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EXPLOITATION<br />
SÉRIES EN SALLES :<br />
UNION NATURELLE OU DE<br />
CIRCONSTANCE ?<br />
Alors que le format sériel<br />
suscite un grand engouement<br />
sur le petit écran, des<br />
distributeurs, associations et<br />
festivals l’introduisent dans<br />
les cinémas. Pour quels<br />
résultats, et<br />
quelles perspectives ?<br />
Le 29 novembre dernier, Les Alchimistes a distribué la<br />
série documentaire Rêves que ses réalisateurs Pascal<br />
Catheland et Arthur Perole ont pensée avant tout pour<br />
la salle. Sollicité par le vendeur Andana et convaincu de<br />
son potentiel sur grand écran, le distributeur s’investit<br />
sur le projet, déjà fort de son expérience de diffusion, en<br />
2019, de la série de Claire Simon, Le Village, d’une durée<br />
de plus de neuf heures. Violaine Harchin, co-fondatrice<br />
des Alchimistes, est revenue sur cette aventure au cours<br />
d’une table ronde sur le sujet des séries au cinéma*.<br />
L’obtention des visas « constitue déjà une étape. Il faut<br />
anticiper les différents types de projections, afin d’avoir un<br />
visa par épisode, et un autre pour une exploitation globale »,<br />
détaille Violaine Harchin. Pour la distributrice, pas<br />
question de changer le format de l’œuvre, pensée comme<br />
une série dès sa création, d'autant plus que la durée de<br />
Rêves et plus « abordable » (quatre épisodes de 25 minutes),<br />
et que les retours en festivals (notamment Cannes Séries)<br />
sont positifs. Il s’agit donc de convaincre les exploitants<br />
de la diffuser entièrement, ou seulement certains épisodes,<br />
« ce qui n’est pas gênant car ils sont pensés indépendamment<br />
les uns des autres ».<br />
À l’issue des discussions avec les exploitants et avec l’appui<br />
de l’association Cliffhanger ainsi que de la plateforme<br />
spécialisée documentaire Tënk, Rêves est sorti dans 12<br />
salles ; un résultat « pas si décevant, au vu du format atypique<br />
de l’œuvre ». Avec les cinémas de continuation, la série<br />
réussit à dépasser les 20 copies, mais « le travail est très<br />
laborieux. D’un côté, on a beaucoup de mal à convaincre<br />
les salles de faire de l’exploitation sèche, et de l’autre les<br />
séances événementielles ne sont pas un gage de réussite ». De<br />
surcroît, la distributrice déplore une « presse peu élogieuse,<br />
qui a soulevé la question du format, ce qui ne nous a pas<br />
aidés dans nos négociations, ainsi qu’un ciblage public jeune<br />
qui n’a pas porté ses fruits ».<br />
Une diversité pour quel public ?<br />
Au-delà de ce cas particulier, on peut s’interroger sur<br />
l’intégration ponctuelle de séries “télé” dans les salles de<br />
cinéma ; initiative que Gilles Boussion a pu expérimenter<br />
à maintes reprises au Pandora à Avignon (ex Capitole),<br />
qu’il co-dirigeait, puis au Frames Festival, dont il est le<br />
directeur général. Au cours d’une séance gratuite de Game<br />
of Thrones, organisée en 2017, il a sondé les attentes de<br />
son public : « C’était en août, donc après le festival d’Avignon.<br />
C’est toujours un mois compliqué pour les cinémas, et nous<br />
Rêves<br />
*Organisée le 5 <strong>février</strong> à la Cité de l’Économie et<br />
des métiers de demain à Montpellier, dans le<br />
cadre des Rencontres des espaces cinématographiques,<br />
festival organisé par l’association Le<br />
Diamant Vert, en partenariat avec le Master 2<br />
métiers de la diffusion de l’Université Paul Valéry<br />
Montpellier III.<br />
avons eu l’idée de projeter, tous les lundis, un épisode Game<br />
of Thrones. La salle était à chaque fois complète, et les<br />
réponses à notre sondage indiquaient que 92 % des consommateurs<br />
de séries présents dans la salle étaient prêts à payer<br />
entre 3 et 5 € pour assister à ce type d’événements ».<br />
Eloïse Pommiès a créé l’association Cliffhanger en 2018,<br />
à Grenoble, avec l’idée de travailler ce format « de manière<br />
collective ». À la suite de l’appel à projets 15-25 du CNC,<br />
l’association a lancé le dispositif La Loi des séries, qui<br />
vise à organiser des projections et des ateliers. Avec<br />
l’appui du Zola de Villeurbanne, un catalogue est mis<br />
à disposition des cinémas d’Auvergne-Rhônes-Alpes :<br />
« L’idée est que les salles n’aient à payer que la communication,<br />
car nous négocions les droits de projection en amont,<br />
et les animations d’ateliers sont à nos frais. Après, nous<br />
voyons ensemble ce qui a marché ou non pour pouvoir<br />
corriger le tir », déclare Eloïse Pommiès.. Car si ces<br />
projections et animations sont bien accueillies par le<br />
public, ce dernier ne répond pas pour autant toujours<br />
présent : « Spontanément moins fréquentées par le public<br />
jeune, les salles art et essai avec lesquelles nous travaillons<br />
doivent effectuer un travail de médiation plus important<br />
sur ces séances. D'autant plus que ce public jeune ne se<br />
déplace pas forcément en salles pour voir une série », d’après<br />
Eloïse Pommiès. En revanche, les séances peuvent se<br />
remplir quand des classes sont mobilisées autour d’une<br />
discussion en amont de la projection d’une série « plus<br />
confidentielle, qui correspond davantage aux volontés<br />
éditoriales de la salle en question, venant par exemple d’Arte<br />
ou de France TV Slash ».<br />
Pour <strong>2024</strong>, La Loi des séries fonctionne par carte<br />
blanche, où Cliffhanger s’adapte aux demandes des<br />
cinémas en négociant les droits des œuvres demandées.<br />
Une révision de la formule qui anticipe la fin des<br />
subventions de l’appel à projets du CNC et les incertitudes<br />
de 2025. Selon Eloïse Pommiès, « le dispositif<br />
pourra peut-être être prolongé, mais avec moins de cinémas,<br />
pour privilégier la qualité de chaque séance. En l’état,<br />
nous nous situons dans une zone de flou où les diffuseurs,<br />
en majorité, ne voient pas un grand intérêt à la diffusion<br />
en salles, et où ces dernières, avec la remontée de la fréquentation,<br />
nous sollicitent moins. » Expérimentées dans une<br />
période d’instabilité du secteur, les séries s’éloignent<br />
donc des cinémas, « mais trouveront peut-être, à l’avenir,<br />
un terrain fertile dans les cinémathèques ou les ciné-clubs ».<br />
Jules Dreyfus<br />
©Les Alchimistes<br />
14 N°463 / <strong>28</strong> <strong>février</strong> <strong>2024</strong>