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Wade solitaire à Versailles

GAB EnQuete - Enquête

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EN VÉRITÉIBRAHIMA THIOUB, PROFESSEUR D’HISTOIRE A L’UCAD“Le problème avec la Gambie, c’estl'absence d'enjeu géostratégique important”Dans cette deuxième et dernière partie de l'entretien accordé <strong>à</strong> EnQuête (voirnotre édition d'hier), le Pr. Ibrahima Thioub revient sur la complexité du différendsénégalo-gambien avec en toile de fond l'incontournable crise casamançaise.PAR ALIOU NGAMBY NDIAYEProfesseur, la Gambie est-elle dansle double jeu sur la crise casamançaise ?Je n’irai pas jusqu’<strong>à</strong> dire un double jeu, maisun jeu alternatif, une diplomatie du clair-obscuren rapport avec ses intérêts diplomatiques.Tantôt, la Gambie occupe la posture du facilitateuren accueillant même les négociations entrel’Etat du Sénégal et le MFDC (Banjul 1, Banjul2, etc.), tantôt elle laisse certains leaders duMFDC circuler librement sur son territoire etmême pire, on découvre des armes assezsophistiquées, destinées <strong>à</strong> la Gambie aumoment où la rébellion montre une capacitémilitaire accrue du point de vue technique. Avecla complicité ou non du régime gambien, l’accès<strong>à</strong> cette technologie militaire passe par laGambie. Cela n’est pas pour plaire <strong>à</strong> l’Etat sénégalais; il met plutôt en rogne le gouvernementde <strong>Wade</strong> contre Yaya Jammeh. <strong>Wade</strong> n’a pasalors hésité <strong>à</strong> exclure Jammeh du rôle de facilitateurdans la crise casamançaise et cela a certainementcontribué <strong>à</strong> la panne des négociationsdans les dernières années. A partir de cemoment, on peut conclure que les relationsentre les deux pays alternent des hauts et desbas sans jamais verser jusqu’ici dans l’incandescence.“On découvre des armes assez sophistiquées, destinées<strong>à</strong> la Gambie au moment où la rébellion montre unecapacité militaire accrue du point de vue technique.”Est-ce qu'une nouvelle tension entre lesdeux pays ne risque pas de compromettrele processus de paix en Casamance,entamé par le président Macky Sall ?La panne des négociations entre le MFDCet le gouvernement du Sénégal est survenuesous le régime d’Abdoulaye <strong>Wade</strong>. Cettequestion est au cœur des priorités du nouveaurégime. Le gouvernement s’y investitcorps et âme. La tenue d’un conseil desministres décentralisé sur Ziguinchor estsignificative de l’intérêt que le gouvernementporte <strong>à</strong> la question. Le nouveau régime sénégalaisa certainement compris que sans l’implicationdes voisins du Sénégal, il sera extrêmementdifficile d’aboutir <strong>à</strong> une paix durableen Casamance, d’autant que globalement, lasous-région est en proie <strong>à</strong> une instabilité politiquequi risque de s’inscrire dans la duréeavec la situation au Mali, en Guinée Conakryet en Guinée Bissau. Je pense que c’est celaqui a motivé Macky Sall <strong>à</strong> poser un acte fortconsistant <strong>à</strong> consacrer sa première sortie <strong>à</strong>l’étranger, en tant que président, <strong>à</strong> laGambie. Au centre de cette visite se trouve laquestion casamançaise.Partant de tous ces facteurs imbriqués defaçon complexe et souvent contradictoire, onpeut estimer que la crise actuelle entre leSénégal et la Gambie laisse penser <strong>à</strong> plusieurshypothèses possibles. Première hypothèse: Yaya Jammeh a pu estimer qu’il a tropcédé au Sénégal en acceptant la constructiond’un pont sur la Gambie et veut reprendre enmain la situation, en préservant l’instrumentdont il dispose pour affaiblir la diplomatiesénégalaise : la crise casamançaise. Dans