythagore mourant fit entendreà ses disciples, en leur donnant le conseil de toucher le1. Porphyr., t'n P(oIem.,p. 208. nuSayépac. xal ot SiaSstausvoi TTW|ièv aUrtvieiv à>ç Wtiyov toû AôYOU iv àpy*) xapaXajiAaviiv.... tôv Si X6-yov ix toOxuv 4p(iT)6ivTo xa8' iauriv «payiiaifûtaSai, aitoatâvra TYJCalaérjotoK. Plut, de *ftu.,c. 37 : • Pythagore avait rejeté le jugementde l'oreille en ce qui concerne la musique; ce n'est pas, suivant lui,à la sensation d'un oigane, mais à l'esprit, que se révèle la vertu decet art Par conséquent, ce n'élait pas par les impressions de l'ouïequ'il en jugeait, mais seulement par l'harmonie proportionnelle desintervalles, qui n'est comprise que par la raison : va) yàp XirxrvYv TT,VTourne àprrrjv loaoxsv ttvai. >


136 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEmonochorde, que la perfection de la musique s'acquéraitbien plutôt intelligiblement par les nombres quesensiblement par l'ouïe'. »Faut-il donc admettre que ces rapports, exacts pourla plupart, <strong>du</strong> moins en ce qui concerne les sons fondamentauxde la gamme*, n'ont été découverts que par lavoie <strong>du</strong> calcul abstrait, et que la théorie musicale, <strong>du</strong>moins, n'était qu'un pur jeu de mathématiciens, unesolution de problèmes exclusivement arithmétiques telsque celui-ci : « étant donné le chiffre d'un intervalleconsonnant, le décomposer en un nombre déterminé defacteurs fractionnaires à termes entiers? » S'il enétait ainsi, ce serait un argument bien puissant enfaveur de la méthode à priori des pythagoriciens,puisque, guidés par cette règle unique, que les sons de kmusique doivent présenter dans leurs rapports ces nombressimples qui sont comme les formules de l'ordre. mathématique, ils sont arrivés à une théorie que l'expériencea corrigée dans ses détails, mais en l'acceptantdans son fondement.Quelle est donc la valeur de cette théorie musicale?1. Aristid. Quint., de Ifvs. Meib., p. 116, 1. 7. Aie xal nuterrôpavçaoi.... â< TVW àxpàrqTa rèv iv uovoTXf vor/rôt, pâXXev «Y Apt6|uëv JjataSnTàc îi'àxoTJ; àvalnirriov.2. Sam doute leur gamme était fausse; ils n'avaient reconnu ni leton mineur 10/9, ni le demi-ton majeur 16/15; par suite, nos deuxtierces et nos deux sixtes leur manquaient. Hais la gamme est-ellevraiment donnée par la naturel N'est-elle pas un air, une mélodie,que les siècles et les peuples perfectionnent successivement, et quenos instruments à tempérament modifient encore de nos jours f Lecalcul rationnel n'a-t-il pas pu agir sur la sensation elle-même etl'habituer peu A peu à goûter des intervalles auxquels l'oreille avait purester longtemps insensible?


DES PYTHAGORICIENS. 137Les musiciens modernes la raillent beaucoup, et Grétry,faisant allusion surtout aux genres chromatique etenharmonique qui employaient des intervalles de tiers etde quarts de tons ' que repousse notre oreille, et qu'elle admettaitmême difficilement chez les anciens 1 , Grétry ditqu'elle devait ressembler beaucoup au miaulement deschats. Je crois qu'en effet la musique ancienne différaitbeaucoup de la nôtre; mais on la juge mal par cette comparaison.La musique n'a jamais été chez les ancienscomplètement séparée de la poésie, c'est-à-dire de laparole et delà pensée ; sa valeur dépendait moins de seseffets propres, que <strong>du</strong> relief qu'elle donnait à l'expressionorale des sentiments et des idées. Ce n'était guère qu'unedéclamation musicale et chantante, mais qui laissait toujoursà la pensée et à la poésie le premier rang et la premièreplace *. L'absence <strong>du</strong> ton majeur, <strong>du</strong> ton mineur,le manque de tonalité précise et peut-être de mesuresévère, n'avaient donc pas pour les anciens les inconvénientsqu'ils auraient pour nous. Quant au principepythagoricien, exagéré sans doute, n'est-il pas cependanten grande partie parfaitement exact? Non-seulementdans la composition de ses mélodies et de sesharmonies, mais même dans la composition de sa1. Rameau avait cependant écrit dans le genre enharmonique untrio de Parques. Hais il ne put trouver à Paris trois chanteuses quipussent entonner juste le quart de ton. Acad. d. Jnser., t. XXXV,Mém. de Chabanon.2. Plutarque, de Mus., 38, et Aristide Quimll., de Mus., I, 19, constatentcette résistance des musiciens exécutants contre la tyrannied'une théorie tout abstraite. Aristox., ffarmon , p. 19.3. Arislid. Quintil., de Mus., p. 76 : «Celui qui étudie la musiquedoit surtout s'attacher à ces quatre choses : une pensée convenable,la diction, l'harmonie et le rhythme. La pensée est de beaucoup la plusimportante. > >


138 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEgamme, l'art musical, comme tous les arts, renferme unélément rationnel et intelligible. Aucun art ne s'adresseexclusivement à la sensation ; le plaisir délicieux qu'ilsnous causent, cette joie douce et sereine, qui allègel'âme 1 , n'est pas uniquement l'effet d'une impressionmatérielle sur notre organisme physique.Ces sensations elles-mêmes, ces ébranlements <strong>du</strong> systèmenerveux, particuliers à la musique, ne sont passans quelque élément rationnel. Chose curieuse, nosnerfs, et particulièrement ceux de l'organe auditif, répètentet repro<strong>du</strong>isent les vibrations des corps sonores; etles vibrations des corps sonores ne sont musicales,ne sont harmonieuses, qu'à certaines conditions quise ramènent à des lois numériques*. Les .notes fondamentalesde notre musique forment entre elles la progressionsuivante :1 î f 8ou v î î îc'est-à-dire constituent des rapports, c'est-à-dire des nombressimples, clairs, faciles. Le son musical lui-même estconstitué par l'isochronisme prolongé des vibrations,c'est-à-dire par l'égalité de <strong>du</strong>rée dechacune des vibrationspendant un espace de temps long relativement à la <strong>du</strong>rée1. Xapàv &eXa6ri.... xoupIÇioflar pt9' *oovï);. Arlst., Polit., VIII, 7.2. Ans t., PoIt'L, VIII, S : "Eo-ri SI Anoiiijiara iv TOI; puOpotc xai soir,uiXso-iv. Plat., Tînt-, p. 80 : "Oooi 9607701.... ton piv owâppooToi 91-poiuvoi 81' àvo|i,oi6rr;Ta TTJ; iv Aplv On' OùTûV XIVT)


DES PYTHAGORICIENS. 139<strong>du</strong> son. Cette égalité, c'est encore une proportion et unnombre. N'a-t-on donc pas raison de dire avec lespythagoriciens, que la musique ne dépend pas de lasensation en soi, et en tant que sensation; qu'elle renfermeun élément intelligible qui domine l'élémentphysique; qu'elle peut être considérée comme unemathématique enten<strong>du</strong>e, sensible, comme une combinaisonet un développement de rapports numériques,et, pour ainsi dire, une discussion et une résolutiond'équations mélodieuses? Oui,Pythagore a raison: l'essencede la musique, et le principe de sa beauté estdans le nombre. Pulckra numéro placent. Ratio sentit nihilaliud sibi placere quam numéros, dit saint Augustin 1 , ademi pythagoricien, il, est vrai. Ces nombres, ces rapportsdoivent être enten<strong>du</strong>s ; mais ils n'en sont pasmoins intelligibles. L'oreille n'est ici qu'un intermédiaire; la raison est le souverain juge, et la musique estun art intellectuel^C'est par cecaractère qu'elle s'élève àla sérénité comme à la dignité, qui est la marque del'art véritable, et qu'elle purifie, sanctifie le plaisir qu'ellenous donne.C'est surtout parce principe idéaliste que les théoriesmusicales des pythagoriciens ont une vraie valeur philosophique.Platon n'est pas le premier qui ait fait de labeauté une idée. Avant lui ils en avaient fait une applicationdirecte à l'astronomie, à la médecine, à la morale. Lamusique n'a pas pour objet uniquement de régler lesrapports des sons : elle régit et ordonne tout ce que la1. De Ordin.2. Bouillaud. Theon Smyrn., p. 106. Aristox., Barman., 1,2. Procl.,tn Tïm., p. 196, 14.


140 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEnature enferme dans son sein*. La <strong>philosophie</strong>, c'est lagrande musique 1 . L'astronomie et la musique sont deuxsœurs*. La musique n'est que l'image de l'harmonie céleste.S 6. L'HARMONIE CELESTE.Nous avons déjà vu que de l'Un central se développe, àl'extrémité <strong>du</strong> monde, une sphère enveloppant le monde,qui par suite est lui-même sphérique. Tous deux, et lecentre et l'Olympe, c'est le nom de cette sphère supérieure,appartiennent à l'élément fini *. Mais le vide enentrant <strong>du</strong> sein de l'infini dans le inonde, qui l'aspireen vertu de sa puissance vitale, y déploie l'éten<strong>du</strong>e, etla divise en êtres indivi<strong>du</strong>els. Ces êtres placés entre lesdeux extrémités <strong>du</strong> monde, sont d'abord les astres, corpsdivins, se mouvant de l'ouest à l'est, et accomplissantleurs danses célestes et leurs chœurs harmonieux autour<strong>du</strong> noyau igné qui sert de centre à ce mouvementuniversel.Tout l'espace intermédiaire est divisé en deux régions.Immédiatement au-dessous de l'Olympe, qui est la sphèredes Fixes*, est la région supralunaire appelée le Cosmos,qui contient, en ordre, le soleil, la lune, les cinq p'anètes,Vénus, l'Étoile <strong>du</strong> soir et en même temps l'Étoile1. Un pythagoricien inconnu, cité par Arist. Quint., 1, p. 3: nâvé'63. Plat., Rep., VII, 630(1.4. Arist., de Cal., II, 13 : Té 6'iaxorrov xal T4 uisov «ripât.5. Que les anciens appelaient àTcXavîjc.


DES PYTHAGORICIENS. 141<strong>du</strong> matin ou Lucifer 1 , placés, d'après les anciens pythagoriciens,entre le Soleil et Mars 1 ; ensuite Mars, Jupiteret Saturne. Au-dessous <strong>du</strong> Cosmos, se trouve le Ciel, Ouranos,sphère de tous les êtres soumis au changement.En considérant comme compris dans cette énumérationle ciel des fixes, qui participerait ainsi au mouvement*,en y ajoutant la terre, on n'a qu'un total de neuf sphères etmobiles.Les pythagoriciens, obéissant à ce principe supérieurd'un ordre parfait que la décade seuleréalise, complétèrenthardiment le système par l'addition d'un dixièmeastre, l'Antichtbone, placée plus bas encore que la terre.Ainsi, la terre n'est pas, comme les anciens philosophesse l'étaient représentée, le centre immobile <strong>du</strong> monde *.La terre n'est qu'un des astres <strong>du</strong> monde, h tûv iVrpwv.Elle est comme eux une sphère, se mouvant circulairementcomme eux* autour <strong>du</strong> centre unique <strong>du</strong> mouvement.Dans ce mouvement de translation, que Montuclacroyait, par erreur, le mouvement de rotation autourd'un axe, la terre présente toujours au feu central et àl'Antichlbone le même côté ; c'est pour quoi nous quihabitons le côté opposé nous ne pouvons jamais voir nil'un ni l'autre*, et nous ne recevons pas directement la1. L'Identité avait été reconnue par Pythagore. Diog. L , VIII, 14,et IX, 23. Plia., B.N., 1. II, 8.2. D'après Eudéme,Simpliciustn Âritt., de Cal., 115 b. Plin., 11,8,et Censorin, de Die nat., c. 13, les placent entre le soleil et la terre;mais c'est un point de vue astronomique postérieur à Pythagore.3. Ce serait comme un pressentiment de la précession des équinoxes.4. Arist., de Cal., II, 13 : Tûv HXEIO-TUV iitl TOû péeou xstaOcu Xs-YÔVTOV..., svBvtioK ol mpl TraXtav. Cf. Plut., flae.Phxl, III, 7.5. Plut., Plae. Pkil., III, 7 : HXpotorpôiaac*XUu xai otXé.va.6. Arist., de Coll., II, 13. Simplic, f. 124. Seholl., 605 a. 'H SI &v-


142 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEchaleur'et la lumière <strong>du</strong> feu central, qui ne nous arriventque par la réflexion et la réfraction <strong>du</strong> soleil, corpsvitrescent qui nous les renvoie, comme ferait un miroir,mais après les avoir, pour ainsi dire, filtrées '.Lorsque la terre se trouve <strong>du</strong> même côté'<strong>du</strong> feu centralque le soleil, nous avons le jour; lorsque la terreest d'un côté de ce feu et le soleil de l'autre, nous avonsla nuit. C'est .donc le mouvement de la terre qui, changeantla situation par rapport au soleil, fait le jour et lanuit*.Il est évident que nous devons voir ici le premiergerme de la théorie cosmologique de Copernic et de Kepler;il suffira de transformer l'Antichthone en un hémisphèreterrestre et d'ajouter au mouvement detranslation de la terre un mouvement de rotation surson axe, pour arriver à la vraie loi <strong>du</strong> phénomène.Copernicreconnaît lui-même que c'est aux anciens qu'ildoit d'avoir porté sur cette solution <strong>du</strong> problème toutesses méditations. Il dit, en effet, dans une lettre au papePaul III : « Reperi apud Ciceronetn primum Nicetam(legeHicetam*) scripsisse terram moveri.... Inde igiturTIXOùV xwovuiV»| icspt T4 uéoov xal faouivr) ifj f$ °*X épàreai6e-' avtauYttav SuiBoima Si itpér, *pàr, TA TS t/


DES PYTHAGORICIENS. 143occasionem nactus, cœpi et ego de terrœ mobilitate cogitare*.» Cet Hicétas, dont on ignore l'époque, maisdont on peut sans invraisemblance croire qu'il était pythagoricien,puisqu'il était de Syracuse, cet Hicétasest le premier qui ait parlé d'un mouvement de la terreautour de son axe. Gicéron, comme le rappelle Copernic,dit en effet : « Hicétas Syracusius, ut ait Theophrastus,cœlum, solem, lunam, stellas, supera deniqueomnia stare censet, neque prœter terram rem ullam inmundo moveri, que quum circum axem se summa celeritateconvertat et torqueat, eadem effici omnia, quasistante terra cœlum moveatur. Atque hoc etiam Platonemin Timœo dicere quidam arbitrantur sed paulloobscurius 1 . »Si Philolaùs a laissé échapper cette observation, <strong>du</strong>moins il avait reconnu l'inclinaison <strong>du</strong> plan de la révolutionde la terre, sur celui de la révolution <strong>du</strong> soleil,quoique QEnopidès de Chio se soit approprié celte découverte*.Cette inclinaison avait l'avantage d'expliquer ladiversité et la succession régulière des saisons de l'année,la communication <strong>du</strong> feu central au soleil, quisans cela eût été interceptée, enfin, parla rencontre aux1. Copern., Revolutt. ccelest. Prssf. Gassendi, Tita Copern., p. 297.2. Aead., IV, 32. Hicétas, en transformant le mouvement de translationen mouvement de rotation, comme Héraclide <strong>du</strong> Pont, disciplede Platon, et le pythagoricien Ecphantus, ne résolvait pas le problème.C'est Aristarque de Samos qui affirma les deux mouvements, et futaccusé d'impiété pour avoir osé déplacer Vesta, le sanctuaire et lespénates <strong>du</strong> monde. Plut, De fae. in orb. lun.; Queest. Plut., VII; Plaeit.Phil., 11,24.3. Plut., Plac. Phil., III, 13 : .... KvxXqt icipiçipieflai.... xarà xuxXov,Xôtou. id., II, 12. H faut dire qu'on lattriboait aussi a Anaximandre.Plin., Altrt. /foi., 11,8.


144 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PH1L0S0PHTC-UEpoints de section des deux plans, les éclipses de soleil etde lune. U y a éclipse de soleil quand la lune se placeentre la terre et le soleil, ou bien quand la lune ou laterre se placent entre le soleil et le feu central. Leséclipses de lune proviennent de l'interposition tantôt dela terre, tantôt de l'Antichthone*.Le soleil et la lune sont des corps sphériques* et vitrescents». Le soleil reçoit sa lumière <strong>du</strong> feu central, etla lune reçoit la sienne <strong>du</strong> soleil*. C'est donc <strong>du</strong> soleilque vient immédiatement ce rayon de'chaleur et de lumièrequi, traversant les couches épaisses, sombres etfroides de l'air, pénètre les immenses profondeurs del'espace, et répand partout la vie*..Tous les astres doivent être considérés comme uneterre enveloppée d'une couche d'air*. La lune surtout,est une espèce de terre, dont la surface est habitée pardes animaux et des végétaux plus grands'et plus beauxque les nôtres*. Ils sont quinze fois plus forts et n'évacuentjamais. Le jour y est aussi plus long et dans la mêmeproportion*. L'aspect qu'elle présente vient de la réfractionde la mer passant à travers le cercle de feu.1. Boeckh, de Plat. System., p. un. Arist., de Cal., 11,13 : AuV, Tnvixiepoothieiv rîje TÔc. Stob., I, 558. Plut., Placit. Phil., Il, 29 4.2. Stob.,I, 526 : UiiBayôpaç.... o-faipotiir) tov rjXtov.3. TaXoeiSri. Stob., I, 530. Id., I, 552. Plut., Plae., II, 25 : KOTO-«rpoetSlr, râpa TîJç râ^n;. C'est donc une erreur d'Eusèbe, Presp. Ev.,XV, 23, de lui donner la forme d'un disque.4. Diog. L., VIII, 27 : aïXrjvnv Xapittoflat ùç'nXtov. '5. Diog. L., VIII, 27 : Aujxeiv se 4x6 roû 5,X(ov axtiva, Tedtnv 6èàxfïva xai etç sa BEVBII SOeaOai xal îio TOVTO (wmcoieîv ndvxa.6. Stob., I, 514 : 01 nuOotYÔpeioi Ixaatov TûV darpuv xôapov Onâp-Xti» T*i v *X OVT01 Oips.se.


DES PYTHAGORICIENS. 145La révolution <strong>du</strong> soleil autour <strong>du</strong> feu central constituel'année naturelle de 364 jours et 1/2 jour. La révolution'inaperçue<strong>du</strong> ciel des fixes constitue la grandeannée de 10000 ans, qui ne peut être attribuée àPythagoreque par des in<strong>du</strong>ctions un peu hasardées*. Mais <strong>du</strong>moins le mouvement <strong>du</strong> ciel des fixes, quoique contestépar Grappe 1 est dé<strong>mont</strong>ré parle passage de Stobée, qui,énumérant les dix corps divins qui dansent, x°P"* lv > au ~tour <strong>du</strong> feu central, nomme en premier lieu Oùpavôç, quine peut être ici que le ciel des fixes*. Ge même mouvementétait admis parAlcméon,le contemporain de Pythagoreet peut-être son disciple, et dont les doctrines avaienttant d'analogie avec la sienne *.Quoi qu'il en soit de cette grande année, Philolaûs etpeut-être même Pythagoreavaient déjà calculé le grandcycle de 59 ans et 21 mois, afin de corriger les erreursdans le calcul de l'année terrestre.Le mouvement de l'univers entraîne-t-il même le feucentral? J'en doute, quant à moi. Le nCp \Uam n'est pasnommé par Arislote dans la citation d'Alcméon ; le fragquinzejours terrestres, c'est-à-dire trente jours en y comprenant lanuit. Il se fonde sur ce que le jour de 24 heures est la mesure dont sesert Philolaûs. Ce jour est la <strong>du</strong>rée de la révolution de la terre autour<strong>du</strong> feu central. Le jour lunaire est la révolution de la lune autour dece même astre. Or, comme la révolution de la lune est de 29 jours etdemi, ou 30 jours en nombres ronds, d'après Philolaûs, le jour lunairesera trente fois plus grand que le jour terrestre. Pour comprendre lechiffre 1B, il faut donc admettre que Philolaûs a comparé la clarté <strong>du</strong>jour lunaire à des jours terrestres de 24 heures.1. Zeller, 1.1, p. 311.2. Fragm. d. Ârehyt., p. 70.3. Stob., 1,488.4. Arist., de Anim., I, 2 : Kivtiofiai vis uàvta xoî ta 0itao-uv«YÛ;4*1.... M! TOV oipaviv oXot.H - 10


146 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEment de Sfobée' commence en disant : « Autour de eefeu se meuvent en chœur les 10 corps divins. » Or, ces10 corps sont : 1. le ciel des fixes, les 5 planètes; 7. lesoleil; 8. la lune; 9. la terre; 10. l'Anlichthone. II estbien clair qu'à moins de lui supposer un mouvement derotation sur son axe, le feu central, qui porterait à onzele nombre des corps mobiles, ne saurait se mouvoir autourde lui-même. Il est le principe immobile <strong>du</strong> mouvement:« Il garde au centre le poste immuable confié à Hestia 1 .»On le comprend d'ailleurs, non-seulement en se plaçantau point de vue des superstitions religieuses des Grecs,que les pythagoriciens — on le voit aux noms qu'ils ontdonnés à Hestia— ont respectées, mais encore dans l'espritmême de leur doctrine philosophique. On se rappelle,en effet, que le mouvement, dans la table des contraires,fait partie de la série inférieure. Mais on n'a pas le droitde dire que le mouvement est l'imperfection absolue, et. de le ramener à l'infini pur', et cela par plusieurs raisons.D'abord l'être est un mélange <strong>du</strong> parfait et de l'imparfait,et par conséquent l'unité <strong>du</strong> repos et <strong>du</strong> mouvement.Les astres se meuvent; or, les astres sont desdieux, et Alcméon voit dans le mouvement circulaire lapreuve de leur immortalité divine, et comme la marque<strong>du</strong> divin. Enfin, l'Ame, pour les pythagoriciens, est unmouvement, ou un nombre en mouvement. On pourraitdonc admettre même le mouvement <strong>du</strong> feu central,si l'on pouvait trouver une direction de ce mouvementconforme aux opinions <strong>pythagoricienne</strong>s. Rien de réel1. 1,488.2. Stob., 1, 488 : Ta icùp Txrctaç lui ta xeVrpe; tdfav imxov.3. Scholl. AristL, p. 360 a : • Eudème ajoute que les pythagoricienset Platon ont raison de ramener l'infini au mouvement. »


DES PYTHAGORICIENS. 147n'appartient ezclusivemcntà l'ordre <strong>du</strong> fini ou de l'infini :tout ce qui est est l'unité, le rapport, la synthèse <strong>du</strong> parfaitet del'irnparfait idéalement posés comme principes,mais qui n'ont d'existence réelle que dans l'être un quiles contient tous deux. Donc le mouvement ne peut,quoi qu'en dise Eudème,appartenir, dans l'ancienne doctrine<strong>pythagoricienne</strong> <strong>du</strong> moins, à l'ordre de l'imparfait.On pourrait tout au plus dire qu'il y penche, et encorele mouvement divin de l'âme et <strong>du</strong> ciel, semble contredirecette conséquence.Le feu central étant considéré comme immobile, ilreste donc dix sphères de mouvement circulaire. Dansl'opinion des anciens, le son n'est que la totalité desimpulsions de l'air, transmises <strong>du</strong> corps qui les imprimeà l'oreille qui les ressent. Ces impulsions ont des vitessesproportionnelles aux vitesses des corps qui ont mis l'airen mouvement. Ainsi les rapports des vitesses des corpsen mouvement sont identiques aux rapports des sons,et calculer les uns c'est avoir obtenu les autres. Cettethéorie fausse, mais encore suivie par Aristote dansdeux de ses ouvrages, est <strong>du</strong> pythagoricien Hippasus ' ;et quoi qu'il faille en penser, il est clair qu'elle con<strong>du</strong>ità établir entre l'astronomie et la musique, des rapportsintimes, et à en faire, comme disaient les pythagoriciens,deux sciences sœurs *.•Puisque les corps célestes se meuvent dans l'air, ilest clair qu'ils y pro<strong>du</strong>isent des impulsions, c'est-à-diredes sons; d'un autre côté les vitesses des corps célestessont différentes, donc ils pro<strong>du</strong>isent des sons différents,1. M. Martin, Étud. t. le Timée,\. I, p. 393.2. Plat., flep., VII, &30d.


148 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEet puisque l'harmonie est la loi nécessaire et l'essencemême <strong>du</strong> monde, il est certain que ces sons ne peuventmanquer de constituer dans leurs rapports entre eux unevéritable harmonie, et comme un divin concert.I) y a plus : les rapports des distances relatives desastres sont ceux de leurs différentes vitesses, et les rapportsdes vitesses sont ceux de l'harmonie : donc pourconnaître et les distances et les vitesses des astres, ilsuffit de connaître les lois de l'harmonie musicale. L'astronomien'est qu'une musique céleste.Or nous savons que l'harmonie c'est l'octave; doncchaque astre doit pro<strong>du</strong>ire un des tons qui constituentl'octave ; donc les astres sont placés à des distances lesuns par rapport aux autres, et ont des vitesses relatives,mesurées exactement par les nombres qui exprimentles rapports des tons de l'octave.« Il y a quelques philosophes ', dit Aristote, quisoutiennent que nécessairement le mouvement de corpsaussi grands que le sont les astres, doit pro<strong>du</strong>ire unbruit, puisque les corps qui se meuvent sur la terre, etqui sont loin d'avoir ces énormes masses et ces vitessesénormes, en pro<strong>du</strong>isent un. Il est donc impossible quedes astres en nombre si prodigieux *, et d'une massesi prodigieuse, emportés par un mouvement d'une si prodigieusevitesse, ne pro<strong>du</strong>isent pas, eux aussi, un bruitprodigieux. Supposant donc, comme prouvé, ce premier1. De CœJ.,11, 9, 1. Au §3, on voit expressément qu'il s'agit despythagoriciens: Ta vàp àicoé^ntev «al itorïjeav toi»; nutayopitouc. finiyÎYVtaVai TTJV avupwviav TûV cepouivuv.2. ToaoÛTuv té nXôuo;. Nouvelle preuve <strong>du</strong> mouvement <strong>du</strong> ciel desfixes, car sans cela le nombre des astres en mouvement ne pourraitêtre appelé prodigieux.


DES PYTHAGORICIENS. 149fait, et imaginant en outre que les vitesses tirent desdistances les rapports symphoniques, ils ajoutent que lemouvement circulaire des astres pro<strong>du</strong>it une voix, unchant enharmonique ; et comme il pourrait semblerbizarre que nous ne l'entendions pas, ils en donnentcette cause : c'est qu'il n'y a bruit (enten<strong>du</strong>) que pourles bruits qui se pro<strong>du</strong>isent à un moment donné. Lebruit n'est pas perçu, quand il n'a pas son contraire, lesilence. En effet ce n'est que par rapport l'un à l'autreque nous percevons le silence et le bruit : c'estainsi que les forgerons habitués au môme bruit finissentpar ne plus l'entendre. » *D'après ce passage d'Aristote, il est prouvé quel'harmonie dessphères n'était pas pour les pythagoriciensune pure métaphore : elle est une réalité, et a toute laprécision <strong>du</strong> plus rigoureux calcul mathématique.« Pythagorc, dit Pline, appelle ton la distance de laterre à la lune; demi-ton, la distance de celle-ci 4 Mercure,et à peu près le même intervalle de Mercure àVénus. De là au soleil il y a un ton et demi; un ton<strong>du</strong> soleil à Mars; un demi-Ion pour atteindre à Jupiter;un autre demi-ton pour arriver à Saturne; enfin un tonet demi pour atteindre le ciel des fixes (« signiferum » ou le1. Arist., de Cal., II, 9. Heraclite donne une autre explication(Alléger. Borner., c. xui) : c'est l'éloignement considérable des corpscélestes : dans l'espace immense se perd le bruit. Simplicius (Scholl.Arist., p. 496 b), après avoir racontéque, d'après les pythagoriciens,Pytbagore entendait cette harmonie des sphères que sa continuité dérobei nos sens, trouve que leur explication <strong>du</strong> phénomène léfuteleur récit. Les pythagoriciens n'auraient pas été, j'imagine, en peinede lui répondre, étant donnée la nature suprabumaine de leur maître,dont les organes supérieurs n'étaient pas, comme les nôtres, pour ainsidire anéantis par la continuité de la sensation.


150 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEzodiaque). Nous avons donc ia gamme complète dessept tons que ce philosophe appelle l'harmonie Si* ircmûv,c'est-à-dire l'harmonie universelle, «universilalemconcentus.» Saturne dans son mouvement suit le modeDorien, Jupiter le mode Phrygien, et ainsi des autres,subtilités plus amusantes qu'utiles: «jucunda magis quamnecessaria utilitate '. » Il y a ici une erreur : car l'octave,ne comprend que six tons complets, et non sept.Quoi qu'il en soit, on aperçoit ici tout d'abord unedifficulté, celle de concilier le système décadique desnombres, avec le système octonaire de l'octave musicale.Les anciens commentateurs l'ont bien aperçue, etils ont proposé diverses manières de la résoudre. Il fautd'abord se décider sur la question de savoir si l'harmoniedes sphères se règle sur l'heptachorde ou surl'octochorde. Dans les deux hypothèses il est nécessairede supprimer le bruit, — et, qu'on y pense, rigoureusementc'est en supprimer le mouvement,— de deux ou troisde ces sphères : car dix corps en mouvement pro<strong>du</strong>iraientdix sons, nombre inconciliable avec l'éten<strong>du</strong>e <strong>du</strong> doubletélrachorde, soit disjoint, soit conjoint. Si on admet l'octochorde,on se bornera à supprimer le bruit de la terneet de l'Antichthone, en conservant, comme l'a fait Platon,le mouvement <strong>du</strong> ciel des fixes 2 , ou il faudra supprimercelui de l'Antichthone et <strong>du</strong> ciel des fixes comme l'a faitM. Boeckh. Mais Censorin croit qu'il n'est question quede l'heptachorde : « Pythagoras hune omnein mun<strong>du</strong>menharmonion esse ostendit : quare Dorylaus scripsit :mun<strong>du</strong>m orgauum Dei. Alii addiderunt esse id liera.1. Plin., H. Nat., II, 22.2. Rep., X, 616 f.


DES PYTHAGORICIENS. 151XopSov quia septem sint vagœ stellœ, quœ plurimummoveanlur. * »Il semblerait ainsi, d'après cette explication, que lemouvement des planètes s'opère avec des vitesses plusgrandes que celles de la terre, de l'Antichthoneet<strong>du</strong>cieldes fixes — « quœ plurimum moveantur *.» On peut donc,à cause de la lenteur de ces révolutions, considérercomme nul leurmouvement et le bruit qui en devrait résulter.On concevra alors ainsi qu'il suit la dispositionde l'beptachorde céleste.Quoique les pythagoriciens plaçassent le feu au centre<strong>du</strong> Tout, comme principe de toutes les substances*,ils, imaginaient un autre milieu qu'ils donnaient ausoleil placé au cœur <strong>du</strong> monde *, ou plutôt au cœur <strong>du</strong>système planétaire *. On aura donc :1. Le Feu 1 j immobiles ou presque2. L'Anttehthone 3 j immobiles su moins3. La Terre 9) i l'égard <strong>du</strong> son.4. La Lune 276. Mercure 816. Lucifer ou Vénus 2437. Soleil (au milieu) 7298. Mars 21879. Jupiter 656110. Saturne 196831. Censorin., de Die nat.,c. 13. Maerob., S. Scip., II, 1 g. e.2. Que devient alors la proportion des vitesses aux distances*3. Cf. ci-dessus etProcl., tn Tim., III, p. 172. Chalcid., In Tint.,p. 214. • Placet quippe Pythagoreis Ignem, utpote materiarum omniumprincipem, medietatem mundi obtinere. »4. Plut., Plac. : Tivàc 31 pécov nâvtuv TôV {JXtov, comme le répètentProclus et Cnalcidius. Procl., tn Jim., III, p. 171 *Q« èv tàrn?xapîtoc ISpupavov.Chalcid., p. 155: « Scilicet ut inter planetas sol médius locatus,cordis, immo vitalium omnium praestantiam obtinere intelligatur.5. Chalcid., L 1. : « Positionem vero atque ordinem collocationis


152 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUELes distances de chacun des astres relatives au centre,pris comme unité, sont mesurées par une série denombres qui constituent une progression géométriquedont la raison est 3 '.En ne tenant compte que de ces sept astres, que lespythagoriciens comparaient aux cordes de la lyre, onobtient les assimilations suivantes :1 ton.1+1/2 t.1 ton.1 ton.1 ton.Leimma.3 La Lune. Nète des conjointes.O Vénus. Paranète —^ Mercure. Trite —O Le Soleil. La Mèse —& Mars.La Lichanos des Mèses.¥ Jupiter. Parhypate —U, Saturne. Hypate — '.Si l'on voulait absolument faire entrer huit astres dansle système musical, on serait obligé d'admettre un systèmequi s'étendit au double tétrachorde, seul connu dePythagore. M. Boeckh ordonnerait, dans cette hypothèse,la série des notes et des astres, suivant deux genres différents,comme il suit :Nète des disjointes. Le Feu.1. Chrqmatique2. Trite3. Paramète.4. Mèse.——Saturne.Jupiter.Mars.Soleil.5. Chromatique des Mèses. Vénus.fi. Parhypate7. Hypate——Mercure.La Lune.8. Diatonique des hypates. La Terre.îiôrovoc des disjointes.Chromatique —Enharmonique —Paramèse.Mèse,Chromatique des Mèses.Pat hypate —Hypate.Diatonique des hypates.globorum vel etlam orbium, quibus collocati feruntur planètes, quidamex Pythagoreis hune esse dixerunt. •1. Plut., de Gen. an., 31. Ici encore l'analogie est rompue : la progressiongéométrique, dont 3 est la raison, ne suIfit pas pour déterminerles intervalles cousonnants de l'harmonie, comme nous l'avonsvu plus haut, p. 111.2. Bouillaud, ad Theon, p.279.Nicom,Horm., II, p. 33 et 57. Meib.,f. Boeckh, de Platon, tyitem., XXIII.


DES PYTHAGORICIENS. 153Mais on voit que pour composer ainsi cet octochorde,M. Boeckh est obligé d'y faire entrer des notes appartenantà trois létrachordes, celui des disjointes, celui desmèses, celui des hypates. Or rien n'autorise à supposer<strong>du</strong> temps de Pythagore un semblable développementdes instruments et <strong>du</strong> système de musique chez lesanciens. Les plus autorisés de nos renseignements nenous parlent que des sept planètes accordées sur lessept cordes de la lyre '.On lit dans Gicéron : « Summus ille cœli stellifer cursus,cujus conversio est concitatior, acuto et excitatomovetur sono ; gravissimo autem hic lunaris atque infimus;nam terra nona, immobilis manens, ima sedesemper baeret. Illi autem octo cursus in quibus eademvis est <strong>du</strong>orum septem efficiunt distinctos intervallissonos : qui numerus rerum omnium fere no<strong>du</strong>s est *. »On voit que Gicéron s'est préoccupé de concilier lessept notes de la lyre arec le nombre de huit astres, en nedonnant qu'un son à Mercure et à Vénus '. Gela nesupprime pas, comme parait le croire M. J. Girard \l'octave, dans laquelle il n'est pas nécessaire qu'il y aithuit notes, et que les anciens appelaient d'ailleurs ou harmonieou îii WXITûV. L'octave existe <strong>du</strong> moment qu'ona les intervalles de quarte, de quinte, et la réplique <strong>du</strong>\. Alexandre d'Éphèse (AlUg. Homer. d'Heraclite, c. XII, p. 26). Nicomaque,Harm., 6, 33. Boèce, de Mut., I, 20,27. Celui-ci renverse l'ordreancien et fait de la Lune la nète ou corde aiguë, et de Saturne l'hypateou corde grave <strong>du</strong> système, comme Bryennius, Harm., sect. I, p. 363.2. Somn. Scip., c. vin.3. Quelques éditions ajoutent même, après <strong>du</strong>orum, les mots: «Tereuroet Veniris.4. <strong>Notes</strong> sur l'édit. de Dézobry.


154 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEson initial; or de la lune au soleil il y a une quarte; et <strong>du</strong>soleil au ciel des fixes une quinte. Donc il y a une octavede sept notes entre lesquelles se distribuent les six tons.Plutarque ' et Censorin comptent la terre commeune note, et mesurent de la terre au soleil 3 tons 1/2,et <strong>du</strong> soleil au ciel des fixes 2 tons 1(2; mais ils renversentalors la quarte et'la quinte. En tous cas tous deuxn'admettent que sept cordes, comme Aristide Quintilien.L'intervalle Si* rao&vexprime le mouvement harmoniquedes planètes, Tïrv TûV irXanrnTwv tpuuXîj XI'VT|


DES PYTHAGORICIENS. 155quatre octaves et une quinte ', ce qui est un véritableanachronisme.Ma|s il paraît à peu près certain que l'objection, tiréepar M. Martin de la dissonance qui aurait été pro<strong>du</strong>itepar la simultanéité des sept sons dq double tétrachorde,ne s'est même pas présentée à l'esprit desanciens pythagoriciens. Une fois lancés sur cette route,où l'imagination les con<strong>du</strong>isait, ils ont pu croire que lessons de la lyre céleste, tout en obéissant aux mêmeslois numériques que les lyres et les voix des hommes,ne pouvaient en aucun cas être dissonants. Plus probablementencore, ils n'y ont pas songé <strong>du</strong> tout : ilssont partis d'une notion philosophique, et ont poursuiviles analogies avec plus de détails que la chose ne lecomportait, sans prévoir ni les difficultés ni les objections.Tout ce qu'ils voulaient dire, et personne ne nieraque leur pensée est profonde et belle, c'est que, malgréles apparences, tout est ordre dans l'univers,et qu'il n'ya qu'un ordre pour toutes les choses. Les nombres quimesurent l'harmonie de la flûte <strong>du</strong> pauvre berger, serepro<strong>du</strong>isent dans les harmonies des astres et retentissentdans les profondeurs immenses <strong>du</strong> ciel. Le monde1. Macrob.I, Somn., II, 1 g. e. Anatol., Theol. arithm., p. 56. Plut.,de Gen. an., c. 32. Ptolem., tform., III, 16. V. M. Martin et Boeckh,de JTelr. Ptnd. Suivant quelques musiciens, les notes des sept planètesétalent celles des sept cordes immuables de la lyre i quinze cordes;suivant d'autres, les distances des planètes étaient proportionnellesaux rapports des sons qui forment les cinq tétrachordes complets.Mais il a fallu, pour opérer cette ré<strong>du</strong>ction et n'avoir que cinq intervalles,placer la Lune à une distance égale <strong>du</strong> Soleil, de Mercure et deVénus. C'est seulement ainsi qu'on a pu dire : Toù; 4piCovr«« •OôYYOA'C,vaztxp&xopfa vov vûv itXavuuivuv Xôyov «X* ,v aarpiâv. Plut., de An.gen., c. 32.


156 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEest une harmonie : il est un instrument harmonieux :C'est la lyre dont Dieu joue, et qui rend entre ses mainsdivines des accords divins. Cette loi de l'ordre parfait,que nos yeux sont faits pour saisir dans le spectacle descorps qui remplissent le ciel, nos oreilles sont faitesaussi de manière à la goûter et à la comprendre. L'astronomieet la musique sont deux sciences sœurs,elles se tiennent l'une l'autre comme les anneaux d'unechaîne '.S 7. LA VIE DU MONDE. LES ÉLÉMENTS. L'ESPACE. LE TEMPS.Le feu central, principe <strong>du</strong> tout, est, dans l'hypothèsed'une formation réelle, comme dans celle d'une formationidéale des choses, le noyau et le germe <strong>du</strong> feu extérieur,de la sphère de l'enveloppant, qui rassemble lesparties <strong>du</strong> monde dans l'unité qui fait son ordre et savie. Cette sphère de l'enveloppant, étant le lien qui retientet contient tout dans l'unité, et l'unité étant la loinécessaire de tout être, Pythagore a pu dire que la nécessitéenveloppe le monde \ Ritter semble la confondreavec l'infini, sans doute parce qu'elle le touche. Il faudraitau moins dire qu'en s'approchant <strong>du</strong> feu centralqui a la vertu d'une expansion immense, l'infini subit laloi fatale de l'harmonie, est absorbé par l'activité de l'Undont il a touché la sphère, et devient alors l'envelop-1. Fragm. Archyt., 14 et 15 : Taùxa yà.p rà palhfjuaTa Soxovm I|tluvaiàStXféa, àXXiiXuv ii iyô|ieva tpéitov àXvatuc xpixwv Plat., Hep.,VII, 430 : 'Qi xpè< àotpovoplow Sy.ua.ta icfatriv, &; itpo; ivapuàviovpopàvÙTa ximiYsv, xaî afrrcti AXXqXuv àotXaai tive; al iitt(rrii|iat tlvai,ù( ofr( nuBayôpcioC saai xal it\uX(.2. Plut., PUu., I, 25, 2 :' nvDavôpa; àvaYxrjv Ifn ittpixilsflai tyxotrpup.


DES PYTHAGORICIENS. 157pant; car il répugne à l'infini, à l'illimité de faire lafonction d'envelopper, c'est-à-dire de limiter. C'est audelà de cette sphère de l'enveloppant que s'étend l'infini,ta àWpov, notion sous laquelle les pythagoriciens sereprésentaient vaguement et confusément la matièresans forme, l'espace sans limite, le vide immense, peutêtremême le temps sans fin : * et toutefois cet abtmede l'infini sans forme et sans être est le réservoir éternelde la vie, de la forme et <strong>du</strong> mouvement.Aristote nous l'a dit déjà : l'infini est en dehors <strong>du</strong>monde; mais cet infini, ce vide, s'intro<strong>du</strong>it dans lemonde par l'air que celui-ci respire, et il y intro<strong>du</strong>it enmême temps la limite qui sépare, le temps, et la respirationou souffle vital*.Ainsi le monde est un vivant, un être qui respire etaspire : il aspire <strong>du</strong> sein de l'infini le vide, l'air infininécessaire à sa vie. Chose étrange, c'est cet élément illimitéqui intro<strong>du</strong>it la limite, et est comme la source dela vie <strong>du</strong> monde, H»- Mais il faut admettre pour celaqu'il se soit intro<strong>du</strong>it lui-même dans le monde, et qu'ily ait dépouillé son infinité essentielle.1. Plut., Plaeit. PMI., I, 21, fait naître le temps de la sphère del'enveloppant. Stobée, I, 385, le fait naître de l'Infini.2. Plut., Plac. PMI., II, 9. Aristot., Phys., III, 4, et IV, 6. Le texteactuel donne la leçon suivante : 'KneioïKai aùttp Tû oùpavcp ex TOûàitelpou «veûuoTo;, ù; âv àvcurvéovri. Hais, quoiqu'elle soit repro<strong>du</strong>itepar Stobée, I, 380, j'ai de la peine à la croire exacte. Le vide, dans lapensée des pythagoriciens, rapportée par Aristote, est identiqueau «veûuu. Comment dire alors que le vide s'intro<strong>du</strong>it par leitviûuo. On peut facilement ou changer HVEVUOTO; en nveûpa ou lesupprimer tout à fait, ce que semble autoriser la suite <strong>du</strong> passage deStobée, I, 380 : *Ev SI tû mpi tr]; U. 91X0009(0; nponto rpdçci ('Ap.)TOV oùpavov tlvou Ko, eTHiadvioVai ex TOû drteipov, xpôvov te xol xvorjvxoi TO xivov.


158 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUECet air doit remplir deux fonctions : il est à la foisl'espace vide et l'espace plein : car, dit Aristote, ce videsépare les êtres ' et est le principe de leur essenceindivi<strong>du</strong>elle; il transforme l'éten<strong>du</strong>e continue en éten<strong>du</strong>ediscrète, et constitue l'être déterminé, TîJç Stoptocox.Mais l'infini ne se borne pas à séparer les indivi<strong>du</strong>sles uns des autres : il entre et pénètre en chacun d'eux.Il est dans les choses, il en est un élément interne et premier*. Il est donc à la fois dans les choses et hors deschoses, d'une part comme éten<strong>du</strong>e matérielle et réelle ;d'autre part comme espace vide, comme limite, sphèreenveloppante de l'être indivi<strong>du</strong>el. Il est dans le mondeoù il s'intro<strong>du</strong>it, mais où il est assimilé par la vertu <strong>du</strong>nombre et de la vie ordonnée dont l'Un est le principe; ilest en dehors <strong>du</strong> monde où s'étend son empire informeet vide.Mais de même que le monde emprunte à ce réservofrinfini les éléments nécessaires à sa vie, mofy xat îtôpifftv,de même il lui restitue ces mêmes éléments quandils ne lui sont plus nécessaires,xtvov tUi dv*imT6xds r u>


DES PYTHAGORICIENS- 159nelles. Il faut qu'il restitue à l'infini ce qu'il lui a emprunté.Cependant un passage obscur des Placita phttosophorumde Plutarque nous parle d'un dépérissement <strong>du</strong>inonde, auquel il assigne une double cause : « Il y adeux causes de dépérissement, iXoAaoc, Simjv eîveu vèv «êopàv toreukv if oopcnoO itupôr, puivTOc, TôTS 8' if ûSaro; aeATivtaxoO KepurcpoefTOO àipoç àxoyyttévToç * xat TOûTUV SIVBI ràç àvaflvu.tà


160 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEOn pourrait cependant admettre que ce jeu de la vie,cette alternative réglée de la respiration <strong>du</strong> monde, laissepénétrer l'accroissement et la diminution, le devenir etle changement dans les choses indivi<strong>du</strong>elles, placées dansla partie inférieure <strong>du</strong> monde.Car, s'il faut en croire un fragment, d'une authenticitécontestée', il est vrai, Philolaûs aurait reconnu que lemondese divise en deux parties, quoiqueloulentier pénétrénaturellement<strong>du</strong>souffle vital qui le meut dès l'éternité.L'une est immuable ; l'autre- est changeante. La partieimmuable s'étend depuis l'âme qui embrasse le tout *jusqu'à la lune ; la partie changeante occupe la régiODplacée entre la lune et la terre. De ces deux parties l'uneest considérée comme principe moteur; l'autre commesujet passif <strong>du</strong> mouvement. Or, comme le moteur agitdepuis l'éternité et continue éternellement son action,comme le sujet mû est tel que le fait le moteur, 6; T*xtvtov £711, O6TO) SiaTtOevOat, il résulte de là que l'un estéternellement en mouvement', et l'autre reçoit éternellementle mouvement, que l'un est tout entier le domaine*de la raison et de l'àme, l'autre, de la génération et<strong>du</strong> changement. L'un est premier par la puissance esupérieur ; l'autre est dernier et subordonné. Le composé<strong>du</strong> ciel et <strong>du</strong> monde sublunaire tout trempé de vapeurs humides >constitue une perte, çfiopàv; mais il retourne à la sphère de l'enveloppant,où le monde va le reprendre par une autre aspiration.Cette palpitation double <strong>du</strong> monde, va; àva6uu.6stu;, constitue doncen même temps et une perte et une nourriture.1. Philol., Boeckh, Fr. 22. p. 164-167.2. La sphère de l'enveloppant, confon<strong>du</strong>e avec l'âme <strong>du</strong> monde.3. H faut entendre mouvement spontané, pour donner un sens aupassage.4. Le texte donne ivâxuua, mot inconnu.


DES PYTHAGORICIENS. 161de ces deux éléinents, l'un divin, dans un mouvementspontané éternel, l'autre toujours changeant et devenant,c'est le monde. C'est pour cette raison qu'on peut justementappeler le monde l'activité éternelle de Dieu et <strong>du</strong>devenir 1 . Par une de ses parties il demeure éternellementdans le même état, identique à lui-même; la partiemuable constitue la pluralité, sujette au changement et àla destruction. .Mais cette destruction ne s'attaquequ'aux indivi<strong>du</strong>s. Les espèces survivent, et surviventinvariables. Les choses mêmes qui périssent subsistentdans leur essence et leur forme, grâce à la générationqui repro<strong>du</strong>it la forme, identique à celle <strong>du</strong> père qui lesa engendrées, <strong>du</strong> démiurge qui les a façonnées. »C'est une grosse question, et peut-être insoluble, quecelle de savoir si ce morceau est authentique. La distinctiond'un monde supra et d'un monde sub-lunaire,l'un immuable, l'autre sujet à des changements, sembleappartenir à Aristote, quoique ce dernier attribue auxpythagoriciens la distinction de la droite et de la gauchedans le monde *, et que nous sachions par la table descontraires que la gauche se rapporte à l'ordre de l'infiniet de l'imparfait. Mais quoi qu'il en soit, si le fragment estauthentique, la doctrine qu'il contient c'est que le changementqui résulte de la vie <strong>du</strong> monde n'en atteintqu'une partie, et ne compromet pas l'ensemble, qui resteéternellement le monde, c'est-à-dire l'ordre et la beauté.Ce vide, cet espace n'est pas un accident, et unsimple attribut : c'est une substance, et un élémentinterne des choses ; seulement cette substance n'a de1. "Evepfetav &t8tov.6câ te (ou mieux 8«[w) xal -yEveaio;.J. .De Cal., H, 2.II - Il


162 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEréalité que dans son concours avec le Gni, et est inséparabledes choses où cette coïncidence s'opère, et quisont l'effet étemel de cette coïncidence nécessaire '. Enentrant dans le monde, le vide subit la loi <strong>du</strong> fini ; maisen dehors <strong>du</strong> monde il est vraiment infini. Archytas le dé<strong>mont</strong>raitainsi, à ce que rapporte Eudème : < Je me supposeplacé à la limite extrême et immobile <strong>du</strong> monde, 6ditXavifc'. Pourrai-je ou non étendre devant moi la mainou une baguette? Dire que je ne le puis pas est absurde.Mais si je le puis, il y a donc quelque chose endehors <strong>du</strong> monde, soit corps, soir lieu. Et peu importecomment on raisonne, Archytas reviendra par le mêmeargument à une nouvelle limite, et demandera : Y a-t-ilquelque autre chose où puisse s'étendre la baguette?Ainsi il est évident que cet espace est infini. Maintenantest-il corporel ? Alors notre proposition est .dé<strong>mont</strong>rée.Est-ce simplement un lieu ? Mais le lieu est ce en quoiun corps est ou pourrait être : or ce qui existe enpuissance doit être placé au nombre des choses étemelles: donc il faut considérer l'infini à la fois comme unlieu et comme un corps '. »1. Àrist, Phyt., III, 4 : Ot pAv, âentep ot IIu6.... xaB'atVrri, oûy. &t


• DES PYTHAGORICIENS. 163Il n'y a qu'un monde : l'Un domine tout, et ré<strong>du</strong>it àsa forme l'élément infini qu'il admet en soi ; il transformemême ce qui le touche, si <strong>du</strong> moins on a raisonde dire que la sphère de l'enveloppant est l'infini ramenéà la forme et à la limite, pour être à la fois leséjour des fixes et le principe <strong>du</strong> temps.C'est là que sont placés les cinq corps primaires :le feu, l'eau, la terre, l'air et le cercle de la sphère quitout en contenant les quatre autres, forme le cinquièmeélément *. Comme les éléments sont assimilés à des figures,ou plutôt sont vraiment des figures solides, appeléesaussi mathématiques, la sphère contient le cubed'où vient la terre, la pyramide ou tétraèdre d'où vientle feu, l'octaèdre d'où vient l'air, l'icosaèdre d'où vien'l'eau, le dodécaèdre qui constitue la sphère <strong>du</strong> Tout \Ce cinquième élément, cette quinte essence est l'Étber,où vivent et dont s'alimentent les astres lumineux, quil'infini. Le lieu, relativement aux êtres, est comme la limite par rapportaux choses limitées; car le lieu <strong>du</strong> monde entier est la limite del'universalité des êtres. > Il n'est pas exact de dire, arec Grappe,p. 106,'Frap. d. Archyt., que cette définition est de Zenon. Aristote,Phys.,\V, 1 et IV, 3, rapporte seulement l'argument repro<strong>du</strong>it commeune objection de Zenon contre l'existence de l'espace ou <strong>du</strong> lieu considérécomme un être en soi. Mais ce fragment étant emprunté au nepiTOû aonTAr,, dont personne ne soutient l'authenticité, j'ai cru devoirfaire comme tout le monde; d'autant plus que l'argument aboutit ànier la réalité de l'espace, ce qui me parait appartenir aux doctrineséléatiques plutôt qu'aux doctrines <strong>pythagoricienne</strong>s.1. Philoï., Boeckh, p. 160 : Kod iv tcj. opiîpq owpiaTa «rvTE èVTI.... xal& tâ« oçaipar, xûxka; (Boeckh, éÀxôcj xspxTov. Plutarque, Placit. Phil..II, 6, 2, compte aussi cinq corps.2. Plut., Plac Phil., II, 6,5.11 Taut se rappeler que Philolaus (Boeckh,p. 156) attribue le dodécagone à Jupiter. Entre le dodécagone et ledodécaèdre, il y a la différence de l'angle plan à l'angle trièdre ou solide.


164 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEsemblent immobiles et comme fixés à la voûte <strong>du</strong> Ciel'Son essence incorruptible reste toujours identique àelle-même.A qui appartient cette théorie des cinq corps premierset surtout celte fameuse quinte essence, qui a joué un sigrand rôle dans la physique des anciens et <strong>du</strong> moyenâge?D'abord quant aux quatre premiers, il est certainqu'on les trouve dans Empédocle. «Empédocle, dit Aristote,a admis quatre éléments : car il a ajouté à ceuxqui ont été nommés plus haut (l'air, l'eau, le feu) unquatrième : la terre*. » Clément d'Alexandrie cite troisvers d'Empédocle, qui les énumèrent :« D'-abord, écoute-moi bien : il y a quatre racines detoutes les choses : le feu, l'eau, la terre et les profondeursimmenses de l'air ; c'est de là que natt tout ce quia été, tout ce qui sera, tout ce qui est*. » Sextus Empiricusajoute qu'Ocellus et Aristote en ont admis cinq.1. Theol. Arithm., p. 28. Meursius, de Denar. Pyth., Opp., L IV,p. 43 : Té «é|ixcov xal xat* aû-tè TCTOY|ICVOV OTOIXIïOV 6 alWip xaràTaùtà lyuv 3iaT»X»t.2. Met., I, 3. Met., IV, p. 985 a, 31 : « Empédocle est le premier quiait admis quatre éléments matériels, Sx; iv ûATK MU ; mais il ne sesert pas des quatre, mais de deux seulement, le feu d'un coté, et lestrois autres qui lui sont opposés, et qu'il considère comme n'en faisantqu'un seul. • De Gen. et Corr., II, 3, p. 330 : • Quelques-uns,comme Empédocle, en posent quatre; mais celui-ci les ramène adeux : car il oppose le feu à tous les autres. •3. Clem. Alex., Strom., VI, 6/4. Sext. Empir., adt>. Pkys., X, 685,change les deux derniers en ceux-ci :Ztùç àproî "Hp>| TS «spéae'ia; xj4" 'AlSuveii;NfiarCc 6' f, oaxpûoïc Térr*' xpoûvuua BportîovCf. là., IX, 620. Purrfc. Byp., 1. m, c. 18


DES PYTHAGORICIENS. 165Mais Clément fait précéder les vers d'Empédocle decette observation : « Athamas le pythagoricien a dit :« Voici comment le principe <strong>du</strong> tout procéda à la générationdes choses : il y a quatre racines des êtres : lefeu, l'eau, la terre et l'air'. » Ainsi, l'école <strong>pythagoricienne</strong>avait eu sa part dans cette doctrine, et Aristote,en disant qu'Empédocle a admis les quatre corps le premier,ne nous dit pas que Pythagore ne l'avait pas fait :on sait qu'Empédocle est presque pythagoricien, etquoiqu'il ail fait peu d'usage de cette théorie, il a pu enfaire beaucoup de bruit. Ses vers, plus répan<strong>du</strong>s et pluspopulaires que les enseignements discrets, sinon secrets,des pythagoriciens, ont pu rattacher cette doctrine à sonnom, quoiqu'il l'eût empruntée de ses amis ou de sesmaîtres. Vitruve semble autoriser cette conjecture :< Pythagoras vero, Empedocles, Epicharmus, aliiqucphysici et phllosophi, hœc principia quatuor esse voluerunt*.> Car il l'attribue à tous les deux, mais en maintenantla priorité <strong>du</strong> premier et <strong>du</strong> plus ancien. D'ailleurs,on ne trouve dans les fragments d'Empédocle nidans les renseignements des anciens rien qui fasse <strong>du</strong>nombre quatre un élément essentiel pu important de sonsystème. Au contraire,, ce nombre le gêne tellementqu'il le ré<strong>du</strong>it à deux, comme on a pu le voir. Il n'en1. L'air est omis dans le texte de l'éd. Horel ; mais il se trouve dans laversion latine qui accompagne cette édition, et dans le texte grec de labelle édition de Florence, de Laur. Torrentinus, 1550.2. Vitruve, lib. VIII, praîf. Diogène, VIII, 25, et Stobée, 1,16, p. 356,ne mentionnent que quatre éléments : « Pythagore a nommé lemonde une sphère, d'après la forme des quatre éléments, xavà


166 EXPOSITION DE LA DpCTRINE PHILOSOPHIQUEest pas ainsi des pythagoriciens, qui attachaient à laTétrade une vertu sacrée et divine et voyaient en elle lasource, la racine de l'universelle nature :Oayày àevâou atûirsbjç, ^îÇidpaV fyoouav '.Mais s'il est difficile de décider, d'après ces renseignements,si le nombre de quatre éléments est venu des pythagoriciensà Empédocle ou d'Empédocle aux pythagoriciens,il n'en sera pas de même <strong>du</strong> cinquième, quoi qu'endise Cicéron, repro<strong>du</strong>it par Eusèbe. Dans les Tusculanes, ilnous apprend qu'Aristote, après avoir adopté les quatreprincipes générauxd'où tout provient, estime qu'il y a unecinquième essence dont l'âme est formée, et qu'à ce cinquièmeélément, il n'a pas donné de nom, mais qu'il a appeléentéléchie, l'âme qui en tire son origine a . Il donnede ce cinquième élément une idée un peu différente dansses Académiques. Après avoir rappelé les quatre premiers,il ajoute : « Quintum genus, e quo essent astra mentesque,singulare, eorumque quatuor, quas supra dixi, dissimile,Aristoteles quoddam esse rebatur J . > Mais à cette opinion<strong>du</strong> philosophe romain s'opposent d'abord le fragmentde Philolaûs, qui est contre elle l'argument le plusconsidérable ; puis le passage de lu Théologie arithmétiquecité par Meursius; enfin le témoignage d'Hermias qui,dans son résumé de la <strong>philosophie</strong> <strong>pythagoricienne</strong>, nousdit: < Le principede tout est la monade; de la monadeviennent les figures, et des nombres viennent les éléments;et voici comment chacun de ces éléments est formé1. Vers d'Or., y. 47.'i. Tusc, I, 10 : < Quintam quamdam naturam censet esse .e quasi mens. •3, Acad., II, 7. CL Euseb., Prxp. Ev.,\, 7. Stob., Meinek., t. II,p. vi, Annot.


