Turkestan chinois, LE MUQAM DES DOLAN - Document sans titre ...
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<strong>Turkestan</strong> <strong>chinois</strong><br />
<strong>LE</strong> <strong>MUQAM</strong> <strong>DES</strong> <strong>DOLAN</strong><br />
Musique des Ouïgours du désert de Taklamakan<br />
Chinese <strong>Turkestan</strong><br />
THE <strong>MUQAM</strong> OF THE <strong>DOLAN</strong><br />
Music of the Uighurs from the Taklamakan Desert
1. Bash bayawan muqam<br />
2. Zil bayawan muqam<br />
3. Chöl bayawan muqam<br />
4. Ötang bayawan muqam<br />
5. Hudek bayawan muqam<br />
6. Dugamet bayawan muqam<br />
7. Bom bayawan muqam<br />
8. Sim bayawan muqam<br />
9. Jula<br />
Huseyn Yahya, chant et tambour / drum dap<br />
Supi Turdi, chant et tambour / drum dap<br />
Muhammad Mutallip, chant et tambour / drum dap<br />
Ahat Tohti, luth / lute rawap<br />
Abduljlil Ruzi, cithare / zither qalun<br />
Hasan Nuri, vièle / spike fiddle ghijak dolan<br />
Collection fondée par Françoise Gründ et dirigée par Pierre Bois<br />
Enregistrements réalisés du 31 mars au 2 avril 2005 à la Maison des Cultures du Monde. Prise de son,<br />
mixage, prémasterisation, notice, mise en page et réalisation, Pierre Bois. Traduction française des<br />
poèmes, Mukaddas Mijit. Traduction anglaise, Frank Kane. Photographies, Marie-Noëlle Robert.<br />
Illustrations de couverture, Françoise Gründ. © et O P 2006 Maison des Cultures du Monde.<br />
Ce disque à été enregistré à l’occasion des concerts organisés dans le cadre du 9 e Festival de l’Imaginaire<br />
par la Maison des Cultures du Monde. Remerciements à Mlle Mukaddas Mijit, M. Ismaïl Ghupur, M. Razak<br />
Nur et M. Zhou Ji.<br />
INEDIT est une marque déposée de la Maison des Cultures du Monde (direction, Chérif Khaznadar).
<strong>Turkestan</strong> <strong>chinois</strong><br />
<strong>LE</strong> <strong>MUQAM</strong> <strong>DES</strong> <strong>DOLAN</strong><br />
Musique des Ouïgours du désert de Taklamakan<br />
L e Xinjiang ou <strong>Turkestan</strong> <strong>chinois</strong> 1 est la plus<br />
grande province de Chine. Située au nordouest<br />
du pays, cette vaste plaine de plus d’un<br />
million et demi de kilomètres carrés, bordée<br />
par les imposants massifs de l’Altaï, du Pamir<br />
et des monts Kunlun, offre un impressionnant<br />
paysage de déserts – le Taklamakan –, de<br />
rivières et de glaciers. Elle est le berceau d’une<br />
très ancienne civilisation turque issue des<br />
Huns : les Ouïgours, dont l’existence est attestée<br />
sous la forme d’une confédération clanique<br />
dès le Ve siècle de notre ère. Tour à tour chamanistes,<br />
bouddhistes, manichéistes et enfin<br />
musulmans, les Ouïgours vont utiliser deux<br />
systèmes d’écriture, l’écriture manichéenne et<br />
l’écriture ouïgoure dérivée du sogdien. À ce<br />
<strong>titre</strong>, ils vont s’affirmer dès le IXe siècle comme<br />
les civilisateurs de leurs voisins turco-mongols,<br />
et l’empire gengiskhanide adoptera leur écriture<br />
pour rédiger son code législatif.<br />
Attestée elle aussi dès l’antiquité dans des<br />
textes <strong>chinois</strong>, la musique ouïgoure donnera<br />
– 3–<br />
naissance au XV e siècle à une tradition classique,<br />
le muqam, fortement influencée par la<br />
civilisation islamique. Le répertoire canonique<br />
ouïgour, appelé onikki muqam, se compose<br />
de douze grandes suites vocales et instrumentales<br />
dont la forme et les principes<br />
modaux et rythmiques les apparentent aux<br />
traditions persane, irakienne, azerbaïdjanaise<br />
ou ouzbèke-tadjike au sein de cette<br />
grande aire turco-arabo-persane. Mais audelà<br />
de ces ressemblances formelles, le<br />
muqam ouïgour fait preuve d’une très<br />
grande originalité stylistique avec ses modes<br />
pentatoniques, ses mélodies à grandes<br />
enjambées, ses rythmes à 5, 6, 7 ou 9 temps,<br />
et ses techniques vocales spectaculaires.<br />
Si la tradition ouïgoure fait preuve d’une<br />
grande originalité à l’intérieur de l’espace culturel<br />
centrasiatique, cela est également vrai de<br />
celle des Dolan qui fait l’objet de ce disque.<br />
Des recherches récentes tendent à démontrer<br />
que les Dolan 2 sont un sous-groupe ethnique<br />
1. Expression à laquelle certains préfèrent celle de “<strong>Turkestan</strong> oriental” car elle exprime le rattachement culturel<br />
et linguistique des Ouïgours à l'aire centrasiatique turcophone plutôt qu'au monde <strong>chinois</strong>.<br />
2. Pour plus d'informations sur les traditions musicales des Ouïgours et des Dolan, nous renvoyons le lecteur<br />
aux publications de Sabine Trébinjac et aux travaux de Zhou Ji (cf. références en fin de notice).