cecas de figure, la situation pourrait rapidements’apaiser car le résultat recherché estdéj<strong>à</strong> acquis.Ensuite ?J'en viens <strong>à</strong> ma deuxième hypothèse : l’objetde la crise actuelle, liée <strong>à</strong> l’exécution descondamnés <strong>à</strong> mort dont deux Sénégalais,peut être lié <strong>à</strong> la différence de régime politiqueentre les deux pays. Le Sénégal est unedémocratie, c’est un atout qu’il peut jouerauprès de la communauté internationale, laGambie est gouvernée par un régime autoritaire,dictatorial, qui n’autorise pas l’expressionplurielle. Cette situation peut être <strong>à</strong> l’originedu syndrome de la peur propre auxdictatures. Et <strong>à</strong> la peur d’être renversés, lesdictateurs répondent toujours en essayant deporter la peur sur leurs populations par undéchaînement répressif pathologique. Il sepeut donc que la présentecrise déclenchéepar la furiemeurtrière de Jammehvise des objectifsde politique intérieure: faire peur <strong>à</strong>son opposition, pourcontrer quel-quesvelléités de contestation du régime, dans lecontexte global de remise en cause desrégimes dictatoriaux <strong>à</strong> l’échelle du monde.Et quelle posture doit prendrele Sénégal face <strong>à</strong> cette situation ?Une des différences majeures entrerégimes démocratiques et dictatures tient <strong>à</strong>la perspective de la perte du pouvoir. Dansles premiers, cela relève de l’ordre normal etn’implique pas de risques majeurs sur sa personne.En revanche dans les seconds, elleimplique un pronostic vital pour le leader. Ilssont alors tenus d’exhiber en permanence laterreur sur les gouvernés pour défendre leurpeau. Les régimes dictatoriaux ne sont vraimentsensibles qu’aux rapports de force et <strong>à</strong>la menace sur leur pouvoir.Dans cette confrontation encore contenue<strong>à</strong> l’échelle diplomatique, chacun des paysprésente des forces et des faiblesses. Si leSénégal cède face <strong>à</strong> ces pratiques aussi violentesde répression qui frappent descitoyens sénégalais, mais aussi gambiens,une politique de faiblesse peut rendre leSénégal particulièrement vulnérable dansces relations avec la Gambie. Donc leSénégal peut avoir intérêt <strong>à</strong> choisir le bras defer dans lequel il n’a pas seulement que desfaiblesses. Son handicap majeur reste lacrise casamançaise.Ce serait quoi la force du Sénégal ici ?La Gambie est économiquement très vulnérableau regard de sa dépendance vis-<strong>à</strong>-vis duSénégal. Son régime dictatorial est égalementun désavantage quand on regarde la configurationglobale du monde actuel. Un bras de fer,qui arrive dans une stratégie sénégalaise <strong>à</strong> faireplier le régime de Jammeh sur ces questionsd’exécutions, peut permettre de relancer lanégociation avec le MFDC, la Gambie et laGuinée Bissau, dans de meilleures dispositions.Toutefois, cela s’inscrit dans le moyen terme. Acourt terme, c’est sûr que Jammeh peut actionnerson influence sur le MFDC qui a une certainedépendance vis-<strong>à</strong>-vis de son régime. Acourt terme, il peut agir surce levier. Mais <strong>à</strong> moyenterme, un bras de fer entrele Sénégal et la Gambiepeut amener cette dernière<strong>à</strong> plier et donner au Sénégalun climat beaucoup plusfavorable de négociation etmême de résolution de lacrise casamançaise. Un coût plus élevé <strong>à</strong> courtterme peut être plus sûr pour inscrire la paixdans la durabilité. Tout se joue dans le tempsdans cette partie d’échec en diagonale du fou !Quelle analyse faites-vous de l’histoirepolitique de ce pays, où Yaya Jammeh règneen maître absolu depuis plusieurs années ?Il y a d’abord une question démographique.La Gambie