CANNES <strong>2024</strong> Est-ce ce qui explique pourquoi les cinémas français affichent une meilleure santé que ceux d’ailleurs, malgré toutes les difficultés rencontrées ces dernières années ? Si la fréquentation est bien meilleure chez nous que chez nos voisins, c’est aussi grâce au grand choix de films, notamment français, qui détiennent une part de marché aux alentours de 40 %. C’est au moins deux fois plus que la part de marché du cinéma national de nos amis allemands, britanniques, espagnols, italiens… qui ont dès lors bien plus ressenti les effets des grèves des scénaristes et acteurs américains. Reste que les répercussions de cet arrêt de six mois de la profession l’année dernière se feront ressentir pendant 18 mois au minimum. Il est donc vraisemblable que <strong>2024</strong> soit encore une année compliquée… <strong>mai</strong>s je suis très optimiste pour 2025. Le cinéma est un art… <strong>mai</strong>s reste donc toujours une industrie ! Oui, <strong>mai</strong>s pas dans le sens de la fabrication en série héritée de la figure tutélaire de Henry Ford, et admirablement exprimée par Les Temps modernes de Charlie Chaplin. Avec un coût moyen de près de 5 M € pour réaliser un film, les investissements du cinéma relèvent effectivement du do<strong>mai</strong>ne de l'industrie. Or l’industrie correspond à un besoin ; le cinéma, lui, correspond à un désir. Et la grandeur du cinéma n'est pas de refaire pour la 20 e fois le même sujet légèrement arrangé ; c'est d’en trouver un nouveau, totalement original. À mon arrivée chez Gaumont, tout le monde parlait d’un film avec un requin qui mange des gens, <strong>mai</strong>s dont le requin artificiel posait problème au tournage parce que sa tête tournait à droite <strong>mai</strong>s pas à gauche… Finalement, ça va donner Les Dents de la mer. Que dire de l’idée de faire un film sur la plus grande catastrophe maritime civile, qui a entraîné 1 500 morts, le tout avec des comédiens à peine connus et pour un budget initial de 80 M$... qui va finalement monter à 250 M$ ? Et finalement ça donne Titanic. Et qui aurait pu imaginer qu’Intouchables, soit l'histoire de quelqu'un qui s'est cassé la colonne vertébrale en deltaplane, allait devenir le plus grand succès d'un film français à travers le monde ? Ce qui sauve le cinéma, c’est l’audace, avec l’imagination au pouvoir ! L’histoire du cinéma, y compris la vôtre, n'est pourtant pas qu’une succession de succès… Aucun parcours n’est fait que de succès, et d’ailleurs on n'apprend que de ses échecs. D’ailleurs, un film qui n'a pas de spectateurs est certes un échec, <strong>mai</strong>s ce n’est pas ce qui juge la qualité d'un film. À ce titre, Don Giovanni de Joseph Losey [que Gaumont a produit en 1978, ndr.] avait l'ambition d'apporter l'excellence de cet opéra au plus grand nombre via une adaptation avec les meilleurs artistes. Le pari économique était que cette œuvre cinématographique allait être universelle, sans emprise de la censure <strong>–</strong> dès lors exportable en URSS <strong>–</strong>, et qu’elle allait être régulièrement diffusée sur toutes les chaînes de télévision européennes. En France à sa sortie, le film a rassemblé 800 0000 spectateurs (plus d’un million aujourd'hui) ; le pari était gagné. Mais à l’international, l’échec a été total, pour des raisons culturelles que je ne m'explique pas, <strong>mai</strong>s je suis très fier que nous ayons fait Don Giovanni. À l’international, Don Giovanni de Losey a été un échec total ; <strong>mai</strong>s je suis très fier que nous l'ayons fait On sent bien que votre rapport au cinéma n’est pas qu’une histoire de chiffres, <strong>mai</strong>s avant tout de passion. Peut-on dire que vous êtes un banquier devenu saltimbanque ? Je ne me prends pas pour un saltimbanque… pas plus que pour un producteur d’ailleurs. Je me comparerais plutôt à un patron de clinique, qui essaye de faire en sorte que les parents, c'est-à-dire le producteur et le réalisateur, aient envie que leur enfant naisse dans mon établissement. C’est pour cela que je fais en sorte que chez Gaumont, il y ait les meilleurs pour accueillir les meilleurs. Sachant qu’il s’agit non seulement de découvrir des talents, <strong>mai</strong>s aussi de les garder, car le premier élément-clé, c'est la fidélité. Comme celle d’Alain Poiré, qui est rentré chez Gaumont en 1939 à 22 ans, sans aucune expérience, et y resté jusqu’à sa mort en 2000 [il est décédé peu après avoir produit son dernier film, Le Placard de Francis Veber, ndlr.]