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Derrida : Hegel dans Glas (le dégel) - de Charles Ramond

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toutes <strong>le</strong>s pistes, ne donne presque jamais d’indications sur son but ou sur <strong>le</strong>sens général <strong>de</strong> son propos, ni sur sa métho<strong>de</strong> ; il multiplie <strong>le</strong>s très longuescitations, coupe <strong>le</strong>s phrases, <strong>le</strong>s mots, sans raisons apparentes, donne trèssouvent <strong>le</strong>s termes al<strong>le</strong>mands (<strong>dans</strong> <strong>le</strong> texte sur <strong>Hegel</strong>) sans qu’on voiepourquoi certains termes sont donnés et pas d’autres. Ajoutons à cela <strong>de</strong>constantes et baroques créations verba<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>s déclarationsincompréhensib<strong>le</strong>s ou incompréhensib<strong>le</strong>ment so<strong>le</strong>nnisées par la mise enpage : la sensation d’être <strong>de</strong>vant un texte hiéroglyphique est assez forte. Ladifficulté, ou plutôt <strong>le</strong>s difficultés supplémentaires et particulières à <strong>Glas</strong>viennent du fait que <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur-déchiffreur a <strong>de</strong>vant lui non pas une tâche(déchiffrer un texte), mais trois : déchiffrer <strong>de</strong>ux textes, et effectuer <strong>le</strong>urconfrontation, tâches <strong>de</strong>mandant <strong>de</strong> très grands efforts, sans pourtantpromettre, en cas <strong>de</strong> succès, aucun bénéfice en matière <strong>de</strong> sens, à ladifférence <strong>de</strong> ce qui s’est passé avec Champollion, puisque <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur sait dès<strong>le</strong> départ que l’auteur rit sous cape <strong>de</strong> ses efforts mêmes, et n’a proposé cestâches que comme preuve, comme mise en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur impossibilitémême, l’impossibilité du begreifen, du Begriff, l’impossibilité <strong>de</strong> refermer lamain sur son objet, l’impossibilité du geste philosophique en son essence eten sa pureté –celui <strong>de</strong> la « griffe » qui se serre sur sa proie, la griffe <strong>de</strong> l’Aig<strong>le</strong>–Hgl-, <strong>Hegel</strong> bien sûr.Si l’on s’en tenait là, cependant, je crois que, par paresse, on nerendrait pas vraiment justice à ce grand et beau texte qu’est <strong>Glas</strong>. Il est un peutrop faci<strong>le</strong> <strong>de</strong> consentir à, et <strong>de</strong> signer, <strong>le</strong> pacte d’incompréhensibilité que<strong>Derrida</strong> nous y propose, pour nous donner <strong>le</strong> prétexte d’abandonner purementet simp<strong>le</strong>ment à lui-même un texte aussi élaboré, aussi sophistiqué, aussiméticu<strong>le</strong>usement savant, je n’hésite pas à <strong>le</strong> dire, que celui <strong>de</strong> <strong>Glas</strong>. Si uncertain geste ou un certain type <strong>de</strong> compréhension est sans aucun doute misen échec <strong>dans</strong> et par <strong>Glas</strong>, c’est en effet par la construction positive d’un autretype <strong>de</strong> <strong>le</strong>cture et <strong>de</strong> compréhension <strong>de</strong>s textes philosophiques –nouvel<strong>le</strong>métho<strong>de</strong>, nouvel<strong>le</strong>s thèses, qu’on ne se hâtera pas d’appe<strong>le</strong>r« déconstruction » (même si bien sûr ce terme <strong>le</strong>ur conviendra), mais plus3


simp<strong>le</strong>ment et plus naturel<strong>le</strong>ment, comme <strong>le</strong> titre <strong>de</strong> l’ouvrage nous y invite,qu’on appel<strong>le</strong>ra peut-être du nom sonore <strong>de</strong> « <strong>Glas</strong> ». J’ai proposé ail<strong>le</strong>urs 1une explicitation claire <strong>de</strong> cette métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong>cture par <strong>le</strong> « glas » à propos dutexte sur Genet : j’ai donc déjà fait, si vous vou<strong>le</strong>z, un tiers du travail : je n’aipas signé <strong>le</strong> pacte d’illisibilité, tout au contraire j’ai pris <strong>Derrida</strong> au sérieuxlorsqu’il se revendique, <strong>dans</strong> <strong>Glas</strong>, philosophe « classique » (on entendd’ail<strong>le</strong>urs « glas » <strong>dans</strong> « classique » lorsqu’on tend un peu l’oreil<strong>le</strong> –maistendre l’oreil<strong>le</strong>, nous n’allons faire presque rien d’autre, jusqu’à peut-êtreentendre certaines choses, ou certaines thèses) ; et donc, je me suis renducompte que <strong>le</strong> texte sur Genet fournissait, très précisément et trèscomplètement, pourvu qu’on ait la patience <strong>de</strong> <strong>le</strong> lire, <strong>le</strong>s traits d’une métho<strong>de</strong><strong>de</strong> <strong>le</strong>cture nouvel<strong>le</strong>, qui doit être ici brièvement