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Dossier Les nouveaux modèles familiaux Portrait du psychologue André Forest

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<strong>Les</strong> grands oubliés<br />

« La désinstitutionnalisation n’était pas mauvaise en soi, mais<br />

les ressources financières n’ont pas suivi et les familles ont été<br />

complètement oubliées », avance <strong>André</strong> <strong>Forest</strong>, lui qui a été<br />

aux premières loges de ce virage majeur entrepris dans les années<br />

1960. Devenus des étrangers aux yeux de leurs proches<br />

après des années en institution, beaucoup d’anciens patients<br />

se sont retrouvés en maison d’accueil. « Mais cette réforme en<br />

était aussi une de non-institutionnalisation », rappelle le directeur<br />

général de l’APPAMM-Estrie.<br />

<strong>Les</strong> personnes ayant récemment reçu un diagnostic devaient<br />

désormais compter sur leurs proches : « Dans le cas<br />

d’un premier épisode de psychose, la <strong>du</strong>rée d’hospitalisation<br />

passait de plusieurs mois à quelques semaines. <strong>Les</strong> personnes<br />

retournaient dans leurs familles qui, elles, étaient complètement<br />

démunies. » Afin d’éviter le phénomène des portes tournantes<br />

et d’offrir une qualité de vie aux personnes malades,<br />

il devenait impératif d’offrir des ressources d’aide dans la communauté.<br />

L’APPAMM-Estrie a répon<strong>du</strong> à ce besoin en misant<br />

sur le soutien et la formation aux aidants qui, insiste <strong>André</strong><br />

<strong>Forest</strong>, n’ont pas le don « naturel » de prendre en charge les<br />

situations exigeantes provoquées par les maladies mentales<br />

sévères et persistantes : « Ils méritent qu’on les considère<br />

comme des personnes qui ont des besoins de répit et d’appui. »<br />

Aider les aidants<br />

« Au début, quand on demande aux aidants comment ils vont,<br />

ce n’est pas rare de les entendre répondre “Il va bien” ou “Elle a<br />

fait une rechute”, en faisant référence à leur proche, remarque<br />

le <strong>psychologue</strong>. Comme eux sont bien portants, c’est comme<br />

s’ils accordaient l’exclusivité de la souffrance à la personne<br />

malade. » Une des clés est de les sensibiliser à l’importance de<br />

mettre des limites, croit <strong>André</strong> <strong>Forest</strong>, qui voit trop souvent des<br />

aidants abandonner leurs activités sociales et s’isoler. À leur<br />

propre péril.<br />

Formée d’une <strong>psychologue</strong>, d’une psychoé<strong>du</strong>catrice et d’une<br />

adjointe, la petite équipe de l’APPAMM-Estrie organise des<br />

activités de soutien et d’information pour les familles. Celles-ci<br />

sont accueillies rapidement, sans liste d’attente. « Au moment<br />

<strong>du</strong> diagnostic, les proches vivent de l’incré<strong>du</strong>lité, beaucoup de<br />

tristesse et un sentiment d’incapacité. Pour eux, partager ce<br />

qu’ils vivent avec d’autres familles dans la même situation est<br />

très salutaire. Nous sommes là comme facilitateurs, pour libérer<br />

la parole et aussi pour être leur porte-parole auprès des<br />

institutions », résume <strong>André</strong> <strong>Forest</strong>.<br />

De <strong>nouveaux</strong> <strong>modèles</strong><br />

Il y a 30 ans, les parents de personnes malades portaient leur<br />

croix, rappelle le <strong>psychologue</strong> : « Ils traînaient souvent un<br />

sentiment de culpabilité et se cachaient ou dissimulaient la<br />

situation. C’était tabou, la maladie mentale, et très associé à<br />

la dangerosité. » Pendant des années, à coup de publications,<br />

d’organisation de conférences publiques et d’entrevues dans<br />

les médias, <strong>André</strong> <strong>Forest</strong> a pris le bâton <strong>du</strong> pèlerin afin de briser<br />

les tabous pesant sur les personnes malades, mais aussi<br />

sur leurs proches.<br />

« La science a fait <strong>du</strong> chemin. Aujourd’hui, les gens comprennent<br />

mieux et, souvent, connaissent des personnes<br />

malades. Par contre, ils ne savent pas toujours quoi faire »,<br />

explique <strong>André</strong> <strong>Forest</strong>, qui visite occasionnellement des élèves<br />

