16<strong>Nouvelles</strong> <strong>de</strong> Chrétienté Nº 92Mars - avril 2005dans Pascendi. Il n’est pas étonnant<strong>de</strong> rencontrer ces idées chez le pape,puisqu’il a été profondémentinfluencé par la philosophie idéaliste.Pour la tradition catholique,la foi est l’adhésion <strong>de</strong> l’intelligenceaux vérités révélées par Dieu et enseignéespar l’Eglise. Pour les conciliaires,la foi est une expériencereligieuse personnelle, un comportement.Dès lors, nous ne parlonsJean-Paul II après son élection en 1978pas le même langage, même si nousemployons les mêmes mots. Pournous c’est un langage réaliste, celuidu catéchisme, capable d’exprimerclairement la foi ; pour eux, c’est lelangage <strong>de</strong> la philosophie existentialiste.L’homme <strong>de</strong> Vatican IIJean-Paul II est un homme duconcile Vatican II, où il a été particulièrementactif dans la rédaction<strong>de</strong> la constitution Gaudium et spes(L’Eglise dans le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> ce temps).Il a été élu pour appliquer et mettreen œuvre le concile, puisqueVatican II est <strong>de</strong>venu la référenceabsolue et intangible.Il est persuadé que c’est leSaint-Esprit qui a parlé par le concile: « Vatican II est le ‘don’ quel’Esprit-Saint a fait à l’Eglise augrand tournant <strong>de</strong>s millénaires 8 ».« Le concile Vatican II est ungrand bienfait pour l’Eglise. (…) Ilmarque indiscutablement le débutd’une ère nouvelle dans l’histoire<strong>de</strong> l’humanité et aussi dans l’histoire<strong>de</strong> l’Eglise 9 ». Dans son testament,il laisse une pensée en héritage: le « grand don » que fut pourl’Eglise le concile Vatican II.Il a dit et répété à <strong>de</strong> nombreusesreprises dès son élection quela tâche principale <strong>de</strong> son pontificatserait la mise en œuvre <strong>de</strong> l’enseignementdu concile Vatican II,« l’actualisation du Concile danstous les domaines <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> l’Eglise10 ». De fait aucun domaine n’yéchappera ; il l’a fait là où Paul VI,« ce grand pape qui, durant quinzeans, a inondé <strong>de</strong> vérité et <strong>de</strong> sagessele mon<strong>de</strong> entier 11 », n’avait pas encoreeu le temps <strong>de</strong> le faire, commele co<strong>de</strong> <strong>de</strong> droit canonique (1983),ou le catéchisme <strong>de</strong> l’Eglise (1992).Une rupture se <strong>de</strong>ssine, un voiles’étend sur l’enseignement <strong>de</strong>spapes antérieurs, comme si l’Eglise,après vingt siècles <strong>de</strong> balbutiements,était née soudain en 1962.Un catholicisme médiatiquePour un mon<strong>de</strong> qui réclame<strong>de</strong> l’actualité en permanence,Jean-Paul II a multiplié lesvoyages, les années particulières(<strong>de</strong> la Ré<strong>de</strong>mption, du Rosaire,<strong>de</strong> l’Eucharistie…). Il a donné <strong>de</strong>l’Eglise une image médiatique.8Discours aux membres <strong>de</strong> la Curie romaine,le 28 juin 1980.9Entrez dans l’espérance, Plon-Mame,1994, p. 238.10Discours aux membres <strong>de</strong> la Curie romaine,le 28 juin 1980.11La Documentation catholique du 17 février1980.