décrite pour commencer.On considère spontanément que la dé-construction est une sorteparticulière <strong>de</strong> vio<strong>le</strong>nce faite à un texte : c’est sans doute parce que <strong>le</strong> mot luimême<strong>de</strong> « déconstruction » évoque presque immédiatement celui <strong>de</strong>« <strong>de</strong>struction », et c’est aussi parce qu’on s’est habitué à croire que <strong>Derrida</strong>faisait subir aux textes qu’il commente <strong>de</strong>s torsions et <strong>de</strong>s déformations qui <strong>le</strong>srendaient méconnaissab<strong>le</strong>s –et peut-être d’ail<strong>le</strong>urs aurons-nous quelquefoisce sentiment tout à l’heure, lorsque je citerai tel ou tel passage <strong>de</strong> la <strong>le</strong>cture<strong>de</strong>rridienne <strong>de</strong> <strong>Hegel</strong> <strong>dans</strong> <strong>Glas</strong>.Cependant, <strong>Derrida</strong> prend bien soin <strong>de</strong> nous avertir du fait que, tout aucontraire, la métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong>cture qu’il adopte <strong>dans</strong> <strong>Glas</strong> est en réalité la moinsinterventionniste, et <strong>le</strong> plus mo<strong>de</strong>ste <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> commentaire : « ce qu’ilfaut éviter », explique-t-il en effet, « c’est <strong>de</strong> souligner, marte<strong>le</strong>r, re<strong>le</strong>ver <strong>de</strong>smots ou <strong>de</strong>s <strong>le</strong>ttres <strong>dans</strong> un texte dont <strong>le</strong> sty<strong>le</strong> glisse sur <strong>le</strong>s syllabesimportantes, eff<strong>le</strong>ure chaque partie <strong>de</strong> son corps, enfouit, efface <strong>le</strong>s essences,qui finissent par s’éga<strong>le</strong>r, assourdir <strong>le</strong>s sons au fond <strong>de</strong> la langue, <strong>dans</strong> lacrypte du palais. Tout », conclut-il, « doit flotter, suspendu, puis d’ail<strong>le</strong>urs1 « Déconstruction et littérature – <strong>Glas</strong>, un gui<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong>cture ». in <strong>Derrida</strong> – LaDéconstruction, Textes réunis et édités par Char<strong>le</strong>s RAMOND. Paris : PUF (coll. « Débatsphilosophiques », dirigée par Yves-Char<strong>le</strong>s ZARKA), 2005, pp. 99-142.4


ésonner après-coup pour la première fois » (p. 81). C’est la définition du« glas » comme métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> commentaire et <strong>de</strong> <strong>le</strong>cture : préparer l’oreil<strong>le</strong> àécouter un second coup (la <strong>le</strong>cture du texte qui suit cel<strong>le</strong> du commentaire)comme si c’était <strong>le</strong> premier (la <strong>le</strong>cture du texte).On comprend alors mieux la nature même du texte sur <strong>Hegel</strong> (trèsproche en cela du texte sur Genet). Le commentaire est très long, trèsminutieux, très proche du texte ou <strong>de</strong>s textes expliqués. Les citations sontinnombrab<strong>le</strong>s, souvent très longues. L’effet produit est donc clairement <strong>le</strong>contraire d’une présentation, d’un résumé, ou d’une reprise synthétisante. Lecommentaire, au contraire, <strong>dans</strong> son alternance et sa si gran<strong>de</strong> ressemblanceavec <strong>le</strong> texte commenté, finit par produire l’effet hypnotique que peut produiresur l’auditeur la cloche qui sonne <strong>le</strong> glas, dont au bout d’un certain temps onne peut plus dire si l’on vient d’entendre un coup, ou si c’est <strong>le</strong> souvenir ducoup précé<strong>de</strong>nt qui bat encore en nous.Il s’agira donc avant tout <strong>de</strong> laisser sonner, ou <strong>de</strong> laisser résonner <strong>le</strong>texte <strong>de</strong> <strong>Hegel</strong> lui-même. Le commentaire ne viendra donc pas s’interposerentre <strong>le</strong> texte et son <strong>le</strong>cteur, mais il va s’y enlacer, comme une glycine(exemp<strong>le</strong> fréquemment utilisé par <strong>Derrida</strong> en raison notamment du « gl » <strong>dans</strong><strong>le</strong> nom <strong>de</strong> cette plante), comme une glycine, donc, s’enlace à la plante qui lasupporte (ou qu’el<strong>le</strong> supporte, parfois on ne peut plus <strong>le</strong> savoir), ou encorecomme un parasite adhère à celui qui lui donne accueil, ou encore comme unmaquillage s’intègre et s’efface à la fois du visage pour <strong>le</strong> mettre en va<strong>le</strong>ur,l’embellir, <strong>le</strong> laisser paradoxa<strong>le</strong>ment être lui-même.On voit que, d’une certaine manière, <strong>le</strong> déconstruction est l’opposémême d’une interprétation, et on peut comprendre ainsi, éga<strong>le</strong>ment, un peumieux, la position imperturbab<strong>le</strong>ment classique que revendique <strong>Derrida</strong> <strong>dans</strong><strong>Glas</strong>. Je ne vois guère que Martial Gueroult qui ait montré, à peu près à lamême pério<strong>de</strong>, à l’égard d’auteurs comme Descartes ou comme Spinoza, lamême ambition paradoxa<strong>le</strong> d’écrire un commentaire à ce point transparentqu’on ne voie plus rien d’autre enfin, à travers lui, que la doctrine el<strong>le</strong>-même.C’est d’ail<strong>le</strong>urs la raison pour laquel<strong>le</strong> il est si diffici<strong>le</strong> (à mes yeux, c’est5