des Ouïgours. Bien qu’ils peuplent une<br />
région parfaitement délimitée sur les marges<br />
du Taklamakan, ils n’ont jamais fait l’objet<br />
d’un véritable recensement et il existe peu<br />
d’études sur leur origine. Un mythe raconte<br />
cependant qu’ils descendent d’un clan mongol<br />
émigré au Xinjiang, comme semble l’indiquer<br />
l’origine du mot dolan. Agriculteurs et<br />
éleveurs de moutons, ils ont un système<br />
social assez différent de celui des Ouïgours et<br />
leur langue est une variante dialectale du<br />
ouïgour. Ils revendiquent enfin une tradition<br />
musicale spécifique, le muqam dolan, qu’ils<br />
considèrent à juste <strong>titre</strong> comme très différente<br />
du muqam ouïgour. Du reste, les traditionalistes<br />
préfèrent au terme muqam qu’ils<br />
jugent trop savant, celui de bayawan (littéralement<br />
: désert) qui rend mieux compte de<br />
l’enracinement de cette musique dans leur<br />
culture minoritaire et leur environnement.<br />
Cinq grandes caractéristiques distinguent en<br />
effet le muqam dolan du muqam ouïgour : il<br />
est entièrement dansé ; chaque suite est<br />
beaucoup plus courte que la suite ouïgoure<br />
(de 6 à 10 mn au lieu d’une à deux heures) ;<br />
l’interprétation vocale et instrumentale est<br />
très libre en ce sens que chaque musicien<br />
interprète à sa manière la mélodie commune,<br />
il en résulte un effet d’hétérophonie<br />
qui est le résultat d’un véritable choix esthétique,<br />
d’une recherche d’épaisseur sonore, et<br />
pas du tout d’un manque de compétence des<br />
musiciens. Ce principe hétérophonique qui<br />
prévalait encore au début du XX e siècle dans<br />
– 4–<br />
beaucoup de cultures musicales du monde<br />
islamique et qui s’est altéré, <strong>sans</strong> doute, au<br />
contact des musiques occidentales, reste<br />
donc ici le témoignage bien vivant d’une<br />
culture attachée à ses valeurs esthétiques. Le<br />
onikki muqam se fonde sur l’utilisation de<br />
douze modes musicaux, le muqam dolan en<br />
utilise neuf fondés sur des échelles de cinq,<br />
six ou sept degrés. Enfin, si la musique classique<br />
ouïgoure témoigne déjà d’une vigueur<br />
et d’un dynamisme rythmiques étonnants,<br />
les Dolan portent cette énergie à un véritable<br />
paroxysme, ce qui conduit des musicologues<br />
locaux à comparer le muqam ouïgour<br />
à la musique classique et le muqam dolan au<br />
jazz, allant parfois jusqu’à le surnommer<br />
jazz ouïgour.<br />
Cette musique est avant tout une musique<br />
de fête et de réjouissance. Traditionnellement,<br />
les muqam dolan sont joués lors des<br />
mashrap, ces grands rassemblements festifs<br />
et ritualisés, qui se déroulent après les<br />
récoltes ou pour un mariage, une circoncision<br />
ou tout autre événement heureux, et<br />
qui sont l’occasion de festoyer, de faire de la<br />
musique, de danser et de jouer à divers jeux<br />
de société et d’adresse. La fête se déroule<br />
dans un grand espace carré, les musiciens<br />
occupant l’un des quatre côtés et les danseurs<br />
évoluant au centre.<br />
L’ensemble musical se compose de chanteurs<br />
solistes (muqamqi) et d’instrumentistes<br />
qui participent également au chant. Les instruments<br />
sont le rawap dolan, un luth à
manche long différent du rawap ouïgour et<br />
qui, outre ses trois cordes de jeu, possède<br />
quinze cordes sympathiques ; le ghijak<br />
dolan, vièle à table d’harmonie en peau et à<br />
une corde en crin de cheval à laquelle est<br />
ajoutée dix à douze cordes sympathiques ;<br />
le qalun, grande cithare sur table trapézoïdale<br />
comportant seize chœur de deux cordes<br />
et deux cordes simples dans le grave, ces<br />
cordes en métal sont pincées de la main<br />
droite avec un long plectre de bois tendre,<br />
tandis que la main gauche exécute des ornements,<br />
vibratos et glissandos en faisant glisser<br />
sur les cordes la clef d’accordage. Les<br />
tambours sur cadre dap sont frappés par les<br />
chanteurs.<br />
Le muqam dolan se présente sous la forme de<br />
suites vocales et instrumentales et, comme<br />
c’est le cas dans la plupart des traditions de<br />
l’aire turco-arabo-persane, chacune de ces<br />
suites est jouée dans l’un des neuf modes<br />
musicaux : Bash Bayawan, Zil Bayawan, Chöl<br />
Bayawan, Ötang Bayawan (également appelé<br />
Ongamet), Hudek Bayawan, Dugamet<br />
Bayawan, Bom Bayawan, Sim Bayawan et Jula<br />
qui est toujours joué en dernier.<br />
Chaque suite se compose de quatre ou cinq<br />
parties qui sont enchaînées <strong>sans</strong> interruption<br />
: muqaddima, introduction vocale non<br />
mesurée ; chikitma, pièce en 6/4 ; sanam,<br />
pièce en 4/4 ; saliqa, pièce en 4/4 ; serilma,<br />
en 4/4 ou 5/8.<br />
Pendant l’exécution, les chanteurs et les<br />
musiciens bénéficient d’une grande latitude<br />
– 5–<br />
d’interprétation, ce qui explique comme on<br />
l’a dit plus haut le caractère très hétérophonique<br />
de cette musique. Cette liberté se<br />
retrouve aussi dans le choix des textes poétiques.<br />
Puisés dans un fond de poésie orale,<br />
les poèmes ne sont pas choisis préalablement<br />
mais “lancés” spontanément par le<br />
chanteur soliste sous formes de strophes<br />
(des distiques à double hémistiches, selon<br />
un schéma que l’on retrouve un peu partout<br />
au Moyen-Orient et en Asie centrale) qui<br />
s’organisent selon l’inspiration du moment<br />
<strong>sans</strong> véritable continuité thématique. Il<br />
n’est donc pas rare de voir certaines strophes<br />
se répéter au fil des muqam. La thématique<br />
récurrente de cette poésie est l’amour déçu<br />
ou contrarié qui a toujours constitué une<br />
source d’inspiration essentielle chez les<br />
poètes orientaux.<br />
Pour conclure, on pourrait donc dire que<br />
l’interprétation musicale et poétique du<br />
muqam dolan se présente comme une sorte<br />
de jeu de Lego dont chaque interprète<br />
connaît si bien les règles d’agencement qu’il<br />
suffit de l’impulsion d’un meneur de jeu<br />
pour que se réalise devant nous, en temps<br />
réel, la construction du muqam, toujours<br />
semblable mais jamais identique. Et c’est<br />
