Lesnécessités de la parole et le travail d'équip.. - Table de Sable

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O!entation clinique
Les nécessités de la parole
et le travail d’équip#..
« Le monde n’est si meurtrier que parce qu’il est
aux mains de gens qui ont commencé par se tuer
eux-mêmes, par étrangler en eux toute confiance
instinctive, toute liberté donnée de soi à soi. »
C. Baubin La plus que vive - Gallimard -
coll. folio - Paris - 1999
Il est un fait humain à partir duquel il est sans doute
possible de s’accorder : quelle que soit la mission, l’orientation
et la composition d’une équipe, quel que soit son domaine
d’a"ivité, le travail d’une équipe s’articulant autour de tâches
communes et d’obje"ifs partagés en passe inévitablement, par
la parole... Le fait que toute équipe s’accorde d’une manière ou
d’une autre des espaces et temps de réunion – débriefing,
réunion de travail, table ronde, réunion d’équipe, “synthèse”,
séminaire, concertation... – met en lumière au cœur de cette
“articulation de personnes”, la parole, sa nécessité et son
efficacité à stru"urer les groupes humains.
juillet 2012
Marie-Christine Fouquay-Picard
– Pédopsychiatre –
responsable d’une institution de soin – enfant
en région Centre
responsable médical d’un CAMPS
en région Centre
David Fauvel

Dans une institution de soin – psychiatrique ou pédo-
psychiatrique – la parole est à plus forte raison, une
composante essentielle du travail d’équipe, c’est une banalité
que de le dire. Elle se trouve à la fois en première ligne, dans la
relation au patient, et de plus comme ce qui stru"ure les
échanges dans le travail d’équipe. Cet espace de parole – au fil
de l’histoire d’une institution – construit, petit à petit, ce que
l’on pourrait appeler un $pace de pe%ée, mieux, un “appareil à
penser” qui s’avère le véritable “outil” d’élaboration de ce qui
fait l’efficacité recherchée des soins...
Ainsi, empêcher, éviter, dénaturer, contourner ou
déserter cette parole – c’est-à-dire le lieu et le temps de parole
de l’équipe –, “gérer” et décider des choses en dehors, entre
quatre yeux et entre deux portes, pour quelques “raisons”
invoquées que ce soit, sont toujours des façons détournées de
s’en prendre au travail d’équipe ; en l’occurrence lorsqu’il s’agit
d’une institution psychiatrique, cela revient à porter atteinte
aux soins... et en définitive à nuire aux patients. Ce n’est pas
trop s’avancer que d’affirmer que les patients reçus en
institution pour y être soignés n’ont absolument pas besoin
des dysfon"ionnements qui tiraillent les professionnels, et
qu’il n’y aurait d’ailleurs aucune justification tenable, à ce qu’ils
pâtissent des enjeux institutionnels qui œuvrent à saper la
portée possible des soins.
Que la parole soit essentielle est une chose, mais encore
faut-il s’entendre sur ce que recouvre cette notion... “il y a
parler et parler”. Communiquer, dire, interdire, échanger,
dialoguer, exprimer, prévenir, avertir, informer, demander,
réclamer, questionner, dicter, édicter, ordonner, imposer,
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exiger, négocier, tergiverser, condamner, etc. s’appuient tous
sur le fait de parler mais les effets de ces différents modes du
“parler” se trouvent extrêmement différents parfois aux
antipodes les uns des autres. La parole comme condition sine
qua non d’un travail d’équipe de soignants dans un service de
psychiatrie ou de pédo-psychiatrie, relève d’un type de “parler”
spécifique. À grands traits, il s’agit d’une parole mettant en
circulation, le plus librement possible, entre les soignants les
sentis et ressentis issus de leurs rencontres avec les patients ;
une parole qui vise à tracer et retracer, rendre vivante et
sensible la présence singulière d’un patient ; qui vise à
approcher ses façons d’être, en particulier dans ses relations
soins ; une parole qui vise encore à comprendre son
“fon"ionnement psychique”, son “monde”...
C’est en tenant compte et en respe"ant cette spécificité
que l’on saisit combien il peut être réducteur et contre-
thérapeutique de croire, ou de faire en sorte, que les soignants
aient à “traiter de l’information”, comme peuvent le faire par
ailleurs, à grande échelle, les machines informatiqu$. Le
soignant ne travaille pas avec l’exa"itude d’une information
sur le patient, vérifiable et obje"ive, il travaille avec la vérité
d’un témoignage unique et subje+if dans le cadre d’une relation
humaine toute particulière... il y a entre ces deux dimensions
plus qu’un fossé, il y a tout un monde... celui du patient que
l’on tente d’entendre.