d’ail<strong>le</strong>urs la plus gran<strong>de</strong> <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s difficultés que réserve <strong>Glas</strong>) <strong>de</strong>déterminer la finalité généra<strong>le</strong> du propos <strong>de</strong> <strong>Derrida</strong>. Il s’écarte très rarement<strong>de</strong> son auteur, ne prend que très rarement ses distances avec lui : quelquestraits d’humeur sont perceptib<strong>le</strong>s sans doute, à l’égard <strong>de</strong> <strong>Hegel</strong>, lorsque celuicise laisse al<strong>le</strong>r à mépriser <strong>le</strong>s animaux 2 (p. 35), à se montrertraditionnel<strong>le</strong>ment et lour<strong>de</strong>ment misogyne, ou à donner toujours aux « juifs »un statut d’infériorité <strong>de</strong>vant (avant) l’avènement du christianisme –mais <strong>dans</strong>l’ensemb<strong>le</strong> il serait absur<strong>de</strong> <strong>de</strong> dire que <strong>Derrida</strong> critique <strong>Hegel</strong>, ou qu’ilcherche à <strong>le</strong> réfuter, ou à lui faire <strong>de</strong>s objections, ou à entrer avec <strong>dans</strong> unediscussion ou <strong>dans</strong> une controverse, ou même qu’il cherche à établir unethèse à son sujet. Ce serait directement al<strong>le</strong>r à contre sens du geste même <strong>de</strong><strong>Derrida</strong>. Je ne crois même pas que nous <strong>de</strong>vrions accepter <strong>de</strong> penser que<strong>Derrida</strong> propose une <strong>le</strong>cture partiel<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>Hegel</strong> –qu’il en laisse résonnerseu<strong>le</strong>ment certaines harmoniques et pas d’autres –qu’il serait en quelquesorte un filtre, auditif ou visuel, entre <strong>Hegel</strong> et nous. Car ce serait faire revenir<strong>de</strong> l’intention et <strong>de</strong> la finalité <strong>dans</strong> un commentaire qui fait effort au contrairevers la plus tota<strong>le</strong> objectivité. <strong>Derrida</strong>, en effet, n’a pas du tout choisi, <strong>dans</strong><strong>Glas</strong>, <strong>de</strong> traiter <strong>de</strong> thèmes mineurs ou marginaux chez <strong>Hegel</strong> (d’ail<strong>le</strong>urs, cecin’aurait aucun sens <strong>dans</strong> l’économie généra<strong>le</strong>ment circulaire du système, oùtout point peut faire office <strong>de</strong> passage, mais aussi <strong>de</strong> point <strong>de</strong> départ et <strong>de</strong>point d’arrivée). Au contraire, comme je vais maintenant l’indiquer, il choisit, oubien <strong>de</strong> se confronter au concept central <strong>de</strong> la dia<strong>le</strong>ctique hégélienne, à savoirl’Aufhebung ; ou bien (ou plutôt « et à la fois », du même geste, en mêmetemps), il s’attache à montrer, précisément, qu’une notion qu’on aurait pucroire secondaire et périphérique <strong>dans</strong> <strong>le</strong> système, à savoir « la famil<strong>le</strong> », doittrès nécessairement y être placée en son cœur, ou à son somment, à savoir<strong>dans</strong> <strong>le</strong> Savoir Absolu lui-même.* * *C’est <strong>dans</strong> <strong>Glas</strong>, p. 260, que se trouve la fameuse formu<strong>le</strong> placée par2 Voir <strong>Glas</strong>, p. 35, 128, 130, 138.6


Geoffrey Bennington en quatrième <strong>de</strong> couverture <strong>de</strong> son livre sur <strong>Derrida</strong> :« Dès qu’il est saisi par l’écriture, <strong>le</strong> concept est cuit ». Et il est vrai qu’onaurait là, avec cette phrase, l’indication d’un geste constant chez <strong>Derrida</strong>, <strong>le</strong>geste <strong>de</strong>rridien par excel<strong>le</strong>nce, qui consiste à montrer, toujours et partout, quela question <strong>de</strong> l’écriture est la question sur laquel<strong>le</strong> viennent échouer, voire sebriser, <strong>le</strong>s gran<strong>de</strong>s constructions qu’il appel<strong>le</strong> « métaphysiques », au premierrang <strong>de</strong>squel<strong>le</strong>s cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Platon et <strong>de</strong> Rousseau, comme on sait. De ce point<strong>de</strong> vue, <strong>Glas</strong> s’inscrit parfaitement <strong>dans</strong> la « stratégie » <strong>de</strong> <strong>Derrida</strong> (je vais dire<strong>dans</strong> un instant pourquoi je dois ici mettre <strong>de</strong>s guil<strong>le</strong>mets à « stratégie »). Ils’agit en effet pour <strong>Derrida</strong> <strong>de</strong> montrer, ou plutôt, parce que ce verbeimpliquerait une intention et une finalisation, que, comme je l’ai dit, <strong>le</strong> type <strong>de</strong>commentaire adopté par <strong>Derrida</strong> refuse –Il s’agit, donc, bien plus passivement,<strong>de</strong> laisser <strong>le</strong> texte montrer lui-même (et en ce sens la métho<strong>de</strong> déconstructiveest assez semblab<strong>le</strong> à l’ironie socratique, qui consiste à laisser <strong>le</strong>s argumentsou <strong>le</strong>s thèses se ruiner d’eux-mêmes), <strong>de</strong> laisser, donc, <strong>le</strong> texte lui-mêmemanifester <strong>le</strong>s limites <strong>de</strong> la conceptualité ou <strong>de</strong> la conceptualisation. Avec<strong>Hegel</strong>, c’est particulièrement diffici<strong>le</strong>, voire impossib<strong>le</strong> : car l’ambition <strong>de</strong> laspéculation est <strong>de</strong> ne laisser aucun reste : tout <strong>de</strong>vra être dépassé, re<strong>le</strong>vé,rien ne <strong>de</strong>vra pouvoir rester en <strong>de</strong>hors du cerc<strong>le</strong> dia<strong>le</strong>ctique ou spéculatif.C’est la raison pour laquel<strong>le</strong>, dès la première ligne du texte, aussi bien <strong>dans</strong> lacolonne <strong>de</strong> gauche concernant <strong>Hegel</strong> que <strong>dans</strong> la colonne <strong>de</strong> droiteconcernant Genet, <strong>Derrida</strong> nous indique on ne peut plus clairement que l’objetprincipal dont va traiter <strong>Glas</strong> est la question du « reste » : à gauche, 1 ère ligne :« quoi du reste aujourd’hui, pour nous, ici, maintenant, d’un <strong>Hegel</strong> ? » ; àdroite : « ce qui est resté d’un Rembrandt déchiré en petits carrés bienréguliers, et foutu aux chiottes se divise en <strong>de</strong>ux –comme <strong>le</strong> reste ». Et biensûr on sonne <strong>le</strong> glas pour une dépouil<strong>le</strong>, ou, comme on dit, pour <strong>le</strong>s restesd’une personne.<strong>Glas</strong> célèbre <strong>le</strong> reste. <strong>Derrida</strong> indique, dès la p. 11, qu’il va s’intéresserà ce qui, chez <strong>Hegel</strong>, « reste toujours d’irrésolu, d’impraticab<strong>le</strong>, d’innormal oud’innormalisab<strong>le</strong> ». Théoriquement, c’est impossib<strong>le</strong> : en effet, <strong>dans</strong> <strong>le</strong>7


système, ce qui est n’est qu’à la condition d’être re<strong>le</strong>vé : il y a stricteéquiva<strong>le</strong>nce entre « être » et « être re<strong>le</strong>vé » : « Dès lors que la questionontologique […] ne se déploie […] que selon <strong>le</strong> processus et la structure <strong>de</strong>l’Aufhebung, on ne peut plus <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r : qu’est-ce que ceci ou cela ? Ouquel<strong>le</strong> est la détermination <strong>de</strong> tel ou tel concept particulier ? L’être estAufhebung. L’Aufhebung est l’être, non pas comme un état déterminé, oucomme la totalité déterminab<strong>le</strong> <strong>de</strong> l’étant, mais comme l’essence ‘active’productrice <strong>de</strong> l’être. El<strong>le</strong> ne peut donc faire l’objet d’aucune questiondéterminée. Nous y sommes sans cesse renvoyés mais ce renvoi ne renvoie àrien <strong>de</strong> déterminab<strong>le</strong> » (p. 42-43). Soit par exemp<strong>le</strong> un texte « tardif » <strong>de</strong><strong>Hegel</strong> consacré à « la détermination <strong>de</strong> l’esprit ». <strong>Derrida</strong> cite <strong>Hegel</strong> : « LaMatière est pesante <strong>dans</strong> la mesure où existe en el<strong>le</strong> une poussée vers <strong>le</strong> centre . El<strong>le</strong> est essentiel<strong>le</strong>mentcomp<strong>le</strong>xe et constituée <strong>de</strong> parties séparéesqui toutes ten<strong>de</strong>nt vers un centre (p. 30). <strong>Derrida</strong> commente(ibid) :« Tendance vers l’unité et <strong>le</strong> centre, la matière n’est donc l’opposé <strong>de</strong>l’esprit qu’en tant qu’el<strong>le</strong> reste résistante à cette tendance, en tant qu’el<strong>le</strong>s’oppose à sa propre tendance. Mais pour s’opposer à sa propre tendance, àel<strong>le</strong>, matière, il faut qu’el<strong>le</strong> soit esprit. Et si el<strong>le</strong> cè<strong>de</strong> à sa tendance, el<strong>le</strong> estencore esprit. El<strong>le</strong> est esprit <strong>dans</strong> tous <strong>le</strong>s cas, el<strong>le</strong> n’a d’essence quespirituel<strong>le</strong> ».Autrement dit –car évi<strong>de</strong>mment cet exemp<strong>le</strong> est généralisab<strong>le</strong>-, larelève a « toujours déjà » eu lieu, car seul ce qui est re<strong>le</strong>vab<strong>le</strong> a une essence.C’est pourquoi il est a priori paradoxal et impossib<strong>le</strong> que quoi que ce soit <strong>de</strong>subsistant puisse rester en <strong>de</strong>hors du mouvement <strong>de</strong> l’Aufhebung. <strong>Derrida</strong> saitbien qu’il n’y a pas ici d’échappatoire concevab<strong>le</strong> : « c’est l’épreuve quim’intéresse, ni la réussite ni l’échec. Le cerc<strong>le</strong> n’est pas praticab<strong>le</strong>, niévitab<strong>le</strong> » (p. 26). C’est là un point qui a été très bien mis en va<strong>le</strong>ur par Denis8


