Odd Nerdrum
Vivons caché Né en 1944 en Suède, où sa mère avait fui l’Allemagne nazie, il a étudié l’art dans les académies de Stockholm et d’Oslo, puis aux Beaux-arts de Düsseldorf, auprès de Josef Beuys qui n’a pas su le détourner de son envie de peindre des sujets inquiétants, oniriques et existentiels, à la manière des maîtres anciens. Célèbre en Europe du Nord et de l’Est, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis (où ses toiles valent plus de 200 000 $ en ventes publiques) Nerdum vit solitaire, en Islande, en Norvège et depuis trois ans en France, à Maisons-Laffitte, où il a acquis une étrange demeure néoclassique, dans un pays où il demeure parfaitement inconnu. C’est là que nous l’avons rencontré, grâce à la complicité de l’un de nos lecteurs, le peintre Jérôme Delépine. Si l’artiste a refusé – comme toujours - d’être photographié de face, il nous a parlé. Fait exceptionnel, car il a rompu tout lien avec la presse depuis plus de vingt ans, tant il était déçu par les articles, lui reprochant de ne pas être moderne. L’important est de préserver, au cœur du monde qui est ce qu’il est, sa propre liberté, sur une petite île que personne ne peut perturber. Mes peintres préférés sont Jean-François Millet et Eugène Carrière, parce qu’ils représentent la chose importante : la famille, cultivant son petit jardin. L’intimité. C’est ça, mon idéal. Je peins des soldats, mais je peins aussi ma femme, mes enfants, et parfois l’un de mes élèves, auquel je trouve une étrangeté particulière. Plutôt que mes cauchemars, c’est cela que j’aimerais peindre, de manière universelle, intemporelle et anonyme, comme l’ont fait Leonard de Vinci et Rembrandt. Peindre comme eux, encore et encore, des êtres qui pourraient tout aussi bien être des empereurs grecs que des moines asiatiques, jusqu’à la mort... Je n’aime pas les pays, je n’aime pas les drapeaux. Quand j’étais à l’Académie, le Pop-Art était à la mode. J’écrivais des vers, voulais suivre mes désirs. Mon père m’a mis en garde : attention, si tu veux aller au Paradis, il faut suivre la mode. C’est le seul moyen d’atteindre le succès. C’est vrai que lorsqu’on est médiocre, on a beaucoup d’amis. J’ai compris qu’il existait deux mondes. Et qu’à cette époque, revendiquer l’héritage gréco-romain, la beauté, était jugé démoniaque. Il fallait liquider les vieilles choses. C’était politique, pas spirituel. Moi, le diable est mon meilleur ami. Choisir la liberté, la fantaisie, échapper au consensus, c’est effectivement dangereux. Il faut être inconscient, ou masochiste. Naître artiste, talentueux, en réalité, c’est catastrophique. Les critiques m’ont assassiné lorsqu’ils ont vu mes premières toiles. Ils pensaient qu’ils allaient voir des femmes, superficielles, comme celles que peignaient Warhol, et je leur montrai la condition humaine. J’ai vraiment été persécuté. J’ai fait beaucoup d’expositions mais j’ai rencontré beaucoup de gens me disant qu’elles n’étaient ni bonnes, ni correctes, kitsch tout au plus. C’était du racisme. La plupart des historiens d’art ne valent pas mieux que certains soldats américains. Ce sont des tueurs. Programmés. En revanche, dès l’âge de dix-neuf ans, j’ai commencé à avoir des élèves.