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courrier international

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En cette période de crise,<br />

comment remplir les caisses<br />

vides de l’Etat ? En taxant<br />

les prostituées, répond la ville<br />

de Bologne. Une initiative<br />

qui provoque la polémique.<br />

Messaggero Veneto Udine<br />

ordenone (dans la région<br />

Frioul-Vénétie). En ce début<br />

d’année, un client désobligeant<br />

frappe à la porte des<br />

prostituées : le fisc. Les<br />

caisses sont vides et l’Italie<br />

a déclaré la guerre aux<br />

fraudeurs, avec pour mot<br />

d’ordre : taxer tout le<br />

monde et le faire vite [le<br />

gouvernement Monti a<br />

lancé fin décembre 2011<br />

une vaste offensive contre<br />

l’évasion fiscale, multipliant les<br />

contrôles fiscaux]. La liste des<br />

cibles s’allonge de jour en jour.<br />

Dans la ligne de mire, les “belles<br />

de nuit” l’ont mauvaise.<br />

Petit résumé des événements<br />

: la ville de Bologne a été<br />

choisie comme ville-pilote d’un<br />

projet mis au point conjointement<br />

par les forces de l’ordre<br />

et la Direction générale des<br />

finances publiques italienne.<br />

Dans ce chef-lieu de l’Emilie-Romagne, les<br />

premières recensent les professionnelles<br />

et transmettent leurs données à la se -<br />

conde, qui se charge de taxer les revenus<br />

de la prostitution. “Tout le monde doit être<br />

logé à la même enseigne”, se réjouissent les<br />

contribuables, chancelant sous des coups<br />

du fisc pires que ceux de Mike Tyson à la<br />

grande époque. “Hallucinant ! Commençons<br />

par légaliser une profession qui n’a droit ni<br />

à la retraite ni à la sécurité sociale avant de<br />

la taxer”, rétorquent les défenseurs des<br />

droits fondamentaux de la personne, qui<br />

essaient d’élever le débat.<br />

A Bologne comme à Pordenone, les<br />

prostituées qui travaillent dans la rue font<br />

l’objet d’un vaste plan de recensement.<br />

Outre la possibilité que l’expérience soit<br />

étendue à d’autres villes italiennes, il s’est<br />

avéré que chaque enquête concernant de<br />

près ou de loin des prostituées (mises en<br />

examen ou simples témoins) avait abouti<br />

à leur signalement auprès du Corps des<br />

agents de la répression des fraudes. Ces<br />

derniers ne se contentent pas de passer<br />

l’information à la Direction générale des<br />

finances publiques, mais s’efforcent de<br />

retracer les mouvements d’argent sur les<br />

comptes courants et les gains souvent<br />

démesurés par rapport aux revenus déclarés.<br />

Et, si l’excuse de la prostitution<br />

permettait autrefois de s’en tirer à bon<br />

compte face aux questions indiscrètes des<br />

inspecteurs fiscaux, les temps ont changé.<br />

�P<br />

SEX-TAX<br />

6 € + – OK<br />

C’est le prix du ticket que doivent<br />

payer les prostituées à Bonn<br />

(Allemagne) pour pouvoir travailler<br />

en toute légalité dans la rue.<br />

En août 2011, la municipalité<br />

a instauré une “sex tax” :<br />

Courrier <strong>international</strong> | n° 1110 | du 9 au 15 février 2012 � 23<br />