<strong>sans</strong> doute cela, plus que l’énergie qui se<br />
dégage de cette musique, qui appelle la comparaison<br />
avec le jazz.<br />
Ces enregistrements ont été réalisés à Paris<br />
pendant les concerts que les artistes ont<br />
donné à la Maison des Cultures du Monde les
31 mars, 1 er et 2 avril 2005 dans le cadre du<br />
neuvième Festival de l’Imaginaire. Les musiciens<br />
sont originaires du canton de Yantak,<br />
près de la ville de Makit, dans la partie occidentale<br />
du Taklamakan, et ont tous été formés<br />
à l’école de la tradition, c’est-à-dire en dehors<br />
de toute structure académique. Ajoutons que<br />
certains d’entre eux jouissent d’une notoriété<br />
telle que les autorités locales ont fait ériger<br />
leur statue sur la grand’place de la ville. Les<br />
deux jumeaux Huseyn Yahya et Hasan Nuri<br />
(nés en 1941) baignent depuis plus d’un<br />
demi-siècle dans l’univers du muqam dolan.<br />
1. Bash bayawan muqam<br />
Muqaddima<br />
Je dois partir aujourd’hui<br />
Alors laisse-moi te dire :<br />
Seul, <strong>sans</strong> ma douce amoureuse,<br />
Je vais au désert pleurer des larmes de sang.<br />
Que sera mon sort ?<br />
Vais-je devoir m’étendre sur les braises ?<br />
Enferré dans les médisances de mes ennemis<br />
Vais-je perdre ma bien-aimée ?<br />
Si je meurs mon nom s’éteindra.<br />
Le vent sifflera dans ma tête.<br />
Tous mes proches viendront<br />
Pleurer sur ma tombe.<br />
<strong>LE</strong>S PIÈCES<br />
– 6–<br />
Huseyn est le chanteur principal (muqamqi) et<br />
Hasan joue de la vièle ghijak dolan. Abduljlil<br />
Ruzi (1934) tient la cithare qalun ; il est également<br />
facteur de qalun et de rawap. Ahat Tohti<br />
(1950) joue du rawap depuis l’âge de 12 ans.<br />
Supi Turdi (1946) appartient à la quatrième<br />
génération d’une grande famille de muqamqi ;<br />
il chante, joue du dap et danse avec un style à<br />
la fois viril et plein d’humour. Muhammad<br />
Mutallip (1965) chante et joue du dap, il est<br />
également directeur du site culturel de Yantak<br />
et œuvre depuis de longues années à la<br />
défense du patrimoine culturel dolan.<br />
Sanam<br />
Viens-tu simplement pour me voir,<br />
Pour enflammer mon cœur,<br />
Ou bien<br />
Pour raviver le feu qui s’est éteint ?<br />
Nous nous apprêtons à partir,<br />
Viens-tu avec moi mon amour ?<br />
Si tu veux me précéder<br />
Emporte avec toi la joie et le sourire.<br />
Saliqa<br />
Pourquoi as-tu mis le feu<br />
Aux roseaux sifflants ?<br />
Pourquoi doit-on danser aux mashrap<br />
Alors même que l’amour nous déchire ?
Serilma<br />
Ô toi, Univers, n’as-tu point de pitié ?<br />
Toi qui as fait un enfer de ce monde !<br />
2. Zil bayawan muqam<br />
Muqaddima<br />
En haut des collines<br />
J’ai contemplé la chambre de mon amour.<br />
Même après ma mort<br />
La blessure que ton amour a ouverte dans ma<br />
tête restera béante.<br />
Chikitma<br />
Dois-je une fois encore raviver ma flamme<br />
Ou deux fois celle du souverain ?<br />
Dois-je ciseler un petit coffret de verre<br />
Pour y serrer pieusement mon amour ?<br />
Viens-tu simplement pour me voir,<br />
Pour enflammer mon cœur,<br />
Ou bien<br />
Pour raviver le feu qui s’est éteint ?<br />
Nous nous apprêtons à partir,<br />
Viens-tu avec moi mon amour ?<br />
Si tu veux me précéder<br />
Emporte avec toi la joie et le sourire.<br />
Sanam<br />
Si mes vœux étaient exaucés<br />
Je resterai couché aux flancs de mon aimée.<br />
Si nous étions seuls au monde<br />
– 7–<br />
Je tournoierai dans ta lumière comme une phalène.<br />
Tu es une rose,<br />
Il y en a beaucoup d’autres,<br />
Mais aucune au monde<br />
N’est aussi belle que toi.<br />
Saliqa<br />
Je suis venu de chez moi jusque dans ton<br />
quartier<br />
Pour participer à vos jeux.<br />
J’ai parcouru tout ce chemin<br />
Pour m’enquérir de ta santé.<br />
Serilma<br />
Les amants connaissent plus d’un amour.<br />
Mais nous sommes différents.<br />
Et je n’ai aimé personne d’autre<br />
Que toi ma diablesse.<br />
3. Chöl bayawan muqam<br />
Muqaddima<br />
Si la grande faucheuse se présente<br />
Enfuis-toi par les prairies.<br />
La mort n’est pas éternelle<br />
Profites-en tant que tu es dans les limbes.<br />
Chikitma<br />
Père, mère,<br />
Ne m’appelez plus votre fils.<br />
Dieu nous guide,<br />
Il ne peut me condamner.
J’erre en tous sens<br />
Pour conquérir ton cœur.<br />
Comme une petite buse<br />
Tu baisseras la tête.<br />
Sanam<br />
Je me suis enfoncé dans la nuit,<br />
J’ai suivi le cours du ruisseau.<br />
Les mains du garçon sont liées<br />
Par les cheveux de la jeune fille.<br />
Je n’ose m’aventurer dans ton quartier<br />
De peur des rumeurs.<br />
Les imbéciles ignorent<br />
La douleur de l’amour.<br />
Saliqa<br />
Dois-je une fois encore raviver ma flamme<br />
Ou deux fois celle du souverain ?<br />
Dois-je ciseler un petit coffret de verre<br />
Pour y serrer pieusement mon amour ?<br />
Serilma<br />
Mon Dieu, mon amour,<br />
Je ne puis lire dans tes pensées.<br />
Les rues que tu n’as point fréquentées,<br />
Il est impossible d’y aller.<br />
4. Ötang bayawan muqam<br />
Muqaddima<br />
Le chemin qui mène au bazar est interminable<br />
Je ne puis y aller à pied<br />
– 8–<br />
Ni louer de cheval<br />
Pour venir me repaître de ta beauté.<br />
Chikitma<br />
Je n’avais pas de corde pour mon luth<br />
Alors j’ai fait semblant.<br />
Mademoiselle, vous avez perdu la mémoire<br />
Je vais venir vous la rafraîchir.<br />
Tu veux partir, mon amour ?<br />
Alors pars, ça m’est égal.<br />
Quitte mon jardin,<br />
D’autres fleurs prendront ta place.<br />
Sanam<br />
Dois-je une fois encore raviver ma flamme<br />
Ou deux fois celle du souverain ?<br />
Dois-je ciseler un petit coffret de verre<br />
Pour y serrer pieusement mon amour ?<br />
Avant de mourir<br />
Nul ne connaît la valeur de la vie.<br />
Personne ne s’est tué,<br />
Juste pour mesurer la valeur de la vie.<br />
Saliqa<br />
Les gens se plaignent de me voir vaguer.<br />
Mais c’est à moi d’en décider.<br />
Le fouet dût-il s’abattre quatre-vingt fois<br />
Cet amour est le mien.<br />
Serilma<br />
Emmène-moi avec toi,<br />
Glisse-moi dans ta poche.