Kambouchner <strong>dans</strong> son artic<strong>le</strong> récent sur « <strong>Hegel</strong> en Déconstruction » 3 : d’uncôté, conceptuel<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong> crédit fait par <strong>Derrida</strong> à la « maîtrise » hégélienne,du et par <strong>le</strong> concept, est total (« <strong>le</strong> cerc<strong>le</strong> n’est pas évitab<strong>le</strong> ») ; <strong>de</strong> l’autrecependant (c’est pourquoi « <strong>le</strong> cerc<strong>le</strong> n’est pas praticab<strong>le</strong> »), « l’épreuve » àlaquel<strong>le</strong> <strong>Derrida</strong> ne va cesser <strong>de</strong> se soumettre est <strong>de</strong> présenter au systèmehégélien, et <strong>dans</strong> <strong>le</strong> système hégélien, <strong>de</strong>s îlots <strong>de</strong> résistance, ou plutôt <strong>de</strong>« restance » (pour employer son propre vocabulaire), c’est-à-dire <strong>de</strong>s îlots ou<strong>de</strong>s figures non re<strong>le</strong>vées, irre<strong>le</strong>vantes.D’abord, il y a la réf<strong>le</strong>xion généra<strong>le</strong> sur l’Aufhebung : <strong>dans</strong> la mesureoù la « relève » n’est pas une pure et simp<strong>le</strong> suppression, <strong>dans</strong> la mesure oùla relève conserve d’une certaine façon ce qui est re<strong>le</strong>vé, <strong>dans</strong> cette mesure,donc, il reste par définition toujours quelque chose d’irre<strong>le</strong>vé, donc quelquechose <strong>de</strong> restant, quelque reste <strong>de</strong> l’Aufhebung.Il y a, ensuite, <strong>le</strong>s propres constructions théoriques <strong>de</strong> <strong>Derrida</strong>, qui nesont qu’autant <strong>de</strong> façons <strong>de</strong> retar<strong>de</strong>r, <strong>de</strong> freiner, <strong>de</strong> différer en un mot, larelève du signe par <strong>le</strong> sens. En ce sens, il serait possib<strong>le</strong> <strong>de</strong> soutenir que <strong>le</strong>sprincipaux « concepts » forgés par <strong>Derrida</strong>, au premier rang <strong>de</strong>squels ladifférance, sont directement <strong>de</strong>s machineries antihégéliennes, ou plutôt <strong>de</strong>sgrains <strong>de</strong> sab<strong>le</strong> <strong>de</strong>stinés à paralyser <strong>le</strong>s machineries hégéliennes. C’est ainsique l’on pourrait légitimer et donc justifier, <strong>dans</strong> <strong>Glas</strong>, comme <strong>dans</strong> la plupart<strong>de</strong>s textes <strong>de</strong> <strong>Derrida</strong>, <strong>le</strong> type très particulier d’écriture qui est la sienne (et, <strong>de</strong>même, <strong>le</strong>s dimensions et la nature <strong>de</strong> l’ouvrage) : tout, <strong>le</strong>s jeux <strong>de</strong> mots, <strong>le</strong>sallusions, <strong>le</strong>s cryptocitations, <strong>le</strong>s copiages, <strong>le</strong>s termes en langue étrangère, lamultiplication <strong>de</strong>s colonnes, l’obligation donc <strong>de</strong> lire cet énorme livre (en)plusieurs fois, <strong>le</strong> soupçon que <strong>Derrida</strong> fait peser sur <strong>le</strong> fait qu’on ne démê<strong>le</strong>rajamais tout ce qui y est enveloppé, qu’on n’entendra jamais tout ce qu’il y a àentendre, etc, tout cela est une façon <strong>de</strong> différer <strong>le</strong> plus possib<strong>le</strong>, voireindéfiniment, <strong>le</strong> eurèka du <strong>le</strong>cteur, d’empêcher ou <strong>de</strong> différer la relève par lacompréhension. Au « toujours-déjà » <strong>de</strong> relève, fait obstac<strong>le</strong> <strong>le</strong> « pas encore »3 Voir note 1.9


<strong>de</strong> la différance et du délai.Surtout, <strong>Derrida</strong> laisse <strong>le</strong>s textes <strong>de</strong> <strong>Hegel</strong> présenter eux-mêmes <strong>le</strong>séchecs <strong>de</strong> cette relève. Avec une mauvaise foi impavi<strong>de</strong>, <strong>Derrida</strong> rapproche <strong>le</strong>nom <strong>de</strong> « <strong>Hegel</strong> » du mot français « aig<strong>le</strong> » (alors qu’il sait très bien, cf. p. 65,que « aig<strong>le</strong> » se dit « Ad<strong>le</strong>r » en al<strong>le</strong>mand). Mais, outre la résonance du« glas », ou du « gl » <strong>dans</strong> « <strong>Hegel</strong> », qui permet à <strong>Derrida</strong> d’unifier sa <strong>le</strong>cturedu nom <strong>de</strong> <strong>Hegel</strong> et cel<strong>le</strong> du nom <strong>de</strong> Genet (en