DES PYTHAGORICIENS. 167sous le triple rapport <strong>du</strong> nombre, de la figure et dela mesure. Le feu est composé de 24, l'air de 48, l'eau de124 triangles rectangles, l'étherde 12 pentagones équilatéraux,la terre .de '48 carrés*. Simplicius, comme Hermias,atteste que Platon avait emprunté cette théoriedescorps élémentaires aux pythagoriciens 1 . Platon, eneffet, dans le Timée, forme le monde de cinq corpsayant cinq figures géométriques différentes; le cinquième,OSCTJC ÇUTCôIIEUIîLMa« ir^(X7m)î, est le dodécaèdrerégulier', c'est-à-dire ce même élément que Philolausappelle la sphère <strong>du</strong> tout, et qu'Hermias et la Théologiearithmétique confondent avec l'éther.Piutarque n'a doncpas tort quandildit que dans cette composition <strong>du</strong> mondePlaton pythagorise *. Que ce cinquième élément soitl'éther, c'est une chose encore dé<strong>mont</strong>rée par Platon oul'auteur pythagorisant, quel qu'il soit, de VÉpinomis.Nous voyons là, en effet, cinq éléments : la terre auplus bas degré, l'éther au plus haut, et entre ces deuxextrêmes les trois autres 5 . Telle était l'opinion de Platonlui-même, et ce n'est pas seulement Simplicius quile dit, comme le croit M. Th. H. Martin en l'accusantd'erreur, c'est Xénocrate qui le prouve : « Platon a posécinq corps simples, suivant les cinq figures. Xénocrate,l'un de ses plus intimes disciples, suffit à le prouver ;car dans sa Vie de Platon, il écrit : Il divisait les êtres1. Hermias, lrrision., c. viu, à la suite <strong>du</strong> S. Justin. Paris, 1630.2. Scholl. Ârittt., p. 514 a, 46.3. ïïm., 54e-55a.4. Plue. Phil., II, 6, 5.5. Epin., 984 b : Ta tpia xk péa-a TûV nevTt.... alvepa ptv fàp \uxkxi, itùp 6


168 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEen idée et en parties', toeav T» xaA |Mpi). Il poussait la divisionde ces dernières jusqu'à ce qu'il arrivât aux élémentsde toutes les choses, qu'il appelait les cinq corpsou figures, c'est-à-dire l'éther, le feu, l'eau, la terre etl'air. Le dodécaèdre était, suivant lui, la forme <strong>du</strong> corpssimple, le ciel, qu'il nommait éther 2 . Ainsi, la doctrine<strong>du</strong> cinquième élément n'est pas d'origine péripatéticienne,puisqu'on la trouve dans Platon, et comme onla trouve dans un ouvrage de Platon, où est manifestel'influence <strong>pythagoricienne</strong>, on peut croire, aprèstoutes les preuves qus nous en avons données, que Hermias' n'a pas tort de dire que Platon la tenait des pythagoriciens.Ces corps élémentaires s'appelaient


DES PYTHAGORICIENS. 169Ces éléments, précisément à cause de Ja conceptionqui les ré<strong>du</strong>it à des figures géométriques, semblent seprêter à des modifications et à des permutations réciproques.C'est en effet ce que nous disent quelques anciens.« Pythagore, d'après un extrait de Stobée, et tous.ceuxqui admettent la passivité de la matière, admettent aupropre des générations et des destructions des choses :la composition, le mélange, la confusion sont pro<strong>du</strong>itspar l'altération des éléments premiers, leurs modifications,leur dissolution '. * C'est pour cela qu'ils ne considéraientaucun d'eux, pas même le feu, comme premier,parce que le feu est composé d'eau et d'air,comme à leur tour l'air et l'eau sont formés de feu *. Iln'est donc pas étonnant que Plutaf que attribue aux pythagoriciensl'opinion que la matière est sujette à toutessortes de modifications', qui rendent possibles et enmême temps expliquent la naissance et la destructiondes* choses. Les éléments se confondraient ainsi dansune notion commune, celle <strong>du</strong> changement, <strong>du</strong> principeincessamment changeant, TO aXXo, nom sous lequelArchytas, au dire d'Aristote, aurait désigné ce que nous1. Stob., I, 414.2. Simpl., Seholl. Aristt., p. 514 a, 46.3. Plac. PMI., 1,9, 2 : Tpeirrijv xai &XXOUCTôV xai |UTa6).T)TJ)v xaipiuarnv {Xrjv St'SXou. Id., I, 24 : « Pythagore et tous ceux qui considèrentla matière comme passive, ua6rjTriv, admettent aussi unegénération et une destruction des choses, qu'ils expliquent par àXXoiûotur,trroixiuov xai tpoirijç xai àvaXOecwc. Cf. Stob., I, p. 394. M. Zeller,t. Y, p. 119, croit que cette doctrine, très-postérieure, n'a étéadoptée que par les Néo-Pythagoriciens, tels qu'Ocellus, qui la trouvèrentdans Platon et dans Aristote. Cependant, Aristote lui-même,s'il faut en croire Damascius (Grupp., p. 79), rapporte que Pythagoreappelait la matière xà SXXo, à cause de ses changements incessants.


170 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEappelons la matière. Si l'on s'étonne de voir la matière,qui est certainement l'inflni des pythagoriciens, si elleest quelque chose dans leur système, si l'on s'étonne,dis-je, de voir la matière localisée dans l'Olympe, dansla sphère de l'enveloppant, il faut se rappeler qu'elle n'yest présente que sous la forme déterminée des cinq éléments,c'est-à-dire qu'elle a déjà subi la loi <strong>du</strong> nombre,en s'intro<strong>du</strong>isant dans le monde par la vertu de l'Un vivantqui l'a aspirée, absorbée et assimilée. C'est ainsi <strong>du</strong>moins qu'on peut concilier les renseignements opposésqui nous sont fransmis sur ce point des conceptions <strong>pythagoricienne</strong>s,et qu'on pourra concilier ceux qui concernentl'essence etl'orgine <strong>du</strong> temps, où'les contradictionset les obscurités ne sont pas moindres.Plutarque dit : « Le temps est la sphère de l'enveloppant,TV opaïpav TOC iMptéjrovroç ḷ » Cette sphère, nousl'avons vu, est le feu périphérique, identique au feucentral,que Philolaùs appelle une âme, l'âme <strong>du</strong> Tout 1 .Plutarque est d'accord avec la Physique d'Aristote, confirméeparSimplicius : «Les mis disent que le temps estle mouvement de l'univers ; d'autres que c'est la sphèremême de l'univers '. * Sur quoi le scholiaste d'Aristote :> Les uns disent que le temps est le mouvement et la révolutionde l'univers : c'est l'opinion de Platon, si l'on encroit Eudème, Théophraste et Alexandre. Les autres di-1. Placit. Phil., 1, 21, 1, définition repro<strong>du</strong>ite textuellement parStobée, I, 8, p. 250; Galien., c. x, p. 25, où elle est légèrement modifiéedaus les termes : « Le temps est la sphère <strong>du</strong> ciel qui nous enveloppe.» •, 2. Philol., Boeckh, p. 167 : Tic xo SXov ntpuy.oûaa< 4>vY.à;. -Simplic,Seholl. Arittt., p. 505 a : Trjv xoû itivxà;


DES PYTHAGORICIENS. 171sent que c'est la sphère même <strong>du</strong> monde : telle étaitl'opinion des pythagoriciens, de ceux <strong>du</strong> moins quiavaient enten<strong>du</strong> Archytas définir d'une manière généralele temps : l'intervalle de la nature <strong>du</strong> tout, Sul


172 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEqu'une personnification mythologique. De môme que< Pythagore, par ces symboles énigmatiques dont Aristotes'était longuement occupé', appelait les Ourses lesmains de Rhéa, les Pléiades la lyre des Muses, les Planètesles chiens de Proserpine, le son de l'airain frappé,la voix d'un démon emprisonné dans son sein* », demême, au rapport de saint Clément et de Porphyre, queles pythagoriciens appelaient la mer les Larmes de Kronos,voulant dire que les pluies sont les larmes <strong>du</strong> ciel,qui forment en tombant l'immense réservoir de la mer:de même et par une allégorie de même sorte ils ontappelé le temps la sphère d'Uranus'. Mais on n'aperçoitpas ici la signification <strong>du</strong> symbole : il est douteuxcependant qu'il n'ait eu dans l'esprit des pythagoriciensaucun sens. Pour arriver à le découvrir, il est nécessairede rapprocher cette obscure définition d'une autre quileur est également attribuée.Aristote, danslequatrièmelivredesonPytftaoortoue, ditque le monde est un, unique, et que <strong>du</strong> sein de l'infinis'intro<strong>du</strong>isent en lui le temps, le souffle vital, et le videqui sépare les êtres, XP^0* ** xotl nv&qv xal T6 xtvrfv '.Ainsi, tantôt on nous dit qu'il est la sphère de.l'enveloppant,c'est-à-dire fini, tantôt qu'il vient de l'infini.L'infini est un continu que le vide et la vie transformenten discret; c'est un élément simultané, où le videet la vie intro<strong>du</strong>isent la succession et le nombre, c'est-àdirele temps.Le temps peut donc être tour à tour considéré comme1. Tïinirt.eov àvéyp«Y ev -2. Porph., Y. P., kl.3. Porphyr., I. I. S. Clem., Strom., V, 571 b.4. Stob., I, 380.


DES PYTHAGORICIENS. 173discret et comme continu, comme fini et infini, comme -simultané et successif. Aussi Iamblique proposait deréunir en une seule les deux définitions <strong>pythagoricienne</strong>s,et de faire le temps àla foiscontinuet discret. « Le pythagoricienArchytas est le premier dont on ail conservéle souvenir, qui a essayé de définir l'essence <strong>du</strong> temps,et en afait tantôt le nombre <strong>du</strong> mouvement, tantôt l'intervallede la nature <strong>du</strong> tout '.Mais il faut réunir ces deuxdéfinitions et considérer à la fois le temps comme continuetcomme discret, vuv^xal Suapiapivm, quoiqu'à proprementparler il soit plutôt continu. C'est ainsi, suivant ledivin Iamblique, qu'Archytas établissait une distinctionentre le temps physique et le temps psychique, commeil avait distingué deux infinis, l'un sensible, l'autreintellectuel'. »Archytas, par sa définition,. voulait sans doute direqu'il y a un temps qui, dans l'unité absolue <strong>du</strong> présentéternel, réunit et supprime le passé et l'avenir',c'est le temps intelligible, ou la notion pure <strong>du</strong>temps, opposé au temps qui mesure les êtres de la nature,et se divise comme eux. Mais il est bien difficile d'acceptercomme authentiques ces passages*. La définition<strong>du</strong> temps par le nombre <strong>du</strong> mouvement est certaine-.ment d'Aristote; la distinction de deux infinis est con-1. Il semble que ce sont ces deux points de me que Platon précise,en opposant l'immobile et infinie Eternité i sa mobile et successiveimage, le Temps.î. Simplic, in Phytie., f. 165 a, 186 b. Cf. Hartenst., p. 35.3. Simplic, in Phys., 1.104 b.4. Id., 185 b : OOTO; itmv Ati pivuv iv T$ àei xai |iT)êa|û) peuv,lywv iv tvt té nportpov xal vé do-upov.5. Et surtout <strong>du</strong> fragm. 10 d'Archytas, dont je n'ai même pas crupouvoir ici faire usage.


174 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEtraire à ce que nous savons de plus certain sur le pythagorisme,et Simplicius, qui nous a transmis l'interprétation<strong>du</strong> « divinIamblique », se hâte d'ajouter que ledivin commentateur, en expliquant ce passage et beaucoupd'autres, semble ajouter à la pensée de son auteurpour en faciliter l'intelligence 1 . M. Zeller*, pour conclure,suppose que les pythagoriciens ont pu penser qoele mouvement <strong>du</strong> ciel et des étoiles est la mesure <strong>du</strong> temps,et qu'ils ont exprimé cette opinion par ces termes obscursqui confondent le temps avec la sphère <strong>du</strong> monde : le motsphère seraitprisici dans le sens de révolution sphérique* ;mais outre que les objections d'Aristote permettent difficilementcette interprétation, comment admettre que le cieldes fixes, immobile, «tirXov^e, ou dont le mouvement n'estpas apparent, eût pu servir à mesurer et à exprimer letemps.Tout en imitant la sage réserve de Simplicius, nousdevons dire comment nous interpréterions cette obscuredéfinition. Le feu central pénètre la nature entière et serépand jusqu'aux limites extrêmes <strong>du</strong> monde ordonné *.Philolaûs l'appelle le maître <strong>du</strong> monde*, et dans un autrepassage le détermine d'une façon beaucoup plus préciseen lui donnant le nom d'âme, T8C TO Skw mpuxoûrac u^r/ae*.Inséparable des choses qu'elle constitue, l'âme, l'Un premier,n'en est pas moins considérée comme le principe1. Jd., 106 a : CKfcu pev oSv 6 1â|i6Xix 0 < tèv 'ApxûTctv i^trifyttno xal&XXa noXki it) èL"irr](Jti rcpo«uitop4jaac.2. Tom. I, p. 318.3. Car il oppose aux pythagoriciens que la sphère n'est pas la révolutionde la sphère.4. Sext. Emp., IV, 331. TTJCTWV il&iv fOireuc Stoixoupiwic.6. To Avtpovixév. PWL, Boeckh, p. 96.6. Phil., Boeckh, p. 167.


DES PYTHAGORICIENS. 175<strong>du</strong> mouvement, comme le moteur universel,


176. EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUE.eu une autre notion; car parmi eux les uns disaient quel'âme est ces corpuscules qui flottent dans l'air * ; lesautres, que c'est ce qui meut ces corpuscules. Or, sil'on a cette opinion, c'est que ces petits corps paraissentse mouvoir toujours, et cela revient à dire quel'âme est ce qui se meut soi-même. En effet, tous cesphilosophes semblent penser que ce qui est surtout propreà l'âme est le mouvement *. »Or, dans ce-passage, Aristote ne traite pas de l'âme humaine,mais de l'âme en soi. Il est donc difficile de nier,comme le fait M. Zeller, que les pythagoriciens aient admisune âme <strong>du</strong> monde, etsonopinion a contre elle et Aristote,et tous les témoignages des anciens. Si l'on objectequ'ils ont admis l'âme de l'homme, sans admettre uneâme <strong>du</strong> monde, ne peut-on répondre avec Gicéron etPlaton: «Et comment l'homme aurait-il une âme, si l'universn'en avait pas une?» «Pylhagore croyait que danstout l'univers est répan<strong>du</strong>e une âme circulant partout,et dont notre âme est détachée : il n'a pas considéré quecette âme, dont il faisait un Dieu, était comme déchiréeet lacérée par le détachement de nos âmes: Distractionehumanorum animorum discerpi et dilacerari Deum '. »Quelle notion s'en faisaient-ils? Ils ne pouvaient pasla considérer autrement qu'ils considéraient toute chose :et ils considéraient toute chose'comme un nombre.1. Simplicius (Scholl. de An., I, 2) nie quêtes pythagoriciens aientjamais soutenu cette étrange opinion.2. ArisL, de An., 1,24, : 'Eoîxoei y«p ootot ndvrec (c'est-a-dire tousles philosophes dont il vient de rappeler les définitions, et par conséquentaussi les pythagoriciens) ùxeiAnçévai rrjv xtvnietv olxtiora-rov eîvai3. De nat. D., I, 11. Platon, Phxdr., 270 c. Phileb., 270, 30 c.


DES PYTHAGORICIENS. 177L'&me ne pouvait être qu'un nombre, l'Un premieret composé, unité nécessaire et indissoluble <strong>du</strong> fini etde l'infini, <strong>du</strong> pair et de l'impair. Mais comme l'&meest la vie, et que la vie est le mouvement, l'&me devaittout naturellement être pour eux « un nombre qui semeut soi-même 1 . » Je ne vois aucune bonne raisonpour leur refuser l'honneur de cette définition, que leurattribuent avec Plutarque, Némésius, Théodoret et Philopon* ; et si M. Zeller la leur conteste et n'y voit qu'uneaddition des néo-pythagoriciens 8 , M. Steinhart la croit,comme nous, de la vieille École 4 . La meilleure raisonpour le croire c'est qu'elle est presque nécessaire, étantdonnés leurs principes. Si l'&me est pour eux le principe<strong>du</strong> mouvement, et Aristote nous l'affirme, si de plustout être est un nombre, je ne vois pas comment ils auraientpu échapper à la conclusion que l'&me est unnombre principe <strong>du</strong> mouvement. « L'&me humaine,disait Pythagore, est un tétragone à angles droits. Archylasne la définissait pas par le télragone, mais parle cercle, par la raison que l'&me est ce qui se meut soimême,vi af/rà xtvoûv, et que nécessairement le premiermoteur spontané est un cercle ou une sphère*. >Il est vrai qne Plutarque, après avoir attribué cettedéfinition à Pythagore, la donne, dans un autre de sesouvrages, àXénocrate, qui l'aurait formulée ainsi lèprei1. Plut., Plac. Phil., IV, 2,2 : IIu8aY6paç... ipi9|*4v lout&v xi-VOÛVTOU2. Nemes., Mot. hom., p. 44. Tbeodor., Cur. Créée, aff., V, 72. Philop.,in lib. de An., c. T.3. T. I, p. 523.4. Platons Werke, t IV, p. 377-571.5. Joh. Lyd., de Mens., VI, p. 21. Cf. Hartenst., p. 17.H — Il


178 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEmier ', et il est suivi par Macrobe *, Simplicius ', Thémiste', et même Philopon ', qui se contredit ainsicomme Plutarque. Mais qui ne connaît le penchant deXénocrate pour le pythagorisme qu'il essaya de concilieravec les idées de Platon? On peut dire avec certitude delui ce que la théologie arithmétique dit de Speusippe,« qu'il puise ses opinions dans les enseignements despythagoriciens, particulièrement de Philolaùs, qu'il suitconstamment et avec une exactitude scrupuleuse '. •Stobée même,quiprêteà Xénocrate cette définition, reconnaîten même temps que les pythagoriciens faisaientde l'âme un nombre 7 , et qui prétendra, en face <strong>du</strong> témoignaged'Aristote, que c'est un nombre immobile? Jen'hésite donc pas à croire que Xénocrate avait empruntéaux pythagoriciens, ses maîtres, la célèbre définitiondont il passe pour l'inventeur.Il est vrai qu'ils déGnissaient aussi l'âme une harmonie,mais ils ne faisaient par là que repro<strong>du</strong>ire, sousune autre formule, absolument la même idée.C'est Platon qui nomme Philolaùs comme auteur decette déflnition, qu'il critique sévèrement et interprèteassez peu loyalement', tandis que Macrobe l'attribue à1. DeGen. an., I, 5.2. Somn. Scip., 14 : • Plato dixit animum essentiam se moventem,Xenocrates numerum se moventem, Aristoteles tvtiXtxetav, Pytbagcraset Philolaùs harmoniam. »3. In Aristt., de An.,f. 7.4. Id., id.,f. 71 è>.5. Id., Id., p. 5. In Ânalyt. Pott., p. 78. Scholl. AritU., p..242 b.6. Theol. Arithm., p. 61 f : *E* xùv tt«ipt-t


DES PYTHAGORICIENS. 179Pythagore en même temps qu'à Philolaùs *, et Philoponaux pythagoriciens en général 1 . C'est très-vraisemblablementà eux que pense Aristote quand il nous dit :« Quelques-uns appellent l'âme une sorte d'harmonie,appovfov Ttvô; car ils font de l'harmonie le mélange et lacomposition des contraires*. > Mais Aristote a soin denous dire que les pythagoriciens n'entendaient pas parlà l'harmonie attachée aux cordes de la lyre, où cpoai -roù-T»IVâp(*ovi'av d|v h t»î; yop&aiï


180 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEmais aussi et surtout l'harmonie harmonisante *, l'unitéde l'unité et de son contraire.Répan<strong>du</strong>e et ten<strong>du</strong>e à travers le monde, chaîne toutepuissante,autogène, causa sut, l'âme y dépose tout cequi est en elle, la mesure, le poids, le nombre, et constituepar là la permanence des.choses*. Elle contient ensoi les rapports féconds, les raisons actives dont lemonde est le développement et l'acte '. Enfin, comme ledisait Hippase, le pythagoricien acousmalique, elle estl'instrument intelligent <strong>du</strong> dieu qui a créé le monde :formule trop monothéiste pour être vraiment <strong>pythagoricienne</strong>,mais d'où nous retenons seulement ceci : c'estque l'âme est à la fois cause et élément inséparable <strong>du</strong>monde. L'âme, unité de l'unité et <strong>du</strong> multiple, expressionet principe de toute mesure, de tout rhythme, de touteharmonie, fait la vie de l'univers et en même temps lerhythme, la mesure, l'harmonie de la vie universelle.C'est de cette âme <strong>du</strong> monde que viennent les âmesparticulières des êtres vivants, chose que les pythagoriciensn'ont ni expliquée ni tenté d'expliquer, mais qu'ilsordo ordinam et ordo ordinahu. Enfin la forme scolastique est tantôtinformans, tantôt informata.1. S ton., I, p. 864 : Trjv ià S'iapé'povT» 6na>eoCv


DES PYTHAGORICIENS. 181affirmaient avec une conviction inébranlable : « AudiebamPythagoram Pytbagoreosque, dit Cicéron, nunquam<strong>du</strong>bitasse quin ex universa mente divina delibatos animoshaberemus 1 . » C'est la doctrine de l'émanation, implicitementenfermée dans tout le système, et qui secombine avec le principe de l'immanence. L'&me estdonc d'origine comme de substance divine.Nous rencontrons encore ici des confusions et descontradictions inextricables. Le sentiment de l'opposition<strong>du</strong> fini et de l'infini, de l'&me et <strong>du</strong> corps, de l'espritet de la matière se heurte contre le principe deleur unité. Après nous avoir dit que ni l'infini ni le finin'ont d'existence en dehors des êtres qui les concilientet les absorbent dans l'unité, voici que les pythagoriciensséparant absolument, au moins mentalement, lesdeux substances, nous disent que l'&me nous vient <strong>du</strong>dehors ' ; qu'elle est intro<strong>du</strong>ite dans le corps, on ne saitni par qui, ni comment, mais suivant les lois <strong>du</strong> nombreet la vertu d'une harmonie éternelle et incorporelle*.Cela revient à dire, j'imagine, d'une part, que c'est lenombre qui est principe d'indivi<strong>du</strong>ation, que c'est luiqui incorpore, incarne les principes rationnels, les rai-1. De Senect., il. Aristote rapporta cette doctrine aux Orphiques,dont on connaît les rapports avec,les pythagoriciens, de Anim., I, 5,n. 13 : • C'est encore ce que disent les traditions des poSmes Orphiques: l'âme est une partie <strong>du</strong> tout; elle quitte le tout, pour s'intro<strong>du</strong>iredans un corps, où elle est comme poussée par le vent de la respiration,Oui xûv àveurov àvairvtévTiev. •2. Stob., I, 190 : nuOayopae,.... Sûpafliv claxpivtoéai tiv voùv. Theodor.,Cur. Grxe. Aff., V, 28.3. Claud. Mam., de Stat. an., II, 7. Philol., Boeckh, p. 177 ; « Inditurcorpori per numerum et immortalem eamdemque incorporaient convenientiam.»


182 EXPOSITION DE-LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEsons idéales, et en fait autant d'indivi<strong>du</strong>s séparés 1 . Gomment?Parce qu'il aspire le vide, qui en s'intro<strong>du</strong>isant enlui développe et divise les êtres, et <strong>du</strong> sein de la monadeune, pro<strong>du</strong>it ainsi la pluralité des monades dontle monde est plein*.D'un autre côté c'est le nombre qui établit le rapportentre l'âme et le corps; ou plutôt l'âme, qui est le nombre,éprouve une inclination pour le corps qui est nombreaussi; et elle se porte naturellement vers lui : elleaime son corps, et d'autant plus que toute réalité étantsensible, toute connaissance étant une sensation, l'âmesans le corps ne pourrait user de ses sens, ni par conséquentconnaître'.Le <strong>du</strong>alisme est ici si marqué qu'on admet la séparationde l'âme et <strong>du</strong> corps opérée par la mort, et, aprèscette séparation, une forme d'existence pour l'âme, queClaud. Mamert appelle incorporelle : mot qui ne veutexprimer sans doute qu'une existence séparée de soncorps, mais non absolument immatérielle. Car c'estune conception de l'être que les pythagoriciens n'ontjamais eue.Tous les êtres qui croissent et pro<strong>du</strong>isent se divisenten trois grands règnes : le végétal, l'animal, l'animalraisonnable ou l'homme. Celui-ci, semblable à un nombresupérieur qui renferme tous les nombres inférieurs,Ï.PhUol., Boeckh, p. 141 : XcopoiTÛv TOù; Xéyou;.... xat axiÇwv x


DES PYTHAGORICIENS. 183renferme aussi tous les principes vitaux qui appartiennentà chacune des deux autres classes. Tout ce qui vitparticipe <strong>du</strong> feu ou de l'élément chaud: les plantessont des êtres vivants. Mais cet élément chaud n'est uneâme que dans les deux genres supérieurs : les plantesn'ont donc pas d'âme à proprement parler '.L'homme étant un microcosme qui réunit en luiles forces*les plus .basses comme les plus hautes de lanature*, a, comme tous les êtres destinés à se repro<strong>du</strong>ire,un appareil géniteur, qui contient la semence et a lavertu de la projeter pour engendrer. En outre il possèdeuneTaculté de développement interne, d'accroissementsurplace, et, pour ainsi dire, deradiflcation, &(&•>«< :c'est comme une force de vie végétative, qui se manifestedans les plantes et surtout par les fonctions de laracine. Chez l'homme le siège de cette fonction est lenombril : mais cette force n'est pas une âme.En outre l'homme a une âme véritable, laquellese divise en deux parties ou facultés-: l'âme inférieure,principe de la vie sensible, dont l'organe et le siège estle cœur; l'âme supérieure, dont le siège et l'organe estle cerveau, la tête, et qui prend le nom de Noue, la pensée,la raison*.1. Diog. L., vin, 28.2. Phot., Cod., 249.3. Pfo'Jol.,Boeckh,p. 159.Cic, Tusc, IV, 5:« Veterem illam equidemPythagorae primum, deinde Platonis descriptionem sequar : qui animumin <strong>du</strong>as partes divi<strong>du</strong>nt, altérant rationis participent faciunt,altérant expertem. • Plul., Plac. Phil , IV, /,. . Pythagore et Platon or.tdeux divisions de 1 Ame : l'une en deux parties, raisonnable et irraisonnahle;l'autre en trois, parce qu'ils subdivisent la partie irraisonnableen courage et désir. • Stobéc attribue cette triple division A Arésas dans«es Eclogx, 1,848, et à la <strong>pythagoricienne</strong> Tbéano, dans ses Sermones,


184 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUESi la raison est propre à l'homme, l'animal possède encommun avec lui l'âme et la vie, et comme cette âmeest dans l'un et dans l'autre une émanation ou parcellede l'âme universelle qui est divine, il en résulte quetons les êtres vivants sont liés les uns aux autres par leprincipe même de leur être, par le fond de leur nature.Les animaux sont parents de l'homme et l'homme estparent des dieux '. « Pythagore, Ëirypédocle et presquetous les philosophes de l'Ecole italique prétendent quenon-seulement les hommes ont entre eux et avec lesdieux, une sorte de communauté de nature, mais quecelte communauté existe entre eux et les êtres sansraison. Car une seule vie est en tous: elle pénètre lemonde entier où elle agit à la façon d'une âme, et c'estlà ce qui fait l'unité de ces êtres et de nous. Voilà pourquoiceux qui tuent les animaux et qui se nourrissentde leur chair, commettent un crime impie, parce qu'ilstuent des êtres qui leur sont unis par le sang. Aussi lesphilosophes dont nous parlons recommandent-ils des'abstenir d'une nourriture vivante et appellent impies< ceux qui rougissent l'autel des dieux bienheureux<strong>du</strong> sang chaud versé par leurs mains meurtrières 1 . »I, p. 9. Oiog. L., VTII, 30, sans doute d'après Alexandre Polyhistor, larepro<strong>du</strong>it également comme <strong>pythagoricienne</strong>; mais en ajoutant quela raison, Noûç, et le courage sont communs à l'homme et aux animaux,tandis que la pensée, ai «hpévec, est le privilège exclusif de l'humanité.1. Diog. L., VIII, 27 : 'AvOpaVrcoi: tîvai «pi; AEOùç ovYvevtiav.2. Sext. Emp.,adv. Phys., IX, 580 :"Ev yàp bnâpyetv mtùua fè 8iànavrée, TOû xôrruov îwjxov yUYÎjç; Tpéxov, T4 xai évoûv ripa: rtpèc Ixtîva.Senec., ep., 108 : • Pythagoras omnium inter omnia cognationemesse dicebat, et aliorum commercium in alias atque alias formastranseuntium. • Porphyr., F. P., 19 : navra va yivôuEva tpej/uya opo-


DES PYTHAGORICIENS. 185Cette identité essentielle <strong>du</strong> principe vivant n'empêchepas la variété des êtres et le renouvellement incessant desformes. Gomme des hdtes inconstants, les âmes viennenttouràtour habiter des demeures différentes etanimerd'autrescorps, qu'elles quittent successivement pour entreteniréternellement la variété des formes et le mouvementde la vie: variété ramenée Ji l'unité par l'identité <strong>du</strong> principequi fait de tous les êtres comme une chaîne circulaire,dont les anneaux sont tous <strong>du</strong> même métal vivant et tousliés entre eux. C'est ce qu'on appelle la'métempsycoseet qu'onauraitdû plutôt, comme l'a fait remarquer Olympiodore.appelermétensomatose * ; car ce n'est pas le corpsqui change d'âme, mais l'âme qui change de corps, etTonne peut pas dire que ce changement de corpssoit précisémentune renaissance,iracXiYYeve


186 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUECette théorie de la migration des âmes est attestéecomme <strong>pythagoricienne</strong> par toute l'antiquité; nous avonsvu Xénophane l'attribuer à Pythagore lui-même 4 ;Aristote l'appelle une fable <strong>pythagoricienne</strong> * ; et c'est trèsvraisemblablementaux pythagoriciens que fait allusionHérodote quand il dit : • D'après les opinions des prêtresÉgyptiens, les âmes des hommes, à un temps fixé,passent après la mort de l'un à l'autre*. C'est une doctrineque quelques Grecs dont je tais les noms, quoiqueje les connaisse, ont répan<strong>du</strong>e en la faisant passer pourune doctrine qni leur appartient en propre*. » Dans unfragment des Thrènes de Pindare repro<strong>du</strong>it par Platon*,on voit que le poète croit à ce retour de l'âme à la vie,âvîiîoï


DES PYTHAGORICIENS. 187ment? et alors y a-t-il eu un temps où cette incorporationn'avait pas encore commencée, ou y en aura-t-il unoù elle ne recommencera plus?A la première question Aristote répond : non; aucunprincipe rationnel, aucune loi ne préside à l'incorporationdes âmes*. L'âme indivi<strong>du</strong>elle ne diffère de l'âme universellequ'en quantité : elle en est une partie ; quandcette partie s'en détache, c'est par le mouvement de lavie et le jeu de la respiration que le phénomène se pro<strong>du</strong>it;il est donc fatalet fortuit : la première âme venue tombedans le premier corps venu 1 . Cependant cette opinion n'estpas sans contradiction ; d'abord Philolaûs ditquel'âme estliée au corps par la vertu <strong>du</strong> nombre et d'une convenanceréciproque; et il semble que la loi universelle et toutepuissantede l'ordre et de l'harmonie exclut de tous lesphénomènes <strong>du</strong> monde, les désordres <strong>du</strong> hasard. En outrePlaton nous donne comme enseignée dans les mystères,soit orphiques, soit pythagoriciens, la doctrine que l'âmeest dans le corps comme dans une prison*; et Cicéron''attribue expressément à Pylhagore*. Dans le Cratylecomme dans le Gorgias cette maxime, transformée encelle-ci : La vie présente est une mort, l'âme est dansle corps comme dans un tombeau, est rapportée « à uneespèce de mythologue fort habile de Sicile ou peut-êtred'Italie* : > désignation qui convient parfaitement àPhilolaûs, qui en serait alors l'auteur, comme l'affirmesaint Clément : c II est bon aussi de se rappeler le mot1. De An., I, 5, n. 13.2. De An., I, 3 : T9|v tuxoOoav yuxAv eUxi TV/AV ivSuea6at sapa.3. Plal., Phxdon., 62 b.4. Cic, Cal., 20. Athenag., Leg. p. Christ. 6, ta donne à Philolaûs.5. Gorg., 403 a : Nùv •Jiiuï; Té8v»u.ev. Cral.,400 d.


188 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEde Philolaùs qui dit : Les anciens théologiens et devinsattestent que c'est en punition de certaines fautes quel'âme est liée au corps, et y est ensevelie comme dansun tombeau 1 . > La vie ne serait donc alors qu'un châtiment,et la mort une délivrance, opinion qu'Athénéenous présente comme celle <strong>du</strong> pythagoricien Euxithée*.Mais si cette loi <strong>du</strong> démérite et <strong>du</strong> mérite fonde laresponsabilité morale et suppose même comme conditionnécessaire le libre arbitre, si elle remplace, dans la diversitéinfinie que présentent les indivi<strong>du</strong>s et les espèces,la loi froide de la beauté et de l'harmonie mathématiquespar la loi supérieure de l'ordre moral et de lajustice, par la notion <strong>du</strong> bien, elle n'en ruine pas moinsle fondement même <strong>du</strong> pythagorisme. Le monde neserait plus alors la beauté même, la vie réelle se changeraiten un supplice', et il faudrait élever les regardsvers un monde idéal, suprasensible, où son principe nelui permet pas de pénétrer. En tous cas, on ne pourraitvoirdans cette opinion qu'une contradiction qui lui en afait comprendre l'insuffisance, et lui fait pressentir unprincipe plus complet. Diogène', Pline' et Théodoret*affirment que la migration de l'âme s'étend même aurègne végétal; mais, sans être opposée au pythagorisme,1. Strom., III, p. 433. Cf. Phil., Boeckh, p. 181.2. Athen., IV, 175 c.3. En une vraie mort, s'il fallait en cioire S. Clément, Strom., m,p. 434 : «Heraclite n'appelle-t-il pas la mort une naissance?et Pythagoren'est-il pas d'accord avec Socrate, dans le Gorgias, quand il dit :' La vue que nous avons des choses pendant la veille est une mort;« celle que nous en avons en dormant, n'est que le sommeil. »4. Diog. L., VIII, 4.5. H. ff., XVIII, 12.6. Hxret., V, 29T.


DES PYTHAGORICIENS. 189cette doctrine semble appartenir plus spécialement àEmpédocle*.Il y a une plus grande difficulté encore à suspendre lemouvement de la vie générale en arrêtant les Ames pendantun temps quelconque, dans un séjour souterrain,pour y recevoir leur récompense ou y attendre leurcondamnation. Car, d'une part, si elles sont dérobées aumouvement général, le cercle fatal est brisé ; de l'autreentre ces diverses incorporations j l'Ame reste sans corps.A plus forte raison, si, à un moment donné, après unepurification opérée par une longue suite d'épreuvesqu'on appelle la vie et la mort alternées, elle <strong>mont</strong>e àl'Empyrée,. au plus haut point <strong>du</strong> ciel, pour y mener unevie incorporelle.Je n'hésite pas à croire que ce sont là des additions postérieuresqui attestent l'influence profonde de l'idéalismeplatonicien, et s'il fallait admettre que les anciens pythagoriciensles ont fait entrer dans leurs croyances, c'estune concession qu'ils auront faite aux idées religieusesde leur pays et de leur temps, sans s'inquiéter de lacontradiction qu'elles présentaient avec leurs principes.L'Ame est nombre, c'est-à-dire un composé, un mixte<strong>du</strong> fini et de l'infini; et ni le fini ni l'infini ne peuventexister en dehors de l'Être qui les réunit dans son unité.. Il n'y a qu'un monde, le monde de la nature, indissolublementmnià l'esprit. Une vie absolument incorporellede l'Ame est donc contradictoire aux données essentielles<strong>du</strong> pythagorisme, et tout ce qu'on peut accorder,c'est que l'Ame est formée d'un corps plus subtil, plusépuré, plus éthéré que celui auquel elle est unie sur la1. Empedocl., Sturx., 353, 466.


190 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEterre, et qu'elle peut s'en séparer pour vivre libre et affranchiede cette enveloppe grossière, à laquelle elle estattachée aujourd'hui. C'est ainsi qu'on devra interpréterce mot de vie incorporelle que nous trouvons dansPhilolaiis, si l'on ne veut pas y voir une contradictionchoquante 4 . La vie des dieux *, la vie immortelle, promiseà l'homme de bien, n'enferme pas nécessairementle <strong>du</strong>alisme absolu de la matière et de l'esprit.Nous avons vu que la lumière <strong>du</strong> feu central ne nousarrive pas directement: il en est de même de sachaleur et de sa substance. Il les communique d'abordau Soleil, et c'est de là qu'elles se distribuent à toute lanature pour y répandre la vie jusque dans ses épaisseset ténébreuses profondeurs*. Mais ce rayon vivifiant estobligé, pour arriver jusqu'à la terre, de traverser l'airépais et froid. La substance de l'âme en est pénétrée etalors elle présente dans sa composition un élémentéthéré, enflammé, et un élément épais et froid. Lespythagoriciens qui admettaient certainement l'immortalitéde l'âme', avaient fait mortel le principe de la vie1. Claud. Mam., de Stat. An., II, 7 : • Agit In mundo incorporalemvitam. » Phil., Boeckh, 177.2. Fers d'Or, 70.3. Diog. L., Vin, 27 : Aifpurv t' àitè toO •é.ltou àxTÏva 8ià voO atSépo;.... taÛTT)v Se àxtïva xal et; ta $ivir\ 80eo8at xal Sut toûto (uoicouïvtcdvto. .s4 Diog. L., VIII, 28. Cic, Tusc, I, 17 : « Primumque (Platonem)de animorum aeternilate noo solum sensisse idem quod Pythagoram. »Max. Tyr., Dise., XVI, 2 : « Pythagore a été le premier des Grecs quiait osé dire que le corps, il est vrai, mourra ; mais, qu'une foismort, l'âme s'envolera dans l'immortalité et jouira d'une vie sansvieillesse. > Alcméon (Arist., de An., 1,2) fondait l'immortalité del'âme sur le mouvement spontané et éternel dont elle est le principe :û; ait xivovpévrj.


DES PYTHAGORICIENS. 191commun aux plantes, aux animaux et à l'homme 1 . Nousn'avons aucun renseignement sur la manière dont lespythagoriciens expliquaient cette différence. Parce quel'une de ces âmes est raisonnable, l'autre irraisonnable,cela n'empêche pas qu'il n'y a entre elles qu'une différencede degrés et non d'essence, car elles ne sont et nepeuvent être l'une et l'autre que des parties <strong>du</strong> tout,comme le dit Aristote, nfyoç xoû SAOU. Il n'y a de différencequ'une différence de quantité, c'est-à-dire dénombre; etil est assez difficile d'expliquer la mortalité de l'une et 'l'immortalité de l'autre.Tout ce qui vit vient d'un germe : ce germe est luimêmeun composé, un mélange. L'un des éléments <strong>du</strong>mélange, corporel, matériel, fourni par la substance <strong>du</strong>cerveau, formera en se développant les nerfs, les os,les chairs qui recouvrent la charpente de l'être ; le secondest un élément éthéré, une vapeur chaude quiformera l'âme. Le germe dans son unité contient ensoi toutes les parties de l'organisme futur, qui se développerontharmonieusement : on peut donc dire qu'ilcontient tous les rapports, toutes les raisons de la vie 2 .Ce sont les raisons, les rapports, les nombres mêmes del'harmonie.L'âme irraisonnable est appelée par Plutarque leprincipe vital, et est localisée au cœur*. A en juger par le1. Plut., Plac. PM., IV, 7, 4 : Ta «Xoyov çftapvév. Theodor., Cur.Grxc. Aff., V, 123.2. Diog. L., VIII, 29 : "Ex« v iv éauTfji itàvTaç voùç Xoyovr, TT)« CwJi?,&>v ripo|uvuvauvéxcaâai aavà toùç àppiovtaç Xéyouç. Comme ces renseignementssont d'accord avec la doctrine, je ne vois pas de motif pourles exclure parce qu'ils émanent d'Alexandre Polyhistor.3. Plac. Phil., IV, 5, 13.


192 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEsiège qu'il lui donne, elle se confondrait avec l'âme dela sensation, que Philolaûs localise dans le même organe1 . Mais alors on ne comprend plus qu'elle soitirraisonnable, &OYOV, puisqu'elle sent, et pense par conséquent.Peut-être faut-il entendre par là non pas unprincipe dénué de toute participation à la pensée, maisseulement différent de la raison pure. Il semble que lesanciens pythagoriciens, moins que personne, étaientautorisés à exclure la sensation de la pensée, puisquela sensation, d'après Philolaûs, est la forme ou au moinsla condition nécessaire de toute connaissance, et quec'est par celte loi de la connaissance qu'ils expliquaientl'attachement de l'âme pour son corps : « quia sine eonon potest uti sensibus. »Quoique mortelle, l'âme vitale elle-même est invisible; cependant elle a besoin d'une nourriture qu'elletrouve dans le sang; semblable au corps qu'elle a animé,après la mort qui l'en sépare, elle flotte dans l'air en serapprochant de la terre '. C'est peut-être ce que veutdire le passage d'Aristote qui confond l'âme avec ces corpusculesqui flottent dans l'air 8 et dansent pour ainsidire dans un rayon de soleil. C'est pour cela que l'airest tout entier plein d'âmes, qui, sous les noms de démonset de héros, font la fonction d'intermédiaires entreles hommes et les dieux qui nous envoient par eux lessonges, les présages et nous font connaître les rites salutairesdes expiations*.Tout être est double. Non-seulement l'homme est1. 171*0'. Ârithm., 22. Philol., Boeckh, p. 159.fi. Diog. L., VIII, 30.3. De An., I, 2 : iv T6> àepi Eûapaïa.4. Diog. L., VIII, 30.


DES PYTHAGORICIENS. 193composé d'une âme et d'un corps ; mais l'âme ellemêmeest un composé de deux natures dissemblablesdont l'une est par rapport à l'autre comme le corps està l'âme, et qui toutes deux font cependant une seulechose harmonieusement composée, vérité qui n'a certespas échappé à Pythagore '.Pythagore et Platon, dit Plutarque *, pensent que lesâmes même des animaux sans raison, OWYWV, sont cependantraisonnables, Xoytxdî; ; mais elles n'agissent pastoujours rationnellement. Gela tient à deux causes:l'une est l'imperfection de leur corps ; l'autre, l'absence<strong>du</strong> langage articulé. Car les animaux ont une voix etcependant ils ne parlent pas*.L'homme seul, par la supériorité de son organisationphysique, par la faculté <strong>du</strong> langage, est capable de penseret de connaître. Considérée comme faculté de connaître,l'âme, d'après quelques-uns de nos renseignements,se divise en deux facultés, tandis que, suivantd'autres, elle reste indivise sous le nom de Noûç, et entout cas toujours localisée dans le cerveau.Ceux qui la divisent distinguent le Noù< ou intelligenceinstinctive, des «Dpivsç ou la pensée pure ; la premièreappartient à l'animal comme à l'homme ; ce dernier aseul en partage la raison, 4>p«vt« '. Cette classificationimparfaite, vague, n'annonce pas une analyse et uneobservation bien profondes des phénomènes psychologiques,et il semble qu'Aristote a eu raison de dire que1. Plut, de Virt. mor., c. 3, p. 441.2. Plac. Phil., V, 20.3. Plac. Phil., V, 20 : AaXoûri uèv yàp, où epiÇouii ce.4. Diog. L., VIII, 30. Plut., Plac. Phil., V, 20,4.Il — 13


194 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEPlaton est le premier qui ait distingué une connaissancerationnelle pure*. Il est évident que la distinction de lapensée et de l'instinct est tout autre chose. Nous serionsdisposés à croire que les pythagoriciens n'ont connud'autre forme de la pensée que la sensation. Philolaùs,tout en prétendant que le nombre est la loi de l'intelligibilitécomme de l'être, ne paraît reconnaître à l'âmed'autre faculté pour saisir le nombre que la sensation.L'essence des choses est un nombre ; l'âme est un nombre.• C'est ainsi que la connaissance est possible,parce que c'est uns loi de la nature que le semblableseul connaisse le semblable 1 . La connaissance n'est quece rapport des deux nombres de l'âme et de l'essence,<strong>du</strong> sujet et de l'objet: elle est donc elle-même un nombre: car elle est le lien et l'harmonie des choses connueset de l'être qui les connaît. On peut donc dire quele nombre est non-seulement la connaissance, c'est-àdirele fait même <strong>du</strong> rapport, mais qu'il en est la cause.Or Philolaùs qui expose cette théorie l'exprime en disantque le nombre mettant en harmonie l'âme et leschoses au moyen de la sensation, établit ce rapport qui1. Magn. MOT.3. PhiloL, Boeckh, p.62,47,681 navra TàYiYvu; xaloïToàv ipi8|io;.... PhiloL, Boeckh,p. 14b: 'A S'àlàtetaolxeîov xal


DES PYTHAGORICIENS. 195est la connaissance et la loi de la connaissance'. La sensationserait donc ou la forme unique ou la conditionnécessaire de toute connaissance, et cela s'accorde avecles principes <strong>du</strong> système, qui ne connaît d'autre réalitéqu'une réalité composée, et qui fait <strong>du</strong> nombre, même<strong>du</strong> nombre de l'âme, une grandeur éten<strong>du</strong>e.Cependant il parait certain que les pythagoriciens ontentrevu et signalé une forme supérieure de la connaissance.U y a une science parfaite, qui consiste dans laconnaissance de la nature et de l'essence éternelle deschoses et plus particulièrement de l'ordre parfait quirègne dans les phénomènes célestes. Mais cette sciencedépasse la connaissance de l'homme, et lui est interdite'. C'est ce qu'on peut appeler la sagesse, uoyi'a, quiest le privilège des dieux. Mais si l'homme la désire, s'ily aspire, et si ce désir fait de lui un ami de la sagesse,ou un philosophe, il ne la possède jamais ' dans sa perfectionabsolue ; sa science imparfaite se meut dans larégion <strong>du</strong> changement, <strong>du</strong> phénomène, <strong>du</strong> désordre, etl'effort courageux et pénible qu'il fait pour y atteindre1. Philol., Boeckh, p. 140: OUTOî xarràv i|«x° tv ippôÇoiv alaSqatinavrarvuirrâ xal itorâYopa àXXifiXoic. àitepyâ s «Tai. c ' est ainsi 1 ue t d'aprèsClaud. Mam., de Slat. an., Il, 7, Philolaûs aurait expliqué le penchantde l'âme à s'unir à un corps : parce que, sans ce corps, elle nepeut user de ses sens, non potest uti senribus.2. Philol., Boeckh, p.62 : Oùx xvOptoxïvav STOI'XSTM rcv •vvûo'iv.... U.,p. 95 : Kaî «epi t« teTavuiva tûv uctEÛpuv YÎﻫ


196 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEest sa vertu*. Mais ce désir et cette tendance, quoiqu'imparfaitementréalisés, supposent une notion quelconquede cette science supérieure et parfaite.Arislote nous apprend que les pythagoriciens identifiaientla raison pure au nombre 1, la science au nombre2 ; l'opinion au nombre 3 ; la sensation au nombre4 *. Philolaùs identifie la IKuttc, la conviction absolue,la certitude au nombre 10*. Il est difficile de nepas reconnaître ici une distinction non pas, il est vrai,des facultés de l'intelligence, mais des degrés et desformes de la connaissance. Sextus Empiricus nous autoriseraitmême, si ses renseignements étaient plusautorisés, à admettre une distinction de facultés. Lespythagoriciens, dit-il, ne se bornaient pas à dire, commeAnaxagore, que le critérium de la vérité est la raison;ils ajoutaient que c'est la raison mathématique, d'aprèsPhilolaùs. C'est elle seule qui est capable de connaître1. Phil., Boeckh, p. 95 : TTepl Si TàYtvôp.eva < rïj;àTaEîa( TÙvàpsTYjv....ixt\ri Si TivTïiv. Le parallèle établi par Philolaùs <strong>mont</strong>re que l'àprtin'est pas seulement l'activité morale, mais l'activité intellectuelle.2. De An., I, 2, 9. Ce passage, extrait par Aristote lui-même de seslivres sur la Philosophie, où il avait résumé les opinions de Platon etdes pythagoriciens (Fhilopon., in lib. de An., p. 2, Brand., p. 49),semble donner de l'autorité aux distinctions d'Arcbytas : Fragm. 5.Ilartenst. • Il y a deux facultés, suivant lui : la sensation et la raison.La raison est le principe de la science, ijcio-rrutri ; la sensation,le principe de l'opinion, SoÇa. L'une tire son acte des choses sensibles; l'autre des choses intelligibles. Les objets sensibles participent<strong>du</strong> mouvement et <strong>du</strong> changement; les objets intelligibles participentde l'immuabilité et de l'éternité. La raison voit l'être premier et leparadigme; la sensation voit l'image et l'être second. » Cependant lafin de ce fragment, visiblement copié sur la République, la précisiondes distinctions, m'inspirent, même sur le commencement qui en estpeut-êtie séparé, des doutes et des scrupules qui m'ont empêché dem'en servir.3. Phil., Boeckh, p. 140 : lit'orir, y« pr,'/ (*, Scsi;) xvkcÎTai


DES PYTHAGORICIENS. 197la nature de toutes choses, parce qu'elle a avec ellesune certaine affinité d'essence, rrovvmîotv «pà? «pûo-tv 1 . Toutressemble au nombre, comme le dit un vers célèbred'un îtpô; 16-(o


198 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEfait: ils s'arrêtent à la surface de l'objet à définir, etn'en pénètrent pas le fond. Le premier objet en qui setrouve la définition cherchée, est considéré par euxcomme l'essence de la chose: par exemple, dans lenombre 2 se trouve la notion <strong>du</strong> double, et cependant2 n'est pas l'essence ni la définition <strong>du</strong> double ; autrement2 et le double auraient une même essence, et uneseule et même chose en serait plusieurs : ce qui d'ailleursest la conséquence <strong>du</strong> système pythagoricien 1 .Dans le chapitre sixième dn même ouvrage, Aristotereconnaît que les recherches systématiques sur lesprincipes, la nature et la méthode de la connaissancen'ont guère commencé qu'avec Platon. « Ceux qui l'avaientprécédé, dit-il, ne se sont pas mêlés de dialectique*. Socrate fut le premier qui chercha à saisir, dansles choses de morale dont il s'occupait exclusivement,l'élément universel, xb x«8ôXou, et il arrêta sa pensée etses réflexions sur la définition 1 . Démocrile le physicieny avait à peine touché, et s'était borné à définir tantbien que mal le froid et le chaud. Avant lui les pythagoriciensavaient bien donné quelques définitions etcherché l'essence, le tt Int, de l'àpropos, <strong>du</strong> juste, <strong>du</strong>mariage : pour cela ils ramenaient les raisons d'être deschoses à des nombres *. »Cependant si Aristote ne considère pas, et avec raison,comme une vraie définition, cette ré<strong>du</strong>ction des idéesgénérales à des nombres, il nous apprend que les pytha-1. Arist., Met., I, 5.2. Met., I, 6 : Olvàp «porspoi SioO.exTixri; où |UTtîyov.'3. Met., XIII, 4 : 'OpiÇeerOai xaSoXov tnTOûvro; «pùtow.4. Met., XIII, 4.


DES PYTHAGORICIENS. 199goriciens ne s'en étaient pas tenus à ce procédé insuffisantet ohscur. Il cite <strong>du</strong> moins d'Archytas quelquesexemples de définitions qu'il pro<strong>du</strong>it lui-même commeparfaitement conformes à> sa théorie de» la définition.Par exemple Archytas a dit: Le calme est le repos del'air; la honace est le repos de la mer : définitions excellentespuisqu'elles portent sur l'ensemble de la matièreet de la forme 1 ; ces deux catégories auraient alors éténon-seulement distinguées par Archytas, mais leur concoursaurait été reconnu par lui nécessaire pour unedéfinition logique.Il ne faut pas trop s'en étonner: car aussi bien quePlaton, son ami, Archytas a dû profiter des progrèsqu'avait faits la dialectique entre les mains des Mégarienset des Éléates. Il a même toute une théorie psychologiquesur laquelle Platon n'a pas été sans influencemais qui se présente avec un mélange d'idées originalesqui nous font un devoir de l'exposer', en avertissanttoutefois le lecteur qu'elle a dû être personnelle à Archytaset peut-être étrangère à l'esprit <strong>du</strong> vieux pythagorisme.Comme Philolaûs, Archytas reconnaît l'existence nécessairede deux sortes de principes des choses. L'unrenferme la série des choses ordonnées et finies ; l'autrela série des choses sans ordre, sans mesure et sanslimite. Les choses de la première série sont susceptiblesd'être exprimées par le langage, et on peut en rendre1. Met., vm, 2.2. J'écarte, comme je l'ai déjà dit plus haut, la dernière partie <strong>du</strong>fragment et l'extrait d'Iamblique, qui continue celui de Stobêe, parceque c'est une repro<strong>du</strong>ction textuelle de la Rép., VI, 510. Cf. Hartenst.,Fr. 4, 5, 6. .^


2


DES PYTHAGORICIENS. 201tés de connaître à leurs objets propres, la supériorité dela raison se révèle en ceci : c'est qu'elle est juge et seulejuge de l'essence des choses soit intelligibles, soit sensibles.La vraie nature des choses, leur essence rationnelle,XôYOC, ne peut être saisie que par elle. Ainsi dansla géométrie, la physiologie, la politique, comme dans lamusique, il y a des effets qui se pro<strong>du</strong>isent dans la matièreet le mouvement, et qui sont perçus par les sens ;mais il y a aussi des rapports, des nombres, des proportions,des lois, c'est-à-dire des éléments purement rationnelsqui ne peuvent être aperçus que par la raison.La connaissance principale, fondamentale^ porte surl'essence, le TI l


808 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEdans la grandeur continue ' ; le troisième dans la grandeurdiscrète. La mesure dans le premier genre est la balance;dans le second,le pied,la règle, l'équerre* ; dansle troisième, le nombre. Or comme la sensation et la raisonsont deux facultés parallèles, il doit y avoir aussi dansla raison une mesure des choses : mais ici c'est la raisonelle-même qui sert de mesure : vdo« dpvA x*l (xfrpov*.Quelque imparfaite qu'ait été la théorie psychologiquedes pythagoriciens, quelque petite place qu'elle occupedans l'ensemble de leurs opinions, ce n'est pas une raisonpour que les pythagoriciens ne soient pas partisd'une observation psychologique. Il n'est pas possibleque ceux dont la prétention est de fonder une science,qui aspirent à connaître les choses, ne se posent pasd'une manière plus ou moins directe la question desavoir qu'est-ce que la science? qu'est-ce que penser?La <strong>philosophie</strong> est donc contrainte par sa nature et sonbut, de commencer par une analyse plus ou moinscomplète et méthodique de la pensée, de ses conditions,de ses principes, de ses lois.En ne considérant même le philosophe que dans l'objetqu'il se propose de connaître, qui est l'être, commentpourrait-il éviter d'étudier son propre être, dontla manifestation la plus évidente est la pensée. Aussisous cette <strong>philosophie</strong> de la nature, qui est la première1. Simpl., in Categ., f. 32.2. C'est ainsi que j'entends <strong>du</strong> moins les mots orieua ipOayuvia.Hart., p. 22, fr. 5.3. Fr. 5. Le reste <strong>du</strong> fragment définit, comme Platon, quatre formesde la connaissance, suivant les quatre objets : 1° les idées; 2* les accidentsnécessaires des idées ; 3* les choses sensibles qui participentdes idées; 4° les choses qui offrent de la résistance.