. Un autre élément marquant de votre parcours, ce sont les combats pour défendre la culture. À commencer par celui que vous menez à la tête de l’Association de lutte contre la piraterie. Quel bilan en tirez-vous aujourd'hui ? Si je suis devenu le président de l'Alpa en 2002, c'est parce que je pense que j'étais le seul, à l’époque, à voir que ce qui était en train de se passer dans la musique allait se passer dans le cinéma. C'est-à-dire qu'il suffisait d'un peu plus de capacité de mémoire pour passer du son à l'image. Il faut savoir qu'en France, aujourd'hui, il y a deux fois moins de jeunes auteurs-interprètes qui sont édités qu'il y a 20 ans. Le fait que n'importe qui puisse télécharger n'importe quel air de musique, n'importe quel film, sans être sanctionné, est ahurissant. Les combats que nous menons, nous les menons d'abord entre nous. Mais à un moment donné, l'arbitrage des pouvoirs publics est indispensable. Et donc vous avez porté ce combat, en n'hésitant pas à être aussi le chantre de la coercition, et en inventant la riposte graduée. La réponse graduée était probablement un concept tellement subtil qu’il n'a pas été bien compris, notamment par le Conseil constitutionnel. Plutôt que de donner une amende, il consistait à supprimer, pour un pirate récidiviste, l'usage de son ordinateur, pour une après-midi, un jour, une se<strong>mai</strong>ne, voire un mois ? Mais c'était l'époque des printemps arabes <strong>–</strong> qui nous ont bien déçus depuis <strong>–</strong>, et personne, de Bruxelles à Washington, n’a compris qu'Internet pouvait conduire à des catastrophes. Si aujourd'hui le téléchargement illicite a baissé en France, c'est grâce à nos actions auprès des tribunaux, conduisant les moteurs de recherche ou les fournisseurs d'accès, les uns à déréférencer et les autres à bloquer les sites pirates. Mais il faut aussi une sanction individuelle. À la fin de votre livre <strong>–</strong> attention spoiler <strong>–</strong>, vous émettez une proposition originale qui dépasse le périmètre du cinéma. Pouvez-vous nous dire quelques mots de cette idée de “Culture pour tous” ? Je suis très frappé de voir que la cohésion sociale française se délite un peu, et mon sentiment est que beaucoup de Français et de Françaises connaissent mal leur région, la région d'à côté, voire la capitale. Pour un investissement raisonnable, de quelque 500 M €, nous pourrions faire en sorte que tous les élèves de seconde, dans leur cursus scolaire, bénéficient d’une grande se<strong>mai</strong>ne (c'est-à-dire du vendredi au dimanche en huit) de visites, non pas avec des professeurs qui feraient un cours ennuyeux sur Rodin, sur Puget ou sur la Joconde, <strong>mai</strong>s qui donnent envie à des adolescents de 15-16 ans de découvrir Paris, leur capitale, <strong>mai</strong>s aussi d’autres grands sites historiques ou géographiques du pays. La France est le plus beau pays du monde, <strong>mai</strong>s les Français ne le connaissent plus suffisamment. Et donc, j'aimerais être sûr que quand un jeune arrive à l'université ou qu’il rend son premier travail, il soit déjà allé à Versailles ou au Mont Saint-Michel, dans les gorges du Verdon, les Alpes, les Pyrénées… Au fil de ces 50 ans d'histoire et de passion que vous avez connus avec le cinéma, quelle séance d'un film Gaumont vous a le plus marqué ? La présentation du Grand Bleu à Cannes, en <strong>mai</strong> 1988. Si la projection a été, disons, très “fraîche”, le dîner officiel qui a suivi était glacé ! Un de mes amis m’a demandé : « Mais Nicolas, comment peux-tu destiner un film aux adolescents dans lequel il y a trois suicides ? » Je m'entends lui répondre : « On n'a pas vu le même film… ». Heureusement, David, le fils de Daniel Toscan du Plantier, 23 ans à l’époque, était lui très enthousiaste et est retourné voir le film dès le lende<strong>mai</strong>n… comme tous les adolescents que l’on appellera plus tard la génération Grand Bleu. Et leur engouement a été tel que nombre de parents qui ne voulaient pas mourir idiots, et mieux comprendre leur enfant, sont eux aussi allés voir le film, qui finira donc par attirer plus de 9 millions de spectateurs en France. 24 N°468 / <strong>12</strong> <strong>mai</strong> <strong>2024</strong>
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