Tu ne trouveras jamais d’homme qui, comme<br />
moi,<br />
Te met du baume au cœur.<br />
5. Hudek bayawan muqam<br />
Muqaddima<br />
Cette jeune femme est vaniteuse,<br />
Et elle ne sait même pas danser le muqam.<br />
Elle noircit ses sourcils avec de l’osma 3<br />
Mais elle ne sait pas plaire aux hommes.<br />
Chikitma<br />
On mène les chevaux<br />
Par les collines glacées.<br />
On éprouve la vertu<br />
En semant des épines sur son chemin.<br />
J’erre en tous sens<br />
Pour conquérir ton cœur.<br />
Comme une petite buse<br />
Tu baisseras la tête.<br />
Sanam<br />
Je ne mènerai pas mon cheval<br />
Au bord du ruisseau, la terre y est meuble.<br />
Je regrette<br />
Le vide de mon passé.<br />
Tes sourcils sont noirs, sont-ils de jais ?<br />
Tes yeux scintillent, est-ce l’étoile polaire ?<br />
3. Plante utilisée par les femmes pour se maquiller.<br />
– 9–<br />
Quand je rêve à ma bien-aimée,<br />
Dois-je la rencontrer la nuit ou le jour ?<br />
Saliqa<br />
Dans le jardin parsemé de roses,<br />
Des espaces restent nus.<br />
Et dans les massifs fleuris<br />
Il n’est point de rose qui t’égale.<br />
Serilma<br />
La branche du pommier,<br />
La pêche séchée,<br />
La barbe blanche,<br />
Ne seyent point à la jeunesse.<br />
6. Dugamet bayawan muqam<br />
Muqaddima<br />
Il faut que je sois pauvre<br />
Pour être béni par Allah.<br />
Ecoutez, méfiez-vous,<br />
Les belles vous seront infidèles.<br />
Elle est partie <strong>sans</strong> un adieu,<br />
Mon amour ne peut le supporter.<br />
Je dois assumer<br />
Le destin qui est inscrit sur mon front.<br />
Chikitma<br />
Le tigre puissant se couche en travers de la route,<br />
Il empêche le lion de passer.
Celui qui est maudit par son père<br />
Ne peut avancer.<br />
Nous devons nous enlacer,<br />
[Et sentir] le contact de la robe de soie.<br />
Les boutons de la robe de soie<br />
Sont contre mon cœur.<br />
Sanam<br />
Vous partez, alors marchons ensemble<br />
Car il n’est pas bon de cheminer seul.<br />
Qui est mort de solitude ?<br />
Seule la séparation est fatale.<br />
La fleur en bouton n’est pas moins belle que la<br />
fleur éclose.<br />
On glisse à l’oreille une fleur épanouie.<br />
Mieux vaut mourir jeune<br />
Que vieillir dans l’amertume.<br />
Saliqa<br />
Dans le verger, les noisettes ont mûri.<br />
Nos hôtes sont arrivés.<br />
Mais je ne m’en soucie point,<br />
Mon amour concentre tous mes désirs.<br />
Quand j’entrerai dans ton jardin<br />
Allume la lampe à pétrole.<br />
Je suis étranger à ton pays,<br />
Montre-moi le chemin.<br />
– 10 –<br />
7. Bom bayawan muqam<br />
Muqaddima<br />
Les mois, les années ont passé<br />
Et personne n’est venu.<br />
Les montagnes du malheur<br />
Se sont effondrées sur ma tête.<br />
Si je contemple tes sourcils<br />
Leur ombre s’étend-elle au flanc des montagnes ?<br />
L’espace entre toi et moi<br />
Ne peut-il se réduire ?<br />
Chikitma<br />
Dois-je une fois encore raviver ma flamme<br />
Ou deux fois celle du souverain ?<br />
Dois-je ciseler un petit coffret de verre<br />
Pour y serrer pieusement mon amour ?<br />
On mène les chevaux<br />
Par les collines glacées.<br />
On éprouve la vertu<br />
En semant des épines sur son chemin.<br />
Sanam<br />
Vous partez, alors marchons ensemble<br />
Car il n’est pas bon de cheminer seul.<br />
Qui est mort de solitude ?<br />
Seule la séparation est fatale.<br />
Il ne faut pas faire couler l’eau souillée<br />
Vers les lacs d’eau pure.<br />
Si vous êtes sains d’esprit<br />
Ne me quittez pas.