DES PYTHAGORICIENS. 203forme de la science, se cache une <strong>philosophie</strong> de lapensée, qui, à son insu peut-être, l'inspire et la gouverne.N'est-ce pas une doctrine psychologique que leprincipe, que le semblable est connu par le semblable ?Et n'est-ce pas de là que dérivent logiquement toutesles propositions de l'ancienne <strong>philosophie</strong> de la nature ?La connaissance n'est qu'un rapport : c'est-à-dire unnombre. Donc l'être ne peut être qu'un rapport, c'est-àdireun nombre. D'un autre côté la connaissance estsensation ; la sensation n'est possible que par le corps ;donc l'être et le nombre, l'objet comme le sujet est untout concret où le fini et l'infini, la matière et la formesont en rapport, sont le rapport même. Donc sans donnerà leur conception ni la forme ni le caractère d'unepsychologie, il est vraisemblable que c'est d'une donnéepsychologique, d'une opinion sur le fond de notre vraienature, qui est intime à elle-même, qu'est sorti le pythagorisme.A l'étude de la pensée se joint naturellement celle <strong>du</strong>langage, sur lequel les pythagoriciens avaient aussi portéquelque attention. Mais il ne nous a été transmis sur cesujet que quelques maximes générales qui ne nous disentrien de bien précis ni de bien profond. Iamblique,parmi les objets d'études proposés aux membres acousmatiquesdé l'ordre, nous cite cette question: « Qu'estcequ'il y a de plus sage au monde? Le nombre, et ensecond lieu ce qui donne les noms aux choses*. » Je1. Y. P. 82 : Ta TOT; irpdYl«Kn ôvôpsva Ti6i(Uvov. Au § 56, il avaitdéjà dit : • Le plus sage de tous les Sires est celui qui a amené à l'ordrela voix humaine, en un mot celui qui a inventé le langage, eéptrnvTûV ovopctTuv, et ce fut ou un dieu ou un homme divin. » C'est cette


204 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEn'oserais risquer, dit M. Max-Muller, une explicationde ce que Pythagore entendait par là* ; la phrase n'estpas en effet des plus claires : il me semble qu'elle signifieque dans la science, la chose la plus importante est lenombre, c'est-à-dire la pensée même ; et en second lieula faculté de donner une forme sensible à la pensée parle langage. C'est cette double faculté, « vis ralionis etorationis, » qui élève l'homme au-dessus des animaux.On peut admettre, sur la foi d'une autre citation d'Iambliqueque nous trouvons déjà dans Cicéron, que lespythagoriciens croyaient à l'origine humaine <strong>du</strong> langage.Mais sauf ces indications très-générales, nous neconnaissons rien des recherches qu'ils ont pu faire surce sujet, si tant est qu'ils en aient fait *.Le semblable ne peut être connu que par le semblable:c'est le nombre de l'âme qui connaît le nombre deschoses. Ce nombre de l'âme-n'est qu'une partie <strong>du</strong> nombre<strong>du</strong> tout : il y a donc entre eux une simple différencede quantité et par conséquent parenté, affinité denature, ov/Ytvsta «fie fûatv. Mais ce nombre <strong>du</strong> tout estl'élément divin <strong>du</strong> monde. Donc en étudiant la nature,et particulièrement les phénomènes célestes, nous nousinitions à la notion de l'ordre et de l'harmonie absolus,par l'harmonie et l'ordre qui y éclatent partout; nouspouvons connaître l'essence et les œuvres vraiment dimêmepensée que nous retrouvons dans Cicéron, Turc, I, 25 : > Quiprimus, quod summae sapientiœ visum est, omnibus rébus imposuilnomma. » Cf. jElien, H. V., IV, 17. Procl., t'n Crat., c. 16. Clem.Alex., Exe. e Script. Tlteod., c. 32, p. 805 d. Sylb.1. Leçont sur la science <strong>du</strong> fana., t. II, p. 11.2. Heraclite,au contraire, parait l'avoir étudié avec un soin curieux.V. Zeller, t. I, p. 456.


DES PYTHAGORICIENS. 205vines <strong>du</strong> nombre qui fait tout, et "tout parfaitement 1 ?Hais atteindre à cette science parfaite de la perfectionest impossible à l'homme, et réservé aux dieux seuls :s'en approcher le plus qu'il lui est possible, et par làse rapprocher des dieux 1 , devenir meilleur et plusparfait, voilà où doit tendre sa science et sa sagesse,et c'est en cela que consiste sa vertu *.Tout imparfaite qu'elle est, et quoique circonscritedans la région des phénomènes qui changent et quipassent, la vertu a son prix : car elle aussi est une harmonie> comme la santé et comme le bien *, elle estl'harmonie des principes contraires qui le disputentl'esprit et le cœur de l'homme. Oieu a mis dans la naturel'harmonie : c'est à l'homme qu'il est réservé de lamettre dans le monde moral, c'est-à-dire dans la viedomestique, comme dans la vie sociale ou politique'.Cette harmonie est d'abord celle de la partie irrationnelleet de la partie rationnelle de l'âme : l'élémentrationnel doit toujours dominer. Le premier effet decette harmonie est la tempérance ; car l'amour <strong>du</strong> plaisir,la volupté, la licence de la partie irrationnelle estla source de l'anarchie dans l'âme et dans l'état, la causede tous les maux pour les cités comme pour les particuliers.Elle affaiblit la faculté qui nous permet d'arriverà la sagesse, et si l'on n'arrêtait pas ses violenceset ses mouvements tumultueux et turbulents, elle fini-1. Phil., Boeckb, p. 139 : 6ieaptïv Se là ipyx xai xàv iaci'av Tûàpiôpui TtayTtXrK *«> itavroepYÔ;.2. Plut., deSuperst., c. 9 et de Defecl. orac., c 7.' 3. PAtiot., Boeckh, p. 95.4. Diog. L., VIII, 33 : TIQV X' àpttriv àppovlav.5. Ocellus Lucanus, ftig.de Legg. Stob., Ed., I, p. 33.'


206 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUErait par l'anéantir complètement, et nous Oterait, avecla science, la félicité qui en est la suite 1 .Ces vices sont les actes où nous porte la violence <strong>du</strong>désir : le désir est un mouvement de l'âme, multiformeet mobile, pénible en soi, qui la porte ou à se remplirou à se vider de certaines sensations. Il est des désirsnaturels, et il en est d'acquis ; il est des désirsinnocents, et des désirs coupables. Les désirs coupablessont: l'indécence, dav6p


DES PYTHAGORICIENS. 207s'adapte peu à peu à ces nombres et, pour ainsi dire,vibre avec eux ; puis elle a conscience de l'harmoniequi s'établit entre les diverses parties d'elle-même ;enfin elle se sent touchée, vaincue, convertie '.L'é<strong>du</strong>cation de la jeunesse, d'après Pythagore, doit sepratiquer en lui exposant de bulles formes, de bellesfigures, en lui faisant entendre de beaux chants et debeaux rhythmes. C'est par le charme pénétrant et délicieuxde la musique particulièrement qu'on met l'harmonieet le rbythtne dans les mœurs, dans l'âme et dansla vie 2 ; elle apaise la colère, éteint les ardeurs de lavolupté et calme même les folles fureurs de l'ivresse*.Toute musique est bonne : il est cependant des instrumentspréférables à d'autres. Quoique beaucoup depythagoriciens aient pratiqué l'aulétique, et parmi euxPhilolaûs, Euphranor et Àrchytas, dont les deux derniersavaient laissé des traités écrits, OûYY(XXU.U.«, sur les flûtes \ils n'en recommandaient pas volontiers l'usage: carc'est un instrument passionné, bachique, voluptueux,instrument bon pour les foules, et qui n'a rien de nobleet de digne, oooav fttuOfptov 6 .Pour apaiser l'élément brutalde notre âme, il faut employer de préférence la1. Porphyr., 30, 32, 33. Iambl., 110, 114, 164. Plut.,de Md.,c.8l.Quintil., I, 8, et IX,4. Schol.Hom., il., XV, v. 391 : 'Hti; xaXoupfv»)xâsapat;.2. Iambl., 111 : Ai'&v tùspalvisBat xai iup.t>eï; xai tûpuSpiot.3. Id., 111, 112, 163, 195, 224. Strab.; I, 2, 3; X, 3, 10. Cic, Tutc,IV, 2. Senec, de Ira, III, 9 : • Pytbagoras perturbationes animi lyracomponebat. « Sext. Empir., VI, 8. On connaît l'anecdote <strong>du</strong> jeunehomme ivre, que Pythagore rappelle à la raison par la musique. JEL,H. F., XIV, 23, rapporte le fait a Clinias; et le scholiaste d'Hermogène,p. 383, à Empédocle.4. Athen., IV, 184.5. Iambl., 111.


S08EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUElyre, instrument d'Apollon et dont le caractère estcalme, mesuré, grave, solennel. Mais surtout il faut yunir la voix humaine, quelques passages des poèmesd'Homère et d'Hésiode, ou des Pœans de Thalètas, enchoisissant certains rhythmes graves, tels que le spondaïque'.L'homme est un être essentiellement é<strong>du</strong>cable : à tousles âges il doit être soumis à une é<strong>du</strong>cation et à unediscipline propres. L'enfant étudiera les lettres et lessciences; le jeune homme s'exercera dans la connaissancedes institutions et des lois de son pays ; l'hommemûr s'appliquera à l'action et aux services publics. Levieillard jugera, conseillera, méditera 1 . Tous apprendrontpar cette discipline réglée de la vie qu'en touteschoses l'ordre et la mesure sont quelque chose de beanet d'avantageux, le désordre et l'absence de mesure,quelque chose de honteux et de funeste*. Il ne faut paschasser le plaisir de la vie ; mais il faut en chasser leplaisir vulgaire, et n'admettre que le plaisir qui vient àla suite de ce qui est juste et beau 4 .La Justice qui est le nombre également égal, et équivautà la parfaite réciprocité, est la mère et la nourricede toutes les vertus. Sans elle l'homme ne peut êtreni sage, ni courageux, ni éclairé. La Justice est l'harmonie,la paix de l'âme tout entière, accompagnée dela beauté et de la grâce 5 .1. Porph.,32. Iambl., 114.2. Aristox., ubi supra.3. Aristcx. Stob., Serm., XLIII, 49.4. Stob., Floril., IX, 54. Porphyr., 38,39.5. Stob., Floril., IX, 54 : Eipâva ta; 6Xa; yvX"< pc?' EÙpuOpia,-,maxime <strong>du</strong> pythagoricien Polus.


DES PYTHAGORICIENS. 209La gymnastique et la danse qui n'est que l'harmoniedans les mouvements <strong>du</strong> corps utiles à la santé ne sontpas inutiles à l'âme, ce sont des exercices qui complètentnécessairement le système de celte é<strong>du</strong>cationprofondément grecque qui demande qu'à un corps defer soit unie une âme d'or et que la force soit relevée dela grâce et de la beauté 1 . L'homme doit faire tous sesefforts pour atteindre à la vertu et au bonheur: mais ilne doit pas uniquement compter sur lui-même. La fortune,le hasard joue un rôle dans la vie humaine ; maishâtons-nous de dire qu'il y a dans le hasard lui-mêmeun élément divin. C'est comme un souffle d'en haut quivient des dieux aux hommes, et pousse les uns au bien,les autres au mal 1 . L'homme n'est pas entièrementmaître et libre de sa volonté et de ses déterminations:il se sent entraîné par des raisons plus fortes que saraison'. Les songes, les symptômes de la maladie, lesprésages, les bruits de la nature sont des signes, desavertissements qui tombent de la douche des dieux : cesont des voix divines *.L'homme est en effet placé sous la puissance, et aussisous la protection et la providence des dieux. Dieu estnon-seulement le maître et le guide de la nature ; il estle guide et le maître de l'humanité. L'homme nes'appartient pas à lui-même: il appartient à Dieu 5 .1. Porph., 32. Iambl., 111, 97. Strab.,VI, 1, 12. Justin., XX, 4.2. Aristox. Stob., I, 206 : Ilepi Si tûxiî T « 4' £?*


210 EXPOSITION DE LA DOCTRINE PHILOSOPHIQUEToute vertu, toute morale peut se ramener à ce précepte: Suis Dieu, c'est-à-dire, efforce-toi de lui ressembler*.Quoique le caractère religieux et moral <strong>du</strong> pythagorismesoit incontestable, on ne peut cependant pasdire qu'il ait fondé une science de la morale, uneéthique. On doit en croire Aristote qui nous dit: «Pylhagoreest le premier qui ait entrepris de traiter de 1»vertu. Hais il n'a pas réussi. Car en ramenant les vertusà des nombres, il n'a pas su en donner une véritablethéorie, oùx ohultn T5V «tpcrûv r^v Otupien txoifîto *. » La moralepour les pythagoriciens se confond avec la religion,et la religion a deux parties : l'une toute théorique, lascience de la nature ramenée à la science des nombres ;l'autre toute pratique ramenée à des œuvres et à des rites.La vie morale a pour but de délivrer l'àme des attachesgrossières qui l'enchaînent au corps par sa partie inférieure,et de la mettre dans un état de liberté où ellene connaît plus d'autre loi, d'autre chaîne, que celle dela pensée et de l'action*.Comme science, la morale est donc fondée sur la physique.Le bien et le mal sont le huitième membre desdix couples de contraires d'où dérivent toutes choses'.Le mal se rattache à la notion de l'infini, le bien à celle<strong>du</strong> fini*. Le bien est inhérent, immanent aux choses,(mâpx" : l'impair, le droit, les puissances de certains1. Voir II* partie.2. Magn. Moral., 1, 1, p. 1182 a.3. Diog- L., VIII, 31 : At


DES PYTHAGORICIENS. . 211nombres appartiennent à la série <strong>du</strong> beau 1 , l'unité estplacée dans celle <strong>du</strong> bien 1 . Ce n'est pas à dire que lespythagoriciens aient confon<strong>du</strong> l'idée de l'unité avec celle<strong>du</strong> bien. L'idée <strong>du</strong> bien ne joue pas un grand rôlechez eux : il n'y est pas principe. Le principe des choses,comme nous pouvons nous en assurer dans les plantes etles animaux, est dans un germe qui contient seulementà l'état enveloppé la perfection et la beauté qu'ils réalisentdans le développement*.il semble qu'Âristote dans le passage qui nous occupea voulu dire que les pythagoriciens, tout occupés dessciences mathématiques, n'ont pas pour cela exclu deleur doctrine la notion <strong>du</strong> beau : car, dit-il, c'est uneerreur de croire * que ces sciences n'ont aucune relationavec les fins qui intéressent l'homme. Les mathématiquess'occupent peu <strong>du</strong> bien, parce qu'il réside dansune action et implique un mouvement ; mais il n'en estpas de même <strong>du</strong> beau qui, en partie au moins, s'appliqueà des.ch.oses sans mouvement. Les sciences mathématiquesont pour objet les formes générales de laquantité ; car rien n'est susceptible d'unité et de mesureque la quantité : c'est à la quantité qu'appartientl'opposition <strong>du</strong> fini et de l'infini, <strong>du</strong> parfait et de l'imparfait*.Elles ont ainsi pour objet des essences idéales,sans matière, que la définition constitue dans l'ordre1. Arist., Met., XIV, 6 : Tïjç owcoixis? xOO xaXoù.2. Ethic.Nic., I, 4: TiSèm; iv xrj tâ>t à-faôùv aucrxoixîa xè ïv.3. Aristot., Met., XII, 7; XIV, 4 et les citations delà thèse deM. Ravaisson sur Speusippe, III, p. 7, 8 et 9.4. On croit que c'est Aristippe qu'il désigne sans le nommer.5. Phyt., 1,1.


212 EXPOSITION DE LA D0CTH1NE PHILOSOPHIQUElogique, et que l'art indivi<strong>du</strong>alise et réalise' dans l'ordreesthétique.De plus les sciences mathématiques ont leurs raisonsdernières et leur racine dans l'arithmétique qui est lascience des nombres : or les nombres ne sont que desrapports. La géométrie, à son tour, n'est que le nombre,c'est-à-dire le rapport des grandeurs éten<strong>du</strong>es. Toutesles deux font partout apparatlre l'ordre, la symétrie, ledéterminé, *ô 6pi


DES PYTHAGORICIENS. 213vrira plus lard un élément esthétique, est encore pourles pythagoriciens d'ordre purement éthique. Les harmoniespuriticatives ne font pas naître ce plaisir quirend l'âme légère, ce repos délicieux, cette joie sereineet pure, oh Aristotea trouvé, par une observation admirablede profondeur, le caractère propre de l'impressionesthétique 1 : l'art suivant les pythagoriciens a un effet exclusivementou hygiénique ou moral.Ce n'est pas que l'idée <strong>du</strong> beau, si elle se confondavec celle de l'ordre, de l'harmonie, de la proportion,soit absente de la conception <strong>pythagoricienne</strong> ; au contraireelle l'inspire tout entière ; mais elle est uniquementappliquée à leur conception mathématique etmétaphysique de la nature. A moins d'admettre la conjecturegratuite que la morale et l'esthétique <strong>pythagoricienne</strong>sse soient per<strong>du</strong>es avec les ouvrages qui les contenaient,nous sommes obligés de terminer notre longueanalyse par la proposition même qui l'a commencée: la <strong>philosophie</strong> <strong>pythagoricienne</strong> n'est qu'une physique.Ajoutons cependant avec Aristote que les principes despythagoriciens vont plus haut et plus loin que leur système: la profonde pensée que tout est ordre, proportion,mesure, beauté, deviendra facilement le germe degrandes doctrines, car la notion de l'ordre ne convientpas moins au bien qu'au beau et au vrai.1. Arist., Port., XIV : Oixeïa 1fi


QUATRIÈME PARTIEHISTOIREPour comprendre complètement et sainement apprécierune école de <strong>philosophie</strong>, il est important, il estindispensable de connaître son histoire. C'est en retrouvantce qui a survécu d'un système, ce qui en vit encoredans Tes autres doctrines, qu'on peut déterminer la partde vérités qu'il a apportées à la science et la mesure desservices qu'il lui a ren<strong>du</strong>s. Le temps laisse tomber peuà peu les erreurs, et ne conserve, en les modifiant et enles développant, que les germes sains et féconds. La <strong>du</strong>réeest la vraie marque de la grandeur des systèmesde <strong>philosophie</strong>, parce qu'elle est la mesure de leur vérité.A un autre point de vue l'histoire des influences d'unedoctrine est nécessaire à une appréciation impartiale etjuste. On n'estime à leur vraie valeur que les choses donon a pu connaître les effets et les conséquences soit


216 HISTOIRE.pratiques, soit théoriques. On commence à mieux respecterle gland lorsqu'on sait qu'il contient un chêne, etpour apprécier dans leurs principes obscurs et leurs germesimparfaitsles idées philosophiques, pour les pénétrerd'un clair regard, et les juger avec ce respect qu'ellesméritent, il faut avoir sous les yeux la série souventlongue des développements qu'elles ont eus.Il importera donc non-seulement de suivre l'histoirede la <strong>philosophie</strong> <strong>pythagoricienne</strong> dans l'enceinte del'école qui l'a professée, il nous faudra encore, il noustaudra surtout en rechercher les traces à travers les autressystèmes, qui s'en approprient les principes pourles développer et les modifier. Nous n'avons pas la prétention,ni, Dieu merci, l'obligation de faire sous ceprétexte l'exposition des systèmes de la <strong>philosophie</strong>entière: nous nous bornerons à relever dans les plusconsidérables d'entre eux, l'élément pythagoricien quenous aurons cru y découvrir.Il faut toutefois se mettre en garde contre un dangerque le 'tableau des développements historiques' peutfaire naître. En voyant un système ou quelques-unsdes principes qui le caractérisent, adoptés par les espritspostérieurs et les <strong>philosophie</strong>s qui lui succèdent,on peut être la <strong>du</strong>pe d'une illusion d'optique. C'est dereporter au compte de celui qui les a le premier intro<strong>du</strong>itsdans la science, l'honneur de tous les développements,et de la signification dernière qu'ils ont reçusdes esprits et des siècles différents. Or c'est là unefausse représentation contre laquelle on doit se prémunir,parce qu'elle pousse à un jugement inexact deshommes et à une vue infidèle des choses. N'esl-il pasaûL^r--


HISTOIRE. 217évident qu'une suite d'interprétations, de développements,d'épurations, peuvent faire pénétrer dans unethéorie philosophique un tel nombre d'éléments nouveauxqu'elle en soit, pour ainsi dire, dénaturée; et sansaller jusqu'à cette altération profonde, où la notion primitivene serait plus reconnaissante, n'est-il pas certainque dans le cours de l'histoire de la <strong>philosophie</strong> lesmêmes mots ne représentent pas toujours exactementtes mêmes choses, et que les idées n'ont pas toujoursexactement dans les époques diverses et les divers systèmesni la même compréhension ni la même extension ?Or ce n'est pas de la générosité, comme on le dit,d'attribuer ainsi à un seul, le résultat <strong>du</strong> travail de tantd'esprits et de tant de générations : c'est véritablementune injustice ; car c'est ravir, au profit d'un privilégié,une gloire commune à plusieurs. De plus c'est unefausse représentation historique : car c'est confondreles temps, et donner une idée inexacte de la vraie valeurdes indivi<strong>du</strong>s. Il me semble dangereux d'attribuerà un philosophe les conclusions les plus nécessaires, lesinterprétations les plus logiques de ses doctrines, quandil ne les a pas formulées ainsi lui-même, et lorsquenous ne devons qu'à d'autres ces interprétations. Si l'oncroit que c'est leur faire tort de leur appliquer une mesuresi précise et si exacte, remarquons que c'est aussiles protéger contre d'injustes récriminations. Un philosophene doit répondre que de ce qu'il a dit et pensélui-même : et c'est assez. Spinoza peut avoir tiré lepanthéisme des principes cartésiens, et on a cherché etpresque réussi à <strong>mont</strong>rer la filiation nécessaire desidées : cela n'empêche pas qu'il est inexact d'appeler


218 HISTOIRE.Descartes un panthéiste, et qu'on ne doit lui imputer nià honneur ni à crime le système de Spinoza. Aprèsavoir brièvement indiqué et l'utilité et le danger queprésente l'histoire des systèmes, je passe immédiatementà mon objet.L'influence des idées <strong>pythagoricienne</strong>s ne fut paslongue à s'établir, mais elle s'exerça dans une éten<strong>du</strong>ede pays assez circonscrite. Les premiers philosophesqui la reçoivent appartiennent, comme Pythagore, àl'Italie méridionale et à la Sicile, et ils sont souvent euxmêmesdésignés comme pythagoriciens. De ce nombreest d'abord Alcméon de Crolone, contemporain de Pythagore,peut-être son disciple; <strong>du</strong> moins il put l'être,parce qu'il était plus jeune. C'était un médecin qui, àses études anatotniques, physiologiques, astronomiquesjoignait l'amour de la <strong>philosophie</strong>. Il admit, comme Pythagore,la doctrine des contraires comme élémentsdes choses, mais sans essayer de les ramener ni à uneclassification systématique, ni à un nombre déterminé.Il les prenait au hasard, composant les choses de blancet de noir, d'amer et de doux, de bien et de mal, degrand et de petit '. Il enseignait l'immortalité de l'âmeet la dé<strong>mont</strong>rait ainsi : Le mouvement éternel est lamarque de l'être immortel. La lune, le soleil et tous lesastres se meuvent, et leur mouvement est éternel parcequ'il est circulaire, c'est-à-dire que la fin d'un mouvementest le commencement d'un autre, et qu'à la fin <strong>du</strong>mouvement le corps se retrouve au point où il l'a com-1. Aristot., Met., 1,5.


HISTOIRE. 219mencé '. Les astres sont donc animés, vivants, divins :ce sont les dieux mêmes '. Ils sont immortels. L'hommeau contraire meurt parce que le mouvement qui faitsa vie physique s'arrête, et que la fin de ces mouvementsne retombe pas au point où ils ont commencé.L'homme ne joint pas la fin au commencement : il estmortel. L'âme échappe à la destruction, précisémentparce qu'elle a la faculté contraire, qui lui donne unmouvement éternel et par conséquent une existenceéternelle.L'âme a deux facultés de connaissance. 1° La sensation,2° la raison et la conscience. C'est par la différencede leurs facultés de connaître que se distinguent les espècesdes êtres animés : l'homme seul comprend, Çwîr,oi;l'animal a la sensation, et non l'intelligence ' ; maisl'intelligence humaine est imparfaite : elle ne sait pas,elle conjecture. La science sûre et infaillible n'appartientqu'aux dieux '. La vie humaine se meut entre les contraires; le juste équilibre de ces contraires pro<strong>du</strong>it lasanté; la maladie arrive quand il est détruit '. C'est danscette dernière proposition qu'apparaît une faible lueurde l'idée d'harmonie, fondement de la doctrine <strong>pythagoricienne</strong>.La notion <strong>du</strong> nombre et de l'ordre ne se <strong>mont</strong>repas dansAlcméon, qui aurait alors emprunté <strong>du</strong> pythagorismeplutôt le contenu et les conséquences que1. Arist., de Anim., 1,2. Probl., XVII, 3. Cic, de Nat. D.. I, M.Diog. L , VIII, 83.2. Clem. Alex., Cohort., a 44.3. Theoph., deSen*.,c. 25.4. Diog. t., VIII, 83.5. Plut., Plac, V, 30. (Çr. Stob., Serm., 100, 25; 101, 2). Ti)cpèv OYI«(O< «T»ott OW«XTIX


230 HISTOIRE.les principes supérieur* et métaphysiques. Cependant,la théorie des contraires comme principes des choses,la divinité des astres, l'immortalité de l'âme, la distinctionde la sensation et de la raison, la notion d'unescience et absolue et parfaite, inaccessible à l'homme,et d'une connaissance inférieure, faillible et troublée,qui est le lot de l'humanité, toutes ces idées qu'il partageavec les pythagoriciens, autorisent à le rapprocherde cette école, si l'on ne veut pas admettre qu'il en aitfait partie.HippasusdeMétaponteest également appelé un pythagoricien,mais c'est un pythagoricien dissident, le chefdes Âcousmatiques *. Il tient le feu pour là matière primitiveet le principe d'où tout se forme : de ce feu, quiest la divinité même, dérivent toutes les choses par lesforces contraires de dilatation et de concentration. Lemonde est limité, doué d'un mouvement éternel, soumisà des révolutions et à des transformations périodiques.Le temps fini appartient à la sphère <strong>du</strong> monde oùse pro<strong>du</strong>it le changement. Gomme on le voit, Hippasusappartient autant à l'école ou à la tendance d'Heraclitequ'à celle de Pythagore.Tout en raillant le savoir pédantesque de celui-ci,Heraclite lui-même a mis à profit le principe que leschoses naissent de contraires conciliés et unis par l'harmonie.Le feu divin, élément vivant et intelligent, dontla chaleur invisible donne la vie et la mort à touteschoses, qui contient les raisons universelles et divines,le feu, dont notre âme n'est qu'une étincelle entretenue1. lambl., V. P., 81 ; Syrian., ad «Vil,XIII, 6. Scholl. ÂrisU., Br.,1838, p. 304, 4; 313, 4.


HISTOIRE. 221par le souffle de la respiration qui nous met eu rapportavec lui, est évidemment le feu central de Pythagore.Gomme dans la doctrine de ce dernier, la contradictiontWvriôVnc, est la racine de tout être, ou plutôt de toutphénomène ; car pour Heraclite l'être, qui se pro<strong>du</strong>itpar la réunion et la séparation, est purement phénoménal'.C'est à Anaxagore et à l'alomisme ionien que se rattacheun autre pythagoricien, Ecphantus de Syracuse,parce qu'il fait principes des choses le vide et des corpusculesindivisibles : il conçoit les monades commecorporelles, et ces atomes, dont il forme le monde,sont primitifs : Ecphantus ne les fait pas dériver del'Un.Néanmoins le monde est un ; il est gouverné par uneprovidence. Les êtres premiers sont des corps indivisiblesdoués de trois propriétés : la grandeur, la forme,1. La tendance d'Heraclite est d'ailleurs tout ce qu'il y a de plusopposé i l'esprit <strong>du</strong> pythagorisme. L'un voit dans les choses l'ordre,l'unité, l'harmonie, le nombre immuable et immobile; l'autre voit partoutla multiplicité infinie, le changement et le mouvement incessants,la contradiction absolue. L'être se pose pour l'un dansla conciliation, lerapport des contraires; pour l'autre, il se perd et s'évanouit incessamment,dans le passage sans repos et sans fin d'un contraire h l'autre.Fragm. d'Héracl., 37 (46) : £uvaq


222 HISTOIRE.l'éten<strong>du</strong>e. De ces corps sont formés les êtres sensiblesles atomes forment une multitude déterminée et infinie: d>pts|xfvov xal dtireipov*. Ils se meuvent; leur mouvementn'est pas l'effet d'une force mécanique, la pesanteurou le choc : c'est l'effet d'une puissance divine quiest l'âme et la raison, Noîvxaî dmyjîv. Cette puissance uneet unique a donné au monde la forme sphérique ; laTerre, placée au milieu <strong>du</strong> monde, se meut autour deson centre d'un mouvement dirigé de l'ouest à l'est *.Le poëte Épicharme, physicien, moraliste et médecin,compté parmi les précurseurs de la théorie des Idéi splatoniciennes, se rattache plus directement aux pythagoriciens.Epicharme le Comique, dit Plutarque, appartient àl'ancien temps, et avait fait partie de l'école <strong>pythagoricienne</strong>1 . C'était, au dire d'Iamblique, un des disciples <strong>du</strong>dehors,TMV tf-">9ev,et il ne faisait pas partie de l'institutmôme. Arrivé à Syracuse', la tyrannie d'Hiéron l'empêchade professer publiquement la <strong>philosophie</strong> ; mais ilmit en vers la pensée de son maître, et, en la dissimulantous la forme d'un amusement, il en exposa1. Peut-être le sens est que les atomes, déterminés en grandeur,figure, éten<strong>du</strong>e, sont infinis en nombre; peut-être, comme Pythagore,Ecphantus veut-il dire que la multitude des êtres particuliers unit lefini à l'infini; peut-être aussi le texte est-il corrompu.2. Il s'agit ici de la direction <strong>du</strong> mouvement de translation, et nonde rotation; car ce dernier n'a été connu ou <strong>du</strong> moins exposé que parHicétas.3. Plut., JVum., 8.4. Il était né à Cos, fils d'un médecin nommé Hélothalès, qui appartenaitprobablement aux Asclépiadea. Venu en Sicile vers 1*01.13=488,il avait résidé quelque temps à Mégare, d'où il passa à Syracuse, oùfurent transportés tous les habitants de cette ville lorsqu'elle fut conquiseet détruite par Gélon (01. 74=484).


HISTOIRE. 223les doctrines * ; on prétend qu'il avait enten<strong>du</strong> Pythagorelui-même 1 . Il est incertain s'il avait écrit desouvrages spéciaux sur la <strong>philosophie</strong>, comme Diogèneet Eudocia lui en attribuent'; mais ce qui parait incontestable,c'est que, soit dans ses comédies, soit ailleurs,il avait exposé des théories philosophiques où des critiquesanciens avaient déjà voulu voir le germe de luthéorie des Idées de Platon'. Qu'il ait philosophé, c'estce que prouvent ses fragments et un mot même d'Aristote',qui fait allusion à une objection d'Épicharmecontre Xénophane son contemporain. Le fait qu'Enniusavait intitulé Epicharmus son poëme de la Nature, et leslignes suivantes de Vitruve: « Pythagoras, Empedocles,Epicharmus, aliique physici et philosopha iuec priucipiaquatuor esse posuerunt, » achèvent de mettre lachose hors de doute; mais que ce fût un pythagoricien,ceci est moins certain, quoique probable*. Les frag-1. Iambl., V. P., 36. Cf. Theodor., de Fid., I, p. 478 : Kcrcà TOV'Eve. Tâv nuOayopeiov.2. D. L., VIII, 78 : Kal r)xouae nuftayôpou. Cf. Eudoc, p. 103.Clem.Alex., Strom., V, p. 708. Phot., Bt'M., p. 371.3. Diog. L., VIII, 78. Apollodore d'Athènes avait réuni et publié endix volumes les œuvres complètes d'Épicharme. Iambl., Fit. Plot.,§24, p. 117 Didot.4. Diog. L., III, 10.h. Met., III, c. v, p. 78. Brand. : Où'tu yàp «pp.ÔTT«t pâUov tlitsïvf, tôoTtep 'Enty.apu.oc si; Sevof âvq, et s'il fallait lire, comme le proposeKarsten, Xenophanis reliqu., p. 186 : "H Eevofdvnc eînov, la conclusionserait plus certaine encore; car la phrase : • Ils ont vu que toutela nature est soumise au mouvement, mais que le changement quiemporte toute chose rend impossible la vérité, • se rapporterait à Xénophaneet à Épicharme. Hais la leçon proposée donnerait des théoriesd'Epicharme une opinion contraire a celle de ses fragments, quile représentent comme un adversaire de l'éléatisme.6. Wytlenbach, Dissert, de anim. immort., t. II, p. 537 : • Hic exPythagorse schola profeclus.... philosophiam in theatro exhibuit. >


224 HISTOIRE.ments de sentences morales qu'on a conservés de luirespirent, par leur forme aussi bien que par leur esprit,la tendance <strong>pythagoricienne</strong>, et les fragments métaphysiquesen contiennent deux qui expriment cette mêmedirection, sans en présenter un seul qui la contredise,c'est à Ëpicliarme qu'on doit cette maxime, fondementde la psychologie spiritualiste, et, on peut ajouter, de lamétaphysique spiritualiste : c'est l'esprit qui voit, c'estl'esprit qui entend, le reste est sourd et aveugle 1 .On a pu voir par l'exposition qui précède que cetidéalisme de la connaissance, ce <strong>du</strong>alisme qui opposeles sens à l'intelligence, la sensation à la raison, et con<strong>du</strong>ità opposer le monde à l'esprit, s'il n'est ni dans lesprincipes <strong>du</strong> système pythagoricien, ni même clairementénoncé dans ses développements, perce et se faitjour néanmoins à travers les incertitudes et les tâtonnementsde leur psychologie, puisqu'Arislote lui-mêmetémoigne qu'ils distinguaient l'intelligence de l'opinion.Un autre fragment où le caractère pythagoricien estpins marqué et incontestable, est le suivant ; il est empruntépar S. Clément à un ouvrage d'Épicharme intitulé: TJoXiTita, qu'il est difficile, mais non impossible,d'admettre comme une comédie : * La vie des hommesne peut se passer de raison et de nombre : nous vivonsde nombre et de raison ; c'est là ce qui fait le salut desmortels. » Il est vrai que parmi les écrits supposés1. Nôo; hfà xal vôo«ixoûei, xàX\


HISTOIRE. 225qu'on faisait courir sous le nom de notre poëte, Aristoxènenommait cette IMiTeîa, qu'il attribuait à Chrysogonos,l'auiète 1 .Mais on ne conteste pas l'authenticité <strong>du</strong> fragment deY Ulysse naufragé, où l'âme est attribuée aux bêtes avectoutes ses facultés, même la pensée. > Eumée, la pensée,Tô oôtpov, n'est pas l'attribut d'une seule espèce : Non 1tout ce qui est a la pensée ; car si tu veux y faire une attentionsérieuse, les poules ne mettent pas au mbnde desfruits vivants : elles pondent des œufs, les couvent, etleur donnent ainsi la vie. Or, cette pensée, qu'il en doitêtre ainsi, la nature seule a pu l'avoir : c'est elle qurles en a instruites'. » Il y a ici, il est vrai, une doublequestion : la vie, l'âme, vient-elle <strong>du</strong> dehorsou <strong>du</strong> dedans?et la pensée, c'est-à-dire une certaine intelligence quipermet à tout être d'accomplir sa fonction et d'atteindre safin, est-elle commune à tous les êtres animés, de sortequ'il y aitentreeux une chaîne non interrompue, dont lesanneaux diffèrent de degré, mais non de nature, et queles hommes soient d'un côté reliés aux bêtes, et-del'autre aux dieux par une communauté de nature psychique?Or, à ces deux questions, le pythagorisme ré-1. Athen., XIV, 648 d.2. On retrouve dans les Fragm. d'Ennius (Hessel, p. 82) celte comparaison:Ova parire solet genu' pennis condecoratumNon animas :Unde venit divinitu' pullis insinuans seIpsa anima.Ce qui semble dé<strong>mont</strong>rer qu'en effet VEpicharmus d'Ennius était uneexposition poétique de certaines théories <strong>pythagoricienne</strong>s, telles quel'immortalité de l'ime, la métempsychose, l'identité d'origine et denature de tous les êtres vivants.n — 15


326 HISTOIRE.pondait comme Épicharme, et il n'est guère possibled'attribuer cette communauté d'opinions à autre chosequ'à des relations personnelles ou à des communicationsépistolaires <strong>du</strong> poète avec les pythagoriciens, qui habitaientdans un pays si voisin de la Sicile, et qui, aprèsles désastres de leur parti, allèrent y chercher un refuge.Les éléates 1 , malgré la profonde différence qui les séparedes pythagoriciens, ne sont pas sans avoir avec euxquelque*affinité ; ceux-ci, en effet, n'ont d'autre objetque d'expliquer le monde sensible; Parménide le supprime.Mais néanmoins, et malgré les railleries de Xé-•nophane 1 , qui cite comme une bizarrerie risible ladoctrine de la migration des âmes', il semble évidentque l'idée de ramener à un principe unique et à uneforme pure l'Un-étre, se rapproche de la conception <strong>pythagoricienne</strong>,dans laquelle l'être est également formel ;l'Un est principe universel.Ce n'est pas le seul point par où se touchent ces deuxsystèmes de tendances d'ailleurs si opposées. Tout cequi est pensé existe, disent les éléates, et existe tel qu'ilest pensé. La pensée pose son objet. Le nou-étre n'est1. Xénophane de Colophon quitta l'ionie dans un âge déjà avance,et vint dans l'Italie méridionale, ou il entendit Pythagore, et alla s'établirensuite à Vélie, TeXriv, colonie de Phocéens qui avaient fui ladomination de Cyrus. Là il fonda l'École de <strong>philosophie</strong> appelée éléatique,vers l'Ol. GO=508 av. J. C., probablement sous l'influence, etcomme sous le souffle fécond de l'École <strong>pythagoricienne</strong>. C'était unpoète, et un poète élégiaque et symposiaque, comme Archiloque, Solonet Théognis.2. Ce sont les quatre vers que nous avons déjà cités d'après D. L.,VIII, 36.3. C'est l'opinion de Proclus, t'n Para., t. IV, 137, et t. V, p. 22,Cousin. Hais en rapprochant sur ce. point les opinions d'Orphée et desChaldéens, Proclus Ole à ses paroles toute autorité historique.


HISTOIRE. 227donc pas, car ou ne saurait ni le concevoir, ni le connaître,ni l'exprimer. Au contraire l'être est, puisqu'ilest pensé, et comme le non-être n'est pas, tout ce quiest pensé est l'être, et par conséquent l'être est un. Ilcontient en soi l'essence, exclut toute multitude, toutediversité, tout changement, tout rapport. L'être est un,et l'Un absolu. Comme l'être est tel qu'il est pensé, etque ce qui est pensé est une pensée, l'être et la notionde l'être ne sont qu'une seule et même chose. L'essencede l'être est l'essence de la pensée. Dans cette identification<strong>du</strong> sujet et de l'objet, qui ne retrouve la trace de lagrande maxime <strong>pythagoricienne</strong>, que la pensée n'estpossible que par le rapport qui s'établit entre le nombrede l'âme et le nombre des choses, sans quoi elles resteraientséparées, étrangères, l'une ne pouvant pas connaître,les autres ne pouvant être connues?De son principe et de sa définition de l'Un, Parménidetire la conclusion que le mouvement et la vie de l'universne sont que des apparences sans réalité. L'être estabsolument un, et sa vie consiste à se penser éternellementlui-même par une pensée sans mouvement. Cependantil a une limite, c'est-à-dire qu'il est parfait ;car l'illimité, l'indéfini, c'est l'imparfait. Mais c'est unelimite de perfection qui fait ressembler cet être à unesphère parfaite. L'illimité est l'imperfection. Toutefois,on peut dire de l'être qu'il est en même temps fini etinfini, ùteXeuTÔv xal wTOpaspivov 1 . Il est infini, parcequ'aucune chose ne le limite; il est fini, parce qu'il se limitelui-même en se pensant. Cela revient à dire qu'il1. V. plus haut, p. 222.


228 HISTOIRE.est un être positif et déterminé. Il est clair que celtedistinction de l'illimité et <strong>du</strong> fini, et cette définition del'être qui les unit en soi sont d'origine <strong>pythagoricienne</strong>.M. Cousin va plus loin, et, à mou sens, trop loinquand il dit 1 : « L'école <strong>pythagoricienne</strong>, qui renfermaitle germe de l'école d'Êlée, et qui peut en être considéréecomme la mère. > Mais, néanmoins, quelledifférence! La <strong>philosophie</strong> éléatique, surtout dans Xénophanc,est un monothéisme spiritualisle, une théologieidéaliste, (andis que le pythagorisine est, au fond, unephysique 1 : < Il n'est qu'un seul Dieu, qui n'a rien desemblable aux hommes, ni par le corps, ni par la pensée: — Son essence est la pensée, et il est toute pensée ',et cette énergie puissante de la pensée lui permet degouverner le monde entier sans fatigue et sans effort'.Éternel, incréé, toujours identique à lui-même, il estabsolument immobile, et ne peut pas plus changer delieu que d'essence*.Aiïl 5' iv TOtÙTÛ) TE pÉVElV XtVOl)[MVOV OUOEV,OùSl (j-mp^Esûaf ijLtv fitiTpémt ôXXOTE âXArj. »Xénophane s'élève contre le grossier polythéismede ses contemporains, qui font naître les dieux commelas hommes, leur donnent le corps, les passions, les vices,la forme, même les vêtements de l'homme ', comme le feraientdes bœufs et des lions qui, s'ils savaient peindre ou1. Fragm. de philos, anc, Xénoph.2. Pr. 1.3. Fr. 2. oCXoc voet, totus est sensus. .k. Fr. 3. iitivtuBt nôvoio viou çpevl irdvTot xpaSaîvsi.- 5. Fr. 4. Cf. Aristot., de Xenophan., eh. III.fi Fr. fi ol 7.


HISTOIRE. 229sculpter, se feraient des dieux semblables à eux-mêmes 1 .La science n'est pas faite pour l'homme : sa connaissancen'est qu'une opinion conjecturale et incertaine 1 .AùTôî 6|MOC oùx oise ; Soxoç 5' éVt irSai Tî-CUXTOI."" Bessarion*, repro<strong>du</strong>it le jugement de Théophrastesur Xénophane, que suit également Simplicius 4 , «TheophrastusXenophanem.... nequaquam inter PHYSICOSnumcran<strong>du</strong>m, sed alio loco constituen<strong>du</strong>m censé t.,Nomine, inquit, unius et universi Deum appellavit,quod unum ingenitum, immobile, œlernum dixit : adhœc, aliquo quidem modo, neque infinilum neque finitum,alio vero modo etiam conglobatum, diversa scilicetnotiliœ rattone; mentem etiam universum hoc idemesse affirma vit. » Il n'y a plus rien ici de pythagoricien,et cette pensée est l'essence de l'éléatisme. Si de ce qu'ilest en tout et partout semblable, identique à lui-même,Xénophane appelle dieu, l'un, la perfection, le parfait,


230 HISTOIRE.ce n'est qu'une métaphore, une image, âfaXua, de laperfection absolue, comme dira Platon, dans le Timèe,L'élrc vrai, parfait, n'est que semblable à la sphère, suivantles expressionsde Parménide, eraatpTiçévaMYxiov Syxu 1 ,Toute réalité se i amène à l'unité absolue et suprasensiblcpour les éléates. Le monde, dans son tout, comme danssesparties, est, aux yeux des pythagoriciens, l'unité concrèteet sensible de principes contraires, de l'infini et <strong>du</strong> fini,qui ne s'anéantissent pas dans l'être, dont ils font toutela réalité. Ici, l'un est la négation absolue de son contraire,là il en est la synthèse, c'est-à-dire l'unité del'unité et de la multiplicité. On a donc pu et dû direque ce sont deux thèses absolument opposées, et considérerXénophane comme IluOa^ôpa àvTtSo^âuic 2 . Peutêtreles pythagoriciens, poussés par leur principe,ont-ils posé, au-dessus <strong>du</strong> monde, un dieu, éternel,identique à lui-même, immuable, immobile, distinctdes choses ; mais ils en font une cause, précisément lacause. &w>


HISTOIRE. 231mène, le multiple, pour l'autre, c'est l'unité, l'immuabilité,la substance en soi.Bien qu'Empédocle 1 célèbre Pythagore, ses doctrinesne se rattachent pas à lui, <strong>du</strong> moins au point de vuephilosophique. Ritter, Zellcr, Miillach, sont d'accord àcet égard. Comme Pythagore, il affecte de se pro<strong>du</strong>ireen homme inspiré, possédant une puissance et unescience qui surpassent celles de l'humanité ; il guéritmiraculeusement les maladies, il exerce un pouvoir magiquesur les éléments, dont il apaise les fureurs, il a ledon de prophétie, et se considère lui-même comme unami des dieux, et immortel comme eux. Du pylhagorisme,il n'emprunte que les parties mythiques ; il croità la migration des âmes 1 , aux démons; il pratique lerégime de vie qui portait le nom de vie pythagorique,c'est-à-dire qu'il s'interdit toute nourriture animale etle meurtre des animaux. Il fonde cette prescription surla parenté naturelle que nous avons avec tous les êtres,communauté d'essence et d'origine, qui n'en est pasmoins réelle, quoique nous ne sachions pas tous la reconnaître.Tout dans le monde participe de la naturedémonique ou divine.Le principe des nombres, comme essence des choses,de l'infini en dehors <strong>du</strong> monde et <strong>du</strong> vide qui s'y intro<strong>du</strong>it;la doctrine de l'harmonie générale et particulière,comme constitutive de l'être, la théorie <strong>du</strong> feu central,<strong>du</strong> mouvement de la terre, de l'harmonie des sphères,la distinction des trois régions de l'univers sont complé-1. Empédocle d'Agrigonte, en Sicile, florissait vers la 84* 01. = 445-444 av. J. C.2. Aristot., Rhet., I, 13. SextusEmp., adv. Math., IX, 127.


232 HISTOIRE.tement en dehors de la conception d'Empédocle'. Saphysique relève en grande partie de la physique éléati-1. A moins qu'on ne veuille voir une influence de la superstition desnombres dans les Tpi;u.upta; (ûpac; mais en tout cas, ce n'est pas leprincipe philosophique <strong>du</strong> nombre. Cependant H. Fouillée, t. II, p. 49,voit dans le Sphœrus le germe primitif des pythagoriciens. On peutobjecter que l'idée <strong>du</strong> germe et de son développement implique unprincipe dynamique, tandis que la conception <strong>du</strong> Sphserus aboutit àun pur mécanisme. En effet, si l'un écarte les interprétations capricieusesqui font <strong>du</strong> Spbeerus, tantôt la cause efficiente, tantôt le feuprimitif des stoïciens, tantôt le monde intelligible de Platon, qui nelui accordent qu'une existence idéale et en font l'expression symboliquede l'unité et de l'harmonie (Zeller, t. 1, p. 628), il faut reconnaîtreque le Sphaarus, qu'Aristote appelle toujours ou pïvpa ou ïv, est l'unitéindivise <strong>du</strong> mélange absolu des quatre éléments primitifs, sans aucu edistinction, aucun mouvement, aucune qualité, dnotoc. (Philopon., nÂrist., lib. de Cen.,5).C'était une sphère : • Là on ne voit apparaître ni la forme éclatante<strong>du</strong> soleil, ni le corps couvert de végétaux de la terre, ni la mer : tantest puissante la force immense d'harmonie qui en fait un tout compacte.C'est une sphère circulaire, qui se complaît dans un repos quis'étend & toute sa masse» (v. 170. Mûllac. OOtwr, dpfiovtric nuilvuxûvit iornoixTai).Il est clair que l'harmonie est ici négative : elle supprime tout mouvement,toute distinction, toute essence. Il faut un principe de division,une cause externe, un choc mécanique, sans l'impulsion <strong>du</strong>queltout resterait dans cette unité chaotique, qui est l'absence même del'être. Ce branle, cette chiquenaude, comme dirait Pascal, c'est la Discordequi le donne. «Le monde, 6 xoeqxoc, dans son ordre et sa beauté actuels,ne peut être composé que d'éléments déjà formés, dont chacun sedistingue et se sépare des autres. • (Movhg ncpiiyvéi. Simplic, in Phijs.,272 b : Eûêtipoc. Si TùV axivneriav.) On peut donc dire que, dans lesystème d'Empédocle, « c'est la Discorde seule qui engendre leMonde. • (Aristot., de Gen. et Corr., II, 6, 334 a, ô, de Cor!., III, 5,301 a, 14.) La Discorde fait tout. (Alex., dans Simpl., in lib. de C


HISTOIRE. 233que, et, pour une partie moins considérable, de celled'Heraclite'.Parmi les philosophes qui ont subi l'influence desdoctrines <strong>pythagoricienne</strong>s, on m'a reproché de n'avoirpas nommé Anaiagore : « Anaxagore, venu peu aprèsle chef de l'école italique, est le premier philosopheionien qui ait reconnu dans le monde la présence d'unprincipe intelligent. Dès lors quel intérêt n'y avait-il pasà rechercher avec détail, en comparant les textes, eninterrogeant les traditions, quels pourraient avoir étéles rapports <strong>du</strong> philosophe de Samos avec de telsémules, ou en quoi avaient pu relever de lui de telssuccesseurs'?» Mais lorsque.l'examen des textes et l'étudedes témoignages de l'histoire, lorsque les conclusionsunanimes de la critique philosophique aboutissentà la conviction que ces rapports ont été nuls, il faut pourtantbien admettre qu'il n'y a qu'un parti à prendre, etcorde. Puis de ces élémenIs,rAmitié, qui les réunit suivant leurs affinités,compose un mélange harmonieux : 'Ex xexcapi


234 HISTOIRE.c'est de se taire. Or, il n'y a rien, <strong>du</strong> moins je ne voisrien, dans la <strong>philosophie</strong> d'Anaxagore qui atteste uneinfluence <strong>pythagoricienne</strong>, et je ne sache pas qu'un seulcritique l'ait considéré comme un successeur ou un émulede cette école, et l'ait signalé comme relevant de ses principes.Ce serait un cercle vicieux peut-être que de donnerici mon opinion sur la <strong>philosophie</strong> d'Anaxagore commejustification <strong>du</strong> silence que j'ai gardé sur son compte ;mais qu'on me permette de pro<strong>du</strong>ire le jugement autoriséde Zeller *. « Ce philosophe paraît avoir connu etemployé la plupart des théories antérieures, il ny a qule pylhagorisme qui fasse exception : il en est si éloigné quenon-seulement on ne peut trouver une influence immédiatede l'un sur l'autre, mais qu'on ne peut surprendraucune rencontre fortuite entre les deux systèmes. » La doctrined'Anaxagore, dans ce qu'elle a de philosophique, estune réaction contre l'éléatisme, d'une part, qui niait laréalité <strong>du</strong> monde sensible, et les ioniens, de l'autre, quicroyaient que ce monde s'explique par lui-même. Il admet,avec Empédocle,un état primitif, un chaos, où toutétait confusion, désordre, mélange informe, mma y pr,p.orf«Yeyovévai 6(toû; mais ce n'est pas un mouvement mécanique,c'est-à-dire un fait physique, c'est une pensée, c'est uneraison, qui intervient et institue l'ordre dans ce désordre,et par là crée le monde' : voCv 3' AOdVraaÙTà Siaxoap.T)acti.Par une singulière dérision <strong>du</strong> sort, ce philosophe, quiproclamait au-dessus <strong>du</strong> monde des sens un Dieu-Espritqui l'ordonne et le conserve par sa raison, fut accusé d'athéisme,parce que ses définitions n'étaient pas d'accord1. T. I", p. 704.2. Diog. L., I, 4. Cf. Menag. ad. 1. c.


HISTOIRE. 235avec les superstitions officielles, et parce qu'il refusaitd'adorer les divinités <strong>du</strong> soleil et de la lune. Dans l'ardeurde son orthodoxie, Libanius, dont huit siècles n'avaientpas encore éteint les violences passionnées, s'écriaitque c'était justice que la condamnation de cet impie 1 .Mais sauf la notion de l'ordre, Staxoopjsat, qui n'a paspour lui la valeur d'un principe, je ne puis, encore unefois, rien voir de pythagoricien dans sa doctrine. Pythagorea peut-être entrevu le principe des causes finales: Anaxagore l'a vu, affirmé, appliqué, et s'il ne l'apas éten<strong>du</strong> à toute la physique, domaine de l'expérienceet de l'observation, et des causes secondes, je ne seraispas disposé à le lui reprocher aussi sévèrement quePlaton. C'est à Empédoclc et aux atomistes que se rattacheAnaxagore; à Empédocle par son <strong>du</strong>alisme, qui opposela force* active à la matière inerte, aux atomistespar ses Homéoméries, qui substituent, aux quatre élémentsmatériels primitifs d'Empédocle, une multiplicitéinfinie de semences, de germes des choses 2 , ayant despropriétés déterminées et qualitativement différentes.Quant à la question des rapports chronologiques de Leucippe,d'Empédocle et d'Anaxagore, nous ne pouvonspas la résoudre, faute de documents. Le mot connu d'Aristpte3 , relatif à Anaxagore, ne peut même nous donnerune indication certaine; car il est susceptible de deuxsens : ou il veut dire que, quoique plus âgé qu'Empédocle,il n'a pro<strong>du</strong>it son système qu'après celui de son contemporainplus jeune, ou encore, par un sens propre à Ari-1. 'Avat»YÔpa; "T|6ï] 8ixatîu>;. Declam. 29.2. Kr. 3, sitippaTa itàvTWv xpt||iâT


236 HISTOIRE.stote <strong>du</strong> mot Smpot, que, quoique antérieure à celle d'Empédocle,sa théorie est plus développée, plus complète,plus parfaite, et semble révéler une phase plus mûre,un état postérieur de la science.Socrate ne parait pas avoir été touché par la <strong>philosophie</strong><strong>pythagoricienne</strong>, avec laquelle il n'a rien de communque la croyance à l'immortalité de l'âme. Ce libreesprit, qui voulait rompre avec la tradition <strong>du</strong> passé,et trouver la vraie <strong>philosophie</strong> dans la conscience interrogéeavec sincérité et avec art, semble s'être donné pourmission de purger la science, ivre des visions et desrêves métaphysiques, et de chercher la vérité à l'aided'une raison froide et calme, vifoovn Xô T u>'.Nous passons donc immédiatement à Platon.L'influence des doctrines <strong>pythagoricienne</strong>s sur Platonest certaine : elle est confirmée par les faits et attestée,on peut dire exagérée, par les anciens critiques et quelques-unsmême des critiques modernes. Si l'on encroyait Aristote dans certains de ses jugements, il n'yaurait aucune différence essentielle entre les deux systèmes,et Platon ne serait qu'un imitateur servile etmême un plagiaire peu loyal : « A ces différentes philosophes,dit-il', succéda celle de Platon, d'accord presqueen tout, vit plv mAXà, avec les pythagoriciens, maisqui a aussi quelques opinions propres par où il se distinguede l'école italique.... Le seul changement qu'il aintro<strong>du</strong>it" c'est un changement de terme. Les nombresde Pythagore, ce sont les Idées de Platon.... Seulementceux-ci disent que les choses sont à l'imitation des noen-1. Plut., de Gen. Soer., c. 9.2. Met., I, 6, 987 a, 29.


