obscenites renaissantes - ePrints Soton - University of Southampton
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Ill<br />
JEANICE BROOKS<br />
transgressif. P. Simons, R. Zorach et moi-meme nous interessons toutes trois aux fa^ons<br />
dont les qualites physiques de 1'image visuelle ou sonore suscitent des reponses physiques,<br />
produisant une circularite somatique qui perturbe pr<strong>of</strong>ondement les frontieres entre<br />
representation et action. Que Ton consente a Taction {cf. le comportement des invites<br />
au mariage dans VAmadis de Gohory, dans la contribution de J. Brooks), ou qu'on y<br />
resiste, ce qui peut conduire a efFacer ou a detruire I'ceuvre (R. Zorach), on est pris par<br />
I'energie proliferante de I'obscene, qui est Tune de ses plus troublantes caracteristiques<br />
pour les hommes de I'epoque. Les exemples de vertu, comme I'histoire de Livia, femme<br />
d'Auguste (dont parle R Simons), supposent souvent que Ion refuse de sengager dans<br />
ce jeu reflexif des corps. Certains livres de bonnes manieres du milieu du siecle, destines<br />
aux femmes protestantes, leur recommandent litteralement de se boucher les oreilles, de<br />
detourner les yeux et de fermer leur bouche face aux sons, aux images et aux mots lascifs.<br />
Livia, de fa^on ostentatoire, s'abstient de reagir; de meme, ces efforts pour fermer<br />
les orifices du corps afin d'empecher toute penetration de I'exterieur peuvent etre lus<br />
comme des tentatives pour circonvenir I'effet que les sons et les images pourraient avoir<br />
sur le corps : il s'agit de nier I'existence meme de I'obscenite.<br />
Les frontieres de I'obscene se definissent differemment selon la position sociale,<br />
selon qu'on est un homme ou une femme. Comme le montre R Simons, c'est Telite,<br />
ce sont les « honnetes » femmes qui doivent se montrer choquees, pas les courtisans<br />
ou les individus de basses conditions. Ainsi, imputer a une femme de haut rang des<br />
connaissances en matiere sexuelle, la traiter comme si elle ne pouvait etre choquee,<br />
ce qui est un trait de courtisane, c'est une fa^on de I'agresser (comme dans I'histoire<br />
de Cellini et de Madame d'Estampes commentee par R Simons), et les femmes ellesmemes<br />
avaient tout interet a se montrer saisies, au moins en public. Jauger les reactions<br />
des femmes par le biais d'images explicitement sexuelles, comme lorsqu'une chanson<br />
paillarde est chantee pour une princesse (J. Brooks) ou que Ton fait passer un gobelet<br />
decore d'images indecentes a des dames de la cour (R Simons), c'est non seulement<br />
explorer la nature de I'obscene, mais aussi mettre a I'epreuve la qualite de la femme.<br />
Savoir dissimuler des emotions ou des reactions inappropriees, c'est le propre<br />
du courtisan qui reussit, et cela peut meme contribuer a definir le rang d'un homme.<br />
Dans la mesure ou nous nous occupons essentiellement ici de poesie, dart et de<br />
musique d'origine curiale, il est important de s'interroger sur ces dynamiques. On<br />
prise I'art avec lequel le courtisan doit savoir se presenter et tenir un role, ce qui<br />
suppose notamment qu'il ait la capacite de camoufler I'indecence de fagon a la rendre<br />
acceptable. Certaines des critiques les plus rigoureuses, comme la condamnation par<br />
Gilles Corrozet des blasonneurs (C. Alduy), s'expliquent ainsi par une aversion pour cet<br />
aspect de I'esthetique dc cour, I'utilisation d'un style clcve pour decrirc des choses viles<br />
notamment. Lorsque les gravures et les livres de chansons commencerent a diffuser<br />
aupres de nouveaux publics des images et des musiques qui avaient ete auparavant<br />
reservees a des audiences curiales, ils rendirent la cour vulnerable aux accusations de<br />
dissolution et de decadence qui avaient caracterise les attaques anti-auliques depuis<br />
la periode classique. J. Dejean a beaucoup insiste sur le fait que I'imprime a rendu