Haiti Liberte 3 Fevrier 2021
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TANZANTAN<br />
Question de point<br />
Par Lemèm Latulipe<br />
vocabulaire politique en Haïti<br />
Le semble en voie de changement.<br />
Les politiciens ont-ils fait un grand<br />
pas ? Je ne saurais toutefois dire s’il<br />
s’agit d’« un pas en avant » résolu,<br />
djanm, ou d’un pas qui sera suivi de<br />
« deux pas en arrière », twoukoutoup<br />
twoukoutap. J’ai eu beau appeler l’ami<br />
Vladimir à mon secours, il ne m’est arrivé<br />
qu’un hiéroglyphe mal griffonné.<br />
Jean François Champollion lui-même<br />
n’y verrait que faucille et marteau. Je<br />
n’ose pas non plus parler de bond, ne<br />
sachant si c’est un « grand bond en<br />
avant » ou un « grand bond » en arrière.<br />
Toujours est-il qu’on ne parle plus<br />
de « proposition de sortie de crise ». Ces<br />
jours-ci, le nec plus ultra c’est « faire<br />
le point ». On affirme qu’« on fait le<br />
point ».<br />
Certains politiciens pensent en<br />
longueur, d’autres en largeur, un très<br />
petit nombre en profondeur, quelquesuns<br />
en épaisseur et l’immense majorité,<br />
point du tout. Un point, c’est tout. On<br />
n’a qu’à observer leur évolution au<br />
cours de l’année écoulée : une absence<br />
abyssale de vision, une impossibilité<br />
décevante de se mettre d’accord sur<br />
une stratégie constructive pour arriver<br />
à leur but commun. Aussi, les foules<br />
ne sont plus au rendez-vous. Les types<br />
se trouvent coincés dans la diagonale<br />
de leur nullité au point où lorsqu’ils<br />
parlent de faire le point on en arrive à<br />
se poser un gros point d’interrogation :<br />
qu’est-ce qu’ils racontent encore ces<br />
fainéants ?<br />
À court d’idées stimulantes, innovantes,<br />
créatrices – et c’est là son<br />
point faible – le politicien vous laisse<br />
sur votre faim. Par exemple, il commence<br />
un discours avec une phrase<br />
dont la subordonnée est tellement<br />
longue et insignifiante que vous avez<br />
le temps de faire un ti kabicha. Quand<br />
vous vous réveillez, aucune principale<br />
ne point encore à l’horizon. Finalement,<br />
reprenant son souffle, il<br />
prend une pause et s’attend à des<br />
applaudissements qui… ne viennent<br />
pas. Vous concluez que sa pensée est<br />
tombée dans le vide de son ignorance,<br />
qu’il n’avait rien à dire de convaincant.<br />
N’empêche, à ses yeux, il a ‘‘fait le<br />
point’’, à vous de comprendre.<br />
Le mec se fait un point d’honneur<br />
de vous dire qu’il maîtrise mieux<br />
que n’importe quel adversaire la dynamique<br />
de la situation en cours. Point<br />
par point, il vous raconte comment<br />
« depuis ces trente dernières années le<br />
pays est au point mort ». Son blablabla<br />
n’en finit pas et vous pouvez être certain<br />
qu’il va finir par vous débiter une<br />
tirade de son cru réclamant au moins<br />
deux points d’exclamation : ô mon<br />
pays ! Toi qui vas titubant, vacillant,<br />
trébuchant, languissant sous le poids<br />
de dirigeants incapables et irresponsables,<br />
lève-toi et marche ! Qui d’autre<br />
que lui peut avoir un point de vue aussi<br />
percutant ? Point du tout.<br />
Au pays, le vide politique est<br />
palpable sauf lorsque par moments, Jovenel<br />
fait le point sur les avancées des<br />
élections à venir en… <strong>2021</strong> et de sa<br />
Constitution dont personne ne sait de<br />
quelle potion à base de feuilles sezisman<br />
il nous prépare, ni comment il<br />
va s’y prendre pour organiser son<br />
referendum qui sera approuvé par la<br />