Saliqa<br />
Si je plonge la rose et la grenade dans l’eau<br />
Elles ne se flétrissent pas.<br />
Mon amour, si tu me veux,<br />
Ne prends pas le parti de ton mari.<br />
Serilma<br />
Si tu prétends avoir un cheval<br />
Il te faut aussi un fouet.<br />
Rien ne sert d’avoir une amante<br />
Quand on est séparés.<br />
8. Sim bayawan muqam<br />
Muqaddima<br />
Ma fleur, ma fleur<br />
Tu me brûles tant.<br />
Tu est trop peu restée à mes côtés<br />
Pour que je connaisse le bonheur.<br />
On dit que ton corps est une fleur en bouton,<br />
On dit que tes dents sont comme des perles.<br />
On dit, lorsque nous sommes ensemble,<br />
Que nous sommes les fleurs d’un même jardin.<br />
Chikitma<br />
Je n’ai ni mère ni père<br />
Dans cette ville qui est la tienne.<br />
Tout l’or que tu pourrais me donner ne me ferait<br />
pas rester<br />
Dans cette ville qui m’est étrangère.<br />
– 11 –<br />
Viens-tu simplement pour me voir,<br />
Pour enflammer mon cœur,<br />
Ou bien<br />
Pour raviver le feu qui s’est éteint ?<br />
Sanam<br />
Moi l’orphelin<br />
Je ne puis goûter au bonheur.<br />
Les poules n’ont pas de lait,<br />
Les poussins sont orphelins.<br />
Les ruisseaux charrient de la boue,<br />
Si tu y marches la terre est molle.<br />
Quand je pense à mon amour<br />
Mon cœur tremble.<br />
Saliqa<br />
Nous avons chevauché, chevauché<br />
Vers Aksu et vers Kucha.<br />
Nous sommes entrés dans le verger<br />
Et nous avons pleuré sur notre amour perdu.<br />
Serilma<br />
C’est mon père qui m’a montré ce chemin,<br />
C’est ma mère qui m’a montré ce chemin.<br />
La flamme des jeunes filles est si ardente<br />
Qu’elle m’a fait connaître l’enfer, de mon vivant.<br />
On dit que tu es belle, belle<br />
Tu sembles serrer une fleur de Laïla 4 entre tes lèvres.<br />
Tu ne t’es pas inclinée pour répondre à mon salut,<br />
Est-ce un enfant que tu portes sur tes genoux ?<br />
4. Variété de fleur du désert. Laïla est aussi une amante célèbre de la littérature orientale.
9. Jula<br />
Muqaddima<br />
En haut des collines<br />
J’ai contemplé la chambre de mon amour.<br />
Même après ma mort<br />
La blessure que ton amour a ouverte dans ma<br />
tête restera béante<br />
Chikitma<br />
Le tigre puissant se couche en travers de la route,<br />
Il empêche le lion de passer.<br />
Celui qui est maudit par son père<br />
Ne peut avancer.<br />
Ô vous qui restez, je quitte ce monde<br />
Ne me laissez pas en chemin.<br />
Si vous me laissez,<br />
Ne m’abandonnez pas dans le désert.<br />
Sanam<br />
Femme, approche,<br />
Ton étreinte m’envahit d’une suave odeur de melon.<br />
Une fois je l’ai sentie, deux fois,<br />
Et elle m’a troublé.<br />
Tu veux partir, mon amour ?<br />
Alors pars, ça m’est égal.<br />
Quitte mon jardin,<br />
D’autres fleurs prendront ta place.<br />
– 12 –<br />
Serilma<br />
Nous sommes partis à cheval<br />
Et rentrés à pied.<br />
On n’y peut rien,<br />
C’est le destin.<br />
Je t’ai vue<br />
J’ai supporté ton indifférence.<br />
Où que tu ailles,<br />
Je te souhaite ce qu’il y a de meilleur.<br />
PIERRE BOIS<br />
traduction des poèmes, MUKADDAS MIJIT<br />
Références :<br />
Zhou Ji, Uygur Dolan Muqam, Xinjiang<br />
Research Institute of Arts, Urumchi, 1996 (texte<br />
en ouïgour et en <strong>chinois</strong>, transcriptions musicales<br />
du répertoire de muqam dolan).<br />
Sabine Trébinjac, Le pouvoir en chantant,<br />
Nanterre, Société d’ethnologie, 2000, 412 p.<br />
Asie centrale : Musique des Ouïgours, traditions<br />
d’Ili et de Kachgar, enr. Pierre Bois, notice<br />
Jean During, CD INEDIT W 260113.<br />
Chine, <strong>Turkestan</strong> <strong>chinois</strong> / Xinjiang : musiques<br />
ouïgoures, enr. et notice Sabine Trébinjac / Jean<br />
During, double CD Ocora C 559092/93.
Huseyn Yahya<br />
– 13 –
Supi Turdi<br />
– 14 –
Ahat Tohti, rawap<br />
– 15 –
Hasan Nuri, ghijak<br />
– 16 –
Abduljlil Ruzi, qalun<br />
– 17 –
Chinese <strong>Turkestan</strong><br />
THE <strong>MUQAM</strong> OF THE <strong>DOLAN</strong><br />
Music of the Uighurs from the Taklamakan Desert<br />
X injiang or Chinese <strong>Turkestan</strong> 1 is China’s<br />
largest province. It is located in the<br />
northwest part of the country and is a vast<br />
plain of more than one and a half million<br />
square kilometers, bordered by the impressive<br />
Altai, Pamir and Kunlun mountain<br />
ranges, with spectacular landscapes of deserts<br />
– the Taklamakan – rivers and glaciers. It is<br />
the cradle of a very ancient Turkic civilization<br />
stemming from the Huns: the Uighurs,<br />
whose existence is attested in the form of a<br />
clan-type confederation as of the 5 th century<br />
A.D. Over time, the Uighurs have been<br />
Shamanists, Buddhists, Manicheists and<br />
lastly Muslims, and have used two writing<br />
systems, the Manichean script and the<br />
Uighur script derived from Sogdian. They<br />
had a civilizing influence on their Turko-<br />
Mongol neighbors as of the 9 th century, and<br />
the empire of Gengis Khan adopted their<br />
writing system to record its legal code.<br />
Uighur music, also attested from ancient<br />
times in Chinese texts, led in the 15 th cen-<br />
– 18 –<br />
tury to a classical tradition, the muqam,<br />
which was strongly influenced by Islamic<br />
civilization. The canonical Uighur repertoire,<br />
called onikki muqam, is composed of<br />
twelve major vocal and instrumental suites<br />
with forms and modal and rhythmic principles<br />
similar to those of the Persian, Iraqi,<br />
Azeri and Uzbek-Tajik traditions which<br />
belong to the vast Turkic-Arab-Persian space.<br />
Beyond these formal resemblances however,<br />
the Uighur muqam shows great stylistic originality<br />
with its pentatonic modes, its<br />
melodies with big jumps, its rhythms in 5, 6,<br />
7 or 9, and its spectacular vocal techniques.<br />
While the Uighur tradition shows a great<br />
originality within the Central Asian cultural<br />
area, this is also true of the Dolan tradition,<br />
the subject of this CD.<br />
Recent research indicates that the Dolan 2<br />
are an ethnic sub-group of the Uighurs.<br />
Although they live in a clearly determined<br />
region on the edges of the Taklamakan<br />
Desert, there has never been any real census<br />
1. Some people prefer the term “Eastern <strong>Turkestan</strong>” because it emphasizes the cultural and linguistic connection<br />
of the Uighurs with Turkic-speaking Central Asia rather than the Chinese world.<br />
2. For further information about the musical traditions of the Uighurs and the Dolan, see the publications<br />
of Sabine Trébinjac and the works of Zhou Ji (references at end of booklet).