HISTOIRE. • .237bres, Platon, qu'elles sont par participation avec eux. »Aristote réfutera lui-même cette évidente exagération'dont il n'est pas difficile de deviner, sinon l'inteution,<strong>du</strong> moins la cause, le mobile secret et caché peut-êtremême à son auteur. C'est lui, en effet, qni nous diraque Platon fut le premier qui chercha et réussit à concilierla méthode dialectique dont if avait hérité de sonmaître, avec le principe d'Heraclite sur la muabilité etle changement incessants, caractères propres i l'être sensible: il lui reprochera, peut-être à tort, d'avoir faitdouble l'infini que les pythagoriciens avaient conçucomme un, et surtout il fera ressortir ce point capitalqui met entre les deux systèmes une différence qui vajusqu'à la contradiction, c'est qu'en opposition aux pythagoriciens,qui ne séparaient pas l'unité et les nombresdes choses mêmes, Platon avait détaché et dégagéles nombres <strong>du</strong> sein des choses où ils étaient emprisonnéspar la physique <strong>pythagoricienne</strong>, et posé au-dessus<strong>du</strong> monde sensible ce monde suprasensible des Idées,devenues des êtres en soi et pour soi..C'était, presque sans le vouloir, indiquer en quelquestraits la grande, l'incontestable, l'incomparableoriginaliléde son maltre,et effacer cette accusation banale et imméritéequ'il lui avait adressée de n'être qu'un plagiaire habilede Pythagore et de Philolaùs. Néanmoins, favoriséepar le principe général qui entraîne toute la <strong>philosophie</strong>alexandrine, et lui fait apparaître à l'origine même de lascience, sinon son développement le plus parfait, <strong>du</strong>moins l'expression la plus complète de la vérité, l'accusationd'Aristote l'emporta. Proclus dit dans son commentairesur le Timée, que Platon réunit à la doctrine de So-


4.38 • HISTOIRE.crate celle des pythagoriciens 1 , auxquels il empruntaTélément sublime, divin, de sa pensée, le principe derattacher tout aux choses intelligibles, de tout définir pardes nombres, et môme le procédé d'exposition symboliqueet d'enseignement mystérieux. Dans le commentairesur le Parménide 1 , il répète deux fois que la théoriedes Idées est une théorie <strong>pythagoricienne</strong>, et qu'elleavait été élaborée dans celte école. Cependant il ajouteaussitôt que néanmoins ceux qui donnèrent les premiersà celte théorie sa forme scientifique furent Socrate etPlaton, et que celui-ci sut fondre dans son vaste systèmeles deux points de vue opposés de Pylhagore et des ioniens.Cicéi on s'était borné à dire, avec plus de réservequ'il avait emprunté aux pythagoriciens, non-seulementla thèse de la vie éternelle de l'âme, mais les argumentsmêmes par lesquels il cherchait à la dé<strong>mont</strong>rer*.Mais Asclépius va plus loin : commentant le passagede la Métaphysique'', où Aristote dit que Platon a empruntéaux pythagoriciens la plus grande partie, x&noXXft, de ses opinions, il déclare qu'à son sens ce n'estpas la plus grande partie, mais toutes ses opinions qu'illeur doit, où ta iroXXi, dXXà ta itôvTa. C'est un vrai pythagoricien,ajoute-t-il, et il ne se distingue des philoso-1. Photius, Coi., 249. La notice anonyme fait de Platon, discipled'Archytas, le neuvième, et d'Aristote le dixième successeur de Pythagore,dans l'École Italique.2. In Porm., t. IV, p. 55 et plus loin, p. 149 : Tiv piv yap xai icapàTOîC nuVayopctoïc il] Ttepi TûV el&têv Ucwpta.3. Cic, Tusc, 1, 17 : • .... De animorum xternitate non solumsensisse idem quod Pythagoram, sed rationes ctiam attulisse » Il est remarquable,en effet, que dans lePAèdon, il y ait trois pythagoriciens iBcbécrate, Simmias et Cébès.4. I, 6.


HISTOIRE. 239phes de cette école que par la forme de l'exposition oùil à rejeté la plupart des voiles obscurs dont ils enveloppentleur pensée. Il ne faut donc pas s'étonner d'entendreM. V. Cousin lui-même dire avec les alexandrins :« Je penche aussi à croire qu'en effet le fond des idéesplatoniciennes a été puisé dans la doctrine <strong>pythagoricienne</strong>et les traditions orphiques'. * Et M. Cousin serappelant que Proclus avait écrit un ouvrage destiné àprouver l'accord des théories d'Orphée, de Pythagore etde Platon', que Syrianus, son maître, en avait fait unautre ayant le même objet et le même titre', s'est laisséentraîner jusqu'à écrire dans la préface générale de sonédition de Proclus* : « In Pythagora enim totus Orpheuset ipse prœterea Plato jam magna ex parte continetur....Illius quoque esse videtur Theoria Idaearum et quodcumquein platonica doctrina superius. » Ainsi le fond<strong>du</strong> platonisme, ou plutôt le platonisme lui-même dansce qu'il a de grand, de vrai, de sublime, appartient,non pas même à Pythagore, mais à Orphée. Exagérationévidente que peut à elle seule détruire une exagérationcontraire, quoique moins étonnante, celle de Brandis,qui, dans sa dissertation de Idxis*, dit nettement : « Totam1ère Platonicam rationem ex Heraclili et Parmenidisdoctrina pendere seusit Aristoteles. »Ce n'est pas ici le lieu de rechercherquellessontlesorigineshistoriques<strong>du</strong>systèmepIatonicien:maiscen'estcertainementpas l'avoir compris que d'en trouver le germe1. Trad. de Platon, t. VI, p. 493.2. Marin., Vit. Proeli.3. Procl., t'n Tim., p. 2. Fabric., B»6. Givre,, t. 1, p. 142.4. T. I, p. v, éd. 1826.5. P. 62.


240 HISTOIRE.et le développement déjà presque satisfaisant exclusivementdans une quelconque des <strong>philosophie</strong>s antérieures.Il n'en est pas une seule de quelque valeur qu'il n'aitmise à profit : le puissant et beau génie de Platon réunitet concilie les points de vue les plus opposés et les thèsesles plus contradictoires; mais cette conciliation ne peuts'opérer que grâce à un principe supérieur, resté jusqu'àlui inconnu, et dont personne ne peut lui ravir ni mêmelui disputer la gloire. A moins de vouloir revenir à lamaxime ionienne que tout est dans tout, on ne peutcontester que le platonisme est le système de <strong>philosophie</strong>sinon le plus complet et le mieux lié, <strong>du</strong> moins leplus profond et surtout le plus original que nous fasseconnaître l'histoire. Sous couleur de chercher commentles théories philosophiques se lient, s'enchaînent, sedéveloppent, il ne faudrait pas arriver à tout confondre,et il importe autant de séparer que d'unir. Platon atransformé tout ce qu'il a emprunté, et il a fait sienneset nouvelles les idées qu'on lui reproche d'avoir repro<strong>du</strong>ites.Sa psychologie, <strong>du</strong> moins dans sa partie logique,et comme théorie de la connaissance, se rattache à la 'dialectique de Socrate ; Parménide et Heraclite, les Mégariqueset les Cyniques l'ont mis sur la trace de la différencede la science et de l'opinion : Zenon et l'érisliquesophistique ont pu le faire réfléchir sur le caractèreou plutôt sur l'élément subjectif de l'intuition sensible;c'est un éléate par sa définition de l'être, un héraclitéenpar sa doctrine de la pluralité et de la muabilité deschoses indivi<strong>du</strong>elles et matérielles, un disciple d'Anaxagorepar sa notion de l'esprit, et surtout un disciple deSocrate par sa dialectique qui l'a con<strong>du</strong>it à la théorie des


HISTOIRE. 241Idées, plutôt encore que le système des nombres. Maiscette théorie, quelle qu'en soit la valeur, est la conceptionoriginale et supérieure qui lui permet de concilierles contradictions des systèmes dans un système qui lescontient et les supprime à la fois.Ce n'est pas exposer clairement et fidèlement lathéorie des pythagoriciens que de dire avec Aristolcque les choses ne sont que par imitation des-nombres,comme si les nombres étaient pour eux, comme lesIdées pour Platon, un modèle, un exemplaire, un paradigmeidéal de la réalité. Les nombres sont les chosesmêmes, et celles-ci sont des nombres et non* pas seulementleurs reflets, leurs images, leurs pmbres, commele dira la République. La |xîf»i


242 HISTOIRE.Sans contester que le caractère abstrait <strong>du</strong> nombremalhémathique, que les pythagoriciens voulaient confondreavec le nombre concret et réel, l'Un composé, aitpu faciliter la conception de l'Idée platonicienne, sansnier que, sous le souffle d'un puissant génie métaphysique,ces nombres enveloppés et comme emprisonnésdans la réalité, aient pu s'idéaliser peu à peu et s'envolerenûn .vers celte région supraterreslre, que dis-je,supracélesie, tntpoupâviov, où Platon pose le lieu desIdées, on ne peut s'empêcher de reconnaître que cetteaudace heureuse de couper, pour ainsi dire, le câblequi attachait le nombre à la terre, c'est le trait essentiel,caractéristique, original de la théorie, et qu'il appartientà Platon.Si quelques-uns de ses prédécesseurs en avaient déjàébauché le germe, sont-ce donc les pythagoriciens?Arislote ne nous dit-il pas lui-même que c'est parla dialectiqueque Pluton a été amené à concevoir commeexistant en soi et par soi, l'universel et l'immuable, sanslequel il n'y a pas d'être? Mais c'est Socrate qui lui a enseignécette vérité, et non pas Pythagore. Ce sont lesmégariques, et non les pythagoriciens, qui ont dit lespremiers que la chose indivi<strong>du</strong>elle et sensible n'avaitpas d'être véritable, que l'être n'appartenait réellementqu'aux genres incorporels, aux idées universelles, antérieuresaux choses particulières et qui leur survivent.Mais qu'il y a loin <strong>du</strong> monde divin et vivant des Idées àces formes intelligibles, inertes, inactives, qu'on peutsupposer avoir été admises par les mégariques 1Platon, sans doute, admet comme facteurs de la réalité,comme les pythagoriciens, le fini et l'infini : mais


HISTOIRE. 243ces deux éléments ne lui suffisent pas ; .il lui faut unecause active et intelligente, qui opère le lien des deuxtermes, à chacun desquels il donne une réalité indépendante,sinon égale; si l'être sensible est un composéde la forme et de la matière, il ne croit pas que la formes'épuise dans l'être indivi<strong>du</strong>el pro<strong>du</strong>it, il veut qu'elleeonserve, pour pro<strong>du</strong>ire les autres êtres particulierssemblables, une existence séparée et supérieure 1 , tandisque pour ses prédécesseurs ce ne sont là que des facteursidéaux, qui n'ont aucune réalité en dehors <strong>du</strong>pro<strong>du</strong>it qui les contient et qu'ils suffisent à constituer.Gomme ils ne reconnaissent pas d'autre être qu'un êtremélangé composé <strong>du</strong> fini et de l'infini, les pythagoriciensn'ont jamais pu s'élever à la notion sublime <strong>du</strong> bien pur,parfait, indéfectible, universel, éternel, immuable, c'està-direà la notion de Dieu. Le py thagorisme est une physique,le platonisme une sublime théologie.Le grand problème qui tourmente l'esprit de Platonvient d'une vérité ou d'une hypothèse, comme on voudral'appeler, qui ne s'est point présentée à l'esprit despythagoriciens, ou <strong>du</strong> moins dont ils n'ont eu qu'unpressentiment obscur et passager, et qui n'occupe aucuneplace rationnelle et scientifique dans l'enchaînementde leurs idées : Platon est persuadé qu'il y a deuxmondes, le monde de la nature et le monde de l'esprit ;deux genres d'être, l'être parfait et absolu, th oWioe. o*v,et l'être relatif et imparfait. Ces deux mondes, à sesl. Phileb., p. 23. Cf. Damascius.de Princip., p. 133 et 147 : «Commentcet être mixte est-il défini par Platon et les Pythagoriciens? Nele disent-ils pas composé <strong>du</strong> rapport réel, de l'unité concrète, eru(ijtésnrrtv,<strong>du</strong> fini et de l'infini? N'est-ce pas la ce que Philolaûs appellelètre? »


244 HISTOIRE.yeux, non-seulement coexistent, mais ils se touchent etagissent l'un sur l'autre. Gomment expliquer leur coexistence?comment concevoir leur rapport? Si l'und'eux seulement est primitif, lequel est-ce? On ne peutguère mieux comprendre la procession qui <strong>du</strong> parfaitfait sortir l'imparfait que la procession inverse. Mais cesdoutes, ces questions, où nous voyons, depuis Platon,le problème de la <strong>philosophie</strong>, il ne semble pas que lespythagoriciens se les soient posés. Ils ne connaissentqu'un monde, la nature, et ils suppriment ainsi ce quifait le fond comme la grandeur <strong>du</strong> platonisme, quicherche le lien de deux mondes contraires. Cependant,comme l'a profondément observé Aristote, leurs principesvont plus loin et plus haut que leur système, et dansle système même il y a comme des échappées soudaines, des élans peut-être inconséquents, mais sublimes,qui impliquent le <strong>du</strong>alisme que semble nier leur théoriede l'unité. Pour eux, l'être est un rapport, le rapportde deux éléments, le pro<strong>du</strong>it de deux facteursidéaux, auxquels ils refusent toute existence indépendanteet isolée. Le pro<strong>du</strong>it est seul primitif, seul réel.La distinction des deux facteurs contraires est poureux d'ordre abstrait. Platon n'a fait que la concevoircomme d'ordre réel ; il n'a eu qu'à attribuer une existencedistincte à chacun d'eux pour établir le <strong>du</strong>alismeidéaliste qui, selon moi, est le fond de sa doctrine.Mais c'est Anaxagore plutôt que Pythagore qui a pu luiinspirer cette solution hardie, originale et féconde.Quoiqu'il admette, avec les pythagoriciens, la notionde la beauté, de l'harmonie, de l'ordre, il n'admet pascomme eux que le monde soit l'ordre même, c'est-à-


*• HISTOIRE. 245dire la perfection ; il n'en est que l'image, ttxwv. C'est undieu, sans doute, mais c'est un dieu engendré, et dontla fragile beauté, l'immortalité périssable ne lui est pasassurée par son essence même, mais seulement par labonté de ce dieu suprême et souverain qui lui a donnéla vie, et a promis de la lui conserver toujours. La notionde la beauté, de la proportion, sans vie et sansmouvement, où se ramène et s'épuise la notion mathématique<strong>du</strong> nombre, se transforme, s'élève, s'emplit, sevivifie dans l'idée <strong>du</strong> bien absolu et parfait, qui conciliele repos et le mouvement, la vie et l'ordre, égalementnécessaires à l'être véritable. Pour Platon comme pourles pythagoriciens et pour tous les philosophes de l'antiquité,la connaissance n'est qu'une assimilation <strong>du</strong> sujetet de l'objet, ou plutôt un fait qui ne s'explique que par -leur analogie et leur identité. Mais les pythagoriciens n'ontdistingué que très-superficiellement la connaissance sensibleet la connaissance suprasensible; ils ne profitent pasde cette ouverture, tandis que Platon, approfondissantcelte vérité expérimentale, en développe les graves conséquences,et appuie sur ce fait psychologique, comme surle plus solide fondement, sa métaphysique tout entière.L'être est tel qu'il est conçu, dit Platon ; donc les modesde l'être correspondent aux modes de la connaissance; et puisqu'il y a deux sortes de connaissances quine peuvent se ramener à une seule, il y a deux sortesd'êtres: de là le <strong>du</strong>alisme platonicien, et, quoiqu'ill'oublie souvent, Aristote n'a jamais dit une chose plusjuste et plus profonde que lorsqu'il reconnaît que lathéorie des Idées est sortie de l'analyse de la pensée etde la critique des conditions et formes essentielles de la


S46HISTOIRE.connaissance : *, tû>» EIôûV tlefaywYr, 2i« ri;v h T«Hç Xôyot; ^yt—VETO crxt'iiv 1 .Il est vrai que pour prouver le lien étroit des théories<strong>pythagoricienne</strong>s avec le pythagorisme, on fait appel àAristote, qui accuse Platon d'avoir, vers la tin de facarrière, confon<strong>du</strong> lui-même les Idées avec les nombres,et fait évanouir la science philosophique dans les mathématiques*.Mais comme pour justifier cette accusation d'Aristote,on est obligé de supposer un enseignement secret',consigné dans des «yp«?« Svftutrx, écrits par les disciples,mais qu'aucun critique ancien n'a dit avoir vus ; commeil n'y a rien dans les dialogues* qui puisse fournir unebase à cette critique, je ne crois pas utile ici d'entrerdans de grands détails sur le pythagorisme préten<strong>du</strong> <strong>du</strong>. Platon. Loin d'être la <strong>philosophie</strong> tout entière, les mathématiquesne sont pour lui qu'un intermédiaire, t&(iitaÇû, par conséquent un échelon encore inférieur dela science, de même que les choses ou êtres mathématiques,c'est-à-dire les lois générales <strong>du</strong> poids, <strong>du</strong> nombre,de la mesure, ne forment qu'un monde étranged'existences incompréhensibles* placées entre le ciel etla terre, la réalité sensible et la réalité intelligible, lanature et l'esprit, comme pour relier par un moyen1. *>!., I,p. 21.2. Jfel., I, p. 33 : à).),à févoyi ta (io6r,[iata TOT; VUS 1) eiXoeoeia.3. Brandis, De perdit, libr. Ârittol., p. 2 : « Princeps ille philosopborumin dialogis nihil affirmans et in utramque partent disserens.philosopbiœ sua: summa capHa tulgo abseonderxl, paucisque sotummodoe discipulorum corona electis in scholae adyto aperuerit. » C'estce que répète également M. Rivaisson. 1.1, p. 315.4. Trendelenburgl'avoue, de Idais Platon.,p. 64 : • Diatogi de bisomnibus silent. u5. Met., I, 6, 687 b.


HISTOIRE. 847terme ces deux extrêmes de la proportion harmoniqueuniverselle; et même il critique avec respect, mais avecune visible ironie, ces gens habiles, xojx^of, qui s'imaginentque l'art de mesurer suffît à expliquer tous lesphénomènes, («tpritixi mp\ WXVTB l YtTv^ftwa. Si l'onveut connaître la valeur et le rôle des nombres dansl'école platonicienne, c'est dans Ytpinomit qu'il faut lachercher. Là il est dit que la science politique, l'art derendre les peuples sages et heureux a pour conditionessentielle la science <strong>du</strong> nombre, que nous a donnéel'auteur de toutes choses, et qui seule nous permet depénétrer l'origine et l'essence des choses humaines,comme des choses divines, parce qu'il n'y a rien dejuste, de beau ou de bon, où le nombre fasse défaut, lenombre qui pro<strong>du</strong>it tout ce qui est bon, et ne pro<strong>du</strong>itjamais rien de mal. Mais néanmoins la plus belle et laplus'parfaite méthode pour arriver à la vérité absolueest encore la dialectique, c'est-à-dire l'art d'interroger,de réfuter et de ramener toujours l'indivi<strong>du</strong>el à l'universel<strong>du</strong> genre ou de l'espèce*.Mais il est un point que je ne puis m'empécher de signaler,parce qu'il a échappé à la critique jusqu'à présent.On a bien remarqué qu'Àristote n'est pas toujoursd'une extrême exactitude dans l'exposé historique qu'ilfaitdessystèmesphilosophiques,soitde ses prédécesseurs,soitde sescontemporains*. On a même justement observé1. Epin., 991 c : Tèxefl'tv t$ xat'itSi) npoa'a.xTtdv.2. Bonitz., ad Met., p. 66 : « Inter<strong>du</strong>m a. veritate aliquantum deflectit.• ld. : « Qua est in judicandis aliorum philosophorum placitis, levitate;> et en ce qui concerne Platon, id., p. 92 : « Immutavit Platonissententias....ita ut rundamenlum doctrinae Platonicas everteret.»


248 HISTOIRE.que cette inexactitude avait sa source dans le but qu'il sepropose dans cette histoire abrégée de la <strong>philosophie</strong> : ilycherche, et il le dit lui-même, quels sont les problèmesqui appartiennent à la science ; quelles sont les erreursqui ont été commises par ceux qui ont essayé de les résoudre; quelles sont les vérités qu'on peut et on doitconsidérer comme certaines et acquises. Son procédé seressent naturellement de son but : il poursuit partoutl'erreur et cherche partout la vérité, la vérité philosophique,et non la vérité historique. Aussi s'inquiète-t-ilmédiocrement de désigner avec précision quels sont lesauteurs des doctrines qu'il expose pour les critiquer : sielles sont fausses ou vraies, voilà pour lui le point important.Aussi, et c'est le point négligé sur lequel je voulaisappeler l'attention, Aristote est loin de distinguer toujoursavec clarté, dans son exposition critique', les théoriesde Platon de celles des platoniciens, et dans ces dernièresles opinions fort diverses des divers platoniciens.Il en est qu'on ne sait même à qui attribuer. Daus lesdeux passages de Y Éthique * qui traitent <strong>du</strong> rapport desIdées au bien, Platon n'est pas nommé. Dans le fameuxpassage, <strong>du</strong> de Anima où il prétend que, suivant Platon, laBrandis, De perdit, lib. Ar., p. 28-48, RicMer, de Ideeit, p. 60, Stallbaumlui-même, en plusieurs passages, et particulièrement, Proll. inParm., p. 209 : « Non ea religione versatus est ut sibi ab opinioniserrore vel a reprebensionis cupiditate satis caveret, » Maur. Carrière,de Arittot. Plat, amico. ont porté le même jugement.1. La plupart <strong>du</strong> temps, ce sont des formules générales : 'O irpû-ro;8é|uvo;, ol uàv, ol it npûtot. Quelquefois le nom Socrate désigne la<strong>philosophie</strong> propre à Socrate, quelquefois l'interlocuteur des dialogues,et par conséquent Platon.2. finir. Nie., I, 4. Jfogn. Jfor., I, 1.


HISTOIRE. " 249raison pure est le nombre 1, la science le nombre 2,l'opinion le nombre 3, la sensation le nombre 4, Platonn'est pas nommé. Âristote assistait à un mouvement,à un développement, ou plutôt à une décadence de l'écoleplatonicienne contre laquelle il lutta de toutes sesforces. La tendance mathématique, réglée et contenuedans l'esprit de Platon par le sens métaphysique, prédominaitdans des intelligences d'un rang inférieur etd'une trempe moins forte. Est-il étonnant qu'Aristote,devenu le chef d'une école opposée, ait enveloppé danssa critique l'école rivale tout entière, qu'il ait ren<strong>du</strong> lemaître responsable des excès ou des faiblesses de sesdisciples, et, ne surveillant pas assez sévèrement sa plume,ait quelquefois nommé Platon, quand il avait en vueles opinions de Speusippe et de Xénocrate * 1Car c'est en effet Platon qu'il nomme expressémentdans ce passage de la Métaphysique, où il signale entrePlaton et les pythagoriciens deux analogies et deux différences.Comme les pythagoriciens Platon fait de l'un,non pas un attribut de l'être, mais l'être même, la substance; et il fait des nombres les causes et les principesdes choses*. Il en diffère en séparant les nombres des1. I, 6, 987 b, 22.2. Met , I, 9, 991 b, 9 : Eloiv 4pt8u.oi Ta tUr,. Id., 1. 18 : 'H lésaàpi8u.6{. XIV, 2, 1088 b, 34 : Tov eiontixov àpi8u.ov. Id., 3, 1090 b, 35 :noioûat t«P XOTOV (le nombre mathématique) u.»Tatù TOù IIOXTIXOû xaltoù alefaiToù. Id., 6, 1093 b, 21 : OJx ol iv toïr, tt&saiv àptSuoi al-TIOI. Met., I, 9, 940 a, 30. Platon aussi admet et l'existence des nombresel celle des choses, et croit que les nombres sont les causes deschoses; et il appelle les nombres causes, vonroy;, et les choses ou nombressensibles, alotonroûc. Conf..Theophr., Met., 313,7.'Platon, enramenant lesétres à leurs principes, pourrait sembler touchera d'autrespoints; car il les ramène aux Idées, il ramène celles-ci eux nombres,


250 HISTOIRE.choses mêmes, et en dédoublant l'infini que les pythagoriciensavaient laissé un. C'est là cette fameuse dyadeindéfinie ' qui, avec l'Un, forme les éléments de touteschoses, même des nombres et des Idées; en sorte que ladifférence des Idées et <strong>du</strong> monde sensible s'évanouit,et que le <strong>du</strong>alisme apparent de Platon est ramené àl'unité de. substance. Les Idées elles-mêmes ont unematière, CXT)*, comme l'àme elle-même, composée deséléments*.Tout le inonde a reconnu que rien de semblable nese trouve dans les dialogues, et si l'on veut continuer àne plus voir dans Platon qu'un pythagoricien, il faut oului faire un procès de tendnnce, ou supposer un enseignementsecret, et recourir à la terra ignota des dfypaya8dY(*oT«, c'est-à-dire prouver l'invraisemblable par l'inconnu: ni l'un ni l'autre ne me semble légitime.Toûta; S'ik TOù< àpi6(ioù«, et des nombres il re<strong>mont</strong>e eux principes,ta; bfx&i. * Mais Théophraste ne fait que répéter son maître et sonami.1. Met., XIII, 7, 1001 a, 14 : *0 yàp àpiSué; lanv tx TOû ivé; xalrij;SuâSo; TîJç àoplaxou. H. Trendelenburg, de ldsris, p. 50, veut que partoutoù le mot éoptoTo; est précédé de l'article, il s'applique à la dyadedes pythagoriciens, et que partout où il est sans article, Aristote fasseallusion à la dyade platonicienne <strong>du</strong> grand et <strong>du</strong> petit. Cette distinction' subtile, que ne confirment pas les textes, ne prouve qu'une chose :c'est qu'Aristote confond dans sa critique toutes ces nuances, ou <strong>du</strong>moins ne se donne pas la peine d'en séparer les différents auteurs.2. là., id. : 'Q; ptlv vftriv té (ayet xel ta pixpôv «îvote àpx«;. Met.,XIV, 1, 1087 b, 12 : XpioTaût» axotxtîa TùV dptSpûv ta ptv Sûo 01TJ Y ,ta S'iv, popçifj;.... 1087 a, 4 : 'Ex cnotxctuv Te TCOIûJI Tù; tîco;. '3. De An., I, 2, 405 b : TTJV H/VX^* «* T0 >V croixeùev «ont. Et qu'ony fasse bien attention, les éléments, T4 oroixtia, sont pour Aristote descorps, les corps simples, Tù àit>5 ou>\ULta, c'est-à-dire ceux dont tonsles autres sont formés, et qui ne sont formés d'aucun autre. Conf. Met.,1, 8, 988 b, 30; V, 8, 1017 b, 10; IX, 1,. 1042a, 8; XI, 10, 1067 a, 1.Pays., III, 5, 204 b, 33.


HISTOIRE.S51Les points par où Platon se rattache au pythagorismesont sa doctrine de l'âme <strong>du</strong> monde, la plus grandepartie de sa cosmologie 1 , la tendance aristocratique desa politique. Il leur emprunte le procédé d'expositionSymbolique et allégorique, mais son génie d'artiste saitle transformer et l'ennoblir. Les mythes <strong>du</strong> Phédon et <strong>du</strong>Phèdre ont une couleur <strong>pythagoricienne</strong>.il professe l'immortalitéde l'âme, croit qu'elle est placée sous la gardedes dieux, qu'elle est dans le corps comme dans un tombeau,comme un voyageur dans unehôtelleriequ'il quitterabientôt pour une autre, dans une recherche incessanteet toujours trompée d'un vrai et éternel repos. Ilcroit à la métempsycose, à la préexistence, et à la reviviscencedes âmes; mais à ces croyances purement religieuses,il ajoute la doctrine de la Réminiscence, quiest une explication <strong>du</strong> problème de la connaissance<strong>du</strong> suprasensible, de l'intuition des idées de l'universelet <strong>du</strong> parfait, sans lesquelles le monde même que nousappelons réel ne saurait ni être ni être connu, et par làil imprime à cette mythologie un caractère scientifiqueet philosophique.11 ne faut donc pas s'étonner que Platon, qui a conscienced'avoir transformé tout ce qu'il a emprunté, nementionne que rarement l'école <strong>pythagoricienne</strong>, et encoreà propos de choses qui ne sont pas essentiellementphilosophiques'. Il appelle assez dédaigneusement Phi-1. Plut., Ou. Plol., VIII, 1 : > Théophraste raconta que Platon,dans sa vieillesse, se repentait de n'avoir pas donna à la terre, dansson système astronomique, sa vraie place, • c'est-à-dire la place quelui avait faite Philolaûs au centre <strong>du</strong> monde. Et voilà un des argumentsdont on se sert pour prouver que Platon pytbagoiisait dans savieillesse!2. Bep., VII, 530; X, 600 b.


S5SHISTOIRE.lolaûs nne espèce de mythologue sicilien ou italien,ignorance simulée sans doute, et qui ne pouvait êtresérieuse dans la bouche de l'acquéreur des trois fameuxlivres, va 6puUodiuv«t, de Philolaùs, mais qui ne marquepas une grande considération pour le philosophe pythagoricien,dont il fait semblant de ne plus se rappeler lenom ni la patrie.On lui a même reproché d'avoir été ingrat envers sesmaîtres, et, dans sa manie de faire de Socrate l'interlocuteurconstant de ses dialogues, d'avoir manqué d'artprécisément parce qu'il avait manqué de coeur et de reconnaissance.Je ne crois fondées ni l'une ni l'autre deces critiques. En mettant dans la bouche d'un pythagoricien' les doctrines d'un de ses plus grands dialogues,le Timée, il me semble avoir, et au delà, payé sa dette dereconnaissance envers cette école ; et j'accorderais encoremoins facilement qu'il ait manqué d'art. Le rôlequ'il donne à Socrate est une preuve qu'il ne manquaitpas de cœur, car comment pourrait-on se refuser à yvoir un acte de vénération et de gratitude, un témoignagepublic éclatant de la grande influence que lemaître avait exercée sur le disciple, et la plus bellelouange de l'excellence de sa méthode ; mais c'est enoutre, à mon sens, un trait de génie et un coup demaître.Il faisait revivre Socrate dans le rôle qu'il avait rempli1. Timée de Locres, très-versé dans la physique et l'astronomie,contemporain de Platon, avec lequel il eut des rapports personnels.Cic, de Finib., V, 20; ÏW., I, 37; de Rep., I, 10. L'écrit sur l'ime<strong>du</strong> monde, dont il passe pour l'auteur, et auquel on a supposé que Platonavait emprunté toute sa théorie cosmologique et physique, est aucontraire un écrit évidemment apocryphe, fabriqué avec le Timée iePlaton, peut-être vers le deuxième ou le troisième siècle de notre ère.


HISTOIRE. 253avec une puissance irrésistible qui avait fait de ce Silène,une Sy rêne, et continuait, pour ainsi dire, ses char*mants entretiens. Socrate seul, par l'autorité de soncaractère, la beauté de sa vie, l'héroïsme de sa mort,pouvait se prêtera une transfiguration semblable, et devenircomme l'idéal vivant de la vérité et de la vertu. L'artistey trouve aussi son compte : l'unité des doctrines estreprésentée et comme personnifiée par l'unité <strong>du</strong> personnage idéalisé qui s'identifie avec elles; c'est la thèseen action, le raisonnement prenant corps et vie, l'idéefaite homme.Platon n'est pas plus un pythagoricien, qu'il n'est unéléate, un héracliléen, un socratique : il estPlaton.Aristote était plus hostile encore aux principes philosophiquesdes pythagoriciens qu'à ceux de Platon : son' impitoyable bon sens se révolte contre les visions et leschimères de leur système, et sa logique contre les obscuritéset les confusions qui y régnent. Aristote, dontil serait puéril de contester le vigoureux génie et lagrande originalité, est un platonicien dissident, mais c'estun platonicien : quoi qu'il dise et quoi qu'il fasse, il resteenfermé dans le cercle magique dont le charme est toutpuissant. L'influence que le pythagorisme a pu exercersur lui n'est qu'une influence médiate. Je vois peu dechose en lui qu'on puisse y rattacher directement. Sansdoute il aspire, il tend à l'unité de principe, et en mettantl'espèce, la forme dans l'indivi<strong>du</strong>, il semble composerl'être, comme Pythagore, <strong>du</strong> fini et de l'infini ; maisle dernier mot de son système est encore le <strong>du</strong>alisme,et au-dessus de ce monde des êtres qui se composent deforme et de matière, dont l'acte enveloppe l'infirmité de


854 HISTOIRE.la puissance, il pose pour l'expliquer, la forme pure,l'acte pur, le principe immobile et simple <strong>du</strong> mouvementet <strong>du</strong> composé. Aristote est un idéaliste, et c'est,je crois, méconnaître le sens profond de sa métaphysiqueque de l'appeler une physique *. Le vrai nom de lascience qu'il crée est <strong>philosophie</strong> première, ou mieuxencore théologie. Les scolastiques ne s'y sont pas trompés.Aristote a presque aussi vivement attaqué les théories<strong>pythagoricienne</strong>s que celles de Platon, entre lesquellesil signale de profondes affinités : il semble particulièrementrepousser le penchant pour les mathématiques,dont il considère la prédominance comme nuisible,comme mortelle à la <strong>philosophie</strong>. Lui-même, en effet,malgré son formalisme logique, et son procédé générald'exposition, qui a souvent la raideur et la sécheressegéométriques, s'est très-peu occupé même deshautes mathématiques, puisque le Traité <strong>du</strong> Ciel, estson unique ouvrage en ce genre, et est d'ailleurs d'uneauthenticité douteuse. Mais néanmoins, quoi qu'il endise, Te pythagoiisme, qu'il attaque, a pénétré, commele platonisme, dans bien des parties de sa doctrine, y apénétré profondément et y a laissé des traces manifestesde son influence.C'est ainsi qu'il emprunte au pythagorisme ce grandet admirable principe, que l'ensemble des êtres, leinonde réel des substances, le tout, comme disaient les1. M. Nourrisson, Rapport, p. 226 : > Il (l'auteur) n'a pas remarquédavantage combien le Stagirite lui-même procède de Pytbagore....Plus on y regarde de près, plus on se persuade qu'il existe d'intimesaffinités entre la métaphysique de Pytbagore et la métaphysique d'Àristote,qui,elle-même, par plus d'un endroit, n'est en réalité qu'unephysique. •


HISTOIRE. 355pythagoriciens, est une progression, forme une sérieliée dont chaque terme contient tous les termes qui leprécèdent, comme, dans le système de la Dérade, toutnombre contient les nombres placés eu-dessous de luidans le développement naturel des nombres identiquesaux choses. Ces termes représentant des valeurs inégales,mais liées par une même raison, constituent desproportions, proportions continues dans l'ordre del'être,* discrètes dans l'ordre de la science.Le monde des êtres inanimés obéit lui-même à cetteloi souveraine, qui veut que l'inférieur soit soumis nucommandement <strong>du</strong> supérieur, par ce qu'il est bien qu'ilen soit ainsi ; et pour les êtres inanimés, cette puissancesouveraine c'est l'harmonie 1 .La notion de l'ordre, de la beauté, de l'harmonie,n'est pas encore celle de la cause; mais elle éveille naturellementcette dernière, et en se combinant avec ellepro<strong>du</strong>it la nation de la cause finale, dont Arislote a faitun si grand usage, qu'une réaction a peut-être été nécessaire.Mais en tout cas, c'est en lui que se manifestesurtout cette pénétration de ces deux idées si profondémentphilosophiques, dont l'une au moins appartientspécialement au pylhagorisme.La nature, d'après Aristote, est le fondement interne<strong>du</strong> mouvement. Mais tout .mouvement a une direction,un but. Nous appelons but toute chose où se <strong>mont</strong>reune fin vers laquelle tend le mouvement et qu'il réalisequand il n'y a pas d'obstacle 1 , ou quand l'obstacle n'est1. Polit., I, 5, 1524 a, 33 : Kal Y«P t» "*« tà |Ui


256 HISTOIRE.pas trop puissant. C'est ce but qui détermine la directioncomme la mesure <strong>du</strong> mouvement, et c'est cette finqui est véritablement identique à l'essence et à laforme des choses, c'est cette fin qui est vraiment a nature.Mais non-seulement la nature est le principe <strong>du</strong> mouvement,— qui peut lui-même être considéré commeune force vivantes — mais elle eslaussi en même tempsle principe de l'ordre'. Tout est en ordre, chaque choseest en rapport avec l'autre, et toutes ont un objet uniquepar rapport auquel elles sont ordonnées. Toutes chosesconspirent, tendent, contribuent, participent autout».La nature aspire ainsi non-seulement à l'être, à lapersistance dans l'être, mais à la perfection de l'être :l'être même est une perfection et si humble qu'il soit,il est un bien; il est supérieur au non-être 4 .L'être est la synthèse, ou plutôt l'unité d'une pluralité 4 .Le non être, c'est une pluralité qui n'est pas parvenue iformer un tout, où l'harmonie n'a pas vaincu l'oppositionet la répulsion des contraires, et ne les a pas ré<strong>du</strong>its1. Phyt., VIII, 1, init. : OIov (ciri) TIC O3VK TOIC çû«I a-uvtsrâxâeiv.2. Phyt., VIII, 262 a, II : 'H -ràp fvetc aWa mm TÔfjtu;. Cf. dePartib. atùm., t. I, 641 b, 12; de Cal., n. 8, 289 b, 25; de Cen.anim., III, 10, 760 a, 31. Met., Xli, 10, init. : Xuvt»TaxT«.3. Met., XII, 10, 1075 a, 24 : Koivwvil axavTci tl; xi SXov.4. Ethic. Nie., IX, 9, 1160 b, 1 : *û«t rap 4 T a64v Ca>f} ; et, li.,1170 a, 19 : T6 8c iftv t&t xaS'aOxà àfaSûv xai rjSécav.Oe Gen.elCorr.,II, 10, 336 b, 26 : 'E, àxooiv àel TOû BCXTIOVO; bpéytabtti fpap.iv rr,'f en.... BIXTIOV 81 ta ilvai 9| TO p.ri ttvai....5. Met., IX, 10, 1051 b, 11 : T4 utv rivai tort ti ovpctta6ai xoi i»tlvxi.


HISTOIRE. 257à l'unité*. Tout être vivant est nn petit monde, qui,comme le grand, est un tout*.Le germe qui l'engendre est en puissance tout ce quesera l'être réalisé, et contient la série de tous ses développementsfuturs. A son principe, dans sa forme premièreet primitive, l'être est déjà complet, sinon parfait,et tel que le développera le mouvement delà nature 1 .A la fois pythagoricien et leibnizien, Aristote ramène leschangements dans les êtres particuliers, au développementspontané des raisons, qui leur servent de fondement.Ces changements observés et manifestés dans lesdéveloppements des divers êtres particuliers ont leurslois harmoniques, leur ordre immuable; leur vrai principec'est cette harmonie même, qui est l'harmonie éternelle.Le monde est l'ordre môme, 6 KoVpoi; : cet ordre aune cause, — car il y a une cause avant la cause, Aristoten'en doute pas ; — celte cause c'est l'unité, ou laperfection <strong>du</strong> principe commun et suprême de toutesles causes secondes et de tous les êtres particuliers,auquel il donne le nom significatif d'acte.Ce n'est pas seulement dans le fond intime et secretde ses -conceptions qu'a pénétré l'esprit <strong>du</strong> pythagorisme,et avec lui le sentiment profond et vrai, de l'unité,de l'ordre, de l'harmonie de toutes choses et en touteschoses : on saisit encore manifestement cette influencedans le caractère général de son exposition. Partout on1. ld. : T6 5ï y,


258 HISTOIRE.voit dans Aristote apparaître non-seulement les formulesmais les notions mathématiques, chères aux pythagoriciens.A chaque instant, dans l'analyse de la proposition,<strong>du</strong> syllogisme, de la science, dans l'exposition et la définitiondes idées morales, on retrouve les idées et lestermes familiers aux pythagoriciens de la limite, del'intervalle, <strong>du</strong> nombre, des proportions, des progressions,soit discrètes, soit continues, soit arithmétiques,soit géométriques.Ainsi pour Aristote comme pour les pythagoriciens,le cercle est l'image <strong>du</strong> développement que parcourt lanature, et qui ramène par la mort l'être à son point dedépart. Il se sert même des expressions toutes <strong>pythagoricienne</strong>s:Qaittf xîiçtpôffSUK 5tauXo$pO|j.ouaT)(, xalàvEXirtoii&»i


HISTOIRE.S59contraire que l'intelligence fasse un mouvement pouraller de l'un à l'autre, il faut qu'elle traverse au moinsun intermédiaire, et cet intermédiaire est un troisièmeterme, qui est alors évidemment une moyenne proportionnelleentre les deux extrêmes.Bien plus, ces termes sont des termes quantitatifs : ilsexpriment des quantités, et des quantités de mêmeespèce, de nature à être mesurées par une communemesure, à être comparées les unes avec les autres. Aufond il est très-exact de dire qu'Aristote les traite commedes nombres. C'est pour cela que les termes peuvent etdoivent être considérés comme contenus l'un dans l'autre,comme ayant une quantité susceptible de plus etde moins. Ramené à sa forme la plus simple, le syllogismeu'esl qu'une proportion ; A est en B ; B est en C,et par conséquent, A est nécessairement en C. Et lesrapports de contenance et de quantité persistent en serenversant, soit qu'on envisage la compréhension, soitqu'on envisage l'extension des termes : car la compréhensioncomme l'extension enveloppent l'idée <strong>du</strong> pluset <strong>du</strong> moins, de la grandeur, de la quantité. Les deuxextrêmes sont à cet égard dans le rapport inverse ; leplusgrand selon l'extension estle plus petit selon la compréhension; on voit ainsi qu'ils se contiennent tour àtour l'un l'autre : et de même le moyen doit être considérétour à tour comme contenant chaque extrême, etcomme contenu dans chacun d'eux : soit A, B, C. Si Best contenu dans A selon la compréhension, A est contenudans B selon l'extension ; et de même si B contientG, selon l'extension, G contient B selon la compréhension.Il n'y a donc, d'après Aristote, dans le syllogisme


260 HISTOIRE.que des rapports de grandeurs, c'est-à-dire des rapportsnumériques. Ce moyen terme est une limite, une limitecommune aux deux termes limités; en même temps ilest indivisible; indivisible et un en soi, mais double dansson rapport aux extrêmes dont il est l'intermédiaire, etréunissant à la fois les deux contraires, l'unité etla pluralité. La science tout entière dans son éten<strong>du</strong>en'est pas une quantité continue comme l'espace où sepro<strong>du</strong>it le mouvement ; elle se divise en un certainnombre déterminé d'intervalles : ces intervalles sont lespropositions, qui ne sont pas, il est vrai, des quantités oùla quantité même, en tant qu'elle exprime une matièreinfinie et continue, s'évanouit, mais où on en retrouvequelques éléments inéliminablcs. La science est un nombre; elle exclut denc l'infinité de la matière. La définitionest un nombre, car elle est une limite; en effet, on ne peutentre les deux termesd'une proposition, insérer une infinitéde moyens termes, sans quoi la pensée, qui devraitlus parcourir tous, n'arrivant jamais à l'extrémité, ne seréaliserait jamais. Il n'y aurait jamais ni définition nidémonstration.Ce nombre trois, qui détermine et complète commenous venons de le voir les conditions de la pensée et <strong>du</strong>raisonnement, détermine également les conditions de l'être.L'être est le rapport, l'unité, la rencontre, o-ûvoîo;,d J la forme et de la matière, de l'acte et de la puissance,et comme disait Philolaùs, <strong>du</strong> fini et de l'infini, et iiunpis comme on pourrait le croire, le lien, la synthèse, lemixte de deux substances, existant par elles-mêmes etunies entre elles'. De même encore ce nombre renferme1. Jf^t., vin, 6-10-45, b. 11 et Top., vi, 14.


HISTOIRE. 261les conditions d'existence de l'éten<strong>du</strong>e : car l'éten<strong>du</strong>e atrois dimensions, et ces trois dimensions contiennentoutes les dimensions possibles. Aristote lui-même reconnaîtl'origine toute <strong>pythagoricienne</strong> de cette loi ternaire,de ce rhythme à trois temps, de l'existence et de la pensée.« Toutes choses est trois ; trois est partout : car ainsique l'ont dit les pythagoriciens, le tout et tout est déterminépar le nombre trois,» qui épuise ainsi les conditionsde l'être, de la pensée, et de l'être et de la pensée dansleur perfection 1 .Si nous passons à la morale, nous serons plus étonnésencore des influences profondes que les notions mathématiquesdes pythagoriciens ont exercées sur les théoriesd'Aristote. Là encore nous retrouvons les idées de lagrandeur, de la quantité, de la limite, de la proportion.Le mal est ou un excès ou un défaut, puisque la perfectionpour une chose consiste à avoir tout ce qu'illui faut avoir, ni plus ni moins, omnes numéros habens.Le bien est donc à la fois une fin, et un milieu oumoyen terme entre les contraires : ce qu'on ne peutcomprendre, que si on considère ces trois points placésil est vrai en ligne droite, mais en une ligne droite quiforme le diamètre d'un cercle ou d'une sphère; et là onpeut voir, comme nous l'avons déjà fait voir, que lecentre est à la fois le point initial et final de cette ligne.L'excès et le défaut forment les extrêmes d'une proportioncontinue dont le bien est le moyen terme ; il n'y apas entre eux simplement différence de quantité, mais1. De Cal., I, 1 : Aià Tù Tpia navra eîvai xai T4 Tpt; navriy xafidntpvàp çaat xai ol IIuSaYOptïoi, TOnâv xai ta icavïa IOï; tpiaiv ûpiarat.Cf. Met., V, p. 97,1. 17; XIII, p. 262, 1. 6. Brand.


262 HISTOIRE.une différence quanlilativerégulière, mesurée par un rapportd'ordre ; en un mot ce rapport forme une proportion; de plus celte proportion n'est pas une proportionarithmétique ou par différence; mais une proportiongéométrique ou parraison. Le bien, limite commune del'excès et <strong>du</strong> défaut, n'est pas ainsi une moyenne différentielle,mais une moyenne proportionnelle.Ces proportions sont continues : mais quand on arrivede la notion <strong>du</strong> bien absolu à celle de la justice particulière,on passe de la proportion continue à la proportiondiscrète.La justice particulière se propose de répartir entreles personnes qui appartiennent au corps sociablesbiens extérieurs qui sont le pro<strong>du</strong>it de l'activité sociale.Au lieu d'un seul moyen terme, également opposé auxdeux extrêmes, nous en trouvons ici deux, et par conséquent la proportion ayant quatre termes indépendants,différents et séparés, devient une proportion discrète.Il y a deux sortes de justice particulière, l'une decompensation, ou de correction, qui consiste à égaliserles biens entre les personnes, ajoutant là où il y a défaut,retranchant là où il y a excès; c'est une justice,une égalité par proportion arithmétique'.Mais il est une autre forme de la justice où il ne s'agitplus de réparer les inégalités, et de compenser les différences,mais au contraire pour ainsi dire de les créer etde les pro<strong>du</strong>ire. Car s'il est vrai que sous un point devue tous les hommes sont égaux entre eux et ont droit1. Ethic.Kic, V,4 : Tè StopOomxôv.... êa-rlv |ièv laâv «..., à)jî XOTô^JV àpi8|jniTixr,v (iviAOf(av).


HISTOIRE. 263à une part égale des biens sociaux 1 , sous un aulre pointde vue, ils sont tous, inégaux, et la justice veut que lesbiens soient répartis entre eux dans la proportion deleur valeur et de leurdignUé relatives dans l'état social.Il s'agit donc ici de rapports à établir, et la justice distribuée,qui mesure à chacun sa part suivant son mérite,est une proportion géométrique 1 .Aristote, dans sa théorie de la connaissance, pose enprincipe, que toute vérité a pour caractère d'être en toutparfaitement d'accord avec elle-même* : car tout ce quiexiste réellement est en parfait accord avec la vérité,TM (ièv Y&p ctX-r)6ct ndivTa cuvaSu vi ÙTrâpjrevTa*. On ne peutméconnaître ici et la pensée et presque les expressionsmêmes de Philolaùs : « La nature <strong>du</strong> nombre et l'harmoniene supportent pas et ne comportent pas l'erreur*. »1. Ethic. Nie., V, 4. Par exemple : « Peu importe que ce soit unhomme noble qui ait volé un citoyen de basse origine,.... la loi jieregardequ'aux délits : elle traite les personnes comme tout à fait égales: xpivratiK iaoïc. > Et Aristote, comme pour mieux marquer le caractèregéométrique de ses définitions, y ajoute un exemple tiré de laGéométrie même : n Soient trois lignes égales. De AÂ retranchons Ae,et i Ce ajoutons CD : il en résulte que la ligne entière CeD surpasseAe de la partie fe et de la partie cD; elle surpasse donc aussi BB de laquantité cD. • Je ne cite pas cet exemple pour éclaircir la théoried'Aristote, car il l'obscurcit plutôt, mais pour en bien <strong>mont</strong>rer le caractère,ou <strong>du</strong> moins pour <strong>mont</strong>rer le caractère de l'exposition.2. Ethic.. Nie., V, 312 : Té vàp ivâXoyov, piacv* TA Se îixoîov,èvâXoyov. 13 : KaXoùot Si tr,v TOiaOvriv àvaXovieiv ytupirpixriv ol paOr,-pxTixoi. Et en effet, dans la proportion géométrique, le premier totalest au second total, comme chacun des deux termes est à l'autre.Platon avait aussi compris qu'il y a une justice de proportion qui établitl'égalité par l'inégalité même-, mais il ne s'était pas complu dansces rapprochements et ces formules mathématiques, et peut-être n'avait-ilpas eu tort.3. Antdyt. Pr., I, 32, p. 47 a, 8.4. Ethic. Nie., I, 8, p. 1098 b, 11.4. Stob., Ecl. Phyt., I, p. 10. Heeren.


264 HISTOIRE.Mais lorsqu'Aristote appelle la définition une sorte denombre, parce qu'elle forme un composé de l'essenceet des attributs essentiels, et que ce composé forme luimêmeune unité, un tout d'un nombre déûni de partiesindivisibles, auxquelles on ne peut rien ajouter nirien retrancher, sans en changer la nature', qui pourraitvoir là une influence de la <strong>philosophie</strong> <strong>du</strong> nombre?ou pourrait en voir une plutôt dans le nombre des dixcatégories où Aristotc ramène les principales déterminationsde l'être, et qui rappelle la décade <strong>pythagoricienne</strong>?Quant à la question desavoir si l'invention première decette table des catégories ou notions fondamentales, appartientà Archytas, comme cela ne fait pas doute pourSiinplicius et Iamblique', bien qu'il puisse rester quelquesscrupules dans l'esprit d'un critique impartial, ous'accorde cependant généralement à nier l'authenticité del'ouvrage où Siinplicius puise les fragments qu'il nous aconservés. Il est certain que Siinplicius, Iamblique, quine sont pas, dans l'ordre philosophique, des écrivains àdédaigner, le considèrent comme d'Archytas, et s'en serventpour commenter les Catégories d'Aristote. Maisalors comment Platon n'a-t-il pas connu celte théorielogique ? comment n'en trouve-t-on dans ses ouvragesque des traces obscures, de vagues indications, au lieude la précision nette et claire que nous rencontronsdans les citations de Simplicius? Comment Aristote quin'a jamais manqué de raconter les essais antérieurs des1. De partit) ani'm., VIII, p. 169, I. 30 : 'On yàp opiauè; àpiôpji;•ci;, et de An., 1,3.2. Voy. tome 1, Fragm. d'Archytas.


UIST01RE. 265doctrines qu'il critique, rectifie, complète, ne mentionnet-ilpas la théorie d'Archytas si complètement identiqueà la sienne, et au contraire se vanle-t-il de marcherlà dans une route que nul n'avait frayée avant lui'?Il est évident qu'Aristote serait encore plus pythagoricienque nous ne le croyons, s'il était vrai qu'il eûtemprunté à cette école son système logique des catégories.Sans insister sur la question encore douteuse del'origine de cette classification célèbre des prédicats lesplus généraux de l'être, des idées les plus générales quipeuvent être attribuées à un sujet, affirmées et ditesd'un sujet 1 , nous ne pouvons nous empêcher de remarquerque la table des dix couples de contraires, considéréscomme principes des choses, d'origine certainement<strong>pythagoricienne</strong>, était un antécédent de natureanalogue, sinon de contenu et de début identiques. Ets'il est exact de dire que les catégories d'Aristote sont sortiesd'un besoin logique, et de la nécessité de définir lesidées, il n'en faut pas moins reconnaître qu'à l'originede la science, qui parcourt un cercle et revient toujoursà son point de départ, les principes réels des choses n'étaientpas nettement distingués des catégories logiquesqui les expriment, et qu'Hegel n'a pas été le premier àconfondre l'ordre de l'être avec l'ordre des notions. AussiPlotin appelle-t-il les catégories les genres de l'être, etZeller les rattache à la métaphysique, tandis que Tennemanncompare la table des contraires aux catégories1. Sophist., Elench., c. 35, p. 183 b, 34 : TaÙTïiç Se npaY(iaTtia«, oùto |iiv tjv, xà £t oùx T,v 7cpoeteipY aa l JL ' vov , ^**' oùSiv navrtAù; ùxïjp'vev.2. V. plus haut, t. I, p. 102 sqq.


S66HISTOIRE.d'Aristote 1 , et Hegel les nomme nettement une table decatégories*. C'est parce qu'il veut à toute force dé<strong>du</strong>irel'origine des catégories aristotéliques exclusivement del'analyse des formes <strong>du</strong> langage, et croit que l'auteur n'yest arrivé que par la voie de la grammaire', que M. Trendelenburgrefuse d'admettre cette analogie, qui me paraitcertaine, quoique assurément imparfaite. Car il y aentre ces deux classifications, l'une surtout logique,l'autre surtout réelle, de profondes et nombreuses différences,et je crois que c'est par une violence faite auxchoses que Pétcrsen a voulu ramener les catégories auxdix principes des pythagoriciens*. Mais il n'en reste pasmoinsd'une part le nombre 10 communaux deux tables*,et d'autre part la tentative commune de diviser systématiquement,en un certain nombre d'idées, les principesles plus généraux de la pensée ou les principes les plusgénéraux de l'être, qui ne peuvent pas être bien différentsles uns des autres.On se rappelle cette hiérarchie des degrés et des formes1. Gesch.d. Philos., I, p. 112.2. Tories, ùb. d. Gesch. Phil., I, p. 248.3. 11 manque cependant dans celte hypothèse même une Catégorielogique, répondant à la conjonction.4. Chr. Petersen. PhilosophiéeChrysippex fundamenta innotionumdispositions posita, p. 12.5. Aristote, sans les nommer toujours toutes, n'a jamais varié sur cenombre, et il a cru certainement qu'il épuisait la matière. Les couplesde contraires ne font guère que présenter sous des faces différentesl'opposition primitive et la contradiction essentielle <strong>du</strong> fini et de l'infini.Il y a plus de variété réelle dans l'analyse d'Aristote, quoiqu'il n'yait pas plus d'ordre, et qu'on ne puisse même pas deviner le principed'où il est parti pour les établir, ni s'il a eu l'idée que ces catégoriesse pouvaient dé<strong>du</strong>ire les unes des autres, et qu'elles devaient seré<strong>du</strong>ire en un système.


HISTOIRE. 267de l'être, qui devait se présenter dans la doctrine <strong>pythagoricienne</strong>d'autant plus naturellement que les genres del'être y étaient exprimés par des nombres, ou plutôt identiliésavecdes nombres. C'est le germe de cette profondeet admirable pensée d'Aristote que l'ordre, la série, enchaîneet relie les uns aux autres tous les genres et tousles degrés de perfection des êtres, que la nature est untout dont les extrêmes sont réunis par une série progressiveet ascendante de moyens. La nature est uneforce secrète qui remplit toute la catégorie de la substanced'une échelle d'existences, liées par la loi d'unprogrès continu, qui ne laisse aucun vide et ne permetaucun saut', et telle que chaque existence supérieurepossède en puissance au moins toutes les fonctions del'existence inférieure * et les enveloppe sous une formeplus haute et sans les supprimer, tout en effaçant doucementles caractères spécifiques, et les fondant dansune activité plus parfaite. Cette magnifique conceptionde la nature, qui permet à Aristote de s'écrier, à la vuede l'ordre qui partout y éclate, que tout y a quelquechose de divin, «âVr* tp


268 H1ST0IUE.théorétique ou spéculative, interviennent les sciencesmorales et les activités pratiques. Qu'est-ce que le syllogisme?si ce n'est l'imitation de cette méthode de la nature,qui comble par un ou plusieurs moyens le videaperçu entre deux idées extrêmes, c'est-à-dire une proportion,une harmonie, où chaque terme contient leterme qui lui est inférieur, et cela dans les deux sens,aussi bien quand on dispose les termesd'après la quantitéde leur extension, que si on les dispose d'après cellede leur compréhension.Mais est-ce directement de Pythagore, n'est-ce pasplutôt de Platon, qu'Aristote a emprunté ces profondespensées? C'est pour Platon un principe que nous nevoyons pas affirmé avec cette précision, et avec ce développementdans Philolaùs', mais qui n'en respire pasmoins l'esprit <strong>du</strong> pythagorisme, que deux choses nesont pas bien liées entre elles si ce n'est par l'interpositiond'une troisième qui tienne à la fois de l'une et del'autre. La proportion fait l'harmonie, et l'harmonie faitl'unité, c'est-à-dire la perfection. La proportion la plussimple est celle qui insère entre les deux extrêmes aumoins un moyen. Pour former le corps <strong>du</strong> monde, il ena fallu deux, parce que le feu et la terre qu'il s'agissaitd'unir étaient pour ainsi dire incompatibles. Pour l'àme,un seul a suffi : c'est l'essence mixte ou moyenne,participant de l'intuition sensible et de l'intuition intelligible,et qui fait de l'ensemble un tout et une unité".A côté de cette division ou composition de l'àme, quiparaît avoir pour but de nous en faire connaître le fond1. Philolaùs ne paraît l'avoirappliqué qu'à la musique ctà l'astronomie-2. Tint., 35 a : lloiriaàu.tvo; ëv ô).ov.


HISTOIRE. . 269et l'essence, il en est une autre dans Platon, qui en explique,également par des nombres enchaînés par la loi desproportions, les fonctions et les opérations.Des deux cercles ou mouvements de l'âme, l'unéchappe par son essence même à la division : il est indivisibleet simple par nature : c'est le cercle <strong>du</strong> même;mais le cercle de l'autre, qui, au contraire, participe paressence à la divisibilité, se partage en six cercles ou mouvements,c'est-à-dire en six facultés enfermant toutesquelque sensation et se rapportant plus ou moins à desobjets sensibles. Ces facultés sont entre elles comme lesnombres de la double série proportionnelle suivante :1, 2, 3, 4, 9, 8, 27,où se trouvent deux progressions par quotient que nousavons déjà rencontrées dans l'octave ou harmonie philolaïque1 . Platon va plus loin encore, et entre chaquemembre des deux progressions il insère deuxmoyens , l'un harmonique , l'autre arithmétique.Les nombres obtenus par ces calculs mesurent, suivantlui, ou les distances des planètes à la Terre ou leurvitesse ou leur dimension relatives; on les retrouvecomme constitutifs de la gamme diatonique ou de l'octave,et enfin ils manifestent encore" leur puissancedans la composition de l'âme. L'âme n'est pas un nombre,suivant Platon, ni une harmonie, mais elle estfaite avec nombre, proportion, harmonie*. Les nombresque nous venons d'établir se manifestent partout, dansles sons, dans les grandeurs, dans les mouvements ;1. Exposition, ch. v; l'Harmonie, p. lit.3. Tim.'p. 37 : "ATI àvà Xôyov |i«pto8eiaa x»l Çuv8iïaa.


