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52 � Courrier <strong>international</strong> | n° 1110 | du 9 au 15 février 2012<br />
“Metropolis”<br />
En 1926, Fritz Lang tourne aux studios<br />
Babelsberg ce chef-d’œuvre du cinéma<br />
expressionniste allemand.<br />
51 � choix des comédiens, la réalisation des<br />
décors, les enregistrements en studio, le montage,<br />
la synchronisation, la composition de la<br />
bande-son et la distribution, le visiteur sillonne<br />
le labyrinthe qu’est la fabrication d’un film. Les<br />
étapes sont illustrées par des objets, des animations<br />
et des photographies. Des décors de studio,<br />
des tables de montage où l’on peut monter soimême<br />
un film, et une salle de projection permettent<br />
au visiteur de “revivre” le processus de<br />
création d’un film.<br />
Bärbel Dalichow et son équipe ont illustré les<br />
neufs modules de l’exposition par “cent histoires<br />
de Babelsberg”, qui célèbrent les grandes heures<br />
de l’UFA [Universum Film AG, la grande société<br />
de production des années d’avant-guerre, 1917-<br />
1945], de la Defa [Deutsche Film AG, le studio<br />
d’Etat de la RDA, 1946-1990] et des actuels studios<br />
Babelsberg. Y sont notamment relatées<br />
les histoires de scénarios marquants (Nu parmi<br />
les loups, de Frank Beyer, 1963), de comédiens<br />
célèbres (Marlene Dietrich, Hildegard Knef ou<br />
Kate Winslet) ou encore de décorateurs comme<br />
Otto Hunte (Les Nibelungen, de Fritz Lang, 1924)<br />
et Uli Hanisch (L’Enquête, de Tom Tykwer, 2009).<br />
Incarnations des trois époques des studios<br />
Babelsberg, les noms de Fritz Lang (Metropolis,<br />
pour l’UFA, 1927), Heiner Carow (La Légende de<br />
Paul et Paula, pour la Defa, 1973) et Roman<br />
Polanski (Le Pianiste, 2002 ; The Ghostwriter, 2010)<br />
figurent dans l’exposition, distillés de-ci de-là<br />
parmi les quelque 500 objets et 350 extraits de<br />
films présentés.<br />
Et c’est bien le premier problème de cette<br />
exposition permanente : au lieu de se concentrer<br />
sur quelques pièces majeures évoquant l’histoire<br />
de Babelsberg, les commissaires de l’exposition<br />
ont misé sur la quantité. Or, quantité n’est pas<br />
toujours synonyme de qualité. A moins qu’il ne<br />
faille en blâmer la municipalité de Potsdam. Au<br />
vu de l’importance du lieu, celle-ci aurait dû opter<br />
Hommage<br />
La 62 e édition de<br />
la Berlinale, le festival<br />
<strong>international</strong> du film<br />
qui se tient<br />
du 9 au 19 février<br />
dans la capitale<br />
allemande, célèbre<br />
le centenaire<br />
des studios Babelsberg<br />
avec une rétrospective<br />
intitulée “Happy<br />
Birthday, Studio<br />
Babelsberg”. Au<br />
programme, dix films,<br />
un par décennie,<br />
du Dernier des<br />
hommes, de Friedrich<br />
Murnau (1924),<br />
à The Reader,<br />
de Stephen Daldry<br />
(2008), sans oublier<br />
le mythique Ange bleu,<br />
de Josef Von Sternberg<br />
(1930), avec Marlene<br />
Dietrich.<br />
Pour en savoir plus :<br />
bit.ly/BabelFilm).<br />
pour un musée plus vaste : compte tenu de l’histoire<br />
complexe des studios, 450 m² de superficie<br />
limitent le champ des possibles.<br />
Car c’est là l’autre problème de l’exposition.<br />
Le fait que l’aspect historique ait été sacrifié au<br />
profit d’une approche positiviste fondée sur le<br />
décryptage des étapes de la fabrication d’un film<br />
paraît incompréhensible. Les studios Babelsberg<br />
ne sauraient être réduits à une version allemande<br />
de Hollywood. Ils sont un reflet fidèle de l’histoire<br />
de l’Allemagne.<br />
C’est en 1912 que retentit le premier clap,<br />
marquant le début des tournages dans les studios<br />
Babelsberg. Grâce à la proximité de Berlin et aux<br />
conditions de tournage idéales, avec ses hangars<br />
couverts, le complexe cinématographique connaît<br />
un essor rapide et attire des cinéastes de renom.<br />
Des classiques du cinéma muet comme Le Golem,<br />
de Paul Wegener (1920), Metropolis (1927) et La<br />
Femme sur la lune (1929), de Fritz Lang, y sont nés<br />
et comptent aujourd’hui parmi les chefs-d’œuvre<br />
du cinéma expressionniste. En 1929, l’UFA édifie<br />
la Tonkreuz [croix du son]. Composé de quatre<br />
ailes, ce bâtiment abritait le matériel d’enregis-<br />
A la naissance du parlant, en 1929,<br />
Babelsberg se dote de studios<br />
d’enregistrement à la pointe<br />
du progrès.<br />
STUDIOS BABELSBERG<br />
trement le plus en pointe de l’époque, avec ses<br />
quatre studios distribués selon un plan en croix.<br />
Dès 1933, Babelsberg devient l’un des centres<br />
névralgiques du régime nazi. Goebbels fait de<br />
l’UFA un instrument de propagande. Les studios<br />
sont agrandis et les vedettes du cinéma nazi s’installent<br />
dans le quartier résidentiel voisin, sur les<br />
rives du Griebnitzsee. Plus d’un millier de films<br />
y verront le jour durant cette période, parmi lesquels<br />
le pamphlet antisémite Le Juif Süss [de Veit<br />
Harlan, 1940]. Mais la cadence de production de<br />
l’industrie cinématographique nazie masque le<br />
déclin des studios : les réalisateurs quittent l’Allemagne,<br />
les artistes juifs sont licenciés, déportés<br />
et assassinés. Le septième art s’appauvrit.<br />
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale,<br />
la Defa tente de donner une deuxième vie<br />
aux studios. Les assassins sont parmi nous, de<br />
Wolfgang Staudte (1946), avec Hildegard Knef,<br />
est la première production d’après-guerre à<br />
Babelsberg, où plus de 700 films seront tournés<br />
jusqu’en 1990. Babelsberg devient autant le<br />
haut lieu des dissidents du septième art que<br />
des apologistes de la RDA. A la chute du Mur,<br />
le complexe est mis en vente par la Treuhand<br />
[l’organisme chargé de la privatisation des<br />
entreprises d’Etat est-allemandes] et les studios<br />
sont privatisés [vendue à la Générale des<br />
eaux en 1992, puis revendue à un groupe d’investisseurs<br />
en 2004, Studio Babelsberg AG est<br />
une entreprise cotée en Bourse depuis 2005].<br />
Aujourd’hui, le site accueille aussi bien les grosses<br />
productions que les séries télévisées, ainsi qu’une<br />
école de cinéma [la célèbre Hochschule für Film<br />
und Fernsehen Konrad Wolf].<br />
Une exposition célébrant le 100 e anniversaire<br />
des studios aurait dû refléter cette histoire, porter<br />
un regard critique sur elle et se poser cette question<br />
: y a-t-il des zones sombres et pourquoi ? A<br />
cela, “Traumfabrik” n’apporte pas de réponse.<br />
Rolf Lautenschläger<br />
AKG-IMAGES