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38 � Courrier <strong>international</strong> | n° 1110 | du 9 au 15 février 2012<br />
Afrique<br />
Soudan du Sud<br />
Œil pour œil, dent pour dent<br />
Les violences interethniques<br />
s’intensifient dans le plus jeune<br />
Etat du monde alors que le<br />
gouvernement semble incapable<br />
de gérer la situation.<br />
The National (extraits) Abou Dhabi<br />
�<br />
Juba, la capitale du Soudan du<br />
A Sud, un hôpital donne une idée<br />
des tensions ethniques qui sont<br />
en train de mettre à mal l’unité du tout<br />
jeune pays. Une partie d’une aile du Juba<br />
Teaching Hospital est réservée aux Murle,<br />
une ethnie qui vit, tant bien que mal de<br />
l’élevage de bovins. L’odeur pestilentielle<br />
des pansements souillés et des plaies purulentes<br />
s’accompagne de temps à autre des<br />
cris d’un enfant à qui, du fait d’un coup de<br />
machette, il manque une grande partie du<br />
haut du dos. A quelques mètres de là, dans<br />
le couloir, une vieille femme grimace de<br />
douleur pendant que l’infirmière nettoie<br />
le trou béant laissé par une balle qui a traversé<br />
son bras, mettant les os à nu.<br />
Dans un bâtiment situé de l’autre côté<br />
du complexe hospitalier se trouvent les<br />
ennemis des Murle, les membres de la tribu<br />
Lou Nuer, qui sont également un peuple<br />
de pasteurs. Certains sont très jeunes, parfois<br />
âgés de 14 ans seulement et, malgré<br />
leurs blessures, ils sont sûrs d’eux, voire<br />
arrogants, convaincus d’avoir l’avantage<br />
sur leurs adversaires.<br />
La proximité de ces groupes issus de<br />
peuples en guerre, qui se font soigner par<br />
les mêmes médecins et infirmières, symbolise<br />
l’un des innombrables problèmes<br />
qui se posent au Soudan du Sud : des populations<br />
désespérément pauvres qui vivent<br />
dans une promiscuité haineuse, alors que<br />
leur nouveau gouvernement est incapable<br />
d’instaurer la paix entre elles.<br />
En dépit des signes évidents d’une<br />
campagne qui se préparait parmi les jeunes<br />
Repères Le 9 juillet 2011, le Soudan<br />
du Sud a proclamé son<br />
indépendance. Entre le 9 et le<br />
15 janvier 2011, les Sud-Soudanais<br />
avaient voté, par voie de référendum,<br />
à près de 99 % en faveur de la<br />
Une instabilité chronique<br />
TCHAD<br />
D A R F O U R<br />
RÉP.<br />
CENTRAFRICAINE<br />
Situation au 6 février 2012<br />
SOUDAN<br />
Wau<br />
Abyei<br />
RÉP. DÉM.<br />
DU CONGO<br />
Principaux combats interethniques recensés en 2011<br />
Régions disputées entre le Soudan et le Soudan du Sud<br />
Oléoducs opérationnels ou en projet<br />
Lou Nuer, visant les communautés Murle,<br />
ni le gouvernement ni les Nations unies<br />
n’ont été en mesure de déployer assez de<br />
troupes pour repousser les attaques qui<br />
ont commencé fin décembre 2011. Ils justifient<br />
leur incapacité à enrayer le conflit<br />
par l’état des routes, transformées en bourbier<br />
durant la saison des pluies. Mais l’état<br />
des routes ne représente pas le seul facteur<br />
imprévisible dans les contrées reculées de<br />
Jonglei, un Etat situé dans l’est du pays.<br />
Les chefs des deux communautés se plaignent<br />
de l’insécurité et du manque de services<br />
essentiels. Au Soudan du Sud, la<br />
justice est souvent rendue au bout du<br />
canon d’un fusil. Cette tendance, conjuguée<br />
à une culture de vol de bétail qui s’ac-<br />
sécession. Mais les deux voisins ne<br />
sont toujours pas d’accord sur la<br />
démarcation de leurs frontières et<br />
sur la répartition des richesses tirées<br />
du pétrole, extrait aux trois quarts<br />
dans le Sud. Le différend porte sur le<br />
Vers la mer Rouge<br />
SOUDAN<br />
DU SUD<br />
KORDOFAN<br />
DU SUD<br />
Nil Blanc<br />
Malakal<br />
Juba<br />
Khartoum<br />
NIL<br />
BLEU<br />
ETAT DU JONGLEI<br />
OUGANDA<br />
ÉTHIOPIE<br />
KENYA<br />
Projet d’oléoduc<br />
vers l’océan Indien<br />
Autres incidents armés en 2011<br />
Principaux puits de pétrole<br />
montant des frais de transit pour<br />
permettre l’exportation du pétrole<br />
sud-soudanais via le territoire<br />
soudanais. En outre, chacun des<br />
deux camps accuse l’autre de<br />
soutenir une rébellion sur son sol.<br />
ÉRYTHRÉE<br />
400 km<br />
10° N<br />
compagne fréquemment d’enlèvements de<br />
femmes et d’enfants, a aggravé le conflit.<br />
Le gouvernement s’est engagé à lancer<br />
une enquête et à punir tous ceux qui se<br />
sont rendus coupables d’incitation à la violence,<br />
quelle que soit leur appartenance<br />
ethnique ou leurs fonctions politiques.<br />
Selon Barnaba Marial Benjamin, le porteparole<br />
du gouvernement, l’enquête s’inscrit<br />
dans un plan de stabilisation pour le<br />
Jonglei. Ce plan prévoit l’envoi de milliers<br />
de soldats dans la région pour former une<br />
zone tampon entre les tribus en guerre.<br />