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Bien sûr on peut confondre exa"itude et vérité, on peut
tout aussi bien écraser toutes nuances, faire fi de l’histoire et
de la narration, rabattre tout discernement clinique et tout
questionnement thérapeutique pour “gérer” des patients et des
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soignants comme de simples “variables” entrant plus ou moins
dans le compte d’opérations décisionnelles où il s’agit avant
tout “d’a"er” les rouages d’une organisation institutionnelle au
service d’elle-même. Cette forme de brutalité vient a"ivement
méconnaître que les soignants qui sont au près des patients –
au chevet des patients, à suivre l’étymologie du mot clinique –
ne sont pas des mécaniciens, ni plus des gestionnaires,
“redresseurs de troubles”, ni des “opérateurs” ou des
“producteurs” de soin... ils sont soignants à se porter en
personne et en présence, au devant de ce qui traverse les
patients : souffrances, angoisses, violences, fantasmes, hors-
sens, morcellement, dissociation, douleurs, agis, dépression,
effondrement... c’est-à-dire au devant de toutes les formes du
souffrir, et de manifestations des pathologies psychiques
accueillies, des plus apparemment infimes au plus
spectaculaires, des plus semble-t-il bénignes au plus
dévastatrices...
Le mal-être des patients et leurs souffrances, quelles
qu’en soient les formes doivent pouvoir trouver lieu et appui à
même la présence du soignant... et présence veut dire dans ce
cas là : écoute, réceptivité, neutralité, bienveillance, fiabilité,
patience, juste distance, régularité... Par le biais d’attitudes
ajustées, mesurées, de paroles “vraies”, visant des effets
humanisants, thérapeutiques, les “interventions” soignantes ne
peuvent s’inscrire que sur cette première base, ce “fond de
présence”. Aussi diplômé soit-il, aussi “compétent”, formé,
aguerri ou expérimenté soit-il, un soignant isolé, hors-cadre et
hors -lien, perd immanquablement son “fond de
présence” (comme on dirait son “fond de commerce”).
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Tel l’emboitement de poupées russes, une institution de
pédopsychiatrie devrait pouvoir au contraire, offrir un cadre
fiable, “porteur”, à chacune de ses unités, chacune devrait
garantir à son tour une “enveloppe” sécure aux différents
temps de soins qui y sont articulés, c’est-à-dire une certaine
“sérénité” de base aux soignants qui y travaillent... En ce sens
dans une institution de soin, les attaques de la parole, des lieux
et temps de parole d’équipe, peuvent être reconnus dans leurs
effets “clivants” et isolants comme attaques des liens et en
dernier ressort comme manœuvres déshumanisantes
puisqu’elles viennent saper ce qui constitue la possibilité
même des rencontres entre patients et soignants : le fait que
leur présence puissent être parlante, parlée...
Ce travail de sape est-il sans doute au quotidien le lot de
nombreuses institutions ; il est difficile de concevoir que l’on
puisse être en poste dans un service public hospitalier de
psychiatrie ou de pédopsychiatrie pour autre chose qu’être au
service des patients... Mais la pluralité du désir humain est
telle que bien d’autres enjeux se font jour, s’ajoute voire se
substitue à la mission première officielle – le soin –, celle pour
laquelle l’institution elle-même a sa raison d’être. Les enjeux
de pouvoirs, de carrière et d’ambition personnelle, d’emprise
et de jouissance, lorsque ce ne sont pas des enjeux plus
profondément ancrés dans une “personnalité” – enjeux
narcissiques, identitaires, défensifs... – œuvrent plus ou moins
à bas bruit certes, mais œuvrent tout de même avec les
conséquences sur la parole et les liens que nous avons décrites
ici...
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Il n’est sans doute alors qu’un seul “maître-mot” à avoir
en tête ou à faire entendre, si possible, dans le souci de
préserver ce qui trame le “tissu institutionnel” : l’éthique. Une
réflexion éthique et déontologique amène sur le devant de la
scène institutionnelle ce questionnement de fond sur le sens et
l’essence de notre mission auprès des patients, sur la “nature”
de notre travail de soin, ses raisons et finalités, sur la portée et
la “qualité” de nos présences et finalement sur ce au service de
quoi nous nous inscrivons...
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