les intéressées doivent prendre<br />

leur ticket – valable de 20 h 15<br />

à 6 heures du matin – à un<br />

horodateur spécial, sans quoi<br />

elles risquent jusqu’à 100 euros<br />

d’amende.<br />

Italie<br />

Prostituée : un métier qui rapporte gros… à l’Etat<br />

� Dessin de Luci Gutiérrez paru dans<br />

El Mundo, Madrid.<br />

En 2010, l’arrêt numéro 20528 de la<br />

Cour de cassation a établi que les revenus<br />

tirés du commerce de son propre corps<br />

pouvaient être assujettis à l’impôt. Jusqu’ici<br />

la théorie n’a guère été mise en pratique,<br />

pour deux raisons : d’abord, à cause<br />

du nombre démesuré de filles d’origine<br />

étrangère prisonnières des réseaux, souvent<br />

de passage en Italie et donc difficiles<br />

à retrouver et à poursuivre avec profit pour<br />

les caisses de l’Etat ; ensuite, en raison des<br />

faibles résultats des premiers contrôles<br />

effectués sur le territoire italien.<br />

Mais la situation est en train d’évoluer.<br />

Confronté à l’absolue nécessité de renflouer<br />

ses caisses, l’Etat a découvert que la<br />

prostitution avait déserté les trottoirs de<br />

la province et proliférait à l’abri des murs.<br />

Les affaires sont florissantes et les sommes<br />

en jeu non négligeables. Au point que le<br />

débat sur l’avenir de la loi Merlin [du nom<br />

de son initiatrice, cette loi adoptée en 1958<br />

interdit les maisons de prostitution et<br />

sanctionne le proxénétisme sous toutes ses<br />

formes] et sur la légalisation de ce genre<br />

de profession mérite d’être rouvert.<br />

Pour le préfet Pierfrancesco Galante,<br />

chargé de coordonner les forces de l’ordre<br />

pour la province de Pordenone, “après<br />

toutes ces années, le moment est peut-être venu<br />

de retoucher la loi Merlin”. Les données parlent<br />

d’elles-mêmes : la légalisation de la<br />

prostitution priverait 25 % du crime organisé<br />

de son gagne-pain et aurait des retombées<br />

positives sur le PIB de l’Italie, au-delà<br />

du secteur. En ce début d’année, plus que<br />

jamais l’argent n’a pas d’odeur. �<br />

Europe<br />

Inscrire le travail du sexe dans le droit<br />

L’idée d’interdire la prostitution<br />

gagne du terrain en Europe.<br />

Effet pervers : il génère un<br />

marché noir incontrôlable.<br />

Faut-il libéraliser la profession ?<br />

Der Standard (extraits) Vienne<br />

�<br />

a prostitution a toujours existé<br />

L et existera toujours. Ce truisme<br />

présenté comme une loi naturelle<br />

a servi de fondement au refus d’interdire<br />

le commerce du sexe. En Suède,<br />

une loi a été adoptée en 1999 qui criminalise<br />

la demande – les clients –, et non<br />

l’offre de services sexuels. Objectif à long<br />

terme : supprimer la prostitution. La Norvège<br />

a déjà aligné sa législation sur un<br />

modèle équivalent et la France en prend<br />

le chemin. L’Autriche, en revanche, prend<br />

modèle sur l’Allemagne, où la “prostitution”<br />

a fait place au “travail du sexe” – qu’il<br />

convient de traiter comme n’importe<br />

quel autre travail, avec des droits et<br />

des devoirs.<br />

Dans les deux cas, c’est la volonté<br />

d’assurer la protection des “travailleurs<br />

et travailleuses du sexe” qui prime. Jusqu’à<br />

présent, en Autriche, le législateur n’a<br />

cependant pas réussi à imposer que le travail<br />

du sexe soit considéré comme un service<br />

normal. La législation maintient la<br />

notion d’“atteinte aux bonnes mœurs”.<br />

Le travail du sexe y est donc considéré<br />

comme une profession pseudo-libérale<br />

qui ne permet ni le statut d’employé salarié<br />

ni le recours en justice pour non-paiement<br />

du service. Les associations de<br />

défense de ceux et celles qui exercent le<br />

métier le déplorent.<br />

“Il faut inscrire le travail du sexe dans<br />

le droit du travail”, estime Birgit Sauer,<br />

politologue à l’université de Vienne. “Ce<br />

n’est pas l’orientation qui s’esquisse au niveau<br />

européen, reconnaît-elle. Actuellement, les<br />

Contrepoint<br />

“Taxez-nous,<br />

s’il vous plaît !”<br />

La lettre d’une prostituée adressée<br />

à Mario Monti.<br />

Qu’il paraît loin, le temps où les écoutes<br />

téléphoniques révélaient d’inavouables<br />

relations entre le président du Conseil<br />

italien et certaines prostituées de luxe !<br />

En décembre 2011, Marina – profession<br />

escort girl – a adressé<br />

au chef du gouvernement, Mario Monti,<br />

une lettre ouverte, publiée<br />

dans le journal napolitain Il Mattino,<br />

non pour demander de l’argent mais<br />

pour en offrir. “Faites-nous payer<br />

des taxes, permettez-nous d’aider<br />

notre pays, plaidait la jeune femme.<br />

La légalisation de la prostitution<br />

ferait rentrer des millions d’euros<br />

dans les caisses et réglerait<br />

le problème de l’exploitation<br />

des prostituées.”<br />

“La question soulevée est importante,<br />

commente le site d’information<br />

Linkiesta. En libéralisant cette<br />

profession, Monti lutterait contre<br />

les réseaux criminels et aiderait<br />

beaucoup de filles.” Son prédécesseur,<br />

Silvio Berlusconi, n’en faisait-il<br />

pas autant, à sa manière ?<br />

groupes de pression qui s’activent à Bruxelles,<br />

tel le très influent European Women’s Lobby,<br />

plaident pour la prohibition et sont largement<br />

majoritaires par rapport aux adeptes<br />

du travail du sexe.” Dans la pratique,<br />

l’appro che abolitionniste représente un<br />

immense danger. “Du fait de sa législation,<br />

c’est une forme d’activité professionnelle que<br />

la Suède occulte. Conséquence : les femmes<br />

évoluent dans la clandestinité, sans que<br />

quiconque prête attention à leurs conditions<br />

de vie et de travail.”<br />

“Le problème essentiel de la pénalisation,<br />

pointe Birgit Sauer, c’est qu’elle conduit à<br />

établir une zone grise où les prestataires de<br />

services ne bénéficient d’aucune des mesures<br />

légales de protection qui existent dans toutes<br />

les professions, de la réglementation du temps<br />

de travail aux droits sociaux en passant par<br />

l’hygiène. Ce marché noir rend les personnes<br />

très vulnérables et exerce une violence structurelle,<br />

qui se traduit aussi par des violences<br />

physiques.” Birgit Tombor

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