270 . HISTOIRE.comment l'âme ne les contiendrait-elle pas, puisqu'elledoit les comprendre ? car une chose ne peut être connueque par son semblable. Voilà les doctrines dePlaton.Il pourrait donc se faire que ce fût de Platon qu'Aristoteait tiré ce principe, que la loi <strong>du</strong> nombre règle lemonde physique comme le monde moral, l'échelle desexistences comme la série enchaînée de nos pensées etde nos raisonnements; mais il est évident que l'origine etl'esprit en sont vraiment pythagoriciens.Une influence plus directe est celle qu'on aperçoit dansla théorie esthétique d'Arislote, où le beau, défini parl'ordre, la proportion dans la grandeur ', est expressémentramené aux concepts mathématiques 1 , et où leseffets de l'impression esthétique sont caractérisés par leterme même des pythagoriciens, la célèbre purificationde l'âme, ou xaOapo-iç. Quoique ce mot ne doive se rapportersans doute qu'à une certaine sérénité, un certainétat, où l'âme affranchie <strong>du</strong> poids de la réalité et de lavie, s'élance joyeuse et les ailes légères' vers les imagesidéales <strong>du</strong> monde de la poésie et de l'art, l'élément moraln'est pas absent de cette conception ; car celte joie,1. Poet., 7 : T6 vàp xaXôv iv |i«Yi8ei xai xâÇu. Met., XIII, 3, 1078a,36 : Toû Si xaXov iiiviora ctSi] xdiîi;, xai auppicxpla xai xi wpiopivov,S uàXtsxa Seixvûouatv al aa9T)uaxixal ixiaxîiuai.2. Met., XIII, 3, 1078 a, 31 : T6 Si (xaXov) xai iv xoîç àxivYJxott,c'est-à-dire les figures mathématiques. On a donc tort de dire que lesmathématiques ne s'occupent pas <strong>du</strong> beau. Si elles n'en prononcent pasle nom, elles en <strong>mont</strong>rent la chose, les résultats dans les œuvres del'art, xà ipya, et en dé<strong>mont</strong>rent les principes rationnels, tour, XOYOV;-Aristote, à la fin de ce chapitre, promet même de traiter ailleurs avecplus de développement ce sujet. L'a-t-il fait, et dans lequel de ses ouvrages? Bonitz l'ignore, et l'avoue.3. Polit., VIII, c. 7 : ..,. Koux.ir,ea6ai («6' YJOOVïK.


' HISTOIRE. 271celte délectation, pour être vraiment purificative, doitêtre innocente et moralement pure *, et presque religieuse2 . On ne peut méconnaître dans toute celte théorieune influence directe et profonde de l'esprit <strong>du</strong> pythagorisme,et même de ses pratiques encore plus que de sesthéories expresses.Mais Aristote ne reçoit cette influence qu'indirectementet dans des détails qui ne touchent pas au fond età l'essence de sa doctrine et de son système, qui substituentla notion de l'activité et <strong>du</strong> bien vivants, au conceptmathématique et abstrait de la beauté et de l'ordre,en soi sans mouvement et sans vie.Il n'en fut pas ainsi des successeurs immédiats de Platondans l'Académie : ils penchent, on peut dire qu'ilstombent dans un pythagorisme extravagant, et d'autantplus contradictoire, qu'ils essayent, sans y réussir, à leconcilier avec la haute et sensée doctrine de leur maître.La théorie des Idées est certainement une théorie unpeu vague '• elle n'a reçu de son auteur aucune déterminationprécise, aucune expression nette, ferme, tranchéequi aurait pu eu prévenir les altérations, ou lesinterprétations fausses ; il ne faut pas trop s'étonnerde la voir déjà méconnue par ses disciples les plusintimes.Platon avait posé,avec)trop peu de netteté d'expressionpeut-être, trois sortes d'Idées au fond très-distinctes ettrès-différentes ' : les Idées essences, de nature divine ;1. ld., id. : Ta xaflasTixà xapi'/ii x'p&v iSXaâi).2. Proclus se sert de l'expression à$oai


272 HISTOIRE.les Idées genres, de nature logique et mathématique ;les Idées physiques, essences des choses sensibles et indivi<strong>du</strong>elles.Par cette distinction féconde, il avait rompuavec la tendance <strong>pythagoricienne</strong> et abstraite : ses disciplesy retournèrent immédiatement. Le grand et sageesprit, — car il n'y a pas de vraie grandeur sans la sagesse,— qui avait su faire au pythagorisme sa place, etavait su la lui mesurer, n'étant plus là, les platoniciens selaissèrent emporter par l'ivresse de l'abstraclion logique; c'est d'eux qu'il fut vrai de dire : La <strong>philosophie</strong>s'est per<strong>du</strong>e dans les mathématiques ; car c'est à eux,comme je l'ai dit, qu'il faut attribuer ces théories que,dans son expression un peu trop vague, Aristole a l'airde rapporter quelquefois à Platon même. Ce sont euxqui confondirent les Idées avec les nombres, et la distinctiondes Idées nombres, ou nombres idéaux et desnombres mathématiques ne sauva pas la théorie des absurditésque le bon sens implacable et la sévérité salutaired'Aristote y signalent avec tant de vigueur.Par une conception étroite et partielle de la doctrinedes Idées, les nouveaux platoniciens n'en voulurent voirque le sens dialectique, logique ; on la ramena ainsi à ladoctrine de l'unité absolue dans son opposition à l'infini.Comme toute Idée, en tant que forme logique, serésout dans une idée plus générale, jusqu'à ce qu'onarrive au genre le plus haut, le genre^généralissime,comme on dira plus tard, la dialectique devenue purementabstraite et formelle retomba dans l'unité videdes éléates ; le caractère vivant et réel de l'Idée s'évaoùot'a;,TptTigv Si TôV ataO^nav ntiiâtuv oùatav. Conf. XIII, 6, et envingt autres passages, v. Bonitz, ad Met., p. 91.


HISTOIRE. 273nouit dans les concepts imaginaires de la dyade et dela triade, dont personne n'a jamais pu signaler la tracedans les textes de Platon.De même que Platon avait posé trois sortes d'Idées,ou distingua trois sortes de nombres : le vrai nombreou nombre idéal ; le nombre mathématique ; le nombresensible *. Le premier contient les t ormes ou raisons <strong>du</strong>dernier, et le second, qui leur sert d'intermédiaire, mesureet détermine ces rapports. Les nombres idéaux sontdistincts des nombres mathématiques en ce que, différentsles uns des autres par leur qualité eomme parleur quantité, ils ne sont pas combinables ente- eux :ils ne sont pas de même espèce ; tandis que les nombresmathématiques ont au contraire pour caractère de secombiner entre eux. Mais au lieu de me borner à uneanalyse qui, dans un sujet si obscur, risque de n'être pastoujours suffisamment claire, j'aime mieux donner icipresque en entier l'exposition d'Aristote, et quelques-unesde ses réfutations qui la complètent. J'ai dû refaire latra<strong>du</strong>ction de cette partie de la Métaphysique, car quelqueservice qu'ait ren<strong>du</strong> la très-louable tra<strong>du</strong>ction deMM. Pierron et Zévorf, elle laisse encore dans l'espritde celui qui la lit, sur ce point particulièrement, biendes incertitudes et des obscurités, que je ne me vante pascependant d'avoir toutes dissipées.Il en est 1 qui posent les nombres comme des essences1, Met., XIII, 8,1083 b, 30 sqq.2. Met., Xlil, c. 6,1080 a, 15 sqq. Que la théorie des nombres idéauxn'appartient pas à Platon et ne doit pas èlre confon<strong>du</strong>e avec la théorie desIdées, c'est ce qu'Aristoie lui-même reconnaît parfois, et notamment,XIII, 4, 1078 b, 9, où il dit : « Nous allons d'abord traiter de la théoriedes Idées, sans confondre la nature de l'Idée avec la nature <strong>du</strong> nomii—18


874 HISTOIRE.séparées, et causes premières des êtres : le nombre es!alors un être, «.ûctç TIC, et il n'y a pas une substancedifférente de lui, mais il est cela même. S'il en est ainsi,il faut que, parmi les nombres, il y en ait de premiers,d'autres postérieurs, et que chacun diffère de l'autre enespèce*.En tant que différents en espèce, ces nombres sontdonc aauu,6Xr)Tot : ils ne peuvent pas être combinés oumis en rapport entre eux.Il y a trois sortes possibles de nombres :1. Ou bien chaque unité de chaque nombre repoussetoute combinaison avec une autre unité, parce quetoutes ont chacune leur espèce et leur qualité propre;2. Ou bien les unités qui composent les nombres sontcombinables entre elles, comme dans le nombre mathématiqueoù aucune unité ne diffère d'une autre unité,mais ne sont pas cependant absolument incombinables :car on peut admettre que chacune des unités qui composentle nombre 3, par exemple, est combinable avec lesautres unités de ce même nombre 3, mais qu'aucune desunités de 3 n'est combinable avec celles <strong>du</strong> nombre 4,ou <strong>du</strong>nombre 5. Ainsi la dyade n'est pas formée de deuxbre, mais en la présentant telle que l'avaient d'abord comprise ceulqui les premiers ont soutenu l'existence réelle des Idées, UT, Cmûaêw44 àfX'A ol TtpÛTOi -ex; tBéxc »ï)a


HISTOIRE. 2 75unités identiques à l'unité de l'un : la triade se formesans le deux, et ainsi de suite ; il y a donc :1. Des nombres incombinablcs, tels que ceux quenous avons en premier lieu définis.2. Des nombres combinables, tels que les nombresmathématiques.3. Des nombres incombinables entre eux, tels que ceuxque nous avons définis en second lieu.On peut faire une autre distinction entre les nombres.1. Ou bien ils sont séparés des choses, yuiptoTol.2. Ou bien ils n'en sont pas séparés, ils existent en elles,non pas, il est vrai, comme le concevaient ces platoniciensqui voyaient là deux substances, et les plaçaientdans le même lieu 1 , ce qui est manifestement absurde,mais, comme l'entendaient les pythagoriciens, qui composaientles choses avec les nombres, comme avecleurs éléments.3. Ou bien enfin parmi les nombres les uns sont séparables,les autres ne le sont pas.Et celte classification peut se réunir à la première quiporte sur la faculté de combinaison.Ce sont là les seules manières d'après lesquelles onpeut concevoir les nombres 1 ; et c'est l'une d'entre ellesqu'ont soutenue ceux qui prétendent poser l'Un comme1. Cf. 1076 a, 38 b, 11, et III, 2,998 a, 7-19; III, 2 : • Il y en a quisoutiennent l'existence de ce qu'ils appellent les êtres intermédiaires,placés entre les Idées elles choses sensibles, — qui ne sont pas séparésdes êtres sensibles, mais sont placés en eux, èv Toûtot;. — » C'est-àdirequ'ils leur donnent une existence à la fois indépendante, et cependantnon séparée des choses sensibles. Alexandre d'Apbr., p. 700, 31,attribue cette opinion aux pythagoriciens. Il est plus probable, d'aprèslfet., XIII, 6, 1080 b, 2, qu'elle appartient aux platoniciens.2. 1080 b 4-36


276 HISTOIRE.principe, essence, élément de toutes choses, et ont voulutirer de cet Un et de quelque autre chose*, le nombre.— Les seules, disons-nous, si l'on ne compte pas l'opinionqui déclarerait que toutes les unités sont incombinablés, opinion qui n'a pas eu de patron.A. Parmi les philosophes, les uns* admettent à la foisles deux genres de nombres :I. Le nombre ayant l'antériorité et la postériorité,Tô itpÔTEpov xal Gcrrtpov, dans l'ordre de l'essence,soit de laperfection, soit de la généralité, c'est-à-dire les Idées oule nombre idéal.II. Le nombre mathématique, distinct et séparé desIdées et des choses sensibles.B. Les autres n'admettent que le nombre mathématique,séparé des choses sensibles, dont ils font le premierdes êtres'.G. Les pythagoriciens n'admettent qu'un nombre, lenombre mathématique, mais ils n'en font pas une essenceséparée : ils prétendent que c'est de ce nombreque sont formés tous les êtres sensibles. Ils composentle monde entier de nombres ' : seulement ce nesont pas des nombres monadiques', car ils donnent1. C'est-à-dire un élément ou matériel ou jouant le rôle de la matière,tels que l'&icitpov, le t6 |uya xai (nxpèv, la Soir, à6pi


HISTOIRE. 2? 7à leurs unités une grandeur Mais comment l'Un premiercomposé peut avoir grandeur, c'est ce qu'ils sonbien embarrassés de dire.D. Un autre n'admet qu'un nombre, mais c'est lenombre idéal. 'E. Un dernier identifie le nombre idéal et le nombremathématique*.Ces différences se repro<strong>du</strong>isent dans les objets de lagéométrie :Platon (ot (xlv) distingue :1. Les corps naturels.2. Les objets mathématiques de la géométrie (corps,plans, lignes, points).3. Les objets idéaux de la géométrie, i*T \uzk T«çISe'ae.Maintenant ceux d'entre les platoniciens dissidents quin'admettaient qu'un seul genre de nombres, le nombremathématique, en niant l'existence des Idées ou en n'enfaisant pas des nombres, n'ont admis que des corpsmathématiques, et se sont <strong>mont</strong>rés fidèles à l'esprit desmathématiques.Ceux qui n'ont reconnu que des nombres idéauxn'admettent que des objets idéaux de la géométrie.I. On ignore absolument à qui rapporter ces deux dernières opinionsqui semblent se confondre; car aussitôt qu'on n'admet qu'un nombreidéal, il parait nécessaire d'y ramener le nombre mathématique, donte bon sens force d'admettre l'existence et de reconnaître la nature.Aussi, plus loin, c. 8, p. 1086 a, 5, Aristote ne reconnaît-il que troissystèmes :•1° Le système de Platon, qui distingue les nombres idéaux des nombresmathématiques, et les admet tous deux.2* Le système qui n'admet que le nombre mathématique.3° Le système qui n'admet que le nombre idéal.


278 HISTOIRE.Ceux qui identifient le nombre idéal et le nombremathématique en font autant ; et tous les deux arriventà cetle belle conclusion, c'est que les grandeurs ne sontpas toutes divisibles en grandeurs, ce qui est le renversementde la géométrie, comme ils soutenaient que toutnombre n'est pas composé d'unités, ce qui est le renversementde l'arithmétique : conséquences absurdesauxquelles échappent les pythagoriciens en posant l'Uncomme élément et principe des êtres, mais pour tomberdans une autre difficulté, qui est de donner aux nombresde la grandeur.Arrivons à la critique d'Aristote, dans laquelle je necrois nécessaire d'entrer que parce qu'elle complète etdéveloppe, en même temps qu'elle rend plus claire,l'exposition de ces conceptions bizarres et subtiles ; ellespartent toutes de ce principe : le nombre est substance.Il y a trois questions à faire, et on peut raisonnerdans trois hypothèses :I. Les unités qui composent les nombres sont identiquesd'espèce, «kwîfopot, et par conséquent combinables.Ou elles sont différentes d'espèce, et par conséquentincombinables, et cela de deux façons : ou bienII. Aucune unité n'est combinable avec aucuneunité.III. Ou bien les unités de chaque nombre étant combinablesentre elles, ne le sont pas avec les unités d'unautre nombre : ainsi les trois unités de la triade sontcombinables entre elles, mais ne le sont pas avec lesunités de la tétrade.I. Dans, la première hypothèse, les nombres se ramènentabsolumentà la notion abstraite qu'en donnent les


HISTOIRE. 279mathématiques ; leur caractère idéal et essentiel s'évanouit; les nombres ne peuvent pas être des idées, lesIdées ne peuvent pas être des nombres, et ne pouvantpas être des nombres, elles ne sont pas <strong>du</strong> tout.II. La seconde hypothèse considère toute unité commeabsolument différente en espèce de toute unité :Aristole la réfute, ce qui parait bien superflu, puisqu'ilreconnaît lui-même que personne n'a jamais eu une sisingulière opinion ; et il la réfute par trois arguments:1. L'auteur premier de ces théories ' a admis que cesunités qui sont dans la dyade idéale, par exemple, sontsimultanément engendrées de la dyade indéfinie", ramenéeà la détermination par la vertu de l'unité. Mais alors,puisque par hypothèse toutes les unités sont différentesd'espèce, par conséquent incombinables, l'une sera logiquementet essentiellement antérieure, l'autre postérieure.— Alors la dyade qui en est formée, ne sera plusla dyade première, puisque par une de ses unités ellesera postérieure.2. Second argument. En outre, elle ne sera plus première,puisqu'on pourra former une autre dyade antérieureà elle.En effet, dans l'hypothèse, toutes les unités sont incombinables.On pose par conséquent :1. L'Un premier.2. L'Un .premier de la dyade qui est second par rapportau précédent.1. 'O apura; eixwv, 1081 a, 24. Cest sans doute Platon qu'il veutTaire entendre sans vouloir le nommer.2. Il n'y a pas entre elles de relations de dépendance, ni d'ordre logique,ni d'ordre de série naturelle numérique.


280 HISTOIRE.3. L'Un second de la dyade, second par rapport au précédent*mais troisième par rapport à l'Un premier.Mais ce mot troisième annonce qu'il y aura dans la dyadeune unilé troisième antérieure au nombre 3 ; dans la triadeune unité quatrième antérieure au nombre 4 ; et dans latétrade une unité cinquième antérieure au nombre 5*.Il y aura ainsi des unités antérieures et postérieures,des dyades, des triades antérieures à la dyade et à latriade; car la dyade formée de l'Un premier, et de l'Unpremier de la dyade, sera certainement antérieure à ladyade formée de l'Un premier de la dyade et de l'Unsecond de la dyade, et celte dyade est cependant appeléepremière par les platoniciens. Car il n'est pas possiblede dire qu'en même temps elle est les deux choses,c'est-à-dire première et seconde. Par exemple : il estimpossible de dire que l'unité qui est après l'Un premierest à la fois première et deuxième, et que la dyadeest première et seconde.Mais ils posent un Un premier, sans parler <strong>du</strong> second,ni <strong>du</strong> troisième ; une dyade première, sans parler de laseconde, ni de la troisième, etc.3. Troisième argument. Enfin, si l'on admet cette hypothèse,il n'y aura plusde vrai deux, de vrai trois, ni aucunnombre vrai. En effet quelle que soit l'opinion qu'onadopte, on ne peut pas nier que tout nombre se forme parl'addition: deux en ajoutant un àun; trois en ajoutantunàdeux, et ainsi de suite. Alors deux est une partie de trois,trois une partie de quatre. Mais si cela est vrai, que devientcette génération des nombres qu'ils imaginent1. Le passage ne me parait pas compris par Bonitz.


HISTOIRE. 281engendrés de l'Un et de la dyade? Diront-ils que 4, parexemple, n'est pas formé de 3-J-l, mais de la dyade idéaleou première, et de la dyade indéfinie : alors nous voilàenpossession de deux dyades outre la vraie, c'est-à-dire levrai deux. S'ils trouvent que c'est trop, il faudra toujoursqu'ils admettent dans le 4, le vrai deux qui en sera' une partie, et une autre dyade.Mais la dyade est composée de l'Un premier, et d'unautre Un : à quoi sert donc l'autre élément, la dyadeindéfinie, qui ne peut, d'après sa nature, engendrerqu'une unité, et non la dyade déterminée, le vrai deux?Nous voilà en présence de plusieurs triades et de plusieursdyades, distinctes <strong>du</strong> vrai trois, <strong>du</strong> vrai deux.Comment expliquer leur existence? comment concevoirqu'il y a des unités antérieures et postérieures ? Toutcela n'est que vision et chimère, icXaïjxaTiiSri, et ce n'estcependant que la conséquence logique <strong>du</strong> principe,que l'Un et la dyade indéfiniesont les éléments des nombreset des choses. Il est donc prouvé par l'absurditédes conséquences que ce ne sont pas là des principes.III. Arrivons à la troisième hypothèse: Les unités dechaque nombre sont combinâmes entre elles, incombinablesd'unnombre à l'autre' ries difficultés qu'elle présentene sont pas moindres. Ainsi prenons la décade : onpeut la considérer comme formée de 10 unités, que parhypothèse on veut bien considérer comme de mêmeespèce ; mais ce sont cependant des unités propres etparticulières à la décade; on peut aussi la considérercomme formée de deux pentades, composées elles-mêmesd'unités, mais d'unités propres et particulières à la1. 1082 a, i.


$82 HISTOIRE.pentade et qui n'ont rien de commun avec les unitésprécédentes. Alors ce nombre 10 sera formé d'unitésqui ne sont pas de même espèce et qui excluent toutecombinaison entre elles. Comment cela pourrait-il sefaire? En outre si l'on ne veut pas qu'il y ait d'autrespentades que ces deux-là, c'est absurde : car dans toutnombre qui dépasse cinq, il y a une pentade. Mais s'ily en a d'autres, quelle sera la nature de la décade quel'on en pourra former 1 ?Comment comprendre qu'outre les deux unités qu'ily a dans deux, il y ail encore en ce nombre une naturespéciale, un être distinct, «pd


HISTOIRE. 283non ; aucun de ces moyens d'unification ne peut s'appliqueraux unités dont sont formées, dit-on, la dyadeet la triade. Les unités subsistent à côté les unes desautres, comme des hommes à côté les uns des autres,sans pouvoir se confondre en une nouvelle unité 4 ; etce n'est pas parce qu'elles sont indivisibles que les unitésseront différentes d'espèce ; car les points aussi sontindivisibles, et néanmoins il n'y a pas pour eux unedyade distincte et différente de deux points 4 .Remarquons bien qu'il faut, étant donné le système,admettre des dyades antérieures et des dyades postérieures,etcela pour tous lesnombres, irpoTapa-ç. xal baxtptte.Supposons, si l'on veut, que les dyades qui entrentdans la tétrade, soient simultanées ', c'est-à-dire iden-1. Cependant, comme Kant l'a fait observer, on ne peut nier que lasommation, si je puis ainsi parler, c'est-à-dire l'acte de l'esprit quiconçoit comme un tout un nombre composé d'unités indivi<strong>du</strong>elles, necrée une synthèse rationnelle, mais naturelle, une sorte d'être idéal,de nature métaphysique au nombre, çûore. TIC, distincte des unitésqui entrent dans la somme. Chaque nombre a, dans l'esprit quile conçoit, sa forme précise distincte, sa notion vraie, son idée aumoins possible, et suivant la très-solide pensée de Platon, on ne peutpas dire que ces êtres mathématiques, métaphysiques, soient sansaucune réalité. Le possible est déjà quelque chose, et l'idée, qui,étant dans un esprit et ne pouvant être que dans un esprit, n'estqu'une forme de l'esprit, participe alors à sa réalité et à son existence.La quantité pure est quelque chose d'indéfini ; le nombre est certainementdéfini, c'est-à-dire a forme, essence, qualité, limite, détermination,nature, fûoi; TIC.2- Pour éviter cette consécution mathématique des nombres, ou ceenveloppement des Idées les unes dans les autres, on a imaginé unesorte de génération. La dyade définie, ou le vrai deux, naît de l'unitépar le moyen de la dyade indéfinie, qui s'appelle Suortoioc; la tétradenaît de la dyade définie et de la dyade indéfinie, et ainsi de suite. V.p. 40. La dyade s'appelle tantôt £uo-, tantôt itooonoïoç, parce qu'ellefait la quantité matérielle, la matière des nombres, le plus ou moins


284 HISTOIRE.tiques d'espèce, et sans différence l'une par rapport àl'autre :il n'en est pas moins vrai qu'il y a dansladyadedeux unités qui sont postérieures à la vraie unité, de. même dans la tétrade deux dyades, postérieures à lavraie dyade, et ainsi de suite, car les deux dyades de latétrade sont antérieures aux dyades de l'octade, et demême que la dyade a engendré ces deux dyades de latétrade, de même ces deux dyades ont engendré les tétradesde l'octade.Mais de plus il résulte de là que si la dyade premièreest une Idée, les autres serout aussi des Idées, et il enest de môme des unités; car les unités de la dyade premièreengendrent les 4 unités dé la tétrade ; en sorteque toutes les unités seront des Idées, et que, la dyadeétant composée d'unités, la tétrade étant composée dedyades, l'Idée sera composée d'Idées, et par conséquentles choses mêmes, qui ont pour essences ces Idées, serontelles-mêmes composées, et on verra alors les animauxcomposés d'animaux*.Ce ne sont là que des visions fantastiques ; et pour enrevenir à la réalité, toutes les unités des nombres sontidentiques d'espèce; et numériquement égales, elles nediffèrent ni de quantité ni de qualité. Il serait curieuxde savoir quelle sorte de dyade on formerait d'une unitéde la dyade, et d'une unité de la triade; et aussi de savoirsi cette dyade, quelle qu'en soit la nature, sera antérieureou postérieure à la triade ; il semble que 2 doitndéfini ; l'Un, l'unité détermine cette quantité, et pour ainsi dire laqualifie.1. L'homme,qui estun animal, sera composé de l'animal,<strong>du</strong> bipède,<strong>du</strong> musicien, etc.


HISTOIRE. 285être antérieur à 3 ; mais il faut remarquer que ce deuxdont nous parlons est formé d'une unité qui naît enmême temps que la dyade et par-elle, et d'une autre quinaît avec la triade. De sorte qu'il est difficile de répondreà la question que nous venons de faire. •Enfin, on peut en faire encore une autre qui n'estpas moins embarrassante :Trois esl-il plus grand que deux? dire non, c'est bienhardi; mais s'ils disent oui, il y aura dans trois un nombreégal à deux et absolument de même espèce, et ilsnient cette identité de nombre à nombre, et ils sont bienobligés de la nier, puisqu'ils posent des nombres premiers,des nombres seconds, une dyade première, unedyade seconde; et s'ils ne la niaient pas, les Idées ne seraientplus des nombres, puisque toute Idée diffère d'espècede toute autre Idée 1 . Il n'y aurait même plus d'Idée: ils sont obligés de poser comme incombinables,séparés, les nombres, pour empêcher une Idée d'êlredans une autre, et toutes les Idées d'être des partiesd'une seule*. Mais c'est détruire la vraie nature desnombres', pour défendre une insoutenable hypothèse.Ils pourront peut-être à leur tour nous faire quelquedifficulté et nous demander : et vous, quand vous comptez,quand vous dites un, deux, trois, que faites-vous?ne comptez-vous qu'en additionnant*, ou envisagez-vous1. 108? b, 26 :• "Ev yàp ** EtSoe. Ils seraient obligés de comptercomme tout le monde, d'abandonner leur préten<strong>du</strong>e généalogie desnombres par la dyade indéfinie.2. Id., 1. 31 : 'EvunâpEei yàp crêpa lôéa tv crêpa, /ai navra rà clôritvo; uipn.3. ld., 1. 33 : Tlol.Xà Yip àvatpoOcnv.4. HporXau6âvovre;, c'est-à-dire comme plusbaut xarà Tipoo6sa"iv.


286 HISTOIRE.chaque nombre à part, indivi<strong>du</strong>ellement, isolément 1 :Nous répondons : nous faisons l'un et l'autre*, et voilàpourquoi il est absurde de pousser la différence qu'ily a entre les nombres jusqu'à une absolue diflérenced'essence'.Le nombre ne peut différer <strong>du</strong> nombre qu'en quantité;mais l'unité ne peut différer de l'unité ni enquantité ni en qualité : car si les unités différaient entreelles de quantités, deux nombres égaux, c'est-à-dire formésd'un même nombre d'unités, seraient inégaux; etd'où viendrait leur différence de qualité? il n'est pas daDS1. Je crois que c'est le sens de xatà (lEptîac, qu'Alexandre n'entendpas ainsi.2. En effet, si le nombre, en tant que nombre, n'admet que des différencesde quantité, il a aussi cependant sa détermination qualitative; mais il n'est pas facile de comprendre le sens de cette qualité,qu'Aristote lui-même donne aux nombres,v. Met., V, 1», 1020b, 3,—oùil parait vouloir exprimer le rapport des nombres à la géométrie : •Dansun sens, la qualité se dit de la différence d'essence; dans un autre,on applique le terme aux êtres immobiles et mathématiques, commeon donne certaines qualités, certaines dénominations qualitatives auxnombres: ôaittp ot àptOpoi stoioi tiver, Par exemple, on appellenombres plans, nombres rectangles, nombres carrés, ceux qui sont lepro<strong>du</strong>it des deux facteurs autres que l'unité. Ainsi 6=2.3, est ur.nombre rectangle; 9=3.3, est un nombre carré. On appelle nombressolides ceux qui sont le pro<strong>du</strong>it de trois facteurs autres que l'unité :par exemple, les nombres parallélépipèdes, nombres cubes. — Hais nepourrait-on pas dire que les nombres pro<strong>du</strong>its de deux facteurs, dontl'Un est l'unité, comme 6 = 1.6, est aussi un nombre qualifié, que c'estun nombre linéaire? Quoi qu'il en soit, Aristote reconnaît ici qu'à lanotion de la quantité s'ajoute celle de la qualité, de la forme, pourachever la notion <strong>du</strong> nombre; et il semble que ce doive être le sens<strong>du</strong> passage 1082 b, 35 : Iloioûp.ev Se àiiçorspu;, que nous avons cherchéà rendre plus clair par cette longue note. Si nous n'y avons pasréussi, on nous le pardonnera; car le meilleur commentateur de laMétaphysique, arrivé là, dit modestement: « Non habeo quomodo cumaliqua veritatts specie explicem. » Bonitz, p. 552.3. Ch. 8


HISTOIRE. 287leur nature de posséder aucune qualité essentielle, oùeîv6itâpx*iv itotOo;.'... et l'élément qualitatif, Tô TOIO'V, eux-mêmesle disent, ne peut appartenir aux nombres qu'aprèsl'élément quantitatif. Ce n'est pas en effet l'Un absolumentindifférent, àiroiôc, ce n'est pas la dyade, qui nefait que pro<strong>du</strong>ire la grandeur extensive ou intensive,noaoïcotos, qui leur donneront la qualité, TOû Y*p iwXXita ovta tlvoct aftta aùtv) rj tfûaiç.De ce qui précède nous pouvons conclure; si les Idéessont des nombres,1. Il n'est pas possible que les unités soient toutescombinables.2. Il n'est pas possible qu'elles soient incombinablesd'aucune des deux manières dont on peut concevoircette impossibilité de combinaison.A ceux qui nient l'existence des Idées et des nombresidéaux, et y substituent l'hypothèse des nombres mathématiquescomme principes des choses, il faut répondrequ'ils ont le tort de conserver à côté de l'unité mathématique,l'aixb Tô îv, l'Un premier, en soi, de Platon,comme principe, parce qu'ils seront entraînés par cetteconcession, à placer une dyade en soi à côté <strong>du</strong> nombredeux, et une triade en soi à côté <strong>du</strong> nombre 3. Ils retombentdonc dans les impossibilités <strong>du</strong> système précédentet y ajoutent en outre le vice de l'inconséquence.Quant à ceux qui confondent le nombre idéal et lenombre mathématique, leur nombre idéal est soumis àtoutes les erreurs déjà signalées, et il ne saurait être lenombre mathématique'.1. Au fond, c'est là la seule, mais la grande objection contre le système: Si votre nombre est le vrai nombre mathématique, il n'explique


288 HISTOIRE.Goiiclusion définitive :Le nombre n'est pas l'essence des choses, et il n'estpas un être séparable. •Outre celte critique d'ensemble, la Métaphysique contientencore contre la théorie philosophique des nombres,des objections isolées qu'il n'est pas inutile derepro<strong>du</strong>ire :1. On 1 a posé pour principes de l'unité, de chaquea nature ni des idées ni des choses; si ce n'est pas le nombre mathématique,d'où vient alors ce dernier nombre dont vous prenez sansdroit le nom? Ce n'est plus qu'un jeu de mots. 11 semble que la critiqued'Aristole aurait pu être plus brève, plus précise et sans douteplus claire.1. Dans le XIII e livre, c. 8, de la Métaphysique, Platon n'est pasnommé, mais il l'est au I" livre, c. 6, où Aristote lui attribue avec raisond'avoir distingué trois genres d'êtres : 1° les Idées ; 2" les êtres mathématiques,intermédiaires, xô ptxxEu, qu'Aris'.ote croit qu'il a confon<strong>du</strong>sabsolument avec les nombres; 3° les choses sensibles. Maisonne comprend plus qu'après cette distinction Aristote ajoute : Il ré<strong>du</strong>isitles Idées en nombres, qui devinrent les causes uniques detoutes choses et dont les éléments furent les élémenis et les principesde tout. En effet, s'il dit que Platon pose les Idées eumme causes detout le reste, oïxia xà elon. xoî; cU.Xotç, c'est-à-dire causes des nombreset des choses sensibles, il dit aussi que les éléments des Idées sont:1" l'Un, l'essence, la forme; 2" le grand et le petit,c'est-à-dire l'infini,xo âneipov, la matière, OXn, la quantité indéfinie, indéterminée, qu'iappellera plus loin la dyade : or la matière, par la communication del'Un, engendre les Idées qui sont les nombres, xà sI5r) etvai xoù; àpi&-poû;; il en résulte que ce sont en définitive les nombres qui sont lescauses premières, les êtres premiers, xoù; àpiOpoù; alxiou; xoï;o»oi:xxj; oùoiac. En sorte qu'on ne voit plus quelle différence peut subsisterentre les Idées et les nombres de Platon; et Aristote, tout en affirmsntque Platon en faisait une, arrive à la supprimer. Bien plus, il supprimemême la différence des nombres et des choses; car les Idées, ou nombres,sont formées, comme les choses, de l'Un premier et de la matière.Il y a une matière qui sert de substrat aux choses, xj On ri ùTcoxïiuinpxaV rjc, xà eïâr) pèv èVi xuYv aiu6ï)X(5v, et c'est cette matière qui sert égalementde substrat aux Idées, xô 8' sv âv xoî; elôeoi Xéyexai...; et cettematière, commune aux choses et aux Idées, c'est la dyade <strong>du</strong> grand


HISTOIRE. 289unité, c'est-à-dire de chaque nombre idéal : 1° le grandet le petit, 2° l'un premier, auto TO IV.Examinons 1° comment les nombres peuvent être pro<strong>du</strong>itsde ces principes,2° Le rapport des nombres et des objets de la géométrie.1. Chaque unité vient-elle <strong>du</strong> grand et <strong>du</strong> petit égalisés,troaOtYrtdv? ou les unes viennent-elles <strong>du</strong> grand,les autres <strong>du</strong> petit?2. Les nombres qu'on suppose des êtres réels en acte,et non pas existant seulement en puissance, sont-ilsinfinis ou ont-ils une limite?La limite de 10 est tout à fait arbitraire, et elle n'expliquepas l'infinie variété des choses à chacune desquellesdoit correspondre un nombre. Ils veulent sansdoute résister à la pente qui les fait rouler au fond del'abîme de l'infini ; mais il n'y a dans le système aucuneraison de s'arrêter à dix, et s'ils le font par une inconet<strong>du</strong> petit, aêrvi Sud; tort, x6 \xtytt xai ti (iixpôv. Met., I, 9, 991b, 9.Ainsi les Idées sont des nombres : c'est-à-dire que la notion <strong>du</strong>nombre contient, exprime la nature des idées. Mais alorsI. Comment ces nombres seront-ils causes des êtres réels et sensibles?On peut 'concevoir de deux manières le rapport des nombresidéaux et des choses.'1° Les choses sensibles sont des nombres mêmes; Socrate est telnombre, Callias tel autre; — comment, en ce cas, expliquer la générationdes uns par les autres T2* Les choses sensibles ne sont que des rapports numériques, >ôYOI&pi6|uiiv; mais un rapport suppose des termes réels, un substrat, unemultiplicité d'éléments dont il est le rapport. En sorte que l'Idée,comme le nombre lui-même, n'est plus la substance des choses, etqu'il reste toujours à la trouver. Les nombres ne sont plus des êtres,et à plus forte raison ne sont pas des causes.U. En outre, un nombre un peut se composer de plusieurs nomn— 19


290 HISTOIRE.séquence ou prudente ou superstitieuse, les nombresleur manqueront pour l'explication des choses 1 .3. Quel est le nombre antérieur, l'unité ou la dyade,ou la triade? en tant que composés, les nombres sontpostérieurs; mais en tant qu'on les considère commebres. Comment une Idée une pourra-t-elle se composer de plusieursIdéesTDiront-ils que ce ne sont pas les Idées, c'est-à-dire les nombresmêmes, mais les unités, qui se composent, qui se rassemblent en unseul nombre T on tombe alors dans les difficultés exposées plus haut sura nature <strong>du</strong> rapport qu'il faut admettre entre les unités, c'est-à-dire1 faut déterminer si elles sont de même espèce, combinables, et sansdifférences entre elles, ou au contraire. Hais1° l'unité est de sa nature absolument sans différence.2" Si l'on en admet qui aient des différences, c'est un genre nouveau,qui n'a aucun rapport avec les unités arithmétiques et mathématiques.3° La dyade indéfinie est mère des nombres, et par conséquent de'unité ; mais elle comprend deux unités, qui seront aussi engendréespar une dyade, nécessairement antérieure à celle que l'on considère,et ainsi de suite à l'infini.4° Si les unités d'un même nombre sont différentes d'espèce, commentpourront-elles ne former qu'un nombre, et d'où viendra l'unitéde ce nombre?6* Enfin, si les unités sont différentes d'espèce, ce n'est plus l'unitéidentique à elle-même, vague et abstraite qu'il fallait donner commeprincipe, mais les unités spécifiquement différentes, qui jouent dansle système des nombres les rôles <strong>du</strong> feu, de l'air, de l'eau, dans la physiqueionienne. 11 est clair qu'on emploie, sans en rien dire, le motunité dans des sens très-différents.6* La génération des nombres ne peut se comprendre ni par le mélange,ni par la composition, ni par le développement d'un germe interne,


HISTOIRE. 291une unité de forme et d'espèce, ils sont antérieurs àleurs propres unités qui ne sont que leur matière.4. L'unité est-elle un élément formel, ou un élémentmatériel? on lui fait jouer tour & tour ces deux rôles.Aristote n'a pas eu de peine à renverser ce fragileéchafaudage de vides abstractions où disparaît l'ombremême de l'être. Disons pourtant que nous ne connaissonsces bizarres et fantastiques conceptions que parcelui qui les a si rigoureusement attaquées, et qu'il nenous a fait connaître peut-être de leurs doctrines quece qui méritait le moins d'être connu.Il semble que Speusippe, au moins, a eu sur quelquespoints des opinions moins étranges et même originales etprofondes. Il posait d'abord l'unité; puis un principe particulierpour chaque espèce de choses, un pour les nombres,un autre pour les grandeurs, un troisième pourl'Ame 1 . Il suivait, dit Aristote', les pythagoriciens quiplaçaient l'unité, xb 2v, dans la série des biens : non pasqu'ils l'identifiassent au bien; mais il veut dire simplementque dans la table des contraires, ils le rangeaientdans la série où étaient placés eux-mêmes le fini et lebien. Ailleurs * il ajoute en propres termes : « Quelquesthéologiens d'aujourd'hui ne regardent pas le biencomme principe, mais ils disent :dXXA irpoïXeot5


292 HISTOIRE.e parfait, mais le germe, comme le prouvent les planteset les animaux. Or ce n'est pas dans le germe que se<strong>mont</strong>rent la beauté et la bonté des êtres : c'est dans cequi se développe <strong>du</strong> germe, dans le développementcomplet de la nature de l'être. Donc le premier principen'est pas le bien'. > Le rapprochement de ces deuxpassages prouve clairement que par ces mots <strong>du</strong> premier: « Quelques théologiens d'aujourd'hui >, Aristote abien en vue Speusippe. M. Ravaisson qui le soutientdoctement croit même que la phrase grecque que j'aicitée, contient les expressions mêmes de Speusippe : « abAristotelico scribendi more, dit-il 1 , prœcipue in Metaphysicis,satisaliéna etPlatonicam quamdam fpaaoTv spirantia,» et il ajoute, avec raison, suivant moi, que c'estici une idée nouvelle qui n'appartient en aucune façonaux pythagoriciens, dont le système exclut précisémentla notion <strong>du</strong> développement et <strong>du</strong> mouvement, parcequ'ils conçoivent le monde comme la beauté réelle, réalisée.Il n'y a donc pas place dans leur conception pourune fin, ni par conséquent pour le mouvement qui ypousse l'être. L'ordre est réel, et non idéal; il est actuel,et non pas seulement possible. Le monde comporte,il est vrai, des degrés divers de beauté, mais il ne fautpas les confondre avec les phases diverses <strong>du</strong> développement,avec ce procès, ce progrès que Speusippe a eula gloire d'intro<strong>du</strong>ire dans la <strong>philosophie</strong>'.Toutefois il est juste de remarquer, et M. Fouillée l'adéjà fait, que la procession alexandrine, contrairement1. Met., XII, 7.2. Dans sa thèse : de Speusipp., III, p. 8.3. Ravaiss., 1.1.:. Neo forte absur<strong>du</strong>m si quis prima hic celebrata?a Neo-Platonicis npoôSou initia deprehendere sibi videatur. >


, HISTOIRE. 293à l'idée d'un progrès, est un mouvement en sens inverse,une'chute. Car pour pro<strong>du</strong>ire l'être, le Parfaits'abaisse, Soeo-tç, et s'abaisse de plus en plus à chaquedegré de l'être.Mais si Speusippene suit pas ici, autant qu'on l'a cru,la trace des pythagoriciens, sur beaucoup d'autres points,il se rapproche d'eux : il conçoit le monde comme unêtre animé et vivant 1 ; la matière est pour lui l'infiniconsidéré comme un ; il pose l'Un et les nombres quien dérivent, comme l'autre principe des êtres; maisobéissant à la tendance spirilualiste et <strong>du</strong>aliste de Platon,il considère l'Un et l'autre comme des élémentsréels, et non comme des facteurs simplement idéaux dela réalité. Il distingue l'Un en soi, l'Un avant les unités,l'Un primitif, de l'unité qui est le premier des nombres1 , et identifie la cause motrice, la raison, avec l'âme<strong>du</strong> monde et le feu central*.De la pluralité et de l'unité, opposées comme elles le1. ac.de Mat. D., 1,1.2. Met., XIII, 8.3. Cic, de Mat. D., 1, 13. Conf. Théophr., Metaph., 322,12 : Xireéoittito;oicàviôv xi té xiutov itotcï té irepl xv)v xoû tUaou yupav.... Lereste est corrompu et ne s'entend que par un changement de leçon.On lui attribue cette définition de l'ame : l'idée de ce qui est éten<strong>du</strong>en tout sens : 'Ma xoû itàVro. îtaoxaxov, qu'il n'y a aucune raison dechanger en àîuxerraxoû, comme le propose M. Ravaisson. lamblique(Stob., Ed., I, 862. CI. Diog. L., III, 67) la rapporte s, Platon même.Et Plutarque, de Gêner, ont m., c. 22, la repro<strong>du</strong>it, développéecomme de Posidonius : IStdv xov. itévrn îiaoraxoij xertV àptOp&vavjveorbViav appovfav ttept«x°vTa. C'est tout & fait la doctrine <strong>du</strong> ïïmée,p.36e, identique elle-même à celle <strong>du</strong> feu central, ou âme <strong>du</strong>monde, qui, suivant les pythagoriciens, <strong>du</strong> centre où elle a sa demeures'étend aux extrémités <strong>du</strong> monde, qu'elle enveloppe tout entier.Sext. Emp. IV, 331. Front». Pm'IoJ. Boeckh., p. 167 :T«e. xà8Xov Tcgptixouooc 4>ux5;. C'est une conception toute pythagorique.


894 HISTOIRE.sont dans la table des contraires, naissent les nombres»,mais les nombres seuls et les nombres mathématiques 1 .Il célèbre les vertus de la décade dont les éléments,c'est-à-dire les 4 premiers nombres, contiennent le fondementde tous les rapports géométriques; il admet lescinq éléments, la migration de l'âme, qu'il fait immortelle,même dans sa partie irrationnelle, pins fidèle encela aux principes pythagoriciens qu'à ceux de Platon.Xénocrate partage avec Speusippe* la tendance <strong>pythagoricienne</strong>et la prédilection pour les mathématiques*.Il rétablit le nombre idéal que Speusippe avait supprimé,mais ille-confond avec le nombre mathématique;1. Met., XIV, 1091 b, 24 : Ot T4 plv 4>OXOYOûVTC; ipjoY» ttvou npû-TTII xal aroiyxlov, TOù àpidpoù Si TOù p.a9ripatixoû.2. Mais, pour éviter l'objection et la difficulté de faire provenir <strong>du</strong>nombre mathématique abstrait la grandeur concrète et éten<strong>du</strong>e, aprèsavoir en commençant posé l'Un, il multipliait les essences sans les relierni les dé<strong>du</strong>ire, et, supprimant la causalité <strong>du</strong> nombre, posait différentesespèces d'essences et de principes, les unes pour les nombres,les autres pour les grandeurs, les autres pour l'âme. Met., VII,2,p. 1028 b, 19; XII, 10,1075 b, 37. Mais en juxtaposant ainsi des.principes et des essences, sans coordonner par une action de l'un àl'autre, par le lien de cause et d'effet, les êtres antérieurs aux êtrespostérieurs (Met., XIV, 3, 1090 b, 13 : Té pr.ôèv litiêaMtoÔcu àXXr.loi;xi icpértpa toi; ûaxepov), il déchirait l'unité <strong>du</strong> tout, et ne faisait plus<strong>du</strong> drame admirable de la nature qu'une mauvaise tragédie,où, commedes épisodes sans rapport entre eux, les phénomènes se succèdent et sejuxtaposent sans se lier, et sans former un tout réel, une unité vivante.Met., XII, 1075 b, 37 : 'EirtiooSniSti xr)x TOù aavxè; oùoiavttoioûoiv. XIV, 3, 1. i. : Oùx ioixi S'r) çOm; iniieoiiûori; oèaa ix xûvçaivoucveiv ûxrnep poy6ripà xpaYipii».3. Il suivait l'opinion de Speusippe, dit Asclépius, Schol. in Arittt.,p. 740. C'est à lui que Sext. Empir., adv. Math., VII, 16, rapporte ladivision précise et développée de la <strong>philosophie</strong> considérée comme untout systématiquement lié, en trois parties, division que Platon n'avait, fait qu'indiquer vaguement.4. Il les appelait XaeVi oiXoaoçîa;. Plut., Ft'rl. Jfor., c. 12. Diog.L., IV, 10.


HISTOIRE. 295de l'unité et de la dyade indéfinie il dé<strong>du</strong>it immédiatementles nombres, et l'âme est, d'après sa définitioncélèbre, dont on lui dispute, il est vrai, l'invention, unnombre se mouvant lui-même*, un nombre, parcequ'elle participe <strong>du</strong> même et de la permanence, semouvant, parce qu'elle participe de l'autre et <strong>du</strong> changement.Comme Speusippe, il admet cinq éléments ; deplus, il considère Dieu, auquel s'applique surtout cettedéfinition de l'âme, comme répan<strong>du</strong> dans le monde etpénétrant en toutes ses parties, jusque dans les êtresprivés de mouvement*. Ce Dieu est l'Un, principe mâle,nombre impair; la dyade est le Dieu femelle: d'euxnaissent le ciel et les planètes. Comme Platon, Xénocratereconnaît trois sortes d'êtres : l'essence intelligiblefigurée par le triangle équilatéral ; l'essence matérielle,figurée par le triangle scalène; l'essence mixte, ou lemonde sensible et réel, figurée par le triangle isocèle.Héraclide <strong>du</strong> Pont qui appartient à l'école académique,avait cependant enten<strong>du</strong> les pythagoriciens, et écritun ouvrage sur eux. Si dans sa théologie il s'éloignepeu de Platon, il se rapproche beaucoup des pythagoriciensdans sa cosmologie, qui nous présente un atomismeassez semblable à celui d'Ecphantus. La raison divine afait de ces atomes le monde : la terre tourne quotidiennementautour de son axe tandis que le ciel des étoilesfixes est immobile. Les étoiles et la lune sont des corpssemblables à la terre. L'âme humaine composée d'une1. Tutcvl., I, 10 : • Xenocrates animi figuram et quasi corpusnegavit esse, verum numerum dixit esse, cujus vis, ut antea Pythagoreevisum erat, in natura maxima esset. • Cf. Plut.,de Gen.onim.,3.2. Clem., Strom., Y, p. 590.


296 HISTOIRE.matière éthérée et légère habite la voie lactée avant sonentrée dans le corps.De près ou de loin, ces philosophes touchent à l'école<strong>pythagoricienne</strong>; mais le pythagorisme se continue etrevit dans d'autres écoles très-distinctes entre elles etde lui. Nous avons déjà vu que le platonisme s'en inspire,mais ce sont les stoïciens surtout, qui renouvellent,étendent et approfondissent les principes essentielsde la doctrine. Gomme les pythagoriciens, en effet,les partisans de Zenon font de la nature entière un êtrevivant. Sans nier la réalité distincte d'un principe idéalet rationnel des choses, qu'ils appellent également ).ôYOçet dont ils font aussi un germe, ils en nient l'existenceséparée et transcendante, et par leur doctrine préciseet nette de l'immanence sont, comme eux, tout près deconfondre Dieu et le monde. Seulement le stoïcisme, àl'idée de nombre, principe où le mouvement apparaîtmoins dans son essence que dans sa qualité, substituel'idée de la force ten<strong>du</strong>e à travers la matière et la travaillantpéniblement pour lui donner la forme. Maisnéanmoins la matière n'existe pas sans la force ni laforce sans la matière ; point de corps sans âme, pointd'âme sans corps.Le principe des stoïciens est ainsi le principe despythagoriciens : l'unité concrète, active et passive, vivanteet mouvante, loi interne, essence même de l'être,enveloppant les contraires et pro<strong>du</strong>isant de son sein ledéveloppement des raisons séminales * contenues dansl'unité, il tvôc itetvca tf-piafai*.Par une imitation évidente1. Arist., Jfe(.,XIV, p.300, 1. 31.2. Cleanth., Stob., 1,11,372.


HISTOIRE. 297de la technologie <strong>pythagoricienne</strong>, ce principe prendl'épithëte dVpptvoeriXu, qui est comme le synonymed'£prton*pi


298 HISTOIRE.au sein de ces systèmes, des modifications profondes quisouvent les défigurent. Ceux qu'on appellera désormais<strong>du</strong> nom de pythagoriciens n'en auront guère plus quel'enseigne : ce sont des éclectiques, qui composent leursopinions d'un mélange des idées d'Aristote, de Platon, deZenon. Les doctrines qu'ils cherchent à remettre en honneur,<strong>pythagoricienne</strong>s d'origine et de nom, ont reçudéjà des altérations et des développements considérables.C'est par des caractères extérieurs, pour ainsi dire, étrangersà la <strong>philosophie</strong>, que la marque de l'école se laissereconnaître. Le néopythagorisme n'est que l'union desidées platoniciennes et des formules numériques <strong>pythagoricienne</strong>s.Le premier mélange des Idées et desnombres avait pro<strong>du</strong>it dans l'ancienne Académie lasymbolique et la mystique religieuses. Nous reverronsdans le néopythagorisme ce double caractère, c'est-àdirele penchant à la symbolique des nombres et parune suite naturelle la pratique des sciences mathématiques.Quand l'école proprement dite disparait dans lecours <strong>du</strong> quatrième siècle, le nom s'en conserve encore ets'applique à une association vouée à une règle de viepratique, qui n'est ni sans affinité ni sans analogie avecla vie ascétique des cyniques. Nous retrouverons égalementdans le néopythagorisme, ces pratiques ascétiqueset religieuses, auxquelles, sans doute, mais nous ne savonsdans quelle mesure, se mêlaient des idées philosophiques.Enfin une dernière marque de son origine,c'est le penchant à la culture des arts magiques, caractèrequ'on aperçoit déjà dans le fondateur de l'Institut; nous avons vu, en effet, qu'il passait pour avoirpossédé une puissance et une science surnaturelles qu'il


HISTOIRE. 299tenait, disait-on, des mages et peut-être de Zoroastre.Au point de vue philosophique, voici ce que le néopythagorismenous présente : les Idées de Platon déjà devenuesdes nombres dans l'Académie de Xénocrate et deSpeusippe, en prennent de plus en plus le caractère. Maisces nombres, formes ou Idées, tendent à se distinguer<strong>du</strong> principe premier ou de Dieu dont ils dérivent, et dela matière ou dyade qu'ils pro<strong>du</strong>isent. Gomme les Idéessont devenues pour lui des pensées divines, et que ladyade dérive de l'unité, on voit que malgré la triplicitéde leurs principes, au fond les néopythagoriciens rétablissentl'unité de Pythagore. C'est en effet à concilierl'unité avec la multiplicité des causes premières quetendent leurs efforts.L'immanence panthéistique, c'est-à-dire la présenceréelle et immédiate de Dieu dans la nature, del'unité dans la multiplicité, cherche à s'accorder avecle principe briental de la transcendance, qui élèveDieu au-dessus et le place au delà et en dehors <strong>du</strong>monde. Les néopythagoriciens en cherchant des intermédiairesqui relient'ces deux mondes, de plus enplus séparés par le mouvement des idées nouvelles,préparent la doctrine de l'immanence alexandrine,dont le caractère est purement dynamique et suivantlaquelle Dieu n'est plus présent que médiatement etvirtuellement dans les choses. En donnant à tout êtreet au monde lui-même une âme, qui se répand en toutet répand avec elle la mesure, le nombre et l'harmonie,les anciens pythagoriciens con<strong>du</strong>isaient déjà à ce principe,qui place la perfection au-dessus de la quantité et


300 HISTOIRE.de la matière, et la considère comme antérieure à elles.L'unité se dislingue déjà, si elle ne s'en sépare pas encore,de la multiplicité. Dans le rapport qui les rapprocheet ne peut pas, tout en les conciliant, complètement lesidentifier, l'élément supérieur devait bien vite dévorerl'élément inférieur. C'est en effet ce qui se pro<strong>du</strong>isit, etce même résultat se manifeste encore, quoique obscurément,dans le nouveau pythagorisme. De plus, précisémentparce que l'unité divine, sans mélange, invisible,n'est plus liée à la nature, elle échappe à la fatalité deslois inflexibles qui enchaînent le monde physique, et onpeut la concevoir comme susceptible de changer de penséeset de volontés : la science et l'art d'obtenir ces changementsde la puissance divine, constituent la magie*.La conception de la matière, que les nouveaux pythagoriciensempruntent à Platon, à Aristote et aux Stoïciens,se rattache cependant encore, au moins dans quelques-unsde ses développements, au vieux pythagorisme :le point, en effet, est pour eux le principe des corps etrépond à l'unité ; 2 est la ligne ; 3 la surface ; et 4 le corps.Leur morale est insignifiante et terne : c'est un syncrétismesans originalité, et qui m'a d'affinité avec l'ancienneécole que la couleur mystique des préceptes etle penchant à l'ascétisme dans la pratique.Après ce tableau d'ensemble, nous pourrons glisserplus rapidement sur les opinions particulières de chacundes néopythagoriciens, pris indivi<strong>du</strong>ellement, pour<strong>mont</strong>rer en quoi elles se rapprochent et en quoi elless'écartent des doctrines des anciens pythagoriciens.1. Voyez l'ouvrage très-savant et très-intéressant de H. AU*. MauryLa Magie dans l'antiquité. Paris, Didier.