nation avec 99.9% de oui selon les<br />
pratiques démocratiques des Caucescu,<br />
Kim Jong-un et autres despotes de<br />
même pointure. Jovenel aura alors atteint<br />
l’apogée, le point culminant d’un<br />
parcours, selon lui, ‘‘sans faute’’. Point<br />
barre.<br />
Tous les partis politiques mis<br />
devant le fait accompli jovenellien<br />
d’une Constitution wè pa wè, lantèman<br />
pou katrè, incapables de faire un faisceau<br />
unitaire pour fese Jovenel par<br />
terre s’agitent comme diables dans un<br />
bénitier. Ils ne se lassent pas de rencontres<br />
à n’en plus finir, à Léogâne, à<br />
Une percée dont seul un fils de Dessalines eût été capable au point qu’il<br />
voulût changer de drapeau et faire flotter du rouge et du noir à la barbe<br />
des crétins de l’opposition qui se mirent à crier haro sur le baudet. Pòv<br />
Pitit !<br />
la Croix-des-Bouquets, à Bourdon, à<br />
Pétion-Ville, à la nonciature et ailleurs<br />
à la recherche d’un point commun<br />
pour renverser Jovenel, mais d’idées<br />
constructives, visionnaires ils n’en ont<br />
point. Lors de ces rencontres bidonnes,<br />
ça commence toujours bien par la lecture<br />
enthousiaste des points à discuter.<br />
Mais à peine les discussions<br />
entamées, il se trouve toujours un<br />
hurluberlu (un pavillon masqué de<br />
Jovenel ?) pour se lever et faire le coquin<br />
; il n’est pas d’accord avec tel ou<br />
tel autre point. Quand on lui demande<br />
de s’expliquer, il préfère s’engager dans<br />
d’interminables coquinades, détournades,<br />
pointades, contresens, contradictions<br />
à brouiller toutes les pistes. Dès<br />
lors, c’est lekòl lage : tumulte, verbes<br />
hauts, basses menaces verbales à<br />
peine voilées, bref, c’est la pagaille. Les<br />
délégués représentants de différents<br />
partis quittent sur la pointe des pieds,<br />
graine par graine ; personne n’a réussi<br />
à faire le point, celui qu’on pensait être<br />
‘‘le plus important’’ du moment.<br />
Alors que le monde politicien<br />
en était au point mort, à court d’idées,<br />
de propositions, de suggestions, de<br />
recommandations, alors qu’on s’y attendait<br />
le moins, un fils du Nord, du<br />
grand Nord, Pitit de son sobriquet<br />
politique, resté loin des convulsions<br />
propositionnelles de sorties de crise fit,<br />
le 26 janvier écoulé, une percée dont<br />
seul un fils de Dessalines eût été capable<br />
et dont la fulgurance déchira le<br />
voile du temple des crétins de l’opposition.<br />
‘‘Point n’est besoin d’un gros appât<br />
pour attraper une grosse bête’’ eût<br />
dit Amadou Koumba. En l’occurrence<br />
il suffisait d’une déclaration perçante<br />
pour que Pitit trouât la cuirasse du<br />
système.<br />
On devait s’y attendre car depuis<br />
quelques années déjà notre homme<br />
jouait un rôle d’annonceur, de déclarateur,<br />
de proclamateur, de propulseur,<br />
d’avertisseur, de déclanncheur de mobilisation<br />
populaire. Avec lui, il y a toujours<br />
eu du Vertières, de la butte Charrier,<br />
des kout kannon dans l’air, mais…<br />
Disons en passant qu’il avait cru bon<br />
de signaler que « la mobilisation n’est<br />
pas financée par la bourgeoisie ». Pourquoi<br />
cette précision, ce pléonasme ? Un<br />
Pitit ne peut n’être et naître que de la<br />
matrice du ti peuple. C’est un point existentiel<br />
incontournable. Alors ?<br />
Ainsi, au mois de mars en 2016,<br />
l’avertisseur klaxonnait qu’il reprenait<br />
la mobilisation au Cap-Haïtien, promettant<br />
de « bloquer » le pays et demandait<br />
aux autres départements de « nous<br />
attendre afin de renverser le régime en<br />