fait Jean Galien), outre aussil’importance absolument décisive, chez <strong>Hegel</strong>, <strong>de</strong> l’ange Gabriel (G-L) (p. 66,249), comme, aux oreil<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Genet, <strong>de</strong> sa mère Gabriel<strong>le</strong> (G-L) –et biend’autres raisons en GL que je n’ai pas <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> détail<strong>le</strong>r ni même d’évoquerici– outre, donc, ce remarquab<strong>le</strong> GL, ce qui permet à <strong>Derrida</strong> <strong>de</strong> rapprocher<strong>Hegel</strong>, c’est évi<strong>de</strong>mment <strong>le</strong> côté impérial du personnage, mais aussi <strong>le</strong> faitqu’il a reçu, comme <strong>le</strong> rappel<strong>le</strong> <strong>Derrida</strong> p. 206, une certaine distinction : « Lamédail<strong>le</strong> offerte à <strong>Hegel</strong> par ses élèves porte sur son verso un génie cé<strong>le</strong>ste,<strong>de</strong>bout, et flanqué d’une femme sur sa droite. El<strong>le</strong> tient une croix dont <strong>le</strong> génieva s’emparer. De l’autre côté, un philosophe assis <strong>de</strong>vant une colonne. Au<strong>de</strong>ssus<strong>de</strong> la colonne, la chouette qui prend son vol au bout <strong>de</strong> l’histoire. Lephilosophe écrit <strong>dans</strong> un livre sur ses genoux. À peu près au même moment,<strong>Hegel</strong> est fait chevalier <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> l’Aig<strong>le</strong> Rouge <strong>de</strong> 3 ème classe pourservices rendus à la science et en sa qualité <strong>de</strong> professeur ». On trouve uneautre légitimation <strong>de</strong> l’association <strong>Hegel</strong>/Aig<strong>le</strong> p. 22 : « Le rêve <strong>de</strong> l’aig<strong>le</strong> estd’alléger. Partout où ça tombe –Élève : c’est <strong>le</strong> mot que je traite ici, comme lachose, en tous <strong>le</strong>s sens ».<strong>Derrida</strong> accor<strong>de</strong> donc une importance toute particulière à un courtpassage d’une discussion, par <strong>Hegel</strong>, du livre <strong>de</strong> Men<strong>de</strong>lssohn Jerusa<strong>le</strong>mo<strong>de</strong>r über religiöse Macht und Ju<strong>de</strong>ntum, <strong>de</strong> 1783. Il s’agit d’une comparaison(Verg<strong>le</strong>ichung), qu’on trouve <strong>dans</strong> <strong>le</strong> Deutéronome (32), entre Moïse et unAig<strong>le</strong> essayant d’apprendre à ses petits à vo<strong>le</strong>r : « Dans <strong>le</strong> regard qu’il jette sursa vie politique, Moïse compare la manière dont <strong>le</strong>s juifs suivirent <strong>le</strong>ur Dieu àtravers lui à la conduite <strong>de</strong> l’aig<strong>le</strong> qui veut habituer ses petits à vo<strong>le</strong>r : il necesse <strong>de</strong> battre <strong>de</strong>s ai<strong>le</strong>s au-<strong>de</strong>ssus du nid, il <strong>le</strong>s prend aussi sur ses ai<strong>le</strong>s et10


<strong>le</strong>s emporte au loin » (p. 65). <strong>Hegel</strong> reprend alors la paro<strong>le</strong> : « Seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>sjuifs n’accomplirent pas cette bel<strong>le</strong> image , ces aiglons ne sont pas<strong>de</strong>venus <strong>de</strong>s aig<strong>le</strong>s ; <strong>dans</strong> <strong>le</strong>ur rapport à Dieu, ils donnent plutôt l’image d’unaig<strong>le</strong> qui aurait, par méprise, couvé <strong>de</strong>s pierres, <strong>le</strong>s initiant à son vol, <strong>le</strong>semportant avec lui <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s nuages, mais dont la pesanteur ne peut jamais<strong>de</strong>venir vol, dont la cha<strong>le</strong>ur d’emprunt n’éclata jamais <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s flammes <strong>de</strong> lavie ». <strong>Derrida</strong> commente aussitôt : « La logique du concept est <strong>de</strong> l’aig<strong>le</strong>, <strong>le</strong>reste <strong>de</strong> pierre [je souligne, CR]. L’aig<strong>le</strong> saisit la pierre entre ses griffes ettente <strong>de</strong> l’é<strong>le</strong>ver. Le Juif retombe, il signifie ce qui ne se laisse pas é<strong>le</strong>ver –re<strong>le</strong>ver peut—être mais nier dès lors comme juif- à la hauteur du Begriff. Ilretient, tire l’Aufhebung vers la terre […]. Pour la relève <strong>de</strong> cette pierre, ilfaudra une certaine Sainte Famil<strong>le</strong> ».Le juif, <strong>le</strong> judaïsme, font donc échec à la relève sous <strong>le</strong>s espèces <strong>de</strong> cequi tombe, <strong>de</strong> la pierre (avec un « p » minuscu<strong>le</strong>). On retrouve par ce biais unensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong> structures communes, <strong>dans</strong> <strong>Glas</strong>, aux textes sur Genet et sur<strong>Hegel</strong>, structures par <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s, me