<strong>Nouvelles</strong> <strong>de</strong> Chrétienté Nº 92Mars - avril 2005ments du texte lui-même, inférencesissues du plan, <strong>de</strong>s référencesscripturaires et doctrinales, mépris<strong>de</strong>s auteurs pour la théologieprécé<strong>de</strong>nte), le tout appuyé sur <strong>de</strong>nombreuses citations <strong>de</strong>s rédacteursdu document, qui prouventque, pour P.O., le sacerdoce est“premièrement et principalement”ordonné au peuple <strong>de</strong> Dieu, qui seréduit finalement à l’homme. Cetteinversion, en vertu d’elle-même et<strong>de</strong>s principes qui la gouvernent (lamission du peuple sacerdotal) provoqueune casca<strong>de</strong> <strong>de</strong> bouleversementsdans le sacerdoce, une… révolution.26III. CONCLUSIONUn texte habileLe premier élément qui sauteaux yeux dès que l’on s’intéresseun peu à ce décret, c’est l’ambiguïtéentretenue et savamment dosée. Cetexte fait pour être lu par <strong>de</strong>sévêques catholiques fut étudiépour être lu par <strong>de</strong>s yeux catholiques,autrement dit à la lumière <strong>de</strong>la Tradition. Et <strong>de</strong> fait, lorsqu’onlit ce texte assez rapi<strong>de</strong>ment avec<strong>de</strong>s yeux catholiques et sans a priorisur la sincérité <strong>de</strong>s auteurs, on interprètenaturellement en bien lesambiguïtés, et inconsciemment onremet le véritable ordre dans notreesprit en se référant aux phrasesqui rappellent apparemment ladoctrine catholique ; en somme, onrefait dans notre esprit et sans s’enrendre compte, un nouveau texteconforme à la Tradition. On tordpar notre intelligence le texte quin’a plus grand-chose à voir avec levéritable document. Si au contraireon lit ce texte avec <strong>de</strong>s yeux neufs,ignorants <strong>de</strong> la théologie <strong>de</strong> l’ordre,ou dès qu’on l’étudie <strong>de</strong> près (ce quen’ont pu faire les évêques <strong>de</strong> VaticanII, faute <strong>de</strong> temps), on voit lesacerdoce ordonné principalementau peuple chrétien.Une codification du passé et unprincipe pour l’avenirUne <strong>de</strong>uxième remarque quel’on peut faire, c’est que ce texteest une codification d’expériencespastorales, liturgiques ou ecclésiales<strong>de</strong>s années 50 qui aboutissent àune nouvelle définition du prêtre.Citons à titre d’exemples, les messesface au peuple avant le concile,avec une participation toujoursplus gran<strong>de</strong>, toujours plus « sacerdotale» <strong>de</strong>s fidèles, le goût prononcéet exacerbé pour l’action catholiqueet ses succédanés (JEC, JOC,etc.), la maladie <strong>de</strong> la « commissionite» ou « réunionite » où le prêtreest vu comme prési<strong>de</strong>nt d’unecommission liturgique, les prêtresouvriers (« le décret P.O. a pu faireplace aux prêtres ouvriers, ce qui s’étaitavéré très difficile dans une théologiedu sacerdoce dominée par la seule idée<strong>de</strong> consécration. » « Comment participerà la vie <strong>de</strong>s hommes, en <strong>de</strong> tels milieux,sans partager ce travail professionnel? ») 28Le texte est une codification dupassé récent (« C’est plus qu’un texte.C’est dans l’Eglise, le fruit d’unelongue maturation qui a eu ses hiversaprès ses printemps. Travail<strong>de</strong>s théologiens, expérience vécue<strong>de</strong>s prêtres. » 29 ) mais aussi, etc’est le 3 e élément, un principe pourl’avenir, principe sur lequel on s’appuierapour justifier les changementssubséquents dans la messe,le bréviaire, la vie sacerdotale, laformation <strong>de</strong>s prêtres, le nouveaurituel <strong>de</strong> l’ordination sacerdotale,le nouveau catéchisme, le nouveauco<strong>de</strong> ou encore dans les textes postérieursrelatifs au sacerdoce (cf. lesyno<strong>de</strong> <strong>de</strong> 1971).Une ambiguïté à leverIl nous reste cependant une ambiguïtéà lever sur laquelle nousnous sommes déjà partiellement28 Congar, ibi<strong>de</strong>m, p. 249 et le p. Colin,p. 272.29 Le Sourd, ibi<strong>de</strong>m, p. 325.