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paris<br />

souvent en scène deux couples<br />

de jeunes gens issus d’un milieu<br />

aristocratique, secondés<br />

de leur doublure comique<br />

incarnée par des valets. Cette<br />

version parodique des couples<br />

créait un climat de dérision<br />

tout à fait apprécié à cette<br />

époque. On retrouve dans<br />

Eliogabalo ces règles de structure.<br />

© D.R.<br />

© D.R.<br />

Un tyran dévoyé<br />

Le livret de l’opéra, dont on ne connaît pas<br />

de manière certaine l’auteur mais qui fut<br />

en tout cas retravaillé par Aurelio Aureli, est<br />

basé sur la vie de l’empereur romain Héliogabale<br />

et la prise de pouvoir d’Alexandre Sévère.<br />

Le personnage apparaît dans un texte de l’historien<br />

Lampidirius du iv e siècle qui le présente<br />

comme un des pires tyrans de tous les temps.<br />

Couronné empereur à quatorze ans, Héliogabale<br />

sera assassiné avec ses proches par un<br />

peuple révolté suite à quatre ans de débauche<br />

et de violence, permettant à Alexandre, son<br />

cousin, de prendre sa place. Le personnage<br />

dépeint par Cavalli est avant tout un irresponsable<br />

et un libertin, qui n’est pas sans rappeler<br />

le Don Juan de Tirso de Molina dont la<br />

pièce Le trompeur de Séville avait été jouée en<br />

1630. Une poignée de personnages gravitent<br />

autour d’Eliogabalo, notamment deux couples<br />

de jeunes Romains aristocrates, Alessandro et<br />

Flavia Gemmira ainsi que Giuliano et Eritea,<br />

conformément à la tradition. En courtisant les<br />

deux jeunes femmes, Eliogabalo déclenche un<br />

embrouillamini d’histoires amoureuses, où les<br />

personnages se méfient les uns des autres, se<br />

jalousent, se disputent, se séparent, et finalement<br />

se retrouvent. N’oublions pas d’évoquer<br />

aussi Zotico, confident de l’empereur, et un<br />

duo comique constitué de Nerbulone, serviteur<br />

d’Eliogabalo, et de Lenia, la nourrice.<br />

L’argument de l’opéra laisse imaginer un spectacle<br />

animé et extravagant nourri par l’omniprésence<br />

de la violence. L’œuvre s’ouvre sur<br />

les plaintes d’Eritea qui demande à Eliogabalo<br />

de l’épouser puisqu’il l’a violée, et se clôt sur un<br />

quatuor où les couples se reforment mais qui<br />

© Merri Cyr<br />

De gauche à droite : Franco<br />

Fagioli incarne Eliogabalo<br />

alors que Paul Groves chante<br />

le rôle d’Alessandro et<br />

Nadine Sierra celui de Flavia.<br />

repères<br />

14 février 1602 : naissance<br />

à Crema en Lombardie<br />

1616 : chantre à la chapelle<br />

San Marco de Venise<br />

1639 : Le Nozze di Teti e di Peleo<br />

1640 : second organiste<br />

de la chapelle San Marco<br />

1649 : Il Giasone<br />

1660 : Serse représenté à Paris<br />

au mariage de Louis XIV<br />

1665 : premier organiste<br />

de la chapelle San Marco<br />

1668 : Maître de chapelle à San<br />

Marco, composition de l’Eliogabalo<br />

1669 : Il Coriolano<br />

1675 : composition de la Missa<br />

pro defunctis pour huit voix<br />

14 janvier 1676 : décès à Venise<br />

peine à adoucir le combat de gladiateur et l’assassinat<br />

de l’empereur qui précèdent. Même<br />

Lenia est massacrée par la foule en colère, une<br />

fin peu conventionnelle pour un personnage<br />

destiné à faire rire. Mais la violence n’est pas<br />

le seul élément qui étouffe le comique. Les enjeux<br />

sexuels prennent également le pas sur la<br />

dérision.<br />

Avec Le Couronnement de Poppée, la dimension<br />

érotique prit une place importante dans l’opéra<br />

vénitien, pour ne pas dire centrale. Des héros<br />

lascifs et débauchés remplacèrent les traditionnels<br />

modèles de vertu. Comme l’explique Jean-<br />

François Lattarico, un protagoniste amoureux,<br />

esclave de ses pulsions sexuelles, devint la clé<br />

de voute des intrigues. À l’époque on l’appelait<br />

l’effemminato. Les librettistes commençaient à<br />

jouer sur la frontière entre les genres et donnaient<br />

souvent à voir des personnages travestis.<br />

Cette tendance allait de pair avec une grand<br />

liberté de mœurs qui s’était installée à Venise,<br />

notamment défendue par l’Académie des<br />

Ingogniti. Pour le musicologue, ce serait d’ailleurs<br />

un des membres de cette communauté libertine<br />

qui aurait écrit le livret de l’Eliogabalo :<br />

le librettiste Busenello, auquel il a consacré un<br />

essai remarquable (Busenello, un théâtre de la<br />

rhétorique) paru en 2013 chez Classiques Garnier.<br />

Cette mode du anti-héros à la sexualité<br />

ambiguë était née aussi des distributions vocales<br />

elles-mêmes, avec le succès croissant des<br />

castrats. Certains personnages masculins se<br />

voyaient dotés d’une voix plus aiguë que celle<br />

des femmes et brouillaient la différence entre<br />

les genres. Chez Cavalli, l’opéra Il Giasone est<br />

un des meilleurs exemples de la teinte érotique<br />

qui balayait les ouvrages lyriques de l’époque,<br />

mais l’Eliogabalo est également très intéressant<br />

.../...<br />

septembre/octobre 2016 cadences 3

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