est un pays qui disposed’un territoire relativement restreint et enveloppédans celui de son unique voisin. Dansles premières années de son indépendanceacquise pacifiquement, elle n’a pas tellementconnu de situations politiques instables.Son modèle de gouvernement étaitmême plutôt du genre paternaliste. Mais, <strong>à</strong>page 8partir des années 1980, elle a expérimentédeux coups d’Etat militaires qui ont imprimé<strong>à</strong> sa vie politique un cours nouveau. L’arrivéede Yaya Jammeh au pouvoir, avec une glose“révolutionnaire”, qui a très vite tourné court,laissant place <strong>à</strong> un régime autoritaire, est unetendance inverse de ce qu’a été le régimepaternaliste de Diawara plutôt effacé.Jammeh quant <strong>à</strong> lui a un style qui heurte parson autoritarisme écrasant sur toute oppositionintérieure. Le fait que la Gambie soitenveloppée dans le Sénégal où s’exprime unrégime pluraliste, ouvert, avec une presselibre, ne facilite pas les choses <strong>à</strong> son régime.Cette configuration territoriale inonde laGambie de discours et pratiques électorales“Décider de donner comme cadeau de fête l’exécution de ses concitoyenscondamnés <strong>à</strong> mort par une justice aux ordres ne peut que choquer laconscience de tous les humanistes, de tous les démocrates.”de son voisin qui s’accommodent difficilementavec un régime autoritaire. Jammehdispose d’un certain nombre d’atouts,notamment la répression permanente et <strong>à</strong>huis clos sur l’opposition et sur la populationgambienne, maintenues dans une terreurjusqu’ici silencieuse d’une part et d'autrepart une capacité d’intervention avérée sur lacrise casamançaise. Ce qui peut en partiecontrebalancerl’influence “négative” de la démocratie sénégalaisesur son régime autoritaire. Mais, lestendances actuelles du monde portentcondamnation des régimes autoritaires etcelui de Jammeh n’échappe pas <strong>à</strong> cettedonne du temps.Face <strong>à</strong> ces exactions de Yaya Jammeh,peut-on s'attendre <strong>à</strong> une réaction dela communauté internationale ?Le problème avec la Gambie est qu’elle neconstitue pas un enjeu géostratégique important.D’abord, c’est un territoire relativementétroit, qui ne joue pas un rôle extrêmementimportant dans la diplomatie internationale,qui ne dispose pas de ressources naturellesqui peuvent être convoitées par les puissancesextérieures. Donc il est plus facile d’yexercer un régime autoritaire <strong>à</strong> huis-clos.C’est le coup d’éclat de l’Aïd el-Fitr qui aattiré l’attention de la presse et de la communautéinternationale sur la situation enGambie, mais cette situation dure depuis des“Un bras de fer entre le Sénégal et la Gambie peutamener cette dernière <strong>à</strong> plier et donner au Sénégalun climat beaucoup plus favorable de négociationet même de résolution de la crise casamançaise.”années. Il a fallu ce coup d’éclat pour que lapresse internationale braque ses feux sur laGambie et même relativement faible par rapportaux enjeux, c'est-<strong>à</strong>-dire la décision depasser <strong>à</strong> l’exécution d’une quarantaine decondamnés <strong>à</strong> mort en un court laps de temps.Décider d’un seul coup, un jour aussi symboliqueque la fin de Ramadan, avec un régimesous le leadership d’un individu qui afficheun islam plutôt ostentatoire, décider de donnercomme cadeau de fête l’exécution de sesconcitoyens condamnés <strong>à</strong> mort par une justiceaux ordres ne peut que choquer laconsciencede tous les humanistes, de tous lesdémocrates. (FIN)Retrouvez l'intégralité de l'entretien surwww.enqueteplus.com.www.enqueteplus.comnuméro 371 • mardi 4 septembre 2012

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