<strong>du</strong> secondaire pour donner des cours de premiers soins en<br />

santé mentale. <strong>Les</strong> personnalités publiques qui ont osé parler<br />

de leur maladie mentale ont également suscité beaucoup<br />

d’espoir chez les aidants : « Ils donnent de <strong>nouveaux</strong> visages<br />

à la fragilité humaine », témoigne le <strong>psychologue</strong> en évoquant<br />

notamment François Massicotte et Marie-Sissi Labrèche.<br />

La clientèle de l’APPAMM-Estrie aussi a changé au fil <strong>du</strong><br />

temps : « Le paradigme actuel en santé mentale est celui <strong>du</strong><br />

rétablissement. La médication étant plus légère qu’avant, les<br />

personnes malades sont présentes dans la communauté et<br />

plusieurs fonctionnent normalement, tombent en amour, etc.<br />

<strong>Les</strong> gens atteints sont plus nombreux à avoir des enfants qu’il<br />

y a 30 ans. Par exemple, nous recevons plus souvent de jeunes<br />

a<strong>du</strong>ltes dont c’est le conjoint qui est atteint et qui ont des<br />

enfants en bas âge. <strong>Les</strong> grands-parents sont mis à contribution<br />

pour aider. »<br />

Reconnaissance<br />

« J’ai pu constater qu’à force d’être soutenus, informés, les<br />

proches arrivent à donner un sens à leur vie. Ils retrouvent le<br />

sourire. Certains en viennent même à s’impliquer au sein de<br />

notre association; ils veulent éviter à d’autres de souffrir autant<br />

qu’eux. <strong>Les</strong> côtoyer m’a donné l’espoir dans la capacité de l’être<br />

humain à affronter les difficultés. Ils m’ont montré à quel point<br />

la vie est forte. »<br />

En octobre 2014, <strong>André</strong> <strong>Forest</strong> s’est vu décerner le prix<br />

Persillier-Lachapelle, dans la catégorie Reconnaissance de<br />

carrière, par le ministère de la Santé et des Services sociaux<br />

<strong>du</strong> Québec 1 . Peu après, en janvier 2015, le journal La Tribune<br />

a fait <strong>du</strong> <strong>psychologue</strong> communautaire sa « personnalité de la<br />

semaine » en lui accordant le Mérite estrien. Pour le lauréat,<br />

ces prix sont une forme de reconnaissance sociale de l’importance<br />

des familles aidantes.<br />

La bonté à Sainte-Marie-Salomé<br />

L’engagement, semble-t-il, coulait de source dans le village de<br />

Lanaudière où <strong>André</strong> <strong>Forest</strong> a grandi. « Mes parents étaient<br />

très impliqués socialement. Ils m’ont appris à tenir compte<br />

des gens autour de moi et, très jeune, je me suis impliqué à<br />

mon tour. » Ces valeurs ont fleuri dans toute la famille <strong>Forest</strong>;<br />

le frère jumeau <strong>du</strong> <strong>psychologue</strong> de même que ses deux sœurs<br />

cadettes travaillent tous dans des domaines liés aux affaires<br />

sociales.<br />

<strong>André</strong> <strong>Forest</strong> n’a que de bons mots pour le travail en milieu<br />

communautaire : « <strong>Les</strong> contacts y sont simples, moins formels<br />

qu’ailleurs. Il y a beaucoup à faire, mais c’est peut-être le dernier<br />

milieu de travail où on a les coudées franches. Comme on<br />

intervient rapidement, on a vraiment le sentiment d’aider et de<br />

provoquer des changements. »<br />

Références<br />

1. Le prix Persillier-Lachapelle, remis comme une reconnaissance de carrière, rend<br />

hommage aux personnes qui se sont consacrées au développement et à l’amélioration<br />

des services de santé et des services sociaux, que ce soit dans le réseau public ou<br />

dans un organisme communautaire (source : site Web <strong>du</strong> ministère de la Santé<br />

et des Services sociaux).<br />

PORTRAIT | Psychologie Québec, vol. 32, n o 6 | 19

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