•Relevons son côté ‘homme <strong>de</strong>théâtre’ : Karol Wojtyla a été acteurdans sa jeunesse, et a gardé unsens aigu du spectacle, <strong>de</strong> la miseen scène. Il a parfaitement su utiliserles moyens <strong>de</strong> communication.Il aura été une ve<strong>de</strong>tte <strong>de</strong>s médias,l’homme le plus photographié dumon<strong>de</strong>.Il a organisé <strong>de</strong> grands rassemblements,et a réuni les plus gran<strong>de</strong>sfoules que l’on ait vues sur laplanète, avec <strong>de</strong>s chiffres impressionnants(le record : quatre millions<strong>de</strong> personnes à Manille en1995 !). Il a enthousiasmé <strong>de</strong>s foules,sans aucun doute, mais pourquelle action en profon<strong>de</strong>ur, surnaturelle,durable ?L’Eglise traverse l’une <strong>de</strong>s plusgraves crises <strong>de</strong> son histoire, sansdoute la plus grave, car c’est avanttout une profon<strong>de</strong> crise <strong>de</strong> la foi,dont la dimension doctrinale estévi<strong>de</strong>nte. L’ignorance religieuse estmassive.Il a été un pape populaire, maissans réussir à éveiller <strong>de</strong>s vocationssoli<strong>de</strong>s, comme le montre la situation<strong>de</strong>s séminaires diocésains. Lesjeunes qui s’engagent volontiersdans certaines œuvres pour un anou <strong>de</strong>ux, envisagent beaucoup plusdifficilement <strong>de</strong> s’engager dans lesacerdoce ou la vie religieuse. Pourdonner un exemple <strong>de</strong> la crise <strong>de</strong>svocations, au début du pontificat<strong>de</strong> Jean-Paul II, il y avait en France8 400 moniales, il en reste 4 500.Ce pontificat a marqué la montéedu rôle <strong>de</strong>s laïcs dans l’Eglise : onvoit <strong>de</strong> plus en plus <strong>de</strong> laïcs jouerun rôle prédominant dans les paroisses,animer les « célébrations »,les préparations au baptême, les cérémonies<strong>de</strong> funérailles, etc.Les sources théologiques<strong>de</strong> la penséeLa clef <strong>de</strong> la pensée <strong>de</strong> Jean-Paul II est ce principe <strong>de</strong>Vatican II 12 auquel il se réfère dèssa première encyclique 13 : « Parcequ’en lui [le Christ] la nature hu-
•Bilan d’un pontificatmaine a été assumée, non absorbée,par le fait même, cette naturea été élevée en nous aussi à unedignité sublime. En effet, par sonIncarnation, le Fils <strong>de</strong> Dieu s’esten quelque sorte uni lui-même àtout homme », et « pour toujours »ajoute Jean-Paul II. « Le Christ esten quelque sorte uni à l’homme, àchaque homme sans aucune exception,même si ce <strong>de</strong>rnier n’en estpas conscient 14 ».Chacun, du simple fait qu’il esthomme, reçoit une dignité éminente,et qui est bien une participationsurnaturelle à la vie divine,« la dignité <strong>de</strong> la grâce <strong>de</strong> l’adoptiondivine 15 ». Malheureusementcela n’est pas vrai : l’Incarnation,loin <strong>de</strong> manifester la dignité naturelle<strong>de</strong> l’homme, manifeste la déchéancehumaine du péché ; l’hommeavait un besoin indispensabledu Sauveur pour être replacé dansl’état <strong>de</strong> grâce, dans l’ordre surnaturel.Ce n’est pas du seul fait <strong>de</strong>l’Incarnation que le Christ s’unit àses propres lois, mais par celles queDieu lui a données et auxquelles ilest tenu <strong>de</strong> se soumettre. Dieu seulest transcendant. Et la faute originellefut justement ce désir <strong>de</strong> <strong>de</strong>venirtranscendant, c’est-à-dire« comme Dieu ». Affirmer l’hommeuniquement pour lui-même, c’est ledéifier.Les conséquences doctrinalesCette confusion <strong>de</strong> l’ordre naturelet <strong>de</strong> l’ordre surnaturel produit<strong>de</strong>s conséquences qui bouleversentla doctrine catholique :Tous les hommes sont doncmembres <strong>de</strong> Jésus-Christ, et appartiennentau Peuple <strong>de</strong> Dieu.L’Eglise n’est plus la communion<strong>de</strong>s fidèles, mais elle s’étend enquelque sorte à toute l’humanité.C’est l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> l’Egliseavec l’humanité.L’affirmation « Hors <strong>de</strong> l’Eglisepoint <strong>de</strong> salut » est « en réalité aussiouverte qu’il est concevable ! On n’apas le droit d’y voir la marque d’uneespèce d’‘exclusivisme ecclésiologique’17 », s’écrie le pape.12Gaudium et spes, n° 22.13Encyclique Re<strong>de</strong>mptor hominis du4 mars 1979, n° 8 et 13.14Re<strong>de</strong>mptor hominis, n° 14.1986 : Assisetout homme, il y faut la libre adhésion<strong>de</strong> chacun à la grâce du Christ.Il faut une conversion personnelle.Ce fameux passage <strong>de</strong>Vatican II, Jean-Paul II le cite etle commente <strong>de</strong> nombreuses fois.Par exemple dans Le signe <strong>de</strong> contradiction(texte <strong>de</strong> la retraite quele cardinal Wojtyla a prêchée auVatican en 1976) : « Le texte conciliaireexplique le caractère anthropologiqueou même, dans un certainsens, anthropocentrique <strong>de</strong> laRévélation faite aux hommes dansle Christ. Car cette révélation estcentrée sur l’homme : le Christ manifesteen plénitu<strong>de</strong> l’homme à luimême,mais à travers la révélationdu Père et <strong>de</strong> son amour. » « Par lemystère <strong>de</strong> l’Incarnation <strong>de</strong> Dieu leFils, la gran<strong>de</strong>, l’extraordinaire dignité<strong>de</strong> la nature humaine est miseen évi<strong>de</strong>nce 16 ».La Révélation est donc centréesur l’homme, et son extraordinairedignité ; elle est le dévoilementà l’homme, et la prise <strong>de</strong> consciencepar lui, <strong>de</strong> la sublime dignité <strong>de</strong>la personne humaine, une dignitédans laquelle on a du mal à discernerce qui revient au surnaturel,tant la dignité naturelle est exaltée.L’homme possè<strong>de</strong> naturellement lagrâce, ou il n’en a pas vraiment besoin,les <strong>de</strong>ux reviennent au même.L’enseignement traditionnelconsidére l’homme, non pas en luimême,pauvre créature, mais avanttout pour Dieu, parce que créé parlui et racheté par lui. L’homme n’estpas autonome, il ne se régit pas par15Re<strong>de</strong>mptor hominis, n° 11.16Livre paru à Milan en 19<strong>77</strong>. Traductionfrançaise : Le signe <strong>de</strong> contradiction, Fayard,1979, p. 135.Autre conséquence : la ré<strong>de</strong>mptionuniverselle. Du fait <strong>de</strong> cetteconfusion partout sous-jacente <strong>de</strong>la nature et <strong>de</strong> la surnature, la dignité<strong>de</strong> l’homme est telle qu’elle<strong>de</strong>meure, quelles que soient sa religion,ses erreurs et sa malice. Quoiqu’il fasse, l’homme possè<strong>de</strong> unedignité inamissible et inaliénable.Et donc les hommes sont et seronttous sauvés.Dans Le signe <strong>de</strong> contradiction,le cardinal Wojtyla écrit : « Tousles hommes, <strong>de</strong>puis le début jusqu’àla fin du mon<strong>de</strong>, ont été, parle Christ, par sa Croix, rachetés etjustifiés. » Il mêle la ré<strong>de</strong>mption objectiveet la ré<strong>de</strong>mption subjective,c’est-à-dire l’application <strong>de</strong>s fruits<strong>de</strong> la ré<strong>de</strong>mption. Que les hommesaient tous été rachetés par le sangdu Christ, c’est certain ; mais que17Entrez dans l’espérance, p. 214.17