HISTOIRE. 301Il est assez singulier que ce soit à Rome que renaquirent,vers le temps de Cicéron, les doctrines de Pythagoreprofondément modifiées et en partie assimilées etabsorbées par l'Académie et le Portique. Le vrai berceaude cette résurrection philosophique était-il àAlexandrie, comme le croit M. Zeller T C'est en effetà Alexandrie qu'ont vécu Alexandre Polyhistor, Kudoreet Arius, les plus anciens historiens de la secte; Sotionqui avait uni à la doctrine des Sextius * le dogme de la1. Dans une revue si rapide des influences de la <strong>philosophie</strong> <strong>pythagoricienne</strong>,je n'ai pas cru devoir insister sur l'École des Seztius. Onme l'a reproché : « Il est fâcheux également, dit l'honorable rapporteur,p. 227, qu'il (l'auteur) n'ait fait qu'à peine articuler le nom <strong>du</strong>philosophe pythagoricien Seztius, dont les Sentences sont parvenuesjusqu'à nous, qui vivait sous Auguste, pour lequel Pline l'Ancien professaitune estime particulière, et auquel Sénèque (Ep., 59, 6), un deses admirateurs, accordait cette louange, qu'il avait écrit en grec, maisqu'il pensait en romain : • Seztium ecce mazime lego, virum acrem,• greacis verbis, romanis moribus philosopbantem. > N'était-ce donopoint une bonne fortune que de rencontrer en plein monde romain,dans ce monde généralement si pauvre en philosophes, un représentantassez accrédité des doctrines <strong>pythagoricienne</strong>s, pour avoir donnénaissance à une secte, la secte des Seztiens. » (Qvxst. nat., 1. VU,c. 32.) On pourrait croire, à entendre ces paroles, que c'est une chosecertaine que l'École des Seztiens a été une Ecole vraiment <strong>pythagoricienne</strong>,et que les Sentences de Seztius, qui sont parvenues jusqu'ànous, nous en ont transmis les doctrines? Les faits, tels <strong>du</strong> moins queje les ai pu recueillir et comprendre, sont loin de confirmer ces assertions,et puisque je suis mis en demeure de le faire, j'essayerai d'expliquerpourquoi je n'ai pas cru devoir insister sur cette secte. La sectedes Seztius était d'un caractère profondément pratique, et parlant vraimentromain : « Seztiorum nova et romani roboris secta, » et ne futqu'un phénomène isolé et passager • inter initia sua, quum magno. impetu cœpisset, ezstincta est. > (Sen., Qusest. nat., VII, 32, 2.) Satendance philosophique la rapprochait <strong>du</strong> stoïcisme, avec lequel onpeut dire qu'elle était confon<strong>du</strong>e. • Liber Qu. Seztii patris, magni, siquid mihi credis, viri, et, licet neget, Stolci. » (Sen., Ep., 64, 2.) Ilsfont bon marché de la science, et ne sont que des médecins de l'âme,des guides de la vie, des directeurs de la conscience et <strong>du</strong> coeur hu-


302 HISTOIRE.migration des âmes ; enfin Philon, dont le système n'estpas sans rapport avec le néo-pythagorisme. Faut-il admettre,au contraire, que les associations secrètes quipratiquaient la règle de la vie pythagonque, et s'étaientrépan<strong>du</strong>es en Italie et jusque dans Rome, y avaient apmaln: • Contra aflectus, impetu, non subtilitate pugnan<strong>du</strong>m. • Lesdeux seuls traits pythagoriciens qu'on signale en eux, sont, le premier :l'obligation d'un examen de conscience i la fin de chaque journée(Sen., de Ira, III, 86), comme le prescrivent les Vert d'Or, v. 40), et lesecond, l'interdiction de la nourriture animale, que Sotion seul fondaitsur la doctrine de la métempsycose et que Sextius justifiait uniquementpar des considérations générales de douceur et d'humanité. (Seneo.,Ép., 108.) J'avais relevé ce dernier point, qui seul intéresse l'histoirede la <strong>philosophie</strong>, et je me croyais quitte envers les Sextiens.Mais si je n'ai point usé des Senteneet de Sextus, c'est par des raisonsplus graves sur lesquelles il faut bien que je m'explique.On trouve dans Origène (Contr. Celt., VIII, p. 397), dans Jean Damascène(Suer. Parall. Tit., IX, XI, XVII), dans Porphyre [Quxtt.Borner., 26), dans Antonius Mélissa, moine grec <strong>du</strong> huitième siècled'après Saxius (Onomarttc. Lit t., vol. II, p. 333-370), dans S. Maxime,d'abord secrétaire de l'empereur Héraclius, puis moine et abbé, tousdeux auteurs de recueils et d'Anthologies assez semblables à ceux deStobée, on trouve, dis-je, un certain nombre de sentences morales,écrites en grec, citées sous le titre Zttvou ou EIÇTOU yvû|iat. Si l'on enexcepte celles qu'on lit dans le recueil attribué à Hémophile, le n° 104des Similitudes <strong>pythagoricienne</strong>s, les n" 9 et 23 des Sentences <strong>pythagoricienne</strong>s,et le fragm. n* 127 de Démocrite, les rvû|iai grecques deSextus sont au nombre de quatorze, et forment à peu près quatorze lignesde texte. Elles n'ont absolument aucune valeur philosophique,aucun caractère pythagoricien, et ne se recommandent par aucun méritede style ni d'originalité, de tour, ni de fond. Seulement Origène(C. Celt., VIII, p. 397) et Eusèbe (n* 2010) appellent l'auteur un pythagoricien.Outre cela, un prêtre d'Aquilée <strong>du</strong> septième siècle, nomméRufin, qui avait tra<strong>du</strong>it en latin Eusèbe et Origène, a égalementtra<strong>du</strong>it en latin 427 sentences, qu'il a réunies sous le titre Annules,et qui forment, comme il le dit lui-même, un Manuel pratique de piétéet de dévotion. Il parle de l'auteur de ces sentences, dans le Prologuede son ouvrage, en ces termes : « Sixtum in latinum verti, quem Sixtumipsum esse tra<strong>du</strong>nt, qui apud vos idem in urbe Romana Sixtusvocatur, episcopi et martyris gloria decoratus. » Ce Sixtus serai


HISTOIRE. 303porté depuis longtemps des traditions et des principesphilosophiques qui, à un moment donné, se formulèrenten un ensemble nouveau ? C'est un point d'histoireencore obscur, et sur lequel on ne peut fournir aucunesolution vraiment fondée.pape Sixte II, ou Xyste, mort en 257. Il s'agit de savoir si, comme lecroient God. Siber, Hamberger, Reines, Hich. Lequien, l'auteur est lepape Sixte ou Xyste, ou bien le philosophe pythagoricien cité par Origèneet Eusèbe sous le nom de Sextus, ou enfin l'un des Sextius connuset célébrés par Sénèque, comme le croit encore H. de Lasteyrie,Sentences de Sextius, Paris, 1842. Ajoutons qu'il y a de ce recueilune tra<strong>du</strong>ction syriaque conservée, sur la composition de laquelleMM. Ewald et Meinrad OU ne sont pas d'accord.Non nostrum nos inter tantas componere lites.Sans aborder ce point de la discussion, ouvrons ce livre, et lisonsen quelques lignes.1. L'homme fidèle est l'homme élu.2. L'élu est l'homme de Dieu.5. Celui qui chancelle dans la foi est déjà infidèle.20. L'âme est purifiée par le verbe de Dieu au moyen de la sagesse.29. L'ange est le ministre de Dieu pour les hommes.30. L'homme est aux yeux de Dieu d'un aussi grand prix que l'ange.400. L'âme <strong>mont</strong>e à Dieu par le verbe de Dieu.387. Personne ne possède solidement ce que le monde donne, —mun<strong>du</strong>s <strong>du</strong>t.17. Rends au monde ce qui est au monde, et à Dieu ce qui estDieu.367. Le fidèle parle peu; mais ses œuvres sont nombreuses.368. Le fidèle qui se prête à être instruit deviendra lui-même unouvrier de la vérité.10. Il faut couper tout membre de votre corps qui vous invite à agircontre la pureté. Il vaut mieux vivre avec un seul membre, que d'enavoir deux et être puni.Il me parait inutile de multiplier, comme cela serait très-facile, lesrapprochements. Bornons-nous à citer ce texte connu de S. Matin.,XVIII, 8 : « Si votre main ou votre pied vous est un sujet de scandale,coupez-les, et les jetez loin de vous. Il vaut bien mieux pour vousque vous entriez dans la vie, n'ayant qu'un pied ou qu'une main,que d'en avoir deux et être jeté dans le feu éternel. »La conclusion saute aux yeux. Maintenant que, dans ces sentences


304 HISTOIRE.Quoi qu'il en soit, P. Nigidius Figulus, ami et contemporainde Gicéron *, est cité par celui-ci comme le premierqui ait rétabli l'École et la doctrine <strong>pythagoricienne</strong>s'. Les titres de ses ouvrages per<strong>du</strong>s annoncentqu'à des études philologiques, il avait uni des recherchessur l'Astrologie, la Théologie, la Physique ', et justifientles épithètes dont se servent pour le caractériser saintJérôme et la Chronique d'Eusèbe *.probablement empruntées pour la plupart aux philosophes paleai,il s'en trouve de Sextius le Romain, sans doute cela est possible,vraisemblable si l'on veut; mais comment peut-on l'affirmerou le prouver? Toute preuve historique fait défaut, et si l'on vents'appuyer sur les arguments internes, on n'en trouve pas davantage.Rien de ce qui caractérise le pythagorisme n'apparaît dans ces maximes,plutôt stoïciennes, mais d'un stoïcisme attendri, épuré, idéalisépar l'influence chrétienne.Ce n'est pas là un ouvrage chrétien, en ce sens que le symbole de 1sconfession chrétienne n'y est pas exprimé. Hais évidemment c'estl'ouvrage philosophique d'un chrétien, dont l'esprit est plein de lalecture <strong>du</strong> Nouveau Testament.En résumé les sentences de Sextius, tra<strong>du</strong>ites par Rufln, n'ont rien depythagoricien; on ne sait pas quel en est l'auteur; il n'est pu probableque ce soit le pythagoricien nommé par Origène, et il est possibleque ce soit le pape Sixte II. Ce qu'il y a de plus invraisemblable,c'est qu'elles appartiennent à l'un des Sextius célébrés par Sénèque,lesquels d'ailleurs étaient plutôt des stoïciens que des pythagoriciens.Et maintenant je pense qu'on approuvera ma réserve et qu'on mepardonnera de n'avoir point usé d'un document plus que suspect.1. Hort en 45 avant J. C, en exil, après la défaite de Pompée, dontavait embrassé la cause.2. Cic, Ttm., 1 : « Hune extitisse qui illam revocaret. » Id., Falto-i6 : « Ad quem plurimi convenirent. »3. Deextis; de Auguriit; de Dits, en XIX livres; de Sphstro;^Animalibus; Commentera grammalici. Cicéron l'appelle : • Acer investigatorearum rerum quae a natura involutœ videntur; > et Smmonicus,dans Macrobe, II, 12 : « Maximus rerum naturalium indagator.•4. S. Jerôm. : « 709, 45 ant. Christ. Nigidius Figulus PythagoncnJet magus in exilio moritur. Cf. Hertz : de P. Nigidii Figuli xtssdsw.


HISTOIRE. 305Déjà peu goûtés de son temps, à cause de leur obscuritéet de leur subtilité, ses livres sont aujourd'hui per<strong>du</strong>s,et Dion, qui nous en marque la tendance à un syncrétismeastrologique,, emprunté aux Grecs, aux Égyptiens,et à la divination des Étrusques ', ne nous en faitpas connaître le contenu.On n'en sait pas davantage sur les opinions de Vatiniusqui voulait se faire passer pour pythagoricien, maisque Gicéron accuse d'avoir voulu cacher sous ce beaunom toutes sortes d'infamies ».Quel fut le succès, quelle fut l'importance de cette renaissancepréten<strong>du</strong>e de l'Ecole <strong>pythagoricienne</strong> à Rome?C'est ce qu'il est assez difficile de savoir s . Si nous apprenonspar David l'Arménien que Juba II, roi de Mauritanie,à l'époque d'Auguste, fit réunir tous.les écrits dePythagore, comme Ptolémée avait fait réunir ceux d'Aristote\ ce qui suppose un certain réveil de la curiositéphilosophique, Sénèque nous rapporte que la secte <strong>pythagoricienne</strong>,qui haïssait le bruit et la foule, ne pouvaitpas trouver à Rome un seul professeur *. On estdonc porté à croire que cette étincelle rallumée, dit-on,par Nigidius, s'éteignit bientôt dans l'indifférence.Berlin, 1845. Dreysig, de Sig. Figuli fragmentis apud Schol. Germanieiservatis, Berlin, 1854.1. Dio., 45, 1.2. Cic, in Valin., 1,1, et 6, 14.3. 11 est difficile de voir autre chose qu'une hyperbole de rhétoriquedans ces mots de S. Jérôme : « Respice omnem oram Italiae qua quondamMagna Gracia dicebatur ; et Pylhagoreorum dogmatum incisa publicislitteris ara cognosces. » Mais elle ne prouverait d'ailleurs rienpour l'Italie Romaine.4. Scholl. Àristt., in Categ., p. 28 a.5. Ou. Nat., VII, 32.il — 20


306 - HISTOIRE.Mais avant de s'éteindre, elle eut le bonheur d'enflammerle génie de deux grands poètes, chez lesquelsl'influence des idées pythagoricienues est incontestableet forte. Ce sont Virgile et Ovide. •Virgile, le plus érudit des poètes, et l'un des hommesles plus érudits d'une époque d'érudition, où l'écoled'Alexandrie avait cherché à raviver par le savoir, la<strong>philosophie</strong> et l'histoire, la flamme expirante de l'inspirationpoétique, Virgile a adopté et exprimé, en vers admirables,trois des opinions les plus considérables <strong>du</strong>pythagorisme : la théorie d'une âme <strong>du</strong> monde, qui,sous la forme d'un feu éthéré, pur, céleste, le pénètre,l'enveloppe et l'anime ; la théorie de l'identité <strong>du</strong> principede la vie, commun à tous les êtres qui en ont leprivilège ; qnfin le dogme de la Préexistence et de la Renaissance,c'est-à-dire de l'éternité indéfectible de l'Ameet de la Vie.Ces théories se <strong>mont</strong>rent vaguement indiquées dansSilène, v. 30.« Namque canebat uti magnum per inanc coactaSemina terrarumque, animœque, marisque fuissent,Et liquidi simul ignis. »Mais de cette description encore tout ionienne del'origine des choses, le poète passe aune précision plusgrande dans les Gèorgiques, IV, où le principe divin dela vie apparaît circulant à travers la nature entière, etpar sa vertu éternelle ne laissant pas de place à la mort.« Deum namque ire per omnesTerrasque, tractusque maris, cœlumque profun<strong>du</strong>m.Hinc pecudes, armenta, viros, genus omne ferarum,Quemque sibi tenues nascentem arcessere vitas,J


HISTOIRE. 307Scilicet hue reddi deinde, ac resoluta referriOmnia ; nec morli esse locum ; sed viva volareSideris in nnmerum, alque allô succederc cœlo. »Non-seulement rien ne meurt et tout vit, mais tout vitde la même vie, <strong>du</strong> même principe de vie. Le rocherbattu par la vague, et l'astre qui rayonne dans lesprofondeurs infinies <strong>du</strong> ciel, le Dieu, l'homme et la bête,la plante, le ver de terre et l'étoile, ne sont que des degrésdivers de l'être, et non des êtres différents. Dieuimmanent à tous et à chacun, les unit entre eux, s'il nelesconfond pas et ne les absorbe dans son propre être.Cette âme <strong>du</strong> Tout est un feu divin qui l'alimente de saflamme éternelle :a Principio Cœlum ac terras, camposque liquentesLucentemque globum Lunae, Titaniaque astraSpiritus intus alit, et magno se corpore miscet.Indehominum pecu<strong>du</strong>mque genus, vitœque volantum.Igneus est ollis vigor,Atque aurai simplicis ignem. »Ce feu ne pouvant s'éteindre, la mort n'est qu'une apparence;elle est un mode de la vie, et comme une deses fonctions, une de ses phases. La métempsycose estdonc la conséquence <strong>du</strong> système, et il n'est pas étonnantque....« Has omnes, ubi mille rotam volvereper annos,Lethœum ad fluviuin.Deus evocat agimne magno,Scilicet immemores supera ut convexa ré\isant,Rursus et incipiant in corpora velle reverti. »Quant à Ovide, qui suppose que Pythagore servit demaître à Numa, on sait qu'il fait paraître Pythagore luimêmeau milieu de son poëme des Métamorphoses (l. xv).


308 HISTOIRE.Il vient, comme un prophète, révéler aux hommes lesecret de la vie, et fonder le dogme de l'immortalité surun principe qui est loin de lui donner plus de prix.« Morte carenl animœ; semperque priore relictaSede, novis domibus vivunt habitantque receptœ: »L'âme ne connaît pas la mort : comme un voyageuréternel, lorsqu'elle a quitté une demeure, elle s'en vavivre dans une autre et y jouir d'une hospitalité passagère.« Omnia mutantur : nihil inlerit. Errât, et illincHue venit, hinc illuc, et quoslibet occupât artusSpiritus ; eque feris humana in corpora transit,Inque feras noster. ...»On voit ici affirmer non-seulement la persistance del'être, l'éternité de la vie, mais encore la transformationinfinie et illimitée des genres naturels, et la variabilitédes espèces : en quoi Ovide se moulre plus fidèle àl'esprit panthéistique <strong>du</strong> pythagorisme qu'à la vérité desfaits et aux principes supérieurs de la raison.Mullach place vers la même époque, mais sans endonner aucune raison, l'ouvrage d'Ocellus Lucanus surla nature <strong>du</strong> Tout 1 . Si cette hypothèse est exacte, nousavons dans ce livre un témoignage de l'existence d'uneEcole <strong>pythagoricienne</strong> de nom, mais plutôt platoniciennede doctrine. La métempsycose n'y est pas mentionnée; en revanche, il est prouvé, par des argumentsempruntés à Parménide et à Aristote, que le monde est* éternel, sans commencement ni fin: il en est ainsi, parconséquent, des parties qui le composent, et des parties1. Lucien fait de l'auteur un disciple immédiat de Pythagore.


HISTOIRE. • 309de ces parties. La Terre a donc toujours existé, et sur laterre ont toujours vécu des hommes, des animaux, desplantes ». Les corps sont contenus dans leur forme parla vie; la cause delà vie est l'âme. Le monde subsiste envertu de l'harmonie dont la cause est Dieu. Le devenir,dont l'existence est manifeste, suppose une matière sensible.La matière toujours changeante et muable, divisibleà l'infini, est distincte des formes éternelles et immuables,qui sont les vraies réalités, et que l'interventionde Dieu fait seule descendre dans la matière informe,mais apte à la forme. Mais ces choses composées sontelles-mêmes toujours changeantes, et ne méritent pasle nom d'êtres qu'on leur donne ordinairement.Il est facile de reconnaître, dans ces opinions, l'influencedes platoniciens ; cependant, quelques tracesdes idées et des doctrines de Philolaus se retrouventdans Ocellus : ainsi il admet les cinq corps, les deuxparties <strong>du</strong> monde, l'une douée d'un mouvement éternelsans changement, l'autre où le changement règne. Cesdeux parties sont liées étroitement entre elles, et nefont qu'un tout harmonieux, où se trouvent, disposés enune série ordonnée croissante, tous les degrés de l'existence,depuis l'imperfection la plus grossière jusqu'àl'absolue perfection. Les êtres sont composés de contrairesau nombre de douze, qui sont répartis entre lesquatre éléments.,Apollonius de Tyane en Cappadoce vivait à peu prèsvers la moitié <strong>du</strong> premier siècle de notre ère a . On le con-1. De natur. universi, c. 33.2. Philostrate a écrit sa vie, mais en y mêlant beaucoup de fables,si bien qu'on ne sait plus comment en dégager l'élément historique.


310 HISTOIRE.sidère comme fondateur d'une forme de la <strong>philosophie</strong><strong>pythagoricienne</strong> qui mêlait aux doctrines modifiées déjàde Platon, des idées orientales. Son pythagorisme consistemoins dans les doctrines, car il considère même lathéorie des nombres comme secondaire et subordonnée,que dans la pratique. Il cherche à reprendre la tentatived'une réforme religieuse de la vie morale, et, commePythagore.il essaye la restauration d'un culte divin pluspur, dans le sens d'une pratique sévère et au moyen demiracles et d'exemples de sainteté.L'unité est le principe suprême; cette unité simple,indivisible, immatérielle, n'arrive pourtant à l'existenceréelle qu'en s'unissant à la matière, dont elle se distinguesans pouvoir s'en séparer. Quand la matière vientà remplir l'être, il naît 1 ; quand elle le quitte, l'êtrerentre dans l'état de pure et invisible essence : et c'estce qu'on nomme la mort. Cette alternative, ce mouvementet ce repos, qui rappelle l'ancien pythagorisme,constitue la vie <strong>du</strong> monde et toute la réalité de l'être.Le monde est, en effet, un grand vivant qui se suffit àlui-même, parce qu'il est mâle et femelle : il est douéde raison et d'intelligence. En lui se manifeste, soustoutes les formes, Dieu, qui le remplit de sa puissanceet de sa présence. L'homme est d'origine et d'essence1. Ep. ad Valer., trad. lat. d'Olearius : «Nulla omnino res interit,nisi in speciem; quemadmo<strong>du</strong>m nec gignitur quidquam nisispecie.Ubi enim aliquid ex statu essentiœ in naturae statum transit, id generatiovidetur; mors contra, ubi ex statu naturae ad statum essentis»redit; quum interea vere nihil quidquam generetur aut corrumpatur,sed tantum conspicuum ait modo, modo conspectui sub<strong>du</strong>catur rursum;illud quidem propter materiaa crassitiem, hoc vero propter essentistenuitatem, quai semper eadem est, motu tantum et quiète differt.


HISTOIRE. .311divines. L'âme immortelle passe de corps en corps, c'està-dire de prison en prison, et ne peut être délivrée decette longue série de supplices que par la pratique desrègles de vie morale instituées par Pythagore.Modératus de Gadès est également nommé un pythagoricien,et appartient, comme le précédent philosophe,au premier siècle '. Il essaye d'unir le pythagorisinc auplatonisme, et de rattacher le principe matériel au principedivin, sans les confondre en un seul. La matière,élément informe, n'est que la quantité : cette quantité,dans son état idéal et primitif, est contenue en Dieu qui,au jour où il veut pro<strong>du</strong>ire le monde, la sépare de lui,se sépare d'elle, et par là la prive de la forme dont il estle principe et dont il conserve en lui l'essence. Puis,sans qu'on sache Comment, cette quantité idéale et primitiveest le paradigme et le principe de la quantitééten<strong>du</strong>e, divisée, dispersée, qui s'éloignnnt <strong>du</strong> bien autantque de l'être, se confond presque avec le mal*. Cetteopposition inconciliable de la matière et de l'Idée est,comme on le sait, purement platonicienne. Si laquantité est le nombre, comment un pythagoricien aurait-ilpu dire qu'elle s'éloigne de l'être et <strong>du</strong> bien?En opposition et en concurrence avec la matière, Modératusadmet trois sortes d'unités :I. L'unité première, supérieure à l'être et à l'existence.t/1. Sous Néron ou Vespasien. Plutarque l'intro<strong>du</strong>it comme interlocuteurdans un de ses dialogues Symposiaques, VIII,7,1. Conf. Jons.,de Script. Hitt. Phil., III, V. 2.2. Simplic, tn Phyt., hO b : UapotSrlyiiaTà tort Tijr. TûV aupâttovSXric.... SUCTVXV àità TOû SVTO; itxpàXXaEiv • Si' & xal xaxSv Soxtï X| GXt)t!>( TO ayadov ànocpeuyoûcra.


312 HISTOIRE.II. La seconde unité, ou l'être intelligible, les Idées.III. La troisième unité est l'âme, qui participe del'unité absolue et des Idées.Tout en adoptant la doctrine <strong>pythagoricienne</strong> desnombres, Modératus en supprimait la signification <strong>pythagoricienne</strong>en ne les considérant que comme dessymboles des idées, des espèces de signes destinés à enpréciser le sens. 1 exprimait ainsi l'idée de l'unité, del'égalité, la cause de l'harmonie, de la permanence, dela régularité des choses : c'est l'expression numériquede l'ordre, de la perfection, de Dieu.2 représente la différence, la multiplicité, l'inégalité,la division, le changement : c'est l'expression de la matièreet <strong>du</strong> mal '. Il est clair que nous n'avons ici que lanotion de la dyade, telle que l'avaient conçue Speusippeet Xénocrate.Je ne vois pas trop pour quelles raisons on comptehabituellement Plutarque parmi les platoniciens pythagorisants.Ce qui est surtout à signaler chez lui, c'est unéclectisme sage, qui accueille avec le platonisme les idéespéripatéticiennes et adoucit la rigueur morale et lesexcès logiques <strong>du</strong> stoïcisme. Ses écrits attestent, il estvrai, qu'il était versé dans la connaissance <strong>du</strong> pythagorismeancien et nouveau, et.son maître Ammonius plaçait,comme il le dit lui-même, une partie de la <strong>philosophie</strong>dans les mathématiques \ Quant à lui, il identifiéles nombres aux Idées, et les dérive de deux principes: l'Un et la dyade. Les nombres naissent lorsqu'unepartie plus ou moins grande de l'infini est limitée par le1. Iarobl/, V. P., 48.2. Plut., de tl, c. 17.


HISTOIRE. 313fini. Les corps naissent des points, qui engendrent leslignes, d'où se développent les surfaces. Comme l'ancienpythagorisme, il admet une âme <strong>du</strong> monde, mais il lasuppose primitivement sans ordre et sans raison ; c'estDieu qui dépose en elle l'harmonie en la divisant en partiessuivant des nombres harmoniques ; il admet égalementles démons, les cinq éléments, et la division tripartitede l'âme. Mais ces analogies n'ont rien de proprementpythagorique, et relèvent toutes <strong>du</strong> platonismeet de l'École académique.Nicomaque de Gérase, qui vivait vraisemblablementavant les Antonins,est encore nommé parles historiens dela <strong>philosophie</strong>, un pythagoricien : il pose l'Un ou la monadecomme l'être premier qui, en se dédoublant, fournitla dyade ; l'une de ces essences est l'esprit ou Dieu, l'autreest la matière. Nicomaque distingue deux unités,l'unitépremière et l'unité engendrée, h nptoro'yovov, image etpro<strong>du</strong>it de la première. Dieu porte en son sein, en germe,toutes les choses de la nature '. Le principe immédiat,le modèle des choses, est le nombre, qui les précède dansl'esprit de Dieu. On reconnaît ici à peu près toutes les opinionsde Modératus. Si les nombres sont des paradigmesdes choses, ils ne sont plus, comme dans le vrai pythagorisme,les choses mêmes. Dans sa Théologie arithmétique,Nicomaque avait cherché à <strong>mont</strong>rer la significationphilosophique et la nature divine de chacun desnombres depuis l jusqu'à 10, et dans ces interprétationssymboliques et mystiques, il s'était livré à tous les capricesd'une imagination intempérante, comme l'ob-1. Theol. Arithm., p. 6 : EnepiiaTtxûç; tmâpxovxa nàvxa xà èv xfjfûaei âvxa.


314 HISTOIRE. •serve l'auteur anonyme de l'ouvrage intitulé : TheàgoumenaArithmetica *.Théon de Smyrne, qui appartient à cette époque, s îtraîne dans les mêmes idées ; il célèbre également la,haute importance des nombres, et distingue l'unité pure \de la monade qui se multiplie dans les nombres. iAlcinoùs est un platonicien comme Atlicus: l'âme<strong>du</strong> ]monde qu'ils admettent tous deux avec la démonologie,n'a rien de particulièrement caractéristique.Il faut en dire autant de Numéniusd'Apamée : c'estle Jprécurseur <strong>du</strong> néo-platonisme. Si on l'appelle un pythagoricien,c'est qu'il est d'avis que Platon a tout empruntéde Pythagore d'une part, et de Moïse de l'autre; car c'estlui qui appelle le disciple de Socrate un Moïse parlantgrec, Mcicr,? (îTTIXHOIV. Il unit la spéculation grecque aw |conceptions orientales, ouvrant ainsi la voie aux alexandrins.Ce qu'il y a en lui de pythagorique, c'est d'admettrela préexistence et la migration des âmes, et deplacer l'essence de l'âme dans- le nombre.De même que le néo-pythagorisme était né de la tentativede conciliation entre les doctrines de Platon etcelles de Pythagore, de même le néo-platonisme est issud'une fusion semblable entre les doctrines de Platon etcelles des néo-pythagoriciens.Ce sont les néo-pythagoriciens qui ont été les premiersà interpréter la théorie des Idées, de manièrene faire des Idées que des formes de l'entendement divin,des pensées de Dieu. Plotin fut même accusé den'être que le plagiaire deNuménius le pythagoricien, etl'on peut dire <strong>du</strong> moins que toute l'école pythagorisante1. P. 142.


HISTOIRE- 315a exercé une très-sérieuse influence sur son esprit;Comme les pythagoriciens, Plotinest panthéiste; il croitcomme eux à l'immanence de Dieu dans les choses ; maisil spiritualise cette idée, et cherche à sauver la perfection,l'immatérialité, la simplicité, l'unité <strong>du</strong> principe divin,sans les séparer <strong>du</strong> inonde sensible. Non-seulement ildistingue le Dieu suprême des puissances divines quiagissent directement sur la nature, mais il élève Dieu,l'Un absolu, au-dessus même de l'acte de la pensée et del'intelligence. Tout dérive de l'Un ; mais tout n'en dérivepas immédiatement. Dans ce panthéisme dynamique,Dieu est à la fois immanent et transcendant, c'est-à-direqu'il est dans les choses et à la fois en dehors d'elles. Ily a une progression transcendante de principes liés entreeux :I. L'Un, le Bien, causalité absolue;II. L'être identique à la pensée et qui est pluralité dansl'unité ; car la pensée n'est possible que par les Idéesqui sont conçues en même temps comme nombres, et lenombre est l'anneau intermédiaire par lequel on voit lapluralité sortir de l'Un. Plotin nomme quelquefois l'êtrenombre ; quelquefois il fait des nombres, la racine etla source des êtres.III. L'âme est le troisième principe ;Plotin admet deux âmes : la première qui est absolumentimmatérielle, pro<strong>du</strong>it la seconde, laquelle est unieau corps <strong>du</strong> monde. C'est dans cette seconde âme quesont les \iyoi airtpuaTtxot, c'est-à-dire les raisons actives etagissantes enveloppées dans les germes des choses; cesraisons sont déterminées dans leur acte par le nombre.Le monde est un tout sympathique,eteette sympathie,


316 HISTOIRE.cette harmonie des parties, et pour ainsi dire des membresqui le composent, constitue sa beauté et sa perfection.Quoique l'influence <strong>pythagoricienne</strong> soit ici bien évidente, on ne peut s'empêcher d'observer que Je spiritualismede Plotin transforme et épure les idées qu'il accueille,et qu'il a d'ailleurs reçues déjà modiriées parlesinterprétations antérieures, données à la doctrine de Pythagorepar Platon et parle stoïcisme. Iambliqueaplusdégoût encore que Plotin pour la mystique des nombresdont il célèbre, pour ainsi dire, avec des hymnes, lesmerveilleuses puissances 1 . Si les mathématiques ne sontpas toute la <strong>philosophie</strong>, <strong>du</strong> moins toutes tes parties dela <strong>philosophie</strong> en reçoivent l'influence. Cependant il nefaut voir dans les nombres que des symboles de véritéssupérieures.Plus conforme à la tradition platonicienne qn'à cellede Pylhagore, Iamblique admet que le nombre est uneessence incorporelle, existant par elle-même, placéeentre le fini et l'infini, les formes indivisibles et lesformes divisées, en un mot, entre les Idées et les Mpi,l'intelligible et le psychique.Les nombres se distinguent des âmes en ce qu'ilssont immobiles, et cependant l'âme et l'Idée sont unnombre. Le nombre est le modèle d'après lequel l'intelligencedémiurgique a formé le monde. Il faut distinguerles nombres mathématiques et les nombresgéomélriques. Les principes des nombres mathématiquessont l'Un et la cause première de la pluralité ; les1. Procl., in Tim., 206 a : 'O 5i Scioc Ti|i6Xtxoc UU|*VEï TOù; apte- 'Ltoùç uctà «eton; Suvàjituc.


HISTOIRE. 317principes des nombres géométriques sont le point etl'extension. Dans les formes géométriques et dans lesnombres se manifestent l'être et la beauté, qui, parconséquent, ne sont absents que dans les compositionsles plus élémentaires et les ébauches les plus grossièresd'organisation ; cette absence de nombre constitue toutela réalité <strong>du</strong> mal.C'est moins par ces opinions, qui ne se séparent pasessentiellement de celles de Plotin et de Porphyre',quepar sa tendance mystique et religieuse, que Iambliquese rattache aux pythagoriciens : il prétendait ramener,il est vrai, à leurs principes, le platonisme tout entier ;il suivait leur règle de vie, qu'avait déjà célébrée Porphyre, et se vantait de renouveler leurs miracles. Nousavons vu, dans l'exposition de la doctrine, qu'Eudore distinguaitdéjà deux sortes d'unités : l'unité ou le nombreconcret et éten<strong>du</strong>, sr^ônov tv fyov |AÉyt6oç, et l'unité qui,sous le nom de m'pac, s'oppose à l'eLntpov. C'est en approfondissantces nuances, encore confuses et obscures,que Proclus arrivera, à l'aide de la participation ou procession,à distinguer les trois unités suivantes :1. L'unité <strong>du</strong> multiple ou <strong>du</strong> sujet participant.2. L'unité multiple de la forme participée, ou la monadeparticipable.3. Enfin l'unité absolue ou monade impartjcipable.L'Un est principe souverain: comme principe, il engendrepar son être même , et comme son être est l'u-1. Je ne trouve rien de particulièrement pythagoricien dans lesthéories philosophiques de Porphyre; car la procession par laquellel'un devient pluralité, sans sortir de sa nature, n'a nullement cette origine.>


318 HISTOIRE.nité, il ne peut engendrer, <strong>du</strong> moins immédiatement,que des unités, ai ivâSe; : car le pro<strong>du</strong>it immédiat del'unité ne peut être que le nombre. Le nombre est antérieuret supérieur à l'idée, comme le disait déjà Syrianus:• Quiconque s'appliquera à connaître les doctrinesthéologiques des pythagoriciens et le Parminide dePlaton, verra clairement qu'avant les Idées sont lesnombres. »Toute la doctrine de Proclus se ramène, oa le sait, àdes triades et même à trois triades: la triade psychique,la triade intellectuelle, la triade divine.. La triade divine est engendrée par l'Un; chacune destriades forme avec l'Un, le sacré quaternaire ; toutes lestrois réunies avec l'Un, constituent la sainte décade quiréalise toutes les perfections et tous les nombres.On le voit : ces trois triades sont <strong>pythagoricienne</strong>s, nonseulementpar leur nombre, mais encore par leurs élémentscomposants : en effet, la première est le composéou mélange de la limite et de l'illimité fait parl'Un, principes, celle-là de toute forme, celui-ci de toutematière, réunis et unis dans l'être; la seconde comprendla limite, l'illimité et la vie ; la troisième, la limite, l'illimitéet l'intelligence.De tous les alexandrins, Proclus est certainementcelui oùj'influence des pythagoriciens est la plus manifeste,non-seulement dans le fond, mais encore dans laforme toute mathématique des classifications et desdivisions.Le platonisme ancien et nouveau, en s'intro<strong>du</strong>isantdans le christianisme, y apporta les éléments pythagoriciensqu'il avait lui-même adoptés. L'unité se concilia^


HISTOIRE. 319déjà dans la <strong>philosophie</strong> chrétienne avec la Triade ouTrinité, au moyen de la procession incompréhensible etineffable <strong>du</strong> Père. Mais outre ces influences générales,on peut en observer de plus directes et de plus particulières,surtout dans le gnostique Valcntin, et dans saintAugustin.Les Syzygies de Valenlin et ses classifications des principesportent l'empreinte profonde de la doctrine desnombres. L'emploi des rapports numériques de certainesoppositions considérées comme constitutives des êtres,aussi fréquent chez lui que chez les pythagoriciens, constituentdes analogies frappantes, remarquées déjà etsignalées par S. Irénée',la principale source pour l'histoiredes doctrines gnostiques.Le principe suprême est la monade représentée commele commencement avant le commencement, irpo«py,TÎ,qui rappelle la cause avant la cause des pythagoriciens.Cette unité fait, par sa vertu, l'unité de toutes les parties<strong>du</strong> monde qu'elle réunit et unit en un tout.Dieu est antérieur au monde et supérieur à l'être,principe, il est vrai, assez peu pythagoricien, quoi qu'onen dise ; mais les Syzygies le sont davantage.Le premier couple de ces contraires, principes de toutce qui est, se compose de Bjthos, principe mâle, et deSigé, principe femelle, qui repose dans le sein de Bythoset est sa pensée silencieuse. De ce couple procèdentla raison et la vérité, qui engendrent à leur tour le Verbeet la Vie, d'où naissent l'Homme et l'Église.Ces quatre couples forment la première octoade, à la-1. II, 14, T.


320 HISTOIRE.quelle succèdent dix jEons pro<strong>du</strong>its par le Verbe et la Vie;ces dix /Bons sont distribués en cinq syzygies, et douzeautres, nés de l'Homme et de l'Église, sont divisés en siisyzygies. Nous avons donc le nombre total de trenteprincipes, somme des nombres 8, 10, 12, qui étaientconsidérés par les pythagoriciens comme parfaits; cestrente zEons forment le plérôme divin, le monde suprasensibled'où, par une faute de la Sagesse, est né lemonde matériel.Quoique le caractère pythagoricien soit manifeste dansces nombres et dans le jeu de ces oppositions disposéespar couples, cependant les analogies sont purement extérieureset apparentes. D'abord la procession changele fond <strong>du</strong> système. Bytbos enfante tous les contraires,et cette génération n'est pas <strong>pythagoricienne</strong>, car elle faitnaître l'imparfait <strong>du</strong> parfait, tandis que, pour les pythagoriciens,ils coexistent de toute éternité. En outre,les Syzygies sont des couples, mais non des couples devrais contraires : ce sont plutôt des représentations orientales, empruntées peut-être au culte de la Syrie, ettirées, par une analogie matérielle, des relations et affinitéssexuelles.Dans saint Augustin les théories numériques sontmoins grossières, mais elles tombent parfois dans lapuérilité qu'on reproche aux pythagoriciens.L'âme, dit-il, mue par une espèce d'inspiration miraculeuse, a soupçonné qu'elle était un nombre, et lenombre même par qui tout est nombre. Du moins,si elle n'est pas réellement le nombre, ou peut direqu'elle aspire à l'être. Tout dans la nature tend à réaliserle nombre, et le nombre par excellence, l'Unité.


HISTOIRE. 321L'arbre n'est arbre que parce qu'il est un. Si l'hommeest supérieur à l'animal, c'est parte qu'il connaît etpro<strong>du</strong>it les nombres ; car l'âme est pleine de formes ,c'est-à-dire de nombres; formes , nombres, c'est toutun. Au-dessus des nombres sensibles et changeants, ily a les nombres spirituels et éternels, intelligibles etinvariables, que domine l'unité parfaite et absolue. Leprincipe de toute chose est cette unité suprême 1 . Enoutre, c'est parce qu'elles sont unes que les choses nousplaisent ; l'unité est belle, nous l'aimons pour ellemême;elle est le principe de tout ce qui est aimable ;c'est la forme même de la beauté. Pourquoi? C'est quenous aimons l'être, l'être vrai et réel, et que la réalitéou la vérité d'un être est en proportion de son unité.Etre n'est rien autre chose qu'être un. L'unité est lamesure de l'être, c'est l'être même*.C'est ce qui prouve que l'âme est un nombre ; car cequi renferme l'unité et comprend le nombre, ne peutêtre que nombre et unité. En effet, pour connaître, lesujet doit être ou se faire semblable à l'objet. Unie parla connaissance à l'unité et au nombre, l'âme ne peutmanquer d'être nombre et unité.L'unité est tellement le principe de l'être, que dansl'homme même, composé d'un corps et d'une âme, le1. De Ordin., II, 14, 6.2. Doctrine toute ALiandrine. Cf. Plotin. Enn., VI, 1. IX. 81 :« Tous les êtres ne sont des êtres que par leur unité. Que seraient-ils,en effet, sans cela? Privés de leur unité, ils cesseraient d'être ce qu'ilssont. L'être est identique à l'unité. » Cf. Id., Enn., VI, 1. VI, § 16 :• Comment le nombre eviste-t-il en soi? C'est qu'il est constitutif denotre essence. Le nombre de l'âme est une essence de la même natureque l'âme, s .il — 21


323 HISTOIRE.corps et l'âme ne font qu'un être, une seule personneet de là cette tendance, cet amour naturel que l'âme apour son corps 1 .Nous venons de le voir : parce que l'unité est la formede l'être, elle est en même temps la forme de la beauté.Dans les choses composées et changeantes, ce qui constituel'unité, c'est la proportion, le rapport, l'ordre,l'harmonie, c'est-à-dire le nombre, qui imite l'unité.Tout ce qui platt, platt par le nombre ; la beauté desformes comme celle des mouvements est un nombre.Demandez-vous ce qui vous platt dans la danse, dans lamusique, dans tous les arts', le nombre vous répondra :1. Proposition où il est facile de reconnaître la pensée et les formulesmêmes de Philolaus : «Anima inditur corpori per numerum....diligilur corpus ab anima. » Claud. Mamert., II, 7.2. Dans le sixième livre <strong>du</strong> de Jfiwiea, VI, il distingue cinq espècesde nombres musicaux.1, Le nombre dans le son, le nombre sonore, le nombre objet, numerisortantes.2, Le nombre de la sensation, le nombre <strong>du</strong> sujet, de l'âme, en tantque percevant l'impression, le nombre passif, numeri occursores.3, Le nombre en acte, le nombre <strong>du</strong> sujet qui ne se borne plus àentendre, mais à prononcer les sons, à faire et à pro<strong>du</strong>ire les nombres,numeri progressons.4, Le nombre qui retentit encore dans la mémoire, alors que lessons se sont depuis longtemps évanouis, numeri recordabiles.5, Le nombre de la raison, qui saisit dans ces sons, juge et goûteavec joie l'égalité qui en fait le charme, comme il repousse l'inégalitéqui la choque et l'offense, numeri judiciales.C'est un fait remarquable et déjà remarqué par Plutarque, de Mutica,que les sons ne pro<strong>du</strong>isent une sensation qu'en communiquantaux nerfs auditifs un nombre de vibrations égal à celui des vibrationsqui les constituent : et, comme le son affecte l'intelligence aussi bienque l'ouïe, on peut et on doit dire qu'il y a un nombre dans l'espritcomme dans le sens. De là ces propositions qu'on rencontre dans Platon,'Km», 80, comme dans Aristote , Polif., VIII, 5, que le rhythmeet l'harmonie des sons de la voix humaine ne sont que l'image del'harmonie et <strong>du</strong> rhythme intérieurs de l'âme.


HIST01HE. 323c'est moi. Partout vit et règne le nombre, mais lenombre éternel qui rayonne <strong>du</strong> sein de Dieu, unitésuprême, absolue, parfaite.Toutes les créatures ressemblent à Dieu, en ce qu'ellesont le nombre, dont il est le principe. L'homme est unêtre tombé de l'unité dans la multiplicité 1 .Dans l'application de cette doctrine des nombres,saint Augustin se rapproche encore des opinions <strong>pythagoricienne</strong>s,et, en particulier, de celles qu'on se rappelleraavoir trouvées dans Philolaûs. A l'âme, en effet, estattribué le nombre 3, image de la trinité divine ; aucorps le nombre 4, car il contient évidemment les quatreéléments. L'homme, dans son être complet, est donc lenombre 7. Ce nombre 7 se retrouve partout, et spécialementc'est le nombre des actes de l'âme, quisont :l° La vie animale, «animatio»; 2° la vie sensible, «sensus»;3° la vie active, «are»; 4° l'activité vertueuse, « virtus» ; 5° la sérénité, « tranquillités » ; 6° le mouvementvers Dieu, « ingressio » ; 7° la contemplation. De même,il y a dans la vie de l'indivi<strong>du</strong> six âges que couronne unseptième terme, la mort ; il y a dans la vie de l'hommeintérieur six mouvements qui aboutissent à un septième:le repos éternel et la béatitude sans fin.La vie <strong>du</strong> genre humain peut être comparée à celled'un indivi<strong>du</strong>, et si on retranche de l'histoire, où ils neméritent pas de trouver place, les peuples impies quin'ont pas connu Dieu, on trouvera sept périodes dans laI. De Triniti, 1. IV, n. 30. Epist., II, n. 4 : • Ab unitate in varletatemlapsi aumus. » C'est la théorie qu'on retrouve au VI* livre <strong>du</strong> deJfurica-


324 HISTOIRE.vie des peuples élus, dont l'ancien Testament est l'histoire.La sixième de ces périodes, que saint Augustin compareaux sept jours de la Création, est commencée par. la prédication de l'Évangile et remplie par son règne ;elle <strong>du</strong>re encore et <strong>du</strong>rera jusqu'à la fin <strong>du</strong> siècle. Sonsoir, sera le moment terrible où le Fils de l'Hommeviendra sur la terre; c'est alors que se lèvera le septièmejour de l'Humanité, le jour de l'éternel matin, de l'éternelrepos, de l'éternel sabbat.Il serait facile, mais il est inutile de poursuivre danssaint Augustin ces analogies arbitraires 1 ; nous en avons1. Je croyais en avoir dit assez sur le pythagorismede S. Augustin.Le docte auteur <strong>du</strong> Rapport, qui le connaît bien, me reproche d'avoir« omis les six livres de son Traité de Musica. • Cet ouvrage est, eneffet, un de ceux où l'influence presque superstitieuse des nombres sedonne pleine carrière; mais son sujet, trop spécial, et absolumentétrangère la <strong>philosophie</strong>, m'avait engagé à le passer sous silence,quoique je l'aie attentivement lu, et même analysé; car il traite d'unematière dont je me suis autrefois beaucoup occupe, la Métrique. En effet,malgré son titre, cet ouvrage, où il esta peine question de musique,n'est qu'un traité de métrique. Il est vrai qu'il est incomple I, comme presquetous les ouvrages philosophiques de S. Augustin, et que, commeeux, il ne traite pas ou à peine de l'objet qu'il se propose. De mêmeque le de Ordine, qui avait pour but de <strong>mont</strong>rer comment l'ordre dela Providence peut renfermer à la fois le bien et le mal, aboutit à unplan d'études; de même que le de Quantitate animée, qui devait résoudresix questions sur l'âme, n'en traite que trois; de même le deMusica, qui devait avoir douze livres, n'en a que six, et l'objet, quel'auteur s'est proposé, dit-il, à savoir d'élever l'âme à Dieu par lacontemplation des nombres, ne se laisse deviner qu'au sixième livre;car les cinq premiers sont, comme je l'ai dit, un traité de métrique,où, chose curieuse, je retrouve quelques-unes des hypothèses de ( od.Hermann, et non pas les plus raisonnables. Après avoir posé au premierlivre les principes généraux qui doivent guider la composition<strong>du</strong> vers, et <strong>mont</strong>ré que son essence et sa beauté consistent dans l'unité,qui ne peut être qu'une unité de proportion, et qu'en outre samesure doit être en proportion avec les facultés de nos sens, S. Au-


HISTOIRE. 325dit assez pour prouver que la doctrine des nombres avaitexercé sur ses opinions une influence considérable etqui n'a pas toujours été heureuse.Je ne vois dans la scolastique aucune trace marquéeet directe d'influences <strong>pythagoricienne</strong>s; peut-être, enl'étudiant de près, pourrait-on en découvrir quelquesgustintraite successivement des pieds, <strong>du</strong> rhythme et <strong>du</strong> mètre, de laquantité, <strong>du</strong> vers. Et partout il <strong>mont</strong>re que le vers est fondé, dans sonensemble comme dans ses parties, dans son tout comme dans ses césures,sur la loi <strong>du</strong> nombre, sur l'égalité des rapports, sur la proportiondes membres. Hais cédant à cette tendance à l'exagération quiest le propre de son esprit, il tombe dans de véritables puérilitésdont on va juger : 11 trouve dans ce trochalque tétramètre hypercatalectiqueles nombres suivants :Ronrâ, cerné quanta || sït Dëum bënïgnitas.Il coupe, à tort assurément, son vers après quântâ, et il obtient, par cettecésure, fausse à tous égards, six demi-pieds dans le premier membre, etsept dans le deuxième. Maintenant 6se décompose en 3+3, et 7 en 3 + 4.ROma cerné quanta || sït Dëum bénignités,ey.1,V' .1,3 —I— 3 J !—4Et il remarque que le 3 final <strong>du</strong> premier membre fait le pendant <strong>du</strong>•3 <strong>du</strong> second; que la somme de ces deux 3 égale 6, c'est-à-dire la valeur<strong>du</strong> premier membre. Il était plus difficile de <strong>mont</strong>rer l'égalité <strong>du</strong>premier 3 et <strong>du</strong> dernier 4. Pour cela, l'auteur a recours a une véritablesupercherie : il divise 4 en deux parties égales : 2 + 2: et 3 en2 + 1; il obtient ainsi deux 2, l'un au premier etl'autre au derniermembre, qui se balancent et s'équilibrent. Maiscdmment égaler le 2,qui reste au dernier membre avec le 1 <strong>du</strong> premier? — Il faut se souvenirque l'unité a en soi une telle vertu de concorde, un tel amourpour les autres nombres qu'elle s'identifie ou s'égalise avec eux tous :Propter tllam Unius cum céleris numeris amicitiam etiam istatria (3) tanquam sinl quatuor aceipimut. Néanmoins, comme•


326 HISTOIRE.unes dans J. Scott Érigène, qui aurait emprunté cetélément au platonisme alexandrin 1 .3 + 3=6, mais que 2 +2 d'une part, et 2+1 (doit être ici considérécomme =2) =8, qu'ainsi on ne peut pas équilibrer parfaitement cesdeux parties l'une par l'autre, S. Augustin rejette de son autorité privéecette forme métrique : Ideo islud genus copulationis a Itge verfuumteparatur. En appliquant ce procédé singulier au vers dactyliquehéroïque, S. Augustin obtient les nombres suivants :Arma virumque ca.no || Trojae qui primus ab oris.5 demt-ptedf. 7 demi-pieds.Quelle égalité peut-il y avoir entre 5 et 7Î Voici l'ingénieuse ressource: On élève 5 au carré, et (5)'=25; puis on divise 7 en deuxparties 4 + 3. On carre chacun de ces nombres (4)' = 16 et (3)' = 9,et en additionnant ces deux carrés, 16 + 9, on a 25, nombre égal aucarré de 5. C'est ainsi que le premier membre <strong>du</strong> vers héroïque contient,sous une inégalité apparente, une égalité profonde et secrètequi en*explique la beaulé. Je termine cette note, peut-être trop longue,par une remarque assez curieuse : S. Augustin ne veut pas scanderle vers héroïque par dactyles, mais par anapestes, et il ramèneégalement le mètre ïambxque au genre trochaïque : • Heroïcum, quo<strong>du</strong>sus metitur spondeo et dactylo, subtilior ratio, anapiesto et spondaeo :eadem ratione iambicum genus invenitur trocbaicum. > Or, c'est lathèse de M. God. Hermann, Elément, doctr. metricx. Il y a plus : S.Augustin, pour obtenir cette césure et ce rhythme, pose en principeque le premier membre doit être, que le second ne doit pas être terminépar un pied complet. 11 scande donc ainsi :âr | ma virQm | que canô || TrOjàj | qui prt | mus àb fi | ris.On voit déplus qu'ici le rhythme commence par une syllabe, et finit demême. Mais ces deux syllabes, si on les additionne, constituent le sixièmepied qui est nécessaire à l'hexamètre héroïque, devenu anapestique.C'est l'origine de la théorie de Vanacrusis, de M. Hermann; maisl'anacrusisest plus extraordinaire ence que cette syllabeinitiale est, dans sonsystème, pour ainsi dire en l'air, et ne doit compter pour rien dansla mesure <strong>du</strong> vers. Les métriciens grecs et latins n'ont rien connu depareil. Quoi qu'il en soit, si l'influence <strong>pythagoricienne</strong> est visible ici, onpeut dire qu'elle n'a aucun caractère philosophique, et l'on me pardonnerapeut-être d'avoir cru que je pouvais me dispenser de la signaler.Du reste, S. Augustin caractérise lui-même ces cinq premierslivres en ces termes : « Adeo plane pueriliter.... morati sumus....quam nostram nugacitatem excuset..., etc. • c. 1.1. V. Taillandier, Scott. Erigène, Strasb., 1843.


HISTOIRE. 327Ce n'est guère que par Aristole que le moyen âge apu connaître Pythagore, et les ouvrages où Aristotementionne Pythagore n'ont été répan<strong>du</strong>s dans l'Europeoccidentale que par les versions arabes-latines. Jusque-là,je doute que le moyen âge en ait connu autre choseque le nom, ou ce que les Latins Cicéron et Senèque,ont pu lui en apprendre. Dans son Anti-Claudianus 'Alcuin de Lille, décrivant les effigies des grands hommesqui ornent le palais de la Nature, y place celui dePythagore à côté de ceux de Platon, de Ptolémée, deVirgile, de Cicéron et d'Aristote, et, d'ailleurs, donne àchacun des traits qui les catérisent assez exactement.Dans le livre de Vegetabilibus et Plantis, d'Albert, auxpremiers chapitres, on trouve cité le nom <strong>du</strong> philosopheAbrutatus; c'est, dit Albert, le nom que les Arabesdonne à Pythagore. Dans l'histoire des animaux, Historiéeanimalium, <strong>du</strong> même docteur, le nom d'Alcméon, citédeux fois par Aristote, est transcrit par Albert en Halkamian,Alkyménon ou Altirnemon, et par Michel Scott,dont la version était certainement sous les yeux d'Albert,en Alkakalnéon, Alcaméon, Alkakaroti. Ce qui prouveque les docteurs scolastiques n'avaient pas les textesgrecs, ni même des versions latines faites sur le grecd'Aristote et à plus forte raison de Pythagore.Avant même qu Aristote fût parfaitement connu, ontrouve des influences <strong>pythagoricienne</strong>s dont le mode detransmission nous échappe.Amaury, dont les livres et les opinions furent condamnéspar un concile de Paris, en 1209, enseignait1. Liv. I, c. 4 et liv. III, c. 2.


398 HISTOIRE.que tout est un, tout est Dieu, Dieu est tout; que lesidées créent et sont créées ; que Dieu signifie le but finaldes choses, parce que tout doit retourner en lui poury former un être unique et immuable ; que Dieu est l'essencede tous les êtres. Suivant David de Dinant également,tout est essentiellement un ; toutes choses ootune même essence, une même substance, une mêmenature.Ces doctrines alexandrines ont pu être puisées dansles ouvrages de Denys l'Aéropagite, et surtout dans leTraité de la division de la Nature de Scott Érigène oupeut-être dans le De Causis, faussement attribué à Aristote,et où saint Thomas ne voyait qu'un extrait del'Elevatio tlieologica de Proclus. Ajoutons encore le Fontvitai d'Avicebron, par où s'intro<strong>du</strong>isit le pythagorismecontenu dans la <strong>philosophie</strong> alexandrine et platonicienne.Il est possible que l'autorité de saint Augustin aitfavorisé, au xvi" siècle, ce rétablissement <strong>du</strong> platonismeconfon<strong>du</strong> avec le pythagorisme, qui marque la renaissancede la <strong>philosophie</strong>. A l'influence prodigieuse desaint Augustin s'ajouta, pour recommander ce syncrétisme,l'erreur accréditée qui faisait naître le pythagorismedes livres hébraïques ; ce pavillon sacré couvraitune marchandise profane et d'autant plus suspectequ'on croyait trouver dans la Cabbale la vraie doctrinephilosophique de l'Ë;iïture sainte. La <strong>philosophie</strong> platonicienneoffre, à l'époque où elle renaît, un mélangeconfus des idées alexandrines avec les opinions, à tortou à raison, attribuées à Pythagore et avec les théoriesde la Cabbale.


HISTOIRE. 329Les Juifs avaient connu par les Arahcs la <strong>philosophie</strong>néo-platonicienne ; de là est née chez eux une directiond'esprit religieuse et philosophique, qui participe <strong>du</strong>gnosticisme chrétien <strong>du</strong> n* siècle, admet les doctrinesdes anges et des démons de la religion des Perses, ets'efforce de s'approprier le' contenu <strong>du</strong> christianisme etles résultats <strong>du</strong> néo-platonisme alexandrin et juif. Cettetentative se réalise dans la Cabbalc (tra<strong>du</strong>ction), dont lecontenu religieux et philosophique est caché dans unemystique des nombres aussi obscure que fantastique,qui atteste l'influence, au moins indirecte, <strong>du</strong> pythagorisme.Le monde dérive de la lumière divine et éternelle, quine peut être perçue que par ses manifestations. Dieu estle néant, l'infini, l'ensophe, qui est tout et en dehors dequoi rien n'est. Cet ensophe se révèle avec une libre sagesse,et par là devient la raison de toutes les raisons;il se développe donc par émanation; et de même quetout est sorti de l'ensophe et qu'il a formé divers rayonnementsou degrés <strong>du</strong> monde des esprits, tout doit re<strong>mont</strong>eret retourner à l'unité dans la lumière primitive.Tout d'abord, l'ensophe se retire en lui-même pourformer un vide qu'il remplit d'une émanation de lumièrequi diminue par degrés. D'abord, la lumière primitivese manifeste par sa sagesse et sa parole dansl'êtrepremier, type de toutes les choses créées, dans l'AdamKadmon d'où sort la création, en quatre degrés.Les dix cephiroth ou cercles de lumière formentquatre mondes qui s'ordonnent dans une série progressive.Avilah est le plus parfait et n'est soumis à aucunchangement; le second est Beriah, le monde <strong>du</strong> eban-


330 HISTOIRE.gement, composé de substances spirituelles inférieures.Il en émane un troisième,' le monde séparé, Jezirah,dans lequel les êtres indivi<strong>du</strong>els unissent la lumière etla matière; enfin, de celui-ci émane le quatrième,Ariah,le monde matériel, essence des choses changeantes etpérissables. L'homme appartient, par sa nature complexe,aux trois derniers degrés, et s'appelle le petitmonde.C'est comme restaurateur <strong>du</strong> pygthagorisme que seprésente Reuchlin ; dans une lettre adressée à Léon X,il dit : « Marsile a fait connaître Platon à l'Italie; enFrance, Le Fèvre d'Ëtaples a restauré Aristote; je veuxcompléter leur œuvre, et moi, Capnion', jeferai renaîtreen Allemagne Pythagore, dont je publierai les ouvragesen te les consacrant sous ton nom. Ce projet ne peutêtre réalisé qu'en faisantconnaître la Cabbale hébraïque,parce que la <strong>philosophie</strong> de Pythagore a été tirée desmaximes de la science chaldéenne. >C'est donc dans ses livres sur la Cabbale 1 qu'il faudraitaller chercher cette exposition de la <strong>philosophie</strong><strong>pythagoricienne</strong>, dénaturée et profondément altérée,que nous retrouvons plus complète et plus développéedans Fr. Georgio, de Venise, platonicien et pythagoricien,qui écrivit, en 1525, un livre intitulé : De Harmonie*totius mundi. Suivant lui, tont, en ce monde, # estdisposé selon les nombres qui, intimement unis a l'essencedivine, en émanent pour régler les harmonies <strong>du</strong>ciel d'abord, et descendre, de là, jusque dans les choses1. Tra<strong>du</strong>ction grecque <strong>du</strong> mot RaAchlem, diminutif de Rouen.,fumée.2. De ecrbo mirifico, et de Arte cabbalistica.