•étendus (cf. objection <strong>de</strong> la page 22).Le concile indique le bien <strong>de</strong>s fidèles(plus exactement P.O. précisele sacerdoce <strong>de</strong>s fidèles, ce qui estune tout autre dimension) commela source, la raison d’être du sacerdoce<strong>de</strong>s prêtres. De ce principe,P.O. déduit que la fonction principale<strong>de</strong>s prêtres est le soin apportéau peuple <strong>de</strong> Dieu. Il nous sembleque là se trouve la confusionprincipale <strong>de</strong> tout le décret, et quirevient constamment. Dans unevision classique du sacerdoce, celui-cia comme double fin ultime lagloire <strong>de</strong> Dieu et le bien <strong>de</strong>s fidèles(double fin qui est la raison d’être<strong>de</strong> l’institution du sacerdoce), etcomme double fin prochaine le corpsphysique <strong>de</strong> N.S. et en second lieuson corps mystique. Pour P.O. une<strong>de</strong>s fins <strong>de</strong> l’institution du sacerdoce(le bien commun <strong>de</strong> l’Eglise)<strong>de</strong>vient la fin principale du sacerdoce.On glisse ainsi <strong>de</strong> la fin ultime(effet du sacerdoce) à la finprochaine. Pour reprendre l’exempledu sacrement <strong>de</strong> mariage, dansce <strong>de</strong>rnier, le concile a inversé les<strong>de</strong>ux fins prochaines (procréation
•et soutien mutuel), mais non lesfins ultime (le bien <strong>de</strong> la société)et prochaine. Ici, la confusion n’estpas tellement <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong>s <strong>de</strong>uxfins prochaines (encore que…) que<strong>de</strong> celui <strong>de</strong>s fins prochaines et ultimes(comme si l’on disait que la finpremière du mariage est la sociétéet non la génération). D’où les conséquencesen casca<strong>de</strong>.Des influences acatholiquesIl nous semble possible <strong>de</strong> suggérerplutôt que d’exposer un rapi<strong>de</strong>rapprochement avec les doctrinesprotestantes et mo<strong>de</strong>rnistes.Quant à l’aspect protestant, onpeut y retrouver l’affirmation du sacerdoce<strong>de</strong> tous les fidèles, le rôle<strong>de</strong> prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> celui qui n’est plusqu’un pasteur, et enfin l’importanceprépondérante du sacrifice spirituel.Quant au rapprochement avecle mo<strong>de</strong>rnisme, il y aurait touteune relecture à faire du prêtrequi suscite par lui-même et son ministèrel’expérience <strong>de</strong>s fidèles, duprêtre qui est un signe, du prêtre“envoyé” dans le mon<strong>de</strong> pour révélerl’homme à lui-même et dialogueravec lui, <strong>de</strong> l’archéologisme<strong>de</strong>s auteurs, <strong>de</strong> leur mépris pourla doctrine scholastique ou issuedu concile <strong>de</strong> Trente, <strong>de</strong> ce doublegoût <strong>de</strong> la nouveauté et <strong>de</strong> l’Histoire,<strong>de</strong> ce sacrement qui rend étonnammentsigne… 30Un document dans la ligne <strong>de</strong>Vatican IIEnfin, ce texte n’est pas unîlot perdu dans l’océan vaticanesque.Il est dans la logique <strong>de</strong> LumenGentium, <strong>de</strong> Dignitatis humanæ.En ordonnant le prêtre au peuple<strong>de</strong> Dieu, il l’ordonne finalement àl’humanité, à l’homme, à la personnehumaine (puisque pour LumenGentium le peuple <strong>de</strong> Dieu est <strong>de</strong>façon ultime