A long terme, précise M. Benjamin, le<br />
gouvernement construira des routes pour<br />
favoriser le développement économique<br />
et assurer la mobilité des forces de sécu-<br />
Pétrole<br />
Juba ferme le robinet, Khartoum lance des représailles<br />
Le conflit de l’or noir, produit<br />
dans le Sud mais exporté par les<br />
oléoducs du Nord, couvait<br />
depuis que le Soudan du Sud a<br />
fait sécession, en juillet 2011.<br />
Quand Khartoum a commencé à<br />
confisquer le pétrole en guise de<br />
paiement [des frais de transit], le<br />
gouvernement de Juba a décidé,<br />
le 20 janvier, de suspendre sa<br />
production. Pagan Amum,<br />
principal négociateur du Sud, a<br />
fait savoir à Alex de Waal,<br />
spécialiste du Soudan et<br />
conseiller de l’Union africaine<br />
(UA), que son gouvernement ne<br />
céderait pas aux pressions de<br />
ses vieux ennemis de Khartoum.<br />
“C’est une question de respect.<br />
Nous sommes peut-être pauvres<br />
mais nous serons libres.” Pour de<br />
Waal, la décision de suspendre la<br />
production est “suicidaire” car<br />
l’argent du pétrole représente<br />
97 % du budget du Sud. “Le<br />
Soudan du Sud a lancé sa<br />
machine à détruire l’économie.<br />
Après ça, il faudra au moins six<br />
mois de travail pour relancer les<br />
exportations”, écrit-il. Dans le<br />
même temps, Juba a annoncé<br />
un accord ambitieux pour la<br />
construction d’un oléoduc<br />
passant par le Kenya. Même si le<br />
projet se concrétise, il ne sera<br />
pas terminé avant des années.<br />
Par ailleurs, le gouvernement de<br />
Khartoum affirme que les<br />
rebelles fidèles à l’Armée de<br />
libération du peuple soudanais<br />
(ALPS), mouvement affilié au<br />
Soudan du Sud et basé dans les<br />
Etats nordistes du Kordofan du<br />
Sud et du Nil Bleu, sont<br />
téléguidés par Juba. “Nul ne peut<br />
nous empêcher de prendre notre<br />
dû. C’est notre droit”, a déclaré<br />
Ali Ahmed Karti, ministre des<br />
Source : OCHA <br />
Affaires étrangères du Soudan,<br />
pour justifier les confiscations<br />
de pétrole. “Si vous abritez des<br />
rebelles, si vous les armez contre<br />
moi, leur donnez des munitions,<br />
des salaires, tout, un<br />
entraînement, du matériel, à<br />
quoi dois-je m’attendre ? Je dois<br />
m’attendre à la guerre.” Ces<br />
tensions sont exacerbées par<br />
l’intensification des<br />
bombardements des forces de<br />
Khartoum sur les bases rebelles,<br />
qui visent en général aussi les<br />
camps de réfugiés. Tandis que<br />
500 000 personnes auraient<br />
rité. A plus court terme, un autre projet<br />
suscite la polémique, celui d’une campagne<br />
de désarmement. “Dans ces zones, les civils<br />
supplient : ‘Venez nous protéger !’ Bien, alors<br />
c’est ce que nous allons faire, poursuit M. Benjamin.<br />
Mais en plus, nous allons leur dire<br />
maintenant : ‘Apportez vos armes. Il est<br />
interdit de porter des armes, surtout des<br />
pistolets mitrailleurs, sans permis.’”<br />
D’aucuns mettent en garde contre un<br />
désarmement entrepris trop brutalement,<br />
qui risque de provoquer encore plus d’effusions<br />
de sang. Ils invoquent des cam-<br />
La justice est souvent<br />
rendue au bout<br />
du canon d’un fusil<br />
pagnes passées qui non seulement se sont<br />
révélées inefficaces – les armes confisquées<br />
retournant insidieusement dans les communautés<br />
– mais qui ont également donné<br />
lieu à des violences inouïes.<br />
Ainsi, une tentative de désarmement<br />
dans le Jonglei en 2006 a fait en moyenne<br />
un mort pour deux armes saisies, sur un<br />
total de 1 600 armes. Dans la situation<br />
extrêmement tendue qui prévaut à l’heure<br />
actuelle, un programme de désarmement<br />
par la force aurait des conséquences similaires.<br />
Les Murle craignent que le désarmement<br />
ne commence avec eux, les<br />
rendant vulnérables aux attaques.<br />
Le gouvernement n’a pas encore mis<br />
sur pied la commission d’enquête, ni<br />
annoncé la date à laquelle débutera le<br />
désarmement. Il n’a pas non plus donné<br />
une estimation du nombre des victimes.<br />
L’ONU fait savoir que ses équipes chargées<br />
des droits de l’homme procèdent au comptage<br />
des corps. Mais on ne connaîtra sans<br />
doute jamais le bilan exact, les animaux<br />
sauvages dévorant les cadavres et dispersant<br />
les ossements. Jared Ferrie<br />
besoin d’une aide alimentaire,<br />
Khartoum minimise le problème<br />
et interdit aux organisations<br />
d’aide d’accéder à la zone,<br />
officiellement pour des raisons<br />
de sécurité. Une intervention<br />
humanitaire serait selon lui un<br />
prétexte ou un prélude à une<br />
intervention plus musclée,<br />
comme en Libye. Malgré les<br />
apparences, ni le Nord ni le Sud<br />
n’ont renoncé à leur ancien<br />
conflit, qu’ils poursuivent tous<br />
deux par d’autres moyens.<br />
Simon Tisdal, The Guardian<br />
(extraits) Londres