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Beaudelaine Pierre<br />
Port-au-Prince se lèvera<br />
J’apprenais que les vagues, tôt ou tard, se déchaineraient. Qu’elles<br />
se déchainent souvent. Je refoulais secrètement au-dedans de moi<br />
l’excitation néfaste de voir venir le malheur. De vouloir l’affronter.<br />
Et, comme Télumée, avoir jusqu’au bout le courage de tenir la bride<br />
du cheval. J’ai lu Simone Schwarz-Bart tout juste avant. Je hachais le<br />
livre page après page. Le livre aussi me faisait subir sa torture. On se<br />
déchirait l’un l’autre. Avec hargne. Ca me prenait par la tête et j’avais<br />
mal partout. Mon cœur se tordait de douleur. Ma gorge se nouait.<br />
Des tripes? J’en avais plus. Ah Télumée, tu me vidais toujours de mon<br />
moi. Tu me charriais, m’emportais; et je devenais comme vagues sur<br />
l’océan. Dans ma gorge, mes larmes ne tarissaient pas. Mes dents se<br />
serraient. Ma salive devenait sang. Mes muscles étaient de glace. Je<br />
ne respirais plus. J’allais de champ de bataille en champ de bataille. Je<br />
pleurais avec toi tes morts. Mon cœur se déchira lors de l’incendie. Et<br />
quand l’amour s’en alla loin de toi, je hurlai moi aussi. De douleurs.<br />
De dépit. J’avais mal partout. Mais, tonnerre! J’aimais ce plaisir-là.<br />
Car toujours tu tenais la bride du cheval.<br />
Je te relisais quand c’est arrivé. Mon amie Pat me l’a annoncé. Au<br />
téléphone. On revenait d’un parc d’attraction. Avec mes deux enfants<br />
Ann-Lyse et Max. Ma fille aimait bien cette journée-là; l’une des<br />
plus belles depuis son arrivée à Minnesota, fin décembre 2009. Je la<br />
regardais traverser allégrement les engins. Et mon cœur ne pouvait<br />
se contenir. Je disais alors à Pat, quand Annie sera en Haïti, elle demandera<br />
à son père de l’y emmener régulièrement. Comme si c’était<br />
la porte à coté. Le seul point sombre jusque-là a été d’apprendre qu’un<br />
ancien compagnon de lutte a été assassiné. Mais je venais tout juste<br />
de comprendre avec toi, Télumée, que les fleuves et les rivières se perdent<br />
tous un jour dans l’océan. J’apprenais donc à vivre de mes joies<br />
et de mes douleurs. Je me suis entièrement donnée à cette excursion.<br />
Pierre / Port-au-Prince se lèvera<br />
contents<br />
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