HISTOIRE. 331sensibles dont ils déterminent les divers modes d'êtreet les diverses natures. Il y a donc unité de substance,et une chatne ininterrompue lie les plus infimes desêtres à l'être premier et parfait. Cette doctrine, révéléepar Dieu aux Hébreux, a été communiquée égalementà quelques gentils, tels que Platon et Pythagore. Dieuest l'Un premier : il pro<strong>du</strong>it, par sa pensée, un fils d'oùémanent, d'une part, l'amour qui lie 'e père au fils, et,d'autre part, le monde. Le monde a été fait en 6 jours,parce que 6 est le premier nombre parfait résultant dela combinaison des 3 premiers nombres ; en effet :'6X16 = ! 3 x i !/ 2 X 31+2 + 3Or 3 est l'image de*la forme, qui.au moyen de 2, expressionde l'angle, ramène la matière à l'unité. Voilàpourquoi le monde est formé d'éléments triangulaires.On reconnaît ici le pythagorisme numérique de la Théologiearithmétique, et celui d'Iambique et de Nicomaque.Par l'harmonie, qui est l'unité dans la multitude, l'unitése développe, et c'est le nombre 27 = 3X9 quirégit ses développements ; car il y a 27 genres primitifsde choses, lesquels se répartissent en 3 ennéades :I. L'ennéade supracéleste;II. L'ennéade céleste ;III. L'ennéade élémentaire.La première renferme 9 degrés sériés et liés d'Intelligences;là seconde, 9 degrés sériés et liés de Gieux; la


332 HISTOIRE.troisième, 9 degrés sériés et liés de choses corruptibles.De même qu'il y a trois ennéades, il y a trois triades :La triade simple ou Dieu ;La triade plane ou carrée;La triade cubique ou solide.Dans cette dernière, Dieu a créé les éléments aunombre de quatre, parce que ce nombre est la racineet le principe de tous les nombres, et contient tontel'harmonie musicale. La proportion harmonique manifestel'identité des choses dans l'intelligence divine, quicontient les germes et les idées de tout ce qu'elle pro<strong>du</strong>it.La proportion arithmétique manifeste la différencedes choses pro<strong>du</strong>ites. La proportion géométrique enexprime les rapports et les fond dans l'unité.Dieu prend d'abord une unité; il la double par la formationde la matière ; il la quadruple par celle des éléments; il l'octuple par celle des êtres vivants. Les nombrespairs représentent l'élément inférieur et femelle ;les nombres impairs l'élément supérieur et mâle. C'estpar ces derniers qu'on arrive au cube, expression del'harmonie parfaite. L'harmonie musicale et ses intervallesdonnent la raison des choses; les intervalles dequinte règlent la création des choses divines ; ceux dequarte, la création des êtres démoniaques et des âmesindivi<strong>du</strong>elles qui remplissent les sphères; ceux <strong>du</strong> ton,sont relatifs aux âmes des brutes ; ceux <strong>du</strong> leiroma oudemi-ton s'appliquent aux règnes inférieurs des minérauxet des végétaux.Dieu se communique à toutes choses, mais dans uneproportion différente; aux unes, dans la proportionsesqui-altère (3 : 2); aux autres, dans la proportion


HISTOIRE. 333sesq ui-tierce (4 :3) ; à celles-ci, dans la proportion sesquioctave(9 : 8) ; à celles-là, dans la proportion sesquiseizième(16 : 15); proportions qui constituent les intervallesde quinte, de quarte, <strong>du</strong> ton et <strong>du</strong> leimma, dontl'ensemble compose l'octave ou harmonie des anciens.Tout est ainsi fait avec poids, nombre et mesure; parpoids il faut entendre les éléments solides, ou les dispositionsdes choses au bien ou au mal : c'est le moyenharmonique. Par mesure, il faut entendre les forces,propriétés, facultés assignées à chaque chose : c'est lemoyen arithmétique. Par nombre, il faut entendre lesformes spécifiques des choses : c'est le moyen géométrique.Tous ces nombres, exemplaires éternels desréalités sensibles, existent dans l'intelligence divine. Lemonde est un vivant immense et infini, que Dieu maintientet soutient en agissant en lui à la façon d'une âme.Par cette analyse, on peut juger jusqu'où l'auteur apoussé la minutieuse et puérile application des nombres.On y retrouve très-certainement l'influence, peut-êtredirecte, des anciens pythagoriciens, mais troublée parune érudition intempérante et indigeste.Cornélius Agrippa de Nettesheim, d'un savoir un peumoins indiscret, poursuit sa chimère d'une <strong>philosophie</strong>occulte et les secrets de la magie, dont les nombreslui donnent la clef.Toute chose indivi<strong>du</strong>elle, est triple. Ajouté à l'unité,3 fait le nombre 4 qui, à son tour, multiplié par 3, fait12, nombre sacré entré tous. Maintenant 3 ajouté 2 foisà 4 arrive, en passant par 7, à la grande unité, i 0, qui estla perfection. Néanmoins, chaque nombre a sa vertupropre et sa fonction particulière.


334 HISTOIRE.I1, sans principe et sans un, est la fin et le principe detout.2 est le nombre <strong>du</strong> mal, <strong>du</strong> démon, de la pluralitématérielle.3 est le nombre des formes idéales, de l'âme, de l'esprit,de Dieu.4 est le fondement de tous les autres nombres.5 est le nœud qui lie tout, etc.Dieu est la première monade; il se développe et serépand par émanation, d'abord dans le nombre 3, puisdans le nombre 10, qui représente les formes et lesmesures de tous les nombres et de toutes les choses.Jusqu'ici nous n'avons guère rencontré que des repro<strong>du</strong>ctionsde la partie extérieure et formelle <strong>du</strong> pjthagorisme.Le cardinal Nicolas de Gusa, un desprécurseurs de Bruno, semble avoir pénétré plus profondémentdans l'esprit philosophique <strong>du</strong> pythagorisme,qu'il avait peut-être connu particulièrement par lesphilosophes de l'école d'Alexandrie.Le principe de contradiction proclamé par Arislole asa valeur et son application dans l'ordre des choses finies: appliqué à l'infini, il faut le repousser, et poserle principe de la coïncidence des contraires. La circonférenced'une sphère infinie se confond avec la Iign edroite; le mouvement d'un corps circulaire sur sonaxe, si on le suppose infini de vitesse, supprime lesoppositions de distance comme de temps : en effet avitesse infinie <strong>du</strong> mouvement fera que chacune des partiessera au môme point, et cela en même temps; /asuccession comme la contiguïté sont supprimées. C est,on le voit, l'application, au mode d'existence de IsA"


HISTOIRE. 335solu, <strong>du</strong> principe pythagoricien : l'un est le rapport etla synthèse des contraires.Dieu est ainsi, selon Nicolas de Gusa, à la fois l'infinide grandeur et l'infini de petitesse, le Maximum et leMinimum, ou plutôt l'unité, le point qui les contienttous deux en les absorbant l'un dans l'autre.Les formes des choses sont des nombres intelligibles,qui eu constituent l'essence ; mais ces mêmes nombressont dans notre intelligence, et la connaissance n'estautre chose que l'opération par laquelle les nombresde l'âme s'assimilent les nombres des choses : notre espritest ainsi la mesure des choses. Cette âme est ellemêmele nombre 4, ou un carré ; mais, comme l'ontdit les pythagoriciens, c'est un nombre qui se meut, unprincipe de mouvement spontané de vie : c'est pourcela qu'elle est immortelle.Jérôme Cardan de Pavie*, médecin, mathématicien etphilosophe, s'occupe surtout de la science de la nature etde la morale. L'Un est le bien et le parfait, qui porte touten soi, vers quoi tout tend et aspire, c'est l'être éterneldans lequel seul un devenir des choses particulières estpossible ; c'est la substance unique d'où tout part et oùtout revient. Cet Un est Dieu, elle monde est le développementcontinu de sa vie. La matière est partout ; maisnulle part elle n'est sans forme; de.même partout, dansla liaison de la forme et de la matière, se <strong>mont</strong>re l'âme,activité motrice et ordonnatrice, qui donne une forme à lamatière, et se présente par la matière comme vie. Son organeest la chaleur qui remplit et lie tout, qui agit partout1. 1501, mort en 1.ÏÎ0.s


336 HISTOIRE.en renouvelant toutes choses, de sorte que la vie dansl'univers est dans un état perpétuel de transformation.Gomme but et fin <strong>du</strong> développement de la vie terrestre,comme milieu de l'être et lien des deux mondes,l'homme unit en lui l'éternel et le périssable : il est à lafois plante et animal; il s'élève au-dessus de ces deuxrègnes par la raison qui le lie à Dieu, en sorte qu'il nevit véritablement qu'en tant qu'il pense. L'esprit dansson essence est simple : c'est une lumière intérieure quis'éclaire elle-même. Les esprits indivi<strong>du</strong>els renaissentdans des formes de vie toujours nouvelles, tantôt supérieures,tantôt inférieures, suivant le6 tendances et lesforces de leur existence antérieure. «3Bernardin Telesio ' suit la direction des idées de Cardan.Tout naît de deux principes actifs opposés, le chaudet le froid, et d'une matière indéterminée, passive,inerte. Ces principes informent la matière de telle sortequ'aucune partie ne reste ou simple masse, ou forcepure, mais que dans toute partie, et jusque dans lapinspetite, on trouve la force unie à la masse : toute masseest la masse d'une force; toute force est la force d'unemasse. L'espace, vide eu soi,, est la possibilité d'êtrerempli, ou la capacité de contenir des corps. La matièredes corps est, en toute chose, égale et la môme, maisles actions des deux principes sur elle sont différentes.Le plus grand des pythagoriciens de la Renaissance estcertainement Jordano Bruno, qui avait été, comme il ledit lui-même, très-frappé des doctrines de Pythagore.etsurtout de celle conception qui consiste à considérer la1. 1508 + 1588.


HISTOIRE. 337monade comme un point représentant et contenantl'univers en raccourci, en germe, et d'où l'immensitémultiple se développe et pour ainsi dire émerge.Pythagore, dit Bruno, qui confond ici les époques ettient peu de compte de l'histoire, Pythagore a réuni lesdoctrines d'Heraclite et de Xénophane, qui admettaientla mutabilité perpétuelle des choses visibles, et celles deParménideetdeMélissus,quicroientàl'immobilitéetàl'irilinitéde l'être un et unique : il concilie ces pointsde vue enapparence opposés et contradictoires par le système desnombres, qui place au-dessus des propriétés mécaniqueset dynamiques des choses les attributs mathématiques.La monade est l'essence et le fondement de toutes choses,et les nombres qui en dérivent représentent tout ledéveloppement et le système de la création. Les nombresne sont en effet que certains principes, soit métaphysiques,soit physiques, soit rationnels, qui expliquent lemieux la relation de l'unité à la pluralité, et <strong>du</strong> simpleau composé. L'intime rapport signalé par les pythagoriciensentre l'arithmétique etlamusiqucestde nature ànous faire comprendre l'ordre <strong>du</strong> monde et l'harmoniedes êtres. Ces points particuliers et d'autres encore, telsque le mouvement de la terre, la position centrale <strong>du</strong>soleil, la transmutation des choses créées, la distinctionde l'âme et <strong>du</strong> corps, la migration des âmes, propositionsque Bruno croit également appartenir au vieuxpylhagorisme, lui paraissent si complètement l'expressionde la vérité, qu'il n'hésite pas & dire : < la scuolapitagorica e nostra. » Une analyse un peu détaillée deses idées nous prouvera qu'il n'a pas tout à fait tort dese rattacher, comme il le fait, à l'école de Pythagore.H —22


338 HISTOIRE.La nature n'a qu'un petit nombre de matériaux qu'ellecombine d'un nombre infini de manières. Cette infinitéde combinaisons les déroberait à notre esprit, si le calcul,qui n'est autre chose que l'activité logique, ne nousmettait en état de la ramener à un nombre : de là, pourBruno, l'importance de la logique et de l'art de RaymondLulle, qu'il essaya de perfectionner et de réformer: car cette chimère sé<strong>du</strong>isait encore Bruno, commeelle avait sé<strong>du</strong>it le moyen âge, et Leibniz lui-même n'enfut pas complètement désenchanté.La logique n'est pas cependant le côté par où Brunose rattache directement aux pythagoriciens. L'influencede leurs principes et de leur méthode se manifeste surtoutdans l'exposé de ses doctrines métaphysiques, contenudans l'ouvrage qui a pour titre : De minimo, demaximo. Dans des analogies et des allégories plus obscuresque la plus obscure nuit, selon la comparaison deBrucker, Bruno joue comme les pythagoriciens avec lesfigures géométriques et les nombres ; il exalte les mathématiquescomme le moyen de <strong>mont</strong>er d'abord à laconnaissance des secrets de la nature et de s'élever ensuiteà la contemplation de Dieu : « sic e mathematicisad profundiorum naturalium speculationem, et diriniorumcontemplationem adspiramus '. »En effet le point, l'unité, là monade, c'est-à-dire leminimum incommensurable et indivisible, ou l'infinide petitesse, est le principe d'où l'on s'élève au maximum,c'est-à-dire à l'infini de grandeur. Entre ces deuxinfinis se meuvent et roulent les grandeurs finies. Maist. De mi'm'm., p. 134.


HISTOIRE. 339ces trois termes et par conséquent les deux extrêmesou contraires n'en sont au fond qu'un seul. Le minimumest le maximum en germe, à l'état d'enveloppement;le maximum est le minimum à l'état de développement :ils se renversent l'un dans l'autre, se confondent, sepénètrent l'un l'autre. Le minimum est donc, commeon le voit immédiatement, le Ttpwtov h àp[*


34ÔHISTOIRE.est donc à la fois iflatière et forme ; car l'être dans sonexpansion la plusgrande ne se sépare pas <strong>du</strong> germe quil'a pro<strong>du</strong>it, comme le cercle et la sphère ne se séparentpas dû centre d'où ils se répandent et se déploient :Nam nihil est cyclus praeter spectabile centrum,Et sine fineglobus nihil est nisi centrum ubique.Comme l'a très-justement remarqué Hegel, c'est ici letrait caractéristique et profond de la penséede Pythagorequ'adoptent Bruno et Spinoza, et qu'il a adopté luimême.Ces philosophes soutiennent tous également, avecplus ou moins de clarté, l'immanence de la forme dansla matière, et l'identité de ces deux éléments, distinctsmais non séparés ni séparables, où-/u>p«rtâ. Les formes dela matière lui Sont ainsi primitivement inhérentes, ensont la puissance interne. L'acte se confond avec lapuissance, l'être pour soi avec l'être en soi, l'idéal avecle réel : tout contraire est identique à son contraire.Par conséquent le peut est contenu dans le grand, etle grand dans le petit. Or comme c'est le cercle quinous donne la notion et l'image la plus claire de cettecoïncidence des termes extrêmes d'uu rapport, on peutcroire que le mouvement circulaire et la figure circulairesont la forme de toute figure et de tout mouvement.« Omnia quodam modo circuire et circulum imitari 1 . »Aussi, dit Bruno, « ex minimo crescit et in minimumomnis magnitudo extenuatur '. ».Cette unité <strong>du</strong> minimum n'empêche pas la variété deses manifestations : au contraire, tout est divers et tout1. De tninim., p. 41.2. De tninim., p. 99.


HISTOIRE. 341est un. Tout être est une monade ; toute semence renfermeun monde; l'univers se cache dans chaque objet.Il y a une progression sériée, tour à tour croissante etdécroissante qui part, comme dans le diaule pythagoricien,de l'unité et y retourne : « Progressio a monadead pauca, inde ad plurima, usque ad innumera ', »L'unité est dans tout nombre, et chaque nombre estdans l'unité : ce qui revient à dire que Dieu pénètrepartout, non pas successivement, mais d'un seul etsimple acte ; il se communique et s'étend à toutes leschoses de la nature. On ne peut pas dire que Dieu estla nature même; mais il est la nature de la nature,l'âme de l'âme <strong>du</strong> monde : la nature est Dieu dans leschoses : « Natura est Deus in rébus.... Ogni coza hà ladivinité latente in se '. » Voilà comment toutes chosesse meuvent et vivent,les astres, les animaux, les plantes,comme l'univers lui-même '. La mort n'est pour ceprincipe vivant en chaque être qu'un changement d'enveloppeet pour ainsi dire de vêtement ' : ce n'est pascesser d'être. L'âme est donc immortelle. Mais que deviendra-l-elleà la fin? Continuera-l-elle de vivifier éternellementsur cette terre d'autres formes et d'autrescorps, ou voyagera-t-elle de planète en planète à traversl'immensité de la création pour y remplir cette mêmefonction 1Bruno nie l'existence <strong>du</strong> vide infini que les pythagoriciensplaçaient en dehors <strong>du</strong> monde : Dieu présentpar tout, comble tout, remplit tout.1. Id., p. 130.2. Christ. Bartolmèss., t. II, p. 113.3. Pour Campanella aussi, le monde est un grand et parfait animal.


342 HISTOIRE.La pensée est la connexion intime, l'union parfaiteentre l'esprit qui voit, et l'objet qui est vu. Pour quecet acte s'accomplisse, il faut qu'il n'y ait point d'intermédiaire,point d'intervalle, d'interstice entre les deuxtermes, mais un rapport intime et tellement intime,qu'ils s'y confondent : c'est ce que Philolaûs appelaitl'harmonie.Pour Bruno comme pour Pythagore, la figure n'estpas séparée <strong>du</strong> nombre, et c'est la figure qui donne auxchoses leurs propriétés et leur essence. Les nombresexpliquent donc tout. La tétractys est le nombre parfait,et figure la perfection, la plénitude de l'être, parce qu'elleesta la fois elle-même et l'unité et la décade.Bruno est donc bien un vrai pythagoricien ; il est panthéiste,quoiqu'il admette l'existence de l'Un avant leschoses, parce que s'il place l'Un au-dessus <strong>du</strong> tout, d'uncôté, de l'autre il l'identifie avec ce tout, l'Un ne se manifestantque dans les choses, et l'Idée, la forme, c'està-direla chose même, se confondant pour lui avec lenombre.Le platonisme nouveau eut ses adhérents en Angleterre,et là, comme partout, il ne resta pas étranger à lathéosopbie et aux rêveries de la Cabbale, caractères <strong>du</strong>néopythagorisme des modernes. En Belgique, Van Hel<strong>mont</strong>*- essaya de transformer en métaphysique l'alliagede chimères qu'il trouvait dans le mysticisme théolcgiquede Henri More et de Cudworlh.L'élément pythagoricien qui caractérise sa doctrine,qu'il nomme l'église philosophique, est reconnaissable :1. De Vilvorde, près Bruxelles.


HISTOIRE. 343d'abord à l'influence qu'y joue la Ihéosopbie ; et ensuiteau penchant au mysticisme des nombres : car VanHel<strong>mont</strong> se décore lui-même <strong>du</strong> Jtitre de • philosophepar l'Un dans lequel est tout. » Tout éYnune en effet d'unseul principe, parce que l'unité est la loi et le principede l'ordre qui se manifeste dans l'univers. Dieu est doncdifférent, mais non séparé de la nature; il réside en elle,ou plutôt l'essence des choses réside en lui, parce qu'ilen est la perfection. Comme il est par essence créateur,le monde est nécessairement éternel. Dieu l'a créé, maisil l'a créé de toute éternité ; car il ne peut pas être sansagir, et son efficace créatrice ne peut pas plus avoir eude commencement qu'elle ne peut avoir de fin. Tout estéternel dans l'éternel '.Cependant il ne crée ainsi que les germes des choses,lesquels se réalisent et se développent dans le temps :c'est en ce sens que l'imparfait existe avant le parfait.Nulle espèce ne se peut changer en une autre espèce,quoiqu'il n'y ait entre elles qu'une différence de degréset non une différence d'essence, puisque toute créatureporte en elle un reflet de l'essence divine. Le corpsn'est qu'un degré inférieur de l'esprit. Voilà commenton s'explique que l'âme aime son corps : c'est qu'ils sonhomogènes.Van Hel<strong>mont</strong> admet la préexistence des âmes; lanaissance est pour lui le développement de l'esprit hors<strong>du</strong> corps. Tout âme est une monade centrale, et la migrationdes âmes est un simple déplacement de ce cen-1. C'est ainsi que S. Augustin est d'avis que Dieu est éternellemenSeigneur, et par conséquent qu'il y a de toute éternité des créaturesur lesquelles il règne.


344 HISTOIRE.tre, qui se porte d'un cercle dans un autre. Les âmesn'entrent pas fortuitement dans leur corps. Leur corpsest formé par leur cqnstitution propre, et le développementcontinu de l'âme entraîne comme conséquence ledéveloppement continu des formes corporelles. Cependantce développement a un terme. L'âme, monadecentrale, doit rentrer dans l'unité absolue, en Dieu,Quoique ces idées ne soient pas sans rapports avec cellesde Bruno, Van Hel<strong>mont</strong> lui est ici supérieur : le spirituelest supérieur au corps qu'il construit. Le philosophehollandais cherche ainsi à spiritualiser la matière ; la corporalhédes choses n'est que leur limite, l'obstacle qui,en elles, s'oppose à leur pénétration réciproque, à uneunification complète. Tout élre vivant procède d'atomesou de monades physiques que nulle force externe nepeut diviser. Une lumière chaude, le soleil, principemâle, une lumière froide, la lune, principe femelle,sont les deux forces génératrices de la nature, et leurconcours est nécessaire à toute pro<strong>du</strong>ction.A la doctrine des monades s'enchaîne celle d'un espritcentral dont la fonction est de maintenir l'unité etl'ordre, dans les.indivi<strong>du</strong>s comme dans le tout; cartout est composé départies nombreuses tenues ensemblepar une monade centrale. Comme nous l'avons dit,l'âme est une monade centrale. En se déplaçant, elledevient un autre centre, où elle s'assujétit d'autres monadesdont elle se forme un autre corps; c'est ce quiconstitue la migration ou évolution des âmes.Il n'est pas nécessaire dé croire que Lejbnitz 1 a connules ouvrages de Nicolas de Cusa, qu'il ne cite jamais,l.Leibnitz.ed. Dutens.tom. IV,l,p. Î53 sq.; fiouv. Est., I, l,p. 2'-


HISTOIRE. 345•mais il a connu personnellement Van Hel<strong>mont</strong> le Jeune,dont il rappelle le nom avec celui de Henri Morus.Il s'était familiarisé dans sa jeunesse avec les doctrinesdes Théosophes et des théologiens mystiques ; il avaitété en relation avec les Rose-Croix et-les chimistes, et,sans tomber dans leurs extravagances, il trouvait dansla théologie mystique un élément poétique qui parlait àl'âme et qui méritait d'être recueilli. Sa monadologiecontient évidemment un élément pythagoricien; luiaussi admet que tout est un, que le tout est une unitéou monade. Tout est dans tout, et l'âme est une unitéoù les relations les plus diverses se réunissent commedes angles à leur sommet. L'âme est un germe indivisible<strong>du</strong> sein <strong>du</strong>quel tout se développe. Partout il existe ungerme de vie semblable. Ce sont là des principes quenous nous rappelons avoir rencontrés partout où s'estexercée l'influence <strong>pythagoricienne</strong>, particulièrementdans Nicolas de Cusa. La notion <strong>pythagoricienne</strong> <strong>du</strong>germe qui contient, à l'état d'enveloppement, la sérieordonnée de ses développements postérieurs, fait unepartie considérable des doctrines de Leibnitz. D'accordavec les Théosophes qui l'avaient accueillie, il enseigneque les choses n'acquièrent aucune perfection dont legerme ne réside en elles ; elles contiennent, préforméen elles-mêmes, leur avenir tout entier. La vie n'estque le développement, la mort que le renveloppementdes germes.Les mathématiques exercent sur son esprit, commesur celui des pythagoriciens, une influence visible. Dansson plan de caractéristique universelle, il prend lesmathématiques pour modèle, il veut créer un calcul phi-


346 HISTOIRE.losopbique, et la découverte scientifique n'est pour luiqu'un travail mathématique. Dieu agit en parfait géomètre: il calcule, il pèse ; tî; woieî ô 9t6; : TCU(ASTP«T, et lemonde est fait. Tout est soumis au nombre. Nous nepouvons rien comprendre que mathématiquement, précisémentparce que tout se fait mathématiquement dansl'univers. Ce sont les mathématiques qui donnent leseul moyen d'en expliquer les phénomènes, en ramenanttout le sensible aux figures et au mouvement. Lamusique elle-même n'est qu'une opération mathématiqueque l'âme accomplit à son insu.Hamann, dont Schelling s'inspire, avouait avoir empruntéà Jordano Bruno le principe pythagoricien del'identité des contraires ou coïncidence des extrêmesopposés; mais chez lui ce principe se transforme et sespiritualise. L'unilé qui concilie, contient et absorbetoutes les oppositions et les différences réelles, l'unité,pour Hamann, est idéale.C'est par un autre côté que Novalis se rapproche <strong>du</strong>pythagorismé panthéiste. La <strong>philosophie</strong> est pour lui lemariage de l'esprit et de la nature, et par là il se rapprochede Schelling, pour qui la nature est l'existencepositive <strong>du</strong> principe divin. La <strong>philosophie</strong> est l'image ouplutôt la formule <strong>du</strong> monde réel, de l'univers, dont lavie est un concert de mille voix, une harmonie de toutesles forces et de toutes les activités. Voilà pourquoi lesmathématiques sont la vraie science. La science mathématiqueest, en effet, l'intuition de l'entendement priscomme image de l'univers ; c'est l'entendement réalisé,et les rapports mathématiques sont les rapports <strong>du</strong>monde réel. La force mathématique est la force ordon-


HISTOIRE. 347natrice, et dans la musique, elle apparaît même commecréatrice : ce qui ne l'éloigné pas de la <strong>philosophie</strong>,bien au contraire. Car, pour comprendre la nature etses rapports, il faut re<strong>mont</strong>er par l'esprit à ce momentprimitif où elle a été créée par la pensée, repro<strong>du</strong>ire ensoi cet acte, et pour ainsi dire la créer une seconde fois.Novalis, en construisant la nature avec les rapportsidéaux de l'espace pur, supprime la matière sensible.Ainsi enten<strong>du</strong>e, sans application possible à un mondematériel et inférieur, la science mathématique pren<strong>du</strong>n caractère qui s'élève beaucoup au-dessus de celuiqu'y avaient reconnu même les anciens pythagoriciens.C'est la vie la plus haute, la plus spirituelle, la pluspure, la vraie religion de l'humanité. Seuls les mathématicienssont heureux, parce que le savoir parfait, queles mathématiques seules donnent, est félicité parfaite.Mais le grand et vrai pythagoricien moderne est Schelling,surtout dans le beau, mais obscur dialogue intituléBruno.Toutes choses bien considérées, dit-il, il ne peut rieny avoir dans la nature de défectueux, rien d'imparfait :chaque chose doit être en complète harmonie avec letout. L'harmonie, l'ordre est donc la loi de toute existence,la condition et même l'essence de tout être. L'idée<strong>du</strong> beau et <strong>du</strong> divin en soi existe dans l'indivi<strong>du</strong> commeson idée immédiate et en même temps comme idée absolue: l'indivi<strong>du</strong>el a son fondement dans l'universel.L'unité <strong>du</strong> principe divin et de l'être naturel est tellequ'elle n'admet pas de contraires. Dans l'idée de l'absolu,tous les contraires sont un, plutôt qu'unis. L'unitéest l'unité de l'unité et de son contraire la différence.


348 HISTOIRE.Tout est ici identité absolue. L'unité absolue ne réunitpoint le fini et l'infini; elle supprime leur différence, etles contient tous deux d'une manière indivise. Le finin'a aucune réalité par lui-même, et son rapport & lasubstance est de telle nature qu'il ne lui est égal qu'aprèsavoir été multiplié par son carré. L'idée généralequi se rapporte immédiatement au fini est expriméedans la chose par la dimension ou la longueur pure, laligne, qui est l'acte de séparation de l'espace et l'âmede toutes les figures.La ligne, en s'unissant à l'angle, forme le trianglequi rattache l'un à l'autre le particulier et le général,en tant que la chose reste simplement pour soi. Mais entant que l'objet particulier se lie à l'idée infinie deschoses, laquelle se rapporte à son fini, comme le carréà sa racine, cette idée infinie ne peut se rattacher à lachose isolée que comme en étant le carré. Or, si onmultiplie le carré par ce dont il est le carré, on a le cube,image sensible de l'unité et de son contraire; car dansle cube, les deux premières dimensions s'effacent ets'évanouissent dans la troisième. Tout est ordonné avecnombre, mesure et harmonie. L'univers s'est formé <strong>du</strong>centre à la circonférence. Le principe divin inspire auxêtres organiques une partie de la musique céleste quiest dans tout l'univers, et il enseigne à ceux qui devaienthabiter l'éther à rentrer dans l'unité absolue, en s'oublianteux-mêmes dans leurs propres chants.Plus exactement encore que le Timée de Platon, leBruno de Schelling peut être appelé un hymne pythagoricien.Quelques développements, quelque profondeur qu'ils


HISTOIRE. 349aient pris entre ses mains, qui méconnattra l'influencedes principes <strong>du</strong> pythagorisme dans ces propositions§>ù se résume In doctrine de Hegel '? L'être qui penseet la chose pensée sont identiques ou plutôt deviennentidentiques dans l'acte de la pensée. L'idée — substituonsici le nombre — est antérieure à tout; substancede tout, elle pro<strong>du</strong>it tout.Tout ce qui est réel est rationnel ; la vraie réalité estl'esprit. Les faits sont les idées devenues corps.La contradiction est inhérente aux choses comme àl'esprit, la loi de l'être et de la pensée; elle est le fondde la dialectique : ce qui revient à dire que les notionsne sont pas isolées, ni dans la nature ni dans l'esprit;elles tiennent à un ensemble qui les limite, et en leslimitant les nie en quelque sorte : « Omnis limitatio negatioest. » Tout dans l'univers se touche, s'enchatne, selimite, se mesure, se prolonge, font a son commencement,sa lin, son sens ailleurs qu'en soi. Le même poseéternellement l'autre, et éternellement le supprime, ens'y reconnaissant. Ce rhythme ternaire est le mouvementnécessaire de la vie et de la pensée. Les jugementsabsolus sont faux, parce qu'ils isolent ce qui n'est pasisolé, fixent ce qui n'est pas immobile. Tout est relatif,tout est devenir, changement, mouvement. Toutêtre, en un mot, n'est qu'un rapport, et c'est ce que lespythagoriciens voulaient dire par leur fameuse définition: l'être est un nombre ; car le nombre n'est qu'unrapport; maïs c'est un rapport concret, réel, vivant;l'unité <strong>du</strong> contenu et <strong>du</strong> contenant, de la forme et de lamatière, parce qu'il est leur limite commune, où ils sepénètrent, se réalisent et s'identifient.


CINQUIÈME PARTIECRITIQUELe pythagorisme est une conception philosophiqued'un caraclère parfaitement grec ; je ne sais pourquoion craint de détruire celte originalité caractéristique etpresque de diminuer le génie qui a pro<strong>du</strong>it cette doctrine,en accueillant les traditions qui nous le <strong>mont</strong>renten relation personnelle avec l'Orient. Qui ne sait queles intelligences, pour être fécondes, ont besoin, commeles races physiques, de se mêler, de se croiser les unesavec les autres? Les littératures et les <strong>philosophie</strong>s ontle sentiment que, par le contact avec d'autres tendanceset d'autres idées, elles ne peuvent que se compléter,s'enrichir, se développer. Leur originalité n'a rien à redouterde ce commerce; il provoque un instinct de répulsionqui leur donne une conscience plus pleine et plusforte de leur nature propre, en même temps que les rapportsrenouvellent, pour ainsi dire, leur, sang et le principede leur vie. Au contraire, lorsqu'elles s'obstinent à


352 CRITIQUE.vivre etàse tourner constamment sur elles-mêmes, elless'épuisent, s'énervent et sont bientôt ré<strong>du</strong>ites i la stérilitéet à l'impuissance. C'est au moment où la Franceest touchée par le génie espagnol, où l'Angleterre estéprise de l'imitation italienne, où l'Allemagne est ouverteau goût français, que chacune de ces littératuresa manifesté par des chefs-d'œuvre son génie le plus puret le plus original. Originaires de l'Orient, le plus nobleet le plus beau rameau de cette famille de peuples et delangues qu'on désigne aujourd'hui sous le nom d'Arienne,pourquoi donc les Grecs auraient-ils romputoute relation et oublié complètement Jeur parenté avecleurs frères d'Asie? Les épopées homériques nous con<strong>du</strong>isentà supposer que, dans la période héroïque de leurhistoire, les peuples riverains des deux côtes opposéesde la mer Egée, les habitants de Troie et leurs vainqueurs,parlaient encore presque la même langue. LesGrecs eux-mêmes n'avaient pas entièrement per<strong>du</strong> cesouvenir, s'il faut rapporter le mot singulier de StaXaxvôîStûiv 1 , à un état historique, à une phase réelle <strong>du</strong> développementde la langue grecque. Platon rattache encoreaux langues de la Phrygic l'étymologie de quelquesnoms grecs 2 , et Hécatée, cité par Strabon, ne rougitpas de rappeler que la Grèce tout entière n'a été primitivementqu'une colonie de barbares *. La langue et lareligion sont encore empreintes de cette parenté. Comment,avec les expressions et les formules religieuses,1. Greg. Corinth., Kœn., p. 92. Lobeck. Aglaoph., n'y Toit qu'uneGction.2. Cratyl., 410 a..3. Strab., VII, p. 321.


CRITIQUE. 353les Grecs n'auraient-ils pas emporté le souvenir de quelquesidées philosophiques? pourquoi n'auraient-ils pasconservé ce commerce intellectuel ? Depuis Thaïes jusqu'àPlaton, tous les documents nous rapportent desvoyages entrepris par les philosophes dans l'Orient,c'est-à-dire dans l'Egypte et dans la'Perse. Je ne voisaucune raison pour repousser ce témoignage. La Grèceelle-même n'y a pas songé un instant. Pleine de laconscience de l'originalité de son génie, elle ne cachepas, elle exagère ses emprunts; elle sait qu'elle a le dondes fortes races. En recueillant les éléments étrangers,elle sait qu'elle se les assimilera, les transformera, seles appropriera. Ce beau génie a conscience que lout cequ'il a touché se convertit en or '. On peut donc, sanscrainte de porter atteinte à son originalité, reconnaîtreles relations personnelles de Pythagore avec les sages del'Egypte, et l'on pourrait même admettre qu'il a connules livres de Zoroastre. Quand les traditions égyptienneslui auraient inspiré une vague pensée de la métempsycose,dont les Mystères contenaient plutôt déjà quelquesgermes, quand il aurait emprunté à ce peuplequelques usages, tels que l'ensevelissement des mortsdans des linceuls de lin, usage orphique, quand le<strong>du</strong>alisme Ihéologiquc des Mages, l'opposition de la lumièreet des ténèbres, <strong>du</strong> bien et <strong>du</strong> mal, aurait éveilléchez lui plutôt que développé un vague pressentiment<strong>du</strong> <strong>du</strong>alisme métaphysique, il n'en serait pas moins l'au-1. Plat., Epinom., 987 e : .... "ÛTursp àv 'EXXrjve; popêdpuv •n*p«-*àëw(Uv, xdXXiov TOûTO et; TéXO; àngp'ydÇovTiM.... xâXXiov xai Gixaioxepov6VT(I>; tri; ix TûV papSâpuv tXOo'Jarj; f>T|p.T)( Te xai ûepaneta; ... iitipnXin«ff8aiTOù; "KXXriVa;.U — 23


354 CRITIQUE.teur d'une doctrine profonde et originale ', et dont laforte influence s'est exercée dans presque tous les systèmesde <strong>philosophie</strong> postérieurs.Il est difficile de présenter la doctrine dans un tableanà la fois court et fidèle. Épris et amoureux de rharmonie,les pythagoriciens n'ont pas eu le bonheur ni laforce de réaliser leur idéal; car il n'est pas possibled'attribuer uniquement, soit à l'insuffisance de nos fragmentsmutilés, soit au caractère collectif de leurs travauxphilosophiques, l'incohérence, la confusion, lacontradiction qui éclatent manifestement dans leur conceptionsystématique ; car c'est un système, c'est-à-direun effort, quoique parfois manqué, de lier en un toutet de ramener à un seul principe les vues diverses deschoses.Au sommet est l'Un, antérieur et supérieur aux êtreset aux choses; au-dessous de lui, le nombre dont il estle père, nombre concret, rapport substantiel, symphonieou harmonie de nombres; c'est l'Un, mais éten<strong>du</strong>,la monade vivante, le germe. De même que l'Un est lepère des nombres, l'Un nombre est le père des figures.Le point a une valeur arithmétique comme unité, maisil a une valeur géométrique comme principe et limitede la ligne ; de plus, il a une puissance interne d'exté-1. D'autres ont voulu que la <strong>philosophie</strong> <strong>pythagoricienne</strong> ne soitque la généralisation systématique des idées doriennes (Boeckh. Philo'.,p. 38; Ottf. Mûl!er,»t'e Dorier, 1,368; Schwegler, Geschichte d.Griech. Philos., p. 54). On le prouve en <strong>mont</strong>rant la tendance communeà une morale sévère, l'analogie des règlements de la vie pratique,la communauté <strong>du</strong> culte particulier d'Apollon. Je ne vois riende sérieux dans cette dé<strong>du</strong>ction hasardeuse, toujours fondée sur ledéveloppement historique, et je ne trouve pas utile de la réfuter longuement.


CRITIQUE. 355riorisation et de développement, la puissance autogènede s'étendre dans l'espace et d'engendrer ainsi la quantitéréelle, le corps.Quoique l'Un, père <strong>du</strong> nombre et le nombre un soientparfois distingués, il semble que, dans l'esprit des anciens-pythagoriciens,les deux unités n'en faisaientqu'une; ce qui porte à le croire , c'est que la doctrine,malgré la tendance idéaliste de ses principes, a au fon<strong>du</strong>n caractère exclusivement physique, comme l'a justementremarqué Aristote. Ce germe, cet Un réel et idéalà la fois est la synthèse des deux principes contraires :le pair et l'impair, l'infini et le fini; le premier placédans la classe des choses mauvaises ; le second, danscelle des bonnes. Tout être n'étant que le développementd'un germe est donc l'unité de couples contraires.Le double élément, fini et infini, parfait et imparfait,unité et pluralité, dont l'Un premier lui-même se compose,semble indiquer que dans la pensée des pythagoriciensces contraires que dominé, absorbe et réalise leçapport, là limite, TOpa;,le nombre, ne sont que les facteursidéaux de la réalité. L'Un, le nombre, pénètre dansson contraire, la multiplicité, puisqu'il est immanentaux choses et en est la véritable essence. On peut mômedire qu'il est son propre contraire, et que le pythagorismene fait aucune différence essentielle entre le ilirepatvdfxevov et le Tô irspaivov ou itÉpoç. La multiplicité estl'Un développé : or le développement de l'Un n'en changepas l'essence, puisqu'il est de son essence de se développer.G'é*st à l'exemple et à l'imitation des pythagoriciensque Bruno confondra la catwa causons et la causa


356 CRITIQUE.causata; Spinoza, la natura naturans et la natura naturata;Fichte, Yordo ordinans et Yordo ordinatus.L'Un qui fait l'unité de tous les êtres uns et par conséquentde tous les êtres, puisque tous les êtres sont uns,l'Un est lui-même composé : «pS-rov lv ép[«>solus résolvent la question d'une manière opposée,quoique analogue : ils nient l'alternative. Les uns soutiennentque l'imparfait seul existe; les autres, que leparfait existe seul. Pythagore répond : Ni l'un ni l'autren'existent séparément. L'existence n'est que l'unitéqui les contient tous deux, les assimile l'un à l'autre,le point de coïncidence où ils se rencontrent, se renversentl'un dans l'autre, en perdant ainsi leur différence.Le nombre ou rapport n'est donc pas dans cetteconception quelque chose d'abstrait et de subjectif;


CRITIQUE. 357c'est un nombre réel, concret, vivant. Qu'est-ce quele fini ou la forme qui constitue le monde? C'est l'infinifinifié, l'informe transformé. Le nombre est l'acteet le développement des raisons séminales contenuesdans l'unité : il est cause matérielle, efficiente, formelle,finale.Tout être n'est, en effet, qu'une matière liée par uneforme : on peut même dire que l'être n'est que le lienmême, le rapport de la forme à la matière et de la matièreà la forme. Des deux termes qui constituent cerapport, l'un est le sujet d'inhérence de l'autre, où s'exprimentles qualités essentielles qui le déterminent et le .font être ce qu'il est. .On ne peut les concevoir l'un endehors de l'autre que par une abstraction ; mais dansl'ordre de l'existence et de la réalité, ils sont vraimentinséparables: on peut dire qu'ils ne font qu'un dans lerapport qui les rapproche et les contient. Si, par exemple,on dit que l'homme est l'harmonie <strong>du</strong> corps et de l'âme,il est clair que cette harmonie entre le corps et l'âme,qu'on appelle l'homme, enveloppe le corps et l'âme. Lejugement n'est qu'un rapport <strong>du</strong> sujet et <strong>du</strong> prédicat,et il est clair également que la réalité de ce jugementrepose sur l'unité et l'identité des deux termes qui sefondent en lui; car, qu'est-ce qu'un prédicat sans sujetet un sujet sans prédicat ?Lorsque Platon et Aristote définissent la sensation, lerapport, le contact, le commerce de l'objet senti et <strong>du</strong>sujet sentant, et <strong>mont</strong>rent que la couleur, par exemple,n'est rien sans l'œil qui l'aperçoit, la vision n'est rien -sans la couleur qui est son objet, et qu'en conséquencela sensation est l'acte commun <strong>du</strong> sensible et <strong>du</strong> sen-


358 CRITIQUE.tant, la forme où ils ne font plus qu'un, n'exprimentilspas en d'autres termes l'opinion même de Pyfhagore,à savoir : 1° que cet acte est un rapport, c'est-à-dire unnombre, un point commun, une limite; 2° que ce rapportest une réalité, un acte, et même que c'est en luiseul que se réalisent les deux termes, les deux facteurs<strong>du</strong> rapport? Bien- plus, Aristote va jusqu'à appeler cetacte, comme Pythagore, une harmonie; car il dit positivementque le rapport <strong>du</strong> sentant et <strong>du</strong> sensible doitêtre harmonieux pour subsister, que le choc violentd'une lumière trop grande contre une vue faible, détruisantl'harmonie des deux termes, anéantit par cela mêmela sensation, et il se sert même ici de la comparaisonde l'harmonie de la lyre '.Par le rôle qu'il attribue aux deux éléments de la réalité,Pythagore paraît avoir voulu conserver l'équilibreentre les deux solutions contraires de l'idéalisme et <strong>du</strong>réalisme; mais au fond, et sans le savoir peut-être, ilsème le germe d'où naîtra plus tard l'idéalisme absolu.Implicitement, en effet, ce physicien, qui ne reconnaîtque l'être naturel et matériel, con<strong>du</strong>it à l'idéalité de lamatière, à l'identité des termes contraires et à l'immanencetranscendanîale de Bruno et de Schelling. Eneffet, en mettant en présence et en contact l'un avecl'autre, le fini et l'infini, le parfait et l'imparfait, la formeet la matière, il est certain que l'un de ces deux élémentsaura bien vite dévoré l'autre, dans le mélange qui lesréunit. Le parfait ne peut manquer de dissoudre l'imparfait,et alors, malgré les résistances <strong>du</strong> sens commun1. Aristot., de Sens., II, XII, 23.


CRITIQUE. 359et de l'expérience, naîtra la doctrine de l'unité, de l'identitéabsolue. Il me semble voir dans le pythagorisme lepressentiment obscur, mais puissant, de l'idéalismeluttant contre le <strong>du</strong>alisme, le moment de l'immanencecombattu par la transcendance; mais, malgré l'unitéqu'il affirme dans l'ensemble des choses, sous le nommagnifique de l'ordre, dont il décore l'univers, malgrél'idéalité de la cause première dont il a le sentiment etl'instinct, il ne peut pas se détacher <strong>du</strong> <strong>du</strong>alisme. L'unité<strong>pythagoricienne</strong> recèle en ses flancs la contradiction.Tout être, en effei, sauf un seul, la porte en soi commela marque de sa misère ; mais, et c'est là le vice de ladoctrine, suivant les pythagoriciens, l'être premier luimêmen'échappe pas à cette condition, qui le déshonoreet le nie : L'être premier, l'Un premier est composéItpiÔTOV £v âpJJLOtjÔEV.Il est vrai qu'en examinant la table des contraires, ons'aperçoit que les pythagoricieps ont conçu l'un destermes comme supérieur à l'autre : on pourrait mômecroire, d'après un mot d'Aristote, que la seconde sérieest purement privative. Il dit, en effet, dans la Physique*,TTJç SI ê-TEpaç ovoxoiylat at àpyjxt Sià xh ctTEpr)Ttxai ETV«I(xôpi


360 CRITIQUE.ne peuvent avoir entre elles aucune différence substantielleet vraiment qualitative; elles n'ont qu'une différencequantitative. De là tout vit, car tout a sa part del'Un, <strong>du</strong> feu central, donj le développement et l'indivi<strong>du</strong>ationconstituent le monde réel, et tous les êtres sontliés par une série de degrés, mesurés par des rapportsharmoniques. Mais cette harmonie des contraires ne supprimepas la contradiction qui est posée jusqu'au seinde l'absolu.La contradiction qui réside, suivant les pythagoriciens,au fond des choses, n'est pas absente de leursystème, et il s'y trouve des propositions entre lesquellesil est difficile d'établir l'harmonie. C'est ainsiqu'à côté de ce panthéisme qui ne reconnaît que l'êtrenaturel, ils semblent admettre un principe divin, placéau-dessus de la nature, et qui précisément, parce qu'ilne présente pas cette unité mixte et mélangée, composéedes contraires, se dérobe à la connaissance de l'homme ,0siav, xat oùx àvOpwitfvav hSé/nm•pôîffiv.Ce germe, cet Un mixte, doué de vie, de chaleur, demouvement, contient en soi une raison, Xô-fo;, se développesuivant une raison pleine d'harmonie et mesuréepar le nombre, et acquiert par et dans ce développementla perfection gui lui manque. Le monde entier estformé de ces germes, est rempli de ces nombres; luimêmeest un être vivant, un, qui a également pour principeun nombre. Car si l'on dit que l'univers est constituépar trois choses, le poids, la mesure et le nombre,il faut se rappeler que le poids et la mesure ne sont quedes espèces <strong>du</strong> nombre : le nombre est le principeunique <strong>du</strong> monde; c'est la force incréée, autogène, ten-


CRITIQUE. 361<strong>du</strong>e comme une chaîne à travers le monde, et y pro<strong>du</strong>isantl'être, répandant la vie, maintenant la permanencedes indivi<strong>du</strong>s, des espèces, <strong>du</strong> tout. Tout ce qui est etvit, vit et est par l'Un et est un.Le nombre est matière ; il est forme ; il est cause,cause motrice, efficiente et finale ; il est principe del'être, pnncipe <strong>du</strong> connaître, principe d'unité, et entemps que principe d'unité, il est principe d'indivi<strong>du</strong>ation,comme de totalité et de multiplicité, puisqu'onréunissant autour de leur centre propre les élémentsdispersés,


362 CRITIQUE.c'est-à-dire progrès, car jamais aucun pythagoricienn'a dit ou fait entendre que l'infini envahira à son tourle fini.La pensée, comme l'être, est un rapport, une mesure,un nombre, car toute pensée est la pensée de quelquechose, ne fût-ce >que d'elle-même. II.y a donc entoute pensée deux éléments, la forme et la matière, dontle rapport est la pensée elle-même. Car assurément, lapensée n'est autre chose que le rapport <strong>du</strong> sujet à l'objet.Bien plus, aucune pensée n'est absolument simple.Toute idée est plus ou moins riche de contenu, plus oumoins pleine de déterminations, et son essence propreest le rapport précis et mesuré des éléments intelligiblesqui la déterminent et la composent. Or, comme le mêmeest connu par le même, ce qu'on dit <strong>du</strong> sujet, on le doitaffirmer de l'objet, et réciproquement. Tous les deuxne sont qu'un nbmbre, voire le même nombre : la penséeest donc identique à l'être. On peut contester lavérité de ces propositions, on n'en peut guère contesterla force, la profondeur, l'originalité, qui apparaîtrontplus clairement encore si on les ramasse en quelquestraits : il n'y a pas d'autre existence que l'être naturel,la nature ; l'unité est l'essence de cet être. Cetteunité est un nombre, c'est-à-dire un rapport; elle estdonc simple et composée, une et plusieurs. La multiplicitéest unité, l'unité est multiplicité, TOXXOxb sv foxat '.Le nombre, essence de l'être, est une forme immobile;son vrai nom est la mesure, l'harmonie, l'ordre,la beauté. Le hasard, l'accident, le désordre, la laideur1. Arist,, Jfel., 1, 5.


CRITIQUE. 363n'ont de place ni dans le monde, la vie et l'être, ni dansla science qui prétend les connaître et les expliquer. Lenombre est raison, en même temps que mesure. Labeauté est donc non-seulement la cause exemplaire etfinale de l'être, elle en est l'essence et la substance. Lemonde est l'apparition de la beauté. Cette pensée, àdemi vraie, méritait d'être proposée par un Grec; c'estle rêve d'un artiste amoureux de la forme.Il est facile d'apercevoir l'insuffisance et le danger deces formules. En ré<strong>du</strong>isant l'être et la beauté au nombre,à la quantité, on peut craindre que le système nepenche à n'y voir que le nombre mathématique, abstrait,glacé, c'est-à-dire une beauté sans vie, sans mouvement: une statue de marbre 1 . La qualité serait ramenéeà la quantité. C'est un des points où se porte la vive critiqued'Aristote : « Les pythagoriciens, dit-il, prennentleurs principes en dehors des êtres sensibles, car les êtres1. Aristote, Met., XIII, 3, a emprunté une partie de leur théoriepour constituer ses principes d'esthétique. Tandis que le bien setrouye toujours, dit-il, dans des actions, le beau se trouve aussi dansdes êtres immobiles. Ceux-là sont donc dans l'erreur qui prétendentque les sciences mathématiques ne parlent ni <strong>du</strong> beau ni <strong>du</strong> bien : carelles traitent surtout <strong>du</strong> beau; elles dé<strong>mont</strong>rent surtout le beau, et enindiquent les effets et les rapports. Les plus imposantes formes <strong>du</strong>beau, ne sont-ce pas l'ordre, la symétrie, la limitation? Or, c'est làce que font apparaître les sciences mathématiques. L'esthétique est 'donc, aux yeux d'Aristote, une science mathématique; la beauté, uneforme immobile, qui n'a d'autre essence qu'un rapport abstrait, sansmouvement et sans vie : 'Ev xàÇei xaî peyéêsi. Poet., VII. Mais commentconcilier ces principes avec l'observation autrement vraie etprofonde, qui fait de l'action, où se manifestent les caractères et lespassions, l'essence et l'àme de la tragédie et de la poésie en général..Poét., 1, 6 : Miu.ov.vTai xal TJ8T), xai r.âbr) xal rcpâltr;. 1, 2 : MiuoûvTaioi uiuovpevoi rtpxrrovTac, àvâyxri Sa TOUTOU; *, oriouîaiou; T] çaOXov;elvai. Poet., 6, 10, 14 : '0 uùBoç véXo; TTJç tpaviaSia;.... àpy/rl xal otov+«Xu-


364 CRITIQUE.mathématiques sont privés de mouvement. Gommentalors aura lieu le mouvement, s'il n'y a pas d'autres sub-•stances que le fini et l'infini, le pair et l'impair? Us n'endisent rien, et s'il n'y a ni mouvement ni changement,comment expliquer la pro<strong>du</strong>ction et la destruction dansla nature, comment expliquer même les révolutions desastres * ? » L'erreur des pythagoriciens n'est peut êtrepas aussi grave. Le nombre est pour eux une chose concrèteet ils conçoivent le rapport comme une réalité. Cerapport subsiste, indépendamment <strong>du</strong> quantum destermes; son essence, en effet, est la limite, la forme quidonne vraiment la qualité à la matière. Mais leur fauteest d'identifier ce nombre vivant avec le nombre mathématique;et c'est là qu'ils échouent; c'est contre cetteerreur qu'Aristote s'élève, en leur faisant des objectionsqu'ils ne peuvent résoudre et qui ne trouvent pas dansles principes <strong>du</strong> système une réponse même implicite.Car ou bien les nombres mathématiques sont les chosesmêmes, et alors ou ils sont des grandeurs et ne sont plusnos nombres ; ou ils sont nos nombres, et alors ils nesont plus des grandeurs et ne peuvent plus être lescauses des grandeurs *.Ou bien les nombres mathématiques, tels que nousles concevons tous, ne sont plus les choses, sont seulementimmanents en elles et en forment un élément supérieuret transcendant. Mais alors il y a deux principeset non plus un seul. Au-dessus de l'Un £x ov I*VT E9O «»1. Met., I, 8.2. Arist., Met., XIV, 5. • Comment les nombres sont-ils causes ? C'estune question à laquelle les pythagoriciens ne répondent pas et ne peuventpas répondre. »>


CRITIQUE. 365il y a un autre Un, sans grandeur. En supposant mêmeque les anciens pythagoriciens aient admis, ce que jene crois pas, ces deux sortes d'unités, quel rapport auraient-ilsconçu entre elles? Ils sont incapables de ledire, àrcipoûciv ebreïv, et par cela même d'expliquer l'originede l'Un premier, foïi piv rapt-r-rouyéveoiv où çafftv*.S'ils disent que le mon/de doit sa naissance à la respiration,par laquelle le fini s'assimile à l'infini, on peutleur demander d'où vient au fini cette puissance, etquelle-est la fin de ce mouvement. De plus l'infini ferat-ilpartie <strong>du</strong> Tout ? alors le Tout est infini. S'il n'enfait pas partie, il y a donc quelque chose au delà et endehors <strong>du</strong> Tout, et le Tout ne comprend pas tout.àristote va plus loin encore : il concède un instant àPythagore que le corporel, l'être éten<strong>du</strong> dans l'espacepuisse se développer <strong>du</strong> point mathématique; mais aprèscette concession, il demande d'où viennent entre lescorps différents les différences de pesanteur et, en général,les propriétés constitutives des espèces différentes etmême des caractères indivi<strong>du</strong>els? Où est, suivant lespythagoriciens, le principe spécifique et le principed'indivi<strong>du</strong>ation ? Le pose-t-on dans la différence desnombres, et les choses diffèrent-elles entre elles comme1 diffère de 2? Mais alors, d'une part, les nombres manquerontbien vite, et ne suffiront même pas aux espècesd'un seul genre, par exemple, le genre animal, puisqu'onprétend que la série des dix premiers nombressuffit à l'explication de la nature entière, et que chaqueêtre est plusieurs nombres, 1, 4, 10. D'autre part si 3 est1. Met., XIV, 4.


366 CRITIQUE.l'homme en sol, le 3, qui se trouve dans 4, dans 5, dans6, est-il, Oui ou non, le même que le premier? Si oui, ily a plusieurs espèces d'homme en soi, et même puisquela série des nombres est infinie, il y a un nombre infinid'espèces d'homme en soi. En outre chacun de ces 3étant l'homme en soi, chaque 3 c'est-à-dire chaque indivi<strong>du</strong>homme, se confond avec son genre, et le nombredes genres est égal au nombre des indivi<strong>du</strong>s qu'ilcontient. Enfin 3 étant les 3/4 de 4, l'homme sera les3/4 <strong>du</strong> cheval ou de la justice, si 4 exprime la justice,ou le cheval; c'est-à-dire que, puisque le nombre pluspetit est une partie <strong>du</strong> nombre plus grand, l'objetexprimé par le plus petit nombre est une partie del'objet représenté par le plus grand. Mais si l'on dit quece ne sont pas les mêmes nombres, à savoir que les 3qui existent dans 4, dans 5, dans 6, ne sont pas lesmêmes 3 que le 3 premier, et ne sont pas identiquesentre eux, il ressort de cette explication des conséquencesqui ne sont pas moins absurdes que celles qu'on ad'abord relevées. D'abord, en effet, 3 n'est pas égal à 3, etil y a différentes espèces de 3 et de tout nombre : orcela est contraire à la doctrine <strong>pythagoricienne</strong> qui,non-seulement n'admet qu'une seule espèce de nombres,mais confond même le nombre abstrait, mathématique,avec le nombre réel, le point éten<strong>du</strong>, le germefécond, la molécule vivante En second lieu, d'où viendraitla différence de ces nombres? car c'est toujours àcela qu'on revient, et les pythagoriciens, comme les platoniciens,sont enfermés danS ce dilemme : ou bien, pourexpliquer la diflérence des choses, ils sont forcésd'admettre diverses espèces de nombres, ou bien pour


CRITIQUE. 367conserver l'unité des nombres, ils sont forcés de nierla différence des choses. Enfin pourquoi les nombresjusqu'à 10 représentent-ils seuls des êtres, et pourquoiles nombres suivants n'en représentent-ils plus? Jetrouve Aristote, dans sa précision, sévère, cruel etinexorable : ne serait-il pas môme un peu injuste, enpressant dans un sens si étroit et si propre toutes lesformules des pythagoriciens? Que veulent-ils dire eneffet?,Tout être a pour loi un développement mesuré, etcomme tous ces développements, représentés par desnombres, se ramènent à quelques nombres premiers, quieux-mêmes se pénètrent eux-mêmes, on comprend laformule de la décade. Tout être est unité ; toute .unitéest tétradique et décadique ; toute tétrade est unité etdécadique ; toute décade est une et tétradique. Mais d'oùvient que ce sont ces nombres et non d'autres qui mesurentle développement de l'être? Nous dirions, nous :c'est un fait d'observation, une loi de la nature enseignéepar l'expérience; Pythagore ne voulait pas sansdoute exprimer une autre pensée en disant que ce sontlà les nombres divins, les vrais nombres de l'Être. Aufond, la pensée générale de la formule est que le mouvementharmonieux et régulier <strong>du</strong> développement de l'être,marche suivant une loi numérique. Tout est pro<strong>du</strong>itsuivant le nombre. On comprend donc que 11 ne soitpas la loi de l'être, ne soit pas un être, parce que cenombre ne se ramène pas aux rapports harmoniques,qui gouvernent et constituent toutes choses. Mais lepoint le plus véritablement défectueux <strong>du</strong> système, c'estdans l'explication <strong>du</strong> principe de différence : non seulementil n'en donne, mais il n'en fournit aucune raison.