of them and there are very few studies of<br />
their origins. A myth tells that they are<br />
descended from a Mongol clan that emigrated<br />
to Xinjiang, as the origin of the word<br />
dolan would seem to indicate. They are<br />
farmers and shepherds, with a social system<br />
that is quite different from that of the<br />
Uighurs, and they speak a dialect of the<br />
Uighur language. They claim to have a specific<br />
musical tradition, the muqam dolan,<br />
which they rightly consider very different<br />
from the Uighur muqam. Traditionalists consider<br />
the term muqam too scholarly, and prefer<br />
to use the word bayawan (literally:<br />
desert) which better reflects the entrenchment<br />
of this music in their minority culture<br />
and their environment.<br />
Five major characteristics distinguish the<br />
muqam dolan from the Uighur muqam: they<br />
are entirely danced; the suites are much<br />
shorter than Uighur suites (from 6 to 10 minutes<br />
rather than two hours); the vocal and<br />
instrumental interpretation is very free in that<br />
each musician plays the common melody in<br />
his own way, leading to a heterophony effect<br />
which is the result of a real esthetic choice, a<br />
search for a thickness of sound, and not in<br />
any way a lack of competence of the musicians.<br />
This heterophonic principle, which was<br />
still very lively at the beginning of the 20th<br />
century in many musical cultures of the<br />
Islamic world and which probably changed<br />
due to contact with Western music, is heard<br />
clearly here as the living testimony of a cul-<br />
– 19 –<br />
ture attached to its esthetic values. The onikki<br />
muqam is based on the use of twelve musical<br />
modes, while the muqam dolan uses nine<br />
modes based on scales of five, six or seven<br />
degrees. While Uighur classical music already<br />
displays stunning rhythmic vigor and<br />
dynamism, the Dolan take this energy to a<br />
real paroxysm, leading some local musicologists<br />
to compare the Uighur muqam to classical<br />
music and the muqam dolan to jazz, sometimes<br />
calling it Uighur jazz.<br />
This music is above all for celebration and<br />
festivity. Traditionally, the muqam dolan are<br />
played during mashrap, large festive and ritualized<br />
gatherings held following harvests or<br />
for a wedding, a circumcision or any other<br />
happy occasion, with opportunities for feasting,<br />
music making, dancing and playing various<br />
parlor and oratory games. The party is<br />
held within a large square area, with the<br />
musicians occupying one of the four sides<br />
while the dancers dance in the center.<br />
Musical ensembles are composed of solo<br />
singers (muqamqi) and instrumentalists who<br />
also take part in the singing. The instruments<br />
are the rawap dolan, a long-necked<br />
lute which differs from the Uighur rawap<br />
since it has, along with its three playing<br />
strings, fifteen sympathetic strings; the ghijak<br />
dolan, a spike fiddle with a sounding<br />
board made of hide and with one horse hair<br />
string plus ten to twelve sympathetic<br />
strings; the qalun, a large plucked zither on<br />
a trapezoidal board with sixteen sets of two
strings and two single strings for low notes.<br />
These metal strings are plucked with the<br />
right hand with a long plectrum of soft<br />
wood, while the left hand plays ornaments,<br />
vibratos and glissandos by sliding the tuning<br />
key over the strings. Frame drums dap<br />
are played by the singers.<br />
The muqam dolan is in the form of vocal and<br />
instrumental suites and, as in most of the<br />
traditions of the Turkic-Arab-Persian cultural<br />
area, each of these suites is played in one of<br />
the nine musical modes: Bash Bayawan, Zil<br />
Bayawan, Chöl Bayawan, Ötang Bayawan (also<br />
called Ongamet), Hudek Bayawan, Dugamet<br />
Bayawan, Bom Bayawan, Sim Bayawan and<br />
Jula which is always played last.<br />
Each suite is composed of four or five parts<br />
which are played one after the other without<br />
interruption: muqaddima, an unmeasured<br />
vocal introduction; chikitma, a piece<br />
in 6/4; sanam, a piece in 4/4; saliqa, a piece<br />
in 4/4; serilma, in 4/4 or 5/8.<br />
In playing, the singers and musicians have<br />
wide latitude for interpretation, which<br />
explains the very heterophonic character of<br />
this music mentioned above. This freedom<br />
is also to be found in the choice of poetic<br />
texts. The poems are drawn from a body of<br />
oral poetry and are not chosen in advance<br />
but rather spontaneously launched by the<br />
solo singer in the form of stanzas (distiches<br />
of two hemistiches, according to a model<br />
found almost everywhere in the Middle East<br />
and in Central Asia) which are organized<br />
– 20 –<br />
according to the inspiration that arises in<br />
the moment without any real thematic continuity.<br />
It is therefore not unusual for some<br />
stanzas to be repeated during the muqam.<br />
The recurring theme of this poetry is unrequited<br />
or frustrated love, which has always<br />
been an essential source of inspiration<br />
among Oriental poets.<br />
In conclusion, it can be said that the musical<br />
and poetic interpretation of the muqam<br />
dolan is a bit like a set of Lego. All of the<br />
musicians know the rules for putting them<br />
together so well that the initiative of a leader<br />
is enough to generate the construction of the<br />
muqam in real time, always similar but never<br />
identical. It is probably this, even more than<br />
the energy that this music generates, that<br />
leads to the comparison with jazz.<br />
These recordings were made in Paris during<br />
concerts that the musicians gave at the<br />
Maison des Cultures du Monde on March 31<br />
and April 1 and 2, 2005 at the ninth Festival<br />
de l’Imaginaire. The musicians are from the<br />
district of Yantak, near the City of Makit, in<br />
the western part of Taklamakan, and all of<br />
them were trained in traditional ways, i.e.<br />
outside of any academic structure. Some of<br />
them are so famous that the local authorities<br />
have erected statues of them in the central<br />
squares of their cities. The twins Huseyn<br />
Yahya and Hasan Nuri (born in 1941) have<br />
been living in the universe of the muqam<br />
dolan for more than half a century. Huseyn<br />
is the lead singer (muqamqi) and Hasan plays
the spike fiddle ghijak dolan. Abduljlil Ruzi<br />
(1934) plays the zither qalun; he also makes<br />
qalun and rawap. Ahat Tohti (1950) has been<br />
playing the rawap since he was twelve. Supi<br />
Turdi (1946) belongs to the fourth generation<br />
of a great family of muqamqi; he sings,<br />
1. Bash bayawan muqam<br />
Muqaddima<br />
I must leave today<br />
So let me say to you:<br />
Alone, without my sweet beloved,<br />
I will go to the desert to weep tears of blood.<br />
What will be my fate?<br />
Must I lie down on the embers?<br />
Tangled up in the scandal mongering of my<br />
enemies<br />
Will I lose my beloved?<br />
If I die, my name will be extinguished.<br />
The wind will blow in my head.<br />
All my relatives will come<br />
To cry at my grave.<br />
Sanam<br />
Did you just come to see me,<br />
To set my heart on fire,<br />
Or else<br />
To rekindle the flame that went out?<br />
THE PIECES<br />
– 21 –<br />
plays the dap and dances with a virile and<br />
humorous style. Muhammad Mutallip<br />
(1965) sings and plays the dap, he is also the<br />
director of the Yantak cultural site and has<br />
been working for many years to protect the<br />
Dolan cultural heritage.<br />
We are getting ready to leave,<br />
Will you come with me, my love?<br />
If you want to go ahead of me<br />
Take joy and smiles with you.<br />
Saliqa<br />
Why did you set fire<br />
To the whistling reeds?<br />
Why must we dance at the mashrap<br />
While love tears us apart?<br />
Serilma<br />
O Universe, have you no pity?<br />
You, who made this world hell!<br />
2. Zil bayawan muqam<br />
Muqaddima<br />
From high up in the hills<br />
I contemplated my love’s bedroom.<br />
Even after my death<br />
The wound that your love made in my head will<br />
remain wide open.
