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14 � Courrier <strong>international</strong> | n° 1110 | du 9 au 15 février 2012<br />
En couverture La vérité sur l’Allemagne<br />
Le seul géant de l’Europe<br />
Lorsque Berlin insiste lourdement<br />
sur la discipline budgétaire,<br />
c’est pour que l’Europe s’adapte<br />
enfin à l’ère de la mondialisation.<br />
Dagens Nyheter Stockholm<br />
Depuis la chute de Hitler, les Européens<br />
ont eu à relever trois défis<br />
majeurs : reconstruire l’Europe<br />
après 1945, la reconstruire une<br />
nouvelle fois à la chute du communisme,<br />
et aujourd’hui tenter<br />
de redonner à cette Europe une place dans le<br />
monde. Ces trois défis sont liés d’une manière<br />
ou d’une autre à l’Allemagne. Quoi qu’on en dise,<br />
la plupart des autres pays ne sont pas autre chose<br />
que des figurants. Que veut le plus grand pays<br />
d’Europe, qui est aussi le premier dans la quasitotalité<br />
des domaines ? Et qu’est-ce-que cela<br />
implique pour nous ?<br />
L’Allemagne a souvent été une source d’énergie<br />
et d’inspiration, mais aussi de préoccupation,<br />
et n’a pas été loin de rayer l’Europe de la<br />
carte pour de bon. Le dernier conflit majeur s’est<br />
soldé par un désastre, y compris pour l’Allemagne.<br />
Après 1945, le projet européen s’est axé<br />
en grande partie sur la reconstruction du pays,<br />
alors que d’autres nations, comme la France et<br />
la Grande-Bretagne – sans vouloir les offenser –<br />
s’en étaient proportionnellement sorties avec<br />
des égratignures. Un demi-siècle plus tard, l’Allemagne<br />
n’était pas seulement complètement<br />
rétablie mais aussi suffisamment riche, grâce<br />
aux efforts consentis en interne, pour s’occuper<br />
de l’est de son territoire, négligé sous le régime<br />
communiste.<br />
La réunification allemande de 1990 aura suscité<br />
davantage de controverses que la reconstruction<br />
du pays après 1945. C’est un paradoxe<br />
ironique – et qui donne matière à réflexion – que<br />
de grandes nations extra-européennes comme<br />
les Etats-Unis (de George Bush père) et ce qui<br />
était encore à l’époque l’Union soviétique<br />
(sous Mikhaïl Gorbatchev) y aient été nettement<br />
plus favorables que certains pays européens<br />
comme la France (de François Mitterrand) et la<br />
“Si l’Allemagne va bien,<br />
tout va bien”, dit-on<br />
à Varsovie. Quant à la France,<br />
c’est désormais une<br />
puissance d’un autre siècle.<br />
Il suffit de comparer<br />
l’économie française<br />
et l’économie allemande.<br />
La situation des entreprises<br />
allemandes est solide, les<br />
entreprises françaises croulent<br />
sous le poids de la dette.<br />
Ces dix dernières années, la<br />
productivité en Allemagne n’a<br />
cessé d’augmenter ; en France,<br />
Champion<br />
à l’export<br />
Malgré la crise<br />
européenne,<br />
le commerce extérieur<br />
allemand ne s’est<br />
jamais aussi bien<br />
porté. Pour 2012,<br />
l’association fédérale<br />
du commerce<br />
extérieur (BGA)<br />
table sur une<br />
augmentation de 6 %<br />
des exportations.<br />
En 2011, le chiffre<br />
d’affaires des produits<br />
exportés a dépassé<br />
1 000 milliards d’euros,<br />
informe Zeit online.<br />
Outre la forte<br />
demande provenant<br />
d’Asie, d’Amérique<br />
latine, du monde<br />
arabe et d’Afrique,<br />
l’Allemagne exporte<br />
toujours 40 % de ses<br />
marchandises vers les<br />
pays de la zone euro.<br />
En novembre 2011,<br />
ces exportations ont<br />
rapporté 37,7 milliards<br />
d’euros, soit une<br />
augmentation de 7,7 %<br />
par rapport à l’année<br />
précédente.<br />
Vu de Pologne<br />
La France en deuxième division !<br />
c’est le contraire. Pendant que<br />
les Allemands s’attaquaient au<br />
problème de l’âge de la retraite,<br />
les Français introduisaient<br />
la semaine de 35 heures, une<br />
solution unique au monde qui a<br />
coûté une fortune. L’économie<br />
allemande se base<br />
sur les petites et moyennes<br />
entreprises, parfaitement<br />
capables de répondre aux défis<br />
de la mondialisation, tandis<br />
qu’en France le gouvernement<br />
veille sur les intérêts des<br />
mastodontes et que personne<br />
ne se soucie des petites<br />
Grande-Bretagne (de Margaret Thatcher), deux<br />
nations qui, avec l’Allemagne, dominaient pourtant<br />
l’Union européenne. L’euro, la devise commune<br />
de l’Union, a été imposé par Paris dans le<br />
but de brider l’Allemagne ou, à défaut, de se glisser<br />
dans son sillage. Au fond, il s’agissait d’un<br />
réflexe de méfiance, et peut-être même de crainte.<br />
Naturellement, on peut voir dans la crise de<br />
l’euro une volonté d’hégémonie de la part de l’Allemagne<br />
et une réaction de défense de la part des<br />
autres pays européens. Mais il me semble que<br />