place ». Ce fut une mobilisation à nulle<br />
autre pareille. En effet, le proclamateur<br />
avait déclaré : « Demain, la mobilisation<br />
prendra une autre forme. Chacun<br />
se mobilisera chez soi ». Une forme<br />
rare, sans aucun doute. En principe on<br />
se mobilise sur le macadam, dans les<br />
rues, pancartes dehors toutes. Le faire<br />
chez soi, c’est tout à fait contradictoire.<br />
Quid du point à faire ? Pour employer<br />
un terme à la mode depuis COVID-19,<br />
ce fut une mobilisation zoom.<br />
Au mois de février 2018, à la<br />
suite d’un incendie qui s’était déclaré<br />
en milieu de journée au marché du<br />
Port, communément appelé “ Guérite”,<br />
au centre-ville de Port-au-Prince,<br />
moins d’une semaine après celui qui<br />
avait ravagé une partie du Marché en<br />
fer, Pitit s’était vraiment fâché. Revenant<br />
revigoré d’un voyage médical à<br />
Cuba, il s’était dit prêt, physiquement,<br />
à reprendre la mobilisation ; sans doute<br />
mentalement, psychologiquement<br />
aussi. Il avait assurément un point à<br />
faire.<br />
Il accorda alors, à partir du lundi<br />
26 février, une semaine au gouvernement<br />
pour satisfaire les besoins<br />
des victimes des marchés récemment<br />
incendiés dans la capitale. C’était sa<br />
façon diktate à lui de faire le point, à<br />
l’arraché, à l’emporte-pièce. Le chef de<br />
l’État ému (jusqu’aux larmes) eut immédiatement<br />
un entretien avec le Premier<br />
ministre le Dr Jack Guy Lafontant,<br />
kaptenn dèyèpòt, afin d’apporter la<br />
compassion nécessaire (sic), le réconfort<br />
(chrétien) et l’assistance ‘‘rapide’’<br />
du Gouvernement aux sinistrés (resic).<br />
Ces deux nigauds (dans un<br />
manoir hanté) invitèrent la population<br />
à garder son calme face à ‘‘cette<br />
épreuve à la fois douloureuse et inacceptable’’.<br />
Un point d’humanité de la<br />
part du gouvernement. Une commission<br />
inter ministérielle fut mise sur<br />
pied avec mission de prendre des mesures<br />
appropriées pour faire la lumière<br />
sur ce drame et rendre également le<br />
marché en fer à nouveau opérationnel<br />
dans les meilleurs délais. Tu entends<br />
bœuf…<br />
Les mauvaises langues rap-<br />
portent que depuis, plusieurs marchand-e-s<br />
font des cauchemars au cours<br />
desquels ils-elles voient des ombres<br />
apparaître avec des liasses de wachin-<br />
tonn en main, mais au moment de<br />
saisir ces cadeaux tombés de… l’Enfer,<br />
ils-elles voient la main disparaître dans<br />
un violent tourbillon de feu…<br />
Les pires mauvaises langues<br />
disent même que les distributeurs de<br />
wachintonn avaient pour instruction<br />
de tenir une conférence de presse annonçant<br />
‘‘que la lumière soit’’ (quoique<br />
la lumière ‘‘ne fut’’ jamais), ensuite de<br />
retourner au palais national avec les<br />
valises de billets verts et de les remettre<br />
à qui de droit pour faire le point sur le<br />
nombre de bénéficiaires de la bonté<br />
présidentielle…<br />
Joel H. Poliard<br />
M.D., M.P.H.<br />
Family and Community<br />
Medicine<br />
Public health and Pediatrics<br />
5000 N.E. Second Ave,<br />
Miami FL, 33137<br />
tel. (305) 751-1105<br />
Nul ne saurait accuser Pitit de<br />
manquer de la suite dans les idées. En<br />
effet, au mois d’août 2019, le mateur-déclanncheur annonça la re-<br />
proclaprise<br />
des manifestations anti-Jovenel à<br />
partir du 14 août, une date loin d’être<br />
anodine dans la mémoire collective<br />
haïtienne. Vint le 14, rien n’arriva.<br />
Les mauvaises langues se délièrent à<br />