Chikitma<br />
Must I once again rekindle my flame<br />
Or twice that of my sovereign?<br />
Must I chisel out a small glass box<br />
To reverently hold my love in it?<br />
Did you just come to see me,<br />
To set my heart on fire,<br />
Or else<br />
To rekindle the flame that went out?<br />
We are getting ready to leave,<br />
Will you come with me, my love?<br />
If you want to go ahead of me<br />
Take joy and smiles with you.<br />
Sanam<br />
If my wishes were granted<br />
I would remain lying by your side, my beloved.<br />
If we were all alone in the world<br />
I would whirl in your light like an emerald.<br />
You are a rose,<br />
There are many others,<br />
But no other in the world<br />
Is as beautiful as you.<br />
Saliqa<br />
I came from my house to your neighborhood<br />
To take part in your games.<br />
I came all this way<br />
To ask how you are.<br />
– 22 –<br />
Serilma<br />
Lovers know more than one love.<br />
But we are different<br />
And I loved no one<br />
But you, my little devil.<br />
3. Chöl bayawan muqam<br />
Muqaddima<br />
If the grim reaper appears<br />
Run away to the prairies.<br />
Death is not eternal<br />
Take advantage of it while you are in limbo.<br />
Chikitma<br />
Father, mother,<br />
Don’t call me your son any more.<br />
God guide us,<br />
He cannot condemn me.<br />
I wander in all directions<br />
To conquer your heart.<br />
Like a little idiot<br />
You will lower your head.<br />
Sanam<br />
I plunged myself into the night,<br />
I followed the stream.<br />
The boy’s hands are bound<br />
With the hair of the young girl.<br />
I don’t dare venture into your neighborhood<br />
For fear of rumors.
Imbeciles don’t know<br />
The pain of love.<br />
Saliqa<br />
Must I once again rekindle my flame<br />
Or twice that of my sovereign?<br />
Must I chisel out a small glass box<br />
To reverently hold my love in it?<br />
Serilma<br />
My God, my love,<br />
I can’t read your thoughts.<br />
The street you have never been on,<br />
It is impossible to go there.<br />
4. Ötang bayawan muqam<br />
Muqaddima<br />
So long is the road that leads to the bazar<br />
I can’t go there on foot<br />
Nor rent a horse<br />
To feast on your beauty.<br />
Chikitma<br />
I had no strings for my lute<br />
So I pretended.<br />
Miss, you have lost your memory<br />
I will come to refresh it.<br />
You want to leave, my love?<br />
Well go, I don’t care.<br />
Leave my garden,<br />
Other flowers will take your place.<br />
– 23 –<br />
Sanam<br />
Must I once again rekindle my flame<br />
Or twice that of my sovereign?<br />
Must I chisel out a small glass box<br />
To reverently hold my love in it?<br />
Before dying<br />
No one knows the value of life.<br />
No one ever killed himself, just to measure<br />
The value of life.<br />
Saliqa<br />
People complain about seeing me wandering.<br />
But it’s my decision.<br />
Did the whip have to strike eighty times<br />
This love is mine.<br />
Serilma<br />
Take me with you,<br />
Slip me into your pocket.<br />
You will never find a man who, like me,<br />
Can hearten you.<br />
5. Hudek bayawan muqam<br />
Muqaddima<br />
This young woman is conceited,<br />
She doesn’t even know how to dance the muqam.<br />
She darkens her eyebrows with osma 3<br />
But she can’t get men to like her.<br />
3. Plant used by women as make-up.
Chikitma<br />
We lead the horses<br />
Over the icy hills.<br />
We feel virtue<br />
Spreading thorns on our path.<br />
I wander in all directions<br />
To conquer your heart.<br />
Like a little idiot<br />
You will lower your head.<br />
Sanam<br />
I won’t take my horse<br />
To the edge of the stream, the earth there is<br />
loose.<br />
I regret<br />
The emptiness of my past.<br />
Your eyebrows are black, are they of jet?<br />
Your eyes sparkle, is it the north star?<br />
When I dream of my beloved,<br />
Should I meet her at night or by day?<br />
Saliqa<br />
In the garden strewn with roses,<br />
Spaces remain naked.<br />
And in the banks of flowers<br />
There is no rose like you.<br />
Serilma<br />
The branch of the apple tree,<br />
The dried peach,<br />
The white beard,<br />
Is not becoming to youth.<br />
– 24 –<br />
6. Dugamet bayawan muqam<br />
Muqaddima<br />
I must be poor<br />
To be blessed by Allah.<br />
Listen, beware,<br />
The beautiful ones will be unfaithful to you.<br />
She left without saying goodbye,<br />
My love can’t bear it.<br />
I must bear<br />
The destiny that is written on my brow.<br />
Chikitma<br />
The powerful tiger lies across the road,<br />
He prevents the lion from going by.<br />
He who is cursed by his father<br />
Cannot move forward.<br />
We must embrace each other,<br />
[And feel] the contact of the silk dress.<br />
The buttons of the silk dress<br />
Are against my heart.<br />
Sanam<br />
You are leaving, let’s walk together<br />
Because it’s not good to walk alone.<br />
Who dies of solitude?<br />
Only separation is fatal.<br />
The bud is no less beautiful than the open flower.<br />
You slip a flower in full bloom in your ear.<br />
It is better to die young<br />
Than to grow old in bitterness.