semb<strong>le</strong>-t-il, <strong>Derrida</strong> essaie <strong>de</strong>(dé-)construire <strong>de</strong>s restes, ou du moins, <strong>de</strong>s résistances à la relève.L’ensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>Glas</strong>, en effet, est une méditation sur un objetparadoxal au plus haut point : <strong>le</strong> tombeau, <strong>le</strong> monument funéraire.Généra<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong>s tombeaux sont en pierre, et contiennent <strong>de</strong>s restes. Maisce peuvent aussi être <strong>de</strong>s textes, <strong>de</strong>s œuvres : <strong>de</strong> ce point <strong>de</strong> vue, <strong>Glas</strong> est <strong>le</strong>tombeau <strong>de</strong> Genet, <strong>le</strong> tombeau <strong>de</strong> <strong>Hegel</strong>, comme Ravel a écrit un « tombeau<strong>de</strong> Couperin ». Un tombeau, ou une tombe, cela se construit, cela s’érige, celas’écrit, cela supporte <strong>de</strong>s inscriptions. <strong>Derrida</strong> ne va cesser, tout au long <strong>de</strong><strong>Glas</strong>, <strong>de</strong> revenir et <strong>de</strong> revenir sans cesse sur cette figure suprêmementparadoxa<strong>le</strong> qui est « l’érection » d’une « tombe », ou la construction,l’édification d’un tombeau. La tombe reste – <strong>le</strong> reste tombe. On a là,développée à l’infini, <strong>dans</strong> <strong>le</strong> texte sur Genet, sous la figure <strong>de</strong>s f<strong>le</strong>urs (etl’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la « religion <strong>de</strong>s f<strong>le</strong>urs » ouvre <strong>le</strong> texte sur <strong>Hegel</strong>), c’est-à-dire sousla figure <strong>de</strong> ce qui ne s’érige, se dresse, que pour être coupé, ou encore, <strong>de</strong>l’échafaud, que l’on dresse, que l’on érige, pour couper, ou pour faire tomber la11


tête du condamné à mort (d’où, bien sûr, <strong>le</strong> glas) –on a là, donc, déclinée sous <strong>de</strong>nombreuses formes, une structure résistante à la relève parce quedirectement et intrinsèquement paradoxa<strong>le</strong> : tout ce qui se lève, ou se relève,en el<strong>le</strong>, n’est là que pour désigner, sous la tombe, <strong>le</strong> reste. La tombe que l’onconstruit en pierres, <strong>le</strong> colosse, la pyrami<strong>de</strong>, sont ainsi <strong>de</strong>s objets quidésignent d’autant plus <strong>le</strong> reste et la tombe qu’ils sont plus majestueusementé<strong>le</strong>vés. Voilà sans doute pourquoi, je pense, <strong>Derrida</strong> a accordé tantd’importance, <strong>dans</strong> sa <strong>le</strong>cture <strong>de</strong> <strong>Hegel</strong>, à cette « légen<strong>de</strong> » <strong>de</strong> l’aig<strong>le</strong> quicouvait <strong>de</strong>s pierres.Inversement, la véritab<strong>le</strong> relève, cel<strong>le</strong> qui n’advient que <strong>dans</strong> laphilosophie spéculative (cel<strong>le</strong> qui consiste en <strong>de</strong>s jeux spéculaires, supposantdonc <strong>de</strong>s « glaces ») va apparaître, <strong>dans</strong> la <strong>le</strong>cture-écriture <strong>de</strong>rridienne <strong>de</strong><strong>Hegel</strong>, comme une scène uniquement familia<strong>le</strong>, humaine trop humaine, seraitontenté <strong>de</strong> dire. <strong>Derrida</strong> procè<strong>de</strong> en effet à la mise en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> lasexualisation <strong>de</strong> l’Aufhebung, qu’il s’agisse <strong>de</strong> son rythme saccadé (<strong>dans</strong> <strong>le</strong>srenversements du pour au contre), qu’il s’agisse <strong>de</strong>s partenaires qu’el<strong>le</strong>implique, toujours à la limite <strong>de</strong> l’inceste (<strong>le</strong> fils <strong>dans</strong> <strong>le</strong> père, puis hors du père,<strong>le</strong> frère et la sœur figés <strong>dans</strong> un mariage stéri<strong>le</strong> et sans désir –Antigone-, lamère vierge qui enfante, <strong>le</strong> Saint Esprit et <strong>le</strong> Divin pénétrant tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>,jusqu’au bruit re<strong>le</strong>vé en son puis en signification explosant <strong>dans</strong> la bouchesous la forme du logos 4 … On se gar<strong>de</strong>ra <strong>de</strong> ne voir <strong>dans</strong> cette pansexualisation<strong>de</strong> l’Aufhebung, qui fait pendant à la pan-sexualisation <strong>de</strong>l’ontologie <strong>dans</strong> <strong>le</strong> texte sur Genet, que <strong>le</strong>s avatars d’une <strong>le</strong>cture4 <strong>Glas</strong>, p. 44 : <strong>le</strong> « mariage spéculatif » du « père » et du « fils », c’est « une colonne<strong>dans</strong> l’autre » ; p. 67 : « <strong>le</strong> père est <strong>le</strong> fils, <strong>le</strong> fils est <strong>le</strong> père ; et <strong>le</strong> Wesen, l’énergie essentiel<strong>le</strong><strong>de</strong> cette copulation, la Wesenheit du premier et du second, c’est l’essence <strong>de</strong> la CèneChrétienne » ; p. 80, à propos <strong>de</strong> la Cène : « pénétration in<strong>de</strong>ntificatoire <strong>de</strong>Jésus en ses discip<strong>le</strong>s » ; p. 84 : ce qui « lie » <strong>le</strong> père et <strong>le</strong> fils : Band [la sexualisation du« lien », ou <strong>de</strong> la copu<strong>le</strong>, est constante <strong>dans</strong> <strong>Glas</strong>, par <strong>le</strong>s équiva<strong>le</strong>nces être / lier (parexemp<strong>le</strong> un sujet et un prédicat) / ban<strong>de</strong>r (faire tenir ensemb<strong>le</strong> avec <strong>de</strong>s ban<strong>de</strong><strong>le</strong>ttes) /panser (maintenir bord à bord <strong>le</strong>s lèvres d’une plaie) / penser (établir <strong>de</strong>s liens)] ; p. 86, <strong>Glas</strong>joue <strong>de</strong>s sonorités renversées du « gland » (juif) et du « logos » (chrétien : celui qu’on a enbouche) ; p. 121 : « l’absolu sort <strong>de</strong> lui <strong>dans</strong> <strong>le</strong> fini, <strong>le</strong> pénètre <strong>de</strong> son infinité », etc ; ibid : <strong>le</strong>« rythme » <strong>de</strong> la dia<strong>le</strong>ctique : une série <strong>de</strong> « secousses continues, <strong>de</strong> sacca<strong>de</strong>sinterrompues » ; p. 122 : <strong>le</strong> « rythme <strong>de</strong> la pénétration du divin » ; 207 : Victor Cousin « veutse laisser pénétrer par <strong>le</strong> concept aquilin ».12


psychanalysante, réductrice, quand ce ne serait pas psychologique oubiographique <strong>de</strong> <strong>Hegel</strong> par <strong>Derrida</strong> 5 . Bien sûr, il y a <strong>dans</strong> la <strong>le</strong>cture <strong>de</strong> <strong>Derrida</strong>tout l’arsenal analytique souhaitab<strong>le</strong>, et on ne peut écarter <strong>de</strong> sa part, en 1974,un juvéni<strong>le</strong> et irrespectueux jeu <strong>de</strong> massacre. Souvenons-nous éga<strong>le</strong>mentque, quelques années auparavant, De<strong>le</strong>uze et Guattari avaient mis en pièces<strong>le</strong> familialisme freudien <strong>dans</strong> L’Anti-Œdipe, et que cela avait peut-être donné<strong>de</strong>s idées à <strong>Derrida</strong> au sujet du familialisme hégélien. Mais, quoi qu’il en soit,la <strong>le</strong>cture <strong>de</strong> <strong>Glas</strong> ne laisse pas <strong>de</strong> doute à ce sujet, il ne s’agit en aucunefaçon d’une surimposition, au texte <strong>de</strong> <strong>Hegel</strong>, <strong>de</strong> thèmes qui n’y figureraientpas. C’est bien <strong>le</strong> texte <strong>de</strong> <strong>Hegel</strong> qui transparaît <strong>dans</strong> <strong>Glas</strong> : mais, si j’ose dire,<strong>Glas</strong> <strong>le</strong> dégè<strong>le</strong>, laisse voir son mouvement, sa vie, ses hésitations, sesdifficultés, ses brutalités, ses pulsions et la cha<strong>le</strong>ur qui l’anime, qui anime laAufhebung, <strong>dans</strong> un remarquab<strong>le</strong> passage <strong>de</strong> l’Encyclopédie <strong>de</strong> la Nature, citépar <strong>Derrida</strong> p. 279 : « L’échauffement <strong>de</strong>s corps sonnants comme celui <strong>de</strong>s corps frappés et aussi <strong>de</strong>s corpsfrottés <strong>le</strong>s uns contre <strong>le</strong>s autres est <strong>le</strong> phénomène <strong>de</strong> la cha<strong>le</strong>ur naissant avec<strong>le</strong> son selon <strong>le</strong> concept ». <strong>Derrida</strong> commente, lit, laisse dire : « Il y a là encoreun procès d’Aufhebung <strong>de</strong> la matérialité. La mise en bran<strong>le</strong> du corps […] est relève <strong>de</strong> la rigidité du corps ». <strong>Hegel</strong> reprend, poursuit : « Le son et la cha<strong>le</strong>ur sont ainsiimmédiatement apparentés ; la cha<strong>le</strong>ur est l’accomplissement du Klang […]. Quand par exemp<strong>le</strong> une cloche est frappée, el<strong>le</strong> <strong>de</strong>vient brûlante ; et cette cha<strong>le</strong>ur brûlante n’est pasextérieure […]. Ce n’est pas seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> musicien qui s’échauffe, mais aussil’instrument ».Si nous commençons maintenant à entendre tous ces KL, ces GL,toutes ces cloches <strong>dans</strong> ces textes, alors nous avons peut-être déjàcommencé à entendre quelque chose <strong>dans</strong> <strong>Hegel</strong>.Je vous remercie <strong>de</strong> votre attention.5 Pour <strong>Derrida</strong> (p. 52) une <strong>le</strong>cture psychanalytique <strong>de</strong> <strong>Hegel</strong> ne saurait offrir un pointd’attaque extérieur au système, mais est toujours déjà enveloppée par lui.13

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