368 CRITIQUE.Cause, substance, forme de tout, le nombre identifietout, et la différence même <strong>du</strong> bien et <strong>du</strong> mal s'évanouit ;car une différence quanlitative ne peut devenir spécifiqueet qualitative. D'ailleurs, tout nombre est bon: or toutechose est un nombre ; donc toute chose est bonne.L'optimisme est au fond <strong>du</strong> système en même tempsque l'identité absolue. Ce n'est que dans un développementpostérieur <strong>du</strong> pylhagorisme, et parmi les successeursde Platon, que la dyade sera considérée comme leprincipe de la différence, <strong>du</strong> mal, de la matière, enopposition à l'identité, au bien, à l'esprit. Ce n'est pasque les pythagoriciens nient la matière ; mais en tantque séparée et distincte <strong>du</strong> nombre, elle n'est qu'un facteuridéal, un élément abstrait de la réalité. L'être vraiest l'unité de la forme et de la matière. Leibnitz adoptela monade des pythagoriciens; mais il ajoute à leur conception,qu'elle renferme en soi le principe interne etactif de différenciation, d'indivi<strong>du</strong>ation, qu'elle tient,on ne sait comment, de la monade infinie, ou de Dieu.Les pythagoriciens ne semblent pas s'être sérieusementpréoccupés de cette dernière question.Les objections qu'on peut leur faire sur la manièrearbitraire, capricieuse et superficielle dont ils appliquentleurs nombres, et dont ils les dérivent ; l'impuissanceoù ils sont d'expliquer comment l'Un premier est ungerme ou noyau vivant, qui attire à soi et absorbe ensoi l'infini, et développe de soi le fini ; la confusion <strong>du</strong>nombre abstrait et mathématique avec la monade, lamolécule, la cellule primitive et vivante, substance del'être, et principe de son développement; les propositionsinsoutenables de leur cosmologie et de leur pfay-


CRITIQUE. . 369sique; toutes leurs erreurs, en un mot, ne doivent pascependant fermer les yeux sur l'importance de leurdoctrine et le mérite relatif de leur système. C'est chezeux qu'on commence à apercevoir, distincte et dégagée,la vraie notion delà <strong>philosophie</strong>, c'est-à-dire qu'ellese présente comme une conception générale des choses,une explication scientifique et systématique de la nature,de l'homme et de Dieu.La difficulté qu'on éprouve à les'juger vient, commecelle qu'on éprouve à les comprendre, de la contradictionqui s'élève entre leurs principes et leurs doctrines.Le principe <strong>du</strong> nombre évidemment est idéaliste : maisnéanmoins les voilà qui font entrer l'éten<strong>du</strong>e dans lenombre, êv fyovpÉYiOoç, et ne l'en veulent pas séparer.Cependant l'élément idéaliste l'emporte, sinon dansleur conception même, <strong>du</strong> moins dans l'influence qu'elleexerce, et c'est cet élément qui annonce et préparel'idéalisme platonicien, où la forme, l'Idée, prendra uneessence à part, supérieure, absolue même. Le germede l'Idée est évidemment dans le nombre. Ce nombreest la mesure, l'harmonie, la beauté ; le monde est unsystème de rapports ; il est l'ordre ; et l'ordre est nonseulementsa qualité, sa loi, mais son essence, sa substance.Sans doute on peut reprocher au système de pencheret d'aboutir à un formalisme abstrait qui n'expliqueréellement ni la substance ni le mouvement ni la vie,mais cependant il faut savoir en reconnaître la profondeuret l'originalité. Au début de la civilisation et de lascience, il a fallu sans doute une rare puissance de géniepour s'élever au-dessus des désordres qui troublentn—24


370 CRITIQUE.le inonde physique et le monde moral, et peur saisir etaffirmer, sous ces apparences qui semblent les déshonorer,l'ordre profond, l'harmonie interne, la beautéréelle de la nature et de la vie morale.Le monde, dit Pythagore, est ordre et beauté; de là àl'Intelligence d'Anaxagore, il y a un pas, mais il n'y aqu'un pas. De quelque manière qu'on l'entende, le nombrese distingue de la chose nombrée, et fournira tôtou tard un principe idéal. Il est plus qu'une forme subjectivede l'intelligence, en ce qu'il n'est pas seulementune manière dont l'homme conçoit les choses, mais unmode de l'existence de ces choses. Le nombre n'est pasposé dans l'être pour les besoins de l'esprit humain : ilest une réalité objective ; il est la réalité même, et constituel'essence. Tout ce qui est réel est nombre, c'està-direest rationnel. Maintenant l'essence des choses nediffère pas de l'essence de l'intelligence qui les pense,c'est-à-dire qui les mesure : l'une et l'autre est un nombreet le même nombre ; de plus, la pensée est unrapport, c'est-à-dire encore un nombre. Le sujet etl'objet se confondent donc dans l'acte de la connaissance.Le nombre est la mesure, la limite des contraires; ilest le point où pénètrent et se réalisent les contraires,principes nécessaires de toute existence et de toute pensée.Ainsi la contradiction est inhérente à l'être, elle estla loi de la nature et de l'esprit.Les pythagoriciens, plus prudents que Hegel, en limitantl'application de ces principes, qu'il a évidemmentadoptés, en rendent la justification plus facile. L'absolu,disent-ils, s'il existe, n'est pas connu de l'homme, pré-


CRITIQUE. 371cisément parce qu'il n'est pas un rapport. La sciencede l'homme, comme son existence, n'est qu'une sciencedes rapports, des relations, une constatation des circonstanceset conditions nécessaires à la pro<strong>du</strong>ction <strong>du</strong>phénomène. La loi <strong>du</strong> phénomène, — et la pensée humaineest phénoménale,—est d'être essentiellement relative.Le phénomène est et il n'est pas; ce n'est que par sesrapports, par son nombre, qu'il est ce qu'il est. En effet,changez les rapports des choses, et vous aurez changéles choses mêmes ; changez les rapports d'un membrequelconque de l'organisme, et vous aurez modifié, peutêtredétruit sa fonction. Si l'ordre consiste pour un être àréaliser sa fin, la notion d'ordre se confondra avec l'idéede cause finale dont les pythagoriciens ont eu le mérited'intro<strong>du</strong>ire ainsi le premier germe dans la <strong>philosophie</strong>.A côté et au-dessus de ces services ren<strong>du</strong>s à la métaphysique,il faut encore rappeler que la doctrine <strong>pythagoricienne</strong>a, la première, cherché à fonder scientifiquementla science et la morale, et par ses tendancespropres, fait faire d'immenses progrès aux sciences mathématiques.Les diverses parties des sciences mathématiques quicomprenaient alors la musique, ont été perfectionnéespar Pythagore dont il est difficile de séparer les travauxpersonnels de ceux de son école, qui fit gloire de lesrapporter tous à son maître et à son fondateur.On connaît les célèbres propriétés <strong>du</strong> triangle rectanglequi portent le nom de théorème de Pythagore, etdont la découverte lui causa une joie si vive, qu'en dépitde son système, il offrit un sacrifice sanglant aux


372 CRITIQUE.Muses en témoignage de sa reconnaissance*. Il dé<strong>mont</strong>raque parmi les figures planes de même périmètre,celle qui a la surface la plus grande est le cercle, etparmi les solides, la sphère ; que le rapport de la diagonale<strong>du</strong> carré au côté est incommensurable ; il fondaenfin une théorie qu'on regarde aujourd'hui commeinutile, mais qui suppose une étude et une connaissanceéten<strong>du</strong>e de la géométrie, la théorie des corps réguliers.En astronomie il a imaginé une division plus oumoins rationnelle de la sphère céleste, affirmé l'obliquitéde l'écliptique, la sphéricité de la terre et <strong>du</strong> soleil, l'existencedes antipodes, suivant la tradition douteuse rap-.portée par Diogène; inventé une hypothèse à moitiévraie, pour expliquer la lumière de la lune, les éclipsesde cet astre et celles <strong>du</strong> soleil; théories qu'il trouvasans doute ébauchées ou préparées par ses prédécesseurs,comme on affirme qu'il tenait des Égyptiens laconnaissance de la révolution de Mercure, de Vénus,autour <strong>du</strong> soleil, de l'identité de l'astre <strong>du</strong> soir et del'astre <strong>du</strong> matin. C'est à Philolaûs, ou peut-être à Hicétasde Syracuse, qu'on rapporte la première notion <strong>du</strong>mouvement de rotation de la terre sur son axe, combinéavec son mouvement de translation autour <strong>du</strong> soleil, ouplutôt <strong>du</strong> feu central, par où s'expliquait le mouvementdiurne des astres, qui n'était ainsi qu'une apparence.En arithmétique ils s'occupèrent surtout des propriétésdes nombres, et découvrirent une infinité de leurs rapports;mais en étendant leurs propositions au delà de lasphère propre des nombres, comme ils y étaient con<strong>du</strong>itspar leur principe, que les nombres étaient les1. Diog. L., Vit. Pyth. Cic, de nat. Deor., 1. m.


CRITIQUE. 373choses mêmes, ils compromirent l'arithmétique quin'eut plus d'objet propre, déterminé, limité : elle se confonditavec la physique et avec la théologie, c'est-à-direqu'elle fut détruite. Leur classification des nombres enplans et solides, triangulaires et carrés, les problèmessur les triangles rectangles en nombres, annoncent uneconfusion des notions de la géométrie avec l'arithmétique,confusion malheureuse, et qui n'a que peu d'analogieavec les applications fécondes de l'arithmétique àla géométrie, découvertes par les modernes. Mais dansla musique, qui fut pour toute l'antiquité une branchedes mathématiques, les découvertes de Pythagore furentimportantes. Quels qu'aient été les expériences ou lesfaits accidentels qui l'aient con<strong>du</strong>it à ces calculs, il paraitcertain qu'il eut le premier l'idée de mesurer, etqu'il mesura avec exactitude les rapports de longueurdes cordes dont les vibrations constituent l'échelle dessons musicaux. Il calcula ainsi les intervalles de quarte,de quinte, d'octave, de tierce majeure et de ton majeur,de demi-ton, de comma; sur le principe que toutce qui est, et surtout tout ce qui est beau, doit reposersur les rapports les plus simples, il avait rejeté la répliquede la quarte quoiqu'il soit manifeste à l'oreilleque les sons qui sont à l'octave l'un de l'autre sontabsolument semblables de caractère.En somme s'ils ont nui à l'arithmétique, ils ont faitfaire de véritables progrès à la géométrie, et en astronomieils ont presque tout embrassé, et presque deviné levrai système <strong>du</strong> monde.En essayant de ramener les principes de la morale àdes nombres, les pythagoriciens ont évidemment cher-


374 CRITIQUE.cbé à en donner une théorie scientifique. Ils n'ont pasréussi : <strong>du</strong> moins Aristote l'affirme 1 , et les fragmentsque nous avons conservés d'eux sur ce sujet ont en effetun caractère pratique plutôt que spéculatif et théorique.Il ne faut pas trop s'en étonner. L'objet de lamorale, la vertu, appartient au domaine <strong>du</strong> devenir 1 :il lui appartenait bien plus encore chez les anciens, quine voyaient dans la morale qu'une partie de la politique.En opposition aux lois constantes et universellesqui régissent les phénomènes de la nature, à l'ordreéternel et immuable qui gouverne le monde et l'esprit,la vertu, que l'homme doit réaliser librement en lui,n'existe qu'en tant qu'il la crée 1 : elle est donc contingente,n'est ni universelle ni nécessaire; elle a un caractèrede relativité qui l'enlève au domaine de lascience pure, lequel a pour objet ce qui est, et non cequi peut être, et peut ne pas être. Sans doute si l'onprend la morale par ce côté pratique, le plus importantsans doute, comme le dit Aristote \ elle est essentiellementrelative et contingente:car son objet, qui est l'actionvertueuse, doit exister, mais n'existe pas. Sansdoute limitée au monde de l'humanité périssable etchangeant, elle ne peut pas être plus éternelle, plus1. Magn. MOT., I, 1.2. La science a pour objet le parfait, l'ordre absolu, immuable; la vertuse rapporte au devenir, ntpï xi vtvo|uva. (Philol., Stob., Ed. Pnya.,490.)3. A ris tôt,, Anal. Post., 1, 6. « La science, obtenue par démonstration,dérive de principes qui sont nécessaires; ce qu'on sait ne pouvaitêtre autrement. »4. Ethic. Nie, sub fin. « Dans les eboses de pratique, la fin véritablen'est pas de connaître théoriquement les règles, c'est de les appliquer....Il ne suffit pas de savoir ce que c'est que la vertu, il faut s'efforcerde la posséder et de la mettre en usage. »


CRITIQUE. 375universelle, plus nécessaire, plus absolue que l'hommelui-même, et il ne serait pas difficile de <strong>mont</strong>rer queles lois morales les plus respectables et les plus saintes,ont eu un commencement, ont leur histoire, et qu'onen peut suivre les développements et les accidents, lesformes successives, progressives, et quelquefois les décadencesau moins apparentes. Ainsi le mariage luimême,c'est-à-dire, au fond, la famille, n'a pas toujoursexisté : Platon le condamne comme une institution funeste,et l'Église romaine le tolère plus qu'elle ne leloue.Mais néanmoins, à moins de dire que l'homme ne peutpas se connaître lui-même, il faut bien avouer qu'il y aune notion de la perfection humaine, qu'il y a une idéede la vertu ; cette idée est une réalité eu soi, existantactuellement, indépendante des temps, des lieux et descirconstances extérieures qu'elle subit et des formes positivesqu'elle revêt. Si cette idée, étant relative àl'homme, qui la possède»et se l'impose, ne peut êtreconsidérée comme vraiment absolue et universelle, ilfaut cependant reconnaître qu'elle a une sorte d'universalitéet de nécessité qu'on peut appeler relatives.Étant donné l'homme tel qu'il est, les principes de savie morale peuvent être dé<strong>du</strong>its avec nécessité de sanature, et auront le degré d'universalité que comportela nature de l'humanité même.Il y a donc une science possible de la morale, c'està-direune dé<strong>du</strong>ction systématique des droits et des devoirsde l'homme, en tant qu'homme; mais on comprendque le côté pratique l'emportant dans les espritsmême des plus grands philosophes, il soit entré dans


376 CRITIQUE.eette science, plus qu'en toute autre, un assez grandnombre d'éléments tout positifs, accidentels, arbitraireset relatifs, dont elle a beaucoup de peine à se dégager1 .Les pythagoriciens ont eu le mérite de poser aumoins quelques-uns des principes universels de lascience, lires d'une saine et profonde observation del'homme en tant qu'être moral.La grande et admirable maxime que l'Évangile proclamepar ces mots : Soyez parfaits comme votre Pèrecéleste est parfait, — les pythagoriciens l'ont formuléeet -posée les premiers : La fin de l'homme, et son essenceest d'imiter. Dieu*. Dans tous les cas où il est incertainde ce qu'il doit faire ou ne pas faire, quel'homme prenne pour règle, à la fois claire et infaillible,d'imiter Dieu*.Cette perfection, dont ils appelaient la science, lascience, de la perfection des nombres 1 , se présentaitcomme un nombre, comme* le nombre parfait, oucomme l'harmonie, l'harmonie des forces et des facultésde l'âme entre elles ". La vie de l'homme vertueuxressemble à une lyre parfaitement <strong>mont</strong>ée, parfaitementd'accord, et dont un excellent musicien sait tirer une ex-1. Leibnitz ne la regardait pas comme une science ; Dutens, t. II,VII, 315. Doctrina de moribus non est scientia.... Principia enim ejusab experientia pendent.2. Stob., Ed. Eth., Tfto; opoCuaiv 8coù.... Hu8ar6p>v St ëic'ocOtoeltreîv iitov 8eij>.3. Iamb., V. P., 137. dicavta Soa iwpl «où itpàrteiv H p.i| îiopiÇouutv,ia-côxaerai nj; icpi; Tô 8eïov è(iiA(a«.4. Clem. Alex., Strom., II, p. 417. Tbeodoret, Serm., XI, p. 165.5. Diog. L.,VIII,33. dppovtav. Theagès, Orell.,Optwc, t. II, p. 318,OVVSpjJLOYO Tl(.


CRITIQUE. 377cellente harmonie'. Nulle harmonie n'est plus harmonieuseque l'harmonie des vertus*. L'homme doit chercherà imiter l'ordre parfait <strong>du</strong> monde. La vertu estpour ainsi dire le kosmos de l'âme'.L'homme est un être libre, puisqu'il est responsable,et c'est parce qu'il est libre que les dieux lui réserventdans une vie future, le châtiment ou la récompense quemérite sa con<strong>du</strong>ite. Mais si l'homme est libre, il n'estpas absolument libre. Les cireonstances extérieures qu'ilne dépend pas de lui de changer, auxquelles il ne peutpas complètement, même en le voulant, se soustraire, pèsentd'un poids qu'on ne peut déterminer, mais certain,sur ses actes et ses déterminations morales : « Il y a desraisons plus fortes que nous, » dit Philolaùs ; c'est-à-direque Dieu nous mène par une force secrète, irrésistible,à un but souvent ignoré, et qu'il nous fait concourir sansnotre volonté, et parfois contre elle, à l'exécution de sesdesseins. Même pour être heureux, même pour êtrevertueux, il faut autre chose que notre volonté : Unecertaine grâce divine * est nécessaire pour bien agir etpour bien penser : « Aie conscience, disent les pythagoriciensà l'homme, aie conscience de ta faiblesse et deton impuissance ! Reconnais que tu es incapable de tecon<strong>du</strong>ire seul, et qu'il faut te soumettre à une puissancesouveraine et parfaite. Mets-toi donc, complètement,1. Euryphamus, Orell., id., p. 302.2. V. plus haut, t. I, p. 295.3 Ta TOû «IOVTO; Siaxôop.ao'iv ip.i(rôaaTO o ta;


378 CRITIQUE.sincèrement, sous le gouvernement et comme à la gardede Dieu ! Car il y a des conditions <strong>du</strong> bonheur et de lavertu, qui nous viennent sans raison, et sans que la raisonen soit la cause. Ainsi c'est une chance heureused'être bien né, d'avoir reçu une bonne é<strong>du</strong>cation, d'avoirété habitué à obéir à une règle juste, d'avoir eu des parentset des précepteurs sages et vertueux 1 . » Nous nesommes pas véritablement nos maîtres : nos maîtres,nos seuls maîtres *, sont les dieux.On a vu plus haut quelle magnifique idée les Pythagoricienss'étaient faite de la Justice et de l'Amitié. Sileur morale pèche, comme toute la morale antique,par le caractère de discipline extérieure et formelle, s'ilsn'ont pas vu que le vrai prbblème moral n'est pas defaire en sorte que les hommes pro<strong>du</strong>isent de bonnesactions, comme les poiriers pro<strong>du</strong>isent d ; bonnes poires,mais de faire en sorte que chaque être humain arrive àcomprendre ce que c'est que le bien et à le vouloir,librement et sciemment, c'est-à-dire devienne une vraiepersonne morale, <strong>du</strong> moins on ne peut nier que touteleur doctrine ne respire une simplicité, une pureté, unegrandeur véritablement religieuses et morales.Terminons en rappelant qu'on leur doit l'ébauched'une théorie de l'art, qu'ils ont, comme Platon, tropexclusivement envisagée au point de vue éthique et rationnel; car, s'il faut en croire les témoignages, c'est àla raison seule que l'art, suivant eux, doit s'adresseret chercher à plaire, et son unique but est d'apaiser,1. V. plus haut, 1.1, p. 295.2. Plat., Phxd., 61. TOU; àvdpûitou; tv TûV xTripâiuv tôle Stoïc


CRITIQUE. 379de guérir, de purifier le corps et l'âme ; principesexcessifs sans doute, qui ne font pas une part suffisanteà la faiblesse de la nature humaine, mais dont on nepeut contester l'élévation et la pureté.Ce sont là des litres suffisants pour assurer aupythagorisme une vraie gloire : et la vraie gloire n'estque l'admiration respectueuse et reconnaissante de l'humanitépour les services ren<strong>du</strong>s à la vérité et à la vertu.FIN.


TABLE ANALYTIQUEDESMATIÈRES CONTENUES DANS LES DEUX VOLUMESABARIS le Scythe, hôte de Pythagore,49, n. 3.ABRUTATUS, nom donné par lesArabes i Pythagore, II, 327.ABULPHARAGB (Grég.), cité, 15,n. 2.AGRIPPA de Nettesheim. Sa doctrine,II, 333.ALBERT LE GRAND cite Pythagore,II, 327.ALCÉE (le poète) a visité l'Egypte,47.ALCINOOS, pythagoricien, 11,314.ALCHÉON de Crotone admet lescontraires, II, 51.— Sa doctrine, II, 218.ALCU1N de Lille cite Pythagore,II, 327.ALEXANDRE D'APHRODISE, cité,II, 102.ALEXANDRE POLTHISTOR, auteurdes Successions des philosopha,13.AMAURY. Tendances <strong>pythagoricienne</strong>s,II, 328.AME (de 1') <strong>du</strong> monde, ouvrageattribué à Tintée de Locres, 180.AME (17, une monade qui se meut,II, 34.AME (17 est un cercle suivantArchytas, un carré suivant Pythagore,II, 115.AME (I') dans la doctrine <strong>pythagoricienne</strong>traverse toutes lesformes de la vie, II, 185.ANAXAGORE. Ses rapports au pythagorisme,II, 233.ANAXIMANDRE, maître de Pythagore,36.ANTICBTUONB (l')dans le système<strong>du</strong> monde, II, 141.ANTILOQUE, cité, 32.ANTIPHANE, cité, 125.ANTIPHON, cité, 15, n. 1.— Cité, 42.APHRODITE est le nombre 5, II,121.APOLLODORE, cité, 15, n. 1.— Cité, 33, n. 1.APOLLONIUS de Tyane, auteurd'une vie de Pythagore, 17, n. I.— Sa doctrine, II, 309.APULÉE, tra<strong>du</strong>cteur de l'Arithmétiquede Nicomaque, H, 19.ARCHÉNÈTE,personnage inconnu,183.ARCHIPPUS, auteur pythagoricien,186.


382 TABLE ANALYTIQUE.ARCHYTA8 (authenticité des fragmentsd'), 191,203.ARCHYTAS, cité, 39.ARCHYTAS (ouvrages d'), 192.ARCHYTAS (la vie d') par Diogènede Laërte), 255.ARCHYTAS (tra<strong>du</strong>ction des fragmentsd'), 259.ARCHYTAS (doctrine d') sur Dieu,cause avant la cause, II, 12.ARÉSAS, auteur pythagoricien,186.ARIGNOTÉ, femme <strong>pythagoricienne</strong>,129.ARISTJEON , auteur pythagoricien,186.ARISTÉAS de Proconnèse, 109.ARISTIPPE de Cyrëne, cité, 15,n. 1.ARISTOBULE, cité, 41.ARISTOPHON, cité, 124.— Cité, 15, n. 1.ARISTOTE établit un rapport entrela <strong>philosophie</strong> et la poésie, 2.ARISTOTE expose et critique lesdoctrines <strong>pythagoricienne</strong>s, 4.— Dans les premier et treizièmelivres de la Hét., 20.ARISTOTE. Ses ouvrages spéciauxsur les pythagoriciens, 21.— Sur Archytas, 206.ARISTOTE (critique d') contre lespythagoriciens, II, 17.ARISTOTE critique la doctrine <strong>du</strong>nombre pythagoricien, II, 36.ARISTOTE n'est pas toujoursd'une parfaite exactitude dansses exposés historiques ,11,247.ARISTOTE. Rapports de ses doctrinesavec le pythagorisme, II,253.ARISTOTE a-t-il emprunté sescatégories aux doctrines <strong>pythagoricienne</strong>s?II. 265.ARISTOXÈNE de Tarente, auteurd'un recueil des doctrines <strong>pythagoricienne</strong>s,10.ART (I') chez les pythagoriciens,II, 213.ASCÉTIQUE (la vie) n'est pas uneobligation de l'ordre pythagoricien,110.ASCLEP1US, cité, H, 239.ASPIRATION (1"), fonction vitale <strong>du</strong>germe, II, 27.ATHAHAS, auteur pythagoricien,187.ATTICUS, pythagoricien, II, 314.AUDITEURS, classe inférieure desmembres de l'ordre, 115.AUGUSTIN (pythagorisme de S.),II, 320.AULU-CELLE (date de l'arrivée dePythagore en Italie suivant),31.AUTHENTICITÉ des ouvrages attribuésà Pythagore, 167.AUTORITÉ (le principe d') dansl'Institut pythagoricien, 63.AUTRE (1') ramené à l'Un, II,28.AVICÉBRON, auteur <strong>du</strong> Font vitepar lequel le pythagorisme s'intro<strong>du</strong>itdans la scolastique, II,328.BABYLONE (Pythagore captif i),29.BACHIQUES (les cultes) en Italie,137.BARTHÉLÉMY SAINT- HILATRB.Note de la trad. de la Physique. sur le souffle infini, II, 70.BEAU (le), 11,211.BECKMANN. De Pythagorx reitquiit,cité, 192.BERNHARDY, cité, 15, n. 2.BESSARION, sur Xénophane, cité,II, 229.BIEN (le) est l'ordre, rharmonie,11,23.BOÉCE, cité, 192,11, 152.BOECKB. Note sur un passage dePhilolaQs, II, 81.


BOECKH, éditeur des fragmentsde Phimlaus, 1, 212.BOECKH. De metris Pindari, cité,II, 155.BONITZ, éditeur de la Met. d'Àristote,cité, II, 247.BRAHMANES (Pythagore discipledes), 42.BRANDIS, cité, H, 239.BRONTINUS, auteur orphique,129, 184.BRUNO JORDANO, cité, II, 106,n. 2.— (Doctrine <strong>pythagoricienne</strong> de),II, 336.BRYSON, auteur pythagoricien ,187.BUTHÉRUS, auteur pythagoricien,187.CABBALE (éléments pythagoriciensde la), II, 329.CAMERARIUS, premier éditeur desAixaXoYoi d'Archytas, cité, 192.CARACTÈRE philosophique <strong>du</strong>pythagorisme, 163.CARACTÈRE religieux de l'ordrepythagoricien, 113.CARDAN, Jérôme (doctrine <strong>pythagoricienne</strong>de), II, 335.CATÉGORIES (les) d'Archytas,307.CÉNOB1TI8HE (le) pythagoricien,102.CENSORIN, cité, II, 150.CERCOPS, auteur de poésies orphiques,129.CHALCIDIUS, auteur d'un commentairesur le Timée de Platon,14.CHALDÉE (Pythagore visite la),42.CHARANOS, frère de Sappho enEgypte, 46, n. 2.CHASSE (la) interdite aux pythagoriciens,119.TABLE ANALYTIQUE. 383CHASTETÉ recommandée, non imposée,120.CHINOIS (<strong>philosophie</strong> de Pythagoreramenée à la morale des), 42.CHRISTIANISME (éléments pythagoriciensdans le), H, 318.CICÉRON (date de l'arrivée dePythagore en Italie suivant),31.— Id.,33.CICÉRON, cité sur Archytas, 196.CICÉRON, cité sur Pythagore, H,83.CICÉRON, cité sur Hicétas, II,143.CICÉRON cité sur l'harmonie planétaire,II, 153.CICÉRON attribue la cinquièmeessence à Aristote, II, 166.CLAUDIEN HAMERT, cité sur Archytas,198.CLÉMENT d'Alexandrie, cité, 14.— Cité, II, 41, 164.CLINIAS de Tarente, 183.COÈLÉMENTS des choses, II, 49.COLOPHON, patrie de Xénophaned'Êlée, 23.COLUMELLE, cité sur Archytas,200.COMMUNAUTÉ des biens, 102.CONNAISSANCE (degrés différentede la), II, 196.— (Théorie de la) d'Archytas, H,199.CONTRADICTION dans les renseignementsd'Aristote sur le nombrepythagoricien, II, 37.CONTRAIRES (les), principes deschoses, II, 45.CONTRAIRES (fes) logiques, 325.CONTRAIRES (table des 10 couplesde), II, 49.COPERNIC (lettre de) au papePaul III, II, 142.COSMOS (le),le monde, est l'ordremême, II, 101.COSTUME de l'ordre pythagoricien,119.


384 TABLE ANALYTIQUE.COUSIN (H.), cité, II, 19.CRATÉS, fondateur de l'école degrammaire de Pergame, 14.CRITIQUE <strong>du</strong> pythagorisme, II,351.CRITON, auteur pythagoricien,187.CROTONE, colonie achéenne, 23,52.CROTONE (Pythagore ae fixe à),51, 99.CROTONE (la puissance et lagloire de), 53.CROTONE (nature <strong>du</strong> gouvernementde), 54.CROTONE (influence de Pythagoresur le gouvernement de),56. *CROTONE (établissement de lapaix a), 93.CUDWORTH. Tendances <strong>pythagoricienne</strong>s,II, 342.CYLON, chef <strong>du</strong> parti populaire aCrotone, 84.CYRILLE, cité, 41.DAMASCIUS, cité, II, 15.DAVID l'Arménien, 174.DAVID de Dînant (doctrine de), II,328.DÉCADE (la), nombre parfait, II,10.DÉFINITION (procédé de) encoreimparfait, II, 197.DÉLOS. Pythagore y sacrifie à Apollon,37.DÉMOCRATE (les Sentences d'orde), 153.DÈMOPHILE ((es Sentences de),152.DENTS l'Aréopagite, II, 328.DÉVELOPPEMENT (le) est la loide la vie, II, 23.DIAGRAMME de l'Octochorde, II,131.DIAULE (le), figurede la formationdes nombres carrés et étéroméques,I, 243, II, 65.DICÉARQUE de Messénie, biographede Pythagore, 11.DIEU, cause avant la cause, II, 13.DIEU, nombre ineffable, II, 13.DIEU hypostatise les contraires,II, 13.DIEU est en tout, II, 16.DIEU, Ame <strong>du</strong> monde, identique aufeu central, II, 54.DIODORE d'Aspen<strong>du</strong>s, pythagoricien,187.DIODORE de Sicile, cité, 43.DIOGÉNE de Laërte. Son histoirephilosophique en 10 livres, II, 9.DIOTOGÈNE, auteur pythagoricien,188.DISSERTATIONS pythagoriquesanonymes, 190.DIUS, auteur pythagoricien, 188.DODECAEDRE, nombre de Jupiter,II, 119.DODWELL (date de la naissancede Pythagore suivant), 29.DRUIDES (Pythagore disciple des),42.DUALISME (le) pythagoricien, II,28.DYADE (la) indéfinie, principe <strong>du</strong>mal et de la pluralité, II, 17, 06.ËCHÉCRATE, auteur de renseignementssur Pythagore, 11.ÉCOLE (V) philosophique des pythagoriciensadmet quatre éléments,II, 155.ECPHANTUS, auteur pythagori-' cien, 188.ECPHANTUS considère les monadescomme corporelles, II, 33.ÉCRITS (les) pythagoriciens, 165.ÉDUCATION de Pythagore, 34.ÉDUCATION (système de 1'), II, 208.EGGER, cité, Archyt. Tar. Vit. etOpp., 192.


EGYPTE (Pythagore visite F),42.ÈLÉATBS (les) ont quelques rapportsavec la doctrine <strong>pythagoricienne</strong>,II, 226.EMPÉDOCLE. Sa doctrine, II, 231.EMPÉDOCLE (vers d') sur Pythagore,140.EMPÉDOCLE admet quatre éléments,II, 164.ENNIUS fl'Etricharmiud'), II, 233.ÉPICHARME. Ses doctrines philosophiques,II, 222.ÉPIMÉNIDE (Pythagore a été voir)en Crète, 36.ÉPIMÉNIDE. Son influence, 107.ÉPINOMI8 (1') est l'ouvrage où ilfaut chercher le rôle des nombresdans l'école platonicienne,II, 247.ÉRATOSTHÉNES, cité, 15, n. 1.ÉROHÉNÈS, auteur pythagoricien,188.ÉSOTÉRIQUES, membres et Exotériquesdel'ordre, 147.ESSÉNIENS (rapports des doctrinesdes) avec les doctrines orphiqueset pythagorlques, II, 133.ESTHÉTIQUE (f) <strong>pythagoricienne</strong>,11,211.BUBULIDÉS, auteur pythagoricien,188.EUDÉME, cité, II, 359.EUDORB admet deux et mêmetrois sortes d'unités, II, 24-51.EUN08TU8, frère de Pythagore,27.EUPHORBE, fils de PanthoOs sousla forme <strong>du</strong>quel Pythagore ditsait avoir vécu, 5.EURYPHAMUS, auteur pythagoricien,188.EURY80S, auteur pythagoricien,188.EURYTHÉUS, auteur pythagoricien,188.TABLE ANALYTIQUE. 385BURYTC8, auteur pythagoricien,188.EORYTU8 (système d') sur lesnombres, II, 127.EUSÈBB, cité, 15.EUSÉBB (date de la mort de Pythagoresuivant), 31.FACULTÉS de l'Ame, II, 183.FEMMES (Pythagore fait des conférencespubliques aux), 55.FEMMES <strong>pythagoricienne</strong>s (lettresdes), 186.FEU (le) central,monade première,II, 55.FEU (le), appelé par Philolaus lamesure de la nature, II, 79.FÈVES (les) interdites aux Pythagoriciens,II, 122.FINI (le) et l'infiui, éléments intégrantsdes choses, II, 24-44.FOUILLÉE. La Philosophie dePlaton, cité.FRAGHENTSKles)dePhilolaOs,226.— d'Archytas, 259.FRÉRET (date de la naissance dePythagore suivant), 30.GASSENDI, cité, II, 143.GAULE ( Py thagorea visité Ia),n,42.GÉNÉRATION des nombres, II, 69.GEORGIO, pythagoricien <strong>du</strong> seizièmesiècle, II, 330.GLAD1SCH ramène le pythagorismeaux théories des Chinois, II, 42.GNOMON (le) figure le rapport del'Ame dans la connaissance avecl'objet, II, 10-62.GRÉTRY, cité, H, 137.GROTB, cité, 181.GRUPPE (opinion de) sur les divergencesdes renseignementsd'Aristote sur le nombre pythagoricien,II, 37.GRUPPE. Ueber die Fragm. desArchytas, cité, 191.n — 25


386 TABLE ANALYTIQUE»GRUPPE conteste l'authenticité desfragmente d'Archytes, 202.GYMNASTIQUE (la) n'est pas inutileà l'âme, II, 200.HAMANN emprunte le principepythagoricien de l'identité descontraires, II, 336.HARMOMCIBNS (l'école des), II,135.HARMONIE (1') des sphères n'étaitpas une pure métaphore, II, 149.HARMONIE (1') céleste, système- cosmologique des pythagoriciens,II, 140.HARTÈNSTB1N. De Irehytx Tarent.,fragm., 192.HEGEL (influence <strong>du</strong> pythagorismesur), 11,349»HEGEL n'est pas le premier quiait confon<strong>du</strong> l'ordre de l'êtreavec l'ordre de la notion, II, 265.HEGEL nomme la table des con-. trairas une table des catégories,II, 266.HEGEL (théorie d') sur l'histoirede la <strong>philosophie</strong>, préf., ni.HELLÉNION, comptoir grec & Naucratis.HELMONT (Van). Tendances <strong>pythagoricienne</strong>s,II, 342.HÈRACLIDE Lembus, abréviateurdes ouvrages de Sotion et deSatyros, 15, n. 1.HÉRACLIDB, id., 31, n. 8.HERACLITE d'Éphèse. Renseignementbiographique sur Pythagore,II, 10.HÉRACLiTE <strong>du</strong> Pont, auteur d'unouvrage sur les pythagoriciens,- 12.HERM1PPE, auteur de biographies,24, u. 2.HERMIPPE, cité, 15, n. 1.HERMODAMAS, Homéride, maîtrede Pythagore, 5. ,HERMODAMAS, Heméride, maîtrede Pythagore, 34.HÉRODOTE suit les traces d'Homère,2.— Cité, 43.HÉSIODE considéré corama philosophe,2. ,HESTIA, nom de la terre, II, 81.HICÉTAS a découvert le mouvementde la terre autour de sonaxe, II, 143.HIÉRONYMB de Rhodes, cité, 3.HIPPARQUE publie le premier lesdoctrines <strong>pythagoricienne</strong>s, 185.HIPPASUS. Sa doctrine, II, 220.HtPPASUS de Métaponte, auteurd'un livre pythagoricien, ou orphique,185.HIPPOBOÎTJ8, cité, 15, n. 1.— Auteur d'une histoire des écolesde <strong>philosophie</strong>, 24, n. 2.HIPPODAMU8, auteur pythagoricien,188.HISTOIRE des doctrines <strong>pythagoricienne</strong>s,II, 215.HOMÈRE (<strong>philosophie</strong> d'), 2.HOMME (1') est un microcosme,II, 183.HOMME (1') est l'harmonie <strong>du</strong>corps et de l'âme, II, 21.IAMBLIQUE, auteur d'une Vie dePythagore, II, 19.IAMBLIQUE fait le temps à la roiscontinu et discret, II, 113.IDÉALISME (1') contenu en germedans les principes, pythagoriciens,II, 24-35.IMITER Dieu, maxime fondamentalede la morale <strong>pythagoricienne</strong>,IL 150.IMMORTALITE de l'Ame, II, 190.INCORPORATION des âmes, II, 183.INFINI (1') se transforme en fini,II, 27.INFINI (1') identique "au pair, II,58, 99.


INSCRIPTION <strong>du</strong> tombeau de Phêrécydeen l'honneur de Pythagore,84, n. 4.INTERPRÉTATION allégorique dela doctrine <strong>pythagoricienne</strong> parles nouveaux pythagoriciens,H, 28. .ION de Chio, cité, 15, n. 1.ISOCRATE, cité, 43.ITALIQUE (école), nom donné auxpythagoriciens, 163, n. 1.JAMBLIQUE. Rapport de sa doctrineau pythagorisme, II, 316.JOSEPH, cité, 41, n. 1.• JUBAII réunit les écrits de Pythagore,II, 305.JUPITER fait l'unité des choses,II, 102.JUSTIN, cité, 42.KRISCHE, auteur de la monographieintitulée de Societate a Pythagoraeondit» seopq, 12.LANAUZE (date de la naissance dePythagore suivant), 29.LANGAGE (le), 11,203.LANGUE (la) des dieux, n, 352.LEIBNIZ, cité, 348.— Éléments pythagoriciens de sa<strong>philosophie</strong>, II, 344.LEHNOS, lieu de naissance dePythagore, suivant quelques auteurs, 24.LÉON de Phliunte (entretien de). avec Pythagore, 74.LETRONNE,Cité, 16.LIMITE (la) élément des choses,II, 51.LOBECK, cité sur les ouvrages or-- phiques, 129, n. 2.LUNE (animaux et végétaux de la)sont quinze fois plus grands queles nôtres, II, 144.LT8I8 de Tarente, auteur pythagoricien,189-TABLE ANALYTIQUE 387MAMARCDS ou'lthésatchus, pèrede Pythagore, 27..MATHÉMATICIENS, 2~ classe del'ordre pythagoricien, 110.MATHÉMATIQUES (les) méthode dela science philosophique, II, 4.MATIÈRE (la) distinguée par Pythagorede l'immatériel, II, 73.MÉGHXCS, auteur pythagoricien,189.MÉLISSA, femme <strong>pythagoricienne</strong>,186. "MÉRITE (loi <strong>du</strong>) et <strong>du</strong> démérite,188.MÉTAPHYSIQUE (livre xm dé la),cité et tra<strong>du</strong>it en partie, II,273.MÉTAPONTE, lieu de naissance déPythagore, d'après quelques auteurs,25.MÉTAPONTE, lieu probable de samort, 91.MÉTEMPSYCHOSE (origine égyptiennede la), 45.MÉTEMPSYCHOSE Os), II, 185.MÉTOPUS, auteur pythagoricien,189.MINERVE est le nombre 3, II, 110.MIRACLE de Pythagore, 68, 141.MISCELLUS, auteur de la coloniequi fonda Crotone, 52.MNÉSTMACHOS, cité, I, 15.MODÉRATUSde Gadès, cité, II, 15.MODÉRATUS avait exposé la doctrine<strong>pythagoricienne</strong> dans lesZXOACù nu6ayopixa[,n, 18.MODÉRATUS reconnaît deux principes,II, 17.— Résumé de sa doctrine, IL, 311.MONADE (la) diffère de l'un, II, 14.MONADE (la) principe des nombres,II, 17.MONDE (le) a-t-il eu un commencement?II, 87.MONDE (le) est un être vivant,II, 156.MONDE (il n'y a qu'un), II, 163.


388 TABLE ANALYTIQUE.MONDE (le) est infini d'après Archytas,II, 162.MONDE (le) est un nombre, II,8,74.MORE (Henri). Tendances <strong>pythagoricienne</strong>s,II, 342.MOELLACH a publié les fragmentsd'Archytas, 192.MUELLACH a édité les Fragmentaphilotophorum Grxcorum, cité,90.ptUELLER (Karl), éditeur des Fragmentsdes historiens grecs, II, 12.MUSIQUE (la) destinée à purifierl'âme, II, 5.MUSIQUE (la) est purificative, II,139,206.MYRO, femme <strong>pythagoricienne</strong>,186.NÉANTHÈS fait naître Pythagore àTyr, 27.NICOLAS de Cusa (doctrine <strong>pythagoricienne</strong>de), II, 334.NICOMAQUE de Oérase, cité, 16.— Sa doctrine, 11, 313.NIGID1US, pythagoricien, II, 305.NOMBRE (le) principe de la connaissance,II, 9.— Principe de mouvement, II, 11.— Il n'y a qu'un nombre, le nombremathématique, II, 18-32.— Est un rapport concret, H, 29.— N'est pas simple ; est composé<strong>du</strong> pair et de l'impair, II, 24.— Nombre monadique, II, 32.— Antérieur aux choses, II, 34.— Tout nombre est décadique, II,•NOMBRES (rapports des) avec lesêtres et les propriétés des êtres,II, 3.— Toute chose n'est qu'un nombre,II, 4-7.— D'après Platon, êtres intermédiairesentre les choses et lesidées, II, 7.— Le nombre est l'être dans toutesles catégories, II, 8.— Principes à la fois transcendantset immanents de l'être,II. 9.— Carrés et étéromèques, 243.— Ont une situation dans l'espace,II, 31.— Espèces des nombres, II, 96.— Les nombres des pythagoricienssont, d'après Aristote, lesidées de Platon, II, 236-399.— Théorie des nombres chez lesPlatoniciens, d'après Aristote,II, 274.NOURRISSON (rapport de M.),333.NOVALIS se rapproche <strong>du</strong> pythagorismepanthéiste, II, 346.NOVICIAT imposé aux aspirants àl'ordre pythagoricien, 115.NUMA, contemporain et disciple dePythagore, suivant de faussestraditions, 33.— (Livres pythagoriciens attribuésà), 137.NUMÉNIUS d'Apamée, pythagoricien,II, 314.OBÉISSANCE (17 au premier rangdes vertus, 119.OCELLUS de Lucanie (Traité d7 : dela Nature <strong>du</strong> Tout, 181.— Résumé de cet ouvrage, II, 309.OLYMPE (1') dans le système <strong>du</strong>monde, II, 86.ONATUS , auteur pythagoricien ,189.ONOMACRITB, auteur de poèmesorphiques, 129-131.OPUSCULA VET. SENTENT. GRJB-CORUM, édités par Orelli, cité,190.ORALE (transmission) des doctrines,159.ORDONNÉ 07, élément des choses,n, 50.


ORDRE (importance de l'idée de 1')dans la conception philosophique,II, 63.— (1') pythagoricien, société religieuse,politique, scientifique,69.— Son organisation, 73-96 etsuiv.— Recrutement, 114.— Sa destruction comme sociétépolitique, 87-95.— Survit comme société scientifique,95.— Division de l'Ordre en 3 degrés,115.— (1') se confond avec la notion<strong>du</strong> Beau, n, 213.ORGANICIENS (école des), II, 135.ORIGÈNE, cité, 41.ORPHÉE, auteur préten<strong>du</strong> d'un•Ispàç Tôvoç, II, 128.ORPHÉOTÉLESTES (secte des),130.OVIDE, pythagoricien, II, 307.PAIR (le) et l'impair, élémentsinlégrants<strong>du</strong> nombre, II, 24-45.PARHÉNIDE (la définition de l'unpar), II, 226.' PARMENIDE, philosophe et poète,11,2.PASCAL, cité, 337.PEMPÉLUB, auteur pythagoricien,189.PENSÉE (la) est une assimilation,II, 41.PÉRICTYONE, femme <strong>pythagoricienne</strong>,189.PERSE (Pythagore visite la), 42.PETERSKN. Son opinion sur les catégoriesd'Aristote, II, 266.PHANTON, auteur de renseignementssur Pythagore, II.PHAVORIN, cité, I, 25.PHÉRÉCYDE, premier prosateurgrec, 4.— Maître de Pythagore, 35.— Le premier enseigne l'immortalitéde l'âme, 36.TABLE ANALYTIQUE. 389[PHILOLAVs (considérations généralessur l'authenticité des fragmentsde), 213.— Sa vie, par Diogéne de Laêrte,224.PHILOLAUS (tra<strong>du</strong>ction des fragmentsde), 226-PHILOPON.cité, II, 111.PHILOSOPHIE (la) se lie à la viepratique, IL) 6.— Est une physique, II, 1.— Une mathématique de la nature,11,4.PHILOSTRATE appelle Homère lavoix des sophistes, 2-PHINTYS, femme <strong>pythagoricienne</strong>,189.PHLIASIEN (Pythagore considérécomme) par quelquesauteurs,25.PHOT1US, cité, 18.PHYSICIENS, 3" classe de l'Ordre,117.PLATON nous a laissé peu de renseignementssur les pythagoriciens,22.PLATON admet que les nombressont causes, II, 7.PLATON. Ses rapports au pythagorisme,II, 236.PLINE, cité, 32, II, 449.PLOTIN appelle les catégories lesgenres de l'être, II, 265.— Rapport de sa doctrine au pythagorisme,II, 314.PLUTARQUE, cité, II, 13.— Attribue aux pythagoriciensdoctrine de deux principes, II,17.PLUTARQUE. Son récit sur la mortde Pythagore, 91.— Plaeita Phiiotophorum, cité,II, 159.— Rapproche les philosophes etpoètes, n, 4.POÉSIE. Union de la poésie avec la<strong>philosophie</strong>, II, 1.


iJ»IH>390 TABLE ANALYTIQUE.POLITIQUES, classe de l'ordre py-. thagoricien, 117.POLUS, auteur pythagoricien, 189.POLYCRATE fonde Samos, recommandePythagore au roi Amasis,48.:PORPHYRE, auteur d'une Histoirede la <strong>philosophie</strong> en cinq livres,16.— Cité, 337.PROCLUS, cité, 128.— Cité, 15, 237.— Rapport de sa doctrine au py-. thagorisme, II, 317.PRORUS , auteur pythagoricien,.189.PYTHAGORE donne son nom à la<strong>philosophie</strong>, 3, 10, 11, 46.— Caractère pratique de sa doc-' trine, 3.— Sa vie, 23.•*- Date de si naissance, 29.— Ses voyages, 38.— Ouvre une école publique àSamos, 49.— Quitte sa patrie et se fixe à Crotone,51.— Son influence politique, 56.— Sa personne, 58.— Tentatives de réforme religieuseet politique, 59.— Succès de ses tentatives, 77.— Réaction populaire contre les" pythagoristes, 79-83. '— Poursuite et persécution contrePythagore et les pythagoriciens,85.— Mort de Pythagore, 88.— Passe pour un être divin ousupérieur à l'humanité, 139.— Pythagore a-t-il écrit? 169.— (Ouvrages attribués à), 77.— Lettres de Pythagore, 191.PYTHAGORlCIENSphysiciens,II,2.— Panthéistes, H, 16.PYTHAGORIQUES, pythagoréensou pythagoristes, 117.RAISON (la) mathématique critériumde la vérité, II, 196.RAISONS (les) séminales contenuesdans le germe vivant, II, 27.RAMEAU (trio des parques de), II,137.RAPPORT de H. Nourrisson, 333.RATHGEBER, cité, 27, 1.RAVAISSON (M.). Sa thèse surSpeusippe, cilée, II, 104.RÈGLES de l'ordre pythagoricien,71-105, 117.REINES, cité, 15, 1.REPAS communs des pythagoriciens.103.RÉSURRECTION de Pythagore, 67.REUCHLIN, restaurateur <strong>du</strong> pythagorisme,11,330.RHÉGNIDAS, chef des Doriensd'Argos, 26.RHODOPIS , courtisane thrace,fait construire à ses frais l'unedes pyramides d'Egypte, 48.ROME (l'école <strong>pythagoricienne</strong> à),II, 305.SAGESSE (la) forme supérieure dela connaissance, II, 195.SAMOS, lieu de naissance de Pythagore,23.SATYROS, cité, 15.SCHAARSCHM1DT conteste l'authenticitédes fragments de Phi-,lolaûs, 217.SCIENCE (la) de l'homme, imparfaite,II, 195.SCOLASTIQUE (dans la) peu d'influences<strong>pythagoricienne</strong>s, II,325.SCHELLING, pythagoricien, II,347.SCOTT ÉRIGÈNE (influences <strong>pythagoricienne</strong>sdans), II, 326.SÉBASTES (les), classe de l'ordrepythagoricien, 117.SECRET (le) règle des pythagoriciens,145.


SECUNDUS, philosophe pythagoricien,153.SEMBLABLE (le) est connu par lesemblable, II, 41.SÈNÈQUE sur la <strong>philosophie</strong> d'Homère,II, 2.— Cité, 346.SENSATION (la) forme unique de laconnaissance, II, 95.— Définie par Platon et Aristote,II, 22.SENSIBLE (le) identifié avec l'intelligible,11, 84.SENTIMENT religieux chez lesGrecs à l'époque de Pythagore,105.SEXT1ENS (l'école des), II, 303.SEXTUS EMPIR1CUS, cité, II,20.SILENCE (le) règle de l'ordre pythagoricien,II, 115.SIMILITUDES (les) <strong>pythagoricienne</strong>s.SIMPL1CIUS, cité, II, 149.SOCRATE (la doctrine de) n'a aucunrapport avec le pythagorisme,II, 236.SOSICRATB, cité, 15, n. 1.SOTION, cité, 15, n. 1.SOUFFLE (le) infini, II, 70.SOURCES indirectes de la vie et' des doctrines de Pythagore, 9.SPEUSIPPE divise l'infini, II, 47.SPEUSIPPE (suivant) le parfaitn'est pas premier, II, 103.SPHÈRE (la) de l'enveloppant confon<strong>du</strong>eavec l'âme <strong>du</strong> monde, II,160.— Du tout, II, 75.SPINTHARE, père d'Aristoxène deTarante,, 11.STHÉN1DAS,auteur pythagoricien,190.8TOBÉE, auteur d'extraits, 20.8TRAB0N, cité, 42.STBARIS, rivale de Crotone, 51.TABLE ANALYTIQUE. 391STBARIS, prise et détruite par lesCrotoniates, 105.SYSTÈME des nombres dans lemonde, II, 196.— Planétaire, H, 151.SYSTOICHIES (les) <strong>pythagoricienne</strong>s,II, 49.TARQUIN (Pythagore arrive en Italieà l'époque de), 33.TÉLAUGÈS, auteur orphique, 129.TELESIO, Bernardin (doctrine de),11, 336.TEMPS (le), sphère de l'enveloppant,II, 170.TENNEMANN rapproche la tabledes contraires des catégoriesd'Aristoe, II, 266.TERRE (la) n'est plus au centre <strong>du</strong>monde, II, 69.TERRE (la) se meut, II, 77.— Ses noms divers, II, 76.TÉTRACTYS (la) nombre sacré, II,117.THÉAGES, auteur pythagoricien,190.THÉANO, femme <strong>pythagoricienne</strong>,186,190.THÉANO. Fragments, cités, 28, n. 3.THÈMISTE (opinion de) sur l'auteurdes catégories attribuées àArchytas, 192.THÉOGNÈTE, auteur orphique,129.THÉOLOGIE arithmétique de Nicomaque,II, 313.THÉON de Smyrne (opinion de)sur la dyade indéfinie, II, 46.— Résumé de sa doctrine, II, 314.THÉON le grammairien, cité, 25.THÉOPOMPE l'historien, cité, 25,n. 1.THÉORIDAS , auteur pythagoricien,190.THÉORIES métriques de saint Augustin,II, 324.THRASYLLE, cité, 15, n. 1.


392 TABLE ANALYTIQUE.TINEE, rbistorien, contredit Héraclideau sujet d'Empédocle, 13.TIMÉE de Locres, cité, 15, n. 1.— (Ouvrages attribués à), 180.TIMON de Phliunte, cité, 15, n. 1.— (Ëpigramme de) sur Pytbagore,60.TRENDELENBIIBG dé<strong>du</strong>it les catégoriesdes formes <strong>du</strong> langage,II, 266.TYRRHÉNIEN (Prthagore considérécomme) par quelques auteurs,25.TYRRHÉND8, frère de Pythagore,27.TYR, lieu de naissance de Pythagored'après Néantbès, 27, n. 1.ULYSSE le naufragé. Fragmentd'Ëpicharme, II, 225.UN (!') premier, II, 89.UN (1') est pair impair, II, 19.UN (1') père <strong>du</strong> nombre, principe detoutes choses, II, 4.UN (l'j diffère de la monade, II, 14.UNITE (deux sortes d') admises parEudora, II, 14.UNIVERS (l'j est un système derapports, II, 7.VALENTIN (les syzygies de), II,319.VALÉRE MAXIME, cité, 42.VATINIUS, pythagoricien, II, 305.VERS (le) chez les Grecs, 3.VERS d'or (les), 5.VERS d'or (résumé de la moraledes), 147.VERTUS (les) sont des nombres,II, 120.VIDE (le) infini a une sorte d'existence,II, 37.VIDE (le) s'intro<strong>du</strong>it dans le monde,II, 70.VICO, cité, II, 88, n. 7.VIE (la) pythagorique, 124.— (la) orphique interdit toutenourriture qui a vie, 127.— Assimilation étemelle de l'infinipar le fini, II, 28.VIRGILE, pythagoricien, II, 306.VITRUVE, cité, 199, II, 223.VOYAGES de Pythagore, 38.XÉNOCRATB divise l'infini, 11,47.XÉNOPHANE, poète et philosophe,2.— Renseignement biographiquesur Pythagore, 10.— Se fixe tour i tour & Zancle, àCatane et i Ëlée, 51.XÉNOPHANE. Sa lutte contre lepolythéisme, II, 228.XJENOPHILE le pythagoricien,maître(TAristoiène, 11.ZAMOLXIS le Scythe, esclave dePythagore, 49, n. 1.ZEIAER (opinion de) sur le nombrepythagoricien, II, 39.— Sur la table des contraires, II,50.— Sur le pair et l'impair, II,65.— Conteste l'authenticité d'unfragment de PhiloUûs, II, 84.— Sur la définition <strong>pythagoricienne</strong><strong>du</strong> temps, II, 171.— Sur Anaxagore, II, 234.— Rattache les catégories d'Aristoteà la métaphysique, II, 265.ZENON de Cittium, auteur deHuSayopixâ, 15, n. 1.FIN DE LA TABLE ANALYTIQUE DES DEUX VOLUMES.


TABLE DES MATIÈRESDU TOMESECONDTROISIEME PARTIEExposition de la doctrine philosophique 1§ 1. Le nombre 1§ 2. Les éléments <strong>du</strong> nombre 44§ 3. Le monde 75$ 4. Le système des nombres dans le monde 96§ 5. L'harmonie 128§ 6. L'harmonie céleste 140§ 7. La vie <strong>du</strong> monde. Les éléments. L'espace. Le temps 156§ 8. L'âme. La science, La morale. L'art 175QUATRIÈME PARTIEHistoire 215CINQUIEME PARTIECritique 351Table analytique des matières 381


12714. — TYPOGRAPHIE LAHURIRae de Flearns, 9, à Paris

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