Saliqa<br />
In the orchard, the hazelnuts are ripe.<br />
Our guests have arrived.<br />
But I don’t worry about that,<br />
My love is the focus of all of my desires.<br />
When I come into your garden<br />
Light your oil lamp.<br />
I am a stranger to your country,<br />
Show me the way.<br />
7. Bom bayawan muqam<br />
Muqaddima<br />
The months, the years have passed<br />
And no one came.<br />
The mountains of unhappiness<br />
Have collapsed on my head.<br />
If I contemplate your eyebrows<br />
Does their shadow stretch to the slope of the<br />
mountains?<br />
The space between you and me<br />
Can’t it be reduced?<br />
Chikitma<br />
Must I once again rekindle my flame<br />
Or twice that of my sovereign?<br />
Must I chisel out a small glass box<br />
To reverently hold my love in it?<br />
We lead the horses<br />
Over the icy hills.<br />
– 25 –<br />
We feel virtue<br />
Spreading thorns on our path.<br />
Sanam<br />
You are leaving, let’s walk together<br />
Because it’s not good to walk alone.<br />
Who dies of solitude?<br />
Only separation is fatal.<br />
Don’t let dirty water run off<br />
Toward lakes of pure water.<br />
If you are of sound mind<br />
Don’t leave me.<br />
Saliqa<br />
If I put a rose and a pomegranate into water<br />
They don’t wither.<br />
My love, if you want me,<br />
Don’t side with your husband.<br />
Serilma<br />
If you claim to have a horse<br />
You will also need a whip.<br />
There is no point in having a lover<br />
When you are separated.<br />
8. Sim bayawan muqam<br />
Muqaddima<br />
My flower, my flower<br />
You burn me so much.<br />
You spent too little time by my side<br />
For me to know happiness.
They say that your body is a flower bud,<br />
They say that your teeth are like pearls.<br />
When we are together, they say<br />
That we are like flowers of the same garden.<br />
Chikitma<br />
I have no mother or father<br />
In this city of yours.<br />
All your gold wouldn’t make me stay<br />
In this city that is foreign to me.<br />
Did you just come to see me,<br />
To set my heart on fire,<br />
Or else<br />
To rekindle the flame that went out?<br />
Sanam<br />
I, the orphan<br />
I cannot taste happiness.<br />
The hens have no milk,<br />
The chicks are orphans.<br />
The stream carries mud along,<br />
If you walk there the earth is soft.<br />
When I think of my love<br />
My heart trembles.<br />
Saliqa<br />
We rode and rode<br />
Toward Aksu and toward Kucha.<br />
We went into the orchard<br />
And we cried for our lost love.<br />
Serilma<br />
It was my father who showed me this path,<br />
It was my mother who showed me this path.<br />
The passion of young girls is so ardent<br />
That she put me through hell, alive.<br />
They say that you are beautiful, beautiful<br />
You seem to be holding a flower of Laila 4<br />
between your lips.<br />
You didn’t bow to respond to my greeting,<br />
Is that a child you are holding on your knees?<br />
9. Jula<br />
Muqaddima<br />
From high up in the hills<br />
I contemplated my love’s bedroom.<br />
Even after my death<br />
The wound that your love made in my head will<br />
remain wide open.<br />
Chikitma<br />
The powerful tiger lies across the road,<br />
He prevents the lion from going by.<br />
He who is cursed by his father<br />
Cannot move forward.<br />
4. A variety of desert flower. Laila is also a famous lover in Oriental literature.<br />
– 26 –<br />
O you who remain, I am leaving this world<br />
Don’t leave me by the wayside.<br />
If you leave me,<br />
Don’t abandon me in the desert.
Sanam<br />
O woman, come closer,<br />
Your embrace sweeps me up in a sweet odor of<br />
melon.<br />
I smelled it once, twice,<br />
And it aroused me.<br />
You want to leave, my love?<br />
Well go, I don’t care.<br />
Leave my garden,<br />
Other flowers will take your place.<br />
References:<br />
Zhou Ji, Uighur muqam dolan, Xinjiang<br />
Research Institute of Arts, Urumchi, 1996 (text<br />
in Uighur and Chinese, musical transcriptions<br />
of the muqam dolan repertoire).<br />
Sabine Trébinjac, Le pouvoir en chantant,<br />
Nanterre, Société d’ethnologie, 2000, 412 p.<br />
Central Asia: Music of the Uighurs, traditions<br />
of Ili and Kashgar, recordings of Pierre Bois,<br />
notes by Jean During, CD INEDIT W 260113.<br />
China, Chinese <strong>Turkestan</strong> / Xinjiang: Music of<br />
the Uighur, recordings and notes of Sabine<br />
Trébinjac / Jean During, double CD Ocora<br />
C 559092/93.<br />
Statues de musiciens à Makit<br />
Statues of musicians in Makit<br />
(cl. Mukaddas Mijit)<br />
– 27 –<br />
Serilma<br />
We left on horseback<br />
And came back on foot.<br />
We can’t do anything about it,<br />
It’s destiny.<br />
I saw you<br />
I withstood your indifference.<br />
Wherever you may go,<br />
I wish you the best.<br />
PIERRE BOIS<br />
Lyrics translated by MUKADDAS MIJIT<br />
English translation, Frank Kane
W 260126 INEDIT/Maison des Cultures du Monde • 101, Bd Raspail 75006 Paris France • tél. 01 45 44 72 30 • fax 01 45 44 76 60 • www.mcm.asso.fr
<strong>Turkestan</strong> <strong>chinois</strong><br />
<strong>LE</strong> <strong>MUQAM</strong> <strong>DES</strong> <strong>DOLAN</strong><br />
Chinese <strong>Turkestan</strong><br />
THE <strong>MUQAM</strong> OF THE <strong>DOLAN</strong><br />
1. Bash Bayawan............................................................................5’44”<br />
2. Zil Bayawan ...............................................................................6’35”<br />
3. Chöl Bayawan ............................................................................6’50”<br />
4. Ötang Bayawan .........................................................................6’29”<br />
5. Hudek Bayawan.........................................................................5’57”<br />
6. Dugamet Bayawan ....................................................................6’03”<br />
7. Bom Bayawan ............................................................................7’24”<br />
8. Sim Bayawan..............................................................................6’41”<br />
9. Jula ..............................................................................................6’35”