nouveau. Il semble que le secrétaire de<br />
Pitit avait mal interprété les directives<br />
de son patron. Il avait emmené avec<br />
lui un cochon grimèl. Boukman fit une<br />
cochonne colère, une noire colère, et<br />
disparut dans un violent tourbillon de<br />
feu en chantant : mwen pa t fè Bwa<br />
Kayiman pou sèvi kochon etranje…<br />
Pitit annonce, en décembre<br />
de l’année dernière, une mobilisation<br />
populaire si la cherté de la vie perdure.<br />
D’une pierre proclamatrice, il fait<br />
quatre coups. Koulangit ! Il donne de<br />
mauvais points aux banques commerciales<br />
qu’il accuse d’être impliquées<br />
dans des spéculations qui provoquent<br />
une hausse du taux de change de la<br />
gourde par rapport au dollar ; il montre<br />
d’un doigt accusateur les importateurs<br />
d’avoir conservé les prix élevés<br />
en dépit de la forte baisse du taux de<br />
change.<br />
Enfin, il dénonce une complicité<br />
entre le secteur de la finance et des<br />
leaders de l’opposition pour l’empêcher<br />
de passer ses points de vue et défendre<br />
les intérêts de la population. Cerise sur<br />
le gâteau, il prévient que ‘‘la mobilisation<br />
populaire sera plus virulente que<br />
lors de la chute de Jean Claude Duvalier<br />
le 7 février 1986’’. Comme sa mère ! Et<br />
comme ma mère ! Woah ! C’est trop de<br />
coups pour un seul fistibal.<br />
Depuis, beaucoup d’eau a<br />
coulé sous les ponts. L’opposition,<br />
toutes tendances confondues, n’ayant<br />
jamais pu, ou voulu, saisir les perches<br />
annonceuses, propulseuses, avertisseuses,<br />
déclaratrices, proclamatrices<br />
de Pitit continua à jouer de ses<br />
pinces ambitionnelles comme crabes<br />
en panier. Ils ne firent absolument rien<br />
pour faire le point toutes les fois que<br />
l’occasion se présentait, d’autant que<br />
l’ambition ne vieillit point et que les<br />
politiciens misent sur le point de départ<br />
et le point d’arrivée, en négligeant le<br />
chemin qui passe entre les deux.<br />
Aussi, agacé au plus haut<br />
point par l’obsession constitutionnelle<br />
de Jovenel, sa prétention affichée de<br />
garder le pouvoir jusqu’au 7 février<br />
2022, et l’immobilisme de l’ensemble<br />
de l’opposition, Pitit s’est emporté. Il<br />
a décidé de faire le point : il a annoncé<br />
une série de mobilisations à partir du<br />
31 janvier jusqu’au 7 février, en vue de<br />
contraindre le président de la République<br />
à quitter le Palais national, le 7<br />
février au pipirit chantant. « Le mot<br />
d’ordre est la mobilisation populaire<br />
jusqu’au 7 février. Dans les dix départements<br />
du pays, nous allons lancer<br />
les mobilisations pour rappeler à Jovenel<br />
Moïse que son mandat arrivera<br />
à terme le 7 février <strong>2021</strong> », vle pa vle.<br />
On a l’impression que Pitit<br />
voyant le 7 février <strong>2021</strong> avancer à<br />
toute bouline a voulu mettre des bottes<br />
de cent lieues. Il devrait se rappeler<br />
que « rien ne sert de courir, il faut partir<br />
à point » et que je vèt, parti depuis<br />
longtemps, sait comment marquer<br />
les points. Le vrai point pour un dessalinien<br />
c’est de marcher drèt avec les<br />
masses en prenant tous les risques,<br />
comme tout vrai leader conséquent. Un<br />
point c’est tout. Simple comme tout.<br />
1 er février <strong>2021</strong><br />
Director: Florence Comeau<br />
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Vol 14 # 31 • Du 3 au 9 Février <strong>2021</strong><br />
<strong>Haiti</strong> Liberté/<strong>Haiti</strong>an Times<br />
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