l’humanité 31 ). Le prêtre,homme du culte, <strong>de</strong>vient prêtredu culte <strong>de</strong> l’homme. A nouvellereligion, nouveau culte ; à nouveauculte, nouveau sacerdoce. On rejointégalement Gaudium et spes parcette ouverture au mon<strong>de</strong> et par leMesse pour <strong>de</strong>s marins sur un autel en forme <strong>de</strong> chaloupeDu dérèglement dans l’Ordrefait que dans ce <strong>de</strong>rnier document,tout homme est uni au Christ(n° 22), tout homme est sauvé par leChrist. Le sacrifice du Christ - <strong>de</strong>l’autel - pour sauver les hommes estpar conséquent inutile. Le sacrificese réduit alors à être un sacrifice<strong>de</strong> louange, celle du Corps mystiquequi remercie <strong>de</strong> son salut, <strong>de</strong> sadignité. On comprend dès lors quele prêtre se tourne premièrementvers ce peuple si digne, et ensuiteseulement vers le Corps eucharistique<strong>de</strong> Notre-Seigneur, désormaisaccessoire, relégué d’ailleurs on nesait où. « Pour achever ce point, nousdirions volontiers que la solution <strong>de</strong> VaticanII provient <strong>de</strong> la perspective initiale,qui est le mystère <strong>de</strong> l’universalitédu Salut (signe messianique par excellencecomme celui <strong>de</strong> la prédication faiteen tous lieux). Cette universalité appelleson signe hiérarchique qui est leCollège <strong>de</strong>s évêques successeur du Collègeapostolique, et par le fait même lesigne du ministère presbytéral, collaborationà la mission universelle <strong>de</strong>s évêques.Ainsi l’organicité du rapport épiscopat-presbytératne résulte pas d’abordd’une considération juridique, mais elledécoule <strong>de</strong> la nature même<strong>de</strong> l’Eglise, Corps du Seigneuret Sauveur universel.» 32 La religion <strong>de</strong>Dieu qui s’est fait hommeest alors <strong>de</strong>venuevéritablement la religion<strong>de</strong> l’homme qui sefait Dieu, et le prêtre<strong>de</strong> Dieu est <strong>de</strong>venu leprêtre <strong>de</strong> l’homme, <strong>de</strong>s« droits <strong>de</strong> l’homme ».Ajoutons pour finir,que pour <strong>de</strong>s membres<strong>de</strong> la Fraternité, ce décretest contradictoireavec nos statuts quicontiennent ces lignes bien traditionnelles: « La Fraternité est misetout spécialement sous le patronage<strong>de</strong> Jésus prêtre, dont toute l’existence aété et <strong>de</strong>meure sacerdotale et pour quile Sacrifice <strong>de</strong> la Croix a été la raisond’être <strong>de</strong> son incarnation. […] Le but <strong>de</strong>la Fraternité est […d’] orienter et réaliserla vie du prêtre vers ce qui lui estessentiellement sa raison d’être : le saintSacrifice <strong>de</strong> la Messe, avec tout ce qu’ilsignifie, avec tout ce qui en découle, toutce qui en est le complément. »30 Le cardinal Kasper a ces mots : « leprêtre lui [la communauté] est envoyé commeun don qui dépasse les possibilités <strong>de</strong> la communautéet qu’elle reçoit […] Dans cette perspective,la nécessité du ministère ordonné estun signe qui suggère et fait goûter la gratuitédu sacrement eucharistique. Elle témoigneque la communauté ne peut se donner par ellemêmel’Eucharistie. Elle ne peut la produirecomme une prestation qui serait sienne. » (citédans 30 jours, n. 5, 2003)31 « Comme le genre humain […] tend à l’unité[…], les prêtres ont le <strong>de</strong>voir d’autant pluspressant d’unir leurs préoccupations et leursmoyens […] pour écarter toute forme <strong>de</strong> divisionet amener l’humanité entière à l’unité <strong>de</strong>la famille <strong>de</strong> Dieu. » L.G. n° 28.32 Le p. Denis, ibi<strong>de</strong>m, p. 226.27