c’est là une interprétation très provinciale. L’Allemagne<br />
d’Angela Merkel n’est plus celle du<br />
Kaiser ni du petit caporal autrichien. Lorsque<br />
Berlin insiste lourdement sur la nécessité de se<br />
serrer la ceinture, de s’astreindre à une discipline<br />
budgétaire et d’investir au lieu de consommer,<br />
c’est, à l’ère de la mondialisation, pour adapter<br />
l’Europe aux règles du jeu en vigueur sur lesquelles<br />
les Allemands n’ont aucune influence. Et<br />
non pour imposer une Europe allemande – cette<br />
époque est révolue.<br />
L’Allemagne, qui était encore jusqu’à une date<br />
très récente le premier pays exportateur de la<br />
planète, est bien décidée à s’acclimater à la nouvelle<br />
donne de la mondialisation. Dans le cas où<br />
cette acclimatation se solderait par un échec –<br />
qui serait synonyme de disparition de l’euro –,<br />
l’Europe serait condamnée à l’insignifiance et à<br />
la modestie. Elle prendrait alors l’aspect d’une<br />
maison de retraite douillette qui, au vu de son<br />
niveau de richesse actuel, pourrait se maintenir<br />
environ une dizaine d’années.<br />
C’est le scénario optimiste. Car dans le pire<br />
des cas, nous serons condamnés à voir éclater de<br />
nouveaux conflits sous le signe du protectionnisme,<br />
de l’égoïsme économique et des préjugés<br />
nationaux. L’hypothèse la plus vraisemblable<br />
étant un mélange du meilleur et du pire.<br />
Voilà où risque de nous mener la crise de<br />
l’euro. Mais l’Allemagne s’est rendu compte en<br />
se frottant les yeux que son rôle de Gulliver de<br />
l’Europe, au-dessus de tous les autres petits pays<br />
européens, lui avait imposé des chaînes dont elle<br />
était incapable de se libérer seule. Car même le<br />
géant européen qu’est l’Allemagne serait bien<br />
trop petit, seul, face aux défis de la mondialisation.<br />
“Un pour tous, tous pour un”, tel doit être le<br />
mot d’ordre de l’Union.<br />
L’épreuve que traverse actuellement l’Europe<br />
a donné l’occasion à l’Allemagne de prendre<br />
conscience de son isolement. Les autres pays<br />
européens n’ont quasiment pas dévié de leur cap<br />
et c’est à peine s’ils se sont rendu compte que le<br />
monde avait changé et que ce changement allait<br />
nécessairement les atteindre eux aussi. Ce<br />
constat est préoccupant pour l’avenir de l’Europe.<br />
Car, hormis l’Allemagne, aucun pays n’est<br />
prêt à affronter un avenir mondialisé. Tous semblent<br />
être restés sur la plage à l’heure où au large,<br />
derrière la ligne d’horizon, un tsunami se dirige<br />
déjà vers eux. Richard Swartz<br />
Le succès de la machine exportatrice allemande<br />
Balance commerciale*<br />
(janv.-oct. 2011, en milliards d’euros)<br />
– 72,5<br />
129,2<br />
24,9<br />
France Allemagne Zone euro<br />
entreprises. Et il y a plus<br />
de personnes employées dans<br />
le secteur public en France<br />
qu’en Allemagne, bien<br />
que la France soit plus petite<br />
que l’Allemagne. Quand,<br />
au début des années 1950,<br />
on mettait en place<br />
la Communauté européenne<br />
du charbon et de l’acier<br />
– le prototype de l’Union<br />
européenne –, la France était<br />
un partenaire beaucoup plus<br />
puissant. C’est Paris qui a forcé<br />
Bonn à signer ces accords, dont<br />
les Allemands ne voulaient pas,<br />
Taux de croissance du PIB<br />
(variation par rapport à l'année précédente, en %,<br />
prévisions pour 2012)<br />
1,6<br />
0,6<br />
3<br />
0,8<br />
1,5<br />
0,5<br />
2011 2012 2011 2012 2011 2012<br />
car l’industrie française avait<br />
besoin du charbon et de l’acier<br />
allemands. Puis a suivi une<br />
époque d’équilibre relatif entre<br />
les deux pays. C’est pour cette<br />
raison que, il n’y a encore pas<br />
si longtemps, Nicolas Sarkozy<br />
a pu brandir son “Merkozy”,<br />
que certains Français d’ailleurs<br />
auraient préféré rebaptiser<br />
“Sarkel”. Mais il n’est plus<br />
possible de conserver<br />
aujourd’hui un semblant<br />
d’égalité entre les deux pays :<br />
ils jouent dans deux ligues<br />
différentes. L’Allemagne<br />
Taux de chômage<br />
(déc. 2011, en % de la population active)<br />
9,9<br />
5,5<br />
10,4<br />
* Commerce total, hors et intra-UE, données<br />
non corrigées des variations saisonnières.<br />
domine en Europe, Paris est<br />
en plein cauchemar : la France<br />
retombe dans la catégorie<br />
spéciale des pays du sud<br />
de l’Europe en faillite. Depuis<br />
1945, la France a subordonné<br />
sa politique à une illusion :<br />
la poursuite du temps révolu<br />
où elle était une puissance<br />
mondiale. Résultat, elle a perdu<br />
de son influence. L’Allemagne<br />
seule devra à présent sauver<br />
l’Europe. Si toutefois<br />
elle tient à l’Europe.<br />
Maciej Nowicki<br />
Newsweek Polska Varsovie<br />
Source : Eurostat