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sein d’une même génération (historicité). Mais aussi à expliciter l’hypothèse d’une intentionnalité<br />

pulsionnelle, à la fois sexuelle et sociale, t<strong>ou</strong>rnée vers les autres, plus originelle que l’intentionnalité<br />

de la conscience constituante (pulsion et instinct).<br />

P<strong>ou</strong>r expliquer ces phénomènes, l’expérience de la maternité est exemplaire. Husserl y rec<strong>ou</strong>rt à<br />

plusieurs reprises, notamment dans un texte de 1935. Au point que l’enfantement paraît être<br />

l’expérience paradigmatique à la genèse de la pensée phénoménologique.<br />

En suivant les correspondances mises en lumière entre enfantement et phénoménologie,<br />

l’enfantement se laisse décrire en quatre phases successives. Le temps du désir et de l’attente d’un<br />

enfant est, p<strong>ou</strong>r une mère, un moment d’attention p<strong>ou</strong>r l’expérience intérieure de la maternité. Elle<br />

est mue par une intentionnalité pulsionnelle qui la porte vers son enfant. Cependant, l’enfant en elle<br />

n’est pas encore, p<strong>ou</strong>r elle, un autre moi, mais un moi autre, l’infans qu’elle était autrefois. Ce<br />

processus d’identification est au fondement de la sollicitude maternelle primaire. Puis,<br />

l’acc<strong>ou</strong>chement correspond p<strong>ou</strong>r une mère à un moment de dés-incarnation, de suspension de soi,<br />

qui peut prendre p<strong>ou</strong>r elle le sens d’une dé-naissance. C’est aussi un moment de régression où elle<br />

se confronte au sens de sa propre naissance, qui peut prendre la forme d’une question sur l’origine.<br />

Elle entre alors dans le temps de la convalescence qui est, p<strong>ou</strong>r elle, un moment de redirection et de<br />

constitution (soit de « ré-incorporation »). C’est-à-dire de ret<strong>ou</strong>r réflexif sur soi et de relance de sa<br />

vie conjugale et sociale, m<strong>ou</strong>vement par lequel mère et enfant se différencient progressivement l’un<br />

de l’autre. Ce moment de re-naissance prend le sens d’une co-naissance de la mère et de l’enfant,<br />

soit d’une donation à soi, de la mère et de l’enfant, ainsi que du monde. Mère et enfant se<br />

reconnaissent alors mutuellement comme deux personnes, à la fois séparées et reliées.<br />

En quoi cette phénoménologie de l’enfantement est-elle susceptible d’indiquer quelques pistes p<strong>ou</strong>r<br />

une éthique générative de l’enfantement à l’aune de sa probable fin ? Sont successivement<br />

considérés l’ethos maternel de l’attention, dans le temps du désir et de l’attente d’un enfant ; l’ethos<br />

maternel de la réduction (<strong>ou</strong> épochè), dans le temps de l’acc<strong>ou</strong>chement ; l’ethos maternel de la<br />

redirection-constitution, dans le temps de la convalescence ; enfin, l’ethos de la donation, dans le<br />

temps de la donation à soi, de la mère et de l’enfant.<br />

Dans la première phase, l’ethos maternel de l’attention invite à questionner le type d’intentionnalité<br />

qui est à l’œuvre à la genèse d’enfants qui seront « fabriqués » hors de t<strong>ou</strong>te fondation affective,<br />

sensorielle et intersubjective. On est proche du mythe faustien. Quelle serait la viabilité d’un enfant<br />

dont l’unité de développement, sa genèse, ne serait plus s<strong>ou</strong>tenue par l’intentionnalité pulsionnelle<br />

du corps maternel ? Corrélativement, comment imaginer qu’un fœtus soit éveillé à quelque<br />

intentionnalité pulsionnelle à l’égard d’une machine dép<strong>ou</strong>rvue d’affectivité et de sensorialité ?<br />

Enfin, comment la chair enfantine p<strong>ou</strong>rrait-elle s’incarner (incorporation de la chair) sans la<br />

sollicitude maternelle à l’œuvre dès le ventre maternel ? En <strong>ou</strong>tre, si ces enfants venaient à naître,<br />

quels moyens sommes-n<strong>ou</strong>s prêts à mettre en œuvre p<strong>ou</strong>r entendre, accompagner et guérir les<br />

s<strong>ou</strong>ffrances mémorielles de l’origine ?<br />

Dans la seconde phase, l’ethos maternel de l’épochè suggère une éthique générative de<br />

l’enfantement également n<strong>ou</strong>rrie par cette attitude philosophique de réduction « au monde de la<br />

vie » qui p<strong>ou</strong>rrait, d’une certaine manière, présider à t<strong>ou</strong>te délibération éthique relative à la<br />

naissance. Notamment à chaque fois que sont en jeu, dans l'accompagnement, le discernement et<br />

les débats éthiques, les questions relatives à la naissance : comment continuer à prévenir et à lutter<br />

contre les violences obstétricales et gynécologiques ? Comment mieux assurer encore le<br />

consentement libre et éclairé de la patiente <strong>ou</strong> encore respecter son droit à recevoir des soins visant<br />

à s<strong>ou</strong>lager la d<strong>ou</strong>leur ? Etc.<br />

Dans la troisième phase, l’ethos maternel de la redirection-constitution appelle le corps médical et<br />

social à s<strong>ou</strong>tenir une éthique de prévention et de soin de la relation maternelle primaire, si<br />

fondamentale au développement de l’enfant et à la convalescence de sa mère. Mais dans la<br />

perspective radicale de la fin de l’enfantement, il n<strong>ou</strong>s oblige aussi à considérer collectivement ce<br />

que n<strong>ou</strong>s faisons et ce que n<strong>ou</strong>s v<strong>ou</strong>lons lorsque n<strong>ou</strong>s n<strong>ou</strong>s acheminons vers la fin de l’enfantement :<br />

est-il raisonnable de penser que la plasticité et la résilience dont témoignent les êtres humains en<br />

devenir p<strong>ou</strong>rraient leur permettre de faire face à de telles mutations sans dommages collatéraux<br />

considérables ? Quel sera le sens d’être humain t<strong>ou</strong>t en étant dép<strong>ou</strong>rvu de t<strong>ou</strong>te trace mnésique<br />

Collège des Bernardins<br />

20 rue de Poissy - 75005 Paris<br />

www.collegedesbernardins.fr

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